[f° 314]

 

Conclusion

____

 

 

 

Livre I. Après la mort. – Shakespeare. L'Angleterre

Livre II. Le Dix-neuvième Siècle

Livre III. L’Histoire Réelle. – Chacun remis à sa place.

 

 

 

 

 

 

[f° 315]

 

 

 

Conclusion

 

 

Livre I

-----

 

Après la mort. – Shakespeare.  L’Angleterre

 

 

 

 

 

 

[f° 316, première page d’une feuille double ; au coin gauche, au crayon,  « 1 » ]

 

I

 

 

En 1784, Bonaparte avait quinze ans, il arriva de Brienne [« de Brienne » : ajout] à l’Ecole-militaire de Paris, conduit, lui quatrième, par un religieux minime; il monta cent soixante treize marches, portant sa petite valise, et parvint, sous les combles, à la chambre de caserne [« chambre… » corrige « mansarde »] qu’il devait habiter. Cette chambre [corrige « mansarde »] avait deux lits et pour fenêtre une lucarne ouvrant sur la grande cour de l’Ecole. Le mur était blanchi à la chaux, les jeunes prédécesseurs de Bonaparte l’avaient un peu charbonné, et le nouveau venu put lire dans cette cellule [« dans cette… » corrige « près de la muraille » qui corrige « sur la muraille » ] ces quatre inscriptions que nous y avons lues nous-même il y a trente cinq [en sc. sur « quatre » déjà surchargé en « sept »] ans : — « Une épaulette est bien longue à gagner. De Montgivray. — Le plus beau jour de la vie est celui d’une bataille. Vicomte de Tinténiac. — La vie n’est qu’un long mensonge. Le chevalier Adolphe Delmas.  — Tout finit sous six pieds de terre. Le comte de la Villette. » En remplaçant « une épaulette » par « un empire », très léger changement, c’était, en quatre mots, toute la destinée de Bonaparte, et une sorte de Mané Thécel Pharès écrit d’avance sur cette muraille. Desmazis cadet, qui accompagnait Bonaparte, étant son camarade de chambrée et devant occuper un des deux lits, le vit prendre un crayon, c’est Desmazis qui a raconté le fait, et dessiner au dessous [corrige « à côté » ] des inscriptions qu’il venait de lire [« qu’il venait… » corrige « charbonnées »] une vague ébauche figurant [en sc. sur « représentant »(?)] [« une chambre de » barré] sa maison natale d’Ajaccio, puis, [f° 317] à coté de cette maison, sans se douter qu’il rapprochait de l’île de Corse une autre île mystérieuse alors cachée dans le profond avenir, il écrivit la dernière des quatre sentences : Tout finit sous six pieds de terre.

Bonaparte avait raison. Pour le héros, pour le soldat, pour l’homme du fait et de la matière, tout finit sous six pieds de terre; pour l’homme de l’idée, tout commence là.

La mort est une force.

Pour qui n’a eu d’autre action que celle de l’esprit, la tombe est l’élimination de l’obstacle. Être mort, c’est être tout-puissant.

L’homme de guerre est un vivant [« un vivant » : addition] redoutable; il est debout, la terre se tait, siluit, il a de l’extermination dans le geste, des millions d’hommes hagards se ruent à sa suite, cohue farouche [en sc. cursive sur +] , quelquefois scélérate. [«, quelquefois scélérate ; » : addition à l’encre rouge. Mais le point initialement écrit après « farouche » n’a pas été barré. Même addition, autographe, à la copie avec point-virgule.] Ce n’est plus une tête humaine, c’est un conquérant, c’est un capitaine, c’est un roi des rois, c’est un empereur, c’est une éblouissante couronne de lauriers qui passe jetant des éclairs, et laissant entrevoir sous elle dans [ « la lumière » barré en correction cursive] une clarté  sidérale [corrige « solaire »] un vague profil de César, toute cette vision [« toute… » corrige « tout cela »] est splendide et foudroyante [correction au féminin] ; vienne un gravier dans le foie ou une écorchure [corrige à l’encre rouge « inflammation », même correction à la copie] au pylore, six pieds de terre, tout est dit. Ce spectre solaire s’efface. Cette vie en tumulte tombe dans un trou; le genre humain [« le genre humain » est barré puis réécrit] poursuit sa route, laissant [un ou deux mots barrés en correction cursive] derrière lui ce néant. Si cet homme d’orage a fait quelque fracture heureuse, comme Alexandre de l’Inde, Charlemagne de la Scandinavie, et Bonaparte de la vieille Europe [« de la vieille… » corrige « du droit divin »] , il ne reste de lui [f° 318, première page d’une feuille double ; au coin gauche, au crayon, « 2 » ] que cela. Mais qu’un passant quelconque qui a en lui l’idéal, qu’un pauvre misérable comme Homère laisse tomber dans l’obscurité une parole, et meure, cette parole s’allume dans cette ombre, et devient une étoile.

Ce vaincu chassé d’une ville à l’autre se nomme Dante Alighieri [« Alighieri » : addition] ; prenez garde. Cet exilé s’appelle Eschyle [corrige « Juvénal »] , ce prisonnier s’appelle Ezéchiel. Faites attention. Ce manchot est aîlé, c’est Michel Cervantes. Savez-vous qui vous voyez cheminer [correction abandonnée : +] là devant vous, c’est un infirme, Tyrtée [en sc. sur « Esope » qui est réécrit en variante sans choix] , c’est un esclave, Plaute, c’est un homme de peine, Spinoza, c’est un valet, Rousseau, [virgule mais majuscule] Eh bien, cet abaissement, cette peine, cette servitude, cette infirmité, c’est la force. La force suprême, l’Esprit.

Sur le fumier comme Job, sous le bâton comme Epictète, sous le mépris comme Molière, l’esprit reste l’esprit. C’est lui qui dira le dernier mot. Le calife Almanzor fait cracher le peuple sur Averroës à la porte de la mosquée de Cordoue, le duc d’York crache en personne sur Milton, un Rohan, quasi-prince, duc ne daigne, Rohan suis, essaie d’assassiner Voltaire à coups de bâton, [« Le calife… » : addition à l’encre rouge ; elle se substitue, comme à la copie, à « Le duc d’York crache sur Milton, » [« Almanzor crache sur Averroës; » : addition] le tout barré à l’encre rouge]] Descartes est chassé de France de par Aristote, [« Descartes… » : extension, toujours à l’encre rouge, de l’addition précédente. Ces deux addition sont ajoutées  ensemble à la copie.] Tasse paie un baiser à une princesse de vingt ans de cabanon, Louis XV met Diderot à Vincennes, [« Louis XV… » : addition à l’encre rouge ; même ajout à la copie] ce sont là des incidents, ne faut-il pas qu’il y ait des nuages? Ces apparences qu’on prenait pour des réalités, ces princes, ces rois, [« , ces princes… » : addition à l’encre rouge ; même ajout à la copie] se dissipent; [point-virgule corrige, à l’encre rouge, virgule] il ne demeure [corrige « reste »] que ce qui doit demeurer [corrige « rester »] , l’esprit humain [corrige « la civilisation »]  d’un côté, les esprits divins [corrige « les civilisateurs »] de l’autre, la vraie œuvre et les vrais ouvriers, la sociabilité à compléter et à féconder, la science cherchant le vrai, l’art créant le beau, [la sociabilité… » : addition] la soif de pensée, tourment et bonheur de l’homme, la vie inférieure aspirant à la vie supérieure. [« la vie inférieure… » : addition] On a affaire aux questions réelles, au progrès dans l’intelligence et par l’intelligence. On appelle à l’aide [« à l’aide » réécrit après correction cursive de « au sec »] les poëtes, les prophètes, les philosophes, les inspirés, les penseurs [en sc. sur « savants »(?)] . On s’aperçoit que la philosophie est une nourriture et [f° 319] que la poésie est un besoin. Il faut un autre pain que le pain. Si vous renoncez aux poëtes, renoncez à la civilisation. Il vient une heure où le genre humain est tenu de compter avec cet histrion de Shakespeare et ce mendiant [corrige « va-nu-pieds » ; de même à la copie] d’Isaïe.

Ils sont d’autant plus présents qu’on ne les voit plus. Une fois morts, ces êtres-là vivent.

Comment ont-ils vécu? quels hommes étaient-ils? que savons-nous d’eux? Quelquefois peu de chose, comme de Shakespeare; souvent rien, comme de ceux des vieux âges. Job a-t-il existé? Homère est-il un, ou plusieurs? Méziriac fait droit Esope, que Planude fait bossu. Est-il vrai que le prophète Osée, pour montrer son amour de sa patrie, même tombée en opprobre et devenue infâme, ait épousé une prostituée, et ait nommé ses enfants Deuil, Famine, Honte, Peste et Misère? est-il vrai qu’Hésiode doive être partagé entre Cumes en Eolide où il serait né et Ascra en Béotie où il aurait été élevé? Velleïus Paterculus le fait postérieur de cent vingt ans à Homère dont Quintilien le fait contemporain; lequel des deux a raison? Qu’importe! les poëtes sont morts, leur pensée règne. Ayant été, ils sont.

Ils font plus de besogne aujourd’hui parmi nous que lorsqu’ils étaient vivants. Les autres morts [variante sans choix :  « trépassés », préférée à la copie] se reposent ; les morts de génie travaillent.

Ils travaillent à quoi? à nos esprits [corrige « âmes »] . Ils font de la civilisation.

[f° 320 ; au coin gauche, au crayon,  « 3 » ] Tout finit sous six pieds de terre! Non, tout y commence. Non, tout y germe. Non, tout y éclot, et tout y croît, et tout en jaillit, et tout en sort! C’est bon pour vous autres, gens d’épée, ces maximes-là.

Couchez-vous, disparaissez, gisez, pourrissez. Soit.

Pendant la vie, les dorures, les caparaçons, les tambours et les trompettes, les panoplies, les bannières au vent, [« les bannières, » : addition ; « au vent, » : ajouté à l’addition] les vacarmes, font illusion. [faux départ : « A la mort, les différences »] La foule admire du côté où est cela. Elle s’imagine voir du grand. Qui a le casque? qui a la cuirasse? qui a le ceinturon? qui est éperonné, morionné, empanaché, armé? le triomphe à celui-là! A la mort, les différences éclatent. Juvénal prend Annibal dans le creux de sa main.

Ce n’est pas le césar, c’est le penseur qui peut dire en expirant : deus fio. Tant qu’il est un homme, sa chair s’interpose entre les autres hommes et lui. La chair est nuage sur le génie. La mort, cette immense lumière, survient, et pénètre cet homme de son aurore. Plus de chair, plus de matière, plus d’ombre. L’inconnu qu’il avait en lui se manifeste [« se manifeste » en sc. cursive sur + ; Hugo a oublié de rayer la virgule placée après « en lui »] [« L’inconnu… » : addition] et rayonne. [« et rayonne. » : extension de l’addition qui précède] Pour qu’un esprit donne toute sa clarté, il lui faut la mort. L’éblouissement du genre humain commence quand ce qui était un génie devient une âme. Un livre où il y a du fantôme est irrésistible.

Qui est vivant ne paraît [en sc. sur « semble »] pas désintéressé. On se défie de lui. On le conteste parce qu’on le coudoie. Être un vivant, et être un génie, c’est trop. Cela va et vient comme vous, cela marche sur la terre, cela pèse, cela offusque, [« cela offusque, » : addition] cela obstrue [corrige « gêne »] . Il semble qu’il y ait de l’importunité dans une trop grande présence. Les hommes ne trouvent pas cet homme-là assez [changement d’écriture pour cette phrase] [f° 321 blanc ; f° 322 ; ce folio d’une demi-feuille ne porte pas de  numéro au crayon ; c’est, avec le fait que le précédent soit lui aussi d’une demi-feuille, le signe d’une réfection et d’une intercalation probables] leur semblable. Nous l’avons dit déjà, ils lui en veulent. Quel est ce privilégié? Ce fonctionnaire-là n’est point destituable. La persécution l’augmente, la décapitation le couronne. On ne peut rien contre lui, rien pour lui, rien sur lui. Il est responsable, mais pas devant vous. Il a ses instructions. Ce qu’il exécute peut être discuté, [« par vous, par cet être lui-même, »(?) barré en correction cursive] non modifié [corrige « déformé »(?)] . [corrige virgule ; la phrase se poursuivait : « ni + » barré en correction cursive] Il semble qu’il ait une commission à faire de quelqu’un qui n’est pas l’homme. Cette exception déplaît. De là plus de huée que d’applaudissement.

Mort, il ne gène plus. La huée, inutile, s’éteint. Vivant, c’était un concurrent; mort, c’est un bienfaiteur. [« Vivant… » : addition] Il devient, selon la belle expression de Lebrun, l’homme irréparable. Lebrun le constate de Montesquieu; Boileau le constate de Molière. Avant qu’un peu de terre, etc. Ce peu de terre a également grandi Voltaire. Voltaire, si grand au dix-huitième siècle, est plus grand encore au dix-neuvième. La fosse est un creuset. Cette terre [variante abandonnée : « poussière »] , [« mystérieuse,  » barré] jetée sur un homme, crible son nom, et ne laisse sortir ce nom qu’épuré [première rédaction : « et ne le laisse sortir qu’épuré »] . Voltaire a perdu de sa gloire le faux, et gardé le vrai. Perdre du faux, c’est gagner. Voltaire n’est ni un poëte lyrique, ni un poëte comique, ni un poëte tragique; [corrige virgule] il [en sc. sur « ép » : sans doute faux départ de type : …ni un poëte tragique, épique moins encore…] est le critique indigné et attendri [corrige « attendri et indigné »] du vieux monde; il est le réformateur clément des mœurs; il est l’homme qui a adouci les hommes. Voltaire, diminué comme poëte, a monté comme apôtre. Il a fait plutôt du bien que du beau. Le bien étant inclus dans le beau, ceux qui, comme Dante et Shakespeare, ont fait le beau, dépassent Voltaire; mais au dessous du poëte, la place du philosophe est encore très haute, et Voltaire est le philosophe. Voltaire, c’est du bon sens à jet continu. Excepté en littérature, il est bon juge en tout.  [f° 323 ; au coin gauche « 4 » ] Voltaire a été [« été » corrige un faux départ : « eu l + »] , en dépit de ses insulteurs, presque adoré de son vivant; il est admiré aujourd’hui, en pleine connaissance de cause. Le dix-huitième siècle voyait son esprit; nous voyons son âme. Frédéric II, qui le raillait volontiers [corrige « souvent »] , écrivait à d’Alembert : « Voltaire bouffonne. Ce siècle ressemble aux vieilles cours. Il a un fou, qui est Arouet. » Ce fou du siècle en était le sage.

Tels [en sc. cursive sur « Telle »] sont les effets de la tombe [corrige « mort »] sur les grands esprits. [faux départ : « Leur disparition illumine, leur mort dégage de l’autorité. »] Cette mystérieuse entrée ailleurs laisse derrière elle de la lumière. Leur disparition resplendit. Leur mort dégage de l’autorité.

[blanc jusqu’au bas de la page]

 

 

 

[f° 324, première page d’une double feuille de papier blanc ; au coin gauche, à l’encre rouge, « 1. »]

 

II

[ajouté dans le petit blanc au haut de la page, en sc sur « IV » ou sur « V » ou sur « IX » ou sur « X »]

 

 

Shakspeare est la grande gloire de l’Angleterre. L’Angleterre en politique a Cromwell, en philosophie Bacon, en science Newton; trois hauts génies. Mais Cromwell est taché de cruauté [« fanatisme » : variante abandonnée] et Bacon de bassesse; quant à Newton, son édifice s’ébranle en ce moment. Shakespeare est pur, ce que Cromwell et Bacon ne sont point [corrige « pas »] , et inébranlable, ce que n’est pas Newton. En outre, il est plus haut comme génie. Au dessus de Newton, il y a Copernic et Galilée; au dessus de Bacon, il y a Descartes et Kant; au dessus de Cromwell, il y a Danton et Bonaparte; au dessus de Shakspeare, il n’y a personne. Shakspeare a des égaux, mais n’a pas de supérieurs. C’est un étrange honneur pour une terre d’avoir porté cet homme. On peut dire à cette terre [corrige « lui dire »] : Alma parens. La ville natale de Shakspeare est une ville élue [corrige « Sa ville natale est élue »] ; une éternelle lumière est sur ce berceau [corrige « un éternel rayonnement est sur son berceau »] ; Stratford [orthographié « Statford »] sur l’Avon a une certitude que n’ont point Smyrne, Rhodes, Colophon, Salamine, Chio, Argos et Athènes, les sept villes qui se disputent la naissance d’Homère.

[alinéa ajouté ; de même à la copie] Shakspeare est un esprit humain; c’est aussi un esprit anglais. Il est très anglais, trop anglais; il est anglais jusqu’à amortir les rois horribles qu’il met en scène quand ce sont des rois d’Angleterre, jusqu’à amoindrir [variante abandonnée : « humilier »] Philippe-Auguste devant Jean-sans-terre, jusqu’à faire exprès un bouc, Falstaff, pour le charger des méfaits princiers du jeune Henri V, jusqu’à partager dans une certaine mesure les hypocrisies d’histoire prétendue nationale ;  [virgule corrigée en point virgule] « qui, par exemple, dissimulent la mort de faim de Richard II, et acceptent comme attaque d’apoplexie le matelas sous lequel ce même Richard étouffe à Calais le duc de Glocester ; » barré ; repris en III, 3, 3; f° 369]  enfin il est anglais jusqu’à essayer d’atténuer [«jusqu’à faire exprès… » : addition ; elle se substitue à « jusqu’à absoudre presque »] Henri VIII; il est vrai que l’œil fixe d’Elisabeth est sur lui. Mais en même [f° 325] temps, insistons-y, car c’est par là qu’il est grand, oui, [« oui, » : addition] ce poëte anglais est un génie humain. L’art comme la religion [variante sans choix : « la foi religieuse », barrée à la copie] a ses [en sc. sur « son »] Ecce Homo. Shakspeare est un de ceux dont on peut dire cette grande parole : il est l’Homme.

[début d’une longue addition] [alinéa ajouté ; de même à la copie] L’Angleterre est égoïste. L’égoïsme est une île. Ce qui manque peut-être [addition] à cette Albion toute à son affaire, et parfois regardée de travers par les autres peuples, c’est de la grandeur désintéressée; Shakspeare lui en donne. Il jette cette pourpre sur les épaules de sa patrie. Il est cosmopolite par le génie et universel par la renommée. Il déborde de toutes parts l’île et l’égoïsme. Otez Shakspeare à l’Angleterre, et voyez de combien va sur le champ décroître la réverbération lumineuse de cette nation. Shakespeare modifie en beau le visage anglais. Il diminue la ressemblance de l’Angleterre avec Carthage. [brouillons pour cette addition au carnet 25739, f°s42, 45v°- 46 et 65]

[alinéa ajouté ; de même à la copie] Signification étrange de l’apparition des génies! Il n’est pas né un grand poëte à Sparte, il n’est pas né un grand poëte à Carthage. Cela condamne ces deux villes. Creusez, et vous trouvez ceci : Sparte n’est que la ville de la logique; Carthage n’est que la ville de la matière; à l’une et à l’autre l’amour fait défaut. Carthage immole les enfants par le glaive et Sparte sacrifie [addition] les vierges par la nudité; [en marge à cette hauteur, cette note aide-mémoire : « statue Richmond, à Huntly ; statue Charles [barré] Napier etc. »] l’innocence est tuée ici, et la pudeur là. Carthage ne connaît que ses ballots et ses caisses; Sparte se confond avec la loi; c’est là son vrai territoire; c’est pour les lois qu’on meurt aux Thermopyles. Carthage est dure, Sparte est froide. Ce sont deux républiques à fond de pierre. Donc pas de livres. L’éternel semeur qui ne se trompe jamais n’a pas ouvert sur ces terres ingrates sa main pleine de génies. On ne confie pas ce froment à la roche.

[alinéa ajouté ; de même à la copie] L’héroïsme pourtant ne leur est point refusé; elles auront au besoin, soit le martyr, soit le capitaine; Léonidas est possible à l’une et Annibal à l’autre; mais ni Sparte ni Carthage ne sont capables d’Homère. [La suite de l’addition est écrite au verso du folio précédent, mais dans la foulée et de la même plume.] Il leur manque ce je ne sais quoi de tendre dans le sublime qui fait jaillir des entrailles d’un peuple le Poëte. Cette tendresse latente, ce flebile nescio quid, l’Angleterre l’a. Preuve, Shakespeare. On pourrait ajouter aussi : preuve, Wilberforce.

[alinéa ajouté ; de même à la copie] L’Angleterre, marchande comme Carthage, légale comme Sparte, vaut mieux que Sparte et Carthage. Elle est honorée de cette exception auguste, un poëte. Avoir enfanté Shakspeare, cela grandit l’Angleterre. [« L’Angleterre est égoïste… » : addition] [« Carthage est dure… » : ébauches pour ce développement au carnet 25739, f° 72v° et 73]

[alinéa ajouté] La place de Shakespeare [« La place… » corrige « Sa place »] est parmi les plus sublimes dans cette élite de génies absolus qui, de temps en temps accrue d’un nouveau venu splendide, couronne la civilisation et éclaire de son rayonnement immense le genre humain. Shakspeare est Légion. A lui seul il contrebalance notre [rétabli après surcharge en « le »] beau dix-septième siècle français, et presque le [rétabli après correction en « notre »] dix-huitième [addition abandonnée de « siècle », rayé à la copie] . [alinéa ajouté à la copie] Quand on arrive en Angleterre, la première chose qu’on cherche du regard, c’est la statue de Shakspeare. On trouve la statue de Wellington.

[alinéa ajouté; de même à la copie] Wellington est un général qui a gagné une bataille en collaboration avec le hasard.

[alinéa ajouté; de même à la copie] Si vous vous obstinez, on vous mène à un endroit appelé Westminster, où il y a des rois, une foule de rois; il y a aussi un coin qu’on appelle coin des poëtes, [copie : virgule corrigée en point et majuscule] là, dans [variante sans choix : « à », rayée à la copie] l’ombre de quatre ou cinq monuments démesurés où resplendissent en marbre et en bronze des inconnus royaux, on vous montre sur un petit socle [corrige « piedouche »] une figurine [« figurine » corrige « un petit buste » ; Hugo a oublié de corriger « un »] , et sous cette figurine [corrige « ce buste »] ce nom : WILLIAM SHAKSPEARE. [ébauche au carnet 25739, f° 66]

[alinéa ajouté ; de même à la copie] Du reste des statues partout; des statues en veux-tu en voilà; [« des statues en veux-tu… » : addition] statue pour Charles, statue pour Edouard, statue pour Guillaume, statues pour trois ou quatre Georges, dont un idiot. [point corrige point-virgule pour la longue addition qui suit. Elle se substitue au texte initial: « partout, dans toutes les rues, dans toutes les places, à chaque pas + de giganstesques points d'admiration sous [f° 326] forme de colonnes;...»] Statue Richmond à Huntly; statue [« Charles » barré] Napier à Portsmouth; [« statue Richmond… » : addition] [« statue Herbert Ingram je ne sais plus où. » barré afin de poursuivre l’énumération] statue Father Mathew à Cork; [« Herbert Ingram » barré] statue Herbert Ingram je ne sais plus où. Avoir bien fait faire l’exercice aux riflemen, cas de statue. Avoir bien commandé la manœuvre aux horse-guards, cas de statue. Avoir été le souteneur du passé, avoir dépensé toute la richesse de l’Angleterre à soudoyer une coalition de rois contre [faux départ : « la grande »] 1789, contre la Démocratie, [« contre la justice » barré] contre la lumière, contre le mouvement ascensionnel du genre humain, vite un piédestal à cela, une [f° 326, première page d’une double feuille de papier blanc; au coin gauche, à l’encre rouge, « 2 »  ]  statue à M. Pitt. Avoir vingt ans combattu sciemment la vérité, dans l’espoir qu’elle serait vaincue, s’apercevoir un beau matin [« qu’elle a la vie dure », addition à la copie] , qu’elle est la plus forte et qu’il pourrait bien se faire qu’elle fût chargée de composer un cabinet, et [addition] alors passer brusquement de son côté, autre piédestal, une statue à M. Peel. [« Avoir vingt ans… » : addition. Elle figure deux fois : l’une au folio 326, à l’encre noire, avec, à l’encre rouge, une croix de renvoi à l’autre version, écrite au verso du folio 324. F° 326 : « Avoir vingt ans combattu la vérité, la raison, la justice dans l’espoir qu’elles seraient vaincues et qu’on parviendrait à les tuer, tout en sachant fort bien que c’est la vérité, la raison et la justice, [« tout en sachant… » : addition] s’apercevoir un beau matin qu’elles ont la vie dure et qu’elles sont les plus fortes, et passer brusquement de leur côté, autre piedestal, une statue à M. Peel. » F° 324v° : « Avoir vingt ans combattu sciemment la vérité, dans l’espoir qu’elle serait vaincue, s’apercevoir un beau matin qu’elle est la plus forte et qu’il pourrrait bien se faire qu’elle fût chargée de composer un cabinet, et [addition à l’encre noire] alors passer brusquement de son côté, autre piedestal, une statue à M. Peel. » Ce dernier texte est postérieur à l'autre : le mot « sciemment » y récupère une rédaction moins adroite. A la copie (f° 868), le texte du f° 326 est recopié par la copiste, puis barré et remplacé, de la main de VH, par le texte du f° 324v° avec l’addition « qu’elle a la vie dure ».] Partout, dans toutes les rues, dans toutes les places, à chaque pas, de gigantesques points d’admiration sous forme de colonnes ; colonne au duc d’York, qui devrait, celle-là, être faite en point d’interrogation; colonne à Nelson, montrée du doigt par le spectre de Caracciolo; colonne à Wellington déjà nommé; colonnes pour tout le monde; il suffit d’avoir un peu traîné un sabre. A Guernesey, au bord de la mer, sur un promontoire, une haute colonne, pareille à un phare, presque une tour. Cela est frappé de la foudre. [brouillon de la phrase au carnet 25739, f° 65] Eschyle s’en contenterait. Pour qui est-ce? [« presque une tour…. » corrige et amplifie « pour qui ? »] pour le général Doyle. Qui ça, le général Doyle? un général. Qu’a-t-il fait, ce général? [« Qui ça… » : première rédaction : « Qu’a fait ce général Doyle ? »] il a percé des routes. A ses frais? non, aux frais des habitants. Colonne. Rien pour Shakspeare ; rien pour Milton, rien pour Newton; le nom de Byron est obscène. L’Angleterre en est là, un illustre et puissant [« illustre… » corrige « grand »] peuple. [correction oubliée du point-virgule lors de l’addition qui suit]

[alinéa ajouté à l'encre rouge ; ajout également à la copie] Ce peuple a beau avoir pour éclaireur et pour guide cette [« puissante et » barré] généreuse presse britannique qui est plus que libre, qui est souveraine, et qui par d’innombrables journaux excellents, fait la lumière à la fois sur toutes les questions, il en est là; [« Ce peuple… » : addition à l’encre rouge ; exception, elle figure d’emblée dans la copie] et que la France ne rie pas trop haut, avec sa statue de Négrier, ni la Belgique avec sa statue de Belliard, ni la Prusse avec sa statue de Blucher, ni l’Autriche avec la [corrige « sa »] statue qu’elle a probablement [« qu’elle a… » : addition] de Schwartzenberg, ni la Russie avec la [corrige « sa »]  statue qu’elle doit avoir [« qu’elle doit avoir » : addition] de Souwaroff. [brouillon de la rédaction définitive au carnet 25739, f° 64v°] Si ce n’est pas Schwartzenberg, c’est Windisgraëtz, si ce n’est pas Souwaroff, c’est Kutusoff.

[alinéa ajouté ; de même à la copie] Soyez Paskiewictk [surcharge peu distincte sur les dernières lettres] ou Jellachich, statue; soyez Augereau ou Bessières, statue; soyez le premier Arthur Wellesley venu, on vous fera colosse, et les ladies vous dédieront vous-même à vous-même, tout nu, avec cette inscription : Achille. [« Si ce n’est pas Sschwartzenberg… » : addition] Un jeune homme de vingt ans fait cette action héroïque d’épouser [variante sans choix : « coucher avec », barrée à la copie] une jolie fille [variante sans choix : « femme » ; correction à la copie : « belle jeune fille »] , on lui dresse des arcs de triomphe, on vient le voir par curiosité, on lui envoie le grand-cordon comme le lendemain d’une bataille, on couvre les places publiques de feux d’artifice, des gens qui pourraient avoir des barbes blanches [un ou deux mots barrés en correction cursive] mettent des perruques pour venir le haranguer presque à genoux, on jette en l’air des millions sterling en fusées et en pétards aux [f° 327] applaudissements d’une multitude en haillons qui ne mangera pas demain [« qui ne… » : addition ; elle se poursuivait par « on s’extasie,» barré et repris dans l’addition qui suit] , le Lancashire affamé [addition] fait pendant à la noce, [formule notée au carnet 25739, f° 71] on s’extasie, on tire le canon, on sonne les cloches, [« on tire… » remplace « quelle gloire pour la nation » qui est déplacé] Rule, Britannia! God save! Quoi, ce jeune homme a la bonté de faire cela! quelle gloire pour la nation! [« Rule… » : ébauche au carnet 25739, f° 41v°] [« qui ne mangera pas demain... » : les additions complètent et remplacent « , quoi ce jeune homme a la bonté de faire cela ! »] Admiration universelle, un grand peuple [corrige « une grande nation »] entre en frénésie, une grande ville tombe en pamoison, on loue un balcon sur le passage du jeune homme cinq cents guinées, on s’entasse, on se presse, on se foule [« se foule » corrige « s’accroche »(?)] aux roues de sa voiture, sept femmes sont écrasées par l’enthousiasme, leurs petits enfants sont ramassés morts sous les pieds, cent personnes un peu étouffées sont portées à l’hôpital, la joie est inexprimable. [« Ô terre, trône de la bêtise ! » cette phrase, notée au carnet 13454, f° 11 daté de 1862, et reprise plus loin, est encadrée d’un filet, sans autre indication sur son sort ; de même à la copie où le tout est barré] Pendant que ceci se passe à Londres, le percement de l’ithsme de Panama est remplacé par une guerre, la coupure [corrige « le percement »] de l’ithsme de Suez dépend d’un Saïd-Pacha quelconque, une commandite entreprend la vente de l’eau du Jourdain à un louis la bouteille; [« une commandite… » : addition ; de même à la copie] on invente des murailles qui résistent à tous les boulets, après quoi on invente des boulets qui détruisent [corrige « percent » ; variante : « traversent », tous deux rayés à l’encre rouge] toutes les murailles; un coup de canon Armstrong coûte douze cents francs; [« un coup… » : addition à l’encre rouge] Byzance contemple Abdul-Azis, Rome va à confesse; les grenouilles, mises en gout par la grue, demandent un héron; la Grèce, après Othon, reveut un roi; le Mexique, après Iturbide, reveut un empereur; [« les grenouilles… » : addition de premier niveau ] la Chine en veut deux, le Roi du Milieu, tartare, et le Roi du Ciel, chinois... — O terre! trône de la bêtise! [« la Chine… » : extension de l’addition précédente. Cette addition et la précédente se substituent  au texte initial : « Athènes [correction : « La Grèce »] demande un roi;  Paris [corrigé « la France »] . . . Ô terre, trône de la bêtise ! », lui-même repris en « Le Mexique, mis en goût par Iturbide, [«, mis en goût… » : entre barres verticales] demande un empereur, la France [variante sans choix : « Paris »] … – Ô terre, trône de la bêtise ! » ] [copie : «…Iturbide, reveut un empereur ; la France… ô terre, trône de la bêtise ! » est rayé et  remplacé, de la main de VH, par : « la Chine en veut deux, le Roi du Milieu, tartare, et le Roi du Ciel (Tien-Wang), chinois... — O terre! trône de la bêtise!]

 

[Tout au bas de la page, dans une bulle barrée à l'encre rouge: «que l'éditeur français voie si le mot : la France... n'est pas dangereux pour lui? »]

 

[blanc jusqu’au bas de la page]

 

 

 

[f° 328, première page d’une double feuille, retour au papier bleu ;  pas de numéro au crayon.  Le numéro de chapitre, « III », est écrit d’emblée ; orthographe « Shakespeare » dès le premier jet ; ce chapitre est ébauché au f° 333 ; aucun des folios 328-332 ne comporte de numéro au crayon. On conclut de tous ces indices qu’ils ont été intercalés. Confirmation s’en trouve à la copie. Ici la référence à un journal du 13 janvier 1864, inscrite au f° 332, fixe le terminus ante de l’insertion de ce texte.]

 

III [« III » n’est pas en ajout ; l’ébauche initiale de ce chapitre se trouve au f° 333]

 

 

La gloire de Shakespeare est arrivée en Angleterre du dehors. Il y a eu presque un jour et une heure où l’on aurait pu assister à Douvres au débarquement de cette renommée.

Il a fallu trois cents ans pour que l’Angleterre commençât à entendre ces deux mots que le monde entier lui crie à l’oreille : William Shakespeare.

Qu’est-ce que l’Angleterre? c’est Elisabeth. Pas d’incarnation plus complète. En [« aimant » ou « adorant », barré en correction cursive] admirant Elisabeth, l’Angleterre aime [en sc. sur « admire »] son miroir. Fière et magnanime avec des hypocrisies étranges, grande avec pédanterie [corrige « pruderie »] , hautaine avec habileté, prude avec audace, ayant des favoris, point de maîtres, chez elle jusque dans son lit, reine toute  puissante, femme inaccessible, Elisabeth est vierge comme l’Angleterre est île. Comme l’Angleterre elle s’intitule Impératrice de la Mer, Basilea Maris. [« Comme l’Angleterre… » : addition] Une profondeur redoutable, où se déchaînent les colères qui décapitent Essex et les tempêtes qui noient l’Armada, défend cette vierge et défend cette île [« défend cette vierge… » complète et corrige « la défend »] de toute approche. L’océan a sous sa [« a sous sa » : addition]  garde cette pudeur. Un certain célibat en effet, c’est tout le génie de l’Angleterre. Des alliances, [faux départ : « pas »] soit; pas de mariage. L’univers toujours un peu éconduit. Vivre seule, aller seule, régner seule, être seule.

En somme, reine remarquable et admirable nation. [paragraphe en ajout]

Shakespeare au contraire, est un génie sympathique. L’insularisme est sa ligature [en sc. sur +] ; non sa force. Il le romprait volontiers. [« L’insularisme… » : addition] [un ou deux mots barrés, sans doute en correction cursive] Un peu plus, Shakespeare [corrige « il »] serait européen. Il aime et loue la France; il l’appelle « le soldat de Dieu. »  En outre [corrige « De plus »] , chez cette nation prude, il est le poëte libre.

[f° 329] L’Angleterre a deux livres : [corrige virgule ou point-virgule] un qu’elle a fait, l’autre qui l’a faite; Shakespeare et la Bible. Ces deux livres ne vivent pas en bonne intelligence. La Bible combat Shakespeare. [Ce paragraphe figure, barré, au début du long texte [La Bible – L’Agleterre] (ms 24776, f° 146-151), dont Hugo ne retient rien d’autre.]

Certes, comme livre littéraire, la Bible, vaste coupe de l’orient, et [« vaste coupe… » : addition] plus exubérante encore en poésie que Shakespeare, fraterniserait avec lui; au point de vue social et religieux, elle l’abhorre. Shakespeare pense, Shakespeare songe, Shakespeare doute. Il y a en lui de ce Montaigne qu’il aimait. Le To be or not to be sort du Que sais-je?

En outre Shakespeare invente. Profond grief. La foi excommunie l’imagination. En fait de fables, la foi est mauvaise voisine, et ne pourlèche que les [« la foi… » corrige et complète « elle n’enregistre que les » [en sc. sur « ne croit qu’aux »]] siennes. On se souvient du bâton de Solon levé sur Thespis ; on se souvient du brandon d’Omar secoué sur Alexandrie. La situation est toujours la même. [« La situation… » : addition] Le fanatisme chrétien [variante sans choix : « moderne », préférée à la copie] [« , le protestant non moins que le catholique, » barré] a hérité de ce bâton [en sc. sur « brandon »] et de ce brandon. Cela est vrai en Espagne, et n’est pas faux en Angleterre. J’ai entendu un évêque anglican discuter sur l’Iliade, et tout condenser dans ce mot pour accabler Homère : Ce n’est point vrai. Or, Shakespeare est bien plus encore qu’Homère, « un menteur ».

Il y a deux ou trois ans, les journaux annoncèrent qu’un écrivain français venait de vendre [« Il y a… » corrige « Il y a deux ans, un écrivain français vendit », qui figure aussi à la copie ; mêmes corrections aux épreuves] un roman quatre cent mille francs. Cela fit rumeur [corrige « scandale » ; de même aux épreuves] en Angleterre. Un journal conformiste [en sc. sur +] s’écria : Comment peut-on vendre si cher un mensonge ? [« Il y a deux… » : addition ; ajout également à la copie, antérieur à celui du ms.]

De plus, deux mots, tout puissants en Angleterre, se dressent contre Shakespeare, et lui font obstacle : Improper, schoking. Remarquez que, [« Remarquez que, » : addition] dans une foule d’occasions [corrige « de passages »] , la Bible aussi est improper, et [en sc. sur +] l’Ecriture sainte est schoking. La Bible, même en français, et par la rude bouche de Calvin, n’hésite pas à dire : Tu as paillardé, Jérusalem [en sc. sur « Babylone »] . Ces crudités font partie de la poésie aussi bien que de la colère, et les prophètes, ces poëtes courroucés, ne s’en gênent pas. Ils ont sans cesse les gros mots à la bouche. [« La Bible, même… » : addition] Mais [barré puis réécrit] l’Angleterre, qui lit continuellement la Bible, n’a pas l’air de s’en apercevoir. Rien n’égale [« Rien… » corrige « Tout le monde sait quelle est » ; de même à la copie] la puissance de surdité volontaire des fanatismes. Veut-on de cette surdité un autre exemple? [« Veut-on… » : addition ; de même à la copie] A l’heure qu’il est l’orthodoxie romaine n’a pas encore consenti aux frères et sœurs de Jésus-Christ, quoique constatés par les quatre évangélistes. Matthieu a beau dire : « Ecce mater ejus et fratres ejus stabant foris... Et fratres ejus Jacobus et Joseph et Simon et Judas. Et sorores ejus nonne omnes apud nos sunt? » [le f° 330, mal placé à la reliure, prend la suite du folio 328: « Il est le poëte libre. / A l’heure qu’il est, on ne jouerait Shakespeare sur aucun théâtre anglais….Shakespeare avait écrit Jésus. » et la note  à ce dernier mot. On peut considérer que les folios 329 et 331 ont été intercalés.] [f° 331] Marc a beau insister : « Nonne hic est faber, filius Mariæ, frater Jacobi et Joseph et Judæ et Simonis? Nonne et sorores ejus hic nobiscum sunt? » Luc a beau répéter : « Venerunt autem ad illum mater et fratres ejus. » Jean a beau recommencer : « Ipse et mater ejus et fratres ejus... Neque enim fratres ejus credebant in eum... [deux ou trois mots soulignés et rayés, remplacés par les points de suspension] Ut autem ascenderunt fratres ejus. » Le catholicisme n’entend pas.

En revanche, pour Shakespeare, « un peu payen comme tous les poëtes » (REV. JOHN WHEELER) [« (REV…. » : addition ; en la faisant, Hugo a oublié de déplacer la virgule qui se trouve avant les guillemets] , le puritanisme a l’ouïe délicate. [faux départ : « Inconséquence »] Intolérance et inconséquence sont sœurs. D’ailleurs quand il s’agit de proscrire et de damner, la logique est de trop. Lorsque [en sc. sur « Quand »] Shakespeare, par la bouche d’Othello, appelle Desdemona whore, indignation générale, révolte unanime, scandale de fond en comble, qu’est-ce que c’est [« que c’est » : addition, de même à la copie] donc que ce Shakespeare? [« Qu’est-ce que c’est… » : addition] toutes les sectes bibliques se bouchent les oreilles, sans songer qu’Aaron adresse exactement la même épithète à Sephora, femme de Moïse. Il est vrai que c’est dans un apocryphe, la Vie de Moïse. Mais les apocryphes sont des livres tout aussi authentiques que les canoniques. [« Mais les apocryphes… » : addition ; de même à la copie]

De là en Angleterre pour Shakespeare, un fond de froideur irréductible. Ce qu’Elisabeth a été pour Shakespeare, l’Angleterre l’est encore. Nous le craignons du moins. Nous serons heureux d’être démenti. Nous sommes pour la gloire de l’Angleterre plus ambitieux que l’Angleterre elle-même. Ceci ne peut lui déplaire. [« Ceci ne peut… » corrige « Elle ne peut nous en vouloir. » ; de même à la copie]

L’Angleterre a une bizarre institution, « le poëte lauréat », laquelle constate les admirations officielles, et un peu les admirations nationales. Sous Elisabeth, et pendant Shakespeare, le poëte d’Angleterre se nommait Drummond.

Certes, nous ne sommes plus au temps où l’on affichait : Macbeth, opéra de Shakespeare, altéré par sir William Davenant. Mais si l’on joue Macbeth, c’est devant peu de public. Kean et Macready y ont échoué.

[En marge, une addition de second niveau, extension de l’addition « Le ton d’une certaine critique… », esquisse le texte du folio 330:

« A l’heure qu’il est, on ne jouerait Shakespeare sur aucun théâtre anglais sans effacer dans le texte [« dans le texte » : addition] le mot Dieu partout où il se trouve. En plein dix-neuvième siècle, le lord chambellan pèse encore sur Skakespeare. [Une modification du filet de renvoi insère ici cette phrase qui, initialement, était la dernière de l’addition.] On remplacerait God par Goodness (bonté). Le sens louchera, les vers boiteront, qu’importe. [« Le sens… » : addition] Dans ses œuvres publiées, là où Shakespeare a écrit Jésus, on imprime Jupiter. Une dévote espagnole sur le théâtre anglais est tenue de s’écrier [« est tenue… » corrige « s’écrie »] : doux Jupiter ! » Ce texte est composé, avec de légères modifications, aux épreuves (f° 579) et y est remplacée par le texte du f° 330.]

[f° 330] A l’heure qu’il est, on ne jouerait Shakespeare sur aucun théâtre anglais sans effacer dans le texte le mot Dieu partout où il se trouve. En plein dix-neuvième siècle, le lord chambellan pèse encore sur Shakespeare. En Angleterre, hors de l’église, le mot Dieu ne se dit pas. Dans la conversation, [« Dans la conversation, » : addition] on remplace God par Goodness (Bonté). Dans les éditions ou dans les représentations de Shakespeare, on remplace God par Heaven (le ciel). Le sens louche, le vers boîte, peu importe. Le « Seigneur! Seigneur! Seigneur! » (Lord! Lord! Lord!) appel [corrige « cri »] suprême de Desdemona expirante, fut supprimé par ordre dans l’édition Blount et Jaggard en 1623. On ne le dit pas à la scène. Doux Jésus! serait un blasphème; une dévote espagnole sur le théâtre anglais est tenue de s’écrier : doux Jupiter! Exagérons-nous? veut-on la preuve? Qu’on ouvre Mesure sur [inadvertance] Mesure. Il y a là [corrige « dans cette pièce »] une nonne, Isabelle. Qui invoque-t-elle? Jupiter. Shakespeare avait écrit Jésus(*).

[au-dessus du texte de la note, une bulle : « note »]

(*) Du reste, quelques lords-chambellans qu'il y ait, la censure française est difficile à distancer. Les religions sont diverses, mais [« Les religions sont… » : addition] le bigotisme est un, et tous ses spécimens se valent. Ce qu'on va [« citer(?) » barré en correction cursive] lire est extrait des notes jointes par le nouveau traducteur de Shakespeare à sa traduction :

« Jésus! Jésus! cette exclamation de Shallow fut retranchée de l'édition de 1623, conformément au statut qui interdisait de prononcer le nom de la divinité sur la scène. Chose digne de remarque, notre théâtre moderne a du subir, sous les ciseaux de la censure des Bourbons, les mêmes mutilations cagotes auxquelles la censure des Stuarts condamnait le théâtre de Shakespeare. Je lis ce qui suit [« , écrit à l’encre rouge, » barré] sur la première page du manuscrit de Hernani, que j'ai entre les mains :

         « Reçu au Théâtre-Français, le 8 octobre 1829

                         « Le Directeur de la scène

                                                      « Albertin. »

Et plus bas, à l'encre rouge :

         « Vu, à la charge de retrancher le nom de Jésus partout où il se « trouve, et de se conformer aux changements indiqués aux pages 27, 28, 29, 62, 74 et 76.

         « Le ministre secrétaire d'État au département de l'intérieur,

                                                                        « La Bourdonnaye. »

(Tome XI. Notes sur Richard II et Henri IV. note 71, p. 472.)

Nous ajoutons que dans le décor représentant Saragosse (deuxième acte de Hernani) il fut interdit de mettre aucun clocher ni aucune église, ce qui rendit la ressemblance difficile, Saragosse ayant au seizième siècle trois cent neuf églises et six cent dix-sept couvents.

Le ton d’une certaine critique puritaine vis-à-vis de [corrige « sur »] Shakespeare s’est, à coup sûr, amélioré; pourtant la convalescence n’est pas complète. [Ce  paragraphe est une addition de premier niveau que le manuscrit pllace, à la fin du folio 331, après « Kean et Macready y ont échoué. ».]

[f° 332, seconde page de la double feuille dont le f° 331 est la première] Il n’y a pas longues années qu’un économiste anglais, homme d’autorité, faisant, à côté des questions sociales, une excursion littéraire, affirmait, dans une digression hautaine et sans perdre un instant l’aplomb, ceci : — Shakespeare ne peut vivre parce qu’il a surtout traité des sujets étrangers ou anciens, Hamlet, Othello, Romeo et Juliette, Macbeth, Lear, Jules César, Coriolan, Timon d’Athènes, etc., etc.; or il n’y a de viable en littérature que les choses d’observation immédiate et les ouvrages faits sur des sujets contemporains. — Que dites-vous de la théorie? Nous n’en parlerions [corrige « On n’en parlerait »] point si ce système n’avait pas rencontré [corrige « eu »] des approbateurs en Angleterre et des propagateurs en France. Il exclut simplement de la [en sc. sur +] « vie » littéraire [« et de la gloire » barré] Schiller, Corneille, Milton, Tasse, Dante, Virgile, Euripide, Sophocle, Eschyle et Homère. Il est vrai qu’il met dans une gloire Aulu-Gelle et Restif de la Bretonne. O critique, ce Shakespeare n’est pas viable, il n’est qu’immortel. [même réflexion au f° 377 du ms 24776]

Vers le même temps, [« Vers… » : addition] un autre, anglais aussi, mais de l’école écossaise, puritain de cette variété mécontente [corrige « terrible et fanatique »(?)] dont Knox est le chef, déclarait la poésie enfantillage, répudiait la beauté du style comme un obstacle interposé entre l’idée et le lecteur, ne voyait dans le monologue [« de Hamlet auprès » barré en correction cursive] de Hamlet qu’« un froid lyrisme », et dans l’adieu d’Othello aux drapeaux et aux camps qu’« une déclamation », assimilait les métaphores des poëtes aux enluminures des livres bonnes à amuser les bébés, et dédaignait [corrige « rejetait »] particulièrement Shakespeare, comme « barbouillé d’un bout à l’autre de ces enluminures. »

Pas plus tard qu’au mois de janvier dernier [« (13 janvier 1864) » barré ; idem aux épreuves] , un spirituel journal de Londres [« de Londres » : addition] , avec une ironie accentuée d’indignation, se demandait lequel est le plus célèbre en Angleterre, de Shakespeare ou de « M. Calcraft, le bourreau » — « Il y a des localités dans ce pays éclairé où, si vous [en sc. sur +]  prononcez le nom de Shakespeare, on vous [en sc. sur +] répondra : “Je ne sais pas quel peut être ce Shakespeare autour duquel vous faites tout ce bruit, mais je parie que Hammer Lane de Birmingham se battra avec lui pour cinq livres.”  Mais on ne se trompe pas sur Calcraft. » (Daily-Telegraph. 13 janvier 1864) (« (Daily… » : addition ; idem aux épreuves]

 

 

 

[f° 333, feuille simple ; pas de numérotation visible]

[Ce folio, de rédaction antérieure à celle des précédents (328-332), était le chapitre III avant l’intercalation de l’actuel. A un stade encore antérieur, il était numéroté X. Il en va de même pour la copie où « III » est ajouté à côté de « X ». Le texte initial est barré à grands traits obliques. La suite est conservée mais passe sous le numéro de chapitre IV. La copie (f° 871), elle, correspond à l’état du texte avant l’intercalation du chapitre III actuel. Rien n’y est barré.]

 

[« 

III [ajouté et en sc. sur « X »]

La gloire de Shakespeare est arrivé en  Angleterre du dehors. Il y a eu presque un jour et une heure où l’on aurait pu assister à Douvres au débarquement de cette renommée. [« La gloire… » : addition]

Les peuples ont l’oreille dure, et la vie longue, ce qui fait que leur surdité n’a rien d’irréparable. Ils ont le temps de se raviser. [« Les peuples… » : encadré et barré de traits obliques] Il a fallu trois cents ans pour que l’Angleterre commençât [« Il a fallu …» corrige « Au bout de trois cents ans, l’Angleterre commence »] à entendre ces deux mots que le monde entier lui criait à l’oreille, William Shakespeare. [paragraphe repris au f° 338] Le monument qu’elle doit à Shakespeare, Shakspeare ne l’a point. [« Le monument… » : addition] La France, disons-le n’est pas, dans des » Tout ce texte est barré.]

 

 

IV

[inséré entre les deux lignes barrées « l’Angleterre commence à entendre ces » et « deux mots que le monde… »]

 

 

Quoi qu’il en soit, le monument que l’Angleterre doit à Shakespeare, Shakspeare ne l’a point.

La France, [« ajou » barré en correction cursive] avouons-le, n’est pas, dans des [« Quoi qu’il… » est écrit dans l’interligne des lignes barrées « …que le monde entier lui criait…disons-le, n’est pas dans des »] cas pareils beaucoup plus rapide. Une autre gloire, bien différente de Shakespeare, mais non moins grande, [« attend » barré en correction cursive] Jeanne d’Arc, attend, elle aussi, et depuis plus longtemps encore, un monument national, [« un monument natonal, » : addition] un monument digne d’elle. On n’exigera pas que nous comptions pour quelque chose le chétif socle d’Orléans et la statuette tutoyée par [variante sans choix : «voisine de »] M. Dupanloup. [« On n’exigera pas… » : addition ; texte barré à la copie]

[Début d’une série d’addition qui prennent la place de la rédaction initiale : « L’Angleterre a fait faillite à Shakespeare. La France a fait banqueroute à Jeanne d’Arc, et si souffrir est vénérable, subir est méprisable.

Passons. [addition en interligne]

Coïncidence à noter, le négateur de » [cette ligne a été  écrite en surcharge cursive sur la ligne : « et si souffrir est vénérable, subir est méprisable. » puis réécrite dans l’interligne]] Cette terre qui a été la Gaule, et où ont régné les Vellédas, a, catholiquement et historiquement, [« catholiquement… » : addition à l'encre noire; de même au texte autographe de la copie] pour patrones deux figures augustes [« figures augustes » corrige « vierges » ; de même à la copie] , Marie et Jeanne. L’une, sainte, est la Vierge; l’autre, héroïque, est la Pucelle. [« Cette terre… » corrige et complète : « Deux vierges sont les patrones de cette terre qui a été la Gaule [« cette terre… » corrige « la France »] . »] Louis XIII a donné la France à l’une, l’autre a donné la France à la France. Le monument de la seconde ne doit pas être moins haut que le monument de la première. Il faut à Jeanne d’Arc un trophée grand comme Notre-Dame. Quand l’aura-t-elle? [« Cette terre… » : addition de quatrième niveau,  réfection à l’encre rouge d’une addition de troisième niveau, partiellement barrée à l’encre rouge : « Il faut à Jeanne d’Arc un monument aussi haut que Notre-Dame, car , sans froisser aucune croyance, il est permis de penser que Jeanne d’Arc a fait autant pour la France que Marie de Nazareth. » [alinéa ajouté ; partie conservée de la même addition : « L’Angleterre a fait failllite à Shakespeare, mais la France a fait banqueroute à Jeanne d'Arc.»]] [Copie (f° 871) : le texte de l’addition à l’encre rouge est porté en marge de la main de VH, sans qu’on puisse dire si c’est après ou avant la rédaction au ms]

[alinéa ajouté ; de même à la copie] L’Angleterre a fait faillite à Shakespeare, mais la France a fait banqueroute à Jeanne d’Arc.

[alinéa ajouté à l’encre rouge ; même ajout à la copie] Ces ingratitudes veulent être sévèrement dénoncées. [« Ces ingratitudes… » : addition de second niveau, extension de la suivante] Sans doute les aristocraties dirigeantes, qui mettent la nuit sur les yeux des masses, sont les premières coupables, mais en somme la conscience existe pour un peuple comme pour un individu, l’ignorance n’est qu’une circonstance atténuante, et quand ces dénis de justice durent des siècles, ils restent la faute des gouvernements, mais deviennent la faute des nations. [« Il y a torts partagés. » barré] Sachons, dans l’occasion, dire leur fait aux peuples. France et Angleterre, vous avez tort.

Flatter les peuples serait pire que de flatter les rois. L’un est bas, l’autre serait lâche. [« Sans doute les aristocraties… » : addition de premier niveau]

Allons plus loin, et puisque cette pensée s’est présentée à nous, généralisons-la utilement, dussions-nous sortir un moment de notre sujet. Non, les peuples n’ont pas le droit de rejeter indéfiniment la faute sur les gouvernements. L’acceptation de l’oppression par l’opprimé finit par être complicité. La couardise est un consentement. [faux départ : « Comme »] Toutes les fois que la durée d’une chose mauvaise, qui pèse sur un peuple et que ce peuple [faux départ : pourrait »] empêcherait s’il voulait, dépasse la quantité possible de patience d’un honnête homme, il y a solidarité appréciable et honte partagée entre le gouvernement qui fait le mal et le peuple qui le laisse faire. [Allons plus loin… » : addition de second niveau, extension de la précédente] Souffrir est vénérable, subir est méprisable. Passons. [« Souffrir… » : addition de troisième niveau. Elle est portée sur un carré de papier, portant le numéro de folio 334, où elle est suivie d’un développement non raturé, sans doute pour rester lisible, mais encadré  d’une bulle, au dessous de laquelle Hugo a écrit  : « ce qui est encadré à partir de : Disons tout, ne doit pas être copié. » et au côté de laquelle il a, à nouveau, écrit : « ne pas copier ceci. »  Le texte à ne pas copier est le suivant : « Disons tout [corrige « toute notre pensée »] . Une certaine  comparaison de la force qui a vaincu avec la force qui se laisse vaincre fait amèrement sourire. Quelle quantité de complaisance y a-t-il ? Les attentats de ce qui est petit sur ce qui est grand peuvent provoquer [faux départ : « l’incrédulité »] quelque incrédulité. [faux départ : « L’hist »] Le juge, l’histoire est un juge, est parfois amené [varainte sans choix : « en arrive »] à des étonnements étranges. On connaît le fait [corrige « Le fait est connu »] ; seulement [en sc. sur +] il est triste d’avoir à l’appliquer à une nation. – Plaignante, il est bien [addition] difficile de croire que l’accusé, avec la taille qu’il a et la taille que vous avez… – Eh bien quoi ! parbleu, je me suis un peu baissée.

(un blanc) »] 

Coïncidence à noter, le négateur de [« Coïncidence… » a été écrit en surcharge sur la ligne « et si souffrir est vénérable, subir est méprisable » puis réécrit au dessous, dans l’interligne.] Shakespeare, Voltaire, est aussi l’insulteur de Jeanne d’Arc. Qu’est-ce donc que Voltaire? [faux départ : « C’est, disons »] Voltaire, disons-le avec joie et avec tristesse, c’est l’esprit français. Entendons-nous, c’est l’esprit français jusqu’à la révolution exclusivement. A partir de la révolution, la France grandissant, l’esprit français grandit, et tend à devenir l’esprit européen. Il est moins local et plus fraternel, moins gaulois et plus humain. Il représente de plus en plus Paris, la ville cœur du monde. [« Il représente… » : addition] Quant à Voltaire, il demeure [corrige « reste »] ce qu’il est, l’homme de l’avenir, mais l’homme du passé; il est une de ces gloires qui font dire au penseur oui et non; il a contre lui ses deux [f° 335, première page d’une feuille double ; au coin gauche, au crayon, « 2 » ] sarcasmes, Jeanne d’Arc et Shakespeare. Il est puni par où il a raillé. [« sarcasmes… » a été ajouté au haut du folio d’une plume différente de ce qui suit. La première rédaction de cette fin du développement se trouve au f°  339. Tout ce qui suit jusque là, soit les f° 334-338, a donc été intercalé.]

 

V [en sc. sur « X » ou sur « IX »]

 

 

Au fait, un monument [en sc. sur « bronze ou un marbre »] à Shakespeare, à quoi bon? La statue qu’il s’est faite à lui-même vaut mieux, avec toute l’Angleterre pour piédestal. Shakespeare n’a pas besoin d’une pyramide; il a son œuvre.

Que voulez-vous que le marbre fasse pour lui? que peut le bronze là où est la gloire? Le jade et l’albâtre [« Le jade… » corrige « l’albâtre et + + »] ont beau faire, le jaspe, la serpentine [corrige « le jade »] , le basalte, le porphyre rouge comme aux Invalides, [« l’albâtre, » barré] le granit, Paros et Carrare, perdent leur peine; le génie est le génie sans eux. Quand toutes les pierres s’en mêleraient, grandiraient-elles cet homme d’une coudée? Quelle voute sera plus indestructible que celle-ci : le Conte d’hiver, la Tempête, les joyeuses commères de Windsor, les deux gentilshommes de Vérone, Jules César, Coriolan? [« Quelle voute… » corrige et complète trois lignes corrigées et barrées : « Quelle construction de chaux ou de ciment vaudra Coriolan, Jules César, Les joyeuses commères de Windsor, les deux gentilshommes de Vérone, la Tempête, le conte d’hiver ? » [variante : « sera plus indestructible qu’Othello ? »] ] [addition barrée : « Quelle bâtisse, »] Quel monument sera plus grandiose que Lear, plus farouche que le marchand de Venise, plus éblouissant que Roméo et Juliette, plus dédaléen que Richard III [« , plus dédaléen… » : addition] ? Quelle lune jettera à cet édifice [« jettera… » corrige « lui jettera »] une lumière plus mystérieuse que le songe d’une nuit d’été? Quelle capitale, fût-ce Londres, fera autour de lui une rumeur aussi gigantesque [corrige « formidable » qui corrige « profonde »] que l’âme en tumulte de Macbeth [en sc. cursive sur « Hamlet »] ? Quelle charpente de cèdre ou de chêne durera autant qu’Othello? Quel airain sera airain autant que Hamlet? [« Aucun édifice n’égalera une pensée. » barré pour déplacement]  Aucune construction [f° 336] de chaux, de roche, de fer [« , de roche… » : addition] et de ciment ne vaut le souffle. [corrige virgule] Le profond souffle du génie [« qui » supprimé] est la respiration de Dieu à travers l’homme. Une tête où il y a une idée, voilà le sommet; les entassements de pierre et de brique font des efforts inutiles. Quel édifice égale une pensée? Babel est au-dessous d’Isaïe [corrige « de Moïse »] ; Chéops est plus petite qu’Homère; le Colisée est inférieur à Juvénal; [faux départ : « le dôme de Milan ne va pas à la cheville de Dante. Comment vous y prendrez-vous pour faire une tour aussi haute que ce nom : Shakespeare ? »] la Giralda de Séville est naine à côté de Cervantes; Saint-Pierre de Rome [variante sans choix : « le dôme de Milan », rayée à la copie] ne va pas à la cheville de Dante. Comment vous y prendrez-vous pour faire une tour aussi [corrige « plus »] haute que ce nom : Shakespeare?

Ajoutez donc quelque chose à un esprit [« un esprit » corrige « sa [en sc. sur « une »] gloire »] !

Supposez un monument. Supposez-le splendide ; supposez-le sublime. Un arc de triomphe, un obélisque, [« une cathédrale, » barré] un cirque avec piédestal au centre, une cathédrale [ajouté] . Nul peuple n’est plus illustre, plus noble, plus magnifique et plus magnanime que le peuple anglais. Accouplez ces deux idées, l’Angleterre et Shakespeare, et faites-en jaillir un édifice. Une telle nation [corrige « Un tel peuple »] célébrant [corrige « honorant »] un tel homme, ce sera superbe [en sc. sur « admirable »(?) qui corrigeait déjà « grand »] . Supposez le monument, supposez l’inauguration. Les pairs sont là, les communes adhèrent, les évêques officient, les princes font cortège, [« les princes… » : addition] la reine assiste. La vertueuse [« et digne » barré] femme, en qui le peuple anglais, [f° 337, première page d’une double feuille ; au coin gauche, au crayon, « 3 »] royaliste, comme on sait, voit et vénère sa personnification actuelle, cette digne mère, cette noble veuve, vient, avec le respect profond qui convient, incliner la majesté matérielle devant la majesté idéale; la reine d’Angleterre salue Shakespeare; l’hommage de Victoria répare le dédain d’Elisabeth. Quant à Elisabeth, elle est probablement là aussi, sculptée quelque part dans le soubassement, avec Henri VIII son père et Jacques Ier son successeur, nains sous le poëte. Le canon éclate, le rideau tombe, [« Quant à Elisabeth… » : addition ; elle se substitue à « Le rideau tombe, »] on découvre la statue qui semble dire : Enfin! et qui a grandi [variante sans choix : « poussé », rayée à la copie] dans l’ombre depuis trois cents ans; trois siècles, c’est la croissance d’un colosse; elle est immense. On y a utilisé tous les bronzes York, Cumberland, Pitt et Peel [« Pell » surcharge l’inadvertance « Pitt »] ; on a, pour la composer, désencombré les places publiques d’un tas de cuivres non justifiés, [« on a, pour… » : addition] on [« y » rayé] a amalgamé dans cette haute figure [« dans cette… » : addition] toutes sortes de Henris et d’Edouards, on y a fondu les divers Guillaumes et les nombreux Georges, l’Achille de Hyde Park a fait l’orteil. C’est beau, voilà Shakespeare [« voilà… » corrige « cela est »] presque aussi grand qu’un Pharaon [majuscule par correction] ou qu’un Sésostris. Cloches, tambours, [« Cloches… » corrige « Canons, cloches, »] fanfares, applaudissements [corrige « acclamations »] , hurrahs!

Eh bien?

Cela [corrige « Cette statue »] est honorable à l’Angleterre, indifférent [corrige le féminin] à Shakespeare.

Qu’est-ce qu’une [corrige « Quelle »] salutation de la royauté, de l’aristocratie, de l’armée, et même de la population anglaise encore ignorante à cette heure comme presque toutes les autres nations, qu’est-ce que la [« qu’est-ce que la » corrige « quelle »] salutation de tous ces groupes diversement éclairés, pour qui a [« pour qui a » corrige « vaudra jamais »] l’acclamation éternelle, et avec réflexion, de tous les siècles et de tous les hommes ! Quelle oraison de l’évêque [f° 338] de Londres ou de l’archevêque de Cantorbery vaudra le cri [corrige « sanglot »] d’une femme devant Desdémona, d’une mère devant Arthur, d’une âme devant Hamlet !

Aussi, quand l’insistance universelle [corrige « le cri universel »] réclame de l’Angleterre un monument à Shakespeare, entendons-nous, [« entendons-nous, » : addition] ce n’est pas pour Shakespeare, c’est pour l’Angleterre.

Il y a des cas où le paiement de la dette importe plus au débiteur qu’au créancier. [« Il y a… » : addition de premier niveau]

Un monument est exemplaire. [La phrase est écrite d’une écriture différente de ce qui suit ; c’est sans doute une addition de quatrième niveau, faite après la suivante.] La haute tête d’un grand homme est une clarté. Les foules comme les vagues ont besoin de phares au-dessus d’elles. Il est bon que le passant sache qu’il y a des grands hommes. [« La haute tête… » : addition de troisième niveau, ajoutée à la suivante.] On n’a pas le temps de lire, on est forcé de voir. On va par là, on se heurte au piédestal, on est bien obligé [corrige « forcé »] de lever la tête et de regarder un peu l’inscription, on échappe au livre, on n’échappe pas à la statue. Un jour, sur le pont de Rouen, devant la belle statue due à David d’Angers, un paysan monté sur un âne me dit [« dit : » corrige « demanda »] : Connaissez-vous Pierre Corneille? — Oui, répondis-je.  Il répliqua : – Et moi aussi.  Je repris : – Et connaissez-vous le Cid? — Non, dit-il.

Corneille pour lui, c’était la statue.

Ce commencement de connaissance des grands hommes est nécessaire au peuple. Le monument provoque à connaître l’homme. On désire apprendre à lire pour savoir ce que c’est que ce bronze. Une statue est un coup de coude à l’ignorance. [« On n’a pas le temps de lire… » : addition de deuxième niveau]

Il y a donc, à l’exécution de ces monuments, utilité populaire ainsi [corrige « en même temps »] que justice nationale.

Faire l’utile en même temps que le juste, cela finira certes par [« finira… » : variante sans choix : « ne peut que », rayée à la copie] tenter l’Angleterre. Elle est la débitrice de Shakespeare. Laisser une telle créance en souffrance, ce n’est point là une bonne attitude pour la fierté d’un peuple. Il est moral que les peuples soient bons payeurs en fait de reconnaissance. L’enthousiasme est probité. Quand un homme est une gloire au front de sa nation [corrige « son pays »] , la nation [corrige « le pays »] qui ne s’en aperçoit pas étonne autour d’elle [corrige « de lui »] le genre humain. [« Il y a donc… » : addition de troisième niveau, extension de la précédente]

[Retour au texte initial en partie droite de la page. Deux lignes barrées corrigées en interligne. On distingue :

« Ce monument [barré en correction cursive]

VI [par ajout, à l’encrre rouge, d’un bâton au « V » antérieur] L’Angleterre [« fin qu’il était aisé de prévoir » : addition] bâtira un monument à son poëte.

Au moment où nous revoyions les épreuves  des pages »

Un filet conduit en marge vers un texte qui reprend ces lignes corrigées, après insertion d’une coupe de chapitre  :]

VI [ par ajout à l’encre rouge d’un bâton au « V » initial. A la suite, une note pour la copie : « (ici un blanc) »]

L’Angleterre, fin qu’il était aisé de prévoir, bâtira un monument à son poëte.

Au moment où nous achevions d’écrire [« achevions d'écrire les »corrige à la copie comme au ms « revoyions les épreuves des »] [fin de la rédaction en marge, retour au texte principal] les pages qu’on vient de lire, on a annoncé à Londres [en sc. sur +] la formation d’un comité pour la célébration solennelle du trois centième anniversaire de la naissance de Shakespeare. Ce comité inaugurera [variante sans choix, ajoutée et préférée à la copie: « dédiera à Shakespeare »] [faux départ : « , le 23 avril » barré et corrigé par un autre faux départ : « dans quelques mois, »] le 23 avril 1864 un monument et célèbrera [addition ; non prise en compte à la copie] une fête qui dépasseront, nous n’en doutons pas, le programme si incomplet que nous venons d’ébaucher [« le programme… » : variante sans choix : « l’incomplet programme ébauché par nous tout à l’heure », ajoutée et préférée à la copie] . On n’épargnera rien. L’acte d’admiration sera éclatant. [« On n’épargnera… » : addition] [faux départ : « Toute confiance est due »] On peut [virgule intempestive, de même à la copie] tout attendre, en fait de magnificence, [faux départ : « du peuple qui »] de la nation qui a créé le prodigieux palais de Sydenham, ce Versailles d’un peuple. L’initiative prise par le comité entraînera certainement les pouvoirs publics. [« L’initiative… » : addition à l’addition qui suit ; idem aux épreuves ; elle manque à la copie] Nous écartons, quant à nous, et le comité écartera, nous le pensons, [« , nous le pensons, » corrige « certainement »] toute idée d’une manifestation par souscription. Une souscription (à moins d’être à un sou, c’est-à-dire ouverte à tout le peuple) est nécessairement fractionnelle. Ce qui est dû à Shakespeare, c’est une manifestation nationale; un jour férié, une fête publique, un monument populaire, votés par les chambres et inscrits au budget. L’Angleterre le ferait pour le Roi ; or qu’est-ce que le roi de l’Angleterre à côté de l’homme de l’Angleterre? [« Nous écartons… » : addition ; idem aux épreuves ; ce texte manque à la copie] Toute confiance est due au comité du jubilé de Shakespeare, comité composé de personnes hautement [« de personnes hautement » corrige « des personnes les plus » ; de même à la copie] distinguées dans la presse, la pairie, la littérature, le théâtre et l’église. Des hommes éminents de tous les pays, [« Des hommes… » : addition à l’addition qui suit] les principaux [« les principaux » ne figure pas dans le texte autographe de la copie]  représentants de l’intelligence en France, [« en France » : addition] en Allemagne, en Italie [variante sans choix préférée à la copie : « Belgique »] , en Espagne, en Belgique [variante sans choix préférée à la copie : « Italie »] , complètent ce comité, à tous les points de vue excellent, et compétent. [« les principaux représentants… » : addition] Quelques hommes éminents de France, Louis Blanc en tête ont accepté [corrige « été priés »] d’en faire partie. Un deuxième [en sc. sur +] comité, formé à Stratford sur Avon, seconde le comité de Londres. [« Un deuxième… » : addition] Nous félicitons l’Angleterre. [Aux épreuves (f° 585): « Un deuxième comité… » est substitué à : « Nous félicitons l’Angleterre. Quelques hommes éminents de France, Louis Blanc en tête, ont accepté d’en faire partie.»  En marge : « Remplacer ces trois lignes par celles-ci : « Un deuxième comité, formé à Stratford-sur-Avon, seconde le comité de Londres. » Le ms ne substitue pas le second texte au premier, mais l’ajoute.]

[changement de l’écriture] Les peuples ont l’oreille dure et la vie longue; ce qui fait que leur surdité n’a rien d’irréparable. Ils ont le temps de se raviser. [« Ils ont… » : addition] Les anglais se réveillent enfin [« se réveillent… » corrige « vont enfin se réveiller »] du coté de leur gloire. L’Angleterre commence à épeler ce nom, Shakespeare, sur lequel l’univers lui a mis le doigt. [Paragraphe repris du f° 333] [La fin de ce folio et le début du suivant portent encadré et barré :

« Demain elle le gravera sur un fronton colossal en majuscules d’or.

L’Angleterre y aura mis le temps.

On ne pourra pas [faux départ : « lui rep »] reprocher à l’enthousiasme anglais [« enthousiasme anglais» corrige « l’Angleterre »] la hâte et la précipitation.

C’est ce que nous avons simplement constaté. » [Cette dernière phrase est encadrée de barres verticales d’hésitation. ] [Une accolade réunit ces quatre paragraphes, en face de laquelle est tracé un point d’interrogation. 

[f° 339, moitié d’une double feuille ; au coin gauche « 4 » au crayon]

« sarcasmes, Jeanne d’Arc et Shakespeare. Il est puni par où il a raillé. » [Ces deux lignes achèvent le texte de première rédaction du folio 333 et ont été recopiés au haut du f° 335. Tout ce qui est compris entre le folio 333 et ce folio 339 est donc intercalé. Ces deux lignes sont rayées et barrées d’une grande croix qui recouvre aussi les deux alinéas qui suivent. ]

« Quoi qu’il en soit, voilà que Sahkespeare existe pour l’Angleterre. Elle comence à épeler ce nom sur lequel l’univers lui a mis le doigt. Les anglais se réveillent du côté de leur gloire. Peut-être avant peu [« avant peu » est mis entre barres verticales d’hésitation] [un mot ou une partie de mot, peut-être « compren », barré en correction cursive] en viendront-ils à comprendre que Shakespeare est plus grand que Wellington.

L’Angleterre y aura mis le temps. »]

En avril 1664 [Le premier « 6 » surcharge un « 8 »!] , il y avait cent ans que Shakespeare était né, [« c’était le premier ce » barré en correction cursive] l’Angleterre était occupée à acclamer [variante sans choix : « restaurer », absente de la copie] Charles II, le vendeur de Dunkerque à la France moyennant deux cent cinquante mille livres sterling, et à regarder blanchir sous la bise et la pluie au gibet de Tyburn quelque chose qui était un squelette et qui avait été Cromwell. En avril 1764, il y avait deux cents ans que Shakespeare était né, l’Angleterre contemplait l’aurore de George III, roi destiné à l’imbécillité, lequel, à cette époque, dans des conciliabules et des a-parte [« et des a-parte » : addition] peu constitutionnels avec les chefs tories et les landgraves [« les chefs… » corrige « les princes »] allemands, ébauchait cette politique de résistance au progrès qui devait lutter d’abord contre la liberté en Amérique puis contre la démocratie [corrige « révolution »] en France, et qui, sous le seul [variante sans choix : « rien que sous [« le » a été oublié] » ; la copie traite la variante comme une addition et aboutit au pléonasme  « rien que sous le seul »] ministère du premier Pitt, avait, dès 1778, endetté l’Angleterre de quatrevingt millions sterling. En avril 1864, il y aura trois cents ans que Shakespeare est né, l’Angleterre élèvera une statue [variante partiellement sans choix : «élève  un monument » puis rature sur « monument » ; « élève » est choisi à la copie] à Shakespeare. C’est tard, mais c’est bien.