Conclusion
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L’Histoire réelle [en sc. sur « définitive »] . – Chacun remis à sa place
[f° 355, demi-feuille ; au coin gauche, au crayon, « 1 » . Ce folio est la réfection des premières lignes du suivant.]
I [ajouté dans le petit blanc au haut de la page]
Voici l’avènement de la constellation nouvelle.
Il est certain qu’à l’heure où nous sommes ce qui a été jusqu’à ce jour l’éclairage du genre humain pâlit, et que le vieux flamboiement va disparaître du monde.
Les hommes de force ont, depuis que la tradition humaine existe, brillé [corrige « resplendi »] seuls à l’empyrée de l’histoire. Ils étaient la suprématie unique. [faux départ : « Sous tous ces noms groupés comme dans une vision [corrigé « apocalypse »] , »] Sous tous ces noms, rois, empereurs, chefs, capitaines, princes, résumés dans ce mot, héros, ce groupe d’apocalypse resplendissait [« ce groupe… » corrige « ils resplendissaient »] . Ils étaient tout dégouttants de victoires. L’épouvante se faisait acclamation pour les saluer. Ils traînaient à leur suite on ne sait quelle flamme en tumulte. Ils apparaissaient à l’homme dans un échevèlement de lumière horrible. Ils n’éclairaient pas le ciel; ils l’incendiaient. On eût dit qu’ils voulaient prendre possession de l’infini. On entendait des bruits d’écroulements dans leur gloire. Une rougeur s’y mêlait. Etait-ce de la pourpre? était-ce du sang? était-ce de la honte? Leur lumière faisait songer à la face de Caïn. Ils s’entrehaïssaient. Des chocs fulgurants allaient de l’un à l’autre. Par moments ces énormes astres se heurtaient avec des ruades d’éclairs. Ils avaient l’air furieux. Leur rayonnement s’allongeait en épées. Tout cela pendait terrible au-dessus de nous.
[f° 356, première page d’une double feuille ; au coin gauche, au crayon, « 2 »] Cette lueur tragique remplit le passé. Aujourd’hui elle est en pleine décroissance. [Ces lignes ont été ajoutées au haut de la page qui commençait par deux paragraphes barrés et repris au début du chapitre dont c’est ici la première version :]
[« Voici l’avènement de la constellation nouvelle.
Il est certain qu’à cette heure ce qui a été jusqu’à ce jour l’éclairage du genre humain pâlit, et que le vieux flamboiement va disparaître du monde. » ]
[alinéa ajouté à l’encre rouge ; même ajout à la copie] Il y a déclin de la guerre, déclin du despotisme, déclin de la théocratie, déclin de l’esclavage, déclin de l’échafaud. Le glaive diminue [corrige « décroît »] , la tiare s’éteint, la couronne se simplifie, la bataille extravague, le panache baisse [corrige « pend »] , [faux départ : « la chaîne s’allège, »] l’usurpation se circonscrit, la chaîne s’allège, le supplice se déconcerte [corrige « décroît »] . L’antique voie de fait de quelques-uns sur tous, nommée droit divin, touche à sa fin. [« L’antique… » : addition de premier niveau] La légitimité, la grâce de Dieu, la monarchie pharamonde, les nations marquées à l’épaule de la fleur de lys [« de la fleur de lys » corrige « du chiffre dynastique »] , la possession des peuples par fait [corrige « droit »] de naissance, la longue suite d’aïeux donnant droit sur les vivants, ces choses-là luttent encore sur quelques points, à Naples, en Prusse, etc., mais elles se débattent plutôt qu’elles ne luttent; c’est de la mort qui s’efforce de vivre. [« La légitimité… » : addition de second niveau, extension de la précédente ; addition autographe à la copie où elle est sans correction et donc postérieure à celle du ms] Un bégaiement, qui demain sera la parole, et après-demain sera le verbe, sort des lèvres meurtries du serf, du corvéable, [« du serf… » corrige « du nègre [lui-même en sc. sur « de l’esclave, »] [« du serf, du fellah, » barré à l’encre rouge] [ « du conscrit, » barré] ; copie : mêmes corrections mais en une seule fois] du prolétaire, du paria ; le bâillon casse entre les dents du genre humain. Le genre humain en a assez de la voie douloureuse, et ce patient refuse d’aller plus loin.
Dès à présent de certaines formes [f° 357] de despotes ne sont plus possibles. Le pharaon est une momie, le sultan est un fantôme, le césar est une contrefaçon. Ce stylite des colonnes trajanes est ankylosé sur son piédestal; il a sur sa tête la fiente des aigles libres [corrige « démesurés »(?)] ; il est néant plus que gloire; des bandelettes du sépulcre attachent cette couronne de lauriers.
La période des hommes de force est terminée [corrige « est accomplie » qui corrige « touche à sa fin » ; copie : correction de « est accomplie »] . Ils ont été glorieux, certes, mais d’une gloire fondante. Ce genre de grands hommes est soluble au progrès. La civilisation oxyde rapidement ces bronzes. Au point de maturité où la révolution française a déjà amené la conscience universelle [corrige « la raison humaine » ; même correction à la copie] , le héros n’est plus [corrige « pas »] héros sans dire pourquoi, le capitaine est discuté, le conquérant est inadmissible. De nos jours Louis XIV envahissant le Palatinat ferait l’effet d’un voleur. Dès le siècle dernier, ces réalités commençaient à poindre; Frédéric II, en présence de Voltaire, se sentait et s’avouait un peu brigand. Être un grand homme de la matière, être pompeusement violent, régner par la dragonne et le plumet [en sc. sur + ; a pour variante sans choix « la cocarde », préférée à la copie] , forger le droit sur la force, [« un filet modifie l’ordre initial qui était : « Régner par la dragonne…, être un grand homme…, forger le droit…, être pompeusement… »] marteler la justice [« , la raison » barré] et la vérité à coups de faits accomplis, faire des brutalités de génie, c’est être grand, si vous voulez ; mais c’est une grosse manière d’être grand. Gloires tambourinées qu’un haussement d’épaules accueille [« qu’un haussement… » remplace « que tout cela » ; de même au texte autographe de la copie] . Les héros sonores ont jusqu’à ce jour assourdi la raison humaine. Ce majestueux tapage commence à la fatiguer [« Ce majestueux… » remplace « Elle commence à dire : assez » ; de même à la copie] . Elle se bouche les yeux et les oreilles devant ces tueries autorisées [« tueries… » corrige « boucheries majestueuses »] qu’on nomme batailles. [« Etre un grand homme… » : addition] Les sublimes [corrige « grands »] tueurs d’hommes ont fait leur temps. C’est dans un certain oubli relatif désormais qu’ils seront illustres et augustes. L’humanité, grandie, demande à se passer d’eux. [A la copie, le texte se poursuit par « Le congé du guerrier est signé… dans la balance du nuisible et de l’utile. », ce qui confirme l’intercalation du texte « Quelques chiffres…Les poëtes coutent moins cher. »] [Deux faux départs pour achever le développement : « Cyrus » et « Ils + »] La chair à canon pense. Elle se ravise, et la voici qui perd l’admiration d’être canonnée. [« La chair à canon… » : écriture différente : addition ou changement de plume] [copie : addition autographe d’un seul tenant depuis « Etre un grand homme… ». Elle est, pour partie, postérieure au ms.]
[f° 358, demi-feuille d’un papier différent de celui des folios précédents ; au coin gauche, au crayon, « 2bis » . Cette indication et l’écriture, différente de ce qui précède, prouvent qu’il s’agit d’une intercalation. Elle s’étend jusqu’à la fin du chapitre. Même intercalation à la copie ; elle a donc été effectuée dans le cours de la copie.]
Quelques chiffres chemin faisant ne sauraient nuire.
Toute [correction cursive en sc. de « Notre »] la tragédie fait partie de notre sujet. Il n’y a pas que la tragédie des poëtes; il y a la tragédie des politiques et des hommes d’état. Veut-on savoir à combien revient [« à combien… » corrige « ce que coute »] celle-là?
Les héros ont un ennemi; cet ennemi s’appelle les finances. Longtemps on a ignoré le prix d’achat de [« le prix… » corrige « à quelle somme revient »] ce genre de gloire. Il y avait, pour dissimuler le total, de bonnes petites cheminées comme celles où Louis XIV a brulé les comptes de Versailles. Ce jour là il sortait du tuyau de poêle royal pour un milliard de fumée. Les peuples ne regardaient même pas. [« Ce jour là… » : addition ; elle se substitue à « Les peuples ne regardaient même pas sortir du tuyau de poële royal cette fumée qui coutait un milliard. »] Aujourd’hui les peuples ont une grande vertu, ils sont avares. Ils savent que prodigalité est mère d’abaissement. [« Ils savent… » : addition] Ils comptent. Ils apprennent [en sc. sur « savent »(?)] la tenue des livres [faux départ : « . La gloire guerrière » ; « en » est écrit en sc. sur « La » et « gloire guerrière » est barré] en partie double. La gloire guerrière a désormais son doit et avoir. Ceci la rend impossible.
Le plus grand guerrier des temps modernes, ce n’est point Napoléon, c’est Pitt. Napoléon faisait la guerre, Pitt la créait. Toutes les guerres de la révolution et de l’empire, c’est Pitt qui les a voulues. Elles sortent de lui. Otez Pitt et mettez Fox, plus de raison d’être à cette exorbitante [corrige « immense »] bataille de vingt trois ans. Plus de coalition. Pitt a été l’ame de la coalition, et, lui mort, son ame est restée dans la guerre universelle. Ce que Pitt a couté à l’Angleterre et au monde, le voici. Nous ajoutons ce bas-relief à son piédestal [corrige « sa statue »] .
Premièrement : la dépense en hommes. De 1791 à 1814, la France seule [correction ou addition abandonnée : « La France contrainte »] , luttant contre l’Europe coalisée par l’Angleterre, la France contrainte et forcée, [« la France contrainte… » : addition] a dépensé [faux départ : « cinq millions d’hommes en calculant »] en boucheries [corrige « tueries »] pour la gloire militaire, et aussi, ajoutons-le, pour la défense [« sacrée » barré] du territoire, [« et aussi… » : addition] cinq millions d’hommes, c’est à dire six cents hommes par jour. L’Europe, en y comprenant le chiffre de la France, a dépensé seize millions six cent mille hommes, c’est à dire deux mille [« hommes » barré en correction cursive] morts par jour pendant vingt trois ans.
[f° 359, demi-feuille] Deuxièmement, la dépense en argent. Nous n’avons malheureusement de chiffre authentique que le chiffre de l’Angleterre. De 1791 à 1814, l’Angleterre, pour faire terrasser la France par l’Europe, s’est endettée de vingt milliards trois cent seize millions quatre cent soixante mille cinquante trois francs. Divisez ce chiffre par le chiffre des hommes tués, à raison de deux mille par jour pendant vingt trois années, vous arrivez à ce résultat que chaque cadavre étendu sur le champ de bataille a couté [corrige « coutait »] à l’Angleterre seule douze cent cinquante francs.
Ajoutez le chiffre de l’Europe; chiffre inconnu, mais énorme.
Avec ces dix-sept millions d’hommes morts, on eût fait le peuplement européen de l’Australie. Avec les vingt-quatre milliards anglais dépensés en coups de canon, on eut changé la face de la terre, ébauché partout la civilisation, et supprimé dans le monde entier l’ignorance et la misère.
L’Angleterre paye vingt-quatre milliards les deux statues de Pitt et de Wellington. [première rédaction du paragraphe : « Les deux statues de Pitt et de Wellington coutent cela à l’Angleterre. »]
C’est beau d’avoir des héros, mais c’est un grand luxe. Les poëtes coûtent moins cher.
[Tout ce chapitre a été ajouté ; le texte initial commençait au chapitre suivant.]
[f° 360, première page d’une double feuille ; au coin gauche, au crayon, « 3 »]
II [corrige « I » et a sans doute été ajouté]
[L’absence de retrait initial tient à ce que ce folio prenait directement la suite du folio 357: « …l’humanité grandie demande à se passer d’eux. » Le premier état de la copie (f° 889) en garde la trace.] Le congé du guerrier est signé. C’est de la splendeur dans le lointain. Le grand Nemrod, le grand Cyrus, le grand Sennachérib, le grand Sésostris, le grand Alexandre, le grand Pyrrhus, le grand Annibal, le grand César, le grand Timour, le grand Gustave, le grand Louis, le grand Frédéric, d’autres Grands encore, [« Le grand Nemrod… » : variante sans choix dans l’interligne à « Cyrus, Sésostris, Alexandre, Annibal, César, Napoléon, » dont les noms ne sont pas barrés; texte autographe à la copie] tout cela s’en va.
On se tromperait si l’on croyait que [« , réserves faites, » : addition abandonnée] nous rejetons purement et simplement [« rejetons… » : corrige « n’admirons pas », que donne le texte allographe abandonné de la copie] ces hommes. A nos yeux les six [« les six » - variante sans choix : « cinq ou six de ceux », préférée à la copie autographe] que nous venons de nommer [virgule rayée] et d’autres encore, [« et d’autres… » est placé entre barres verticales d’hésitation et n’est pas retenu à la copie autographe] sont incontestablement [« et légitimement » : addition barrée] grands [« incontestablement grands » - variante sans choix : « légitimement illustres », préférée à la copie autographe] ; ils ont même mêlé quelque chose de bon à leur ravage; leur total définitif embarrasse l’équité absolue du penseur, et ils pèsent presque du même poids dans la balance du nuisible et de l’utile.
[début d’une série de longues additions] [extension abandonnée, pour être reprise plus loin, de l’addition qui suit : « Quelques-uns de ces hommes de force, nous n’avons fait nulle difficulté d’en convenir ont été utiles dans une certaine proportion. » A la copie, la même addition est faite de la main de la copiste et barrée.] D’autres n’ont été que nuisibles. Ils sont nombreux, innombrables même, car les maîtres du monde [« maîtres… » corrige « rois » : de même à la copie] sont une foule.
Le penseur, c’est le peseur. La miséricorde [corrige « clémence » , que donne la copie] lui convient. Disons-le donc, ces autres-là qui n’ont fait que le mal [variante sans choix : « n’ont été que mauvais », barrée à la copie] , ont une circonstance atténuante, l’imbécillité.
Ils ont une autre excuse encore : l’état cérébral du genre humain lui-même au moment où ils apparaissent; le milieu ambiant des faits, modifiables, mais encombrants.
Les tyrans ne sont pas les hommes, ce sont les choses. Les tyrans s’appellent la frontière, l’ornière, la routine, la cécité sous forme de fanatisme, la surdité et la mutité sous forme de diversité des langues, la querelle sous forme de diversité des poids, mesures et monnaies, la haine, résultante de la querelle, la guerre, résultante de la haine. Tous ces tyrans s’appellent d’un seul nom : Séparation. La Division d’où sort le Règne, [« La Division… » : addition ; de même à la copie] c’est là le despote à l’état abstrait.
Même les tyrans de chair sont des choses. Caligula est bien plus un fait qu’un homme. Il résulte plus qu’il n’existe. Le proscripteur romain, dictateur ou césar [corrige « empereur »] , interdit au vaincu le feu et l’eau, c’est-a-dire [virgule intempestive ; de même à la copie] le met hors de la vie. Une journée de Gela, c’est vingt mille proscrits, une journée de Tibère trente mille, une journée de Sylla, soixante-dix mille. [Ici, intercalation dans l’addition en cours d’une addition de deuxième niveau, écrite sur un carré de papier collé au ms et numéroté f° 361] Un soir Vitellius malade voit une maison pleine de lumière; on se réjouit là. Me croit-on mort? dit Vitellius. [« Me croit-on… » : addition] C’est Junius Blesus qui soupe chez Tuscus Cæcina, l’empereur [corrige « Vitellius »] envoie à ces buveurs une coupe de poison, afin qu’ils sentent par cette fin sinistre d’une nuit trop gaie que [faux départ : « l’emp »] Vitellius est vivant. Reddendam pro intempestivâ licentiâ mæstam et funebrem noctem quâ sentiât vivere Vitellium et imperare. Othon et ce Vitellius échangent des envois d’assassins. [faux départ, sur lequel la suite du texte a été partiellement écrite en sc. : « Le jardin de Valerius Asiaticus a plu »] Sous les césars, c’est prodige de mourir dans son lit. Pison, à qui cela arrive, est noté pour cette bizarrerie. [« Un soir… » : addition de second niveau intercalée dans l’addition de premier niveau qui reprend ici] [trois faux départs successifs : « Valerius Asiaticus a un jardin », « Statilius a un visage », « Le jardin de Valerius Asiaticus plaît à l’impératrice»] Le jardin de Valerius Asiaticus plaît à l’empereur, le visage de Statilius déplaît à l’impératrice ; crimes d’état; on étrangle Valerius parce qu’il a un jardin et Statilius parce qu’il a un visage. [Ici, intercalation dans l’addition en cours d’une seconde addition de deuxième niveau, écrite sur un carré de papier collé au ms et numéroté f° 362 ; même addition à la copie] Basile II, empereur d’orient, fait prisonniers quinze mille bulgares; il les partage [+ : addition abandonnée] par bandes de cent auxquels il fait crever les yeux, à l’exception d’un, chargé de conduire ces quatre-vingt-dix-neuf aveugles. Il renvoie ensuite [corrige « ainsi »] en Bulgarie toute cette armée sans yeux. L’histoire [« le » barré] qualifie ainsi Basile II [« Basile II » ajouté] : « Il aima trop la gloire. » (Delandine). [« Basile II, empereur… » : addition de second niveau intercalée dans l’addition de premier niveau qui reprend ici ; addition autographe à la copie postérieure à celle du ms] Paul de Russie émet cet [« aphorisme » barré en correction cursive] axiome : « Il n’y a d’homme puissant que celui à qui l’empereur parle, et sa puissance dure autant que la parole qu’il entend. » Philippe V d’Espagne [« d’Espagne » : addition ; le filet de renvoi la place par inadverance après la virgule ; également ajouté à la copie] , si férocement calme [« si férocement… » corrige « fort calme », de même à la copie] aux autodafés, s’épouvante à l’idée de changer de chemise, et reste six mois au lit sans se laver et sans se couper les ongles, de peur d’être empoisonné par les ciseaux, ou par l’eau de la cuvette, ou par sa chemise, ou par ses souliers. Yvan, aïeul de Paul [« aïeul… » corrige « fils de Basile » ; de même à la copie] , fait mettre une femme à la torture avant de la faire coucher dans son lit, fait pendre une nouvelle mariée et met le mari en sentinelle à côté pour [« met le mari… » corrige « charge le mari d’ »] empêcher qu’on ne coupe la corde, fait tuer le père [correction abandonnée : « son père »] par le fils, invente de scier les hommes en deux avec un cordeau [corrige « une corde »] , brûle lui-même Bariatinsky à petit feu, et, pendant que le patient hurle, [« pendant que le… » : addition] rapproche les tisons avec le [« avec le » corrige « du »] bout de son bâton. [Ici, intercalation dans l’addition en cours d’une troisième addition de deuxième niveau, écrite sur un carré de papier collé au ms et numéroté f° 363] Pierre [faux départ : « s’exerce à coup »] , en fait d’excellence, aspire à celle du bourreau; il s’exerce à couper des têtes ; il n’en coupe d’abord par jour que cinq, [« mais cinq » barré] c’est peu, mais, s’appliquant, il arrive à en couper vingt-cinq. C’est un talent pour un tzar d’arracher un sein à une femme d’un coup de knout. [« Pierre, en fait… » : addition de second niveau intercalée dans l’addition de premier niveau qui reprend ici] Qu’est-ce que tous ces monstres? Des symptômes. [« Des symptômes. » : addition ; de même à la copie] Des furoncles en éruption. Du pus qui sort d’un corps malade. Ils ne sont guère plus responsables que le total d’une addition n’est responsable des chiffres. Basile, [« Basile, » : addition ; de même à la copie] Yvan, Philippe, Paul, etc., etc., sont le produit de la [« d’une » : correction abandonnée] vaste stupidité environnante. Le clergé grec, par exemple, ayant cette maxime : « Qui pourrait nous faire juges de ceux qui sont nos maîtres [« ceux qui… » : pluriel en sc. sur singulier] ? » il est tout simple qu’un czar, ce même Yvan, couse un archevêque dans une peau d’ours [en sc. sur « de bête »(?)] et le fasse manger par des chiens. Le czar s’amuse, c’est juste. [« D’autres n’ont été que nuisibles… » : addition de premier niveau (non compris les additions qui y sont intercalées).] [Ici commence une nouvelle grande addition, enrichie d’autres, portée sur une bande de papier collée au ms, numérotée f° 364] [faux départ : « Les suppliciés consentent au supplice »] Sous Néron, le frère dont on a tué le frère va au temple rendre grâces aux dieux; sous Yvan, un boyard empalé emploie son agonie, qui dure vingt-quatre heures, à dire : O Dieu, protège [rétabli après correction en « bénisse »] le tzar ! [Ici, intercalation dans l’addition en cours d’une addition de deuxième niveau, écrite, d’une écriture différente, sur un carré de papier collé au ms et numéroté f° 365] La princesse Sanguzko est en larmes [corrige « pleurs »] ; elle présente prosternée [substitué à « à Nicolas »] une supplique à Nicolas ; [« à Nicolas ; » : addition] elle demande grâce pour son mari, elle conjure le maître d’épargner à Sanguzko (polonais coupable de patriotisme) [« (polonais… » : addition; texte autographe de la copie : « de patriotisme » est rayé et remplacé par « d’aimer la Pologne »] l’épouvantable voyage de Sibérie, Nicolas, muet, écoute, prend la supplique, et écrit au bas : à pied. Puis Nicolas sort dans les rues [« dans les rues » : addition] , et la foule se précipite sur sa botte pour la baiser. Qu’avez-vous à dire? Nicolas est un aliéné, la foule est une brute. Du khan dérive le knez, du knez le tzar, du tzar le czar. Série de phénomènes plutôt que filiation d’hommes. [« La princesse Sanguzko… » : addition de second niveau intercalée dans l’addition de premier niveau qui reprend ici ; addition également à la copie] Qu’après cet Yvan, vous ayez ce Pierre, et après ce Pierre ce Nicolas, et après ce Nicolas cet Alexandre, quoi de plus logique [corrige « simple »] ? Vous le voulez tous un peu. Les suppliciés consentent au supplice. [Ici, intercalation dans l’addition en cours d’une seconde addition de deuxième niveau, écrite, de la même écriture que l’addition principale, sur un carré de papier collé au ms et numéroté f° 366.] « Ce czar, moitié pourri, moitié gelé », comme dit madame de Staël, vous l’avez fait vous-même. [ « Ce czar, moitié… »: addition de second niveau intercalée dans l’addition de premier niveau qui reprend ici. L'implantation de toutes ces additions n'est pas clairement indiquée au ms. Elles devaient se présenter différemment dans le ms remis à la copiste.] Être un peuple, être une force, et voir ces choses, c’est les trouver bonnes. Être là, c’est adhérer. Qui assiste au crime assiste le crime. La présence inerte est une abjection encourageante.
[alinéa ajouté] Ajoutons qu’une corruption préalable a commencé la complicité même avant que le crime soit commis. Une certaine fermentation putride des bassesses préexistantes engendre l’oppresseur.
[alinéa ajouté] Le loup est le fait de la forêt. Il est le fruit farouche de la solitude sans défense. Réunissez et groupez le silence, l’obscurité, la victoire facile, l’infatuation monstrueuse, la proie offerte de toutes parts, le meurtre en sécurité, la connivence de l’entourage, la faiblesse, le désarmement, l’abandon, l’isolement; du point d’intersection de ces choses jaillit la bête féroce. Un ensemble ténébreux dont les cris ne sont pas entendus produit le tigre. Un tigre est un aveuglement affamé et armé. Est-ce un être? A peine. La griffe de l’animal n’en sait pas plus long que l’épine du végétal. Le fait fatal engendre l’organisme inconscient. En tant que personnalité, et en dehors de l’assassinat pour vivre, le tigre n’est pas. Mouravieff se trompe s’il croit être quelqu’un.
Les hommes méchants viennent des choses mauvaises. Donc corrigeons les choses.
Et ici nous revenons à notre point de départ. Circonstance atténuante du despotisme : l’idiotisme.
Cette circonstance atténuante, nous venons de la plaider.
Les despotes idiots, multitude, sont la populace de la pourpre [rédaction initiale : « du trône », correction supérieure abandonnée : « d’en haut », varainte sans choix supérieure : « du trône », variante sans choix inférieure : « de la pourpre » ; à la copie, « de la pourpre » est une correction autographe de « du trône »] ; mais au dessus d’eux, en dehors d’eux, à l’incommensurable distance qui sépare ce qui rayonne de ce qui croupit, il y a les despotes génies.
Il y a les capitaines, les conquérants, les puissants de la guerre, les civilisateurs de force, les laboureurs du glaive. [«Sous Néron, le frère dont on a tué le frère … » : addition de premier niveau (non compris les additions qui y sont intercalées).] [Retour au f°360]
Ceux-là, nous les avons rappelés [en sc. sur « nommés » ; de même à la copie] tout à l’heure, les vraiment grands parmi eux se nomment Cyrus, Sésostris, Alexandre, Annibal, César, Charlemagne, [addition] Napoléon, et dans la mesure que nous avons dite, nous les admirons. [« Ceux-là, nous les avons… » : addition. Fin de la cascade d’additions et retour au texte de rédaction initiale au f° 360.]
[copie : les trois paragraphes suivants sont écrits sur la fin de la feuille 889 avant qu'elle soit coupée après »…du nuisible et de l’utile » et collée au f° 893 ; c’est la preuve que la copie initiale ignorait tout le texte compris entre « D’autres n’ont été que nuisibles… » et « …et dans la mesure que nous avons dite, nous les admirons. »; il a été ajouté dans le cours de la copie. La rédaction de cette fin du livre et sa copie deviennent maintenant à peu près simultanées.]
Mais nous les admirons à condition de disparition.
Place à de meilleurs! Place à de plus grands!
Ces plus grands, ces meilleurs, sont-ils nouveaux? Non. Leur série est aussi ancienne que l’autre; plus ancienne peut-être, car l’idée a précédé l’acte, et le penseur est antérieur au batailleur; mais leur place était prise, prise violemment. Cette [rédaction initiale : « violemment, mais cette »] usurpation va cesser, leur heure arrive enfin, leur prédominance éclate, la civilisation, revenue à l’éblouissement vrai, les reconnaît pour ses seuls fondateurs ; [« fondateurs ; » lui-même en sc. à l’encre rouge sur la variante sans choix « ancêtres », corrige « aïeux, » ; mêmes corrections à la copie] ; leur [f° 367] série s’illumine et éclipse le reste; comme le passé, l’avenir leur appartient; et désormais ce sont eux que Dieu continuera.
III[ajouté dans l’interligne]
Que l’histoire soit à refaire, cela est évident. Elle a été presque toujours écrite jusqu’à présent au point de vue misérable du fait; il est temps de l’écrire au point de vue du principe.
Et ce, à peine de nullité. [« Et ce… » : addition]
Les gestes royaux, les tapages guerriers, les couronnements, mariages, baptêmes [corrige « naissances »] et deuils princiers, les supplices et fêtes, les beautés d’un seul écrasant tous, le triomphe d’être né roi, les prouesses de l’épée et de la hache, les grands empires, les gros impôts, les tours que joue [corrige « fait »] le hasard au hasard, l’univers ayant pour loi les aventures [corrige « le caprice »] de la première tête venue, pourvu qu’elle soit couronnée; la destinée d’un [corrige « du »] siècle changée par le coup de lance d’un étourdi à travers le crâne d’un imbécile; la majestueuse fistule à l’anus de Louis XIV; les graves paroles de l’empereur [« les graves… » corrige « l’empereur »] Mathias moribond à son médecin essayant une dernière fois de lui tâter le pouls sous sa couverture et se trompant [« et se … » : addition] : erras, amice, hoc est membrum nostrum imperiale sacrocæsareum; la danse aux castagnettes du cardinal de Richelieu déguisé en berger devant la reine de France dans la petite maison de la rue [f° 369, demi-feuille ; au coin gauche « 4 » , au crayon; la mauvaise articulation du f° 367 au f° 369 qui répète « de la rue » suggère que le folio 367 est une réfection] de Gaillon; Hildebrand complété par Cisneros; [« Hildebrand… » : déplacé ici] les petits chiens de Henri III, les divers Potemkins de Catherine II, Orloff ici, Godoy là, [« Hildebrand complété par Cisneros, » barré pour déplacement] etc., une grande tragédie avec une petite intrigue; telle était l’histoire jusqu’à nos jours, n’allant que du trône à l’autel, prêtant une oreille à Dangeau et l’autre à dom Calmet [« dom Clamet » corrige « Loriquet » ; de même à la copie] , béate et non sévère, ne comprenant pas les vrais passages d’un âge à l’autre, incapable de distinguer les crises climatériques de la civilisation, et faisant monter le genre humain par des échelons de dates niaises, docte en puérilités, ignorante du droit, de la justice et de la vérité, et beaucoup plus modelée sur Le Ragois que sur Tacite.
[Texte initial : « Le roi paie, le peuple ne paie pas ; voilà à peu près tout le secret de cette histoire-là. » Ce paragraphe, déplacé plus loin, est d’abord précédé puis suivi (ou l’inverse) de l’addition, également reprise plus loin : « Tellement que, de nos jours, Tacite a été l’objet d’un réquisitoire.
Jusqu’à l’époque où nous sommes, l’histoire a fait sa cour. » Dans l’interligne et à l’encre rouge : « Voir les articles Roy ou La Baumelle »
Le tout est encadré, barré, et remplacé par la longue addition de ce qui suit.]
Tellement que, de nos jours, Tacite a été l’objet d’un réquisitoire.
Tacite du reste, ne nous lassons point d’y insister [« ne nous… » corrige, à l’encre rouge, « insistons-y en passant »] , est, comme Juvénal, comme Suétone et Lampride, l’objet d’une haîne spéciale et méritée. Le jour où, dans les collèges, les professeurs de rhétorique mettront Juvénal au dessus d’Horace et Tacite au-dessus de Bossuet, c’est que, la veille, le genre humain aura été délivré. [« c’est que, la veille… » corrige « ce jour-là le genre humain sera délivré. »] [f° 368r°] C’est que toutes les formes de l’oppression auront disparu depuis le négrier jusqu’au pharisien, depuis la case où l’esclave pleure [« l’esclave pleure » corrige « fait fouetter des esclaves »] jusqu’à la chapelle où l’eunuque chante [« l’eunuque chante » corrige « l’on fait chanter des eunuques »] [Ces deux dernières corrections sont faites ensemble au texcte autographe de la copie.] . [« C’est que toutes les formes… » addition intercalée de second niveau ; addition également à la copie. Elle est écrite sur une petite bande de papier blanc, collée au ms et portant le numéro de folio 368. A son verso on lit, barré d’une croix : « c’est que la Pologne sera la Pologne, c’est que l’Italie sera l’Italie, c’est que la Grèce sera la Grèce, c’est que l’Autriche sera l’Autriche, c’est que le pape sera à Jérusalem, c’est que la fraternité sera en Amérique, c’est que l’échafaud sera au musée, c’est qu’un nègre sera un homme, c’est que les nations seront des peuples. » Ce texte est le texte initial de la copie où il est remplacé, de la main de VH par le texte du recto. En travers : « Voir derrière »] [Ici retour à l’addition de premier niveau, f° 369] Le cardinal Du Perron, qui recevait pour Henri IV les coups de bâton du pape, avait la bonté de dire : Je méprise Tacite.
Jusqu’à l’époque où nous sommes, l’histoire a fait sa cour.
La double [« La double » corrige « L’ »] identification du roi avec la nation et du roi avec Dieu, c’est là le travail de l’histoire courtisane. La grâce de Dieu procrée le droit divin. Louis XIV dit : l’Etat, c’est moi. Madame Dubarry, plagiaire de Louis XIV, appelle Louis XV la France et le mot pompeusement hautain du grand roi asiatique de Versailles aboutit à : Lafrance, ton café f... le camp.
Bossuet écrit sans sourciller, tout en palliant les faits çà et là, la légende effroyable de ces vieux trônes antiques couverts de crimes, et, appliquant à la surface des choses sa vague déclamation théocratique, il se satisfait par cette formule : Dieu tient dans sa main le cœur des rois. [six ou sept mots barrés] Cela n’est pas, pour deux raisons : Dieu n’a pas de main et les rois n’ont pas de cœur.
Nous ne parlons [corrige « Je ne parle »] , cela va sans dire, que des rois du passé [variante sans choix : « d’Assyrie », ajoutée et choisie à la copie] .
L’histoire, cette vieille histoire-là, [« , cette vieille… » : addition] est bonne personne pour les rois. Elle ferme les yeux quand une altesse lui dit [« ne regarde pas » barré en correction cursive] : Histoire, ne regarde pas. Elle a, imperturbablement [« nié » barré en correction cursive] , avec un front de fille publique, nié l’affreux casque brise–crâne à pointe intérieure destiné par l’archiduc d’Autriche à l’avoyer Gundoldingen; aujourd’hui, cet engin est pendu à un clou dans l’hôtel de ville [« l’hôtel de ville » corrige « le musée »] de Lucerne. Tout le monde peut l’aller voir; l’histoire le nie encore. [faux départ : « L’histoire »] Moreri appelle la Saint-Barthelemy un « désordre » [ajouté à l’encre rouge dans l’espace blanc réservé ; copie de même] . Chaudon, autre biographe, [« autre… » : en sc., à l’encre noire, sur +] caractérise ainsi l’auteur du mot à Louis XV cité plus haut : « une dame de la cour, madame Du Barry. » [« Chaudon… » : addition de second niveau, écrite à l’encre rouge et corrigée à l’encre noire] L’histoire accepte pour attaque d’apoplexie le matelas sous lequel Jean II d’Angleterre étouffe à Calais le duc de Glocester [circonstance évoquée, et barrée, en III, 1, 2; f° 324]. Pourquoi à l’Escurial, dans sa bière, la tête de l’infant don Carlos est-elle séparée du tronc? Philippe II, le père, répond : C’est que, l’infant étant mort de sa belle mort, le cercueil préparé ne s’est point trouvé assez long, et l’on a dû couper la tête. L’histoire croit avec douceur à ce [oublié et ajouté] cercueil trop petit. Mais que le père ait fait décapiter son fils, fi donc! Il n’y a que les démagogues pour dire de ces choses-là.
[« Le roi paie, le peuple ne paie point ; voilà à peu près tout le secret de ce genre d’histoire. » rayé.]
[« Tellement que, de nos jours… » : addition de premier niveau, avec intercalations ultérieures.]
[Le texte principal reprenant ici est encadré et barré de grands traits obliques. Il est réécrit au folio 383 et, initialement, se poursuivait au f° 386 . « [faux départ : « La flatterie des cours »] Domesticité. L’historien n’est plus que le maître des cérémonies des siècles. Dans la cour modèle de Louis-le-Grand, il y a les quatre historiens comme il y a les quatre violons de la chambre. Boileau mène les uns, Lulli les autres.
Dans ce vieux mode d’histoire, le seul autorisé jusqu’à 1789 [« jusqu’à… » corrige « durant des siècles »], le seul »]
[f° 370, première page d’une feuille double ; au coin gauche, au crayon, « 2 ». Le « 1 » de la série manque. Ce folio ne contient aucun texte mais y sont collées deux bandes d’un papier différent, f°s 371 et 372, où l’écriture est la même que celle des grandes additions qui précèdent.]
[f° 371] La naïveté de l’histoire glorifiant [en sc sur « acceptant »] le fait, quelqu’il soit, et si impie qu’il soit, n’éclate nulle part mieux que dans Cantemir et Karamsin, l’un l’ [addition] historien turc, l’autre l’[addition] historien russe. Le fait ottoman et le fait moscovite offrent, lorsqu’[en sc. sur « quand »] on les confronte et qu’on les compare [filet d'interversion de l’ordre des deux termes] , l’identité tartare. Moscou n’est pas moins sinistrement asiatique que Stamboul. Yvan est sur l’une comme Mustapha sur l’autre. La nuance est imperceptible entre ce christianisme et ce mahométisme. Le pope est frère de l’uléma [« et » barré ; la virgule requise a été oubliée] le boyard du pacha, [corrige point] le knout du cordon, et le mougik du muet. [« Le pope est frère… » : addition. Elle s’arrête d’abord à « pacha » et est placée après « sur l’autre. ». Puis elle est complétée et déplacée.] Il y a pour les passants des rues peu de différence entre Sélim qui les perce de flèches et Basile qui lâche sur eux des ours. Cantemir, homme du midi, ancien hospodar moldave, longtemps sujet turc, sent, quoique passé aux russes, qu’il ne déplaît point au czar Pierre en déifiant le despotisme, et il prosterne ses métaphores devant [« prosterne… » : corrige « divinise »] les sultans; [corrige virgule] ce plat ventre est oriental ; et quelque peu occidental aussi. Les sultans sont divins, [« ce plat ventre… » : addition] leur cimeterre est sacré, leur poignard est sublime, leurs exterminations sont magnanimes, leurs parricides sont bons. Ils se nomment cléments comme les furies se nomment euménides. [« Il se nomment… » : addition de deuxième niveau, extension de la suivante] Le sang qu’ils versent fume dans Cantemir avec une odeur d’encens, et le vaste assassinat qui est leur règne s’épanouit en gloire. [« Le sang… » : addition de premier niveau] Ils massacrent le peuple dans l’intérêt public. Quand je ne sais plus quel padischah, Tigre IV ou Tigre VI, fait étrangler l’un après l’autre ses dix-neuf [« dix-neuf » corrige « huit »] petits frères courant effarés autour de la chambre, l’historien né [addition] turc déclare que « c’était là exécuter sagement la loi de l’empire. » L’historien russe, Karamsin, n’est pas moins tendre au tzar que Cantemir au sultan. Pourtant, disons-le, [« disons-le, » : addition] près de Cantemir la ferveur de Karamsin est tiédeur. Ainsi Pierre tuant son fils Alexis est glorifié [en sc. sur +] par Karamsin, mais du ton dont on excuse. Ce n’est point l’acceptation pure et simple [« pure… » correction cursive de « agenouillée »] de Cantemir. Cantemir est mieux agenouillé. [« Il est plus "loyal" comme disent les anglais. » barré] [« Ce n’est point… » : addition] L’historien russe admire seulement, tandis que l’historien turc adore. Nulle flamme dans Karamsin, point de verve, un enthousiasme engourdi, des apothéoses grisâtres, une bonne volonté frappée de congélation, des caresses qui ont l’onglée. C’est mal flatté. [« C’est mal.. .» : addition] Evidemment le climat y est pour quelque chose. Karamsin est un Cantemir qui a froid.
[f° 372. Semblable au précédent il est collé dessus et en occulte les dernières lignes.] Ainsi est faite [« Ainsi… » corrige « Telle est »] l’histoire jusqu’à ce jour dominante, elle va de Bossuet à Karamsin en passant par l’abbé Pluche. [faux départ : « Dans cette »] Cette histoire a pour principe l’obéissance. A qui doit-on obéissance [l’obéissance… » corrige « la force. A quel signe se reconnaît la force »] ? Au succès. Les héros sont bien traités, mais les rois sont préférés. Régner, c’est réussir chaque matin. Un roi a le lendemain. Il est solvable. Un héros peut mal finir, cela s’est vu. Alors ce n’est plus qu’un usurpateur. Devant cette histoire, le génie lui-même, fût-il la plus haute expression de la force servie par l’intelligence, est tenu au succès continu. S’il bronche, le ridicule; s’il tombe, l’insulte. Après Marengo, vous êtes héros de l’Europe, homme providentiel, oint du Seigneur [« , et du pape » barré en correction cursive pour déplacement] ; après Austerlitz, Napoléon le Grand; après Waterloo, ogre de Corse. Le pape a oint un ogre.
Pourtant, impartial, et en considération des services rendus, Loriquet vous fait marquis.
[Trois lignes écrites en marge transversalement et barrées de traits obliques ; elles sont incomplètes mais se poursuivent au folio suivant, signe que la feuille qui les portait a été coupée :
« est ascendante et fait monter un général (?)
héros de l’Europe vous fait grand officier
ogre de Corse grand croix »]
[f° 374, de même aspect que les précédents, disjoint par coupe du f° 372, collé au folio 373]
L’homme de nos jours qui a le mieux exécuté cette gamme surprenante de Héros de l’Europe à Ogre de Corse, c’est Fontanes, choisi pendant tant d’années pour [« diriger », barré pour déplacement] cultiver, développer et diriger [« développer… » : addition] le sens moral de la jeunesse. [Une suite au développement est amorcée : « Elle + » et immédiatement abandonnée.]
La légitimité, le droit divin, la négation du suffrage universel, le trône fief, les peuples majorat [en sc. sur « propriété »] , dérivent [en sc. sur « découlent »] de cette histoire. Le bourreau en est. Joseph de Maistre l’ajoute, divinement, au roi. En Angleterre, ce genre d’histoire s’appelle l’histoire « loyale ». [f° 375, de mêmes caractéristiques que le précédent et collé à son bas] L’aristocratie anglaise, qui a parfois de ces bonnes idées là, a imaginé de donner à une opinion politique le nom d’une vertu. Instrumentum regni. En Angleterre être royaliste, c’est être loyal. Un démocrate est déloyal. C’est une variété du malhonnête homme. Cet homme croit au peuple, shame! Il [minuscule non pertinente, majuscule préférable] voudrait le vote universel, c’est un chartiste; êtes-vous sûr de sa probité? [« + ne pas entonner le God save, c’est faire banqueroute ! » barré] Voici un républicain qui passe, prenez garde à vos poches. Cela est ingénieux. [« Cela… » : addition] Tout le monde a plus d’esprit que Voltaire; l’aristocratie anglaise a plus d’esprit que Machiavel.
Le roi paye, le peuple ne paye point. Voilà à peu près tout le secret de ce genre d’histoire. Elle a, elle aussi, son tarif d’indulgences.
Honneur et profit se partagent ; l’honneur au maître, le profit à l’historien. Procope est préfet et qui plus est, et par décret, Illustre (cela ne l’empêche pas de trahir), [« Honneur… » : addition] . [La virgule est après « Illustre », mais « (cela ne l’empêche pas de trahir) est une extension de l’addition] Bossuet est évêque, Fleury est [addition] prieur prélat d’Argenteuil, Karamsin est sénateur, Cantemir est prince. [« Cantemir… » : addition] L’admirable c’est d’être payé successivement par Pour et par Contre, et comme Fontanes, d’être fait sénateur par l’idolâtrie et pair de France par le crachat sur l’idole. [« Bossuet… » : plusieurs corrections et additions enchevêtrées aboutissent à ce texte dont la première rédaction est : « Bossuet est évêque. Karamsin est sénateur. L’admirable c’est, comme le grand-maître de l’université Fontanes, cité tout à l’heure, d’être fait sénateur [corrige +] par l’idolâtrie [correction cursive de +] et marquis par le crachat sur l’idole. » Ces lignes sont écrites de la même écriture que l’addition qui précède, mais différente de celle du reste du folio, et, apparemment, dans un blanc réservé.]
Que se passe-t-il au Louvre? que se passe-t-il au Vatican? que se passe-t-il au Sérail? [« que se passe-t-il au Sérail ? » : addition] que se passe-t-il au Buen Retiro? que se passe-t-il à Windsor? que se passe-t-il à Schœnbrun? que se passe-t-il à Postdam? que se passe-t-il au Kremlin? que se passe t-il à Oranienbaum? Pas d’autre question. Il n’y a rien d’intéressant pour le genre humain hors de ces dix ou douze maisons dont l’histoire est la portière.
[f° 376, demi-feuille du même papier bleu que le reste du manuscrit, au coin gauche « 3 » au crayon. Y sont collés, comme précédemment, les f°s 377 et 378.]
[f° 377] Rien n’est petit de la guerre, du guerrier, du prince, du trône, de la cour. Qui n’est pas doué de puérilité grave ne saurait être historien. [Cette phrase est écrite transversalement en marge et son implantation dans le texte n’est pas indiquée. Elle l’est par son ajout à la copie.] Une question d’étiquette, [« Une question… » corrige « L’étiquette est une grande affaire. » Hugo a oublié de corriger le point en virgule.] une chasse, un gala, un grand lever, un cortége, le triomphe de Maximilien, la quantité de carrosses qu’avaient les dames suivant le roi au camp devant Mons, la nécessité d’avoir des vices conformes aux gouts de sa majesté, les horloges [corrige « pendules »] de Charles-Quint, les serrures de Louis XVI, le bouillon refusé par Louis XV à son sacre, annonce d’un bon roi, et comme quoi le prince de Galles siège à la chambre des lords, non [corrige « comme » déjà barré en correction cursive] en qualité de prince de Galles, mais en qualité de duc de Cornouailles, et comme quoi Auguste l’ivrogne [« Auguste… » : barré puis réécrit] a nommé sous-échanson de la couronne le prince Lubormirsky qui est staroste de Kasimirow, [« et comme quoi deux arpents de pré [correction abandonnée : « petits prés »] contigus à la vieille marche et au duché de Zell brouillent l’Angleterre et la Prusse, » barré et réutilisé plus loin] et comme quoi Charles d’Espagne [corrige « Philippe V »] a donné le commandement de l’armée de Catalogne à Pimentel parce que les Pimentel ont la grandesse de Benavente depuis 1308, et comme quoi Frédéric de Brandebourg [corrige « Frédéric Ier de Prusse » qui corrige « l’électeur de Brandebourg »] a octroyé [corrige « donné »] un fief de quarante mille écus à un piqueur qui lui a fait tuer un beau cerf, et comme quoi Louis Antoine, grand-maître de l’ordre teutonique et prince palatin, mourut à Liège du déplaisir de n’avoir pu s’en faire élire évêque, et comme quoi la princesse Borghèse, douairière de la Mirandole et de maison papale, épousa le prince de Cellamare fils du duc de Giovenazzo, et comme quoi mylord [« my » est ajouté, de même à la copie] Seaton, qui est Montgomery, a suivi Jacques II en France, et comme quoi l’empereur a ordonné au duc de Mantoue, qui est feudataire de l’empire, de chasser de sa [f° 378] cour le marquis Amorati, et comme quoi il y a toujours deux cardinaux Barberins vivants, etc., etc., tout cela est grosse affaire [« et vaut enregistrement » barré et employé plus loin] . Un nez retroussé est historique [rétabli après avoir été corrigé en « mémorable »] . Deux petits prés contigus à la vieille Marche et au duché de Zell, ayant quasi brouillé l’Angleterre et la Prusse, sont mémorables [corrige « historiques »] . Et en effet l’habileté des gouvernants et l’apathie des obéissants ont arrangé et emmêlé [« et emmêlé » : addition] les choses de telle sorte que toutes ces formes [f° 379, blanc ; f° 380, demi-feuille du même papier bleu que le reste du ms ; y sont collés les f°s 381 et 382, de mêmes caractéristiques que les précédents.][f° 381 ; des queues de lettre au bord supérieur montrent que la bande de papier a été coupée après écriture] du néant princier tiennent de la place dans la destinée humaine, et que la paix et la guerre, la mise en marche des armées et des flottes, le recul ou le progrès de la civilisation, dépendent de la tasse de thé de la reine Anne ou du chasse-mouche du dey d’Alger.
L’histoire marche derrière ces niaiseries, les enregistrant. [changement d’écriture et/ou de plume]
Sachant tant de choses, il est tout simple qu’elle en ignore quelques-unes. Si vous [faux départ : « lui demandez »] êtes curieux au point de lui demander comment s’appelait le marchand [corrige « l’aventurier »] anglais qui le premier en 1612 est entré en Chine par le Nord, et l’ouvrier verrier qui le premier en 1663 a établi en France une manufacture de cristal, et le bourgeois qui a fait prévaloir aux états-généraux de Tours sous Charles VIII le fécond principe de la magistrature élective, adroitement [variante sans choix : « sournoisement », rayée à la copie] raturé depuis, et le pilote qui en 1405 a découvert les îles Canaries, et le luthier byzantin qui, au huitième siècle, a inventé l’orgue et donné à la musique sa plus grande voix, et le maçon campanien qui a inventé l’horloge [f° 382] en plaçant à Rome sur le temple de Quirinus le premier cadran solaire, et le pontonnier romain qui a inventé le pavage des villes par la construction de la voie Appienne l’an 312 avant l’ère chrétienne, et le charpentier égyptien qui a imaginé la queue d’aronde trouvée sous l’obélisque de Luxor, et l’une des [« grandes » barré] clefs de l’architecture, et le gardeur de chèvres chaldéen qui a fondé l’astronomie par l’observation des signes du zodiaque, point de départ d’Anaximène, et le calfat corinthien qui, neuf ans avant la première olympiade, [« , neuf ans… » corrige « le premier »] a calculé la puissance du triple levier et imaginé la trirème, et créé un [corrige « le », de même à la copie] remorqueur antérieur de [« antérieur de » corrige « , longtemps » barré ; la virgule n’est pas barrée mais aurait dû l’être] deux mille six cents ans au [corrige « avant le »] bateau à vapeur, et le laboureur macédonien qui a découvert la première mine d’or dans le mont Pangée, l'histoire ne sait que vous dire. Ces gens-là lui sont inconnus.
Qu’est cela? un laboureur, un calfat, un chevrier, un charpentier, un pontonnier, un maçon, un luthier, un matelot, un bourgeois, et un marchand? l’histoire ne s’encanaille pas.
[un ou deux mots rayés] Il y a à Nuremberg, près de l’Egidien Platz, dans une chambre au deuxième étage d’une maison qui fait face à l’église St Gilles, sur un trépied de fer, une petite boule de bois de vingt pouces de diamètre [« de vingt… » : addition] revêtue d’un vélin noirâtre bariolé de lignes autrefois rouges, jaunes et vertes. C’est un globe où est ébauché un à peu près de la terre au quinzième siècle. [Il y a à Nuremberg… » corrige et complète « Il y a à Nuremberg sur l’Egidien Platz, [« sur… » : addition] dans une arrière-cour, sous un hangar, un petit globe de vingt pouces de diamètre monté sur un trépied de fer, et figurant un à peu près terrestre. »] Sur ce globe est vaguement indiquée, au 24e degré de latitude, sous le signe de l’écrevisse, [« indiqué, au… » : corrige et complète « ébauchée »] une espèce d’île nommée Antilia, qui fixa un jour l’attention de deux hommes; l’un, qui avait construit le globe et dessiné Antilia, montra cette île à l’autre, posa le doigt dessus, et lui dit : C’est là. L’homme qui regardait s’appelait Christophe Colomb, l’homme qui disait : [f° 383, première page du même papier bleu que le reste du manuscrit portant au coin gauche « 4 » au crayon ; y sont collés, comme aux folios précédents, les f°s 384 et 385] [f° 384] c’est là, se nommait Martin Behaim. Antilia, c’est l’Amérique. L’histoire parle de Fernand Cortez qui a ravagé l’Amérique, mais non de Martin Behaim qui l’a devinée.
[f° 385] Qu’un homme ait « taillé en pièces » les hommes, qu’il les ait « passés au fil de l’épée », qu’il leur ait « fait mordre la poussière », horribles locutions devenues hideusement banales, cherchez dans l’histoire le nom de cet homme, quel qu’il soit, vous l’y trouverez. Cherchez-y le nom de l’homme qui a inventé [corrige « découvert »] la boussole, vous ne l’y trouverez pas.
En 1747, en plein dix-huitième siècle, sous le regard même des philosophes, les batailles de Raucoux et de Lawfeld, le siège du Sas-de-Gand [« , le siège… » : addition] et la prise de Berg-op-Zoom éclipsent et effacent [« éclipsent… » corrige « « s’accordent(?) plus de place que »] cette découverte sublime qui aujourd’hui est en train de modifier le monde, l’électricité.
Voltaire lui-même, aux environs de [« aux environs de » : addition] cette année-là, célèbre éperdument on ne sait quel exploit de [« Louis XV » barré en correction cursive] Trajan (lisez : Louis XV.)
[« Domesticité. L’historien n’est plus etc. », barré : note de régie pour la mise au net qui appelle la copie du texte ci-dessous ou effectue la jonction avec lui. Le folio 385 s’achève ici ; on revient au f° 383 sur lequel est collé le 384.]
Une certaine bêtise publique se dégage de cette histoire. Elle est [« Elle est » : addition ; le point après « histoire a été ajouté en même temps.] superposée presque partout à l’éducation. Si vous en doutez, [« Si vous… » : addition] voyez entr’autres, [« entre’autres, » : addition] les publications de la librairie Périsse frères destinées (par leur rédaction, dit une parenthèse) [« (par leur rédaction… » : addition ; de même à la copie] aux écoles primaires. Et que serait-ce si vous étiez [corrige « pouviez être »] admis à feuilleter, à la maison de St Denis, par exemple, les cahiers manuscrits de madame Gigun ! [« et que serait-ce… » est placé entre barres verticales d’hésitation et manque à la copie]
Un prince [corrige « Un roi »] qui se donne un nom d’animal [en sc. sur « de bête »] , cela nous fait rire. Nous raillons l’empereur de la Chine qui se fait appeler sa majesté le dragon et nous disons avec calme monseigneur [en sc. sur « monsieur »] le Dauphin. [« Une certaine bêtise… » : addition de la même écriture que ce qui précède mais inscrite sur le folio 383 après collage sur lui du folio 385. A la copie, « Une certaine bêtise… » est ajouté par VH dans un blanc correspondant à celui qui existe au ms.]
[f° 383, au bas de la page. Ce qui suit reprend un texte rayé du folio 369 ; l’écriture est la même qu’aux folios 369 et précédents qui est aussi celle des folios suivants. Les additions du folio 369 et tous les folios suivants jusqu’à celui-ci sont donc une seule et même grande intercalation, confirmée par l’homogénéité de l’écriture.]
Domesticité. L’historien n’est plus que le maître des cérémonies des siècles. Dans la cour modèle de Louis le Grand, il y a les quatre historiens comme il y a les quatre violons de la chambre. Lulli mène les uns, Boileau les autres.
Dans ce vieux mode d’histoire, le seul autorisé jusqu’en 1789, [f° 386] enseigné dans les écoles [« même aujourd’hui » : addition barrée] , et classique dans toute l’acception du mot, [« et classique… » peut être lu soit comme addition (mais le filet manque), soit comme variante sans choix de « enseigné dans les écoles » soit comme sa correction (mais la formule n’est pas barrée). La copiste écrit : « …1789, et classique dans toute l’acception du mot, enseigné dans les écoles, » et VH barre « enseigné dans les écoles ».] les meilleurs narrateurs, même les honnêtes, il y en a peu, même ceux qui se croient libres, restent machinalement en discipline, remmaillent la tradition à la tradition, subissent l’habitude prise, reçoivent le mot d’ordre dans l’antichambre, acceptent, pêle-mêle avec la foule, la divinité bête des grossiers personnages du premier plan, rois, empereurs, papes, soldats, achèvent, tout en se croyant historiens, d’user les livrées des historiographes, et sont laquais sans le savoir.
Cette histoire-là, on l’enseigne, on l’impose, on la commande et on la recommande, toutes les jeunes intelligences en sont plus ou moins infiltrées, [« on la fait apprendre par cœur aux enfants, » barré pour déplacement] la marque leur en reste, leur pensée en souffre et ne s’en relève que difficilement, on la fait apprendre par cœur aux écoliers [corrige « enfants », de même à la copie] , [« on la fait apprendre… » : addition] et moi qui parle, enfant, j’ai été sa victime. [« Cette histoire-là… » : addition]
Dans [en sc. sur « De là »(?)] cette histoire [« qu’il est utile de caractériser, où »] il y a tout, excepté l’histoire. Etalages de princes, de « pontifes », et de capitaines; du peuple, des lois, des mœurs, peu de chose; des lettres, des arts, des sciences, de la philosophie, du mouvement de la pensée universelle, [« de l’homme, » barré en correction cursive] en un mot, de l’homme, rien. Le genre humain [variante sans choix : « La civilisation », préférée à la copie] date par règnes et non par progrès. Un roi quelconque est une étape. Les vrais relais, les relais de grands hommes, ne sont nulle part indiqués. On explique [réécrit après avoir été barré] comment François II succède à Henri II, Charles IX à François II, et Henri III à Charles IX; mais personne n’enseigne comment Watt succède à Papin et Fulton à Watt. [f° 387, première page d’une feuille double ; au coin gauche « 5 » au crayon] Derrière le lourd décor des hérédités royales, la mystérieuse dynastie des génies est à peine entrevue. Le lampion qui fume sur la façade stupide des avènements royaux cache la réverbération sidérale que jettent sur les siècles les créateurs de civilisation. Pas un historien de cette série [« de cette série » : addition] ne montre du doigt la divine filiation des prodiges humains, cette logique appliquée de la Providence; pas un ne fait voir comment le progrès engendre le progrès. Que Philippe IV vienne après Philippe III et Charles II après Philippe IV, ce serait une honte [« à l’écolier » placé d’abord entre barres d’hésitation, puis rayé] de l’ignorer; que Descartes continue Bacon et que Kant continue Descartes, [« que Luther continue Huss et que Voltaire continue Luther, » barré et déplacé] que Lascasas continue Colomb, que Washington continue Lascasas, et que John Brown continue et rectifie [« et rectifie » : addition, de même à la copie] Washington, [« que Descartes… » : addition de premier niveau] que Luther continue Jean Huss et que Voltaire continue Luther, [« que Luther… » : extension de l’addition qui précède ; les deux additions se substituent à « que Descartes [variante : « Luther] continue Bacon [variante : « Jean Huss »] et que Kant [variante « Voltaire »] continue Descartes [variante « Luther »] , » le tout barré] c’est presque un scandale de le savoir.
IV [ajouté dans l’interligne au crayon]
Il est temps que cela change.
Il est temps que les hommes de l’action prennent leur place derrière et les hommes de l’idée devant. Le sommet, c’est la tête. Où est la pensée, là est la puissance. Il est temps que les génies passent avant les héros. Il est temps de rendre à César ce qui est à César et au livre ce qui est au livre. Tel [en sc. cursive sur « Un »] poëme, tel drame, tel roman, fait [en sc. sur « font »(?)] plus de besogne [« de besogne » : addition] que toutes les cours d’Europe réunies. [« Il est temps… » : addition] Il est temps que l’histoire se proportionne à la réalité, qu’elle donne à chaque influence sa mesure constatée, et qu’elle cesse de mettre aux époques faites à l’image des poëtes et des philosophes [corrige « des philosophes et des poëtes »] des masques de rois. A qui est le dix-huitième [f° 388] siècle? à Louis XV, ou à Voltaire? Confrontez Versailles à Ferney, et voyez duquel de ces deux points la civilisation découle.
Un siècle est une formule; une époque est une pensée [corrige « idée »] exprimée. Après quoi, la civilisation passe à une autre. La civilisation a des phrases. [faux départ : « Elle ne dit pas »] Ces phrases sont les siècles. Elle ne dit pas ici ce qu’elle dit là. Mais ces phrases mystérieuses s’enchaînent, la logique — le logos — est dedans, et leur série constitue le progrès. Toutes ces phrases, expression d’une idée unique, l’idée divine, écrivent lentement le mot Fraternité [en sc. sur un autre mot, « Liberté » peut-être. « Fraternité » est écrit, pour mémoire et avant décision, en marge, puis barré] .
Toute clarté [en sc. sur « lumière »] est quelque part condensée en une flamme; de même toute époque est condensée en un homme. L’homme expiré [corrige « mort »] , l’époque est close. Dieu tourne la page. Dante mort, c’est le point mis à la fin du treizième siècle; Jean Huss peut venir. Shakspeare mort, c’est le point mis à [« le point mis à » corrige « c’est »] la fin du seizième siècle. Après ce poëte, qui contient et résume toute la philosophie [corrige « pensée »] , les philosophes, Pascal, [addition] Descartes, [un nom ajouté puis barré] Molière, Le Sage, [addition] [« Voltaire ,» barré] Montesquieu, Rousseau, Diderot, Beaumarchais, [« Montesquieu… » : additions] peuvent venir. Voltaire mort, c’est le point mis à la fin du dix-huitième siècle. La révolution française, liquidation de la première forme sociale [« de la première… » corrige « de la première phase » ; de même à la copie] du christianisme, peut venir. [« Un siècle est une formule… » : addition de premier niveau]
Ces diverses phrases, que nous nommons époques, ont toutes leur dominante. Quelle est cette dominante? Est-ce une tête qui porte une couronne? est-ce une tête qui porte une pensée? Est-ce une aristocratie? est-ce une idée? Rendez-vous-en compte. Voyez où est la [« vraie »(?) barré] puissance ? Pesez François Ier au poids de Gargantua. Mettez toute la chevalerie en équilibre avec Don Quichotte. [« Ces diverses phrases… » : extension de l’addition précédente]
Chacun à sa place donc. Volte-face, et voyons maintenant les vrais siècles. Au premier rang, les esprits; au deuxième, au troisième, au vingtième, les soldats et les princes. Dans l’ombre le guerroyeur, et reprise de possession du piédestal par le penseur. Otez de là Alexandre, et mettez-y Aristote. Chose étrange que jusqu’à ce jour l’humanité ait eu une manière de lire l’Iliade qui effaçait Homère sous Achille!
Je le répète, il est temps que cela change. Du reste, le branle est donné. Déjà de nobles esprits sont à l’œuvre; l’histoire future approche; quelques magnifiques remaniements partiels en sont comme le spécimen; une refonte générale est imminente. Ad usum populi. L’instruction obligatoire veut l’histoire [« véridique » barré en correction cursive] vraie. [point corrige virgule] L’histoire vraie se fera. Elle est commencée. [« Elle est commencée. » : addition ; de même à la copie]
On refrappera les effigies. Ce qui était le revers deviendra la médaille, et ce qui était la médaille deviendra le revers. Urbain VIII sera l’envers de Galilée.
Le vrai profil du genre humain reparaîtra sur les différentes épreuves de civilisation qu’offre la série des siècles.
[f° 389, première page d’une feuille double ; au coin gauche « 6 » au crayon] L’effigie historique, ce ne sera plus l’homme roi ; ce sera l’homme peuple.
Sans doute, et l’on ne nous reprochera point de n’y pas insister, l’histoire réelle et véridique, en indiquant les sources de civilisation là où elles sont, ne méconnaîtra pas la quantité appréciable d’utilité des porte-sceptres et des porte-glaives à un moment donné et en présence d’un état spécial de l’humanité. De certaines prises corps à corps exigent de la ressemblance entre les deux [« athlètes » barré en correction cursive] combattants; à la sauvagerie il faut quelquefois la barbarie. Les cas de progrès violent existent. César est bon en Cimmérie [corrige « Germanie »] , et Alexandre en Asie. Mais à Alexandre et à César, le second rang suffit.
L’histoire véridique, l’histoire vraie, l’histoire définitive, désormais chargée de l’éducation du royal enfant, qui est le peuple [« du royal… » corrige « du peuple », mis entre barres verticales avant correction] , rejettera toute fiction, manquera de complaisance, classera logiquement les phénomènes, démêlera les causes profondes, étudiera philosophiquement et scientifiquement les commotions successives de l’humanité, et tiendra moins compte des grands coups de sabre que des grands coups d’idée. Les faits de lumière passeront les premiers. Pythagore sera un plus grand événement que [f° 390] Sésostris. Nous venons de le dire, les héros, hommes crépusculaires, sont relativement lumineux dans les ténèbres; mais qu’est-ce qu’un conquérant près d’un sage? Qu’est l’invasion des royaumes [« l’invasion… » corrige « la prise d’une province »] comparée à l’ouverture des intelligences [corrige « d’une intelligence »] ? Les gagneurs d’esprits effacent les gagneurs de provinces. Celui par qui l’on pense, voilà le vrai conquérant. Dans l’histoire future, l’esclave Esope et l’esclave Plaute auront le pas sur les rois, et tel comédien pèsera plus que tel empereur [« et tel comédien… » - variante sans choix : « et tel vagabond pèsera plus que tel victorieux [corrige « conquérant »] »] . Sans doute, pour rendre ce que nous disons ici sensible par les faits, [« pour rendre… » : addition] il est utile [« par exemple » barré] qu’un homme puissant ait marqué le temps d’arrêt entre l’écroulement du monde latin et l’éclosion du monde gothique, il est utile qu’un autre homme puissant, venant après le premier comme l’habileté après l’audace, ait ébauché sous forme de monarchie catholique le futur groupe universel des nations, et les salutaires empiétements de l’Europe sur l’Afrique, l’Asie et l’Amérique; mais il est plus utile encore d’avoir fait la Divine Comédie et [« il est utile qu’un autre homme puissant… » : addition; elle se substitue à « mais il est plus utile encore d’avoir fait »] Hamlet; aucune mauvaise action n’est mêlée à ces chefs-d’œuvre, il n’y a point là, à porter à la charge du civilisateur, un passif de peuples écrasés, et, étant donnée, comme résultante, l’augmentation de l’esprit humain, Dante [correction de « Shakspeare »] importe plus que Charlemagne, et Shakespeare importe plus que Charles-Quint [« , et Shakespeare… » : addition] .
Dans l’histoire, telle qu’elle se fera sur le patron du vrai absolu, cette intelligence quelconque, cet être inconscient et vulgaire, le non pluribus impar, le sultan-soleil de Marly [en sc. sur « Versailles »] , n’est plus que le préparateur presque machinal de l’abri dont a besoin le penseur déguisé en histrion et du milieu d’idées et d’hommes qu’il faut à la philosophie d’Alceste, et Louis XIV fait le lit de Molière.
[f° 391, première page d’une feuille double ; au crayon « 7 »] Ces renversements de rôles mettront dans leur jour vrai [mettront… » corrige « feront le jour vrai sur »] les personnages; l’optique historique, renouvelée, rajustera l’ensemble de la civilisation, chaos encore aujourd’hui [« rajustera… » corrige « remettra tout au point ; selon l’ordre réel »] ; la perspective, cette justice faite par la géométrie, s’emparera du passé, faisant avancer tel plan, faisant reculer tel autre; chacun reprendra sa [« place » barré en correction cursive] stature réelle; les coiffures de tiares et de couronnes n’ajouteront aux nains qu’un ridicule; les agenouillements stupides s’évanouiront. De ces redressements jaillira le droit.
Ce grand juge, Nous Autres, Nous Tous [« Nous Autres… » corrige « tout le monde »] , ayant désormais pour mètre la notion claire de ce qui est absolu et de ce qui est relatif, les défalcations et les restitutions se feront d’elles-mêmes. Le sens moral, inné à l’homme, saura où se prendre. Il ne sera plus réduit à se faire des questions de ce genre : Pourquoi, à la même minute, vénère-t-on dans Louis XV, en bloc avec le reste de la royauté, [« , en bloc… » : addition] l’acte pour lequel on brûle [« vif » barré] Deschauffours en place de Grève? La qualité de roi ne sera plus un faux poids moral. Les faits bien posés poseront bien la conscience. Une bonne lumière viendra, douce au genre humain [corrige « à l’humanité »] , [« douce… » : addition, d'abord placée après « sereine, »] sereine, équitable [« , majestueuse » barré ; également à la copie] . [faux départ : « Nulle interrup (?) . »] Nulle interposition de nuages désormais entre la vérité et le cerveau de l’homme. Ascension définitive du bien, du juste et du beau au zénith de la civilisation.
Rien ne peut se soustraire à la loi simplifiante. [faux départ : « Le côté m »] Par la seule [corrige « simple »] force des choses, le côté matière des faits et des [f° 392] hommes se désagrège et disparaît. Il n’y a pas de solidité ténébreuse. Quelle que soit la masse, quel que soit le bloc, toute combinaison de cendre, et la matière n’est pas autre chose, fait retour à la cendre. L’idée du [en sc. cursive sur « grain »] grain de poussière est dans le mot granit. Pulvérisations inévitables. Tous ces granits, royauté [corrigé à la copie : « oligarchie »] , aristocratie, théocratie, sont promis à la dispersion des quatre vents. L’idéal seul est incorruptible.
Rien ne reste que l’esprit.
Dans cette crue indéfinie [« cette crue… » corrige « ce grandissement » ; de même à la copie] de clarté [corrige « lumière »] qu’on nomme la civilisation, des phénomènes de réduction et de mise au point s’accomplissent. L’impérieux matin pénètre partout, entre en maître et se fait obéir. La lumière opère. Sous ce grand regard, la postérité, devant cette clarté, le dix-neuvième siècle, les simplifications se font, les excroissances tombent, [« les excroissances… » : addition] les gloires s’exfolient, les noms se départagent. Voulez-vous un exemple ? Prenez Moïse. Il y a dans Moïse trois gloires : le capitaine, le législateur, le poëte. De ces trois hommes que contient [« que contient » correction cursive de « qui sont d »] Moïse, où est aujourd’hui le capitaine? dans l’ombre, avec les brigands et les massacreurs. Où est le législateur? au rebut des religions mortes. Où est le poëte? à côté d’Eschyle [en sc. sur un autre nom, peut-être « Homère » ; de même à la copie] .
[f° 392bis, première page d’une feuille double ; au coin gauche, au crayon « 8] Le jour a sur les choses de la nuit une puissance rongeante irrésistible. De là un nouveau ciel historique au-dessus de nos têtes. De là une nouvelle philosophie des causes et des résultats De là un nouvel aspect des faits.
Cependant quelques esprits, dont l’inquiétude honnête et sévère nous plaît d’ailleurs, se récrient : — Vous avez dit « les génies sont une dynastie » ; nous ne voulons pas plus de celle-là que d’une autre. — C’est se méprendre et s’effrayer du mot là où la chose est rassurante. La même loi qui veut que le genre humain n’ait pas de propriétaires, veut qu’il ait des guides. Etre éclairé, c’est tout le contraire d’être asservi. [« Etre éclairé… » : addition] Les rois possèdent, les génies conduisent; là est la différence. Entre homo sum et l’état c’est moi, il y a toute la distance de la fraternité à la tyrannie. La marche en avant veut un doigt indicateur; [« Entre homo… » : addition de second niveau intercalée dans celle en cours, écrite dans le sens transversal] s’insurger contre le pilote n’avance guère l’équipage; nous ne voyons point ce qu’on gagnerait à jeter Christophe Colomb à la mer. Le mot Par ici n’a jamais humilié celui qui cherche sa route. J’accepte dans la nuit l’autorité des flambeaux. Dynastie peu encombrante d’ailleurs que celle des génies, qui a pour royaume l’exil de Dante [en sc. sur « d’Eschyle »] , pour palais le cachot de Cervantes, pour liste civile la besace d’Isaïe, pour trône le fumier de Job et pour sceptre le bâton d’Homère.
Reprenons. [« Cependant quelques esprits… » : addition]
V [ajouté dans l’interligne du texte principal au dessus de l’addition suivante, déjà faite]
L’humanité, non plus possédée, mais guidée; tel est le nouvel aspect des faits. [« L’humanité… » : addition]
Ce nouvel aspect des faits, l’histoire désormais est tenue de le reproduire. Changer le passé, cela est étrange; c’est ce que l’histoire va faire. En mentant? non, en disant vrai. L’histoire n’était qu’un tableau, elle va devenir un miroir.
Ce reflet nouveau du passé modifiera l’avenir. [« Ce reflet… » : addition de premier niveau]
L’ancien roi de Westphalie, qui était un homme d’esprit, regardait un jour sur la table de quelqu’un que nous connaissons, un écritoire. L’écrivain chez lequel était en ce moment Jérôme Bonaparte, avait rapporté d’une promenade aux Alpes, faite quelques années auparavant en compagnie de Charles Nodier, un morceau de serpentine sthéatiteuse sculpté et creusé en encrier, [« L’écrivain chez… » : corrige « Le roi était chez un écrivain. Sur l’écritoire était un morceau de serpentine sthéatiteuse creusé en encrier rapporté par l’écrvain d’une promenade aux Alpes et »] acheté [« par lui » barré] aux chasseurs de chamois de la Mer de Glace. C’est ce que regardait Jérôme Bonaparte. [« C’est ce que regardait… » corrige « Jérôme Bonaparte toucha cette chose du doigt. »] — Qu’est ceci? demanda-t-il. [« L’écrivain répondit : » barré] — C’est mon encrier, dit l’écrivain. [« dit l’écrivain. » : addition] Et il ajouta : [le ms porte, par erreur, un point] C’est de la sthéatite. Admirez la nature qui d’un peu [faux départ : « d’oxyde »] de boue et d’oxyde fait cette charmante pierre verte. — J’admire bien plus les hommes, répondit Jérôme Bonaparte, qui font de cette pierre un [en sc. sur « une »] écritoire.
Cela n’était point mal dit pour un frère de Napoléon, et il faut lui en savoir gré, l’écritoire devant détruire l’épée. [« L’ancien roi… » : addition de second niveau, extension de la précédente ; écriture différente.]
La diminution des hommes de guerre, de force et de proie, le grandissement indéfini et superbe [en sc. sur « sublime »] des hommes de pensée et de paix; la rentrée en scène des vrais colosses ; c’est là un des plus grands fait de notre grande époque.
Il n’y a pas de plus pathétique et de plus sublime spectacle; l’humanité délivrée d’en haut, les puissants mis en fuite par les songeurs, le prophète anéantissant le héros, le balayage de la force par l’idée, le ciel nettoyé, une expulsion majestueuse.
Regardez, levez les yeux : l’épopée suprême s’accomplit. La légion des [f° 393] lumières chasse la horde des flammes.
Départ des maîtres ; [« Départ… » corrige « Les maîtres partent [en sc. sur +] , »] les libérateurs arrivent.
Les chasseurs de peuples, les traîneurs d’armées, Nemrod, Sennachérib, Cyrus, Rhamsès, Xercès, Cambyse, Attila, Gengis-khan, Tamerlan, Alexandre, César, Bonaparte, tous ces immenses hommes farouches s’effacent.
Ils s’éteignent lentement, les voilà qui touchent l’horizon, ils sont mystérieusement attirés par l’obscurité; ils ont des similitudes avec les ténèbres; de là leur descente fatale. [correction d’un point-virgule en point ; de même à la copie] Leur ressemblance avec les autres phénomènes de la nuit les ramène à cette unité terrible de l’immensité aveugle, submersion de toute lumière. L’oubli, ombre de l’ombre, les attend.
Ils sont précipités, mais ils restent formidables. N’insultons pas ce qui a été grand. Les huées seraient malséantes devant l’ensevelissement des héros. Le penseur doit rester grave en présence de cette prise de suaires. La vieille gloire abdique; les forts se couchent; clémence à ces victorieux vaincus! paix à ces belliqueux éteints! l’ [minuscule non pertinente, majuscule préférable] évanouissement sépulcral s’interpose entre ces lueurs et nous. Ce n’est pas sans une [f° 394, demi-feuille ; au coin gauche, au crayon « 9 ». Au verso, cachet Gâtine : 96° cote, unique pièce] sorte de terreur religieuse qu’on voit des astres devenir spectres.
Pendant que, du côté de l’engloutissement, de plus en plus penchante au gouffre, la flamboyante pléïade des hommes de force descend, avec le blêmissement sinistre de la disparition prochaine, à l’autre extrémité de l’espace, là où le dernier nuage vient de se dissoudre, dans le profond ciel de l’avenir, azur désormais, se lève, éblouissant, le groupe sacré des vraies étoiles, Orphée, Hermès, Job, Homère, Eschyle, Isaïe, Ezéchiel, [addition ; de même à la copie] Hippocrate, Phidias, [addition] Socrate, Sophocle, [addition ; de même à la copie] Platon, Aristote, [addition ; de même à la copie] Archimède, Euclide, [« Archimède… » : addition] Pythagore, Lucrèce, Plaute, Juvénal, Tacite, Saint-Paul, Jean de Pathmos, Tertullien, Pelage, [« Tertullien… » : addition ; de même à la copie] Dante, Gutenberg, Jeanne d’Arc, [« Gutenberg… » : addition ; de même à la copie] Christophe Colomb, Luther, Michel-Ange, [addition de même écriture que le texte principal] Kopernic, [addition ; de même à la copie] Galilée, Rabelais, Calderon, [addition ; de même à la copie] Cervantes, Shakspeare, Rembrandt, [addition de même écriture que le texte principal] Kepler, [addition ; de même à la copie] Milton, Molière, Newton, [addition] Descartes, Kant, Piranèse, [addition ; de même à la copie] Beccaria, Diderot, [addition ; de même à la copie] Voltaire, Beethoven, [addition ; de même à la copie] Fulton, Montgolfier, [addition ; de même à la copie] Washington; et la prodigieuse constellation, à chaque instant plus lumineuse, éclatante comme une gloire de diamants célestes, resplendit dans le clair de l’horizon, et monte, mêlée à cette immense aurore, Jésus-Christ!
H. H. fini le 2 Xbre 1863
(- tempête)