Dossiers concernant ou susceptibles de concerner William Shakespeare
dans l’inventaire après décès de Me Gâtine

 

L'inventaire après décès, dressé par le notaire chargé de la succession de V. Hugo, recense tous ses biens et, en particulier, les manuscrits. Il a été retrouvé et publié par J. Seebacher. Ce qui le rend précieux, c'est qu'il enregistre les dossiers de manuscrits dans l'état où le notaire les a trouvés, plus tard bouleversé par les exécuteurs testamentaires et leurs successeurs: Meurice et Vacquerie, Gustav Simon, Cécile Daubray.

 

Cet inventaire permet de constater qu'à sa mort Hugo ne laisse aucun dossier intitulé «Reliquat de William Shakespeare», ni non plus «Post-scriptum de ma vie».

Ceux qui pourraient s'y apparenter sont:

Cote 3, dossier 8, sous-dossier 11, 12  feuilles : « Question littéraire – le gout est relatif, l’idée est absolue »

Cote 72, 2 pièces : « Artistes. Poètes. Grands hommes. »

Cote 112, 3 feuilles : « La civilisation », 1 : « la création », 22 : « critique esthétique »

Cote 121, 55 feuilles « Philosophie. Première partie (copie en prose) » et 65 feuilles « Philosophie. Deuxième partie (copie en prose) »

cote 123, 19 feuilles : « les choses de l’infini, ms » et 12 feuilles : « copies en prose groupées à la suite et sous le même titre (non paraphés). »

cote 130, 151 pièces : « Philosophie. Commencement d’un livre » / Philosophie. Première partie / Philosophie. Deuxième partie / Philosophie religieuse et personnelle. »

cote 131 : au sein de 49 folios 13 sont référencés « Philosophie de ma vie »

cote 163, 156 pièces : « Questions sociales. Questions philosophiques »

cote 211, 28 feuilles pour « Notes sur la forme sphérique »

 

Le manuscrit de William Shakespeare est, lui, référencé (cote 96, une seule pièce) avec 333 feuilles, ce qui correspond au manuscrit du livre dont le dernier folio est numéroté au crayon 333.

 

 


 

Post-scriptum de ma vie  et Reliquat

Manuscrits 24 782 et 24 776

 

 

 

Depuis l’édition de l’Imprimerie Nationale, on ajoute communément à William Shakespeare, comme s'il était trop bref et insuffisant, d’autres textes, jamais les mêmes.

Leur histoire commence avec l’édition des œuvres posthumes de Hugo, qui, dès le lendemain de sa mort, prend la suite des œuvres complètes publiées par  Meurice et Vacquerie, chez Hetzel. L’avant-dernier volume, paru en 1901 chez Calmann Lévy, est intitulé Post-scriptum de ma vie.

Il ne reproduit pas exactement le manuscrit de même titre (24 782 à la BNF). Ce dernier, fabriqué plus tard, au cours de la préparation des volumes de l’IN, et relié par les ateliers de la Bibliothèque Nationale, enrichit celui laissé par Meurice de beaucoup de fragments. Cécile Daubray le signale, directement sur le manuscrit, lorsque l’original n’a pas été déplacé : « «La pensée d’un homme de génie est une vrille sans fin. Le trou qu’elle fait va toujours s’approfondissant et s’élargissant. [IN, p. 476, absent de ne varietur] (L’original de cette pensée est dans le dossier : Critique.) » – « Hélas ! il n’y a de soleil dans le ciel que pour ceux qui ont la joie dans le cœur… [IN, p. 4980, absent de ne varietur] (L’original de cette pensée est au Tas de pierres VI.) » Cécile Daubray indique aussi le déplacement du texte intitulé Le Goût : « Le fragment sur le Goût est relié au Reliquat de William Shakespeare » et le fait que ce retrait ne laisse aucun trou dans la pagination du manuscrit prouve que ce transfert a été opéré avant la reliure du manuscrit. Ces manipulations aboutissent à publir des textes sensiblement différents mais recouvrent une pratique et une perspective identiques. Meurice avait assemblé à sa guise des feuilles extraites de dossiers divers et de toutes dates. Les numéros de cote Gâtine que portent un grands nombre de ces « feuilles volantes » prouvent qu’on les a extraites de dossiers encore distincts lorsque le notaire les a inventoriés. D'une manière générale et pour toute l'édition de l'IN, Meurice et Vacquerie puis Gustave Simon et enfin Cécile Daubray ont procédé de la même manière: pour chacun des «reliquats», à coups de prélèvements dans les dossiers laissés par Hugo, de découpages et de collages, c’est le manuscrit qui a été rendu conforme à l'imprimé.

 

La notice initiale du Post-scriptum de ma vie de Meurice annonce, avec une belle impudence :

 Des manuscrits laissés par Victor Hugo, il ne reste à publier que deux volumes, le présent livre de prose et un volume de vers.

Les derniers manuscrits de prose se composent d’assez forts cahiers de grand format et de nombreuses feuilles volantes.

Les cahiers portent ce titre mélancolique : post-scriptum de ma vie. 

Pas un mot de vrai là-dedans. Ni la pagination ni aucune trace de couture ne permettent de soupçonner l’emploi ou la formation, par Hugo, de cahiers ; aucun des dossiers de l’inventaire après décès effectué par le notaire Gâtine ne porte le titre « Post-scriptum de ma vie ». Il provient d’une chemise, opportunément placée en tête de ce recueil de manuscrits et qui porte bien « Pour le livre qui sera intitulé : / Postscriptum de ma vie » mais dont rien de  permet de savoir ce qu’elle contenait. Du moins, à coup sûr, ne renfermait-elle pas tout ce que Meurice en fait sortir, ni non plus aucun des intitulés donnés aux éléments  du livre – à l’exception de Choses de l’infini (cote Gâtine 123).

Les textes eux-mêmes sont altérés : transcrits incomplètement, formés de la réunion, sans crier gare, de manuscrits différents ou, au contraire, divisés en sous-parties par des blancs inexistants, enrichis d’alinéas, parfois carrément objets de falsifications que les éditeurs de l’IN se font un plaisir de corriger, sans faire mieux pour tout le reste –et parfois bien pire, comme cet ajout à Utilité du Beau de deux manuscrits hétérogènes dont la présence et la pagination, erronée puis corrigée, firent croire à J. Seebacher qu’il s’agissait de deux conclusions entre lesquelles Hugo avait hésité.

C’est en 1937, pour l’édition dite de l'Imprimerie Nationale, que le manuscrit du « Reliquat » (24 776)  fut fabriqué selon le même procédé et publié sans guère plus de scrupule. Le principe de sa formation a déjà été examiné (voir la notice générale).

 

Nous ne publions donc ni l’un ni l’autre de ces manuscrits factices, ce serait donner validité à une opération qui non seulement ignorait toutes les règles de la philologie mais relevait d’une lecture défaillante de William Shakespeare  et d’une conception erronée de sa genèse. Elle est d’ailleurs d’ores et déjà abandonnée. J. Cassier a entrepris l’édition du manuscrit 24 776, mais en vue de la reconstitution, à partir de leur cote Gâtine, des dossiers laissés par Hugo. Y. Gohin publie au volume « Chantiers » de l’édition « Bouquins » les textes qu’il juge directement liés à la rédaction de William Shakespeare et les autres dans le section  « Prose philosophiques des années 1860-1865 » du volume « Critique ». Ils y trouvent leur vraie place au sein de ce flux d’écriture « philosophique » en prose auquel William Shakespeare participe, mais pour s’en extraire, et qu’il consacre moins qu’il ne l’annule en y mettant fin.

On trouvera ci-dessous la liste, les références et une brève description des textes longs, ceux que le « Reliquat » de William Shakespeare baptise « chapitres » comme s'ils appartenaient à ce livre, puis la transcription des manuscrits dont il est vérifiable qu’il sont été employés au cours de la rédaction de William Shakespeare. Eux seuls font légitimement partie du dossier de sa genèse.

 

 

TEXTES LONGS ENTIEREMENT RÉDIGÉS

 

Pour la commodité, on les désigne par leurs titres traditionnels, sans perdre de vue qu’à l’exception de Promontorium somnii ils ont tous été attribués arbitrairement par les éditeurs et que, le plus souvent, Hugo n’est pas leur auteur.

 

Utilité du Beau

Editions : Œuvres posthumes, Post-scriptum de ma vie, Calmann Lévy, 1901, p. 13 sqq. ; IN : volume « Œuvres complètes – Philosophie II », William Shakespeare, section Post-scriptum de ma vie, 1937, p. 478 sqq. ; William Shakespeare, B. Leuilliot éd., Flammarion, 1973, section « Annexes II, Fragments réservés»,  p. 393 sqq. ; Œuvres complètes, « Bouquins »,, vol. « Critique », section « Proses philosophiques des années 60-65 », Y. Gohin éd., p. 579 sqq.

Manuscrit : BNF, Nafr 24 782, f° 21-38 [Gallica]. Autant que la reproduction en ligne permette de le voir, le papier semble le même celui du ms. de William Shakespeare. Les folios ne sont pas numérotés au crayon au coin gauche. Le texte n’a pas de titre et commence tout à fait au haut de la page. Il s’agit d’une mise au net, peu corrigée, pratiquement sans additions, et écrite presque entièrement d’un seul tenant : sans les alinéas que Hugo ajoute, tardivement, pour William Shakespeare. Cet  inachèvement est confirmé par l’espace laissé blanc pour la citation de Virgile, choisie par Meurice de sa propre initiative. Le texte comporte deux parties, Meurice le divise en quatre ; il s’achève à « … tous les porches de la lumière .» L’IN lui en ajoute une cinquième  « Il y a deux sortes de beau… »  formée du texte de deux manuscrits, semblables entre eux mais tout différents de ce qui précède par la papier et l’écriture, et extraits d’un autre dossier puisqu’ils portent une cote Gâtine. Ce sont les folios 39, cote Gâtine 167/132, « Il y a deux sortes de beau… ... deux mots qui disent tout cet art. » et 40, par correction de 39, cote Gâtine 167/133, « L’idéal moderne, ce n’est pas... ... par le sentiment de l’infini .»  Dans l’inventaire Gâtine, la cote 167 est répertoriée ainsi: « Prose des boites aux lettres. ch.[emise] de fort papier / fragments de toutes sortes et de toutes dimensions ».

 

[Le Goût]

Editions : Œuvres posthumes, Post-scriptum de ma vie, Calmann Lévy, 1901, p. 35 sqq. ; IN : volume « Œuvres complètes – Philosophie II », William Shakespeare, section Reliquat de William Shakespeare, 1937, p. 282 - 296 ; le texte de l’IN est reproduit, à quelques suppressions de blancs près, dans William Shakespeare, B. Leuilliot éd., Flammarion, 1973, section « Annexes II, Fragments réservés»,  p. 487 sqq. ; Œuvres complètes, « Bouquins »,, vol. « Critique », section « Proses philosophiques des années 60-65 », Y. Gohin éd., p. 564 sqq.

Manuscrit BNF, Nafr 24 776, f° 22-55 mais, on l’a vu, par transfert vers ce volume de ce qui se trouvait au manuscrit de Post-scriptum de ma vie et qu’il est impossible de circonscrire avec précision. Car si le texte publié par Meurice reproduit à peu près, non sans les amalgames et les découpes habituels, les f° 35-52 du manuscrit, et est repris par l’IN, non sans de nouvelles interventions, y compris coupes et ajouts, aux pages 287-295, C. Daubray y a adjoint, avant et après,  des fragments distincts, pour certains inédits jusque là, fondus dans un texte fallacieusement continu.

C’est le cas en particulier du f° 24, dont le verso aurait dû être identifié comme une ébauche d’un passage du f° 155 classé, lui, dans la section Le Tyran.

Ceux de ces fragments où se trouve le nom de Shakespeare l’orthographient « Shakspeare » et sont donc contemporains de la première phase de la genèse du livre ou antérieurs, à l’exception des folios 54-55 « Ce qui est dans les lettres est partout… », indûment rattachés aux autres et publiés par l’IN en conclusion de l’ensemble, mais rejetés à juste titre par Y. Gohin.

Il n’est pas exclu qu’une partie de ces feuilles ait formé le dossier répertorié ainsi par Me Gâtine : Cote 3, dossier 8, sous-dossier 11, 12  feuilles : « Question littéraire – le gout est relatif, l’idée est absolue », dossier qui serait, envers William Shakespeare,  dans une situation comparable à celle des Génies appartenant au peuple, si une place lui avait été assignée dans le volume et si un texte en avait été extrait pour y prendre place. Ce n’est  pas le cas et le plus probable est que la plupart de ces textes datent d’une phase antérieure à la conception du livre, lorsque Hugo développe pour elles-mêmes des considérations de poétique et d’esthétique. L’IN indique qu’un bref brouillon de « ce chapitre » est écrit sur la couverture d’une plaquette envoyée à Hugo en janvier 1863.

 

[Du Génie]

Editions : Œuvres posthumes, Post-scriptum de ma vie, Calmann Lévy, 1901, p. 79 sqq. ; IN : volume « Œuvres complètes – Philosophie II », William Shakespeare, section Post-scriptum de ma vie, 1937, p. 537 sqq. ; William Shakespeare, B. Leuilliot éd., Flammarion, 1973, section « Annexes II, Fragments réservés»,  p. 481 sqq. ; Œuvres complètes, « Bouquins »,, vol. « Critique », section « Proses philosophiques des années 60-65 », Y. Gohin éd., p. 560 sqq.

Manuscrit : BN, Nafr 24 782, f° 186-190 [Gallica]. Il a le même aspect que celui de Utilité du Beau, mais les doubles feuilles employées sont numérotées au crayon au coin gauche, comme dans le manuscrit de William Shakespeare. Il s’agit d’une mise au net, avec quelques corrections et additions. Le texte est d’un seul tenant ; l’IN lui inflige cinq subdivisions par des blancs. Le haut du premier folio porte « I », dans la graphie ordinairement employée pour les numéros de chapitre. S’il s’agissait d’un autre chiffre, on devrait conclure à l’extraction d’un chapitre de William Shakespeare ; ici le « I » peut signifier qu’il s’agit d’un développement conçu comme initial mais auquel aucune suite n’a été donnée. Le dernier paragraphe -« Ces infirmités vénérables n'inspirent aucun effroi à ceux que l'enthousiasme fait pensifs. »- a été escamoté par Meurice ; on comprend pourquoi : cette clausule autobiographique atténue son appartenance au livre majestueux et plein de « pensées » élevées que Meurice propose. La rédaction  est contemporaine de la première phase de celle de William Shakespeare ou lui est antérieure : orthographe « Shakspeare ». La brève notation qui y caractérise l’alternance d’obscurité et de lumière devant le génie : « –Je ne comprends plus. – Je comprends », se trouve également dans William Shakespeare, II, 3, 4.

 

Promontorium somnii

Editions : Œuvres posthumes, Post-scriptum de ma vie, Calmann Lévy, 1901, p. 97 sqq. ; IN : volume « Œuvres complètes – Philosophie II », William Shakespeare, section Reliquat de William Shakespeare, 1937, p. 297 sqq. ; William Shakespeare, B. Leuilliot éd., Flammarion, 1973, section « Annexes II, Fragments réservés»,  p. 351 sqq. ; Œuvres complètes, « Bouquins »,, vol. « Critique », section « Proses philosophiques des années 60-65 », Y. Gohin éd., p. 639 sqq. Edition critique, p.p. G. Robert et R. Journet, Annales littéraires de l’université de Besançon, 1961.

Manuscrit : BN, Nafr 24 776, f° 89-142. L’édition de Meurice ne donne que la deuxième partie du texte, celle qui porte le titre Promontorium somnii ; c’est l’IN qui ajoute la première, au manuscrit comme à son édition. Elle restitue aussi un long développement –« Il y a l’utopie sublime. Mais… ...ce qui en sort est son fêlé ou voix divine. » et toute la fin –depuis « Voilà, certes, des affirmations risquées… »–  censurés par Meurice. Pour le reste, elle ne fait pas beaucoup mieux, introduisant des alinéas et des blancs supplémentaires, en supprimant d’autres, de sorte que les articulations originelles sont perdues. Le manuscrit est celui d’une mise au net, comportant beaucoup d’additions, et montre un texte composite mais construit, avec des blancs peut-être destinés à recevoir des numéros de chapitre.  Les double feuilles  sont numérotées au crayon au coin gauche. Un passage (le texte de Machiavel cité) est une coupure du journal La Presse datée du 6 juin 1863, élément de datation précieux pour l’orthographe « Shakspeare », ici constante.

Si l’adjonction de ce texte à William Shakespeare n’a laissé aucune trace et reste hautement improbable, on voit bien en revanche la place qu’aurait pu occuper la première partie lorsqu’elle n’avait pas encore été absorbée par sa grande dérivation dans la seconde ; elle pouvait venir soit au tout début de l’ouvrage lui fournissant ainsi une ouverture autobiographique comparable, soit à l’un des moment où est évoquée l’accession tardive de Shakespeare à la gloire : la fin du premier livre de la première partie, l’articulation entre les deux premiers chapitres du premier livre de la seconde partie ou encore un endroit quelconque du premier livre de la troisième partie.

*

 

Totalement indépendants de William Shakespeare dans le Post-scriptum de ma vie publié par Meurice et liés à lui dans l’IN, qu’ils figurent dans son reliquat ou dans sa réfection du Post-scriptum, les quatre textes qui précèdent sont communs à ces deux éditions. L’IN leur en ajoute un dans sa version du Post-scriptum (et dans le manuscrit correspondant), sans doute pour compenser l’allègement provoqué par le déplacement de [Le Goût] et de Promontorium somnii, et plusieurs autres dans le « Reliquat », avec une pertinence inégale.

Certains n'intéressent que pour la comparaison la genèse de William Shakespeare et n'y sont pas, à notre sens, partie prenante. Ce sont:

 

[La Civilisation]

Editions : IN : IN : volume « Œuvres complètes – Philosophie II », William Shakespeare, section Post-scriptum de ma vie, 1937, p. 495 sqq. ; William Shakespeare, B. Leuilliot éd., Flammarion, 1973, section « Annexes II, Fragments réservés»,  p. 507 sqq. ; Œuvres complètes, « Bouquins »,, vol. « Critique », section « Proses philosophiques des années 60-65 », Y. Gohin éd., p. 597 sqq.

 Manuscrit 24 782, f° 84–103 [Gallica]. Le manuscrit montre un long texte achevé, très travaillé, enrichi de nombreuses additions. Il est composé de trois développements : le premier (f° 84-93 avec numérotation continue des double-feuilles) est consacré aux divers archaïsmes idolâtres du droit divin ; le second (f° 94-97), rattaché au premier par la réfection de son début, reconnaît à Napoléon, « Robespierre II », le mérite historique du saccage de la monarchie de droit divin en Europe et Hugo s’y explique du bonapartisme qui lui a été reproché; le troisième (depuis « En ce qui concerne la civilisation »), séparé du second par un simple blanc, se prononce sur le présent et l’avenir et sur les tâches nouvelles qui incombent à la science et à l’art. De tous les textes du Reliquat et du Post-scriptum, c’est sans doute le plus proche de William Shakespeare. On y reconnaît plusieurs des thèmes centraux des deux derniers livres, particulièrement du dernier. Mais il y sont énoncés de manière plus diffuse, avec moins d’énergie et de radicalité, et, surtout, développés sans la remise en question de l’historiographie « loyale » ni le dévoilement du rôle des génies dans le progrès de la civilisation. Ce texte est donc vraisemblablement antérieur et plutôt parallèle que préparatoire à William Shakespeare. Leur comparaison montre le travail opéré par l’écriture et l’écart qui sépare les « idées » de Hugo de leur accomplissement dans une œuvre.

 

[Le Tyran]

Editions : IN, p. 327 sqq. ; Leuilliot, p. 525 sqq. ; Œuvres complètes, « Bouquins », vol. « Critique », section « Proses philosophiques des années 60-65 », Y. Gohin éd., p. 613 sqq.

Manuscrit 24 776, f° 153-166. L’IN amalgame trois textes différents (f° 153-157 ; 158-159 ; 161-166) séparés seulement par un blanc pour les deux premiers, par un tiret pour le dernier, qui disparaissent dans l’édition Leuilliot. Seul le second, dont on donne plus loin la transcription, mérite de figurer dans le dossier génétique de William Shakespeare. Il est annoté par Hugo « à mettre ailleurs » sans que cela aide beaucoup puisqu’on ne sait pas où il était lorsque son déplacement est programmé, ni s’il a été opéré.

 

[Les Traducteurs]

Editions : IN, p. 337 sqq. ; Leuilliot, p. 423 ; Y. Gohin, ibid., p. 619.

Manuscrit 24 776, f° 167-206, dont il faut retirer le f° 170, transcrit ci-après, qui est la rédaction initiale de la transition entre la fin du portrait de Cervantes et le début de celui de Shakespeare en I, 2, 2, 13-14 ! Autre amalgame, plus manifestement fautif encore et évité par Y. Gohin, à la suite de ce folio sont incorporés des bouts des textes des folios 231-233 alors que la numérotation au crayon, au coin gauche, des feuilles qui précèdent et suivent ne le permet pas. L’IN le reconnaît d’ailleurs, partiellement : «  Le début de ce chapitre [!] jusqu’à ces mot : Le traducteur actuel l’a pensé. Nous croyons qu’il a raison, est, selon nous, une version primitive de la Préface pour une nouvelle traduction de Shakespeare. » Aveu que B. Leuilliot reproduit et contredit tout à la fois : « Ensemble composé de deux parties distinctes. Seule la première (jusqu’à : « Nous croyons qu’il a eu raison ») appartient indiscutablement au Shakespeare. »

La chemise placée en tête par l’IN porte deux titres : « Traductions / religions » qui convient pour les folios 176-181, et « Traducteurs ».

Il faut distinguer – et, le cas échéant, placer dans un ordre différent– les textes suivants :

- f° 168-169 « La tombe finit toujours... ...autour de cette majestueuse entrée. »

- f° 171-174 « Ces hommes ont l’originalité... ... Nous croyons qu’il a eu raison. »

- f° 176–181 « Sous toutes réserves et dans une certaine mesure... ... Il n’y a point d’entrée particulière pour les rois. »

- f° 182–184 « Nous venons de dire... ...Patrocle n’empoisonne pas Briséis. » - développement qui s’articule au précédent mais qui est d’une autre écriture.

- f° 186–187 « Du reste les demi-traducteurs... ...Racine aussi est de cette famille, mais d’un meilleur côté. »

- f° 188-189 « Habituellement, c’est le fond même des langues... ...on le bombarda mestre de camp, de St-Simon. »

- f° 190-200 « La relation du traducteur à l’auteur... ...dans beaucoup d’éditions les neuf vers charmants. »

- f° 203-206   « Maintenant un dernier mot. ... ...que l’Angleterre ait une traduction de Voltaire. »

A l’exception du f° 170, tous ces textes ont l’orthographe « Shakespeare » 

 

Sur Homère

Editions : IN, p. 270 sqq. ; Leuilliot, p. 465 ; Œuvres complètes, « Bouquins », vol. « Chantiers », section « William Shakespeare », Y. Gohin éd., p. 1011 sqq.

Manuscrit 24 776, f° 208-217. Les trois textes différents du manuscrit restent correctement distingués dans toutes les éditions, mais elles ont tort de les éloigner du dossier consacré aux traducteurs puisque la chemise qui les contient porte : « Sur Homère / Choses écrites par moi et notes / (dossier retiré de ce que j’ai écrit sur la traduction pourra y être ré-inséré plus tard, quand je complèterai – ou quand je réunirai ce travail à une réimpression de William Shakespeare. » Quant aux notes indiquées par Hugo, C. Daubray, dans l'édition de l'IN, en donne six pages à la suite des trois textes mais, dans le manuscrit, elle les rejette au sein de « Notes de travail ». Leur publication est faite en dépit du bon sens : dispersion de notes se trouvant sur la même feuille, assemblage d’autres écrites sur des feuilles différentes.

 

[A Reims] ou [Shakespeare et le sacre de Charles X]

Editions : avec le premier titre : IN, p. 250 sqq. et William Shakespeare, ed. B. Leuilliot, ibid., p. 411 sqq ; et avec le second : Œuvres complètes, « Bouquins »,, vol. « Chantiers », section « William Shakespeare », Y. Gohin éd., p. 1003 sqq.

Manuscrit 24 776, f° 3-18. Ces feuilles ont été rapprochées de William Shakespeare par Georges Hugo en personne, signataire de cette note que l’IN place en tête « Deux voyages à Reims formant un commencement à William Shakespeare ». Le début du texte étant précédé d’un « VI », Y. Gohin avance « l’hypothèse qu’il venait, avant que Hugo ne l’en retire, à la fin du livre I de la première partie. On ne peut pas l’exclure ; mais la longueur du texte et la place relativement faible qu’y tient la lecture avec Nodier du Roi Jean au regard du récit du sacre, de la méditation qu’il entraîne et du récit du second voyage à Reims expliquent mieux son retrait que sa présence.  Une chemise du Reliquat (f° 167), ensuite réutilisée pour recevoir les fragments concernant traducteurs et traductions, a enveloppé ce texte ; elle porte, écrit au crayon : «  Prose / Lecture de Shakspeare à Reims/ Philosophie / Important » où l’orthographe « Shakspeare » indique que, si cette chemise enregistre bien la mise à l’écart du texte réservé pour une autre destination, elle a été précoce et a suivi de très peu sa rédaction puisque les deux orthographes du nom y coexistent. Le manuscrit est celui d’une mise au net achevée : feuilles paginées au coin gauche, nombreuses additions, alinéas ajoutés. L’édition de l’IN présente les défauts habituels, corrigés dans celle d’Y. Gohin.

*

 

En revanche, la rédaction de trois autres longs textes participe à celle de William Shakespeare, à des titres divers. Ce sont:

 

Les génies appartenant au peuple

Editions : IN, p. 259 sqq. ; éd. B. Leuilliot, ibid., p. 451 ; Œuvres complètes, « Bouquins »,, vol. « Critique », section « Proses philosophiques des années 60-65 », Y. Gohin éd.,  p. 587.

Manuscrit :24 776, f° 58-84. Une note de Hugo en tête de ce dossier, reproduite par l’IN, indique que Hugo en a extrait la partie centrale « pour Shakespeare » mais que, « s’il le fallait pour compléter le livre » tout ce qui a été « mis ici de côté pourrait y entrer ». Le contexte ne laisse pas douter que la partie retranchée ait servi à former l’essentiel du livre Les Esprits et les Masses. Tout le reste figure à bon droit dans le Reliquat puisque son emploi a été projeté.

L’IN a malheureusement profité de la circonstance pour ajouter des folios prélevés ailleurs (leur cote Gâtine le prouve), sans parler de l’amalgame de textes distincts. Y. Gohin corrige ces défauts mais on comprend mal pourquoi il a placé ces textes dans les Proses philosophiques et non au volume « Chantiers ».

 

[La Bible – L’Angleterre]

Editions : IN, p. 333-336 ; éd. B. Leuilliot, ibid, p. 405 ; Œuvres complètes, « Bouquins »,, vol. « Chantiers », section « William Shakespeare », Y. Gohin éd., p. 1016.

Manuscrit 24 776, f° 146-151. L’IN et à sa suite les autres éditeurs rattachent ces pages au chapitre III, 1, 3 de William Shakespeare au motif qu’elles commencent par quatre lignes barrées, reprises au cours de ce chapitre. Cela n'implique pourtant pas que ce développement ait jamais été inclus dans le livre, puis retiré. Excursus ou texte indépendant, Hugo a pu y prélever seulement quelques formulations heureuses. Le cas est donc différent de celui du texte sur Beethoven.

 

[Beethoven]

Editions : IN, p. 280 ; éd. B. Leuilliot, ibid., p. 479 ; éd. Y. Gohin, ibid., p. 1015.

Manuscrit 24776, f° 85-87. Il s’agit là bel et bien de la fin initiale du chapitre I, 2, 4, abandonnée et retirée du manuscrit, non sans en récupérer le paragraphe initial, recopié en addition. Il en va de même de deux autres textes plus courts transcrits ci-après:  le f° 170, transition entre le sous-chapitre sur Cervantes et celui sur Shakespeare (I, 2, 2, §13 et 14) et le f° 374v° qui est la partie découpée et remplacée par un béquet du f° 292 du manuscrit de William Shakespeare (II, 6, 2).

 

 

 

NOTES DE TRAVAIL

 

Editions : IN, p. 356-388 ; éd. B. Leuilliot, p. 533-574

Manuscrit : 24776, f° 219-490

 

P. Meurice, pour les sections intitulées Tas de pierres de son Post-scriptum de ma vie, avait prélevé dans différents dossiers, sans souci de leur date ni s’inquiéter de défaire des ensembles peut-être formés par Hugo, les fragments contenant des « pensées » en matière d’art et de philosophie qui lui semblaient intéressantes.

Les fragments réunis par l’IN sous la rubrique « Notes de travail » sont, ou devraient être, différents : les éditeurs assurent que, apportant à la préparation de William Shakespeare « plus  d’ordre que d’habitude », Hugo avait soigneusement confectionné de petits dossiers en collant les bouts de papier dont il s’était servi pour prendre des notes sur des pages blanches portant l’intitulé de leur objet : «  Le Goût. – Le Génie. – Forme et fond. – Critique. –Liberté des poètes, etc. ». Ils concluent hardiment : « Presque tout le manuscrit de William Shakespeare est contenu en germe dans ces dossiers. » On doit les croire sur parole puisqu’ils ajoutent que, conformément à leur habitude gourmande d’inédits, ils ne reproduisent que les « notes inutilisées ». Auxquelles ils s’empressent pourtant d’inventer une destination : « … notes inutilisées qui, dans la pensée de Victor Hugo, devaient servir soit à compléter William Shakespeare, soit à un livre resté à l’état de projet, sur l’instruction publique et obligatoire » –alternative où l’on reconnaît celle, notée par Hugo, à propos du seul dossier Les génies appartenant au peuple. Le reste n’est pas plus exact. Les fragments ne sont pas collés pour la plupart sur des feuilles blanches portant un titre ; parmi ceux qui le sont plusieurs portent un numéro de cote Gâtine, ce qui indique que ceux-là au moins ont été collés après la mort de Hugo. Ajoutons que, à la différence de leur pratique habituelle, les éditeurs de l’IN, n'ont pas adopté pour la publication des textes l'ordre qu’ils leur ont donné dans le manuscrit.

Bref, tout est  à refaire. J. Cassier l’a entrepris et nous le remercions ici de nous avoir donné accès à son travail en cours. Nous nous en sommes servi pour publier ceux des fragments du manuscrit 24 776 qui peuvent être considérés à coup sûr comme brouillons, ébauches ou notes documentaires pour William Shakespeare.

On l'a fait par acquit de conscience. Car, excepté les cas où ces copeaux signalent (ou prouvent) une réfection ou un abandon et ceux où ils comportent une information matérielle –date ou source –, leur utilité n'a rien d'évident, sinon pour se convaincre que Hugo travaillait beaucoup et n’écrivait pas « de chic ». La certitude de leur emploi croît en effet en proportion inverse du travail dont ils témoignent. Lorsque l’identité de « l’avant-texte » avec le texte est certaine, elle ne nous apprend rien, et plus le parcours de l’un à l’autre est grand et mérite analyse, moins sa réalité est probable. C’est là l'un des malheurs des études de genèse; il ne se corrige que par le nombre des observations convergentes.

 

 

 

f° 85  [A la fin du chapitre I, 2, 4, William Shakespeare ne retient de ce texte que son premier paragraphe, ici barré, et la première phrase du second, ensuite barrée au manuscrit.]

 

XLIX

[rayé de traits obliques : « Le grand pélasge, c’est Homère ; le grand hellène, c’est Eschyle ; le grand hébreu, c’est Isaïe ; le grand romain, c’est Juvénal ; le grand italien, c’est Dante ; le grand anglais, c’est Shakespeare ; le grand allemand, c’est »] Beethoven.

Ce sourd entendait l’infini. Penché sur l’ombre, [« attentif aux sphères », barré pour déplacement] mystérieux voyant de la musique, attentif aux sphères [ajouté après déplacement] , cette harmonie zodiacale que Platon affirmait [corrige « observait »], Beethoven l’a notée. Les hommes lui parlaient sans qu’il les entendît; il y avait une muraille entre eux et lui; cette muraille était à claire-voie pour les mélodies de l’immensité. Il a été un grand musicien, le plus grand des musiciens, grâce à cette transparence de la surdité. L’infirmité de Beethoven ressemble à une trahison; elle l’avait pris à l’endroit même [addition] où il semble qu’elle pouvait tuer son génie, et, chose admirable, elle avait vaincu l’organe sans atteindre la faculté. Beethoven est une magnifique preuve de l’âme. Si jamais l’inadhérence de l’âme et du corps a éclaté, c’est dans Beethoven. Corps paralysé, âme envolée. Ah! vous doutez de l’âme ? Eh bien, écoutez Beethoven. Cette musique est le rayonnement d’un sourd. Est-ce le corps qui l’a faite? Cet être qui ne perçoit pas la parole, engendre le chant. Son âme, hors de lui, se fait musique. Que lui importe l’absence de l’organe! Le verbe est là, toujours présent. Beethoven, tous les pores de l’âme ouverts, s’en pénètre. Il entend l’harmonie et fait la symphonie. Il traduit cette lyre par cet orchestre. Les symphonies de Beethoven sont des voix ajoutées à l’homme. Cette étrange musique est une dilatation de l’âme [f° 86] dans l’inexprimable. L’oiseau bleu y chante; l’oiseau noir aussi. La gamme va de l’illusion au désespoir, de la naïveté à la fatalité, de l’innocence à l’épouvante [« L'oiseau bleu… » : addition]. La figure de cette musique a toutes les ressemblances mystérieuses du possible. Elle est tout. Profond miroir dans une nuée [« dans une nuée » corrige « nuageux »]. Le songeur y reconnaîtrait son rêve, le marin son orage, Elie son tourbillon où il y a un char, Erwyn de Steinbach sa cathédrale, le loup sa forêt. Parfois elle a des entrecroisements impénétrables. Avez-vous vu dans la Forêt-Noire [« Avez-vous… » corrige « Elle est pareille à » qui corrige « comme »] ces branchages démesurés où la nuit est prise comme un épervier [corrige +] dans un filet, et se résigne sinistrement, ne pouvant s’en aller. [Hugo n'a pas effectué la correction en point-virgule] La symphonie de Beethoven a de ces halliers inextricables [« La symphonie… » : addition] . Et tout à coup, si le rossignol était là, il se mettrait à écouter, croyant que c’est quelqu’un comme lui qui chante. Le rossignol se tromperait; c’est mieux que lui. [faux départ : « La réponse n’est pas »] Il n’est que dans l’ombre, Beethoven est dans le mystère. La mélodie du rossignol n’est que nocturne, celle de Beethoven est magique. Il y a dans l’âme des jeunes filles une fleur qui chante; c’est cette fleur-là qu’on entend dans Beethoven. De là, une suavité incomparable. Plus qu’un chant, une incantation. Cependant la vie réelle entre brusquement [corrige « apparaît »] dans ce songe. Au milieu de son monstrueux et charmant poëme, Beethoven donne un bal, il improvise une fête, il secoue des castagnettes, il tape sur un tambourin, [« Le rossignol… » : addition] toutes les danses tournoient et [« tournoient et »: addition] passent, depuis la valse jusqu’au jaléo, les bras entrelacés serrent les seins contre les poitrines, à l’écart, dans la clairière [« à l’écart… » : addition] , le jeune homme rougissant salue une étoile où il voit une vierge, des sourires de belles [en sc.  sur « jolies »]  filles apparaissent, montrant des dents pleines de lumière, des enfants et des moineaux jasent, les troupeaux bêlent, on entend la clochette des vaches rentrantes, il y a des chaumières sous des saules, et c’est  le bonheur, la famille, [« le bonheur...» corrige « la joie +, ++] la nature, la prairie, la floraison d’avril, la jeunesse, la joie, l’amour, avec l’horreur secrète d’Irmensul debout là-bas sous les arbres [corrige + ] , dans les ténèbres. Puis vient le tutti, [« avant » rayé] le finale, [« avant » rayé] [+ rayé] le dénouement ; [« vient le tutti… » : addition] le mirage se déforme, se déchire, s’ouvre, il s’y fait une profondeur, et l’on croit être au jour du Rosch-Aschana, et l’on croit  voir [« croit voir » corrige « voit »] [+ rayé] les innombrables têtes d’Israël soufflant, joues gonflées, dans des cuivres, et l’on assiste, ébloui par cette gloire, à [f° 87] la fête furieuse des Trompettes. Les symphonies de Beethoven sont des resplendissements d’harmonie. Les répliques de la mélodie à [corrige « et de »] l’harmonie font de cette musique un intraduisible [corrige « surprenant »] dialogue de l’âme avec la nature. Ce bruit-là pense. Dans cette végétation [« Dans cette…. » : addition] il y a le nid, dans cette église [corrige « végétation »] il y a le prêtre, dans [« cette église » rayé] cet orchestre il y a le cœur humain. Cette grandeur sert à faire aimer.  Insistons-y, et finissons par où nous avons commencé, ces symphonies éblouissantes, tendres, délicates et profondes [« ces symphonies… » : addition] , ces merveilles d’harmonie, ces irradiations sonores de la note et du chant, sortent d’une tête dont l’oreille est morte. Il semble qu’on voie un dieu aveugle créer des soleils.

 

 

f° 146-151

 

[encadré et rayé à grands traits : « Quand on pense à l’Angleterre, deux livres viennent à l’esprit, un qu’elle a fait, l’autre qui l’a faite. Shakespeare et la Bible. Ces deux livres ne vivent pas en bonne intelligence. La Bible combat Shakespeare. |C’est la Bible qui l’emporte.|

Nous admirons la Bible. L’Angleterre l’adore. » Hugo a repris ces paragraphes dans WS, III, 1, 3, mais abandonné tout ce qui suit]

[alinéa ajouté] La Bible en Angleterre, c’est l’oracle à Delphes. Le progrès se présente, on consulte la Bible. Dans la chambre des lords, un pair se lève et dit : « Je suis pour le bill du divorce, mais si la Bible est contre, je voterai contre. » Qui protège la royauté? la Bible. Rends à César ce qu’on doit à César. Qui protège la peine de mort ? la Bible. Œil pour œil. Dent pour dent. Qui consacre la misère ? la Bible. Il y aura toujours des pauvres parmi vous. Qui autorise l’esclavage ? la Bible. Si tu frappes ton esclave, on ne te fera rien, car c’est ton argent. [« Si tu frappes..." corrige une autre phrase] La Bible a parlé, tout est dit. C’est le texte indiscutable. Une syllabe est un verdict, un mot est une loi. On s’est égorgé pour siboleth contre schiboleth. Les purs croyants bibliques rejettent les idoles. A bas les idoles de bois [« de bois » en sc. sur ++], les idoles de pierre, les idoles d’airain. Ils en ont une. En quoi? en papier. Le Livre.

Certes, si jamais un poëme a mérité d’être idole, c’est la Bible. Comme poëme, entendons-nous. Le souffle est là. Nous sommes même de ceux qui admettent une certaine inhalation mystérieuse, les visions de la Bible ont été vues. La solitude a de sombres effluves.

[en marge et sans que la phrase soit placée dans le texte :  « La Bible est, pour l’art [correction cursive de « la poésie »], splendeur, pour la science, ténèbres. »]

Admirer la Bible, soit. L’adorer, c’est autre chose. On ne peut [variante sans choix: « doit »] adorer que la certitude. L’infini est une certitude. Nous l’adorons. Qu’est-ce que la Bible? c’est l’incertain.

[f° 147]  Toute la Bible est à mettre en question, dans son texte, dans ses dates, dans ses auteurs, dans Moïse, dans Job, dans Esdras, dans les Septante. Rien de plus sublime, rien de plus flottant. Pas de livre plus hérissé de points d’interrogation de toute sorte. Prenez la première question venue, l’Antechrist, par exemple. Est-il le même qu’Ahriman qui combat Zoroastre, ou qu’Eschem qui combat Sérosch ? Naîtra-t-il dans la tribu de Dan, comme le veut la Genèse : « Que Dan soit comme un serpent dans le chemin »? Sera-t-il, en parodie de l’opération du Saint-Esprit, engendré dans une vierge noire par l’opération du démon, comme le soutient [corrige « l'affirme »] Hraban Maur? Aura-t-il un ange gardien, comme saint Antoine y consent? Sa naissance sera-t-elle marquée, comme le révèle [corrige « l'affirme »] Strabon, par une pluie de diamants [en sc. sur « pierres précieuses »] et par une apparition de dragons volants ?[« Sera-t-il, en parodie… » : addition] Régnera-t-il à Capharnaüm, comme le raconte d’avance [« raconte d'avance »: en sc. sur +] saint Matthieu? Sera-t-il féroce comme le dit saint Grégoire, doux comme le dit saint Hippolyte, suivi d’apôtres, comme le dit Lactance, bâtisseur de temples, comme le dit Aimoin, berger de diables, comme le dit Théophylacte, sécheur d’arbres, comme le dit saint Thomas, marqueur d’hommes, comme le dit saint Jean, bourreau, comme le dit saint Chrysostome [« bourreau… » : addition] , magicien, comme le dit saint Paul, apothicaire, comme le dit saint Cyrille de Jérusalem? Sa marque sera-t-elle plus forte que celle de Dieu, comme le pense saint Ephrem? Dressera-t-il son pavillon [ + rayé] près de Nicopolis, à Apadno, comme l’annonce [en sc. sur +] saint Jérôme dans son commentaire sur Daniel? Se battra-t-il avec Elie, comme le croit Lactance? [« Se battra-t-il… » : addition] Sera-t-il tué par saint Michel, comme l’entrevoit Théodoret? ou mourra-t-il, comme Isaïe l’indique, parce que le Messie soufflera dessus? Enfin, quel sera son nom? Les livres rabbiniques répondent : Armillos [« Les livres… » corrige « Armillos répondent les livres rabbiniques »] ; saint Hippolyte répond: Arnoumaï [en correction cursive d'un autre mot] ; saint Anselme répond : Diciunx. Voilà un seul point. Que de questions! Cela n’empêche pas Joseph Mead et [addition] Jurieu d’enseigner que l’Antechrist est le pape, et Newton de le démontrer, et Elihu Sewel, ce grave docteur des Têtes-rondes, de découvrir [corrige « d’affirmer »], sur ce passage de l’Apocalypse « son nombre est 666 », que l’Antechrist est l’auteur de l’incendie de Londres en 1666. Les fumées de la Bible troublent la tête exacte des savants; Leibnitz n’en est pas moins obscurci que Newton; Swedenborg, minéralogiste dont les travaux font loi, affirme que le jugement dernier a eu lieu en 1756. [f° 148] Sur quoi s’appuie-t-il? sur une interprétation de la Bible. Feuilletez un peu Thilo, Fréret, et le massif répertoire de Fabricius, la Bible y est foule.  L’évangile y est légion. Une multitude d’Ecritures Saintes vous apparaît. Choisissez, si vous pouvez.

La Bible, telle qu’elle est, est une construction. Sept ou huit bibles ont été dépensées à cet édifice. Les conciles étaient les architectes. Veut-on avoir l’idée des problèmes qui leur étaient posés et qu’il leur fallait résoudre? En voici quelques-uns : Dieu s’est-il appelé Sadaï avant de s’appeler Jéhovah? [« Dieu s’est-il… » : addition] [faux départ : « Pourquoi »] Adam a-t-il laissé une Apocalypse? Eve a-t-elle laissé un évangile? Quelqu’un a-t-il pu écrire l’entretien de Caïn et d’Abel? Est-il vrai que Noë eût dans l’arche le corps d’Adam sur lequel il faisait tous les jours sa prière? Par qui a pu être conservée cette oraison de Noë? Les Géants ont-ils laissé un livre trouvé par Caïnan? Abraham a-t-il écrit un traité de l’interprétation des songes? Loth a-t-il écrit son aventure? Comment se nommait la femme de Job? La femme de Noë se nommait-elle Noria? La femme de Joseph se nommait-elle Asseneth? La femme de Moïse se nommait-elle Séphora? La femme de Pilate se nommait-elle Procula? [« La femme de Pilate… » : addition] Joseph a-t-il écrit son entretien avec la Putiphar? Qu’est-ce que l’hosanna du grand-prêtre Ezéchias? [« Qu’est-ce que l’hosanna… » : addition] Qu’est-ce que la Petite Genèse? Qu’est-ce que les Dits du Christ? [« Qu’est-ce que les Dits… » : addition]  Qu’est-ce que Heldam et Modal? Qu’est-ce que Jannes et Membras ? Par qui Phinée a-t-il été autorisé à expliquer les noms [corrige « mots »] sacrés? Quel est le véritable unique exemplaire du pentateuque conservé dans le coffre d’Helkia? Pourquoi les égyptiens appelaient-ils Moïse Ozarziph? Semexia est-il le chef des diables? Que doit-on penser des anges chaldéens Jakah, Samaël, Zinguiel et Tsakon? Enoch, septième homme après Adam, a-t-il pu écrire sa prophétie en éthiopien? Faut-il rapporter à l’étoile du Messie le livre de Seth sur l’Étoile? Qu’est-ce que Nadaver, ville d’Éthiopie, où est allé St Matthieu? Quelle est l’Héliopolis où St Clément [corrige un autre nom] a vu le phénix se brûler? Est-il vrai que dans l’assemblée des apôtres, [f° 149] Pierre tenait pour le Père, André pour le Fils, et Jacques pour le Saint­Esprit? Est-il vrai que St Barthelemy rendait malades ceux que la déesse Astaroth avait guéris? Ste Thècle a-t-elle baptisé un lion? Doit-on tenir pour ressemblant ce portrait de St Paul par Ste Thècle: Staturâ brevi, calvastrum, cruribus curvis, surosum, superciliis junctis, naso aquilino, plenum gratiâ Dei. Dans le baptême, l’eau est-elle pour Jésus, et l’huile pour le Saint-Esprit? Qu’est-ce que ce roi Pomilius fait évêque d’Asie par les apôtres? Isis est-elle la fille de Satan? Le témoin mystérieux de l’arrestation du Christ, caché derrière un arbre, qui est arrêté lui-même et qui [« et qui » : addition] disparaît en laissant un linceul dans les mains des soldats, ce fantôme dont parle St Marc (ch. XIV, V. 51 et 52), est-ce Isis? Le moyen-âge a-t-il eu raison de croire à l’Archisposa? Salomon a-t-il écrit à Vaphres, roi d’Egypte et à Hiram, roi de Tyr, St Paul à Sénèque, St Jean à un hydropique, St Pierre à St Jacques, Jésus-Christ à Abgar, toparque et roi d’Edesse, et Pilate à Tibère? Est-il vrai que Drusilla, catéchisée par Jean, ait quitté Andronicus son mari, pour aller vivre dans un sépulcre? [« Qu’est-ce que ce roi Pomilius… » : addition en trois temps: d'abord « Salomon...», puis « Est-il vrai que Drusilla...», enfin « Qu'est-ce que ce roi...»] Combien y avait-il de Sibylles? Pourquoi Diodore de Sicile n’en admet-il qu’une, celle de Thèbes? Est-il vrai qu’il n’y en eût que deux, la sibylle Erythrée pour les grecs, et la sibylle de Cumes pour les latins? Est-il vrai que Justin ait pendant quarante nuits vu la Jérusalem céleste dans les étoiles? Simon le magicien a-t-il été amoureux de la Lune, et l’a-t-il fait descendre sur la terre pour l’épouser? etc., etc. [faux départ: « Il y avait des livres sacrés »] Les conciles [+ rayé] devaient trancher ces difficultés. Le oui et le non étaient difficiles. Il y avait des livres sacrés pour et contre. Quatre psautiers, y compris celui de Melchisédech [« Quatre psautiers… » : addition], onze Apocalypses, y compris [faux départ: « l'Apocalypse »] celle d’Etienne, proto-martyr ; sept Anciens Testaments, y compris celui des douze Patriarches; trente-trois [en sc. sur « trente-quatre »] Nouveaux Testaments, d’autres disent cinquante, y compris celui des douze Apôtres; l’évangile selon les hébreux [« selon… » : addition] , selon les égyptiens, selon les syriens, selon les symoniens, l’évangile de Marcion, de Thadée, de Valentin, l’évangile des ébionites, l’évangile des encratites, l’évangile Vivant, l’évangile Eternel, l’évangile de Judas Iscariote, le protévangile de Jacques. Ces livres étaient redoutés; pour avoir voulu les transcrire, Dieu avait frappé Théodecte de cécité et Théopompe de folie. En outre, pour les déchiffrer [corrige « lire »] , il faut savoir beaucoup de langues, depuis le latin sibyllin jusqu’au syriaque estranghélo. Les conciles avaient peur de la folie de Théopompe, de la cécité de Théodecte, et ne [f° 150] savaient pas ces langues-là. Parmi tous ces livres, parmi tous ces testaments, parmi tous ces témoignages, comment discerner les faux des vrais? Les uns doivent être proclamés [corrige « déclarés »] apocryphes, les autres canoniques: comment s’y prendre? Les conciles se tiraient d’affaire en mettant tous ces livres pêle-mêle sur l’autel et en les y laissant passer la nuit; ceux qu’on trouvait sur le pavé le lendemain matin [addition] étaient déclarés apocryphes. Tout ce qui n’a pas été jeté à terre pendant la nuit par la main inconnue est aujourd’hui la Bible. C’est sur la certitude de ce livre que le protestantisme et l’anglicanisme appuient leur foi. Dans cet admirable pays de franchise [corrige « libre »] , l’Angleterre, des pénalités sortent de ce livre. Nous l’avons dit, le gibet s’adosse à la Bible. A cause de tel verset de tel chapitre, on pend. Le dimanche anglais est irréductible [corrige « inamovible(?)»] . Défense aux journaux, à ces puissants [en sc. sur +] journaux libres, de paraître « le septième jour ». [« Défense… » : addition] La population ouvrière n’a que le dimanche pour prendre sa part du [« prendre sa part du » corrige « aller au »] musée ou de [corrige « à »] la bibliothèque. Clôture. Défense d’entrer. Dernièrement un barbier de Southampton, ayant rasé un passant un dimanche, a été condamné à trois livres sterling d’amende, parce que Dieu s’est reposé ce jour-là [corrige « Dieu s'est reposé la septième jour »] .

Nous venons de dire, il sort de ce livre des pénalités. Ajoutons: il en sort des préjugés. Le plus irréductible de ces préjugés pèse sur l’art, et dans l’art, la haine de ce préjugé choisit le théâtre. La désagrégation du protestantisme en sectes met en poussière l’anglicanisme, mais non le préjugé. Loin de là. La haute église est relativement tolérante. Les dissidents, calvinistes, presbytériens [addition], méthodistes, wesleyens, anabaptistes, baptistes, sont hérissés devant le théâtre, devant le concert, devant le bal, jusqu’à l’indignation. Rien hors de l’Ecriture [corrige « la Bible »] . [faux départ: « Plus on s'intitule »] Tout le protestantisme est le captif de ce livre. Plus on s’intitule indépendant, plus on est enchaîné. A mesure que le cercle des sectes s’élargit, ce qu’on pourrait [f° 151] nommer le judaïsme de la Bible [variante sans choix : « du protestantisme »]  se rétrécit. Je vis un jour un petit garçon de trois ans tout éploré. Son père, anabaptiste, refusait de le laisser aller au spectacle. [faux départ: « Quel était ce spectacle? un théâtre de marionnettes. »] Tout spectacle est mensonge, s’écriait le père. Mon fils n’ira pas. Il y a là des acteurs et des actrices. Quel était ce spectacle ? un théâtre de marionnettes. Le lendemain matin j’achetai une poupée à ressorts et je la portai à l’enfant. Le père me remercia. — C’est, lui dis-je, une des actrices d’hier soir.

 

 

f° 158 et 159

[En marge et en travers à hauteur de la moitié de la page, de la main de Hugo : « a mettre ailleurs »]

 

[f° 158]  Chose frappante, les tyrans ne craignent pas les génies de leur vivant [« de leur vivant » : addition]. Cela tient à ce qu'ils ne les voient pas. Les tyrans sont des petitesses, les génies sont des énormités. Or le phénomène de l'énormité vis-à-vis de la petitesse, c'est d'être [« d’être » variante sans choix : « de lui être »] imperceptible. Eveiller la conscience d'un tyran, [plusieurs mots barrés] le faire reculer, cela est moins aisé que de le [plusieurs mots barrés] mettre à jamais [« à jamais » : addition] au carcan dans [faux départ: « l'épopée »] l'histoire comme a fait Tacite pour Tibère ou dans l'épopée comme a fait Dante pour Boniface VIII. Qui peut le plus ne peut pas toujours le moins. [faux départ: « Tibère + +] On eût bien étonné Boniface VIII et Tibère [corrige « Tibère et Boniface VIII »] si on leur eût dit en leur montrant Dante et Tacite : prenez garde! Tout à l'heure j'ai fait de vains efforts pour effrayer une araignée microscopique tombée je ne sais d'où sur mon papier et courant  [f° 159] sous le bec même de ma plume. Cet atome [corrige « Elle »] ne me percevait pas. Mes dimensions échappaient aux siennes [« Mes dimensions… » : addition]. Je pouvais l'écraser, non l'avertir.

Et à ce propos, ne passons pas outre sans noter un curieux reproche récemment [addition] adressé à Tacite et à Juvénal par un nouveau venu de la critique historique. L'avertissement préalable aux tyrans avant de les flétrir, cet avertissement difficile pour la raison que nous venons de dire, et pour d'autres encore, le nouveau venu en question l'exige. Ce chevalier de Messaline et de Tibère accuse [corrige « reproche à»] Juvénal d'avoir pris en traître toute cette Rome des Césars. On n'a pas le droit de s'en aller en laissant aux siècles [« aux siècles »: addition] de telles condamnations à exécuter. Tacite encourt le même blâme [corrige « reproche »]. Ce poëte, Juvénal [addition], et cet historien, Tacite, [addition] sont dans leur tort. [« Ce poëte, Juvénal… » : addition] Ces justiciers sortent brusquement du nuage derrière les maîtres du monde, cela n'est pas bien. Ces cochers du char des foudres auraient dû crier gare. [en marge une accolade et la mention : « ailleurs »] [Ces deux paragraphes sont apparentés aux textes du f° 374v°]

[rayé : « Toute l'histoire constate la collaboration de l'art au progrès. Dictus ob hoc lenire tigres. Le rhythme est une puissance. Puissance que le moyen âge connaît et subit non moins que l'antiquité. La deuxième barbarie, la barbarie féodale, redoute, elle aussi, cette force, le vers » et deux lignes non lues] [Ce paragraphe est repris au début de WS, II, 6, 3]

 

 

f° 170

 

[au crayon, à gauche: « 3 »]

  

(page à mettre ailleurs)

[ce folio a été refait et retiré du ms de William Shakespeare; il prenait place à la transition entre I, 2, 2, §13 et I, 2, 2, §14]

 

[rayé : « et criant au genre humain : Songe à ta peau. L'autre, »] Shakspeare, c'est le sauvage ivre. Oui, sauvage: c'est l’habitant de la forêt vierge; oui, ivre, c'est le buveur d'idéal. C'est le géant sous les branchages immenses; c'est celui qui tient la grande coupe d'or et qui a dans les yeux la flamme de toute cette lumière qu'il boit. Shakspeare, comme Eschyle, comme Job, comme Isaïe, est un de ces omnipotents [corrige «tout puissants »]  de la pensée et de la poésie qui adéquats, pour ainsi dire, au Tout mystérieux  [« adéquats… » : addition], ont la profondeur même de la création, et qui, comme la création, traduisent et trahissent extérieurement [« et trahisisent… » : addition; « et trahissent » est entre barres verticales] cette profondeur par une profusion  prodigieuse [corrige « prodigieuse + »] de formes et d'images, jetant au dehors les ténèbres en fleurs, en feuillages et en sources vives. Shakespeare, comme Eschyle, a la prodigalité de l'insondable. L'insondable, c'est l'inépuisable. Plus la pensée est profonde, plus l'expression est vivante. La couleur sort de la noirceur. La vie de l'abîme est inouïe; le feu central fait le volcan, le volcan produit [corrige « fait »] la lave, la lave engendre [corrige « fait »] l'oxyde, l'oxyde cherche, rencontre et féconde la racine, la racine crée la fleur; de sorte que la rose vient de la flamme. De même l'image vient de l'idée. Le travail de l'abîme se fait dans le cerveau du génie. L'idée, abstraction dans le poète, est éblouissement et réalité dans le poème. Quelle ombre que le dedans de la terre! quel fourmillement que la surface!  Sans cette ombre, vous n'auriez pas ce fourmillement. Cette végétation d'images et de formes a des racines dans tous les mystères. Ces fleurs prouvent la profondeur. [« Sans cette ombre… » : addition]

 

 

f° 221

 

[au coin gauche, à l’encre : « 2 »]

[un peu plus bas, en marge et écrit transversalement de la main de Hugo: « retrancher [ou «retoucher»] ceci »]

 

N'imitez personne : pas plus Dante qu'Homère, pas plus Shakspeare que Dante. Il n'y a pas de modèles; cette vérité était périlleuse [corrige +] à dire et semblait odieuse à entendre [« et semblait...»: adition] il y a quarante ans quand l'auteur [faux départ : « de la Préface de »] de ces lignes osait l'émettre dans la Préface de Cromwell. Aujourd'hui cette vérité est admise comme loi. Prenez votre point de départ dans la nature. Là est le modèle unique. Inspirez-vous de l’œuvre de Dieu et non de l’œuvre de l'homme. Qui prend pour modèle un livre, quel que soit ce livre, néglige la grande source, et la dégénérescence est rapide. A la rigueur, le beau peut dériver du sublime, comme dans Virgile imitant Homère; mais au deuxième reflet, vous n'avez déjà plus que Racine, et au troisième Luce de Lancival [correction d’un autre nom]. Voici la décroissance de l’imitation : du beau dérive le joli, du joli le gentil, du gentil le maniéré, du maniéré le fade, du fade le niais. De sorte que, parti d'Homère, vous arrivez à Florian [en sc. sur un autre nom].

 [ajouté d’une autre écriture :]

Qu’imiterez-vous dans Shakspeare ?

Chercher – développer,

Sh.[akespeare] disperse son drame. Au lieu de l’unité, allez-vous faire une loi de la dispersion ? Mais la concentration d’Eschyle vaut bien la dispersion de Shakspeare. Choisissez donc ! [développement analogue à celui de ces deux paragraphes dans WS, II, 4, 4]

 

[ajouté en marge d’une autre écriture encore :]

finir par :

loi en présence des génies : admirer tout, n’imiter rien.  [formule reprise dans WS, III, 2]

 

 

f° 223

 

[feuille déchirée dans le sens de la hauteur ; les fragments sont écrits à des moments différents, très hâtivement, en biais ; il s’agit d’une feuille de « main courante ». On transcrit de haut en bas, mais il est très peu probable que cet ordre soit celui de l’utilisation de la feuille.]

 

         ------

loi en

présence des génies :

admirer tout

n’imiter rien. [formule reprise dans WS, III, 2]

         ------

 

+, et toi nature !

 

O nature, l’art, c’est [lacune du papier]

[trois lignes non lues]

 

 

Qu’en penses-tu,

nourrice ?

 

 

Rien ne reste au

poëte si vous lui ôtez

l’observation directe,

[rayé : « l’humanité prise sur

le fait »] la passion,

la + des sens, le

mirage des azurs,

toutes ces variantes

que font au ciel

et à la terre les saisons,

la vision de l'horizon

sans bornes, la souffrance,

la joie, tout pris

sur le fait. Rien ne reste

au génie.

 

 

+ le critique qui

se + aux

idées mortes

 

 

f° 224

 

Ce qu'on a appelé il y a trente ans la dispute [correction cursive de « querelle »] des classiques et des romantiques n'était pas autre chose qu'un rappel à la nature. Traduire l'homme de l’homme même, et non de tel ou tel livre. Pas d'autre modèle que le réel, pas d'autre maître que l’idéal. N'imiter personne, pas plus Michel-Ange que Raphaël, pas plus Shakespeare que Racine. Tel était, sur l’écroulement des règles de convention battues en brèche et jetées à bas, l'unique loi promulguée, loi nouvelle ancienne, loi vraie de l’art.

 

 

ne rien imiter

     ---

     loi

    --- [formule reprise dans WS, III, 2]

 

 

f° 238 [chemise]

 

[recto] Shakspeare est de la grande famille.

Les génies sont des dynastes. Il n'y a même pas d'autre dynastie que la leur. [idée développée dans WS, I, 2, 3]

 

 

 

Shakspeare

Apprécié.

(Immédiat)

——

 

 

 

f° 238v° [cote Gatine : 139/37]

Quant à Rabelais, dernièrement un cygne l’a traité de porc. [repris dans WS, II, 1, 5]

 

[écriture différente, barré d’un trait :] [une demi-douzaine de lignes, non lues]

 

[f° 238bis] [collé sur cette feuille, un béquet non numéroté, portant au recto :]

Les injures à Shakespeare durent encore. Nous citions tout à l'heure une phrase écrite par un mandarin lettré à plume de paon qui a la vue basse, et l'âme de même. Nous pourrions multiplier les exemples.

 

[et au verso :]

Une seule chose manque à Molière pour égaler Shakspeare, c’est l’imagination. L’imagination est dans le poëte la faculté grandissante. Ajoutez-la à Molière, à l’instant son génie croît  et ses personnages montent jusqu’à dieu. La tragédie n’est autre chose que la comédie grandie. [ajouté en marge :] Oreste est un Alceste plus haut.

 

 

f° 240

 

Green appelle Shakespeare : corbeau paré de nos plumes; plus tard Scudéry appellera Corneille : Corneille déplumée; comme toutes ces injures se ressemblent! C'est une chose curieuse que ce peu d'imagination des insulteurs. S'ils ont peu d'imagination, en revanche ils ont beaucoup d'invention. La calomnie est leur perpétuel chef-d’œuvre. Elle commence à Zoïle et ne finit pas à Fréron. [rayé : « Pour Green Shakspeare n’est pas seulement un « enfleur de vers blancs », un [rayé : « Shake-scène »] « secoue-scènes » (Shake-scène), un Johannus factotum, il est une bête féroce. Corbeau ne suffit plus, il est tigre. Un cœur de tigre sous une peau d’acteur. »]  Shakespeare un méchant homme, voilà ce que Green a trouvé. Au reste l’attaque à l’homme a toujours complété l’attaque au poëte. etc. [les incriminations envers Shakespeare sont reprises dans WS, II, 1, 1]

 

 

f° 246

 

Quinquarboreus – traducteur d’Avicenne

                                      --------------

[dans l’espace laissé libre à droite six lignes en très petits caractères, barrées à grands traits qui englobent le fragment suivant, et en addition à ce fragment. On distingue :]

« +++ est une bonne  place ++ font les teints frais et les bonnes santés. on vit vieux dans les grandes +++ bien appointées.  La haute finance est un lieu + et commode, être bien en cour asseoit une situation et fait une fortune. Quant à moi, je préfère à toutes ces solidités »

le vieux vaisseau faisant eau où s’embarque en souriant l’évêque Quodvultdeus [ce paragraphe est repris dans WS, II, 5, 4]

                    _________________

[ajouté dans l’interligne : ] Oropesa (pèse l’or)

 

[rayé :] Caton ne se levait pas devant Ptolémée. [formule reprise dans WS, II, 5, 2]

 

[ajouté en marge :] la brune et la blonde

                           Charybde et Scylla

                           Douvres et Calais

                           Calpe et Abyla [les colonnes d’Hercule]

                           Semlit et Belgrade

 

 

f° 250

 

Ces quelques pages ont un but. Montrer que le génie est le serviteur souverain. [rayé : «  Tout à tous, c’était le cri de missives de St Paul. »] Nous dédions, autant qu'il est en nous, les grands hommes au peuple. Les grands hommes sont la propriété du genre humain. [L’idée de « dédier » les génies au peuple informe tout le livre projeté « Les génies appartenant au peuple » dont Hugo extrait une partie qui forme le livre Les esprits et les masses. Quant à la formule « Tout à tous » elle est citée dans WS : II, 6, 5.]

 

 

f° 255 [cote: 139/271; collé sur une feuille plus grande (f° 256), portant au coin droit la suscription:] 

 Shakspeare

---

ses drames

---

 

 

Le songe d’une nuit d’été [variante sans choix : « La Tempête »] est le chef d’œuvre de la comédie songe.

Hamlet est le chef d’œuvre de la tragédie rêve. [formule reprise, en addition, pour conclure le chapitre II, 2, 4 de WS]

----------------

[encadré et barré à grands traits :  ] +  Philippe le Bel appelait Boniface VIII Votre fatuité. Bob Kingdom appelait Jacques Ier Votre cochonnerie . [même titre de civilité dans WS, I, 1, 3, §6]

 

 

 

f° 262

 

Le génie ne fait pas carême. [même formule, appliquée à Shakespeare, dans WS, II, 1, 5]

                 ----

Voici la loi du bon goût [variante sans choix : « du grand art »] , dite par un évêque :[« Voici...» : addition]

Mangez un bœuf, et soyez chrétiens.

                  ----

 

 

f° 277 [cote Gâtine 139/49; sur une bande d'abonnement au journal La Presse; déchirée on n'y lit que «PRESSE au 16 février» Il ne peut s'agir que de 1863.]

 

Où voulez-vous en venir ?

          à ceci :

   Il faut une littérature de peuple. [formule reprise dans WS, II, 5, 5]

 

 

f° 278

 

Se figure-t-on ceci :

   Expliquer la Bible des peuples. (Tacite. Juvénal.) Poëtes, romanciers, historiens. 54 000 bibliothèques. — Un liseur public. [cf. la fin du chapitre II, 5, 7  de WS]

 

 

f° 279

 

Au sommet, grande chaire expliquant les grands poëtes qui sont les suprêmes philosophes. [voir le f° précédent]

 

 

f° 371

 

Dans tout grand poëte il y a un critique, de même qu’il y a un poëte dans tout grand critique. [ébauche de la formule voisine dans WS I, 4, 1]

 

 

f° 374r° [transcription partielle;on n'a pas réussi à lire le reste]

 

Cecchi contre Alighieri, c’est le cuistre. Green contre Shakspeare, c’est le cuistre. Visé contre Milton, c’est le cuistre. [phrase  en addition] Roy contre Voltaire, c’est le cuistre. M. Roy, autre fameux poëte, comme dit Barbier. Fréron est plus bas que Desfontaines, vermisseau né, etc. ; Langleviel la Beaumelle est plus bas que Fréron, Roy est plus bas que Langleviel. Il est cuistre. Le cuistre, être à part. Voltaire qui répondait à tout le monde n’a pas répondu à Roy. C’est bien fait. Qui connaît ce nom, Roy, aujourd’hui ? Voltaire en colère a fait des immortalités aux autres, mais ce Roy-là ne semble pas même l’avoir effleuré [« ne semble… » : correction de « ne l’a même pas + »] , lui, cet Arouet, toujours en tremblement d’irritation. Le cuistre en effet a trop envie de blesser pour pouvoir toucher. Son intention de nuire avorte à force de grossièreté et de lourdeur. Il est grammairien, glossateur, éplucheur, puriste, imbécille. C’est le fort en thème qui va-t-en guerre. C’est un cuistre qui a dit ce mot fameux à l’Académie : Juvénal ne sait pas le latin. C’est un cuistre qui a produit cet épiphonème célèbre dans l’ancienne école normale : Je rejette Tacite au fumier romantique. [même formule, mais appliquée à Juvénal dans WS, II, 1, 4]

 

 

f° 374v° [barré d’un grand trait vertical] [un béquet collé au bas du f° 292 du manuscrit de WS (II, 6, 2) a remplacé le folio qu’on a ici ; le premier paragraphe a été repris dans ce béquet.]

 

remercier Juvénal et le temple d’approuver Jésus.  

   Jésus [variante sans choix : « Isaïe »], Juvénal, Dante, ce sont des vierges. Remarquez leurs yeux [ « Remarquez… » corrige « + + sévèrement »] baissés. [Une] clarté [sort] de leurs [cils] sévères [les trois mots substitués sont lisibles au f° 292 de William Shakespeare] . Il y a de la chasteté dans la colère du juste contre l'injuste. L'imprécation peut être aussi sainte que l'hosanna, et l'indignation a parfois la pureté même de la vertu. En fait de blancheur, l'écume n'a rien à envier à la neige.

   Tout récemment, – puisque cette parenthèse est ouverte, ne la fermons pas encore ; d’ailleurs elle va au but – un nouveau venu, allemand, je crois, un [addition] chevalier de Messaline et de Néron, a rejeté l’indignation à la face de Juvénal et de Tacite. Selon ce critique, [« Tacite et » barré] Juvénal a [corrige « ont »] pris en traître toute cette Rome des césars ; Tacite aussi. Ces cochers du char des foudres auraient dû crier gare. Ni le poëte, ni l’historien n’ont le droit de laisser tomber sur [des [lisible au ms de WS]] têtes, même royales, [« laisser tomber… » corrige +] de telles condamnations. Ce sont plus que des condamnations, ce sont des exécutions. Ces effrayantes exécutions que fait Juvénal, que fait Tacite, que fait Dante, serrent le cœur. Le critique n’admet pas que ces justiciers sortent brusquement du nuage derrière les maîtres du monde et que Juvénal [la suite se trouve au verso du f° 313 du ms de WS]

 

[texte écrit en marge barré d’un trait vertical]

   Chose bizarre en apparence, mais facile à comprendre, les tyrans ne craignent pas les génies. Les tyrans sont des petitesses, les génies sont des énormités. Or le phénomène de l'énormité vis-à-vis de la petitesse, c’est qu’elle est imperceptible.

 

[également en marge, également barré]

Conseiller le tyran, le mettre en demeure, le faire reculer, cela est moins aisé que de l’exécuter + + + +

[Les trois derniers paragraphes développent le thème d’un passage abandonné qu’on lit au verso du folio 313 du ms de WS ]

 

 

f° 377

 

[Le texte a été écrit en plusieurs fois et en plusieurs endroits de la page, orientée différemment à chaque fois. Des chiffres placés par Hugo (r)établissent l’ordre et la continuité d’un texte unique.]

Les critiques de surface ont beaucoup discuté sur le choix des sujets. [ chiffre de renvoi] Pas d’archaïsme, disent les uns. Que nous importe Enée et Didon ? Virgile est plutôt un érudit qu’un poëte. Pas de personnalité, disent les autres. Nous nous soucions peu du moi du poëte. (Que deviennent Anacréon et Horace qui vivent de leur moi ?) Pas de rêverie ; c’est du nuage. Pas de fantaisie, c’est de la fumée ; pas de chimère, c’est du mensonge, etc. De cette façon, on offre au poëte une immense fermeture de portes. Cependant c’est l’oiseau. [chiffre de renvoi] On lui laisse l’aile, mais dans une cage.

   On ignore un détail [variante sans choix : « une chose »] , c’est que le choix de son [corrige « du »] sujet n’est guère plus facultatif au poëte qu’à l’arbre le choix de son fruit. Essayez donc de faire pleurer Rabelais ou rire Jérémie. Le poëte est un prophète. Spiritus flat. Le souffle, ce prodigieux mystère, voilà son maître.

   Ce qu’on nomme génie est une irrésistible [addition] résultante d’une foule de phénomènes intimes, à la fois obscurs et flamboyants, sublimation, mais quelquefois effarement de celui qui les éprouve. Empêchez-le donc, ce prophète, ce visionnaire, de voir le mal, par exemple, et selon l’angle où il le voit, d’être pris, tantôt d’une formidable colère, tantôt d’une inépuisable pitié. Par la raison que dans la création il y a du gouffre, il y a du vertige dans ce génie.

[chiffre de renvoi] Le génie a un côté volontaire et un côté fatal. Il est soumis au souffle et l’âme lui est soumise.

   A l’heure insondable de l’incubation, conseiller à Homère au travail autre chose que l’Iliade, ce serait, insistons-y, conseiller à l’oranger autre chose que l’orange. L’art est le fruit de l’homme.

   De là le double aspect de l’art : saveur, il charme ; utilité, il nourrit.

  [chiffre de renvoi] Dans ces derniers temps un bizarre décret a été rendu, c’est que la condition d’avenir pour un poëme, un drame ou un livre, c’est de traiter un sujet contemporain. En vertu de ce décret, Homère n’étant pas contemporain d’Achille, Eschyle n’étant pas contemporain de Prométhée, Moïse n’étant pas contemporain d’Adam, Milton n’étant pas contemporain de Satan, ont tort d’être immortels. La postérité se trompe de savoir le nom de Shakspeare qui n’était pas contemporain de Macbeth, de Lear, de Richard III, de Jules César et de Coriolan. Le chef-d’œuvre de Shakespeare, à ce compte, ce serait plutôt Henri VIII que Hamlet. [développement comparable à ce paragraphe dans WS, III, 1, 3]

   (Non. La question n’est pas que le sujet du livre soit contemporain, mais que l’esprit du poëte soit primitif. On peut être primitif à toutes les époques : quiconque s’inspire directement de l’homme est primitif)

 

[en marge et relevant, vraisemblablement, d’un autre développement :]

Or Charlemagne étudié avec l’œil grossissant et résurrecteur[?] du génie est tout aussi bien un homme que Napoléon. Homo esto.

 

 

f° 382

 

[écrit transversalement au coin gauche et barré d’un trait :]

le soleil est simple [formule reprise dans WS, II, 1, 5]

 

[barré de deux grands traits obliques :]

Je songeai [variante sans choix : « pensai »] à Shakspeare, effet de la mer probablement. [Serait-ce la première forme de l’articulation entre les deux premiers chapitres de WS ?]

                   ____________

[barré d’un trait oblique]

Le bourgeois de lettres existe [formule reprise au chapitre II, 3, 5 de WS]

                   ____________

 

Un dieu s’envole. Les bourgeois lui crient : casse-cou ! [formule reprise dans le même chapitre de WS]

                   ____________

 

Entendez-vous, + + + + + +–

Job vieux de 4000 ans, à Moïse, vieux de 3000 ans, à David[?] vieux de 500 ans, +

+, s’il vivait, à Hermès[?], s’il vivait, à

+, s’il vivait.

[et deux lignes non lues]

 

[écrit d’une autre écriture, transversalement, en marge :]

achevons d’en convenir et complétons l’aveu

 

[au-dessous, d’une autre écriture encore et barré d’un trait :]

on ne sait quel [variante sans choix : « un »] art farouche, rugissant, flamboyant, échevelé comme le lion et la comète. [série d’épithètes reprise dans WS, II, 3, 5]

 

 

f° 386

 

influence

sur les

contempo

rains —

pas plus

la sienne

qu’aucune

autre.

——

 

   A ce sujet, un mot. [« A ce sujet...»: addition] Quelques critiques bienveillants et [ces deux mots: addition] considérables ont fait un reproche [corrige « reproché »] au mouvement littéraire qui s’est produit après le premier quart de ce siècle [« le premier...»: variante sans choix: «1825 »] et qui a donné l’impulsion et déterminé le courant de la littérature du dix-neuvième siècle [« de la litttérature...»: addition] ; ils se sont étonnés que ce mouvement d’idées, occupé à la fois de principes et d’œuvres, ait, en remettant Shakspeare à son rang et en le plaçant si haut, semblé — nous citons: — [ «— nous...»: addition] « si soigneusement éviter sa trace » et que, par exemple, le drame contemporain ait pris pour loi la concentration quand la loi du drame de Shakspeare est la dispersion. Remarquons en passant que la dispersion n’exclut pas plus l’unité que la concentration n’exclut la vérité. L’un de ces critiques, un des plus accrédités, [«, un des plus...»: addition] a résumé sa surprise de ce qu’il appelle « l’inconséquence de 1830 » en ces termes : « On a arboré Shakspeare sans le suivre. » Nulle inconséquence ici, qu’on nous permette de le dire. On a arboré, ou pour mieux dire, on a glorifié Shakspeare, comme Dante [corrige +], comme Isaïe, comme Homère [corrige +], comme tous les vrais génies, et l’on n’a pas suivi Shakspeare, pas plus qu’on n’a suivi Homère ou Isaïe ou Dante, la loi de l’art étant, nous venons de le rappeler, [«, nous venons...»: addition] de glorifier, c’est-à­dire de comprendre tous les génies, et de n’en imiter aucun. [développements comparables au début du chapitre II, 4, 4 de WS]

 

 

f° 390 [cote 139/250]

 

Êtes-vous bon catholique, bon courtisan, bon historiographe[?], c’est une affaire. Vos péchés vous sont remis. Sont-ce même des péchés? Voltaire et Mme du Châtelet, Diderot et Mlle Volland, quelle horreur! Mais Racine et la [variante sans choix: « Mlle »] Champmeslé, on sourit. Un cran plus haut, c’est même mieux. Louis et Mme de Montespan, on bénit. Demandez à Bossuet [variante sans choix : « Bénigne Bossuet, de son vivant aigle de Meaux. »]

------------

Béranger, ce français coupé de gaulois, cet enthousiasme châtré par l’ironie. Surfait de son vivant, rabaissé après sa mort ; en prison, oracle.

------------

[barré d’un trait vertical]

Le Zoïle de Milton s'appelle Guillaume Lauder. [le nom est cité comme celui du « calomniateur de Milton » dans WS, II, 2, 1]

 

 

f° 397 [cote 139/ 107(?)]

 

Nous venons de parler du chiffre spécial à chaque artiste, en d'autres termes, des éléments intimes de chaque génie. Si l'on veut se rendre compte de la prodigieuse originalité et de la personnalité absolue qui en résulte, le point de départ, le cœur humain étant le même pour tous, on n'a qu'à se donner le frappant spectacle de cette formule : l’assassinat du père par la mère, plus le meurtre de la mère par le fils donne, à travers Eschyle, l'Orestie, et, à travers Shakspeare, Hamlet. Tout esprit est un milieu; les densités de ces milieux mystérieux varient; de là les réfractions différentes de la même idée ou de la même lumière dans des génies différents. [analogie plusieurs fois commentée dans WS dès le chapitre I, 3, 5]

---------------

 

Plagiats, emprunts. Point, ressemblances — Sculpture éginétique et sculpture romane — Sarcophages grecs et sarcophages gothiques difficiles à distinguer. Les mêmes au premier abord. — Les analogies ne sont pas plus des imitations que les ruissellements des fleuves selon leurs pentes ne sont [rédaction inachevée]

 

 

f° 430

 

Celui qui + ces lignes a  + + cette formule devenue + depuis : le poëte a charge d’âmes. [repris au chapitre II,, 5, 5 de WS]

 

 

f° 433v°

[Le carré de papier portant ce texte a été découpé en fonction du recto destiné à être conservé. Ne subsiste au verso, barré de deux grands traits verticaux, qu’un texte partiel.]

[deux lignes non lues, suite du texte manquant] Shakspeare, c’est la nature. Subtil, fin, microscopique comme elle, immense. Pas sobre [variante sans choix ou ajout : « pas discret »] , pas simple, pas avare. Entendons-nous pourtant sur le mot simple. La sobriété en poésie est petitesse [variante sans choix : « pauvreté »] ; la simplicité est grandeur. + la simplicité consiste à donner à chaque chose la quantité d’espace qui lui convient, ni plus, ni moins. Simplicité, c’est justice. Simplicité, c’est  ajustement. Toute la [la suite a été coupée avec le découpage du carré de papier]  [brouillon du début d’un paragraphe du chapitre II, 1, 5 de WS]

 

 

 

f° 454r° [cote 139/53 ; grande feuille portant des notations de plusieurs écritures et écrites dans tous les sens. ]

 

Un écrivain distingué citant le principal critique de l’école néo-classique, M. Chaudesaiges, mort récemment et très regrettablement, reproche au drame contemporain ++++ n’avoir pas imité Shakspeare. [cf. WS, II, ,4, 4]

 

 

[barré d’un trait sinusoïdal et écrit dans l’espace laissé par les autres, fragments :].

Robert Greene, Christopher Marlowe, Thomas Lodge, Thomas Kid, George Peele.

 

Henslowe – Pembroke

Burbage – Black Friars

 

Le Juif de Malte de Marlowe.

--------

Le théâtre de Hewington Butts Belleforest

[Tous ces noms sont utilisés au chapitre I, 1, 3, § 4 de WS. ]

 

  

f° 455bis [grande feuille portant des notations écrites dans tous les sens, les unes barrées, les autres non, et plusieurs recouvertes de carrés de papier collés sur la feuille. Au nombre de ces fragments peu lisibles:]

 

Zoïle aussi éternel qu’Homère [titre du livre II, 3 de WS]

 

[barré d’un trait vertical  et partiellement  recouvert par un papier collé:]

En licence de langage, Shakspeare égale Rabelais qu’un cygne dernièrement a traité de porc. [repris dans WS, II, 1, 5]

 

 

f° 483

 

[barré d’un trait vertical]

Il se marie de très bonne [heure], à dix-huit ans, avec une femme à laquelle il ne lègue que le moins bon de ses deux lits | ayant employé avec d’autres le meilleur, dit un de ses critiques.|

[détail repris au chapitre I, 1, 3, §2  de WS]

 

 

f° 484

 

[barré d’un trait sinusoïdal]

Shakspeare a pillé Hollingsed, [un blanc réservé] Belleforest, Benoist de St Maur, [ces trois noms de pilleurs repris dans WS, II, 1, 1]