Séance du 22 septembre 2012

Présents:


Informations

Calendrier et programmme :

Le 20 octobre, Claude Millet parlera de la question sociale. Le 24 novembre, George Zaragoza parlera de la réception du drame de Hugo en Espagne. Le 15 décembre, Pascaline Wadi parlera de la constitution du manuscrit des Années Funestes. Le 26 janvier, Sylvie Vielledent parlera d’Hernani à la Comédie-Française, peut-être en compagnie du metteur en scène, N. Lormeau.

 

Pour éclairer l’œuvre de Hugo et sa réception, Bernard Leuillot rapporte cette chose vue. Il a vu, en Espagne, l’affiche d’une comédie musicale adaptée des Misérables où le rôle de Jean Valjean était tenu par un espagnol du nom de Ruy Blas.

 

Guy Rosa signale l’anthologie  Victor Hugo l’irréductible de Sylvain Ledda et Judith Wulf, à paraître très prochainement dans la collection « Les Rebelles » publiée par Le Monde et dirigée par J.-N. Jeanneney.

Guy Rosa s’interroge sur la diffusion des publications destinées au grand public dans un journal comme Le Monde. Il serait intéressant, pour prendre conscience du soin qu’on doit y apporter lorsqu’on en est chargé, d’en connaître les ventes et de les comparer aux œuvres de Victor Hugo. L’ordre de grandeur pour tel roman en Poche Hachette est de la dizaine de millier ; pour les publications du Monde il serait de quelques dizaines de milliers. (Jean-Pierre Langellier a depuis eu l’amabilité de nous communiquer les chiffres : autour de 35 000 exemplaires)

 

Trois soutenances de thèse prochaines à Paris 7 :

- Claire Montanari, le 16 novembre après-midi : « Approches génétiques de l’œuvre lyrique de Hugo », dir. Claude Millet.

- Colette Gryner, le 21 novembre matin : « Le temps dans Les Contemplations », dir. Guy Rosa.

- Hiroko Kazumori, 21 décembre après-midi, dir. Guy Rosa.

et, à Nanterre :

- Sarah Boudant, Dostoiëvski Dostoïevski et Victor Hugo, le romanesque à l’œuvre ; lecture croisée de L’Idiot, Les Démons, Les Misérables et  Quatrevingt-Treize, dir. Karen Haddad, Paris Ouest Nanterre.

 

Arnaud Laster fait les annonces suivantes :

- une maison d’édition a publié Les Misérables allégé quoique complet : deux fois 123 grammes, ce qui est un record. Voir l’information détaillée sur le site de la société des Amis de Victor Hugo.

- une adaptation des Misérables au Vingtième Théâtre, avec la compagnie Chouchenko.

- « Entrée des médiums – Spiritisme et art de Hugo à Breton » : exposition à la maison Hugo, avec un accrochage en parallèle sur Les Contemplations.

- Arnaud Laster parlera des Misérables sur l’île de Ré, à l’initiative de l’association « Les enfants du désert ».

- Un séminaire international consacré à V. Hugo s’est tenu à Brasilia, et un groupe de recherches y est en formation.

- Mangeront-ils sera mis en scène par Laurent Pelly au Théâtre National de Toulouse.

 

Guy Rosa rappelle la sortie prochaine et tant attenduede L’Homme qui rit avec Depardieu.

 

Vincent Wallez se demande s’il y a une liste des spectacles concernant Juliette Drouet et ses lettres. Florence Naugrette se propose de créer une rubrique.

Il faut améliorer le classement de notre site sur Google. Les membres du Groupugo sont invités à « aimer » le site sur Facebook.


Communication de Florence Naugrette : Présentation du site «Juliette Drouet, Lettres à Victor Hugo» (voir texte joint)


Communication de Franck LaurentChoses vues ? (voir texte joint)


Discussion

Claude Millet : Ce texte entretient un rapport à l’actualité et à l’intimité. Qu’est-ce qui est personnel chez Hugo ? Qu’est-ce qu’il considérait comme de l’intime ? Quelle est sa façon de voir son statut d’homme célèbre ? Ce n’est pas simple : il y a une note testamentaire de Hugo où il indique qu’il lègue Jeanne et Georges à la nation.

Pierre Georgel : Il faut reconnaître l’audace du don fait par Hugo de la totalité de ses manuscrits à la bibliothèque nationale. Le manuscrit est toujours porteur de l’intime, avec les traces du temps et du travail qui s’inscrivent sur le papier même ; il l’est plus encore et jusqu’à l’indiscrétion lorsqu’il s’agit de journaux ou de carnets personnels. Ce don solennel rejoint cette énigme dont nous parlons.

Claude Millet : Il y a là une nouvelle articulation du public et du privé dans la figure de l’écrivain. Les portraits de Rousseau et Voltaire avaient déjà montré un attachement au visage de l’écrivain, mais avec eux ne fait que commencer un processus dont Hugo constitue un premier aboutissement.

Franck Laurent : Il y a une résistance à l’autobiographie de la part de Hugo. Créer le personnage de Marius ne comporte pas le même enjeu intime que de raconter sa vie. Les feuillets de 1840, qui sont les plus proches de ce qu’on pourrait nommer des mémoires politiques, ne montrent pas un écrivain qui parle de lui. Par ailleurs, loin d’être un pis-aller ou une commodité, le fragment est l’objet d’un choix. C’est une option stratégique d’écriture qui est à lire en rapport avec sa réticence pour l’autobiographie. Pour Hugo, ce n’est pas par le récit que se définit l’identité.

Bernard Leuilliot : Premièrement, Choses vues n’existe pas et Choses vues existe. C’est un point troublant. Deuxièmement, il faut tenir compte du côté graphomane de Hugo. Quand il n’a pas la tranquillité nécessaire pour écrire, il repart à Guernesey (ce qui s’est produit pour Quatrevint-Treize). Troisièmement, le sens du détail est une invention du siècle précédent (Sébastien Mercier). Hugo n’aimait pas Rousseau, et il n’admettait pas le projet des Confessions. Cependant, comme Rousseau, Hugo compose et travaille en marchant. Dans la rubrique autobiographique, ne pas oublier l’Histoire d’un crime, écrit à la première personne. On y voit des journées. La journée est une fragmentation du temps du point de vue historique. Un jour devient une journée. Enfin, dans le Victor Hugo raconté la biographie passe par un tiers. La fin du livre, qui mentionne « ici s’achève la carrière littéraire » et annonce une carrière politique, peut renvoyer à Choses vues, dans lequel se trouvent d’ailleurs des passages à la troisième personne, procédé typique du Victor Hugo raconté.

Franck Laurent : Le choix de ne pas écrire le Victor Hugo raconté et de le faire écrire par sa femme n’est pas anodin. Ce n’est pas la même chose de donner de la matière à un biographe et d’écrire soi-même.

Quant à Mercier, les enjeux à cette époque sont tout à fait différents : il n’y avait pas le désir de constituer un sens et une direction humaine à l’Histoire. A l’époque de Hugo, émietter l’Histoire en une série de faits dont on ne sait pas quoi faire va à contre-courant. Dans Choses vues, l’évolution du devenir est-elle complètement opaque ? Ou est-ce que ces choses insignifiantes révèlent une ligne de fuite, grâce au coup d’œil du génie ? La journée, c’est l’événement. C’est ce qui fait rupture et sens.

Bernard Leuilliot : Hugo a cru que la Révolution Française avait mis fin à l’Histoire. Puis, force lui fut de reconnaître qu’elle se poursuivant –en bégayant d’ailleurs. C’est un profond obscurcissement de l’Histoire.

Claude Millet : Le retrait de l’interprétatif est frappant chez un auteur qui est habité par l’envie de philosopher. Victor Hugo, dans ces textes, ne tire pas de leçon sur l’homme universel, ou très rarement. Le factuel domine, sans signification explicite.

Franck Laurent : Il est possible de prendre un exemple : la fleur qui pousse sur les ruines du théâtre de la Gaité : tout ce qu’il a fallu pour aboutir à cette pâquerette. Ou inversement, cette pâquerette porte en elle toute une vie urbaine. A partir d’un petit détail, Hugo extrapole. Ailleurs, il dessine l’enseigne d’un tailleur figurant un pantalon : c’est sous cet enseigne que Louis-Philippe a failli mourir, et il ne dit rien d’autre. Ici, les deux extrêmes sont visibles : soit le sens, soit les poussières de l’Histoire.

Choses vues n’est pas un texte de Hugo. Mais dans le même temps, c’est un des livres les plus célèbres de Hugo. L’éditeur a créé un objet littéraire. Il y a un siècle de tradition éditoriale de Choses vues : cela existe. Nous avons affaire à un livre qui existe et qui est incontournable, et dont les éditeurs sont l’auteur. Cela pose des problèmes quand les textes sont édités : il n’y a pas d’option pleinement satisfaisante.

Guy Rosa : L’accumulation des faits a un sens manifeste dans « Faits dont l’histoire sort et que l’histoire ignore ».

Franck Laurent : Nous sommes d’accord. Par contre, l’année 1817 peint le tableau d’une actualité insignifiante en tant même qu’elle est actualité.

Guy Rosa : Non, l’année 1817 a également un sens très clair. C’est le contresens et la trahison.

Bernard Leuillot: Qui sont démontrés à partir de détails…

Franck Laurent : Je ne suis pas convaincu par l’interprétation. Pour moi, c’est la poussière de l’Histoire.

Claude Millet : Une métaphore revient souvent chez Hugo pour désigner l’Histoire : le tourbillon.

Guy Rosa : 1817 est le moment où l’Histoire fait demi-tour, se trahit elle-même, et où les individus trahissent aussi. Tout le monde trahit tout le monde, y compris le passé.

Franck Laurent : Nous sommes d’accord sur le point suivant : il y a des moments chez Hugo où l’Histoire, sous la forme de l’actualité, devient l’accumulation de faits insignifiants. 1817, c’est le moment où l’Histoire balbutie, s’arrête, se repose…Il y a un doute sur le sens de l’Histoire.

Pierre Georgel : L’Histoire piétine.

Claude Millet : Prenons un exemple : Hugo mentionne Furioso et Madame Saqui au début de l’année 1817. Y a-t-il une signification ?

Florence Naugrette : Les noms sont connus à l’époque. Mais il est difficile d’interpréter ces deux mentions.

Guy Rosa : Ne traitons pas « L’année 1817 » comme une charade.

Revenons au sujet. Faut-il publier un Choses vues ? Ce n’est pas certain. Hugo, en tout cas, ne l’a pas publié ; mais il a laissé des dossiers qui ont des titres et une cohérence. Dans quelle mesure Choses vues et son succès ne sont-ils pas un effet d’époque, fragile et éphémère ?

Franck Laurent : Cela dure depuis un siècle.

Guy Rosa : Faut-il le faire durer davantage ? Depuis 1985, d’ailleurs, il me semble qu’on assiste à une baisse de l’intérêt pour Choses vues.

Franck Laurent : Pour l’immense majorité des amateurs de Hugo, cette question éditoriale ne se pose pas, car ils ne connaissent pas le problème. Ils perçoivent le livre comme le journal de Hugo. Ce n’est pas une baisse d’intérêt, mais le signe que le problème n’est pas soulevé.

Guy Rosa : Je voudrais aborder un autre point : la double destination des discours parlementaires. Hugo, effectivement s’adresse au peuple par-dessus la tête de ses collègues parlementaires –et contre eux. Mais il est le seule et cela éclate à la lecture du Moniteur.

Franck Laurent : Je ne suis pas d’accord. Tous les orateurs comme Guizot, Thiers, etc…savent qu’il y a deux pouvoirs publics : les Chambres et la presse. Ils ont conscience du fait que 80% de leurs interventions seront diffusées dans le moniteur et retranscrite dans les grands quotidiens.

Guy Rosa : Ils le savent, mais ne l’intègre pas à leurs discours. Ils ‘y adressent, de fait comme de droit, aux parlementaires –et à la petite frange de la société capable de lire et de penser comme eux.

Franck Laurent : Certes. Peut-être qu’une minorité a une conscience démocratique suffisamment développée pour être inventive dans son discours et prendre en compte cette singularité de l’énonciation parlementaire, tandis que la majorité ne tient aucun compte de la possibilité d’une double destination.

Claude Millet : Les parlementaires sont tout de même soucieux de produire le bon mot ou la petite phrase qui seront reproduits dans les journaux, comme l’a montré Dominique Dupart dans sa thèse sur Lamartine. Cela constitue le jeu politique de l’époque, y compris pour les parlementaires les plus réactionnaires.

Franck Laurent : Chez Baudelaire, il y a parmi les héros de la vie moderne le ministre qui terrasse l’opposition d’une formule. Baudelaire pense à Guizot, qui avait la réputation d’être un orateur tétanisant.

Guy Rosa : Encore une fois, lisez donc les autres discours : ils ne ressemblent en rien à ceux de Hugo. Il ne faut pas affaiblir son originalité. Il ne parle pas comme parlementaire, mais comme écrivain. Cette double destination n’existe que chez lui. Ce n’est pas seulement qu’il écrit mieux, mais qu’il parle autrement. Les députés d’ailleurs l’entendent très bien et l’interrompent en lui disant d’aller tenir ses discours à la porte Saint-Martin.

Claude Millet : Lamartine lui aussi parle au peuple dans ses discours à la chambre. Et la pratique de la publication des discours est courante.

Guy Rosa : Je voudrais aborder un autre point. La spécificité accordée au fragment comme forme littéraire en tant que telle est peut-être indûment reportée sur trop de matériel littéraire, en particulier en ce qui concerne Hugo. Chateaubriand écrivait déjà par fragments (cf. La Vie de Rancé). L’Histoire d’un crime se présente d’abord sous la forme de longs fragments. Il est imprudent de donner à Choses vues une spécificité tirée du caractère fragmentaire des textes. Ils n’étaient peut-être pas destinés  à garder cette forme.

Quant à ton entreprise, Franck, elle a quelque chose de singulier en ce qu’elle remédie à la fois à deux grands trous dans la pratique littéraire de Hugo. L’un concerne l’autobiographie, l’autre l’histoire. J’emprunte à Jean-Marc Hovasse l’idée que Hugo s’est vite rendu compte qu’il était vain de tenter de réécrire les Mémoires d’outre-tombe. De là l’abandon de l’autobiographie sous la forme canonique des Mémoires ou  du Journal (les Mémoires d’outre-tombe alternent les deux formes). Je crois qu’il en va de même pour l’Histoire, l’Histoire contemporaine en particulier. Impossible de l’écrire après l’Histoire de la Révolution française de Michelet. Mais Hugo accomplit, indirectement, une autre écriture « autobiographique » de diverses manières –Marius, Littérature et philosophie mêlées– et l’essaie d’autres façons encore dans les carnets ou dans le Journal de ce que j’apprends chaque jour. Et de même pour l’écriture de l’histoire contemporaine qui se fait en poésie et s’essaie dans les textes de Faits contemporains ou du Temps présent. Toi, Franck, de ces deux renoncements et de ces deux tentatives tu fais sortir leur conjonction, à savoir la fabrication d’un ensemble de textes qui sont à la fois autobiographiques et historiques…

Franck Laurent : Il n’est pas possible de faire comme si cet objet n’existait pas. Il est important néanmoins de dire aux gens qu’un problème existe. Quant à Chateaubriand et Michelet, l’explication est séduisante. Néanmoins, il y a une profonde réticence de Hugo : chez lui l’identité n’est pas constituée par la forme narrative.

Yvette Parent : Concernant l’Histoire, il ne faut pas s’enfermer dans le point de vue de l’historien. Pourquoi Hugo donne-t-il des faits mineurs ? Parce qu’il entend marquer la dérision du souvenir. Il sait que les gens se moquent éperdument de l’enseigne du pantalon. Cette enseigne dérisoire l’intéresse pour cette raison.

Arnaud Laster : Je souscris entièrement à l’analyse de Franck Laurent. Elle a l’immense mérite de rappeler que toutes les simplifications faites sur la biographie ou l’intimité de Hugo sont à remettre en question. Les passages érotiques ou sexuels ne sont absolument pas clairs. Il y a autant d’énigmes que de révélations dans ces notations.

Franck Laurent : Il y a la fascination inquiète de la nudité féminine. L’objet du désir est nommé sans que le lecteur puisse déterminer ce qui est fait de cet objet.

Pierre Georgel : Relativement à l’autobiographie, il faut préciser qu’Hugo la refuse dans sa linéarité et sa continuité. Mais il a donné l’exemple d’une autobiographie qui intègre le fragment et le discontinu avec Les Contemplations. À cet égard, on peut penser que, peu ou prou,  Choses vues pourrait être regroupé sous le titre annoncé en quatrième de couverture de l’un des livres de Hugo, Pages de ma vie.

Franck Laurent : Je suis parfaitement d’accord pour Les Contemplations. Pour Pages de ma vie, il n’est pas certain que l’expression soit de Hugo. Elle pourrait être de Meurice. De plus, le ma vie est gênant.

Pierre Georgel : Il est vrai que cela renvoie plutôt aux idées, aux opinions, à l’âme. Mais on peut comprendre le substantif vie ainsi, non comme le simple déroulement linéaire de l’existence.

 David Stidler