Séance du 23 juin 2018

Présents: Didier Philippot, Claude Millet, Hélène Kuchmann, Guillaume Peynet, Victor Kolta, Judith Wulf, Élisabeth Plas, Agathe Giraud, Hélène Soulard, François Hervé, Pierre-François Burger, Christine Moulin, Inès Madeira, Luciano Pellegrini, Pierre Georgel, Arnaud Laster, Loïc Le Dauphin, Sophie Mentzel, Franck Laurent, Myriam Roman, Yvette Parent, Guy Rosa, Marie Daubard-Perrin, Julienne Azoulai, Yvon Le Scanff, Denis Sellem, Xavier Peyrache, Jordi Brahamcha-Marin.


Informations

Programme du Groupe Hugo

Claude Millet annonce le programme du Groupe Hugo pour l’année 2018-2019. Une petite nouveauté est à noter : le Groupe Hugo s’associe à l’ITEM, et coorganisera avec lui deux séances, à l’ENS (sous l’égide de Jean-Marc Hovasse).

Programme provisoire de l’année 2018-2019 :

-15 septembre : Jordi Brahamcha-Marin, sur Alain et Hugo

-13 octobre : Hervé François, sur la solidarité naturelle

-17 novembre : Sophie Mentzel, sur la royauté dans le théâtre de Victor Hugo

-15 décembre : Guillaume Peynet

-19 janvier : Elsa Courant, sur Hugo et Flammarion, et, sous réserve, Katherine Lunn-Rockliffe, sur ses travaux en cours.

-23 mars : séance avec l’ITEM à l’ENS

-18 mai : séance avec l’ITEM à l’ENS

-29 juin : Myriam Roman et Claude Millet, sur la justice et l’injustice chez Hugo.

Guy Rosa : peut-être est-ce, en partie, la conséquence du numéro récent de Genesis dirigé par Jean-Marc Hovasse, qui a été jugé remarquable par l’ITEM.

Il est urgent que les nouvelles générations commence à prendre la relève des anciennes pour le travail sur les manuscrits de Hugo. Gallica les a presque tous mis en ligne, ils sont beaux et d’une lecture pas excessivement rébarbative. Et il y a encore beaucoup à faire : un nombre important de manuscrits n’ont fait l’objet d’aucune édition critique, plusieurs d’aucune édition du tout.

 

Programmes des concours

Claude Millet fait savoir que le programme de recherche sur la Révolution française, à Paris 7, envisage d’organiser sous la houlette de Florence Lotterie et d’Olivier Ritz une journée d’études pour les khâgnes, en octobre-novembre prochain, sur Quatrevingt-Treize de Hugo et Les Onze de Pierre Michon, deux œuvres au programme des ENS. Cette information vaut appel à communication. Il y aura aussi une journée d’études au Mans sur Les Onze. Hugo a été trois fois au programme en quatre ans (deux fois avec Quatrevingt-Treize) : on s’étonne de cette frénésie hugolienne.

D’autre part, Hernani est au programme du bac littéraire. Florence Naugrette a eu l’idée de rassembler sur le site du Groupe Hugo les études, articles et communications que les membres du groupe ont faits sur cette pièce, de manière à ce que ce matériel soit facilement accessible aux professeurs et à leurs élèves.

Guy Rosa encourage tous les hugoliens à lui envoyer d’éventuels textes sur Hernani qui ne seraient pas encore sur le site.

 

Publications

Claude Millet annonce la publication de la très belle thèse de Stéphane Desvignes intitulée Le Théâtre en liberté : Victor Hugo et la scène sous le Second Empire, parue chez Classiques Garnier, dans la collection « Études sur le théâtre et les arts de la scène » dirigée par Florence Naugrette. C’est une étude magistrale du Théâtre en liberté. Guy Rosa fait circuler le volume.

Claude Millet signale que Henri Scepi et Dominique Moncond’huy ont édité Les Misérables en Pléiade. Des critiques peu favorables en ont été faites par Pierre Laforgue (sur le site de Fabula) et Guy Rosa (en partie sur le site de la SERD, en partie ici même).

 

Spectacle

Arnaud Laster annonce pour le 1er juillet, à la maison de Balzac, une lecture de textes humoristiques de Hugo par Édouard Exerjean. Cet artiste est un pianiste très connu, qui est à présent comédien et qui interprète ce qu’il appelle ses partitions littéraires.


Communication de Didier Philippot Hugo et le possible (texte non communiqué)


Discussion

Choix générique

Claude Millet remercie l’orateur pour sa très belle communication, à la mesure de l’essai qu’elle présente, Hugo et la vaste ouverture du possible, paru dans la série « Victor Hugo » chez Classiques Garnier. Elle remarque qu’il s’appuie essentiellement sur les romans de Hugo et ses proses philosophiques – et les romans sont pris comme des espaces de méditation philosophique, en continuité avec les proses philosophiques –, ce qui est un choix paradoxal. Didier Philippot part d’un corpus romanesque pour étudier un Hugo poète. Le privilège donné à la spatialisation du possible dans son livre et dans son exposé vient du fait que Hugo, certes, spatialise tout, mais aussi d’un tel choix générique du corpus. Dans  les récits, romanesques comme épiques (« Le Titan » par exemple, dont s’est saisi Didier Philippot dans sa communication) et dans l’œuvre de Hugo de manière globale, le possible est temporalisé.

Didier Philippot est d’accord avec cela. Il ajoute que dans la poésie on observe des gradations, souvent automatiques, grâce à la rime – la rime possible / invisible est ainsi fréquente.

 

Histoire contrefactuelle

Claude Millet a travaillé sur l’ensemble des récits de Waterloo contemporains de celui de Hugo, dans Les Misérables : l’histoire contrefactuelle y est totalement topique. En revanche elle ne constitue pas le régime principal d’écriture de l’histoire par Hugo.

C’est même assez exceptionnel chez lui,  précise Guy Rosa.

 

Unité et hétérogénéité

Claude Millet revient sur la question de l’unification des trois possibles. Il y a intérêt à ne jamais unifier chez Hugo : il faut laisser de la marge à l’hétéroclite. Le travail d’unification est accompli par l’œuvre elle-même, d’une manière qui garde en reste l’hétérogénéité.

C’est en particulier le cas dans le roman, précise Franck Laurent. Le roman de Hugo ne subit pas d’équarrissage comme d’autres écritures romanesques. Il y a une dimension de collage, d’accumulation… L’écriture romanesque de Hugo maintient l’hétéroclite.

 

Le danger du possible

Guy Rosa approuve pleinement l’alternance observée par Didier Philippot entre énoncés orientés vers Leibnitz et vers Spinoza. Yves Gohin aboutissait à la même conclusion dans Sur l’emploi des mots immanence et immanent. Précieuse aussi l’analyse du possible non comme objet ou territoire, mais comme seuil. Il faut peut-être ajouter qu’il s’agit souvent d’un seuil dangereux.

C’est le possible comme piège évoqué par Didier Philippot ! poursuit Claude Millet.

Didier Philippot note que dans Le Promontoire du songe, Hugo parle de l’« hostilité du possible ».

Marie Daubard-Perrin souligne que cette discussion pose la question de la folie. Le songeur doit être plus fort que son rêve.

 

Le possible en politique

Franck Laurent signale une phrase des Misérables : « Marius avait trop peu vécu encore pour savoir que rien n’est plus imminent que l’impossible », où la question de la dynamique du possible est posée dans un contexte politique.

Guy Rosa relève qu’il s’agit là non du possible, mais de l’impossible –au sens d’invraisemblable. Mais Didier Philippot répond que le possible et l’impossible sont réversibles chez Hugo.

Franck Laurent voit dans cette phrase une réflexion sur l’événement comme n’étant jamais a priori totalement programmé.

 

Hugo et les surréalistes

Franck Laurent est frappé par le fait que le Hugo présenté par Didier Philippot, qui veut dépasser l’opposition entre objectif et subjectif par exemple, est très proche des surréalistes. Ceux-ci se sont d’ailleurs intéressés de près à la question des taches et du tachisme hugolien, ajoute Jordi Brahamcha-Marin.

Didier Philippot rappelle que l’on voit souvent le surréalisme comme un romantisme continué au XXe siècle.

Ce point est acquis, remarque Pierre Georgel. Les liens proposés par Didier Philippot avec la pensée de la Renaissance, en revanche, sont plus originaux.

 

Le possible relatif

Yvette Parent souhaiterait insister sur la dimension historique, plutôt que métaphysique, du possible. Il faut, en tout cas, mobiliser la linguistique : Hugo – c’est là son génie – est bien en avance sur les découvertes de Saussure, et comprend que le signe est irréductiblement différent de la réalité. Cela explique pourquoi on est dans le brouillard : nous sommes à tâtons, en train d’essayer de comprendre quelque chose. Cette analyse permet de récupérer la question de l’histoire : le possible est relatif, c’est une question de point de vue. Hugo est celui qui se place en haut, qui voit le plus. Les hommes d’en bas appellent « impossible » ce que Hugo appelle « possible ».

Didier Philippot évoque à cet égard le dialogue entre Gauvain et Cimourdain, où Gauvain dit que le possible est un oiseau qu’il faut prendre vivant, c’est-à-dire pas par la Terreur. On ne peut pas rudoyer l’utopie. Par contre, on ne peut pas faire du possible une notion seulement relative : chez Hugo, il ne se réduit pas à une phénoménologie.

 

Optimisme, tragique et ouverture

Arnaud Laster propose une application au théâtre de l’expression « vaste ouverture du possible ». Cette formule est la réponse à ces deux erreurs qui consisteraient à voir chez Hugo soit du tragique, soit de l’optimisme ; or le drame dépasse cette opposition. Dans le Théâtre en liberté, cette « vaste ouverture du possible » se voit de plusieurs façons ; par exemple Mangeront-ils ? a plusieurs dénouements possibles. Le théâtre n’est pas cette chose fermée qu’il pourrait paraître au premier abord.

Il est tout de même singulier, note Claude Millet, que la formule sur la « vaste ouverture du possible » apparaisse dans un roman qui, à la fin, ferme tout possible par la tragédie d’un suicide.

Didier Philippot signale que Hugo dit quelque part que « l’optimisme est le vrai ». La question de l’optimisme chez Hugo est un chantier de recherche possible. Cette notion d’optimisme a d’ailleurs une histoire philosophique ; elle n’est pas utilisée par Leibniz, mais par les jésuites qui s’opposent à Leibniz.

Yvon Le Scanff approuve l’idée qu’il y a dans le théâtre des éléments qui sont ouvrants et fermants. La question des linéaments des possibles se voit notamment dans les conversions psychologiques des personnages, dont on a souvent fait grief à Hugo.

 

Hugo et la logique de la représentation

Yvon Le Scanff remarque que chez Hugo, quand il y a irruption du possible, il y a un rythme différent, indépendamment du contenu. Il y a un rythme du possible. Il semble qu’il y ait un travail de subversion de la logique de la représentation par une logique de l’expression, qui permet des espèces de raccourcis : quelque chose, par un fiat, existe, sans passer par le médium de la rhétorique du discours.

Sur le rapport de Hugo à la représentation, Didier Philippot souligne que si Hugo est kantien sur le plan moral, il ne l’est pas sur le plan métaphysique. Ce qu’il nomme phénomène n’est pas réductible à ce que Kant nomme phénomène, car chez lui il déborde la représentation au sens rationnel. Chez Kant, la logique de la représentation met face à face sujet et objet en maintenant entre eux une distance irréductible, alors que la phénoménologie hugolienne les confond. Et l’espace et le temps, pour Hugo, ne sont pas des catégories a priori de la représentation, mais des dimensions de l’infini. C’est un peu la même chose chez Flammarion, qui nie que les catégories de l’espace et du temps soient pertinentes d’un point de vue cosmologique : pour lui ce sont des notions liées à la finitude humaine.

Yvon Le Scanff est d’accord sur le fait que Kant est une sorte d’ennemi intime de Hugo.

 

Une poétique du milieu et du hasard

Pour Hugo, explique Didier Philippot, il y a un fond informe, la natura naturans, qui est dynamique, et il y a des produits finis –natura naturata–, mais ceux-ci sont sans cesse débordés par le fond dynamique, qu’on peut appeler le possible. Il y a chez Hugo une poétique du milieu, envisagé comme matrice informe, Georges Didi-Huberman l’a bien montré dans sa contribution à L’œil de Victor Hugo. S’abandonner au hasard créateur de la tache, par exemple, c’est faire travailler le milieu. C’est communier rythmiquement et morphologiquement avec la force créatrice de la natura naturans.

Claude Millet évoque une exposition à la Maison Victor-Hugo où l’on avait pu voir un morceau du parquet de Hauteville House : Hugo avait renversé son encrier, et découpé comme un tableau la tache du parquet.

Pierre Georgel note que Hugo fait aussi cela avec le papier. Mais ses taches sur papier, Hugo les complète. Il y a peu de taches qui restent telles quelles, et quand il y en a, on peut douter que Hugo les ait considérées comme des produits achevés.

Plus généralement, ajoute Claude Millet, on peut envisager sous l’angle du possible la question du traitement hugolien des « copeaux ». Ils constituent une potentialité dynamique, mouvante, continuellement remise dans le processus interminable de la création.

 Jordi Brahamcha-Marin