Séance du 7 octobre 2017

Présents: Wu Tianchu, Jean-Marc Hovasse, Claude Millet, David Charles, Myriam Roman, Xavier Peyrache, Pierre-Antoine Bourquin, Caroline Julliot, Jonathan Chiche, Yvette Parent, Tristan Leroy, Manon Raineri, Guy Rosa, Nicole Savy, Franck Laurent, Jean-Pierre Langellier, Jean-Marc Hovasse, Pierre Georgel, Arnaud Laster, Agathe Giraud, Denis Sellem, Jordi Brahamcha-Marin.


Informations

Prochaine séance

Claude Millet nous précise que le prochain groupe Hugo n’aura pas lieu à la bibliothèque Jacques Seebacher, réservée pour une journée d’étude sur Théophile Gautier. La séance se tiendra dans une salle de la Halle aux Farines, mais on se donnera rendez-vous dans un café pour s’y rendre tous ensemble et réduire ainsi les risques de se perdre.

 

Publications

Claude Millet annonce que Caroline Raulet-Marcel vient de faire paraître une édition de Bug-Jargal en Folio. C’est avec Han d’Islande le roman le moins édité de Hugo. L’édition est très bien annotée, et très recommandable.

Guy Rosa souligne la présentation sobre et claire du texte. L’éditrice a su éviter d’aborder avec véhémence la question de savoir si Hugo est raciste. À ce sujet, Arnaud Laster précise qu’il s’agit d’un roman écrit par Hugo avant qu’il ne soit parvenu à l’âge d’homme.

Mais Guy Rosa regrette le début de la préface : « C’est un roman historique… » Il note qu’il s’agit d’une édition ouvertement destinée aux scolaires. Bug-Jargal fait d’ailleurs partie des lectures recommandées pour les collégiens. Chacun s’accorde à trouver que ce n’est pas forcément une bonne idée.

En réponse à une question, Claude Millet précise qu’il s’agit seulement de la seconde version du roman. La comparaison entre les deux versions intéresse surtout les érudits.

 

Guy Rosa note la parution d’un livre collectif, et hors de prix, intitulé La chose de Waterloo : une bataille en littérature (dirigé par Damien Zanone, édité chez Brill/Rodopi). Il y a quatre articles sur Hugo, écrits par Jean-Marc Hovasse, Nicole Savy, Claude Millet et Philippe Dufour. La substance des deux premiers se trouve déjà sur le site.

 

Colloques et journées d’étude

Claude Millet annonce qu’il y aura vendredi 13 et samedi 14 octobre, à Paris 7 (amphi Turing le vendredi, Halle aux Farines le samedi), un colloque sur les inventions de l’inconscient au XIXe siècle. Le colloque a été annoncé dans Le Monde.

 

Elle rappelle que se tiendra lundi 9 et mardi 10 octobre, à la maison de Victor Hugo et à la BnF, un colloque sur la correspondance de Juliette Drouet, organisé par Florence Naugrette et Françoise Simonet-Tenant.

 

Claude Millet signale la journée d’études sur Notre-Dame de Paris, destinée aux CPGE, qui se tiendra à Le Mans Université le 25 novembre. Elle est co-organisée par Caroline Julliot et Franck Laurent. Jordi Brahamcha-Marin parlera de Gringoire, Jean-Marc Hovasse se demandera si Notre-Dame de Paris est un « roman anglais », Caroline Julliot proposera une étude littéraire du chapitre « Une larme pour une goutte d’eau », Guillaume Peynet étudiera la dérision du surnaturel, Franck Laurent envisagera la question du peuple et de l’État, Benedikt Andersson adoptera une perspective empruntée à l’histoire de l’art pour commenter le roman, et Claude Millet reviendra sur les rapports entre littérature et savoir de l’Encyclopédie aux Méditations poétiques.

L’édition de référence, indique Franck Laurent, est celle de Jacques Seebacher (Livre de Poche).

 

Vente

Arnaud Laster signale que Pierre Georgel a authentifié les dessins qui seront en vente mercredi 11 octobre à la galerie Charpentier, 76 rue du Faubourg-Saint-Honoré. On peut les voir jusque-là à titre d’exposition. C’est une vente assez remarquable : il y a plusieurs dessins (dont un, sublime, du gibet de Montfaucon, datant de 1847) mais aussi un carnet autographe de 1834, des lettres, des poèmes autographes.

Pierre Georgel précise que le dessin de 1847 a dû être donné à quelqu’un, par Hugo, de son vivant. Le reste provient du fonds d’un grand libraire.

Franck Laurent demande s’il s’agit de documents que Hugo aurait laissés à Paris avant de partir en exil. Pierre Georgel ne le sait pas.

Guy Rosa demande si l’État a l’intention de préempter les pièces vendues. Pierre Georgel ne le pense pas : pour cela, il faut que les pièces soient déclarées « trésor national », ce qui est très difficile. L’État aurait ensuite l’obligation racheter l’œuvre au prix où elle est vendue.

Arnaud Laster indique que le carnet de 1834 a pu passer par les héritiers de Juliette Drouet, vu qu’il était destiné à cette dernière.

 

Télévision

Arnaud Laster indique que sera diffusé mercredi prochain, à la télévision, un épisode sur Hugo, dans le cadre de l’émission Le Fan tour de Guillaume (il s’agit de Guillaume Ducros). Il avait lui-même été invité à un tournage au château de Fontainebleau, pour évoquer l’opposition de Hugo à Napoléon III ; le choix du lieu était malencontreux. La production a aussi suggéré qu’on évoque la noyade de Léopoldine sur l’étang…

Jean-Marc Hovasse a participé à l’émission, à Notre-Dame de Paris et aux Feuillantines.

Tristan Leroy a également participé, au Panthéon. L’équipe du tournage insistait beaucoup sur le côté admirateur de Hugo, et posait surtout des questions personnelles : depuis quand lisez-vous Hugo, qu’aimez-vous chez lui, etc. Les questions sur Hugo étaient en revanche rapides et très schématiques.

 

Divers

 Arnaud Laster renvoie à la lettre hebdomadaire publiée par la Société des amis de Victor Hugo (http://victor-hugo.org/fr/test/). Il signale un opéra, à Marseille, tiré du Dernier Jour d’un condamné. Tous les journaux en ont rendu compte, car le célèbre ténor Robert Alagna y tient le premier rôle. Une reprise de Marie Tudor (mise en scène : Pascal Faber) se joue au Lucernaire à partir du 9 octobre. Dans le film Les Grands Esprits (Olivier Ayache-Vidal), actuellement en salle, il est question des Misérables, enseignés dans une classe de quatrième.


Communication de Wu TianchuHugo et la Chine (voir texte joint)


Discussion

Claude Millet remercie l’orateur, et le félicite, au nom du groupe, pour la qualité de son français – et de sa communication.

 

Méthodologie des études de réception et de transfert culturel

Claude Millet poursuit par un conseil : les études de transfert culturel sont souvent beaucoup trop binaires, et s’intéressent uniquement au pays d’origine et au pays d’arrivée sans prendre en compte les médiations. Or là, il faudrait voir comment les choses transitent par l’URSS, quelle est la diffusion de Lukacs en Chine, quelle est celle d’Aragon… Bref, il est bon de penser en termes d’interactions multipolaires.

Wu Tianchu confirme qu’Aragon est traduit et diffusé en Chine.

Franck Laurent souligne que cette idée d’interactions multipolaires a été théorisée par Michel Espagne il y a quelques années. La relation est souvent moins à deux qu’à trois termes. En l’occurrence, le problème est d’autant plus crucial que la présence française directe en Chine devient très restreinte après 1949. Par contre, la réception de Hugo en Chine pourrait-elle être influencée par sa réception au Vietnam ?

Wu Tianchu ne le pense pas : la littérature chinoise est plutôt influencée par le Japon et la Russie que par le Vietnam.

Cependant, reprend Franck Laurent, il y a des va-et-vient des nationalistes vietnamiens entre le Vietnam et la Chine. Et ceux-ci ont un rapport plus direct à la littérature française, et à Hugo en particulier.

Claude Millet demande si la réception de Hugo en Chine passe aussi par la traduction japonaise.

Wu Tianchu le confirme : au début du XXe siècle, on retraduisait en chinois depuis le japonais.

Guy Rosa pense que l’orateur nous a présenté une étude de réception, davantage qu’une étude de transfert culturel – expression d’ailleurs un peu critiquable. Il apprécie beaucoup l’aspect compréhensif de l’exposé, alors que souvent les études de réception sont exclusivement descriptives, et parfois évaluatives.

 

Réception marxiste de Hugo

Guy Rosa remarque que la périodisation fonctionnerait aussi pour la France. Des phénomènes simultanés apparaissent aux mêmes endroits.

Cela tient, répond Franck Laurent, au caractère international de la culture marxiste.

 

Caroline Julliot demande si la spécificité de l’appropriation chinoise du marxisme peut expliquer les différences avec les critiques soviétiques.

Wu Tianchu répond qu’il aimerait bien pouvoir comparer les deux, mais qu’il faudrait, pour cela, lire le russe…

 

Pierre Georgel remarque que l’un des auteurs mentionnés cite Marx et Engels. On sait ce qu’écrit Marx sur Hugo, mais qu’en dit Engels ? Parle-t-il de Hugo ?

Jordi Brahamcha-Marin signale deux lettres d’Engels, en 1870 et 1872, où il est rapidement question de Hugo (en mauvaise part).

De toute façon, continue Guy Rosa, Marx et Engels fonctionne comme un syntagme figé.

 

En réponse à une question de Franck Laurent, Wu Tianchu précise que les communistes chinois ne parlent pas beaucoup de Lafargue.

 

Réception chinoise de Hugo et féminisme

Yvette Parent pose deux questions : l’intérêt de la Chine pour les aventures amoureuses de Hugo est-il lié à l’existence d’un mouvement féministe en Chine ? D’autre part, le folklore chinois a créé le mythe de la femme-renard, de la femme méchante. Est-ce que le philoromantisme chinois de 1930 correspond à une réaction des lettrés contre cette littérature populaire ?

Wu Tianchu ne pense pas que cela soit sensible dans la réception de Hugo. Mais naturellement, l’introduction du romantisme en Chine est influencée par le contexte socio-historique locale, la tradition littéraire chinoise…

Mais dans le romantisme, poursuit Yvette Parent, il y a la question de la libération des sentiments, et de la libération de la femme. Est-ce que ce thème intéresse les lettrés chinois ?

Wu Tianchu répond que oui. Cela dit, à l’époque, on est encore dans une société traditionnelle, même si l’émancipation des femmes a déjà commencé.

Y a-t-il des poétesses chinoises ? demande Yvette Parent.

Wu Tianchu répond que oui, surtout issues des classes intellectuelles.


Communication de Jean-Marc Hovasse : Les Travailleurs de la mer de Charles Baudelaire ou Le « roi des Aux Aimées » (voir texte joint)


Discussion

Claude Millet remercie l’orateur pour son magnifique travail sur un texte très émouvant. Elle préfère quant à elle le beau lapsus du « roi des Aux Aimées » au « roi des Aux Criniers ». Il n’est pas impossible que Baudelaire, qui avait alors des troubles de langage, ait laissé sa plume fourcher. Pourquoi présupposerait-on que l’erreur vient de Crépet, que celui-ci ne connaissait pas le roman de Hugo ? Pourquoi cet esprit positiviste n’aurait-il pas voulu conserver les lapsus de Baudelaire ?

Jean-Marc Hovasse répond que l’hypothèse est envisageable. Mais on a d’autres exemples : on sait comment il a publié d’autres textes du même genre, et on sait qu’il y a des fautes.

 

Volonté et anankè

Pierre Georgel trouve intéressante la mention par Baudelaire de la « volonté ». Celle-ci est glorifiée dans le roman, mais elle est aussi mise en échec. La volonté est vaincue par l’anankè. Et cela, Baudelaire ne le retient pas.

Et il parle de la volonté, ajoute Claude Millet, après avoir évoqué le suicide de Gilliatt.

En tout cas, poursuit Pierre Georgel, il y a un tragique profond dans le roman.

 

Ambivalences baudelairiennes

Pierre Georgel estime que l’interprétation de la mention finale reste ouverte. Il pense, quant à lui, que c’est de l’ironie : c’est si mauvais qu’on est navré pour l’auteur.

Claude Millet lit la dernière mention comme Léon Cellier. « Critique flatteuse » signale l’ambivalence de Baudelaire, qui ne peut s’empêcher de donner un coup de pied de l’âne. C’est comme la lettre qu’il écrit à sa mère, après son article élogieux sur Les Misérables… Mais fondamentalement, Baudelaire est le plus pénétrant des critiques hugoliens. Il a forcément été affecté par le texte, en empathie avec lui, même s’il se montre finalement plus ambivalent. Cela dit, l’ambivalence n’est pas forcément la vérité profonde de Baudelaire. On peut penser au contraire que les articles élogieux disent une vérité première, et que les marques d’ambivalence sont secondaires.

Franck Laurent déplore aussi que Claude Pichois institue les lettres de Baudelaire à sa mère comme le lieu de la vérité.

Jean-Marc Hovasse précise que pour Les Misérables, la lettre à la mère et l’article élogieux ne sont pas écrits au même moment. La lettre à la mère porte sur tout le roman, alors que l’article porte uniquement sur la première partie.

Franck Laurent pense qu’il y a plus de choses qui l’ont heurté dans la fin du roman.

 

Claude Millet évoque le texte sublime de Baudelaire sur Hugo dans les Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains.

Franck Laurent remarque que Baudelaire, dans ce texte, manque beaucoup de choses. Il y surévalue le Hugo force de la nature – en expliquant que c’est en raison de cette force qu’il peut se pencher sur les faibles – mais ne dit rien du Hugo mélancolique, etc.

 

En tout cas, poursuit Claude Millet, cela peut faire plaisir à certains baudelairiens de voir dans la parenthèse la clé de la phrase.

Arnaud Laster pense qu’il s’agit plutôt d’une précaution de Baudelaire à l’égard de ceux qui auraient pris connaissance de ses notes avant qu’il ait pu les expliciter. Il précise qu’il veut faire une critique flatteuse. Il a trouvé le dénouement vraiment poignant.

Pierre Georgel est d’un autre avis : Baudelaire a dû être émerveillé par le roman, mais déçu par la fin. Il serait donc flatteur de dire uniquement « fait de la peine » : c’est un jugement en-deçà de la vérité.

 

Ponctuation et majuscules

Arnaud Laster remarque la majuscule à Français : c’est une incorrection. À moins qu’il s’agisse du personnage du Français ?

Ou bien, suggère Pierre Georgel, qu’il faille rétablir un point au lieu de la virgule qui précède ?

Peut-être, ajoute Claude Millet, n’y a-t-il même pas de ponctuation dans le texte original…

 

Intérêt et originalité de la critique baudelairienne

Guy Rosa trouve que cette critique est faible. À part « les copeaux du rabot », il n’y a pas besoin de s’appeler Baudelaire pour prendre de telles notes. Il n’y a pas beaucoup d’originalité par rapport aux autres critiques.

Claude Millet signale, tout de même, une attention particulière à la langue.

Guy Rosa se demande si on ne perd pas sa peine en cherchant à produire du Baudelaire à partir de quelques notes, peu intéressantes par elles-mêmes. Jean-Marc Hovasse y arrive, d’ailleurs, mais c’est un exploit et, par lui-même le document reste décevant. Les notes prises sur Les Liaisons dangereuses le sont-elles autant ?

Jean-Marc Hovasse répond qu’elles sont beaucoup plus longues, et qu’elles sont rédigées. C’est presque une vraie préface.

Malheureusement, précise Claude Millet, Baudelaire ne gardait pas ses copeaux. On ne sait pas comment il préparait ses articles…

En tout cas, reprend Jean-Marc Hovasse, les deux documents ne correspondent pas au même stade de développement.

Franck Laurent trouve tout de même cela très émouvant. Ce sont les derniers mots de Baudelaire, et ils sont sur Hugo. Et puis, c’est une sorte de pense-bête : Baudelaire a lu le livre d’un trait, peut-être en sautant des pages… C’est intéressant de savoir ce qu’il en a retenu, avant toute élaboration.

Claude Millet signale le commentaire « idylle, petit poème ». C’est très intéressant aussi : Baudelaire identifie l’une des veines du roman.

Et Arnaud Laster apprécie l’élaboration sur le nom de Gilliatt.

Nicole Savy revient sur la fonction de ces notes : est-ce qu’il s’agit de ce que Baudelaire jugeait le plus important ? Ou bien, au contraire le moins important – ce qu’il a peur d’oublier… ? On ne peut pas le savoir.

Tristan Leroy signale que les derniers mots de Théophile Gautier sont aussi sur Hugo (sur Hernani). Il a été interrompu par une attaque au moment où il écrivait un article.

 

Les copeaux de Hugo

Pierre Georgel revient sur le mot copeaux. Hugo utilise-t-il ce mot pour désigner ce qui n’est pas utilisé dans le texte, pas ses notes préparatoires ?

Pas toujours, répond Jean-Marc Hovasse. Par exemple, dans les chemises des Burgraves, les copeaux sont les notes qu’il garde pour un réemploi.

Guy Rosa estime que Hugo appelle copeaux, ce qu’il a utilisé – le plus souvent le texte est barré de grands traits obliques ou en sinusoïde – et dont il se débarrasse d’une manière ou d’une autre. Hugo les utilise, les barre, puis les brûle.

Jean-Marc Hovasse signale que les deux intervenants ont raison : Hugo utilise le mot dans les deux sens. À Pierre Georgel, qui appelle de ses vœux une étude sur l’emploi hugolien de ce terme, Jean-Marc Hovasse répond qu’il vient de la réaliser : elle sortira dans la revue Genesis, en décembre.

 Jordi Brahancha-Marin