Séance du 20 mai 2017
Présents: Florence Naugrette, Claude Millet, Guillaume Peynet, Myriam Roman, Denis Sellem, Franck Laurent, Pierre-Antoine Bourquin, Hélène Soulard, Agathe Giraud, Sylvie Vielledent, Caroline Julliot, Chantal Brière, Arnaud Laster, Jean-Marc Hovasse, Judith Wulf, Guy Rosa, Jordi Brahamcha-Marin.
Informations
Prochaines séances du groupe Hugo
Claude Millet fait le point sur les prochaines séances. Sylvain Ledda ne peut pas communiquer cette fois-ci sur Hugo et Machiavel, mais il parlera en septembre. Didier Philippot, professeur à l’université de Strasbourg ne pourra pas être parmi nous en juin : sa communication sur le possible chez Hugo aura lieu en octobre. Son livre, sorti dans la « série Victor Hugo » des Classiques Garnier, est d’une qualité exceptionnelle : dense, ambitieux, très bien documenté.
Le planning n’est pas rempli à partir de novembre, et toutes les suggestions de séances sont les bienvenues.
Hugo, Sa’di et l’Iran
Claude Millet annonce une journée d’étude sur Hugo et Sa’di qui se tiendra le 9 juin au Centre Monceau. Cette journée est organisée par le Centre culturel iranien et le Groupe Hugo. Claude Millet y parlera, ainsi que Jean-Marc Hovasse et Franck Laurent.
Jean-Marc Hovasse précise le contexte. Chaque année, l’Iran organise une journée d’hommage à Sa’di, comme à d’autres grands auteurs du pays. Lui-même était récemment à Chiraz, ville natale de Sa’di, pour une journée d’étude où il a déjà parlé de Hugo. Le président de la République devait venir, mais il a été empêché, et remplacé par son ministre de la Culture. La journée du 9 juin est en quelque sorte le match retour. On ne sait pas encore quelle sera la teneur des communications. Les intervenants iraniens parleront sans doute surtout de Sa’di.
Jean-Marc Hovasse lui-même parlera de Sa’di et Hafez dans la poésie hugolienne, Franck Laurent de l’orientalisation de la poésie chez Hugo, et Claude Millet mènera, à partir de la note sur « Nourmahal la Rousse », une réflexion sur la manière dont Hugo renouvelle l’écriture métaphorique en s’intéressant à la poésie dite primitive et orientale.
Jean-Marc Hovasse signale qu’il y a, dans cette note, un passage qui n’est pas très diplomatiquement correct, où Hugo compare la poésie arabe, virile, à la persane, efféminée.
Claude Millet insiste sur l’importance de venir à cette journée. Il est possible que nos interlocuteurs iraniens s’imaginent que Hugo a la même place dans la culture française que Sa’di en Iran, qu’ils s’exagèrent l’ampleur de sa patrimonialisation.
Élection
Claude Millet annonce que Judith Wulf a été élue professeur à l’université de Nantes. L’autre « finaliste » était David Charles. L’ensemble du groupe Hugo, très heureux et très fier, lui adresse de chaleureuses félicitations.
Polémique sur le Discours sur l’Afrique
Florence Naugrette explique qu’une lycéenne martiniquaise, ayant découvert le discours de Victor Hugo sur l’Afrique, en a été émue et a lancé une pétition pour que la rectrice demande aux enseignants de ne pas présenter Hugo comme un grand bienfaiteur de l’humanité.
Arnaud Laster signale la contre-offensive menée, sur son mur Facebook, par la Société des amis de Victor Hugo. Il précise que l’unique citation donnée en référence dans la pétition est falsifiée (c’est une phrase fabriquée à partir d’éléments épars). L’accusation est dénuée de tout fondement. D’ailleurs, dans le poème « Ce que vous appelez civilisation », Hugo a compris quelles étaient les dérives possibles d’une colonisation qui aurait été exploitation et asservissement.
Claude Millet et Guy Rosa ne sont pas d’accord pour dire que l’accusation est totalement dénuée de fondement : il y a des énoncés racistes chez Hugo. Claude Millet signale, dans « Le poème du Jardin des Plantes », un vers où Hugo évoque la continuité entre le singe et le noir : « Dieu […] / Exagère le nègre, hélas, jusqu’au gorille ». Ce qu’il faut dire, c’est que Hugo a mené un combat militant contre l’esclavage. Néanmoins, même s’il a certes fait des progrès depuis Bug-Jargal, il continue à produire des énoncés qui appartiennent aux discours racistes typiques du XIXe siècle.
Énoncés, précise Guy Rosa, qui concernent aussi les Auvergnats et les Bretons.
Et les juifs, ajoute Claude Millet. Mais Hugo ne met là-dedans aucune espèce d’investissement fantasmatique. Le racisme n’est pas chez lui une pensée tonique.
Franck Laurent propose de mettre les choses en contexte. Il y a un fort racisme au XIXe siècle : chez Gobineau par exemple ; et avant lui, il y a le racialisme romantique qu’on trouve notamment chez Augustin Thierry. Ce n’est pas pour rien que Michelet rompt des lances avec Thierry qui a, selon lui, trop insisté sur la notion de race. C’est aussi une notion qui est très présente chez Nerval. Somme toute, elle n’est pas très active chez Hugo. Il y a même des moments où il en plaisante : la bohémienne Esmeralda, en fait, elle est née à Reims !
Claude Millet trouve qu’il s’agit d’un désinvestissement providentiel. Si Hugo avait été simplement dans la moyenne du racisme du second XIXe siècle, il serait illisible. Le racisme est une idéologie très informante à l’époque. Et Hugo a heureusement oublié de s’intéresser à cela, alors qu’il s’intéresse à l’esclavage.
Arnaud Laster rappelle qu’il y a beaucoup d’énoncés chez Hugo qui affirment l’égalité entre les noirs et les blancs.
Mais c’est quand il se concentre, répond Claude Millet. Et après, parfois, il se relâche…
Franck Laurent ajoute qu’il n’y a pas d’opposition du vieil Hugo à la justification ferryste de la colonisation, surtout quand il s’agit de l’Afrique noire, considérée comme une terre sans histoire (contrairement à l’Asie ou à l’Afrique du Nord). Et objectivement, c’est assez attendu de retrouver Hugo là.
Rappelons quand-même, dit Arnaud Laster, que le discours en question est prononcé à l’occasion d’une commémoration de l’abolition de l’esclavage.
Mais justement, répond Franck Laurent : l’abolition de l’esclavage a été l’un des arguments centraux de la pénétration française en Afrique. Pour Savorgnan de Brazza, il s’agit de lutter contre les traites, notamment musulmanes.
À ce sujet, rappelle Claude Millet, il y avait jusqu’à récemment, à l’entrée du musée des Arts premiers de Bruxelles, une statue représentant la colonisation belge terrassant l’esclavage.
Franck Laurent ajoute qu’on a parfois, sur cette question du colonialisme, quelques surprises. Il vient de lire Un pèlerin d’Angkor, de Pierre Loti (1901), et à cinq reprises l’auteur dit que la France n’a rien à faire là-bas, notamment parce que c’est trop loin. On ne s’attend pas à un tel discours de la part de Loti.
Bug-Jargal
Claude Millet fait circuler une édition et traduction de Bug-Jargal par Chris Bongie, professeur à Princeton College. L’ouvrage date de 2006, mais il ne le lui a fait parvenir que récemment. Cela faisait cent ans que Bug-Jargal n’avait pas été traduit en anglais. Il s‘agit d’une édition savante, dotée d’une préface ambitieuse que l’auteur présente comme post-coloniale. Il y défend deux grandes thèses : 1) la projection de la révolution en Haïti sert au jeune ultra qu’est Hugo à produire une image grotesque de la révolution ; 2) c’est un roman sur l’incommunicabilité. Il en voit la première preuve dans le titre lui-même : Jargal, c’est jargon. Le mot jargon apparaît cent sept fois dans le roman.
Franck Laurent n’est pas vraiment convaincu par cette thèse de l’incommunicabilité. Certes, l’espace colonial est un bazar de nations, et les luttes de faction mobilisent les rivalités nationales. Cette idée marche assez bien pour décrire l’histoire d’amour entre Bug et Marie. Mais elle ne fonctionne pas pour décrire la constitution d’une noblesse morale, par laquelle D’Auverney et Bug conjurent les pièges des pères : il y entre eux une reconnaissance presque naturelle, une sorte d’hypercommunicabilité, pour le coup.
Myriam Roman souligne la symbolique des couleurs : Bug est noir, D’Auverney est blanc, mais ce sont les sang-mêlé qui sont mauvais. L’idée, c’est que tout ce qui est mélangé est mauvais.
Vu le contexte, rappelle Franck Laurent, métissage signifie viol. D’autre part, les deux frères d’élection, Bug et d’Auverney, représentent le noir et le blanc à proportion du fait qu’ils trouent la fatalité héritée des pères. Il y a un petit côté Faulkner : comment se débarrasser de ce péché originel qu’est l’esclavage ?
Claude Millet rappelle la lettre de Villemain à Hugo, datée de 1826, qu’Yvette Parent a publiée sur le site du groupe Hugo :
Villemain y dit à Hugo que son roman est très intéressant, mais que ce n’est pas très malin de le publier dans un contexte de lutte contre l’esclavage.
Et il n’a pas forcément tort ! approuve Franck Laurent.
Spectacles
Sylvie Vielledent annonce plusieurs spectacles autour de Hugo à Versailles. Au musée Lambinet, du 18 au 25 juin, se jouera le spectacle Juliette Drouet, de Kareen Claire, d’après la correspondance entre Juliette Drouet et Victor Hugo. Une adaptation du Dernier Jour d’un condamné (Marie Popovici) sera présentée à l’espace Richaud le 11 juin ; le 12, à l’Académie du spectacle équestre, on pourra voir un spectacle intitulé Hugo, par Yves-Pol Denielou.
Ailleurs, le spectacle Guillotine, mis en scène par Régis Virot et Philippe Vuillermet, continue de tourner. C’est un bon spectacle.
Conférences et colloques à venir
Jean-Marc Hovasse annonce que deux spécialistes de Juliette Drouet (Bénédicte Dution, et Gwenaëlle Sifferlen) viendront parler de ses lettres, le 10 juin, dans le séminaire qu’il organise à l’ENS : http://www.item.ens.fr/index.php?id=580118.
Florence Naugrette annonce, pour les 16 et 17 octobre, un colloque sur Juliette Drouet épistolière. Plusieurs spécialistes parleront, comme Jean-Marc Hovasse, Chantal Brière, Nicole Savy. La première journée aura lieu à la maison Victor Hugo. Le soir, Françoise Gillard, sociétaire à la Comédie française, lira des lettres choisies La journée du lendemain aura lieu à la BnF.
Arnaud Laster annonce qu’il parlera, cette après-midi même, à Chantilly, et avec Danièle Gasiglia-Laster, des combats de Hugo. Le mercredi 24 mai après-midi, le physicien Pierre Mils viendra parler sur Hugo et la science au palais du Luxembourg.
Claude Millet a été invitée par le Groupe d’études sur le matérialisme rationnel à parler du sentiment d’injustice chez Hugo. Les actes seront publiés l’an prochain aux éditions du Temps des cerises. Franck Laurent explique que ce groupe a organisé une série de cycles d’études très intéressants, dont les actes ont également été publiés au Temps des cerises. Lui-même y a parlé de Hugo, dans un cycle consacré à la puissance du peuple.
Divers
Arnaud Laster annonce que le 24 juin, la version complète des Misérables de Raymond Bernard sera projetée à la Filmothèque du quartier latin. Le film dure près de 4h30.
Il nous informe également que le 17 juin, une fête des livres se tiendra à Bougival, au musée européen Tourgueniev. Il sera question de Hugo. Il s’agit, du reste, d’un très beau musée.
Communication de Florence Naugrette : Lieu du genre et genres des lieux: topique des espaces dans le théâtre romantique (voir texte joint)
Discussion
Claude Millet remercie Florence Naugrette pour cette communication passionnante, qui résonne avec notre souvenir des pièces. Elle voudrait commencer par poser quelques questions :
1) Trouve-t-on ailleurs que chez Hugo, de manière aussi fréquente, une construction de l’espace par le clair-obscur ?
2) Dans le mélodrame, comment est figuré le souterrain en tant que souterrain ?
3) L’espace clivé, qu’on retrouve souvent chez Hugo, le trouve-t-on aussi ailleurs ?
4) Quelles sont les sources pour connaître la proxémique des acteurs, à part les didascalies ?
Florence Naugrette répond :
1) La construction par le clair-obscur vient sans doute de l’opéra du XVIIIe s. On peut aussi penser à La Nuit vénitienne de Musset, qui se passe la nuit, mais cet auteur n’a guère recommencé ensuite. Par contre, il joue sur le clair-obscur, notamment dans Il ne faut jurer de rien, qui se termine dans la nuit et dans la forêt. La progression de la nuit y va de pair avec la progression mélodramatique.
Hugo, en tout cas, situe très souvent ses actes la nuit. Dans Hernani, c’est le cas de quatre actes sur cinq. C’est une fréquence plus grande que chez ses contemporains.
Signalons que Bérangère Chaumont prépare actuellement une thèse, sous la direction de Sylvain Ledda, sur La Représentation de la fête de nuit en littérature romantique (1821-1856).
2) Le souterrain est très fréquent dans le mélodrame. Pensons par exemple aux Mines de Pologne de Pixerécourt.
Le fait qu’on soit dans un souterrain est signifié au spectateur par l’absence d’ouverture, ou la présence d’une ouverture en hauteur. Auquel cas le spectateur se demande forcément quand les personnages vont sortir de l’endroit par cette ouverture… Sylvie Vielledent ajoute qu’il y a un souterrain dans Les Frères invisibles, mélodrame de Scribe, avec également une scène d’incendie extraordinaire.
3) On retrouve aussi des espaces clivés dans le mélodrame. Il semble que ce soit souvent lié à une thématique du secret. Par exemple, une femme a eu un enfant adultérin, et son secret menace d’être dévoilé par le traître ; il se peut qu’elle se trouve en sécurité dans un espace, mais menacée d’être obligée d’en sortir…
4) On a les livrets de mise en scène qui nous indiquent la proxémique. Ils ont notamment été édités, pendant tout le XIXe siècle, par Palianti, afin que les mises en scène puissent être reprises en province. On les trouve facilement à l’Arsenal ou à Richelieu.
Franck Laurent revient sur différents points :
L’effet de montage alterné des discours, ne serait-ce pas Hugo qui l’a inventé, avant Vigny ? On a un passage qui en joue dans « Une comédie à propos d’une tragédie ».
Le viol est-il vraiment un acte typique du mélodrame ? Il en est aussi question dans la tragédie classique. Dans l’acte II de Britannicus, face à Néron, Junie est en menace de viol. La mise en scène de Brigitte Jacque-Wajeman le souligne. Peut-être le mélodrame explicite-t-il en fait quelque chose qui est dans la tragédie.
La mise en scène spectaculaire que l’on trouve dans les mélodrames n’existait-elle pas déjà dans l’opéra ? – En effet, répond Florence Naugrette, c’est l’opéra qui invente la mise en scène ; mais le mélodrame permet d’opérer le passage des scènes lyriques au théâtre parlé.
Le motif du praticable dangereux, reprend Franck Laurent, est très vite devenu un motif cinématographique. On peut penser à toute une série de films représentants des théâtres avec des praticables ou des espaces dangereux. Il y a une scène là-dessus à la fin de Charade de Stanley Donen. Ou encore dans Les Grands Ducs de Patrice Leconte : trois comédiens minables (joués par Jean-Pierre Marielle, Philippe Noiret et Jean Rochefort) se font embaucher pour une tournée produite par un entrepreneur de spectacle qui souhaite qu’il y ait un accident afin de faire jouer l’assurance. Le même genre de motifs est également exploité dans La Machination Voronov (un Blake et Mortimer nouvelle série, par Sente et Julliard), ou au début des Sept Boules de cristal. Bref, le cinéma et la bande dessinée soulignent le caractère objectivement dangereux du lieu théâtral.
L’escalier d’Hernani qui nous a été montré constitue un contresens total vis-à-vis de la didascalie de Hugo, qui dit bien que le regard doit s’enfoncer dans une profondeur obscure et souterraine. – Cet escalier est un remploi, précise Florence Naugrette.
Le couple emmuré vivant au son d’une musique d’Offenbach, chez Sardou, c’est singulier ! remarque Franck Laurent – Il s’agit, répond Florence Naugrette, d’une création originale d’Offenbach. C’est une musique dramatique, qui n’a rien à voir avec l’Offenbach de La Vie parisienne.
Mélodrame et roman gothique
Sylvie Vielledent signale une scène d’emmurement dans Valentine de Scribe et Mélesville. L’amant est finalement délivré par le maçon qui l’a emmuré.
Cela rappelle, note Franck Laurent, des scènes du roman gothique. Y a-t-il une influence, et dans quel sens ?
Dans les deux sens, répond Florence Naugrette. Cela appartient à un fonds commun auquel les deux genres puisent. L’idée que le mélodrame serait issue du roman gothique est problématique, car le mélodrame apparaît très tôt, dès la fin du XVIIIe siècle.
Mais les romans gothiques de Walpole sont antérieurs, souligne Franck Laurent.
Vérification par les réactions des spectateurs ?
Guy Rosa demande s’il existe des signes de la sensibilité des spectateurs, des critiques ou des praticiens à ces combinaisons d’espaces hétérogènes ? Florence Naugrette répond qu’elle n’en a pas trouvé et qu'elle le regrette: ç'aurait été une preuve précieuse.
Les critiques, souligne Franck Laurent, sont souvent sensibles à la complication décorative et machinique. Ils n’en explicitent pas toujours les effets, mais ils commentent le décor, même pour s’en moquer. Ils en parlent parfois davantage que du texte. Le jeu de scène de Marie Dorval dans Chatterton, ou celui qu’on trouve dans le quatrième acte d’Antony, ont été repérés par la critique comme extravagants ou extraordinaires. Ils sont plutôt décrits à travers les performances des comédiens, mais celles-ci sont rendues possibles par la machination de l’espace.
Dans Chatterton, demande Claude Millet, n’observe-t-on pas la transformation d’un espace de drame bourgeois par l’intervention d’une actrice de mélodrame ?
Florence Naugrette confirme. C’est l’actrice qui invente le jeu de scène venu du mélodrame.
Jordi Brahamcha-Marin