Claude Millet : Finir Cromwell - Les trois dénouements[1]

Communication au Groupe Hugo du 15 octobre 2016
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Finir un drame historique n’est pas chose simple pour Hugo, comme en témoigne les remaniements des dénouements d’Amy Robsart, de Marion Delorme, du Roi s’amuse, de Lucrèce Borgia, de Marie Tudor et d’Angelo tyran de Padoue. Étudiant récemment le « retravail » de ces drames, Florence Naugrette[2] a montré combien Hugo était à l’écoute des réactions des  acteurs et des spectateurs ; combien aussi il était soucieux d’adapter ses pièces aux horizons d’attente que construisent les salles de spectacles, constructions qu’il faut moins lire en termes sociologiques que dramaturgiques : passer un drame du Théâtre-Français à  la Porte-Saint-Martin, comme ce fut le cas pour Marion Delorme, ce n’est pas tant changer de public (les deux théâtres accueillent en réalité grosso modo les mêmes spectateurs), que de structuration de la réception par la prévalence d’un genre – la tragédie pour le Théâtre Français, le mélodrame pour le temple du boulevard du crime. Or, montre encore Florence Naugrette, c’est bien l’encastrement de la tragédie et du mélodrame qui pose problème à Hugo dans la composition des dénouements de ces drames, en raison de leurs réglages différents du pathétique, mais aussi de leur vision morale de la destinée humaine : si la tragédie peut admettre le triomphe final du mal et la défaite des héros, le mélodrame réclame que les méchants soient punis et que leurs victimes accèdent  au bonheur, afin que se rétablisse un ordre considéré comme juste et légitime – confiance dans l’ordre à laquelle Hugo n’adhère pas.

 

C’est en des termes différents que s’est posé au dramaturge la question du dénouement de Cromwell, d’une part parce que la pièce, non destinée à une scène précise[3], est une sorte de laboratoire du drame pour refaire le théâtre du temps, d’autre part parce qu’il n’est pas encore question pour Hugo d’introduire le mélodrame dans le jeu, mais, comme l’a souligné Florence Naugrette[4], de se ressaisir pour le drame d’un genre relativement nouveau, la comédie historique (où se sont illustrés Casimir Delavigne, Mérimée, et des historiens libéraux comme Loève-Weimars, Romieu et Van der Buch.) En témoigne la Préface, très polarisée, comme on sait, sur la question de l’intégration de la comédie  et de la tragédie dans le drame, comédie et tragédie que par apposition Hugo associe au grotesque et au sublime, au laid et au beau, au corps et à l’âme, à la bête et à l’ange, au mal et au bien, à l’ombre et à la lumière. Inscrites dans ces séries, comédie et tragédie sont moins des genres[5] que des points d’optique à partir desquels observer l’Homme, sauf bien entendu dans les discours « classiques » auxquels s’en prend Hugo. Dans la perspective qui est la sienne, seuls rattachent comédie et tragédie à une poétique des genres les noms canoniques de Molière et de Corneille (mais ces deux-là sont trop forts précisément pour s’imposer comme des normes génériques). Sans entrer dans le détail du texte, notons dès maintenant que ce que Baudelaire nomme, à propos de Hugo, les « tricheries de l’apposition », associent Molière et la comédie à la part ombreuse de l’Homme, Corneille et la tragédie à sa part lumineuse. Notons aussi que sur la façon dont ces deux « genres », ou ces deux points d’optique, s’articulent dans le drame, Hugo hésite : fusion par combustion ou commotion électrique, potentialisation ou au contraire parasitage réciproques, réversibilité ou superposition – le drame, c’est « la tragédie sous la comédie » – totalisation et destruction, heurt ou, de manière plus convenue en 1826/27, mélange[6].

 

Dans la pièce elle-même, le discours métathéâtral[7] revient sur cette question des « genres » : Davenant, qui projette d’écrire des tragi-comédies, reproche à Rochester d’unir à la tragédie la mascarade (III, 12) ; les fous, qui viennent de la comedia espagnole plus que de Shakespeare[8], qualifient le drame qui se joue de « drame sot » ou de « drame fantasque ». Toutes définitions qui en disent moins long sur la pièce elle-même que sur la perspective des personnages qui les énoncent, leur point d’optique. Car la pièce elle-même excède ces définitions dans un imbroglio qui noue ensemble trois intrigues : une intrigue de comédie – l’intrigue amoureuse de Rochester ; une intrigue de tragédie – celle du complot ourdi par les Puritains et les Cavaliers contre Cromwell ; et enfin une autre intrigue qui pourrait être de tragédie ou de comédie, ou ni l’un ni l’autre – celle de « Tibère-Dandin » qui veut se faire roi. Et il faudra trois dénouements pour faire non pas aboutir, mais capoter sous l’emprise du grotesque ces trois intrigues, afin que s’achève, ou plutôt s’inachève non pas un « drame sot » (définition trop univoque) ni un « drame fantasque » (c’est de la terrible réalité qu’il s’agit), mais un drame historique.

 

 

Le dénouement de la comédie amoureuse ou comment un beau Cavalier épouse Alice Sapritch

Cette intrigue est rapidement dénouée, dès  l’acte III, comme pour se débarrasser une bonne fois pour toutes de l’amour et déblayer le terrain de la politique[9]. Rochester, qui fait partie des Cavaliers conspirant avec les Puritains contre Cromwell, aime, ou plutôt désire (en lui-même il traite l’affaire de « peccadille ») la fille préférée de celui-ci, Lady Francis. Comédie et tragédie ici non pas se mêlent, mais s’embrouillent. Elles s’embrouillent par cumul des emplois[10] (Rochester est un jeune premier de comédie amoureuse, un petit marquis, un conspirateur aux accents parfois héroïques ; Cromwell, un tyran et un barbon). Elles s’embrouillent par court-circuit des logiques dramatiques (c’est pour enlever non pas la belle Francis, mais son père que Rochester s’est introduit déguisé en chapelain au palais). Elles s’embrouillent enfin par détraquage de la topique des scènes finales : Francis ne peut reconnaître Rochester, percer à jour son travestissement en « saint homme », pour la bonne et simple raison qu’elle ne le connaît pas ; et il n’y aura pas en final de duo amoureux, pour l’autre bonne raison qu’il est difficile, même en ornant son discours des plus belles fleurs de la rhétorique précieuse, de séduire en habit de chapelain. Rochester passe tout simplement pour un fou aux yeux de Francis. Mais il y a danger de mort, parce que le barbon est un tyran, un « Tibère-Dandin », et pour sauver Rochester de la potence Lady Francis fait croire à son père qu’il aime sa duègne, dame Guggligoy. Happy end : Rochester sauvera sa peau en épousant une vieille laide, bête, cupide et lubrique, comme Yves Montand/Ruy Blas épouse Alice Sapritch dans La folie des grandeurs (Gérard Oury connaît manifestement bien le théâtre de Hugo). Le drame renoue ainsi grotesquement avec la topique de la scène finale de la comédie (et de la tragi-comédie, de laquelle la comédie de Rochester se rapproche par son caractère romanesque, son élévation dans la sphère des Grands et sa fin nuptiale) : comme le dit Davenant (le spécialiste de la tragicomédie et du refus du tragicomique) à l’acte III scène 12 : « pour dénouer une œuvre dramatique, ces mariages-là sont commodes, vraiment. » La « machine matrimoniale »[11] de la comédie  est une machine infernale, et ce premier dénouement un effondrement.

 

Un effondrement de tout ce qu’il pouvait y avoir de grandeur en Rochester, qui est un personnage complexe ; un effondrement aussi de tout ce qu’aurait pu avoir d’instituant le mariage de Rochester et de la fille du Protecteur : la fin des hostilités entre les Cavaliers partisans des Stuarts et le régicide, fin qui aurait donné une base solide à la tyrannie de ce dernier –  la dissipation de la conflictualité historicopolitique, la paix ; la fin du désordre dans la famille de « Dandin », la réconciliation des générations, un compromis vivable trouvé entre le désir des jeunes gens et la norme sociale – le bonheur.

Or il n’y a pas eu d’amour, mais seulement, du point de vue Rochester, une « peccadille », du point de vue de Lady Francis considérant son soupirant, la bouffée délirante d’un fou, et de la part de dame Guggligoy, une excitation sexuelle qui fait honneur à son âge. Rien n’a eu lieu, sinon ce mariage fictif (Rochester racontera à Davenant à l’acte III scène 12 comment « Un corps-de-garde a servi de chapelle » et comment un tambour et un caporal (Cromwell masqué) ont fait office de prêtres). Toutefois, si ce mariage semble être annulé dès la scène 16 de l’acte III, Cromwell le confirme à la fin d’un drame où toutes les fictions peuvent devenir réalité. Le mariage de Rochester et de dame Guggligoy aura donc été une pseudo-péripétie, une sorte de parodie gratuite des mariages avec lesquels Molière expédie la fin de la plupart de ses pièces peut-être, dénoue le drame en comédie par l’instauration d’un ordre positif, assurément. Mais ce mariage aura donc aussi constitué le « vrai » dénouement de l’intrigue menée (?) par Rochester.

 

Ce dénouement fictif et effectif qui condamne à la déconfiture le jeune premier confirme l’apposition dans la Préface de 1827 de la comédie au corps, à la bestialité et à la laideur par les charmes effrayants de dame Guggligoy. Il infirme en revanche par sa légèreté l’apposition de la comédie au mal et à l’ombre, même si Rochester est menacé de la potence, tant pour l’éviter est rapide sa décision d’épouser la duègne de lady Francis. Ce pseudo dénouement infirme surtout l’idée que l’on pourrait trouver telle quelle une comédie moliéresque dans (ou sous, ou au-dessus d’) un drame « moderne ». Ce qu’on y trouve en réalité, c’est l’esprit de la comédie telle que la définit A.W. Schlegel dans son Tableau de la littérature dramatique, l’esprit néantisant de la comédie fantasque qui déréalise tout ce qu’elle touche, l’allège du sérieux (cette « direction des forces de l’âme vers un but »[12]), et joue à la surface du monde de sensations et de hasard qu’est une vie dépourvue de sens[13].

 

 

Le dénouement de la tragédie du complot ou comment Cinna est balancé dans la Tamise par un peuple en courroux

Mais place aux choses « sérieuses » qui dirigent « les forces de l’âme vers un but » – la tragédie politique de la conspiration continue. Cette tragédie politique a un petit modèle tiré de l’actualité (la coalition contre Charles X des républicains et des ultras) et un grand modèle, reconnaissable entre tous par les contemporains, tant cette pièce de Corneille, Cinna, fut jouée et rejouée sous l’Empire pour complaire à Napoléon, mais aussi sous la Restauration. Cinna qu’à bien des égards on peut reconnaître comme le paradigme de la tragédie à dénouement heureux, c’est-à-dire positif, instituant, la clémence accordée par l’empereur à Cinna et aux autres conjurés scellant sa grandeur et la force de l’ordre politique qu’elle (re-)fonde. Au reste, Hugo aurait pu démarquer bon nombre de dénouements shakespeariens[14], où la « mystique Tudor de la royauté » (Northop Frye[15]) se manifeste par la démonstration du fait que l’ordre ne peut venir que d’une royauté forte. Hugo choisit de démarquer Cinna parce qu’il peut tabler sur la bonne connaissance de cette pièce par le public de son temps, et par conséquent sur la lisibilité du cynique sabordage de son dénouement à la fin de Cromwell.

 

Cromwell, qui a percé à jour le complot qui le menace dès l’acte III, décide à l’extrême fin de l’acte V de jouer le puissant magnanime (tant il est vrai que pour lui comme pour les rois shakespeariens l’exercice du pouvoir est un rôle[16]), en accordant sa grâce aux conjurés, comme le héros éponyme de la tragédie de Corneille. Comme Cinna, Cromwell veut gracier les acteurs du complot fomenté contre lui, ou en l’occurrence l’un des meneurs de ce complot, le seul (mais comme le fou Gramadoch a dégainé son « sabre de bois » contre le champion du Protecteur à la scène X)) à avoir eu le courage de lever l’épée contre lui, Syndercomb. Cromwell entend faire grâce comme Cinna, et pas tout à fait comme lui, du fait précisément de la théâtralité (trop) manifeste de la scène de clémence qu’il joue, et du fait que cette théâtralité se dégrade en tartufferie puritaine. Cromwell dit tout haut : « Frères, je lui pardonne. Il ne sait ce qu’il fait. » Et en aparté : « la clémence est, au fait, un moyen comme un autre ». La clémence de Cinna élève au sublime le pouvoir dans le moment même où elle le fonde rationnellement ; la clémence de Cromwell l’enfonce dans le grotesque (cette fois associé au mal) de manière contingente, saute d’humeur et bonne évaluation de son intérêt personnel mêlées, (Cromwell, on y reviendra, guigne plus que jamais la couronne).

 

La puissance corrosive de la dérision ne se contente toutefois pas de cette dégradation de la tragédie du complot et de la grâce. Elle fait ici intervenir dans l’action deux forces historiques qu’on chercherait en vain chez Corneille : l’argent, dont j’ai montré ailleurs qu’il était dans Cromwell , avec la folie et la mort, le grand convecteur du sublime en grotesque[17], et le peuple. Mais non le peuple populus, le peuple citoyen, sujet libre du droit, moteur émancipé de la révolution, ni le peuple ethnos, corps de la nation anglaise : le peuple plebs[18], la canaille aliénée des émotions populaires ; d’autant plus aliénée qu’en sa colère pleine d’amour pour son tyran elle a jeté à la Tamise l’héroïque Syndercomb, si bien que Cromwell ne peut lui faire grâce – on chercherait en vain dans le Hugo de 1826/27, tout fraîchement rallié au libéralisme, le démocrate du Second Empire et de la Troisième République. Quoi qu’il en soit, Cromwell, dont la clémence cornélienne n’était qu’un jeu de rôle, se fait vite une raison de ce pavé de l’ours populaire. Après tout, « c’est toujours un de moins ! »

 

Ainsi, non seulement l’acte de grâce n’a pas eu lieu, mais la mort de Syndercomb n’est pas un événement. Comme le dénouement de la comédie amoureuse, le dénouement de la tragédie du complot est une très efficace aspiration de l’intrigue dans le néant. Rien n’a eu lieu, sinon que, le complot ayant failli faire de Cromwell une victime, le peuple l’en aime davantage, si bien que sa tyrannie s’en trouve renforcée : « Nos efforts n’ont servi qu’à le placer plus haut », dit Overton à Milton dans l’avant-dernière réplique du drame – ce que pourrait dire au fond les conjurés de Corneille à propos d’Auguste, mais sans que l’ironie tragique dérape comme ici dans le  néant léger de la comédie. Cromwell « doit être content. »

 

Le dénouement du drame historique ou comment rien ne se dénoue

Toutes les attentes d’un peu de sérieux restent ainsi suspendues à la dernière réplique, au dernier hémistiche, au mot de la fin du drame, qui doit dénouer la troisième intrigue, celle de l’intronisation du Protecteur régicide. C’est évidemment pour Hugo et ses contemporains l’intrigue aux enjeux les plus lourds, dans la mesure où elle interroge la possibilité d’une restauration de la souveraineté monarchique quand celle-ci semble avoir été irréversiblement renversée par la mort du roi Charles Ier /Louis XVI, et à travers cette question le sens à donner (ou à ne pas donner) à l’histoire de cet autre « régicide » devenu roi, Napoléon. Cromwell ne donne pas la réponse à cette question cruciale pour Hugo et ses contemporains – « Serai-je roi ? » – dans sa réplique finale, mais la déplace en la remplaçant par une autre : « Quand donc serai-je roi ? » Question folle, je l’ai déjà dit, à laquelle le drame a déjà répondu jamais par la voix de ses prophètes – le juif Manassé, le puritain Carr,  le poète Milton –, ces visionnaires grotesques et sublimes auxquels l’Histoire donnera raison, Hugo le sait en 1826/27: les restaurations de la souveraineté monarchique sont des impossibles. La question de Cromwell est une question folle, parce qu’elle présuppose, en dépit d’arguments moraux qui se confondent ici avec la logique historique, que le régicide un jour sera roi. Une question folle, c’est-à-dire grotesque (Cromwell est un imbécile qui ne comprend rien, un aveugle au pays des visionnaires) et sublime (Cromwell est un héros, c’est-à-dire un homme qui refuse toute limitation de son désir, et de son désir de gloire). Mais en même temps cette question est très logiquement enchaînée à la fin de l’aparté d’Overton, que Cromwell n’a pu entendre et auquel pourtant il répond très précisément dans un autre aparté qui achève l’alexandrin commencé par le conjuré : « Il doit être content. – Cromwell, rêvant à part. – Quand donc serai-je roi ? ». Sans le savoir, Cromwell répond au conjuré Overton à la place de Milton auquel cet Overton s’adresse : non, il n’est pas content.

 

Et à travers lui le Hugo de 1826/27 répond à la question de savoir comme achever un drame historique : en l’inachevant, parce que l’histoire que font les hommes est infinie comme leur désir, et indéfinie, indéfinissable comme leurs rêves, grotesques et sublimes, imbéciles et héroïques, sans que « les forces de l’âme » qui contemple cette histoire puissent, dirait Schlegel, « s’élever vers un but ».


[1] Ce texte est destiné à paraître dans les Mélanges offerts à Franck Bauer.

[2] « Le mot de la faim : retravail esthétique et infléchissement politique des dénouements hugoliens », in Revoir la fin. Dénouements remaniés (XVIIIe-XIXe siècles), actes du colloque organisé par Sylviane Robardey-Eppstein avec la collaboration de Florence Naugrette, Université d’Uppsala (Suède), juin 2013, Garnier, coll. « Rencontres », 2016.

[3] Ce qui ne veut pas dire qu’il soit injouable. Cf. Florence Naugrette, « Publier Cromwell et sa Préface : une provocation fondatrice », communication au « Groupe Hugo » de l’Université Paris 7 du 8 mars 2002.

[4] Voir Florence Naugrette « Le mélange des genres dans la dramaturgie romantique : une dramaturgie du désordre historique ». Article paru dans la Revue Internationale de Philosophie, n° 255, Le Théâtre, de la Renaissance à aujourd'hui : une approche philosophique, sous la direction de Michel Meyer, 2011-1.

[5] Hugo n’emploie que huit fois le mot genre dans la Préface de Cromwell, et le plus souvent de manière ironique.. Il évoque le « genre humain dans son ensemble»,  les fanatiques « de tout ordre et de tout genre » du temps de Cromwell, utilise pour désigner le drame romantique des expressions comme « une œuvre de ce genre », « une poésie de ce genre » où le mot genre, de même que dans les expressions « une promotion de ce genre », « des questions de ce genre », n’a ironiquement qu’un sens flou, équivalent à des expressions comme une espèce de, ce type de, le fonctionnement anaphorique des démonstratifs signifiant que si un contenu est à chercher pour ce mot genre, c’est dans le contexte de la réflexion qui se déploie ici, dans ce qui a été dit ici de cette œuvre-là, en partant de sa particularité, et non dans les poétiques. Deux fois seulement Hugo parle de genres comme le font les poétiques, mais précisément dans des énoncés polémiques qui reprennent leur langage pour en dénoncer l’inanité : « on voit combien l’arbitraire distinction des genres croule vite devant la raison et le goût » ; «on comprendra bientôt généralement que les écrivains doivent être jugés, non d’après les règles et les genres, choses qui sont en dehors de la nature et de l’art, mais d’après les principes immuables de cet art et les lois spéciales de leur organisation personnelle ».

[6] Pour ce caractère déjà bien usé, peu neuf de la notion de mélange des genres à la date de Cromwell et de sa Préface, voir Florence Naugrette, « Le mélange des genres dans la dramaturgie romantique : une dramaturgie du désordre historique », art.cit. La nouveauté précisément chez Hugo tient à des mises en rapport beaucoup plus violentes (et sans résorption des tensions) que ce que Franck Laurent nomme le mélange adoucissant ». Voir Franck Laurent : «Shakespeare en France sous la Restauration», communication au « Groupe Hugo » de l’Université Paris 7 du 29 septembre 1990.

[7] Sur la métathéâtralité dans les pièces de Hugo, voir Sylviane Robardey-Eppstein, La Constellation de Thespis. Présence du théâtre et dimension métathéâtrale dans l'œuvre dramatique de Victor Hugo, Stockholm, Uppsala universitet, 2004.

[8] Cf. Noémie Carrique, «Les bouffons du ‘roi manqué’ – Rôles des quatre fous dans Cromwell », communication dans le cadre de la journée d’étude C.P.G.E organisée par Claude Millet et le groupe Hugo à l’Université Paris-Diderot, le 5 octobre 2013. Voir ici

[9] Hugo manifeste le même désintérêt remarquable pour l’amour, sa place dans les dramaturgies respectives de la comédie, de la tragédie et du drame dans la Préface de Cromwell. Manière pour lui, sans doute, de dégager le romantisme du sentimentalisme en ce moment stratégique.

[10] Sur le traitement des emplois dans la dramaturgie hugolienne, voir Florence Naugrette, « Le devenir des emplois comiques et tragiques dans le théâtre de Hugo », communication au « Groupe Hugo » de l’Université Paris 7 du 31 mars 2001.

[11] On aura reconnu l’expression de Michel Deguy dans La machine matrimoniale ou Marivaux (Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1986.

[12] A.W. Schlegel, Cours de littérature dramatique, I, traduit de l’allemand, Paris et Genève, librairie Paschoud, 1814, p. 69.

[13] Ibid., p. 72 sqq.

[14] Cf. Florence Naugrette, « Le mot de la faim : retravail esthétique et infléchissement politique des dénouements hugoliens », art.cit.

[15] Northop Frye, Shakespeare et son théâtre, 1988 pour la traduction française, Montréal, éditions du Boréal, p. 87.

[16] Cf. Northop Frye, op.cit., p. 93.

[17] Claude Millet, « Le sublime dans Cromwell », communication dans le cadre de la journée d’étude C.P.G.E organisée par Claude Millet et le « Groupe Hugo » à l’Université Paris-Diderot, le 5 octobre 2013.

[18] Je reprends ici les trois sens du mot que distingue et sur lesquels réfléchit Gérard Bras dans Les Ambiguïtés du peuple, Pleins feux, 2008.