Armand Erchadi : Retour sur la pensée éducative de Hugo: le pédagogue déguenillé et les enfants d'éléphant
Communication au Groupe Hugo du 18 décembre 2010
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INTRODUCTION : RENDRE À VICTOR HUGO CE QUI N’APPARTIENT PEUT-ÊTRE PAS À VICTOR DURUY
« Ouvrir une école, c’est fermer une prison »
« Ouvrir une école, c’est fermer une prison », cette formule devenue slogan a suscité tout au long du XXe siècle l’interrogation des hugoliens[1], et pour cause, car elle ne se trouve nulle part dans l’œuvre de Victor Hugo. Citée sous diverses formes, à l’infinitif, à l’impératif au présent de l’indicatif, avec des variantes, elle est la plupart du temps attribuée à Hugo par ses partisans comme par ses adversaires, son caractère abrupt, voire simpliste, prêtant le flanc à la critique de tendance réactionnaire.
Or, plus on remonte dans le temps, plus les sources de cette formule diffèrent : le ministre de l’Instruction publique Victor Duruy en 1865[2], le médiéviste et député des Hautes-Pyrénées Achille Jubinal en 1868[3], une expression à la mode et sans auteur particulier en 1869[4], l’écrivain et homme politique britannique Thomas Macaulay en 1886[5].
En réalité, la solution de ce problème se trouve sans doute dans le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse, qui, aux tomes VII (article « Ecole », 1870) et XIII (article « prison », 1875), donne cette citation de Louis Jourdan : « Ouvrir une école aujourd’hui, c’est fermer une prison dans vingt ans[6]. » Larousse n’étant guère avare en citations hugoliennes, il semble bien que Louis-Charles Jourdan (1810-1881), rédacteur au Siècle, soit l’auteur véritable de la formule. Ceci nous conduit à revenir en profondeur sur la pensée éducative de Victor Hugo, en nous défaisant des fausses évidences à son sujet.
Éducation et pénalité
Reste que, si cette formule a été si longtemps attribuée à Hugo, c’est qu’elle indique le lieu d’ancrage de sa réflexion, la « question sociale », dont la pénalité et l’éducation sont les deux versants.
La « Préface » du Dernier jour d’un condamné évoque en 1832 les « enfants déshérités d’une société marâtre, que la maison de force prend à douze ans, le bagne à dix-huit, l’échafaud à quarante ; infortunés qu’avec une école et un atelier vous auriez pu rendre bons, moraux, utiles[7] ».
La conclusion de Claude Gueux, écrite la même année, ne dit pas autre chose : « Puisque vous êtes en verve de suppressions, supprimez le bourreau. Avec la solde de vos quatre-vingt bourreaux, vous paierez six cents maîtres d’école[8]. »
Dans son intervention de 1847 à la Chambre des pairs sur les prisons, prévue mais non prononcée, Hugo affirme : « Tout homme coupable est une éducation manquée qu’il faut refaire. La prison doit être une école[9]. »
De même, ces vers de 1853 : « Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne./ Quatrevingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne/ Ne sont jamais allés à l’école une fois,/ Et ne savent pas lire, et signent d’une croix[10]. »
Et l’année suivante : « Je voulais résorber le bagne par l’école[11] ».
Dans Les Misérables, à propos de Monseigneur Myriel : « Il disait encore : – A ceux qui ignorent, enseignez-leur le plus de choses que vous pourrez ; la société est coupable de ne pas donner l’instruction gratis ; elle répond de la nuit qu’elle produit. Cette âme est pleine d’ombre, le péché s’y commet. Le coupable n’est pas celui qui fait le péché, mais celui qui fait l’ombre[12]. » Dans le livre sur l’argot : « Enfin, quel nom les malfaiteurs donnent-ils à la prison ? le collége. Tout un système pénitentiaire peut sortir de ce mot[13]. »
Dans les chapitres du livre « Les Fleurs », finalement retirés du roman : « Un voleur, une fille publique, ce sont des infirmes. […] Un vice est une dartre. Ouvrez des hospices moraux, c’est-à-dire des écoles. Traitez ces maladies[14]. » Le « bon enseignement gratuit et obligatoire » fera disparaître « les pénalités monstres » avec « les enseignements imbéciles[15] ».
Dans William Shakespeare, pour prouver que « la littérature sécrète de la civilisation », Hugo énumère les professions représentées au bagne de Toulon en 1862 et termine par : « hommes de lettres, pas un[16] ».
« Au vingtième siècle », Hugo prévoit « le châtiment remplacé par l’enseignement ; la prison transfigurée en école[17] ».
Le duc Gallus déclare, dans « Margarita, comédie », « J’ai brisé les vieux jougs et les vieilles bricoles,/ Supprimé la potence, ouvert beaucoup d’écoles[18] ».
Le « sonnet pour album » de 1870 qui fait parler de belles réactionnaires : « il faut/ Bâtir plus de prisons et bâtir moins d’écoles[19] ». Et l’année suivante : « Un feu de peloton pour résoudre un problème/ Me déplaît. Fusiller un petit garçon blême,/ A quoi bon ? Je voudrais qu’à l’école on l’admît[20] ». Et dans le même poème : « A-t-on fermé le bagne ? A-t-on ouvert l’école[21] ? »
Ainsi la question éducative et la question pénale sont-elles intimement liées dans la pensée de Hugo : « deux questions, question de l’éducation, question de la pénalité ; et entre ces deux questions, la société tout entière[22] ». Dans la liste des questions sociales étudiées par l’ami de l’A B C Jean Prouvaire sont citées « l’éducation, la pénalité[23] », couple de notions que l’on retrouve dans le même ordre à la partie suivante du roman[24]. La question sociale s’est d’abord pensée chez Hugo par la question pénale, et la question de l’éducation en découle. Se penchant sur le « système cellulaire », qui proposait d’attribuer une cellule individuelle à chaque prisonnier, il écrit : « Vous devez à l’enfant l’enseignement, à l’homme l’occupation, au coupable le châtiment./ De là les trois grands problèmes, je dirais presque les seuls, qui embrassent la société tout entière : l’éducation, le travail, la pénalité./ [La] législation pénale […] ne fait que combler les lacunes et compléter l’œuvre de [l’éducation et de l’organisation du travail[25]] ». Les prisons passées et présentes s’avèrent être de funestes « maisons d’éducation », « hideux collèges de honte et de dépravation » : « Là, chaque spécialité […] a ses professeurs qui font des cours de crime supérieur, qui expliquent les maîtres et les modèles, et qui enseignent aux petits coupables le respect et l’admiration des grands criminels[26] ». En revanche, les prisons cellulaires (qui seront néanmoins des échecs) visent à séparer les prisonniers pour éviter l’influence pernicieuse des uns sur les autres, permettre les visites d’un instituteur et favoriser l’apprentissage de la lecture et de l’écriture aux prisonniers.
Toutes ces variations hugoliennes sur l’école et le bagne, l’éducation et la pénalité, sont autant de plaidoyers pour une instruction publique, plus précisément pour un enseignement « logique, scientifique, radical[27] », bref républicain. Pourtant, une fois les problèmes de l’institution et du programme résolus, reste le plus difficile, celui de la méthode : enseigner, certes, mais comment ? C’est sur ce point, le problème pédagogique, angle mort des travaux sur la pensée éducative hugolienne, que cette étude voudrait se concentrer. La salle de classe fait pendant, chez Hugo, au cachot, mais faut-il en faire une caserne ou, au contraire, une cour de récréation ?
Enfant autodidacte et père maître d’école
Au préalable, quelques éléments biographiques gagneront à être rappelés[28]. Jean-Marc Hovasse, citant Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, rappelle que le « petit Victor savait lire en entrant [à l’école de M. de La Rivière]. Il avait appris seul, on ne sait comment. » Si l’instituteur enseigne à l’enfant l’écriture, l’orthographe et la grammaire, puis le latin, c’est en revanche de façon toute naturelle, et sans contrainte extérieure, que la lecture vient à l’enfant.
Plus tard, le collège-séminaire des Nobles de Madrid, dirigé par des pères des Écoles pies, « ressemblait davantage à une prison qu’à l’école de M. de La Rivière[29] »
Lors de son retour aux Feuillantines, en 1812, le jeune Victor renoue avec un apprentissage autonome en compagnie de son frère, en lisant les livres du cabinet de lecture de sa mère, rue Saint-Jacques. Trois ans plus tard, il est envoyé à la pension Cordier pour préparer l’École Polytechnique, par « un père dont l’objectif principal paraît être l’enfermement de ses enfants[30] ». C’est à quinze ans, quand il commence à suivre les cours du « collège royal Louis-le-Grand » en tant qu’élève « externe des pensions », qu’il suit pour la première fois de sa scolarité le cycle officiel des programmes[31]. Il sèche les cours au bout de six mois et finira, malgré son cinquième accessit au concours général de physique sur la « théorie de la rosée », par renoncer à Polytechnique à cause de l’insuffisance des revenus de son père. Victor Hugo n’a donc pas le baccalauréat, ce qui constituera un sujet de plaisanterie fréquent au début de la Troisième République.
Ainsi le futur « militant de l’école républicaine[32] », qui aurait pu être ministre de l’Instruction publique aux côtés de Lamartine dans le gouvernement provisoire de 1848, connut essentiellement durant son enfance l’école buissonnière et l’école-prison. Il est intéressant de noter que Hugo pratiquera avec ses enfants l’enseignement au sein du foyer, justifiant ainsi sa méthode dans Mes fils : « La mère leur apprend à lire ; lui, il leur apprend à écrire. […] Au père maître d’école succède le collége. Le père pourtant tient à mêler au collége la famille, estimant qu’il est bon que les adolescents soient le plus longtemps possible des enfants. Arrive, pour ces petits à leur tour, la vingtième année ; le père alors n’est plus qu’une espèce d’aîné[33] ». La vie et la pratique de Hugo invitent ainsi à relire ses écrits sur l’éducation en allant au delà du topos de l’école républicaine
Comme le soulignait Jean-Claude Fizaine, « on trouve dans l’œuvre de Hugo à la fois tout ce qui fonde et justifie l’école républicaine et laïque, et l’argumentaire complet des critiques les plus virulentes qu’on puisse lui adresser[34] », soit les deux termes du débat qui fait rage depuis quelques années entre ceux qu’on appelle autoritaires, républicains ou traditionalistes, d’une part, et libertaires, modernes ou pédagogistes, d’autre part. C’est ce paradoxe qu’il convient de résoudre : après une mise au point sur le fondateur de la tradition scolaire républicaine, puis sur le promoteur de l’école buissonnière, il faudra, pour dévoiler la pédagogie en acte chez Hugo, analyser une figure essentielle, celle de l’enfant d’éléphant, et en particulier la leçon d’argot offerte par Gavroche à ses deux élèves dans le ventre de l’éléphant de la Bastille, école ouverte – littéralement, éventrée – là où la Révolution avait fermé la prison par excellence.
I. La fondation d’une tradition républicaine : l’école épique et redoutable
Les amis de l’ABC : une mystique de l’école
Qu’était-ce que les Amis de l’A B C ? une société ayant pour but, en apparence, l’éducation des enfants, en réalité le redressement des hommes.
On se déclarait les amis de l’A B C. – L’Abaissé, c’était le peuple. On voulait le relever. Calembour dont on aurait tort de rire. Les calembours sont quelquefois graves en politique[35] […].
Tous les amis de l’A B C ont un point commun, la mystique de l’école, qui devient au cours du XIXe siècle inséparable de l’idéal républicain. Combeferre, comparé à Condorcet, « déclarait que l’avenir est dans la main du maître d’école, et se préoccupait des questions d’éducation[36]. » Feuilly « avait une autre préoccupation encore : s’instruire ; ce qu’il appelait aussi se délivrer[37]. » Enjolras, surtout, prononce un vibrant discours sur l’école républicaine : « L’Égalité a un organe : l’instruction gratuite et obligatoire. Le droit à l’alphabet, c’est par là qu’il faut commencer. L’école primaire imposée à tous, l’école secondaire offerte à tous, c’est là la loi. De l’école identique sort la société égale. Oui, enseignement ! Lumière ! Lumière! tout vient de la lumière et tout y retourne. Citoyens, le dix-neuvième siècle est grand, mais le vingtième siècle sera heureux. […] On pourrait presque dire : il n’y aura plus d’événements. On sera heureux[38]. »
Enjolras appartient à ce que Hugo nomme l’« école épique et redoutable que résume ce mot : Quatrevingt-treize[39] ». Sa mystique scolaire n’interdit pas de rapprocher les deux sens du mot « école », l’établissement d’enseignement et la doctrine, comme il le fait lui-même sur le mot « abaissé » : dans les deux cas, il s’agit d’une école militante et militaire à la fois. Cette idée apparaît peut-être pour la première fois sous la plume de Hugo dans Les Chants du crépuscule, lorsque les adolescents, qui deviendront les révolutionnaires de Juillet 1830, voient passer Napoléon : « Vous êtes les enfants des belliqueux lycées[40] ! » Plus tard, dans Quatrevingt-treize, « On regardait défiler les élèves de l’École militaire, qualifiés par les décrets de la Convention “aspirants à l’école de Mars[41]” », cette même Convention qui « décrétait l’instruction gratuite [et] organisait l’éducation nationale par l’école normale à Paris, l’école centrale au chef-lieu, et l’école primaire dans la commune[42]. »
L’école républicaine
Le discours sur « La liberté de l’enseignement » du 15 janvier 1850 est naturellement un des textes le plus cités lorsqu’il s’agit de l’éducation chez Hugo. Opposé à la « grande » loi Falloux, qui place sous la tutelle de la hiérarchie catholique l’enseignement primaire et une part de l’enseignement secondaire et supérieur, Hugo intervient pour défendre l’« instruction gratuite et obligatoire », « droit de l’enfant[43] ». Il exige, avant Jules Ferry, un État surveillant et enseignant à la fois[44]. Le discours porte ainsi sur l’institution et le programme[45] scolaires, et non sur la pédagogie.
L’institution pourtant, chez Hugo, n’est pas une fin en soi : elle est toujours au service de l’individu. Son socialisme – le ministère de l’Instruction publique est, selon Hugo, un « ministère socialiste par excellence[46] » – est toujours tempéré de libéralisme. Un passage de « La Civilisation » est particulièrement révélateur :
La civilisation modifiant son but, et commençant par l’homme au lieu de commencer par la nation ; la société conséquence de l’individu, et non plus l’individu dérivé de la société ; telle est la nation nouvelle. L’individu devenu la grande affaire, le citoyen au premier plan et la cité au second, la construction de l’homme d’abord, ayant pour résultante la construction de la société, ceci est le grand horizon inattendu. […] De là autour de l’enfance, germe d’un univers nouveau, tout un groupe d’institutions qui manquent aujourd’hui. Enseignement gratuit et obligatoire, assistance, égalité par l’éducation, liberté par la pensée, écoles, collèges, gymnases, ateliers, laboratoires, hygiène, développement de l’esprit, développement du corps, ouverture de l’intelligence, science de la santé, versement de lumière sur le petit être. La civilisation humaine, depuis six mille ans inattentive à ce qui l’attend et vivant chétivement au jour le jour, se réveille enfin, s’aperçoit que Demain existe, comprend que Demain est son maître, et se sent prise de cette préoccupation immense : l’enfant.
L’enfant, c’est-à-dire l’avenir[47].
Cette page est suivie un peu plus loin des mots « Liberté, Égalité, Fraternité. », et c’est encore la devise républicaine qui sert ailleurs d’embrayeur à la pensée éducative hugolienne :
Liberté. Égalité. Fraternité.
Liberté –
Égalité – question de l’égalité identique à la question de l’éducation[48].
Libéralisme et socialisme
Dans Claude Gueux, Hugo demandait « [une] bible par cabane[49] » ; dans William Shakespeare, une trentaine d’années plus tard, il écrira : « Nous voudrions voir dans les villages une chaire expliquant Homère aux paysans[50]. » Entre les deux, Hugo ne s’est pas contenté de remplacer la Bible par Homère et d’embrasser la cause républicaine et laïque. S’il ne s’agissait que de cela, l’on pourrait se contenter de cette formule de Marie-Christine Bellosta concernant le discours contre la loi Falloux : face à la réaction, « le libéral Victor Hugo se trouvait rejoindre la Montagne pour demeurer fidèle à son libéralisme[51]. » Or le changement est plus profond, il est d’ordre pédagogique.
Dans Claude Gueux, Hugo écrit : « Examinez cette balance : toutes les jouissances dans le plateau du riche, toutes les misères dans le plateau du pauvre. Les deux parts ne sont-elles pas inégales ? La balance ne doit-elle pas nécessairement pencher, et l’état avec elle ? Et maintenant dans le lot du pauvre, dans le plateau des misères, jetez la certitude d’un avenir céleste, jetez l’aspiration au bonheur éternel, jetez le paradis, contrepoids magnifique ! Vous rétablissez l’équilibre. La part du pauvre est aussi riche que la part du riche[52]. » En 1832, la misère est éternelle ; faites lire l’écriture sainte et vous aurez la paix sociale ; mais en 1849, a fortiori en 1864, on peut détruire la misère : avec l’irruption du peuple dans l’histoire, Hugo abandonne le modèle éducatif anglais fondé sur la Bible et affirme que le but n’est plus désormais la paix sociale malgré le peuple[53], mais la paix sociale avec le peuple.
Quoique en dise Hugo lui-même dans William Shakespeare, où, à propos de l’éducation il évoque ces « hommes qu’on appelle socialistes » dont l’« auteur de ce livre, si peu de choses qu’il soit, est un des plus anciens », pour preuve « le Dernier jour d’un condamné date de 1828 et Claude Gueux de 1834[54] », une modification discrète mais significative s’est opérée entre le libéralisme et le socialisme hugoliens en matière d’éducation : il s’agissait d’éduquer les misérables ; il s’agit désormais aussi d’éduquer ou de rééduquer les riches. C’est notamment l’un des points évoqués dans la fameuse conclusion du chapitre « Les deux devoirs : veiller et espérer » des Misérables :
L’avenir arrivera-t-il ? il semble qu’on peut presque se faire cette question quand on voit tant d’ombre terrible. Sombre face-à-face des égoïstes et des misérables. Chez les égoïstes, les préjugés, les ténèbres de l’éducation riche, l’appétit croissant par l’enivrement, un étourdissement de prospérité qui assourdit, la crainte de souffrir qui, dans quelques-uns, va jusqu’à l’aversion des souffrants, une satisfaction implacable, le moi si enflé qu’il ferme l’âme ; chez les misérables, la convoitise, l’envie, la haine de voir les autres jouir, les profondes secousses de la bête humaine vers les assouvissements, les cœurs pleins de brume, la tristesse, le besoin, la fatalité, l’ignorance impure et simple[55].
« [Ténèbres] de l’éducation riche » et « ignorance impure et simple » des misérables sont mises en balance et dénoncées comme les deux faces du même problème. Libérale et socialiste, l’école républicaine selon Hugo se voit confier implicitement une tâche qui paraît momentanément insurmontable : « L’idéal est effrayant à voir ainsi perdu dans les profondeurs[56] ».
II. Hussards noirs ou noirs bourreaux ? l’éternelle école buissonnière
L’école-prison
Jacques Seebacher écrivait que, pour Hugo comme Michelet, « l’idéal de l’école est naturaliste, buissonnier, sans coupure aucune du côté des traditions non plus que des aspirations. Et son principal adversaire est le cuistre, enfermé dans la classe-prison, cave pénale où la poésie devient torture, par peur d’en sortir et par révulsion cléricale de toutes les sexualités[57]. » D’ouvrir une école, Hugo passe ainsi à fuir de l’école[58], et presque toujours dans sa poésie, comme si le vers était par définition rétif à l’institution scolaire[59]. Si ce renversement peut s’expliquer d’abord logiquement, dans la mesure où la première cible de Hugo est l’école cléricale[60], la verve satirique du poète s’étend rapidement à tous les pédants et à l’idée même d’un savoir positif.
Ainsi, avant Foucault, Hugo dénonce une école qui n’a pour dessein que « surveiller et punir » ; avant Bourdieu et Passeron, l’Âne s’en prend à l’école des héritiers : « Ils sont le fanatisme, ils sont le préjugé ;/ Durs, ils tiennent l’enfant dans les aïeux plongé », « Jamais de conquérants, toujours des héritiers ;/ Toujours les mêmes pas dans les mêmes sentiers[61] ». A l’Âne, qui attaque le savoir englué dans le passé, celui des héritiers, Kant répond par une critique de l’instruction payante : « Tant [que]/ D’abjects vendeurs pourront, sans être foudroyés,/ Dire au seuil rayonnant des écoles : Payez !/ […]/ Les oreilles de l’âne auront raison dans l’ombre[62] ! »
Dans l’école-prison, les armes favorites du maître-bourreau sont la retenue et les lignes à copier[63]. Cette dernière punition est particulièrement odieuse au poète en ce qu’elle a pour effet de faire haïr la poésie à l’enfant. « Les Griffonnages de l’écolier », dans L’Art d’être grand-père, peignent Charles ayant « fait des dessins sur son livre de classe » au lieu de travailler à son thème latin. Le « censeur du collége », « ce geôlier », surgit et envoie l’écolier en retenue – « Or c’est précisément la récréation » – et l’élève songe alors : « – Suis-je donc en prison[64] ? », avant que Juvénal en personne ne vienne le consoler.
Le plus célèbre poème hugolien sur l’école, « A propos d’Horace » dans Les Contemplations, offre, sur un sujet similaire, une particularité : l’invective contre les pédants y atteint une intensité qu’on ne peut comparer qu’à Châtiments, même si elle est à prendre ici au second degré puisqu’elle est essentiellement prononcée par l’enfant Hugo. Tout y passe, de « Marchands de grec ! marchands de latin ! cuistres ! dogues ! » à « hibou hagard », en passant par « Philistins ! magisters ! […] pédagogues ! », « imbéciles », « gredins », « monstre aux ongles noirs de crasse », « horribles bonshommes,/ Mal peignés, mal vêtus », « lourds pédants », « Grimauds hideux », « cancres », « Eunuques, tourmenteurs, crétins », « vieux », « noirs », « engourdis », « cruches », « endormeurs », « traîtres », « fermoirs de la bible humaine ! sacristains/ De l’art », « Guichetiers de l’esprit, faquins », « porte-clefs de l’azur », « vieux tigre », « metteur de bâillons », « cuistre », « affreux tas de vils pédants iniques », « êtres noirs », « tarentule », « moines », « diacres », « bedeaux dont le groin renifle !/ Crânes d’où sort la nuit, pattes d’où sort la gifle,/ Vieux dadais à l’air rogue », « noirs tessons », « vieux pots égueulés des soifs qu’on ne dit pas », « hurleurs de holà », « ignorantin », « culs de bouteille », « cuistre », « abbé », « magister antique,/ Trop noir pour que jamais le jour y pénétrât », « éternel pédant[65] ».
Si la jouissance manifeste dans l’insulte et la malédiction rappelle Châtiments, c’est aussi le cas de la composition du poème : à la manière de l’itinéraire de « Nox » à « Lux », ce poème de la noirceur pédagogique s’achève sur une « vision sublime » des « Temps futurs[66] » (« Un jour, […] apprendre sera doux » et « l’écolier » sera « ébloui » par l’« aube » et la « clarté sereine ») ; par ailleurs, on retrouve un rapport entre « A propos d’Horace », qui appelle les écoliers à fouailler l’enseignant, et le poème « Le Maître d’études », ode au « Saint et grave martyr », « sublime forçat du bagne d’innocence[67] », qui est analogue à la relation entre « Le bord de la mer », appel au tyrannicide, et « Non » dans Châtiments, comme un ressaisissement du poète, voire, au sens pictural, un repentir[68].
Le poème des Contemplations offre enfin un renversement capital, puisque « cancre » – et dans une moindre mesure « grimaud », qui est un terme polysémique et peut désigner le cuistre comme l’élève des petites classes – n’y désigne plus le dernier de la classe, l’élève paresseux, mais l’enseignant. Jeune homme, Hugo se rêvait enseignant d’un nouveau genre dans le « Discours sur les avantages de l’enseignement mutuel » ; dans Les Contemplations, il se met en scène comme écolier, et transforme ses enseignants en mauvais élèves. Cette inversion des rôles, fréquente chez Hugo, comme lorsque le poète déclare à l’évêque : « Et c’est moi le croyant, prêtre, et c’est toi l’athée[69] », témoigne aussi de sa préoccupation pédagogique.
Les critiques que l’Âne formulera contre l’école concerneront le conservatisme des maîtres-bourreaux (« Pédagogues ! toujours c’est ainsi que vous faites./ Tout l’esprit humain doit se mouler sur vos têtes[70] »), le collège-prison, inséparable du cléricalisme (« Écolâtres, au fond de votre enseignement/ Est Rome, enfermant l’âme en sa funèbre enceinte[71] ») et l’ennui des leçons vides de sens (« Et les cailloux sont doux, et la raclée est bonne/ À côté de ceci : suivre un cours en Sorbonne[72] », et plus loin « Fouaillez-moi, rossez-moi ; mais ne m’enseignez pas./ Gardez votre savoir sans but, dont je suis las[73] »).
« Je m’appelle la mort et je suis la science »
Mais la critique hugolienne, dans L’Âne et ailleurs, ne se borne pas à l’école des abbés. Un fragment écrit vers 1845 interpelle un jeune homme de dix-huit ans : « tu prends un air grave, tu as de grands livres sous le bras, tu vas au collège, […] et tu dis : – Dans un an, j’aurai fait ma philosophie. – Écoute, dans un an tu sortiras du collège et tu entreras dans la vie. […] Un jour enfin tu t’apercevras tout à coup, et comme subitement éveillé, que tes cheveux sont blancs, que ton front est ridé, que tes yeux sont ternis, que ton dos est voûté, que ton pas est pesant, que ta maison est déserte, que tes affections [amours] sont mortes, que ton cœur est vide, et que voici là-bas, déjà parfaitement distincte et visible, et toute grande ouverte, la porte du tombeau […]. Alors, à ce moment suprême, où le plus fort tremble de tous ses membres, où le plus croyant frissonne de toute sa pensée, veux-tu que je te le dise ? tu n’auras pas encore fait ta philosophie[74]. »
Il y a dans ce passage deux critiques de l’éducation : celle du « cuistre », « escargot qui commente les aigles » comme Zoïle critiquant Homère, et celle, plus profonde, qui marque la limitation de la pensée humaine face au problème de l’infini, ou pour le dire sans ambages, de la mort. Le savoir scolaire, abrégé du savoir positif, n’est alors d’aucune utilité. De même, dans le discours contre la loi Falloux, si Hugo ne proscrit pas l’enseignement religieux, il est intéressant de noter que c’est au nom d’une réflexion sur l’espérance : « La mort est une restitution[75]. » Cette critique du savoir positif sera prolongée dans L’Âne et contient le principe qui mine de l’intérieur toute mystique de l’école : l’école ne peut pas tout. Si ouvrir une école c’est fermer une prison, ce n’est pas, ce ne pourra jamais être, fermer le tombeau. Impuissant face à la mort, le savoir positif n’est donc lui-même qu’un savoir de mort, comme l’indique un fragment du poème Dieu : « Je m’appelle la mort et je suis la science[76]. »
Pourtant, loin de nier le désir d’apprendre et de connaître, cette mise en perspective permet d’atténuer le respect excessif qu’inspire l’institution scolaire et de rendre l’éducation à sa nature première, comme pratique concrète de la pédagogie, en un temps et un lieu particuliers.
Où écolier rime avec hallier
Si l’école est la marâtre, la nature est la mère, comme le rappelle le vers final d’« A propos d’Horace » :
Ô nature, alphabet des grandes lettres d’ombres[77] !
L’« éternelle école buissonnière » est une expression qui apparaît à deux reprises dans Les Misérables[78], pour qualifier les amoureux, puis les gamins de Paris : autrement dit, l’école buissonnière n’est pas tant le fait de manquer l’école que de participer d’un milieu, de devenir génie d’un lieu, partie d’une nature, qu’elle soit champêtre ou urbaine. À la question « Des sages ? », le poète répond :
En veux-tu voir, songeur ? Vois ces frais écoliers
Qui s’échappent des bancs et courent aux halliers,
Et vont aux champs, légers, libres, de jeunesse ivres,
Poussant des cris, cueillant des fleurs, jetant les livres[79]
Cela permet de relire différemment le grand poème de l’école buissonnière, « Ce qui se passait aux Feuillantines vers 1813 » et son fameux distique :
J’eus dans ma blonde enfance, hélas ! trop éphémère,
Trois maîtres : – un jardin, un vieux prêtre et ma mère[80].
En effet, ce poème n’est pas tant une première version d’« A propos d’Horace », même si le poète livre le portrait d’un « principal d’un collège quelconque », « fort laid, mais […] stupide », « homme chauve et noir », qu’une profonde méditation sur les liens qu’entretiennent l’esprit et le lieu. Il s’agit de montrer que des milieux divers, d’un côté les « cloîtres profonds », « ennuyeuses prisons », de l’autre les solitudes agrestes, où l’enfant « croissait au hasard », produisent des éducations différentes.
Hugo montre ainsi l’importance pédagogique du lieu : il est mauvais pour l’enfant de le séparer trop tôt de son foyer. Les pensions dénaturent l’élève comme les comprachicos défigureront le petit être. Cette grave question, toujours actuelle, du lieu pédagogique – faut-il soustraire l’enfant à son milieu d’origine ou au contraire l’y laisser ? – fait apparaître des milieux propices et des milieux néfastes. Si le cloître est pernicieux, le jardin est bénéfique :
Et les bois et les champs, du sage seul compris,
Font l’éducation de tous les grands esprits[81] !
Et n’oubliez jamais que l’âme humble et choisie
Faite pour la lumière et pour la poésie,
Que les cœurs où Dieu met des échos sérieux
Pour tous les bruits qu’anime un sens mystérieux,
Dans un cri, dans un son, dans un vague murmure,
Entendent les conseils de toute la nature[82] !
Il existe un troisième environnement, le milieu urbain, c’est-à-dire Paris, qui apparaît comme un milieu ambivalent. Respirer son air rend intelligent, car l’« air qu’on respire, tout est là. […] L’enfant de Paris, même inconscient, même ignorant, car, jusqu’au jour où l’instruction obligatoire existera, il a sur lui une ignorance voulue d’en haut, l’enfant de Paris respire, sans s’en douter et sans s’en apercevoir, une atmosphère qui le fait probe et équitable. Dans cette atmosphère il y a toute notre histoire ; les dates mémorables, les belles actions et les belles œuvres, les héros, les poëtes, les orateurs, le Cid, Tartuffe, le Dictionnaire philosophique, l’Encyclopédie, la tolérance, la fraternité, la logique, l’idéal littéraire, l’idéal social, la grande âme de la France[83]. » Mais, en même temps, la grande cité sécrète la misère. Nous verrons que l’éléphant de la Bastille, dans Les Misérables, sera la représentation d’un lieu pédagogique, éphémère, imparfait, en ruine, mais d’un lieu tout de même qui conserve en son sein l’air de Paris tout en protégeant les enfants des plus graves dangers extérieurs.
III. Le fragile sanctuaire de la connaissance, ou gavroche, lumpen-pédagogue
Les tâtonnements de la pédagogie
Composé à dix-sept ans pour le concours de poésie de l’Académie française, le « Discours sur les avantages de l’enseignement mutuel » évoque une méthode pédagogique anglaise à la mode dans les milieux libéraux, qui consistait à faire instruire, dans une même classe, les moins bons élèves par les meilleurs, sous le contrôle du maître. Le jeune Hugo s’y rêve instituteur :
Enfants, rassurez-vous ; mon front n’est point sévère,
Je veux surtout qu’on m’aime et peu qu’on me révère ;
Je n’aurais pas été ce magister jaloux,
Pédant gonflé de morgue et bouffi de courroux[84]
J’écoute mal un sot qui veut que je le craigne,
Et je sais beaucoup mieux ce qu’un ami m’enseigne[85].
L’enseignement mutuel, fondé sur la « force de l’exemple, invincible magie[86] », est comparé à la fois à une société de cour parfaitement réglée dont l’instituteur est le « Roi », dispensant « les rangs et les emplois », et à une société militaire, fondée sur l’émulation ; mais il s’agit en un sens moins de comparaisons et de métaphores que de jeux de rôles semblables à ceux que pratiquent déjà les enfants dans les cours de récréation. Cette pédagogie de l’exemple, de l’entraide et de l’émulation est d’abord une pédagogie ludique : le « temple de l’étude » devient ruche où bourdonne un « essaim joyeux[87] ». Or la parution du poème dans Le Conservateur littéraire, l’année suivante, est précédée d’une note qui en loue la forme et en critique le fond, précisant que « de mûres réflexions et une observation mieux entendue de la méthode mutuelle [ont] déjà fait presque revenir » l’auteur à des idées plus traditionnelles. Même s’il s’agit sans doute là de mieux faire accepter ce poème aux lecteurs du journal, il n’en reste pas moins que l’incertitude, d’emblée, est de mise lorsqu’il s’agira pour Hugo de définir une pédagogie concrète.
Ces tâtonnements persisteront chez lui, comme en témoigne un fragment pédagogique des années 1860-1865 sur l’éducation des femmes », « le plus délicat et le plus profond des problèmes sociaux » :
La femme ignorante est un écueil, la femme savante en est un autre. […] La femme bestiale ennuie, la femme masculine déplaît. […] L’érudition est un poids, la pédagogie est un fardeau. […] L’homme veut la femme femme. Il a raison. De là le problème, quelle sera l’éducation ?
Il faut que la femme reste femme et soit intelligence. Ni illettrée, ni érudite. […] Savoir tout ; impossible. Savoir les mêmes choses que l’homme, à quoi bon ? Qu’est-ce que la femme ? Le complément de l’homme. La solution du problème est là. Donnez à la femme, non une éducation plagiat, mais une éducation complément. L’homme passe dix ans dans les collèges ; les méthodes sont informes, les classiques sont arbitraires, le professorat a sur les yeux un bandeau de préjugés, mais en somme ce que l’enfant apprend est nécessaire. L’apprentissage du latin et du grec, c’est la première heure de la vie donnée à l’idéal ; ne la regrettez pas. L’idéal est un lest généreux. Le reste de l’existence n’appartiendra que trop aux bas côtés de la destinée. […] L’homme sort du collège […]. Il passe la Manche, il entre dans Londres, on lui parle une langue inconnue, il n’entend pas et ne peut répondre. Le voilà sourd muet. C’est à cette sortie du collège qu’il rencontre la femme, sa compagne sur cette terre, son enchantement, son point d’appui. Si elle sait ce qu’il sait, elle lui est inutile ; si elle sait ce qu’il ignore, quel doux et gracieux secours ! il sait le latin, elle sait l’anglais. Il a la sciences des chiffres et des textes ; elle a la science des fleurs, des insectes, des oiseaux, des étoiles. Il est plus près de la poésie, elle est plus près de la musique. [L]’homme explique les abeilles de Virgile à la femme qui lui explique les abeilles de la ruche. […] De cette façon l’homme trouve la vraie femme. Ignorante, non. Savante, oui. Mais charmante[88].
Au-delà d’une indéniable misogynie d’époque et de classe que Hugo se gardera bien de formuler ouvertement dans ses écrits[89], c’est le rapport avec Rousseau, précurseur de la pédagogie moderne, qu’il est plus intéressant d’étudier. En passant de l’enseignement mutuel à l’enseignement complémentaire, Hugo confie à la jeune fille les savoirs pratiques – « fleurs », « insectes », « oiseaux », « étoiles » – qui constituaient l’apprentissage d’Émile chez Rousseau[90], en y ajoutant l’apprentissage des langues étrangères. Même si Hugo ne précise pas si ces savoirs sont entièrement acquis selon les principes de l’éducation négative chers à l’auteur de L’Émile, il opère ainsi une véritable division du travail pédagogique entre les deux sexes, qui permet de tenir compte des apports de Rousseau sans abandonner les humanités classiques[91]. Contrairement à Rousseau, chez qui « toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes[92] », chez Hugo la complémentarité est active et dans les deux sens.
Ainsi, la pédagogie se cherche sans cesse chez Hugo, mais maintient trois soucis constants : user de méthodes novatrices, protéger la nature de l’élève (l’enfant, la future femme), prodiguer l’affection en même temps que l’instruction. Ces trois caractéristiques de la pédagogie hugolienne – innovation, protection, affection – se résument en un animal-totem qui hante sa poésie et sa mythologie, l’éléphant.
Mammouths troublant l’ordre et éléphants anarchistes
Lorsqu’il veut montrer que la nature est capable d’innover, contrairement aux pédants et aux pédagogues, l’Âne prend notamment l’exemple suivant :
Dans la matière, encor, passe ; on peut innover ;
Il est permis d’aller, de chercher, de trouver
[…]
Des mammouths troublant l’ordre, et dans les grès, les schistes
Et les gneiss, des fémurs d’éléphants anarchistes[93]
Énorme, littéralement hors norme, l’éléphant est un être à part dans la création, comme le mammouth se tient hors de l’histoire, dans une préhistoire qui a les couleurs du rêve et de la chimère. Cette monstruosité pachydermique est présente chez Hugo dès Cromwell, lorsque Carr évoque le « char pyramidal » de « Sennacherib », « d’éléphants attelé », et traînant après lui :
[…] six cents éléphants, mouvantes forteresses,
Qui, dans les légions déchaînant leurs pas lourds,
Sur leurs dos monstrueux faisaient bondir des tours.
Ce n’était que chameaux, buffles, zèbres, molosses,
Mammons [c’est-à-dire Mammouths], d’un monde éteint prodigieux colosses[94]
Trente-cinq ans plus tard, l’éléphant de la Bastille constituera à son tour un espace hors société dans Les Misérables.
De l’éléphant, Hugo retient autant les défenses que la trompe : ainsi, défenseur inexorable du droit de l’enfant, le poète fait de l’éléphant le protecteur par excellence du petit être. C’est ce qu’indiquent deux rimes révélatrices, celle d’« enfant » avec « éléphant », complétée par celle d’« enfant » avec « je défends » (ou d’« enfance » avec « défense »). Dans Les Quatre vents de l’esprit :
Je suis haï. Pourquoi ? Parce que je défends
Les faibles, les vaincus, les petits, les enfants[95].
Dans Toute la lyre :
[…] et jamais l’éléphant
N’a peur, pourvu qu’il soit conduit par un enfant[96].
Dans « Le poëme du Jardin des plantes » de L’Art d’être grand-père :
Je vais dans ce jardin parce que cela plaît
À Jeanne, et que je suis contre elle sans défense.
J’y vais étudier deux gouffres, Dieu, l’enfance[97].
Et plus loin :
Que les rhinocéros et que les éléphants
Sont évidemment faits pour les petits enfants[98].
Dans William Shakespeare, Eschyle est rapproché de l’éléphant d’Asie, ce qui donne lieu à une digression sur le rôle protecteur du pachyderme :
Le gigantesque théâtre eschylien était comme chargé de surveiller le bas âge des colonies. [Il] les maintenait dans le cercle hellénique.
Dans l’Inde, on donne volontiers les enfants à garder aux éléphants. Ces bontés énormes veillent sur les petits. Tout le groupe des têtes blondes chante, rit et joue au soleil sous les arbres. L’habitation est à quelque distance. La mère n’est pas là. Elle est chez elle, occupée aux soins domestiques, inattentive à ses enfants. Pourtant, tout joyeux qu’ils sont, ils sont en péril. Ces beaux arbres sont des traîtres. Ils cachent sous leur épaisseur des épines, des griffes et des dents. Le cactus s’y hérisse, le lynx y rôde, la vipère y rampe. Il ne faut pas que les enfants s’écartent. Au-delà d’une certaine limite, ils seraient perdus. Eux cependant vont et viennent, s’appellent, se tirent, s’entraînent, quelques-uns bégayant à peine et tout chancelants encore. Parfois un d’eux va trop loin. Alors une trompe formidable s’allonge, saisit le petit, et le ramène doucement vers la maison[99].
Enfin, l’affection de l’éléphant pour l’enfant et de l’enfant pour l’éléphant repose sur la complémentarité du gigantesque et du minuscule qui n’est pas sans rappeler la proximité du poème et de l’écolier dans « Les Griffonnages de l’écolier » : « C’est un géant ayant sur l’épaule un marmot[100]. » Dans « Ce que dit le public », l’enfant de « Six ans » déclare ainsi : « Moi, j’aime l’éléphant, c’est gros[101]. » La fascination de l’enfant pour l’animal est celle du petit pour le grand et de l’innocent pour le monstrueux. Ainsi la visite du « Jardin des plantes » dans L’Art d’être grand-père constitue une indispensable leçon de choses, et relève de la pédagogie, ce que l’on appellerait aujourd’hui une activité d’éveil : « Un immense besoin d’étonnement, voilà/ Toute l’enfance[102] ».
L’éléphant constitue donc, au sens de ce que Pierre Albouy a nommé la « création mythologique » chez Victor Hugo, un mythe hugolien de l’éducation, qui s’épanouira dans Les Misérables. Il a toutefois des racines profondes, dans l’antiquité grecque et romaine comme dans les mythologies orientales, et des retours inattendus, comme ce « mammouth » qu’un récent ministre de l’Éducation nationale se proposait de « dégraisser ». Ainsi, dans la bibliothèque de Hugo à Hauteville-House figurent les Observations physiques et morales sur l’instinct des animaux, leur industrie et leurs mœurs de Hermann Samuel Reimarus[103] où l’on lit que l’« éléphant, qui, en proportion de sa grandeur, a très-peu de cervelle, est cependant très-spirituel de sa nature, & très-susceptible d’instruction[104]. »
Tout en étant symbole de force guerrière (que l’on songe à Alexandre ou Hannibal), l’éléphant est, en effet, très tôt chez les naturalistes classiques un parangon d’intelligence et d’instruction. Pour Aristote, de « tous les animaux sauvages, le plus facile à apprivoiser et le plus doux, c’est l’éléphant. On peut lui apprendre une foule de choses, qu’il comprend, puisqu’on l’instruit même à se prosterner devant le Roi. Il a des sens exquis ; et il a d’ailleurs une intelligence supérieure à celle des autres animaux[105]. » Pline l’Ancien ajoute, dans son Histoire naturelle :
L’éléphant est le plus grand [des animaux terrestres], et celui dont l’intelligence se rapproche le plus de celle de l’homme ; car il comprend le langage du lieu où il habite ; il obéit aux commandements ; il se souvient de ce qu’on lui a enseigné à faire ; il éprouve la passion de l’amour et de la gloire ; il possède, à un degré rare même chez l’homme, l’honnêteté, la prudence, la justice ; il a aussi un sentiment religieux pour les astres, et il honore le soleil et la lune.
[…]
Un éléphant, d’une intelligence trop lente à retenir ce qu’on lui enseignait, ayant été plusieurs fois fustigé, fut trouvé (c’est un fait certain) répétant la nuit sa leçon. […] Mucianus, trois fois consul, rapporte qu’un éléphant avait appris à tracer les caractères grecs […].
L’éléphant a, dit-on, tant de douceur à l’égard de plus faible que lui, qu’au milieu d’un troupeau de menu bétail il écarte avec sa trompe les animaux qui sont devant lui, de peur d’en écraser quelqu’un par mégarde[106] […].
Buffon, enfin, a consacré des dizaines de pages à l’éléphant : « Les Asiatiques, très-anciennement civilisés, se sont fait une espèce d’art de l’éducation de l’éléphant, et l’ont instruit et modifié selon leurs mœurs[107]. » Cet « animal est supérieur aux autres par l’intelligence, malgré l’énormité de sa masse, malgré la disproportion de sa forme ; car l’éléphant est en même temps un miracle d’intelligence et un monstre de matière[108] ». Il insiste sur son amour des enfants, citant le marquis de Montmirail :
Un éléphant venait de se venger de son cornac en le tuant ; sa femme, témoin de ce spectacle, prit ses deux enfans et les jeta aux pieds de l’animal encore tout furieux, en lui disant : Puisque tu as tué mon mari, ôte-moi aussi la vie, ainsi qu’à mes enfans. L’éléphant s’arrêta tout court, s’adoucit, et comme s’il eût été touché de regret, prit avec sa trompe le plus grand de ces deux enfans, le mit sur son cou, l’adopta pour son cornac et n’en voulut point souffrir d’autre[109].
Enfin, Buffon rapporte à la même page une scène qui semble annoncer Gavroche abrité dans le ventre de l’éléphant : « Un soldat de Pondichéri […] se voyant poursuivi par la garde, qui le vouloit conduire en prison, se réfugia sous l’éléphant et s’y endormit. Ce fut en vain que la garde tenta de l’arracher de cet asile ; l’éléphant le défendit avec sa trompe. »
Si les animaux sont essentiels à la poétique éducative de Hugo, c’est que le problème de l’éducation et de la pédagogie conduit le poète à s’interroger sur ce qui constitue l’homme, ce qui fait l’humain, et donc naturellement à le rapprocher et à le distinguer de l’animal. Dans le bestiaire scolaire hugolien, digne de La Fontaine, si le cancre, c’est-à-dire le crabe, avec ses pinces et sa démarche oblique, représente le pédant et appartient à la satire ; si l’âne permet de faire l’éloge de la bêtise contre le savoir humain et relève plus proprement de la fable[110] ; l’éléphant, avec son énormité, ses défenses, sa trompe et son intelligence, incarne l’intangibilité du droit de l’enfant à la vie et à l’éducation. De ce point de vue, Hugo reste encore partiellement tributaire de la représentation classique de l’éléphant ; c’est en transformant ce symbole de force formidable en abri fragile et temporaire qu’il crée un mythe original, proprement hugolien, de l’éducation moderne.
Gavroche-Ganesh
Si le projet napoléonien d’une fontaine en forme d’éléphant, place de la Bastille, ne fut jamais achevé, un modèle grandeur nature y fut élevé en 1814, avant d’être détruit un peu plus de trente ans plus tard. C’est à l’intérieur du ventre de cet éléphant que Gavroche accueille ses deux petits frères et se consacre brillamment, quoique brièvement, à « l’instruction de ces êtres en bas âge[111] ».
C’est donc ici que le programme hugolien – ouvrir une école, c’est fermer une prison – va être appliqué à la lettre, puisque à l’endroit où la Révolution a fermé la prison par excellence, la Bastille, Gavroche va ouvrir une école pachydermique. Élèves et professeur deviennent ainsi, selon une expression empruntée au célèbre conte de Rudyard Kipling, chère à Nathalie Sarraute[112] et que ne renierait pas Hugo, des enfants d’éléphant.
Espace à part, énigmatique, le ventre de l’éléphant est pourtant présenté par Gavroche comme une évidence, un lieu dénué de la moindre bizarrerie, comme en témoigne son dialogue avec Montparnasse :
– Et où loges-tu ?
– Dans l’éléphant.
– Dans l’éléphant ?
– Eh bien oui, dans l’éléphant ! repartit Gavroche. Kekçaa[113] !
Ce refuge, accessible grâce à un trou pratiqué entre les jambes de devant, est en ruine, des plâtras se détachent des ses flancs et, quoique « symbole de la force populaire », il n’en a pas moins « quelque chose d’une ordure qu’on va balayer et quelque chose d’une majesté qu’on va décapiter[114] ».
Gavroche ne se contente pas d’y donner une leçon d’argot. Il présente tout un programme scolaire, ajoutant à la leçon d’argot une leçon de choses et une leçon de morale. Il promet des sorties culturelles (au théâtre, à l’opéra, chez le bourreau). C’est ainsi que « cette petite providence en guenilles[115] », comme l’appelle Hugo, fonde en quelque sorte une de ces ragged schools dont parle Dickens et qu’évoque un passage de L’Archipel de la Manche, le livre liminaire des Travailleurs de la mer : « Les enfants pauvres ont des écoles gratuites officiellement qualifiées Écoles des Déguenillés (Raggeds’ schools)[116]. » L’école de Gavroche est très exactement une école déguenillée, et Gavroche, lumpen-prolétaire, est aussi un lumpen-pédagogue, un pédagogue en haillons.
Par ce mythe pédagogique à la fois grotesque et sublime, Hugo retrouve, en connaissance de cause ou non[117], l’un des dieux principaux du panthéon hindou. Ganesh est, en effet, le dieu à tête d’éléphant de l’éducation, du savoir et de l’intelligence, patron des écoles. Mais ce dieu intercesseur est un aussi un enfant insolent, un gavroche hindou : Shiva, de retour d’une longue absence, trouve un jeune homme, conçu par sa compagne Parvati seule, qui lui barre l’entrée de sa demeure ; furieux, Shiva lui coupe la tête, qui roule au loin ; s’apercevant de son erreur, il promet à Parvati de la remplacer par la tête de la première créature venue – ce sera l’éléphant.
Comme le mammouth, Ganesh est rouge. Son véhicule est une souris, ce qui fait songer au « candélabre » de fortune de Gavroche, que le narrateur appelle « le rat de cave[118] ». Du reste, les enfants-éléphants ne sont pas rares dans les fables, mythes et récits de prodiges, ainsi Plutarque, dans ses Vies parallèles, en évoque un, entre autres signes défavorables à l’aube d’une bataille entre Marcellus et Hannibal : « dans [le temple] de Jupiter, des rats avaient rongé de l’or ; on disait aussi […] qu’un enfant était né avec une tête d’éléphant[119] ».
Le mythe moderne créé par Hugo fait aussi bien écho au dieu hindou de l’éducation, hybride mi-enfant, mi-éléphant, qu’au topos classique du pachyderme savant, protecteur des petits. Ce mythe hugolien est celui d’une école libératrice et précaire, improvisée par un enfant à l’intérieur d’un éléphant de plâtre et de bois, et placée dans un lieu qui rappelle à la fois une prison et une révolution. Si « L’école est sanctuaire autant que la chapelle[120] », comme le rappelle un vers des Quatre Vents de l’esprit, c’est un sanctuaire fragile, peut-être monstrueux, où le miracle pédagogique ne tient qu’à un fil, peut-être un de ces « bouts de ficelle trempés dans la résine qu’on appelle rats de cave ».
Conclusion : L’éducation et le problème du mal
Ainsi, l’école et l’éducation nationale, instituées par l’État pour intégrer le peuple à l’ordre social, sont les signes d’un besoin de transcendance. Mais la critique des pédants et l’éloge de l’école buissonnière viennent rappeler une forme d’immanence, la nécessaire prise en compte de la nature de l’enfant. Hugo, il est peut-être utile de le rappeler, n’est pas un traditionaliste républicain avant l’heure, fanatique de l’école ; le point de vue de l’auteur des Misérables n’est pas forcément celui d’Enjolras. En ces temps de polémiques virulentes, la relecture de Hugo permettrait sans doute de dépassionner les questions scolaire et pédagogique. Mais ces passions contemporaines mêmes, « Le poëme du Jardin des plantes » ne les explique-t-il pas, quand il suggère que les animaux, réincarnations possibles des hommes méchants, sont, face aux enfants, des démons apercevant des anges, un enfer voyant un bout du paradis ? En effet, l’enfance est, ou devrait être, la bonté pure, que l’enseignement aide, ou devrait aider, à croître. Or, quand ce paradis se révèle enfer, quand la monstruosité semble l’emporter chez le jeune être, quand l’enseignement augmente le mal au lieu de le guérir, un désarroi immense frappe l’État comme la société civile : l’enfant, c’est-à-dire l’avenir, disait Hugo, mais il ajoutait ailleurs l’avenir arrivera-t-il ?
Par delà le discours politique et l’activité militante, l’œuvre de Hugo – poèmes et romans –dit que l’école ne nous délivrera pas du mal, pas plus qu’elle ne nous guérira de la mort.
À l’école des ignorantins du bagne de Toulon, Jean Valjean, en apprenant « à lire, à écrire, à compter », apprend à « fortifier sa haine » : « Dans de certains cas, dit Hugo, l’instruction et la lumière peuvent servir de rallonge au mal[121]. » Inversement, témoin Mirabeau, une mauvaise éducation peut engendrer, dans des conditions historiques données, un génie[122]. Pour Jean Valjean, c’est la rencontre avec un évêque et avec un petit savoyard qui produiront en lui la vraie commotion intellectuelle et morale, le véritable apprentissage. L’« éducation de l’intelligence » se fait par l’exemple et l’expérience seulement, par ce que Hugo appelle le « malheur[123] » à propos de Jean Valjean. Mais mettons Montparnasse à la place de Jean Valjean, Jean Valjean dans le rôle de Monseigneur Myriel, la bourse qu’il donne à Montparnasse au lieu des chandeliers qu’il avait reçus de l’évêque, Gavroche remplaçant le petit savoyard : nulle commotion, point de réveil de l’intelligence, aucune tempête sous un quelconque crâne. Bref, ce qui avait réussi dans la première partie du roman manque à la quatrième : en pédagogie, nulle méthode n’est infaillible, la moindre modification des conditions de départ perturbe le résultat final. Si l’orateur a des certitudes politiques, le poète, lui, contemple l’enfant et l’animal, le jardin et la masure, le mal qui se corrige et le bien qui se pervertit – et demeure pensif.
[1]. La question est posée à deux reprises, en 1929 par Paul Fleury et 1934 par M. L., dans L’intermédiaire des chercheurs et curieux (Paris, Benjamin Duprat) et reste sans réponse, voir les n° 1705, vol. 92, 20-30 avril 1929, p. 336 et n° 1814, vol. 97, 30 juin 1934, p. 525. Plus récemment, lors de la séance du 5 février 1994 du Groupe Hugo (Université Paris 7, Équipe XIXe siècle), Annette Rosa, par l’entremise d’Arnaud Laster, pose à nouveau la question, voir compte rendu en ligne : <http://www.groupugo.univ-paris-diderot.fr/Groupugo/94-02-05.htm>.
[2]. « Déjà M. Duruy avait posé en fait, qu’ouvrir une école, c’est fermer une prison. » (« Chronique économique » du Journal des économistes. Revue de la Science économique et de la statistique, 2e série, 12e année, t. 45, janvier-mars 1865, Librairie de Guillaumin et Cie, Société d’économie politique de Paris, Société de statistique de Paris, p. 489)
[3]. Voir la première note : « Chaque école qui s’ouvre, c’est une prison qui se ferme ». – J’ai trouvé cette phrase dans un discours prononcé par Achille Jubinal, député des Hautes-Pyrénées, à la Société académique de Tarbes (28 novembre 1868)./ Or, cette formule est souvent attribuée à Victor-Hugo. Lequel l’a emprunté à l’autre ?/ Paul Fleury. »
[4]. « “L’instruction moralise, dit-on ; le nombre des délits et des crimes est en proportion de l’ignorance. Ouvrir une école, c’est fermer une prison.” – A la bonne heure. » (Charles Douniol, « De l’instruction primaire en France », Le Correspondant, t. 78, nouvelle série t. 42, 1869, 4e livraison, 25 mai 1869, p. 645). L’auteur s’exprime, dans cette revue catholique, contre la « doctrine de l’obligation », c’est-à-dire l’école obligatoire, car, entre autres, l’instituteur aurait alors une « clientèle […] assurée » et se dispenserait de faire des efforts.
« On », dans la citation de Douniol, n’est pas forcément Hugo, et la formule semble déjà constituer un slogan anonyme dans l’air du temps en 1869. Pour preuve, ces vers d’un obscur poète, lauréat de la Ville de Paris, dans une plaquette de vers imprimée en 1870 : « Vaillants instituteurs, pionniers de l’avenir,/ Le peuple vous devra son triomphe à venir ;/ Car vous achèverez la tâche commencée,/ En assurant, chez lui, l’essor de la pensée !/ Édifier l’école et fermer la prison,/ C’est affranchir l’esprit pour venger la raison ! » (Auguste Brun, Les gloires de l’avenir, Librairie Arnauld de Vresse, Paris, 1870, p. 11)
De même : « Nos écoles […] justifieront cette belle pensée de je ne sais plus quel auteur : “Ouvrir une école, c’est fermer une prison.” Et ce sera encore une économie. » (La Revue pédagogique, vol. 8, 1ère partie, Charles Delagrave, 1886). « Je ne sais plus quel auteur », un an après la mort de Hugo et, qui plus est, dans une publication pédagogique, ce ne saurait être l’auteur du grand discours sur « La liberté de l’enseignement » du 15 janvier 1850.
[5]. « C’est encore à un lord, – lord Macaulay, si je ne me trompe, – qu’appartient la paternité de cette autre formule : “Ouvrir une école, c’est fermer une prison.” » (Franck d’Arvert, « L’école et la nation. Notes sur l’histoire nationale et pédagogique de la Suisse », Revue internationale de l’enseignement, Société de l’Enseignement supérieur, t. 12, juillet-décembre 1886, Armand Colin, Paris, p. 22). Cependant, les publications de langue anglaise du début du XXe siècle attribuent généralement la formule à Hugo, sans référence à Macaulay.
[6]. Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, t. VII, Paris, 1870, p. 109 et t. XIII, 1875, p. 169.
[7]. Victor Hugo, « Préface », Le Dernier jour d’un condamné, Œuvres complètes, sous la dir. de Jacques Seebacher et Guy Rosa, Roman I, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1985, p. 406. Toutes les citations du présent article proviennent de l’édition « Bouquins », 1985-1990.
[8]. Claude Gueux, Roman I, p. 878.
[9]. Choses vues, « Le temps présent II, 1845-1846 », Histoire, p. 956.
[10]. « Écrit après la visite d’un bagne » (titre original : « Enseignement gratuit et obligatoire »), Les Quatre Vents de l’esprit, I, 24, Poésie III, p. 1152.
[11]. « Écrit en 1846 », Les Contemplations, V, 3, Poésie II, p. 430.
[12]. Les Misérables, I, 1, 4, Roman II, p. 14.
[13]. Les Misérables, IV, 7, 2, Roman II, p. 784.
[14]. « Les Fleurs », V, Proses philosophiques de 1860-1865, Critique, p. 543.
[15]. « Les Fleurs », IX, Proses philosophiques de 1860-1865, Critique, p. 559.
[16]. William Shakespeare, II, 5, 2, Critique, p. 390. Il est question de l’enseignement dans la même page.
[17]. Paris, I, Politique, p. 5.
[18]. « Les deux trouvailles de Gallus », I, « Margarita, comédie », 1, Les Quatre Vents de l’esprit, II, Poésie III, p. 1204.
[19]. « Jolies femmes », Les Quatre Vents de l’esprit, I, 18, Poésie III, p. 1147.
[20]. « Expulsé de Belgique », L’Année terrible, « Mai », VI, Poésie III, p. 124.
[21]. « Les siècles sont au peuple ; eux, ils ont le moment… », op. cit., « Mai », II, p. 111.
[22]. Claude Gueux, Roman I, p. 876.
[23]. Les Misérables, III, 4, 1, Roman II, p. 517.
[24]. Les Misérables, IV, 1, 4, Roman II, p. 664.
[25]. Choses vues, « Le temps présent II, 1845-1846 », Histoire, p. 955.
[27]. « Les Fleurs », IX, Proses philosophiques de 1860-1865, Critique, p. 559.
[28]. L’ouvrage de Jean-Marc Hovasse fourmille de renseignements précieux à ce sujet, voir Victor Hugo. Tome I. Avant l’exil (1802-1851), Paris, Fayard, 2001. Geraud Venzac avait consacré une monographie aux Premiers maîtres de Victor Hugo (Paris, Bloud & Gay, 1955) : il y montrait que Victor Hugo fut d’abord « un élève docile et un bon élève », sous l’influence d’une mère à la fois dévouée et dotée d’une « volonté de fer » (p. 449). Mais si la famille – ou plutôt sa mère – apprit à Victor Hugo « la discipline, l’ordre et la soumission » (p. 450), la pension fut pour lui une école du vice : envoyé par son père, le général Hugo, en « prison » (p. 69) chez Cordier, le futur poète connut les débuts de sa profonde révolte spirituelle contre l’ordre établi. Cette révolte devait commencer par prendre la double forme de l’insolence envers les maîtres et de la tentation de l’école buissonnière.
[29]. Jean-Marc Hovasse, op. cit., p. 103.
[32]. Titre de l’article de Marie-Christine Bellosta, « Hugo, militant de l’école républicaine » dans Victor Hugo et l’école, actes du colloque organisé le 18 mai 1985 à l’Université de Caen par l’Institut national de recherche pédagogique et le Centre de recherche sur la modernité, INRP, 1986, p. 13-36.
[33]. Mes Fils, I, Politique, p. 47-48.
[34]. Romantisme, vol. 18, n° 60, 1988, p. 125.
[35]. Les Misérables, III, 4, 1, Roman II, p. 514.
[37]. Ibid., p. 517. À ceci près : « Il s’était enseigné à lui-même à lire et à écrire ; tout ce qu’il savait, il l’avait appris seul » – les grandes leçons, qu’elles soient de lettres ou de choses, chez Hugo, sont apprises sans précepteur (ou du moins, si une rencontre initiale avec le « maître » est déterminante, sans répétiteur), du « Discours sur les avantages de l’enseignement mutuel » à Jean Valjean et à Gavroche.
[38]. Les Misérables, V, 1, 5, Roman II, p. 941.
[40]. « I, Dicté après juillet 1830 », Les Chants du crépuscule, Poésie I, p. 684.
[41]. Quatrevingt-treize, II, 1, 1, Roman III, p. 860.
[42]. Quatrevingt-treize, II, 3, 1, 9, Roman III, p. 904.
[43]. « La liberté de l’enseignement », 15 janvier 1850, Actes et Paroles, I, Politique, p. 217.
[44]. « [Je] veux, je le déclare, la liberté de l’enseignement ; mais je veux la surveillance de l’État, et comme je veux cette surveillance effective, je veux l’État laïque, purement laïque, exclusivement laïque. » (ibid., p. 218) Voir aussi Paris et Rome, V : « Maintenant, entre ces deux sortes d’hommes, ceux de Paris [qui épargnent Hugo en 1848] et ceux de Bruxelles [qui le lapident en 1871], quelle différence y a-t-il ?/ Une seule. L’éducation./ […] De là, la nécessité de surveiller cet enseignement. » (Actes et paroles, III, Politique, p. 711)
[45]. Le souci des programmes et des manuels (en l’occurrence, d’histoire) apparaît dans William Shakespeare : « Cette histoire-là, on l’enseigne, on l’impose, on la commande et on la recommande, toutes les jeunes intelligences en sont plus ou moins infiltrées, la marque leur en reste, leur pensée en souffre et ne s’en relève que difficilement, on la fait apprendre par cœur aux écoliers, et moi qui parle, enfant, j’ai été sa victime./ Dans cette histoire il y a tout, excepté l’histoire. Étalages de princes, de “monarques”, et de capitaines ; du peuple, des lois, des mœurs, peu de chose ; des lettres, des arts, des sciences, de la philosophie, du mouvement de la pensée universelle, en un mot, de l’homme, rien. La civilisation date par règnes et non par progrès. Un roi quelconque est une étape. Les vrais relais, les relais de grands hommes, ne sont nulle part indiqués. » (William Shakespeare, III, 3, 3, Critique, p. 449)
[46]. Il existe deux « ministère[s] socialiste[s] par excellence », l’un aboli et l’autre mis en danger par « M. Bonaparte » : le « ministère de l’agriculture et du commerce » et « le ministère de l’instruction publique ». « Le point de départ du socialisme, c’est l’éducation, c’est l’enseignement gratuit et obligatoire, c’est la lumière. […] Que fait M. Bonaparte ? il persécute et étouffe partout l’enseignement. Il y a un paria dans notre France d’aujourd’hui, c’est le maître d’école./ Avez-vous jamais réfléchi à ce que c’est qu’un maître d’école, à cette magistrature où se réfugiaient les tyrans d’autrefois comme les criminels dans un temple, lieu d’asile ? Avez-vous jamais songé à ce que c’est que l’homme qui enseigne les enfants ? Vous entrez chez un charron, il fabrique des roues et des timons ; vous dites : C’est un homme utile ; vous entrez chez un tisserand, il fabrique de la toile ; vous dites : C’est un homme précieux ; vous entrez chez un forgeron, il fabrique des pioches, des marteaux, des socs de charrue ; vous dites : C’est un homme nécessaire ; ces hommes, ces bons travailleurs, vous les saluez. Vous entrez chez un maître d’école, saluez plus bas ; savez-vous ce qu’il fait ? il fabrique des esprits./ Il est le charron, le tisserand et le forgeron de cette œuvre dans laquelle il aide Dieu : l’avenir. » (Napoléon le petit, II, 11, Histoire, p. 40) Dans Les Misérables, Jean Valjean alias M. Madeleine, déclare que « Les deux premiers fonctionnaires de l’état, c’est la nourrice et le maître d’école. » (Les Misérables, I, 5, 2, Roman II, p. 129)
[47]. « La Civilisation », Proses philosophiques de 1860-1865, Critique, p. 607.
[48]. « Dossier des Misérables », II, « Ébauches pour la cinquième partie », 13417 f° 50, 128/470, Chantiers, p. 830.
[49]. Claude Gueux, Roman I, p. 879.
[50]. William Shakespeare, II, 5, 7, Critique, p. 396.
[51]. Marie-Christine Bellosta, op. cit., p. 23.
[52]. Claude Gueux, Roman I, p. 878.
[53]. Ainsi le Journal des idées et des opinions d’un révolutionnaire de 1830 exprimait-il une certaine méfiance envers le peuple, qu’il s’agissait en quelque sorte de dépopulariser, de polir : « Il faut donc, on ne saurait trop insister sur ce point, éclairer le peuple pour pouvoir le constituer un jour. Et c’est un devoir sacré pour les gouvernants de se hâter de répandre la lumière dans ces masses obscures où le droit définitif repose. Tout tuteur honnête presse l’émancipation de son pupille. Multipliez donc les chemins qui mènent à l’intelligence, à la science, à l’aptitude. La Chambre, j’ai presque dit le trône, doit être le dernier échelon d’une échelle dont le premier échelon est une école./ Et puis, instruire le peuple, c’est l’améliorer ; éclairer le peuple, c’est le moraliser ; lettrer le peuple, c’est le civiliser. Toute brutalité se fond au feu doux des bonnes lectures quotidiennes. Humaniores litteræ. Il faut faire faire au peuple ses humanités./ Ne demandez pas de droits pour le peuple, tant que le peuple demandera des têtes. » (Littérature et philosophie mêlées, Critique, p. 131)
[54]. William Shakespeare, II, 5, 2, Critique, p. 391.
[55]. Les Misérables, IV, 7, 4, Roman II, p. 792.
[57]. « Présentation » de Victor Hugo et l’école, actes du colloque organisé le 18 mai 1985 à l’Université de Caen par l’Institut national de recherche pédagogique et le Centre de recherche sur la modernité, INRP, 1986, p. 9.
[58]. Aux deux premiers sens d’« école », l’établissement d’enseignement et la doctrine, s’ajoute donc ici le troisième : la doxa. On en trouve une critique dans William Shakespeare, II, 4, 6 : « Mais d’abord définissons cette expression, l’école. Quand nous disons l’école, que faut-il sous-entendre ? Indiquons-le. L’école, c’est la résultante des pédantismes ; […] l’école, c’est l’orthodoxie classique et scolastique à enceinte continue, l’antiquité homérique et virgilienne exploitée par des lettrés fonctionnaires et patentés, une espèce de Chine soi-disant Grèce ; l’école, c’est, résumées dans une concrétion qui fait partie de l’ordre public, toute la science des pédagogues, toute l’histoire des historiographes, toute la poésie des lauréats, toute la philosophie des sophistes, toute la critique des magisters, toute la férule des ignorantins » (Critique, p. 386).
[59]. Hugo semble d’ailleurs avoir entrevu l’affadissement que subiraient ses vers lorsqu’il deviendrait poète officiel et réservoir de récitations de la IIIe République : « On emploie à tracer des distiques moraux,/ Dignes d’être scandés aux écoles primaires,/ Les doigts, qui caressaient la gorge des chimères » (« Charle, il faut quitter l’ode et descendre à l’épître… », Dernière Gerbe, 20, Poésie IV, p. 824).
[60]. Hugo s’obstine à soutenir qu’il a eu pour précepteur un ancien prêtre et qu’il a subi l’influence néfaste de l’éducation cléricale, or dans sa biographie Jean-Marc Hovasse montre que ce n’est pas le cas : « Avoir été enseigné dans sa première enfance par un prêtre [c’est], dans des conditions que ni l’enfant ni le prêtre n’ont choisies, une rencontre malsaine de deux intelligences, l’une petite, l’autre rapetissée, l’une qui grandit, l’autre qui vieillit. […] Une âme d’enfant peut se rider de toutes les erreurs d’un vieillard. » (Le Droit et la Loi, IV, Actes et Paroles, I, Politique, p. 69-70)
[61]. L’Âne, I, 8, Poésie III, p. 1080.
[62]. L’Âne., II, Poésie III, p. 1108.
[63]. C’est ce que Claude Millet a nommé le « thème du pensum » dans la poétique hugolienne (L’Âne, n. 6, Poésie III, p. 1449).
[64]. « Les Griffonnages de l’écolier », L’Art d’être grand-père, VIII, Poésie III, p. 782-783.
[65]. « À propos d’Horace », Les Contemplations, I, 13, Poésie II, p. 274-279.
[66]. « Lux », Châtiments, Poésie II, p. 201.
[67]. « Le Maître d’études », Les Contemplations, III, 16, Poésie II, p. 351-354.
[68]. Bernard Veck a étudié les figures du maître méchant et du maître trop aimant, Claude Frollo et Cimourdain, « Deux ecclésiastiques qui “tournent mal”, deux éducateurs en échec, dont l’action apporte la mort à ceux qu’ils ont voulu éduquer. » (« Questions d’école », dans Victor Hugo et l’école, actes du colloque organisé le 18 mai 1985 à l’Université de Caen par l’Institut national de recherche pédagogique et le Centre de recherche sur la modernité, INRP, 1986, p. 47) Ces figures relèvent peut-être davantage de l’érotique hugolienne que de sa pédagogie, avec d’une part l’amour féroce et dévorateur, et de l’autre l’amour vierge. On pourrait ajouter un troisième portrait, celui de la gentille maîtresse, voir Lise dans « À l’âge des bergeries… », Toute la lyre, VII, 12, Poésie IV, p. 452, et la réplique de Gallus à Lison dans « Les deux trouvailles de Gallus », II, « Esca, drame », 1, Les Quatre Vents de l’esprit, II, Poésie III, p. 1243-1244.
[69]. « À l’évêque qui m’appelle athée », L’Année terrible, « Novembre », IX, Poésie III, p. 44.
[70]. L’Âne, I, 5, Poésie III, p. 1062.
[72]. L’Âne, I, 1, Poésie III, p. 1033.
[73]. L’Âne, I, 2, Poésie III, p. 1044.
[74]. Océan, « 24790 – Océan Prose », Fos 17-18, 168/412, p. 11.
[75]. « La liberté de l’enseignement », 15 janvier 1850, Actes et Paroles, I, Politique, p. 220.
[76]. « Chantiers – Dieu (Fragments) », I, cote 106, 354a, Chantiers, p. 555.
[77]. « À propos d’Horace », Les Contemplations, I, 13, Poésie II, p. 279.
[78]. « Il y avait une fois une fée qui fit les prairies et les arbres exprès pour les amoureux. De là cette éternelle école buissonnière des amants qui recommence sans cesse et qui durera tant qu’il y aura des buissons et des écoliers. » (Les Misérables, I, 3, 4, Roman II, p. 103) et « Ce sont tous les petits échappés des familles pauvres. Le boulevard extérieur est leur milieu respirable ; la banlieue leur appartient. Ils y font une éternelle école buissonnière. » (III, 1, 5, p. 461).
[79]. « … Des sages ?… », Toute la lyre, III, 69, Poésie IV, p. 310.
[80]. « Ce qui se passait aux Feuillantines vers 1813 », Les Rayons et les Ombres, 19, Poésie I, p. 970.
[83]. Paris et Rome, VI, Actes et Paroles, III, Politique, p. 713. L’« air impur » de Paris était déjà vanté, par l’intermédiaire de Montaigne, dans le « Discours sur les avantages de l’enseignement mutuel » (1819).
[84]. « Discours sur les avantages de l’enseignement mutuel », « Premières publications », Poésie I, p. 41.
[87]. Ibid., p. 44. Essaim quelque peu idéal, qui sait « s’asseoir en silence » dans la classe.
[88]. « Océan prose, 24 790 », Océan Prose, Fos 77 et 78, p. 23-24.
[89]. Voir, par exemple, la lettre du 2 juin 1872 à M. Trébois, Président de la Société des écoles laïques, publiée dans Le Rappel, qui préconise un traitement égalitaire des deux sexes, sur un point du moins : « Louis Blanc est dans le vrai absolu et pose les réels principes de l’instruction laïque, aussi bien pour les femmes que pour les hommes. » (Actes et Paroles, III, 2, « Paris », X, Politique, p. 851, c’est nous qui soulignons)
[90]. Rousseau effectue une distinction entre l’observation qui mène à des axiomes (prérogative de l’homme) et l’observation pure (dont doit se contenter la femme), différence que ne semble pas faire Hugo : « La recherche des vérités abstraites et spéculatives, des principes, des axiomes dans les sciences, tout ce qui tend à généraliser les idées n’est point du ressort des femmes, leurs études doivent se rapporter toutes à la pratique ; c’est à elles à faire l’application des principes que l’homme a trouvés, et c’est à elles de faire les observations qui mènent l’homme à l’établissement des principes. » (Émile ou de l’éducation, V, Paris, GF-Flammarion, 1966, p. 507)
[91]. On se souvient que les seuls biens de Claude Gueux en prison sont « une paire de ciseaux de couturière » et « un volume dépareillé de l’Émile », souvenirs « de la femme qu’il avait aimée, de la mère de son enfant […]. Deux meubles bien inutiles pour Claude : les ciseaux ne pouvaient servir qu’à une femme, le livre qu’à un lettré. Claude ne savait ni coudre ni lire. » (Claude Gueux, Roman I, p. 868)
[93]. L’Âne, I, 6, Poésie III, p. 1066.
[94]. Cromwell, V, 14, Théâtre I, p. 372. On retrouve le « mammons » dans L’Art d’être grand-père : « Créez des monstres ; lacs, forêts, avec vos monts,/ Vos noirceurs et vos bruits, composez des mammons » (« Tous les bas âges sont épars sous ces grands arbres… », L’Art d’être grand-père, IV, 7, Poésie III, p. 750). Plus loin, « mammons » rime avec « démons » (« Toutes sortes d’enfants, blonds, lumineux, vermeils… », IV, 10, p. 756).
[95]. « Je suis haï. Pourquoi ? Parce que je défends… », Les Quatre Vents de l’esprit, I, 37, Poésie III, p. 1171.
[96]. « À dos d’éléphant », Toute la lyre, II, 39, Poésie IV, p. 228.
[97]. « Le comte de Buffon fut bonhomme, il créa… », L’Art d’être grand-père, IV, 1, Poésie III, p. 741. On trouve également la rime « mastodonte »/ « dompte » à la p. 743.
[98]. « Tous les bas âges sont épars sous ces grands arbres… », L’Art d’être grand-père, IV, 7, Poésie III, p. 751.
[99]. William Shakespeare, I, 4, ix, Critique, p. 324.
[100]. « Les Griffonnages de l’écolier », L’Art d’être grand-père, VIII, Poésie III, p. 782.
[101]. « Ce que dit le public », L’Art d’être grand-père, IV, 3, Poésie III, p. 745.
[102]. « Tous les bas âges sont épars sous ces grands arbres… », L’Art d’être grand-père, IV, 7, Poésie III, p. 751.
[103]. Philosophe allemand du XVIIIe siècle que l’on ne confondra pas avec l’astronome et mathématicien Reimarus (1551-1600), surnommé – cela ne s’invente pas – « Ursus ».
[104]. Observations physiques et morales sur l’instinct des animaux, leur industrie et leurs mœurs, t. 1, trad. J. Réneaume de Latache, Amsterdam, Changuion, 1770, p. 182.
[105]. Histoire des animaux, t. 3, IX, 33, trad. J. Barthélémy-Saint-Hilaire, Paris, Hachette, 1883, p. 284.
[106] Histoire naturelle, t. 1, VIII, 1-7, trad. É. Littré, Paris, Dubochet, Le Chevalier et Cie, 1848, p. 318-321.
[107]. Histoire naturelle, « L’éléphant », Œuvres complètes de Buffon, éd. de B. G. de Lacépède, t. VII, Paris, Rapet et Cie, 1818, p. 197.
[110]. Que l’on songe non seulement à L’Âne mais aussi au « Crapaud » dans La Légende des siècles. Première série, XIII, 2, qui oppose l’âne bienfaisant à l’écolier cruel (Poésie II, p. 790-793). Dans « À propos d’Horace », l’élève est une « rêveuse bourrique » (Les Contemplations, I, 13, Poésie II, p. 275). Il y a toutefois des exceptions, ainsi dans « Les Fleurs », l’âne est le magister : « L’enseignement qui se trompe ou qui trompe est plus redoutable que l’ignorance même. […] La mauvaise leçon et la mauvaise action font un attelage. Où l’âne est professeur, le loup est berger. » (« Les Fleurs », IX, Proses philosophiques de 1860-1865, Critique, p. 558-559)
[111]. « Où le petit Gavroche tire parti de Napoléon le Grand », Les Misérables, IV, 6, 2, Roman II, p. 760. Pour une autre lecture de cette scène fameuse des Misérables, voir Pierre Laforgue, « Pédagogie, démagogie : l’école de Gavroche » dans Victor Hugo et l’école, actes du colloque organisé le 18 mai 1985 à l’Université de Caen par l’Institut national de recherche pédagogique et le Centre de recherche sur la modernité, INRP, 1986, p. 91-110.
[112]. Voir Paul Valéry et l’enfant d’éléphant, Paris, Gallimard, 1986.
[116]. L’Archipel de la Manche, XII, Roman III, p. 22.
[117]. La bibliothèque de Hugo à Hauteville-House contient, comme l’indique la base établie par J. Cassier sur le site du Groupe Hugo, pas moins de sept ouvrages sur l’Inde. Dans William Shakespeare, I, 4, 7, il est question de l’Inde et des « vastes poëmes du Gange » qui « marchent dans l’art du pas des mammouths » (Critique, p. 316).
[119]. Vies parallèles, trad. A.-M. Ozanam, Paris, Gallimard, Quarto, 2001, p. 595.
[120]. « Écrit après la visite d’un bagne » (titre original : « Enseignement gratuit et obligatoire »), Les Quatre Vents de l’esprit, I, 24, Poésie III, p. 1153.
[121]. Les Misérables, I, 2, 7, Roman II, p. 73.
[122]. Mirabeau, « enfant prodigue [de] trente-trois ans […] était à refaire en entier. Éducation difficile ! » « [Comme] le peuple, il avait été mal élevé ; […] comme au peuple, une mauvaise éducation lui avait fait croître un vice sur la racine de chaque vertu, [mais] grâce aux larges issues ouvertes par les ébranlements de 1789, il avait enfin pu extravaser dans la société tous ses bouillonnements intérieurs si long-temps comprimés dans la famille » (Littérature et philosophie mêlées, « Sur Mirabeau », Critique, p. 209 et 215).
[123]. Les Misérables, I, 2, 13, Roman II, p. 90-91 : « Certes, le malheur, nous l’avons dit, fait l’éducation de l’intelligence […]. Disons-le simplement, ce n’était pas lui qui avait volé, ce n’était pas l’homme, c’était la bête qui, par habitude et par instinct, avait stupidement posé le pied sur cet argent, pendant que l’intelligence se débattait de tant d’obsessions inouïes et nouvelles. Quand l’intelligence se réveilla et vit cette action de la brute, Jean Valjean recula avec angoisse et poussa un cri d’épouvante. »