Guy Rosa : «L'avenir arrivera-t-il?» - Les Misérables roman de l'histoire
Communication au Groupe Hugo du 20
mai 2006
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Lidée que je voudrais développer et prouver na rien que de fort simple : cest que Les Misérables tirent de leur propre devenir historique celui quils figurent, que le roman ne dit rien dautre de lhistoire que ce quelle lui a fait à lui-même, quil trouve, si lon préfère, dans lhistoire de son écriture la source et les moyens de son écriture de lhistoire. Ou, plus simplement, que Les Misérables, dabord roman dramatique dun destin et roman réaliste de lactualité sociale sont devenus, du fait de leur histoire et en intégrant leur genèse à leur substance, un roman historique, plus exactement un roman de lhistoire.
Ce propos, quatre notes de Hugo pourraient le résumer, lillustrer et le prouver. Il suffit pour les comprendre de se souvenir que Hugo nécrit pas Les Misérables tout dune traite comme il fait dordinaire, mais, exception unique dans sa carrière, en deux « campagnes de rédaction » séparées par une longue interruption de part et dautre de la Révolution de 1848, du coup détat et de lexil : la première en 1845-1848, la seconde en 1860-62. Ajoutons quelles ne donnent pourtant pas lieu à deux versions distinctes, comme pour LEducation sentimentale de Flaubert, mais à lachèvement et à la reprise du même manuscrit pour corrections et surtout pour additions.
La première date le retour au roman longtemps abandonné, dabord intitulé Les Misères et dont Hugo avait déjà modifié le titre :
25 avril [1860] . Jai tiré aujourdhui les Misérables de la malle aux manuscrits[1].
La seconde, à la fin de la même année, enregistre sereinement ce qui a été fait et ce qui reste à faire pour combler lécart entre le texte futur et lancien :
Aujourdhui 30 décembre 1860, je me suis remis à écrire Les Misérables. Du 26 avril au 12 mai, jai relu le manuscrit. Du 12 mai au 30 décembre, jai passé sept mois à pénétrer de méditation et de lumière luvre entière présente à mon esprit, afin quil y ait unité absolue entre ce que jai écrit il y a douze ans et ce que je vais écrire aujourdhui. Du reste tout était solidement construit. Provisa res. Aujourdhui, je reprends (pour ne plus la quitter jespère) luvre interrompue le 14 février 1848[2].
Le même jour, sur le manuscrit cette fois, en marge de la fin du dernier chapitre du livre 14 de la quatrième partie, Hugo ajoute après la date du 14 février [1848] :
Ici le pair de France, sest interrompu, et le proscrit a continué. 30 décembre 1860 Guernesey[3]
Enfin, dans une lettre à son éditeur, Albert Lacroix, du 13 mars 1862, Hugo glisse ce paragraphe au milieu de recommandations diverses concernant la fabrication du livre en cours :
Vous reconnaîtrez, je crois, de plus en plus, la vérité de ce que je vous disais à Guernesey des Misérables : « Ce livre, cest lhistoire mêlée au drame, cest le siècle ; cest un vaste miroir reflétant le genre humain pris sur le fait à un jour donné de sa vie immense[4].
Admirons ce « du reste tout était solidement construit ». Il nefface pas les sept mois passés « à pénétrer de méditation et de lumière » le texte antérieur pour quil sajuste à son achèvement, concrètement à préparer et entreprendre les innombrables retouches et ajouts par chapitres entiers- que révèle lexamen du manuscrit et qui se poursuivent jusquà la publication voire au-delà. Il nen fallait pas moins pour que lhistoire se mêle au drame et que le roman devienne le vaste miroir du siècle.
De fait, Les Misères de 1848 ne ressemblent que dassez loin à nos Misérables et lon sexplique que la seconde campagne décriture ait demandé à Hugo autant de travail, en tout cas de temps deux ans environ-, que la première.
Dune part le récit est inachevé : la cinquième partie manque le départ de Jean Valjean vers la barricade, lessentiel du combat et tout ce qui suit : le sauvetage de Marius par les égouts, la fin de la poursuite du policier -Javert déraillé, le mariage de Marius, la solitude de Jean Valjean et sa mort. La rédaction sest interrompue à hauteur du chapitre Buvard bavard seulement esquissé. Pourquoi sêtre arrêté alors, à cet endroit, et si longtemps ? Le manuscrit, on vient de le voir, souligne la date de linterruption février 1848, mais trop complaisamment peut-être : « le Pair de France... le proscrit », pour quon la croie tout à fait accidentelle devant les urgences de lactualité. De là une énigme fascinante ; de là aussi la tentation de la résoudre par le contenu de ce chapitre Buvard Bavard où Jean Valjean a la révélation de lamour de Cosette pour Marius et de sa propre jalousie :
Aussi, quand il vit que cétait décidément fini, quelle lui échappait, quelle glissait de ses mains, quelle se dérobait, que cétait du nuage, que cétait de leau, quand il eut devant les yeux cette évidence écrasante : un autre est le but de son cur, un autre est le souhait de sa vie ; il y a le bien-aimé, je ne suis que le père ; je nexiste plus ; quand il ne put plus douter, quand il se dit : Elle sen va hors de moi ! la douleur quil éprouva dépassa le possible. [...] Alors, [... ] il eut de la tête aux pieds un frémissement de révolte. Il sentit jusque dans la racine de ses cheveux limmense réveil de légoïsme, et le moi hurla dans labîme de cet homme[5].
Linterruption sexpliquerait par leffroi intérieur de Hugo devant limpossible aveu dune pulsion incestueuse[6]. On y reviendra. Notons déjà cependant que la rédaction du chapitre était préparée par plusieurs notes, -ce qui affaiblit le « blocage », quil faudrait rendre compte de sa durée susceptible au contraire den accroître la violence- et surtout du moment et des voies de sa résolution.
Dautre part, apprécié à la publication du texte des Misères donnée par Gustave Simon[7], cest un euphémisme de dire, avec Journet et Robert, auteurs dune magistrale description du manuscrit des Misérables[8], que le récit de 1845-48 « offre un cours assez simple et presque linéaire au regard du texte définitif. » Il ressemble à un résumé médiocre, à une adaptation pour la jeunesse[9] : narration plate, voix grêle et sèche au service dune visée étonnamment conformiste, charitable et bien-pensante, passablement bondieusarde dans les deux premières parties, franchement conservatrice dans les deux suivantes. Lintrigue, dans ses grandes lignes, reste identique, les personnages, sous dautres noms, se ressemblent, et le livre est méconnaissable. Réunir et analyser lensemble des corrections et surtout des ajouts les suppression sont rares- par lesquelles Les Misérables sont devenus tels que nous les lisons, personne ne la osé. Moins sans doute en raison de leur nombre plusieurs milliers- et de leur diversité damplitude allant dun mot à un livre entier- que de leur hétérogénéité littéraire : style, système des personnage, conduite de la narration, appartenance générique, tonalité, mode décriture, tout y passe sans quapparaisse une ligne directrice. Langle dattaque quoffre la question de lhistoire est peut-être le bon.
Il permet dabord dordonner assez aisément un grand nombre des modifications apportées au manuscrit sous les trois rubriques concentriques et gigognes du discours sur lhistoire, de la représentation de lhistoire et de linscription du rapport à lhistoire. Surtout, que la lumière dont Hugo pénètre, de 1860 à 1862, luvre entière présente à son esprit soit celle de lhistoire, au moins est-ce plus que vraisemblable : depuis 1847, rien dautre navait autant quelle changé la réalité du monde sous les yeux de Hugo, lexpérience quil en avait et les idées quil sen formait, jusquà le mener sur un chemin de Damas politique conduisant à lexil.
On réduit souvent lapport de la seconde campagne décriture à ces grands discours où le narrateur cède la parole à lauteur. Au moins est-ce le plus visible et cest lui que Hugo privilégie dans les listes quil dresse de choses à faire. Mais on a tort de subordonner ces textes à lexpression des idées philosophiques et politiques adoptées après lexil et dexagérer du même coup leur caractère digressif. Trois seulement ne comportent aucune référence à lhistoire et réécrivent sur le mode méditatif et lyrique lépisode qui précède immédiatement : LOnde et lombre, Christus nos liberavit, Choses de la nuit encore les deux premiers sont-ils tendus vers un avenir qui verrait lirruption de histoire rompre la permanence désespérante de la misère. Tous les autres contiennent une réflexion historique, plusieurs un récit dhistoire, qui les attache fortement au roman. Même le livre Parenthèse celui de la Bonté absolue de la prière et de la fameuse définition de Dieu comme « moi de linfini »- loin de profiter de la halte du héros dans un couvent pour plaquer une dissertation théologico-religieuse, tire de lanalogie observée par Jean Valjean entre le couvent et le bagne et de lobsolescence manifeste des réunions conventuelles, non pas le moyen de distinguer entre ce qui relève de lhistoire le couvent- et ce qui lui échappe la prière-, mais au contraire dinclure le spirituel et le religieux dans le progrès de lhumanité : le couvent, dont la grandeur fut davoir anticipé deux termes de la formule révolutionnaire, égalité et fraternité, est condamné par la troisième : « Oh ! que la liberté est grande ![10] » et la religion elle-même demande la fin des religions.
Le lien, ici discret, entre la réflexion historique et la critique du temps actuel le Second Empire bondieusard et despotique- est manifeste partout ailleurs et explique la lecture politique de ces textes. Sans la justifier. Car le futur et le passé y sont en cause au moins autant que le présent, sans quon puisse discerner lequel détermine leffort de la pensée vers les deux autres : si cest linquiétude de lavenir qui la reconduit vers les origines, la condamnation du temps présent qui lui fait trouver dans lhistoire des motifs tantôt de confiance et tantôt dangoisse ou la remémoration qui guide à travers le temps la recherche dun sens de lhistoire. Les trois sans doute ensemble dans une circularité à la fois rétrospective et prospective. Exemplaire est à cet égard la construction du livre des égouts, LIntestin de Léviathan, dont les titres des chapitres se décalent savamment de leur objet : La Terre appauvrie par la mer célèbre lutopie du recyclage des déchets qui rendrait une terre épuisée et vieillie « aussi jeune quau temps dAbraham [11]» ; puis Histoire ancienne de légout, Bruneseau et Détails ignorés retracent les temps archaïques de légout et lépopée, révolutionnaire et impériale, de leur exploration et du début de leur réfection ; Progrès actuel constate la régression de la modernité « Aujourdhui légout est propre, froid, droit, correct.[...] Il ressemble à un fournisseur devenu conseiller détat.[...] La fange sy comporte décemment.[...] Légout actuel est un bel égout ; le style pur y règne ; le classique alexandrin rectiligne qui, chassé de la poésie, paraît sêtre réfugié dans larchitecture, semble mêlé à toutes les pierres de cette longue voûte [12].» Progrès futur revient à 1832 : « La voirie intestinale de Paris a été refaite à neuf et, comme nous lavons dit, plus que décuplée depuis un quart de siècle. / Il y a trente ans, à lépoque de linsurrection des 5 et 6 juin, cétait encore, dans beaucoup dendroits, presque lancien égout[13]. »
Chacune de ces mal nommées digressions tend de la sorte à déborder son objet propre vers le passé et lavenir ; leur ensemble, lui, trace avec précision une histoire complète du siècle en interrogeant au fur et à mesure les origines de chacun des moments de lintrigue. Peu avant 1815, la rencontre de Mgr Myriel avec le Conventionnel G. couvre lépoque de la Révolution, et indirectement lAncien Régime ; au début de la seconde partie, dont les événements datent de 1823, le grand livre de Waterloo, le dernier rédigé, remonte au seuil de laction et du dix-neuvième siècle ; il est soutenu et encadré en première partie par LAnnée 1817 et, en seconde, par une analyse de la guerre dEspagne, venant chacun à leur date dans laction. Après la description du couvent, le livre Parenthèse, partant du moment où Jean Valjean et Cosette y entrent, en 1824, et de sa désaffection déjà sensible, parcourt toute lhistoire religieuse du Moyen Age jusquau présent et au futur. Au début de la troisième partie, lévocation du gamin relève dune atmosphère 1830, légèrement en avance sur lintrigue, et permet la figuration indirecte de la Révolution de Juillet ; mais lomni-historicité du gamin et de son esprit de révolte conduit au grand éloge de Paris, ville-monde absorbant en elle toutes les métropoles antiques et modernes, ville-histoire orientée vers le progrès « Le même éclair formidable va de la torche de Prométhée au brûle-gueule de Cambronne[14] »-, creuset donc de LAvenir latent dans le peuple. Immédiatement après, le portrait de M. Gillenormand en 1831 permet un retour en arrière pour une analyse historico-idéologique précise de la Restauration, de ses ultras et des doctrinaires quelle partage avec la Monarchie de Juillet[15] ; renouant avec le cours de laction au chant I de Lépopée rue Saint-Denis, les quatre premiers chapitres du livre Quelques pages dhistoire, une fois reconnue la correction de la coupure de juillet 1830 Bien coupé, critiquent les fondement du gouvernement de Louis-Philippe Mal cousu- dont le portrait prend en charge tout le règne avant que soit examiné ce qui, venu du passé le légitimisme- ou de lavenir le socialisme- le menaçait dès 1832 Lézardes sous la fondation. Plus loin, le livre 7, LArgot, reprend lexploration des bas-fonds commencée aux deux premiers chapitres du livre 7 de la partie précédente Les Mines et les mineurs- mais, comme déjà pour le couvent et le gamin, la réalité actuelle constatée, ici la typologie sociale et linguistique, ouvre son expression à langoisse de lavenir « O pauvre pensée des misérables ! Hélas ! personne ne viendra-t-il au secours de lâme humaine dans cette ombre ?[16] »- et lévolution même de largot, jadis plaintif, devenu au 18° siècle sardonique et endiablé, nourrit une méditation historique sur la moralité des révolutions (quel progrès contiendraient-elles si elles étaient elles-mêmes criminelles ?) qui conduit le dernier chapitre, Les deux devoirs : veiller et espérer, à conjurer la hantise dune éternelle présence du passé : « Le passé, il est vrai, est très fort à lheure où nous sommes. [...] Notre civilisation, oeuvre de vingt siècles, en est à la fois le monstre et le prodige [...] Lavenir arrivera-t-il ? il semble quon peut presque se faire cette question quand on voit tant dombres terribles. Sombre face à face des égoïstes et des misérables[17]. » Enfin, immédiatement avant le début du récit de la barricade, les deux chapitres La surface de la question et Le fond de la question trouvent dans la distinction entre les deux colères, lémeute de linsurrection, la justification de la seconde.
La cinquième partie, on la dit, date toute entière de lexil et lon ne peut à son sujet parler de seconde campagne de rédaction faute dune première ; elle sajoute pourtant au texte de 1845-48 et les interventions de lauteur sapparentent aux précédentes quelles complètent. Ce sont, au début de la cinquième partie, le chapitre La Charybde du faubourg Saint-Antoine et la Scylla du faubourg du Temple qui, outrepassant lépoque de laction, caractérisent linsurrection de juin 48 à travers lévocation de ses deux plus grandes barricades ; puis, immédiatement avant « lagonie de la barricade », le chapitre Les mort ont raison et les vivants nont pas tort où le progrès lui-même est mis en discussion par cette passivité des peuples qui presque toujours condamne linsurrection à léchec, -en 1832, en 1851 implicitement et au-delà jusquà John Brown et Garibaldi- et ferme lhistoire à la pensée novatrice, à lutopie, à lavenir. La dernière digression enfin, on la vu, LIntestin de Léviathan, reprend et totalise, en réduction et en image, toutes celles qui lont précédée en offrant une histoire générale de la modernité vue depuis légout, qui est « conscience de la ville[18] ».
Au total donc, une masse considérable de textes qui leste le roman dune pensée de lhistoire totalement absente de sa première version. On pourrait en analyser le contenu pour lui-même et le confronter à dautres formulations aux derniers livres de William Shakespeare en particulier, Le Dix-neuvième siècle et LHistoire réelle. Ce serait sortir des Misérables et une telle extraction du sens de la substance romanesque nayant pas réussi à Hugo lui-même pour la « Préface philosophique » entreprise dans foulée de la révision du roman et demeurée inachevée, mieux vaut y renoncer. Dautant plus que cette abstraction défigurerait ces textes liés de plusieurs manières au reste du roman. Par le sens dabord quils lui donnent et en reçoivent en retour. Pour nous en tenir au livre de Waterloo, mais on en dirait autant de toutes les autres digressions, les étranges coïncidences qui signalent dans le destin de Jean Valjean une inversion de la carrière de Napoléon (naissance la même année, entrée au bagne « le jour où lon cria dans Paris la victoire de Montenotte[19] », évasions calamiteuses concomitantes des triomphes, libération en 1815, cheminement par la route Napoléon du bagne à Digne et accueil contrasté par le même aubergiste de la Croix de Colbas et par Mgr Myriel, mort de ce dernier en 1821) appartiennent à la première version mais restent des curiosités énigmatiques tant que Waterloo na pas montré dans lEmpire une sorte de misère de lhistoire, dans sa catastrophe finale un progrès. Réciproquement, la simultanéité des 19 années de bagne de Jean Valjean avec les succès de lEmpereur suffit à indiquer leur contrepartie en souffrance et en asservissement, que Hugo névoque pas autrement mais qui est sous jacente à la réponse donnée à la question Faut-il trouver bon Waterloo ? Plus généralement, des démêlés de Mgr Myriel avec lEmpereur aux retrouvailles post mortem de Marius avec son père dans le culte de lEmpereur, en passant par le maraudage de Thénardier sur le champ de bataille et le bonapartisme de plus dun personnage Thénardier surtout mais Fauchelevent également et même Jean Valjean-, une vaste thématique napoléonienne, historiquement exacte mais idéologiquement ambiguë, se distribue tout au long du roman[20] et séclaire dans Waterloo non sans échos dans lactualité car il ne dut pas être agréable au neveu de voir la gloire de loncle célébrée par sa défaite. Au-delà, celle-ci informe toute la problématique de lhistoire.
Le livre de Waterloo représente la bataille comme une défaite nécessaire : « Le 18 juin 1815, Robespierre à cheval fut désarçonné[21].» : entendons que la Révolution avait eu tort de monter à cheval et que le droit reprit une marche plus sûr une fois privé de sa force et marchant à pied même si ce fut avec les jambes infirmes de Louis XVIII. Défaite apparente donc que 1815 : « Lavenir, raillé par lEmpereur, fit son entrée. Il avait sur le front cette étoile, Liberté[22]. » ; inversement, péripétie rétrograde que cette guerre dEspagne victorieuse en 1823. Et le cours du roman, ensuite, fait apparaître de la même manière comme tournants de lhistoire non pas les grandes dates commémorées, mais celles dautres échecs où le passé semble lemporter sur lavenir : 1832 et non 1830 à peine évoqué, juin 48 et non février, entièrement éclipsé. Cest que les insurrections écrasées et les batailles perdues décantent le cours trouble de lhistoire et inventent lavenir : la liberté se dégage en 1815 de labsolutisme révolutionnaire, la République démocratique se dépouille en 1832 des oripeaux libéraux de la Monarchie constitutionnelle ; la République sociale, en juin 48, des illusions terroristes héritées de 93 en même temps que lillusoire fraternité de légalité de droit. Les dates brillantes ne font que mettre le futur au présent en retournant en victoire lapparente défaite antérieure : 1830 accomplit 1815, février 48 accomplit 1832 et lavenir accomplira juin 48. Le vrai progrès sopère au moment où lidée qui contient lavenir tout à la fois prend corps et avorte. Et cela se conçoit. Si, comme le veut Le fonds de la question, linsurrection est une question posée au peuple et la révolution sa réponse, il faut bien un délai quelconque, même très bref, entre lune et lautre et la révolution doit commencer par léchec de linsurrection. Y a-t-il des questions sans réponse, des sacrifices inutiles ? Peut-être, de là langoisse de lavenir qui va saccentuant au fil des méditations sur lhistoire. Mais il ny a pas de révolution sans insurrection sacrifiée, de février 48 sans juin 32, comme il ny a pas de réponse sans question : il faut que la pensée perde son adéquation au réel, quelle meure, pour la retrouver dans une vérité ultérieure, nouvelle et supérieure. Cela, Hugo le dit dans Les morts ont raison et les vivants nont pas tort, mais Enjolras aussi : « Frères, qui meurt ici meurt dans le rayonnement de lavenir[23] ». Et ce quils disent, tous deux le font, lun sur la barricade, lautre dans le livre écrit en exil.
Car, outre la marque familière du style et des idées, des notations peu nombreuses et brèves mais intenses tel, au beau milieu de la description des barricades de juin 48, le remarquable « Je me souviens dun papillon blanc qui allait et venait dans la rue[24] »- donnent à lauteur la présence, non dune instance de lécriture, mais dune personne réelle et actuelle, comparable, fiction en moins, aux personnages. De sorte que la frontière sefface entre le discours de lun et ceux des autres, dautant plus quil arrive à lauteur de céder la parole à dimaginaires contradicteurs. Lintervention du Conventionnel G. sassimile demblée aux digressions qui suivent tant le personnage, créé à cette fin et sans autre emploi, apparaît comme le porte-parole, plus éloquent encore, de son auteur ; mais seule limportance du personnage la distingue du discours dEnjolras Quel horizon on voit du haut de la barricade-, ou du monologue intérieur de Marius hésitant à rejoindre la barricade, voire des improvisations de Grantaire, dune verve différente mais égale et de signification analogue « Une révolution, quest-ce que cela prouve ? Que Dieu est à court. Il fait un coup détat parce quil y a solution de continuité entre le présent et lavenir, et parce que, lui Dieu, il na pas pu joindre les deux bouts[25] ». De proche en proche et des tirades aux répliques brèves, toutes les voix senchaînent ainsi à celle de Hugo, les dissonantes Gillenormand et même Thénardier- comme les harmoniques Myriel, Gavroche : « Tu as tort dinsulter les révolutionnaires, mère Coin-de-la-borne. Ce pistolet-là, cest dans ton intérêt. Cest pour que tu aies dans ta hotte plus de choses bonnes à manger[26]. » Ou encore tel insurgé :
Citoyens, faisons la protestation des cadavres. Montrons que, si le peuple abandonne les républicains, les républicains nabandonnent pas le peuple.[...]
On na jamais su le nom de lhomme qui avait parlé ainsi ; cétait quelque porte-blouse ignoré, un inconnu, un oublié, un passant héros, ce grand anonyme toujours mêlé aux crises humaines et aux genèses sociales qui, à un instant donné, dit dune façon suprême le mot décisif, et qui sévanouit dans les ténèbres après avoir représenté une minute, dans la lumière dun éclair, le peuple et Dieu[27].
Autant dire un Victor Hugo.
Lécart nest pas plus grand entre lauteur et le narrateur : lun est aussi prompt à commenter lhistoire que lautre à repérer ses effets sous les signes les plus ténus et lon serait en peine de dire lequel des deux, remarquant la mode qui donne des prénoms aristocratiques aux garçons bouviers et nomme les vicomtes Thomas, Pierre ou Jacques, conclut : « Lirrésistible pénétration du souffle nouveau est là comme en tout. Sous cette discordance apparente, il y a une chose grande et profonde, la révolution française[28]. » Ou, à propos de la « solitude de Mgr Bienvenu » : « Nous vivons dans une société sombre. Réussir, voilà lenseignement qui tombe goutte à goutte de la corruption en surplomb./ Soit dit en passant, cest une chose assez hideuse que le succès[29]. » Bref, de lexposé abstrait prononcé en situation par un personnage à lintervention flagrante du personnage-auteur Victor Hugo, figure historique lui-aussi[30], cest tout un continuum dexcursus discursifs naturalisés par léventail des formes de leur assujettissement au récit. Dautant plus que les digressions y participent le plus souvent, abandonnant, parfois très longuement, le discours pour la narration : le passant errant sur la plaine de Waterloo au printemps de 1861 examine les vestiges du combat (2 chapitres) quil raconte ensuite (13 chapitres), médite sur son sens dans lhistoire (3 chapitres), puis « revient[31] » sur le champ de bataille la nuit pour y surprendre, parmi les détrousseurs de cadavres, Thénardier . Peu de chose, sinon la longueur, distingue le portrait de Louis-Philippe, attesté par un « témoin dont il nous est impossible de douter[32] », et celui de Louis XVIII croisé par Jean Valjean[33].
De toutes ces manières, et dautres aussi sans doute, la pensée de lhistoire participe à sa figuration et sy absorbe. Mais la représentation de lhistoire, proprement dite et prise au sens strict, connaît elle aussi, en 1860-62, un développement tel, si abondant et attentif, que de ce point de vue aussi il nest pas inexact de dire que, durant lexil, lhistoire vient au roman. Tel que Hugo labandonne au début de 1848, il se réduisait à ses personnages principaux : Myriel, Jean Valjean, Fantine, Cosette, les Thénardier mais cantonnés à leur famille étriquée-, Marius, à peine moins fouillé et donc, proportionnellement beaucoup plus important, Javert. Le récit ne faisait guère autre chose que parcourir le cours de leur destin dans leur existence individuelle et privée : Myriel, lhospitalité donnée, le double crime du vol et de lagression sur Petit-Gervais, lascension de M. Madeleine, la descente de Fantine, laffaire Champmathieu, ladoption de Cosette, la fuite devant Javert, lasile du couvent mais non la mort symbolique qui permet à Jean Valjean dy entrer-, les démêlés de Marius avec son grand-père, la découverte de son père, sa rencontre avec Cosette et aussi lintrigue dEponine, le guet-apens de la masure Gorbeau, le dévouement de Gavroche. Le combat de la barricade nétait quesquissé, son principe était désapprouvé et ses protagonistes demeuraient quasiment anonymes. Bien plus, le seul scénario dont on dispose, très schématique et peut-être déjà corrigé dans lesprit de Hugo mais cest une hypothèse que rien nautorise, disposait que le mariage de Marius et Cosette devait survenir en 1835, la mort de Jean Valjean lannée suivante, reléguant au statut de péripétie la barricade où Marius se fourvoyait au lieu dy trouver, dans lhéroïsme, le droit de vivre. Bien loin donc de cette conflagration générale de la cinquième partie qui lance ensemble dans la mort tous les misérables, ceux de lhistoire, de la pauvreté et de lamour, liquide Javert et nouvre quun avenir précaire à Thénardier, se faisant négrier au début de la guerre Sécession, et médiocre aux jeunes mariés, dans lattente que dautres, plus tard, relancent lhistoire et le Progrès.
Lexil invente donc une bonne part de la substance sociale du livre et toute sa substance historique : les limites politiques -et non philosophiques[34]- à la sainteté de Myriel, montrées en particulier dans la rencontre du Conventionnel ; lénigme de Mabeuf mouton effaré devenant sur la barricade, par une méprise profonde, légal du Conventionnel G. ; presque tout le personnel de lépisode du couvent, la mère supérieure, Gribier ; Fauchelevent pour une bonne part ; le monde gravitant autour de Thénardier promu chef du troisième dessous parisien : les bandits de Patron-Minette, la Magnon et ses prétendus enfants devenus frères de Gavroche ; la doublure dérisoire de Marius auprès de Gillenormand, Théodule ; Gillenormand lui-même, simple caractère doriginal et non indice de la rémanence de lesprit Régence chez les ultras de la Restauration ; plusieurs de ces vieilles femmes dont on ne manque jamais ; quantité de comparses. Surtout, enfin, les jeunes gens républicains, aux idées différentes pour chacun, résumé précis de toutes les formes du progressisme du temps dont la nécessaire convergence sinscrit concrètement dans le groupe quils forment et symboliquement dans son nom des « Amis de lABC », et qui entrent en antithèse morale, mais historique aussi la jeunesse de 1817 nétant pas celle de 1830, avec le quatuor animé par Tholomyès escorté des grisettes amies de Fantine.
Cet ajout-ci est évidemment décisif puisquil détermine la nature et la portée de lépisode de la barricade, lui-même considérablement amplifié, réorienté par les digressions on la signalé, on y reviendra- et mis en symétrie avec Waterloo[35]. Seul événement de la fiction donné pour historique, et devant lêtre par sa date, mais nayant pour acteurs que des personnages fictifs, la barricade apparaissait comme une aberration historique ce qui était voulu par le Hugo de 1847- mais risquait aussi de sombrer dans linsignifiance dun combat dopérette, si la faiblesse de la représentation des jeunes insurgés sajoutait à la démotivation, voire la contre-motivation, des autres participants : Mabeuf, Gavroche, Marius, Eponine et Jean Valjean. On sexplique que la construction de ce groupe ajoute pratiquement tout le livre Les amis de lABC et quelle ait été la tâche sur laquelle les notes préparatoires de Hugo reviennent avec le plus dinsistance en 1860-61 : « Approfondir les jeunes gens républicains », « ajouter Prouvaire revoir toute linsurrection et la barricade au point de vue du groupe mieux expliqué », « relever les jeunes gens les honorer non bonapartistes républicains », « Revoir toute la barricade au point de vue des caractères des jeunes gens mieux indiqués »[36]. Mais les autres ajouts au personnel romanesque ou à leur caractérisation, moins étendus mais très nombreux, concourent tous de la même manière à lépaisseur historique du texte.
Gavroche, reconnaissable sur le tableau de Delacroix, était une figure datée de la révolution de Juillet, à laquelle, pour la première fois, des très jeunes adolescents avaient pris part au grand étonnement, souvent scandalisé, des contemporains. Les Misérables ne lui ôtent pas cette actualité et parfois laccentuent par toutes sortes de détails, mais, à partir du chapitre Un peu dhistoire, le livre digressif Paris étudié dans son atome charge explicitement le personnage, et sa présence sur la barricade, de tout le poids dhistoire qui devait en faire un mythe en convoquant une avalanche de références progressivement plus lointaines : le mot gamin imprimé pour la première fois dans Claude Gueux en 1834, les exécutions capitales de la Monarchie de Juillet et de la Restauration, la poire griffonnée sur les murs et le « mot charmant du dernier roi », Poquelin, Beaumarchais, Camille Desmoulins, toute « la vieille âme de la Gaule » et jusquau graeculus de Rome[37]. Idéalisation corrigée par lajout du personnage de Montparnasse, « le gamin tourné voyou, et le voyou devenu escarpe[38] » qui concrétise lavenir probable de Gavroche. Il ny échappe que par une mort à laquelle la seconde rédaction donne sens et nécessité dans linvention sublime du « Colle-toi ça dans le fusil », lancé par Gavroche nourrissant les deux gamins recueillis dans léléphant de la Bastille, entre temps devenus ses frères, répété par laîné pour son cadet lorsquil lui donne la brioche soustraite à lappétit des cygnes du jardin du Luxembourg, et devenu littéral dans le ramassage des munitions sur les cadavres devant la barricade. De manière moins brillante mais aussi pertinente, la présence dun assignat vendéen dans le logement du jardinier du couvent, détail étrange dans la première rédaction, prend sa valeur lorsque, en seconde rédaction, la mère supérieure, traditionaliste et rebelle aux lois civiles impies, entraîne tout son couvent dans une action de résistance clandestine équivalente, toutes choses égales dailleurs, à celles menées, pendant la Révolution autour des prêtres réfractaires. Le remplacement en 1823 du père Mestienne, sans doute paysan reconverti en fossoyeur comme son ami Fauchelevent, par linénarrable Gribier, qui est allé au collège jusquen 4° et fait le bel esprit, vaut indice de tout un changement dépoque. De même pour Théodule, marionnette militaire moderne, virtuellement fort inquiétante, face au brave Pontmercy.
Au-delà encore vers linfiniment petit, Hugo met un soin spectaculaire à truffer son texte de références historiques. Beaucoup servent à compléter la caractérisation dun personnage et à en étendre la signification. Hugo se plait au pastiche pour faire parler sa langue à Gillenormand mais plie aussi la sienne à lâge de Fauchelevent, qui appartient à « cette espèce que le vocabulaire impertinent et léger du dernier siècle qualifiait : demi-bourgeois, demi-manant ; et que les métaphores tombant du château sur la chaumière étiquetaient dans le casier de la roture : un peu rustre, un peu citadin ; poivre et sel [39]». Lâme aimante de Mme Thénardier sest incendiée des romans du temps de sa jeunesse, le Thénardier a fortifié la sienne de lectures solides : « Il y avait des noms quil prononçait souvent, pour appuyer les choses quelconques quil disait, Voltaire, Raynal, Parny, et, chose bizarre, saint Augustin. [...] Il était libéral, classique et bonapartiste. Il avait souscrit pour le champ dAsile[40] » et lon voit traîner au bouge Jondrette un « vieux volume rougeâtre » dont la couverture porte « Dieu, le Roi, lHonneur et les Dames, par Ducray-Duminil. 1814 [41]».
On pourrait multiplier les exemples et en tirer dautres non plus de la qualification des personnages et de leurs murs mais de celle des lieux ou plutôt de ceux-là par ceux-ci. « Cette sainte maison, ajoute Hugo, pendant lexil, à propos du couvent, avait été bâtie précisément sur lemplacement dun jeu de paume fameux du quatorzième au seizième siècle quon appelait tripot des onze mille diables[42]. » Plaisanterie potache et anticléricale sans doute, mais il y a du progrès dans cette reconversion : une fois au couvent Jean Valjean y reconnaît son bagne en mieux. Rentée par Gillenormand pour ses prétendus bâtards, la Magnon demeure « quai des Célestins, à langle de cette antique rue du Petit-Musc qui a fait ce quelle a pu pour changer en bonne odeur sa mauvaise renommée [43]» : tant bien que mal la Magnon y parvient aussi.
Il arrive même que cette saturation historiciste du texte naille pas sans une apparente gratuité. Une analogie surprenante, sinon saugrenue, qualifie les dispositions maternelles de la tortionnaire de Cosette : « Comme la maréchale de La Motte-Houdancourt, la Thénardier nétait mère que jusquà ses filles[45]. » Le coeur féminin nexplique laccueil réticent de Fantine à lhôpital de Montreuil-sur-Mer quillustré par toute lhistoire du Moyen Age à lantiquité :
Les surs navaient dabord reçu et soigné « cette fille » quavec répugnance. Qui a vu les bas-reliefs de Reims se souvient du gonflement de la lèvre inférieure des vierges sages regardant les vierges folles. Cet antique mépris des vestales pour les ambubaïes est un des profonds instincts de la dignité féminine ; les surs lavaient éprouvé avec le redoublement quajoute la religion[46].
Pire. Hugo semble soffrir volontairement à la parodie lorsquayant déjà comparé, en première version, les erreurs de Javert dans la poursuite de Jean Valjean à celles de Napoléon « Il est certain que Napoléon fit des fautes dans la guerre de Russie, ... »-, il complète par une vraie litanie : «... quAlexandre fit des fautes dans la guerre de lInde, que César fit des fautes dans la guerre dAfrique, que Cyrus fit des fautes dans la guerre de Scythie, et que Javert fit des fautes dans cette campagne contre Jean Valjean. » Bien plus, le paragraphe fini, il y revient :
Les grands stratégistes ont leurs éclipses.
Les fortes sottises sont souvent faites, comme les grosses cordes, dune multitude de brins. [...] tordez-les ensemble, cest une énormité ; cest Attila qui hésite entre Marcien à lOrient et Valentinien à lOccident ; cest Annibal qui sattarde à Capoue ; cest Danton qui sendort à Arcis-sur-Aube[47].
Lénormité tissée de petites ficelles est-elle ici du côté de Hugo ? ce nest pas sûr. Le procédé, trop manifestement épique pour être pris au sérieux, grandit moins linspecteur de police quil ne ramène les conquérants mémorables à de justes proportions ; surtout, il prononce lappartenance à lhistoire de toutes les conduites humaines jusquaux imperceptibles. La fiction le fait aussi lorsquelle promeut Fauchelevent à une notoriété telle quelle parvient à Rome et que son nom est connu du pape Léon XII. Le groupe des amis de lABC a failli devenir historique, Fauchelevent lest devenu. Cette historicité de linfime, principe dune accession du romanesque à lhistorique fondée non sur le typique mais sur le caractéristique, qui saffiche dans le titre Paris étudié dans son atome, LAnnée 1817 la pratique jusquà la provocation. Sa conclusion en livre la doctrine, et sa clausule met en oeuvre sa capacité dannexion de la fiction à lhistoire :
Voilà, pêle-mêle, ce qui surnage confusément de lannée 1817, oubliée aujourdhui. Lhistoire néglige presque toutes ces particularités, et ne peut faire autrement ; linfini lenvahirait. Pourtant ces détails, quon appelle à tort petits, -il ny a ni petits faits dans lhumanité, ni petites feuilles dans la végétation, - sont utiles. Cest de la physionomie des années que se compose la figure des siècles. En cette année 1817, quatre jeunes parisiens firent « une bonne farce »[48]. »
Ce qui ne signifie pas que le droit des faits à la représentation serait en proportion inverse de leur importance historique intrinsèque paradoxe absurde-, mais quil est mesuré par leur présence réelle au regard ou à la mémoire du temps présent et dautant plus grand que la rétrospection doit triompher de léloignement et de loubli : « Voilà ce qui surnage confusément de lannée 1817, oubliée aujourdhui. » La gloire de Fauchelevent ne perce quau terme dun improbable parcours jusquà lauteur « la prieure conta la chose à sa grandeur [...]. Larchevêque [...] en parla [...] à M. de Latil confesseur de Monsieur. [...] Nous avons eu sous les yeux un billet un billet adressé par le pape régnant alors [...][49] » mais lui-même nen recueille aucun écho : « Rien de tout ce triomphe ne parvint à Fauchelevent[50] ». Le groupe des amis de lABC entre dans le roman non parce quil a été historique mais parce quil a failli le devenir et que son souvenir sest perdu : « Ce groupe était remarquable. Il sest évanoui dans les profondeurs invisibles qui sont derrière nous. » Bien plus, le récit lui-même naura pas pour objet de jeter sur lui une fausse lumière mais de reconduire son image à lobscurcissement : « Au point de ce drame où nous sommes parvenus, il nest pas inutile peut-être de diriger un rayon de clarté sur ces jeunes têtes avant que le lecteur les voie senfoncer dans lombre dune aventure tragique[51]. »
Plus tard, dans L'Homme qui rit (II, 8, 3), Hugo théorise ce paradoxe -le même qui affecte l'accessibilité de la misère à la représentatrion :
Montrer l’intérieur de la chambre des lords d’autrefois, c’est montrer de l’inconnu. L’histoire, c’est la nuit. En histoire il n’y a pas de second plan. La décroissance et l’obscurité s’emparent immédiatement de tout ce qui n’est plus sur le devant du théâtre. Décor enlevé, effacement, oubli. Le Passé a un synonyme : l’Ignoré.
Etrange historien, mais Hugo nen disconvient pas au contraire, qui au lieu daffirmer la réalité, passée mais incontestable, de son objet, son accessibilité à lintelligence et deffacer par les outils de la connaissance la durée qui len sépare, bref qui, au lieu de ressusciter le passé, pose son éloignement, son opacité, son oubli comme la condition voire comme la matière de sa représentation. Tel est pourtant le geste qui préside à la seconde campagne de rédaction : la dimension historique quelle donne aux Misérables ne consiste pas dans lajout dune couche dhistoire, lhistorien prenant de temps à autre la parole au romancier, mais procède de linstauration dun rapport à lhistoire troisième niveau englobant les deux autres et qui dans la genèse du texte les a sans doute déterminés.
Lorsquil revient en 1860 sur le livre inachevé, Victor Hugo, au lieu den prendre rapidement une connaissance suffisante pour en écrire la fin, le relit attentivement, lexamine longuement. Démarche courageuse car cétait consentir davance à dimportantes corrections[52], coup de génie parce que cétait sobliger à adopter un double point de vue littéraire celui du lecteur sajoutant à celui de lauteur- et chronologique celui des années 40 et celui des années 60. Entre eux, lécart politico-idéologique était considérable et ne pouvait être aisément effacé sans réduire lun ou lautre au silence, lécart historique plus grand encore. Douze ans séparent séparent la fin de laction des Misères, si on la fixe à 1833 (neuf sil faut la placer en 1836), du début de leur rédaction, plus du double (voire le triple), 27, pour Les Misérables. Ou encore : le centre chronologique de la fiction (1824) est éloigné de 21 ans du début de la rédaction des Misères et de 38 du début de reprise des Misérables. 21 ans, cest la distance entre nous et la nomination de J. Chirac comme premier ministre de François Mitterrand : cétait hier ; 38 nous renvoie à 1968 : cest déjà de lhistoire. Encore, pour nous, la même 5° République couvre-t-elle toute la période ; en 1845-48, Victor Hugo est sujet du Roi attaqué par Enjolras et ses amis ; en 1860, la France, depuis, avait changé deux fois de régime, connu une révolution, un coup détat militaire et « la plus grande guerre de rue quait vue lhistoire[53] ».
Cet éloignement qui enfonçait laction du roman dans lhistoire, rien nempêchait Hugo de nen tenir aucun compte. Le plus souvent, dans le roman, nous ignorons la durée qui sépare le moment de lénonciation de celui de lénoncé ; soit sa brièveté lannule et atteste la véracité du témoignage dans le roman dactualité sociale ; soit, dans le roman historique, une durée réputée considérable mais indéfinie éloigne les événements de la connaissance qui en est prise, la même, quel que soit le nombre des années, quil sagisse dHannibal ou de Louis XIV. Flaubert construit loriginalité de son oeuvre et leffacement du point de vue du narrateur sur le chassé-croisé entre lun et lautre, représentant Carthage comme si cétait la veille et que les Clinabares, familiers du lecteur, se passaient dexplication, et Yonville comme une province exotique de là le choc du « il vient de recevoir la croix dhonneur » qui passerait inaperçu chez Balzac. Hugo avait le choix de maintenir la quasi-contemporanéité de la narration initiale à son objet « En 1825, il y avait (et il y a peut-être encore) rue Neuve-Sainte-Geneviève, un couvent de bénédictines »- ou de blanchir la distance, indifférente aux yeux de lhistorien, qui len avait séparé « En 1825, il y avait rue Neuve-Sainte-Geneviève un couvent de bénédictines » ; il ne fait ni lun ni lautre. Au lieu dannuler dune de ces deux manières ou de lautre la variation de lécart qui le sépare de son texte et de sa référence fictive, il lexpose et, son roman étant devenu lui-même, sous ses yeux, une chose de lhistoire sans quil ait cessé den être contemporain puisque cest bien lui qui la écrit, il en prend acte et lénonce : « Rien ne ressemblait plus, il y a un demi-siècle, à la première porte cochère venue que la porte cochère du numéro 62 de la petite rue Picpus[54]. » En un mot, Hugo inscrit son rapport à son propre texte dans le rapport du narrateur-auteur à la fiction de telle sorte que le lecteur puisse lire Les Misérables comme lui-même lit Les Misères : comme un témoignage porté sur un monde disparu. Les Misérables seraient des mémoires si ce nétait une fiction[55].
Cela passe par une triple transformation : du discours, de la narration et de leur rapport. Lhistoricité de laction, venue avec le temps, autorise, voire exige, que lintrigue soit placée dans un cadre plus vaste ; lactualité du narrateur-auteur le demande également et en fournit le moyen ; de là les « digressions » où lauteur, prenant la parole en son nom propre, non seulement commente « lhistoire mélancolique de Jean Valjean », mais déborde, on la vu, le destin de ses personnages, en amont jusquà lorigine historique de leurs tribulations Waterloo et la Révolution-, en aval jusquau temps de lécriture et au-delà. Avec cette halte sur juin 48, violemment transgressive des habitudes de lécriture romanesque. Quant à la narration, outre les ajouts qui linclinent vers une représentation de lhistoire, elle subit une modification de son point de vue qui épouse celle que lhistoire a imprimée au regard de lauteur. Vue de plus loin, la référence fictive est reculée dans le passée ; vue dun présent qui ne se confond plus avec elle, elle se double dune référence seconde, actuelle, mais que la mobilité induite par la durée qui la suscitée rend nécessairement précaire : cela était qui tantôt nest plus et tantôt subsiste, mais ne durera peut-être pas non plus. De là une spectaculaire série dadditions ou de corrections, quon classe pour la clarté mais qui jouent ensemble et dont la lecture sur le manuscrit ne va pas sans quelque émotion parce quon y voit passer le temps et naître Les Misérables.
Les plus remarquables tiennent à la mise en scène de lauteur, signataire daté de son texte et lui-même devenu personnage historique. Toutes les digressions y procèdent par leur seule présence. Souvent elles le font par allusion : « La solution de tout par le suffrage universel étant un fait absolument moderne, et toute lhistoire antérieure à ce fait étant, depuis quatre mille ans, remplie du droit violé et de la souffrance des peuples, chaque époque de lhistoire apporte avec elle la protestation qui lui est possible. Sous les Césars, il ny avait pas dinsurrection, mais il y avait Juvénal. / Le facit indignatio remplace les Gracques[56] .» Parfois cest explicitement. Ainsi aux premières lignes de Waterloo : « Lan dernier (1861), par une belle matinée de mai, un passant, celui qui raconte cette histoire, arrivait de Nivelles et se dirigeait vers La Hulpe. Il allait à pied[57].» Notons la date, loin de leffet de brouillage de la pratique romanesque courante - « Vers le commencement de cet hiver... » au dernier chapitre de LEducation sentimentale- qui fait coïncider imaginairement le moment de laction et celui de la lecture, elle achève la mise en perspective en creusant ici un nouvel écart, non plus entre lépisode et lécriture seulement, mais entre lécriture et la lecture. Ecart destiné à saccroître avec le temps. Si bien que le procédé nest pas substantiellement différent de celui qui en conclusion du portrait de Louis-Philippe, au lieu de fixer lauteur dans le présent, le relègue dans le disparu :
Louis-Philippe ayant été apprécié sévèrement par les uns, durement peut-être par les autres, il est tout simple quun homme, fantôme lui-même aujourdhui, qui a connu ce roi, vienne déposer pour lui devant lhistoire ; [...] une épitaphe écrite par un mort est sincère ; une ombre peut consoler une autre ombre ; [...] et il est peu à craindre quon dise jamais de deux tombeaux dans lexil : Celui-ci a flatté lautre[58].
Rien détonnant donc si la figure de lauteur perce parfois le tissu narratif non du côté de lactuel mais du passé. Ainsi dans lévocation, au présent, de la banlieue, territoire frontalier du gamin :
Celui qui écrit ces lignes a été longtemps rôdeur de barrières à Paris, et cest pour lui une source de souvenirs profonds. [...] Quiconque a erré comme nous dans ces solitudes contiguës à nos faubourgs quon pourrait nommer les limbes de Paris, y a entrevu çà et là, à lendroit le plus abandonné, [...] des enfants [...] qui jouent à la pigoche couronnés de bleuets[59].
Une remémoration analogue, interrompant le récit de la traque de Jean Valjean par Javert à travers les rues de Paris, est donnée en excuse de linexactitude topographique probable mais en gage dauthenticité morale, Hugo sachant de quoi il parle en matière de fuite devant la police et recherche dun asile :
Voilà bien des années déjà que lauteur de ce livre, forcé, à regret, de parler de lui, est absent de Paris. Depuis quil la quitté, Paris sest transformé. Une ville nouvelle a surgi qui lui est en quelque sorte inconnue.[...] Tous ces lieux quon ne voit plus, quon ne reverra jamais peut-être, et dont on a gardé limage, prennent un charme douloureux, vous reviennent avec la mélancolie dune apparition, [...] et sont, pour ainsi dire, la forme même de la France ; et on les aime et on les évoque tels quils sont, tels quils étaient, et lon sy obstine, et lon ny veut rien changer, car on tient à la figure de la patrie comme au visage de sa mère.
Quil nous soit donc permis de parler du passé au présent[60].
Permission volontiers accordée : les transformations de Paris nont pas pris fin en 1862 et lexpérience du lecteur, même sil ignore tout de la double rédaction du texte, le place face aux Misérables dans la position qui est celle de Hugo en 1860 face aux Misères : lisant le texte déjà lointain dun monde presque effacé.
Dans la narration elle-même tout un éventail de corrections et dajouts opère le recul de laction dans le passé sous un regard actuel. Souvent Hugo se contente denregistrer la quinzaine dannées écoulées depuis linterruption du manuscrit à quoi, rappelons-le, rien ne lobligeait. Battemolle sétait évadé « il y a quelques années » ; il corrige : « il y a une vingtaine dannées[61] ». Pour lair Ma Zétulbé, viens régner sur mon âme qui charme les pensionnaires du couvent en 1824, il ajoute : « un air aujourdhui bien lointain[62] ». Le passage de Jean Valjean devant être indiqué à Javert par le caissier du péage du pont dAusterlitz, il précise, vrai ou faux, « le péage y existait encore à cette époque[63] ». Mot qui revient souvent. Du jardin de la rue Plumet, Hugo avait écrit :
Ce jardin ainsi livré à lui-même depuis tant dannées était devenu extraordinaire et charmant. Celui qui écrit ces lignes sest souvent arrêté dans cette rue pour le contempler [...]. Il a bien des fois laissé ses yeux et sa pensée pénétrer [...]
il corrige, sans prendre garde que lespace de temps entre labandon du jardin et le moment où les passants le voient na, lui, pas changé et quà ce compte il aurait cessé dêtre entretenu en 1772 :
Ce jardin ainsi livré à lui-même depuis plus dun demi-siècle était devenu extraordinaire et charmant. Les passants dil y a quarante ans sarrêtaient dans cette rue pour le contempler.[...] Plus dun songeur à cette époque a laissé bien des fois ses yeux et sa pensée [...][64].
Le cimetière Vaugirard était en cours de désaffection en 1824 ; Hugo fait dire sa fermeture prochaine à Fauchelevent, lui apporte confirmation en précisant la date 1830- et développe les usages disparus « Les portes des cimetières de Paris se fermaient à cette époque au coucher du soleil[65] »- avant den profiter pour glisser un bref historique des cimetières parisiens. A défaut de chronologie explicite, les choses et les moeurs disent la durée qui sépare la narration de son objet. Si grande quelle a tout effacé de la maison de Gillenormand, murs et emplacement :
Cette maison a été démolie et rebâtie depuis, et le chiffre en a probablement changé dans ces révolutions de numérotage que subissent les rues de Paris[66] ». Parfois cela ne va pas sans allusion ironique au temps présent : « Il faut se souvenir quà cette époque la police nétait pas précisément à son aise ; la presse libre la gênait. Quelques arrestations arbitraires, dénoncées par les journaux, avaient retenti jusquaux chambres[67][...]. »
A plusieurs reprises dautres mémoires relaient celle de lauteur. Il nest pas le seul à se souvenir du vieux Paris :
Létat des lieux que nous dressons ici est dune rigoureuse exactitude et éveillera certainement un souvenir très précis dans lesprit des anciens habitants du quartier[68].
Ceux dun autre autorisent le portrait de M. Gillenormand :
Rue Boucherat, rue de Normandie et rue de Saintonge, il existe encore quelques anciens habitants qui ont gardé le souvenir dun bonhomme appelé M. Gillenormand[69].
Mais la mémoire, conscience du temps, mesure aussi ce quil construit et, selon un schéma qui détermine plus généralement tout le fonctionnement idéologique du livre, la remémoration déclenche la constatation du progrès :
Ce bonhomme était vieux quand ils étaient jeunes. Cette silhouette, pour ceux qui regardent mélancoliquement de vague fourmillement dombres quon nomme le passé, na pas encore tout à fait disparu du labyrinthe des rues voisines du Temple auxquelles, sous Louis XIV, on a attaché les noms de toutes les provinces de France, absolument comme on a donné de nos jours aux rues du nouveau quartier Tivoli les noms de toutes les capitales de lEurope ; progression, soit dit en passant, où est visible le progrès[70]. »
Signe de la profondeur de son enracinement dans le texte, ce mécanisme peut semparer du moindre prétexte : « On se souvient de la grande épidémie de croup qui désola, il y a trente-cinq ans, les quartiers riverains de la Seine à Paris, et dont la science profita pour expérimenter sur une grande échelle lefficacité des insufflations dalun, si utilement remplacées aujourdhui par la teinture externe diode[71]. »
Datation, accentuation de léloignement, effacement, surcharge historique, mémoire, progrès et même rature sur le manuscrit : un long ajout réunit exemplairement tous les aspects de la mise en perspective de la première rédaction par la seconde. Poursuivi par Javert, Jean Valjean, la Seine franchie, sarrête.
Le point de Paris où se trouvait Jean Valjean, situé entre le faubourg Saint-Antoine et la Râpée, est un de ceux quont transformés de fond en comble les travaux récents [...]. Les cultures, les chantiers et les vieilles bâtisses se sont effacés. Il y a aujourdhui de grandes rues toutes neuves [...]des embarcadères, des chemins de fer, une prison Mazas ; le progrès, comme on voit, avec son correctif.
Il y a un demi-siècle, [...] lendroit précis où était parvenu Jean Valjean sappelait le Petit- Picpus. La porte Saint-Jacques, [...] la barrière des Sergents, les Porcherons, [...] le Petit-Picpus, ce sont les noms du vieux Paris surnageant dans le nouveau. La mémoire du peuple flotte sur ces épaves du passé.
Le Petit-Picpus, qui du reste a existé à peine et na jamais été quune ébauche de quartier, avait presque laspect monacal dune ville espagnole. Les chemins étaient peu pavés, les rues étaient peu bâties. [...]
Tel était ce quartier au dernier siècle [!]. La révolution lavait déjà fort rabroué. Lédilité républicaine lavait démoli, percé, troué. Des dépôts de gravats y avaient été établis. Il y a trente ans, ce quartier disparaissait sous la rature des constructions nouvelles. Aujourdhui, il est biffé tout à fait[72]. »
Faut-il ajouter que le Petit-Picpus concentre dautant mieux lhistoire de Paris, lexpérience quen a Hugo et la nôtre aussi quil a « existé à peine » -ou plutôt pas du tout.
Tous les endroits de la narration ne subissent pas pareil traitement. Deux en sont particulièrement affectés : la masure Gorbeau et le couvent à lévocation duquel prélude celle du Petit-Picpus. Dune part, procédure radicale et exceptionnelle, les deux descriptions, primitivement écrites au présent, passent aux temps du passé : non plus « Le promeneur solitaire qui saventure dans les pays perdus de la Salpêtrière [...]. Cest le vieux quartier du Marché-aux-Chevaux. [...] Ce promeneur sil se risque au-delà des quatre murs caducs...» mais « Il y a quarante ans, le promeneur solitaire qui saventurait [...] Cétait le vieux quartier du Marché-aux-chevaux. [...] Ce promeneur sil se risquait [...] [73]». Avec, pour le couvent, laccentuation de son déclin en probable disparition : au lieu de « Il y a vingt ans, les religieuses étaient près de cent, à lheure quil est, elles ne sont plus que 28 » Les Misérables disent : « Il y a quarante ans, les religieuses étaient près de cent ; il y a quinze ans, elles nétaient plus que vingt-huit. Combien sont-elles aujourdhui ?[74] » Si bien que ce qui était pour la masure Gorbeau un avenir prévisible : « Déjà les antiques rues étroites qui avoisinent les fossés Saint-Victor et le Jardin des Plantes sébranlent. [...] Le jour où lon y verra fumer les marmites noires du bitume on pourra dire que la civilisation est arrivée rue de lOurcine », devient un passé déjà lointain : « Depuis que la gare du railway dOrléans a envahi les terrains de la Salpêtrière, les antiques rues étroites [...] sébranlent. [...] Un matin, matin mémorable, en juillet 1845, on y vit tout à coup fumer les marmites noires du bitume ; ce jour-là on put dire que la civilisation était arrivée rue de lOurcine[75]... ». Dautre part, pour le couvent surtout, une série dajouts historiques, tirant à eux la représentation, achèvent denfoncer son objet dans larchéologie : histoire de lordre de Martin Verga (1425) depuis saint Bernard ( 1098) et saint Benoît (529) ; vers latins superstitieux laissés dans sa cellule par Mme de Genlis, écrits en latin du 16° siècle et où lorthographe du nom de Dismas contrarie « les prétentions quavait, au siècle dernier, le vicomte de Gestas à descendre du mauvais larron[76] » ; texte archaïque de la « petite patenôtre blanche » inscrite au mur du réfectoire et que Cosette ni Jean Valjean nont sans doute jamais lue puisque « En 1827, cette oraison caractéristique avait disparu du mur sous une triple couche de badigeon. Elle achève à cette heure de seffacer dans la mémoire de quelques jeunes filles dalors, vieilles femmes aujourdhui[77]. » Pour faire bon poids, peu après, la mère supérieure, sorte de Gillenormand féminin et dévôt, surfe, devant Fauchelevent et le lecteur ébahis, sur locéan des archives bénédictines : dom Mabillon, saint Bernard, Merlonus Horstius, Bérulle, saint Diodore archevêque de Cappadoce, le bienheureux Mezzocane abbé dAquila, saint Térence évêque de Port sur lembouchure du Tibre, saint Bernard Guidonis, porté en léglise des dominicains de Limoges malgré le roi de Castille[78]....
En revanche, Paris étudié dans son atome reste écrit tout entier au présent et le narrateur-auteur qui y fait figure daïeul sabstient aussi de noter que léléphant de la Bastille, délabré en 1830, avait été détruit en juillet 1846[79]. Non sans raison : les survivances monstrueuses, le couvent et la masure Gorbeau, théâtre dun guet-apens dont Hugo fait limage du coup dEtat en lui donnant son numéro 50-52, figurent, du côté de la religion et du crime, privé ou public, une éternelle présence du passé que démentent Paris et son gamin. Cest que la mise en perspective de lhistoire depuis le présent inclut dans la narration la question de lavenir et sa réponse parfois- de la manière la plus simple qui soit : la simple confrontation du passé et du présent suffit à dénoncer une stagnation de lhistoire, voire un recul, ou à indiquer un progrès. Les ajouts de lexil en prennent acte parfois explicitement Christus nos liberavit dément violemment la thèse du terme mis à lesclavage par le christianisme-, ils laissent le plus souvent le lecteur conclure. De cette première manière ils disent le progrès et y participent en le montrant. Mais lintérêt des Misérables ne réside pas là, il tient à lexceptionnelle productivité idéologique résultant de lextrapolation induite, chez le lecteur, par la rétrospection générale construite dans la révision du texte pendant lexil. Linterrogation du narrateur-auteur quelle suscite, -en sommes-nous toujours à 1845 ? en resterons-nous là ? le lecteur ne peut que la reproduire pour son compte, avec un base de comparaison, un écart historique, plus grand. On ne vole plus de pain dans les boulangeries ; voit-on toujours le même horizon du haut des barricades ? quand il sen fait. La préface du livre « Tant quil existera....une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, tant que...., tant que.... des livres de la nature de celui-ci ne seront peut-être pas inutiles» prend acte de ce mécanisme qui en fait un « appareil doptique » appliqué sur » le Progrès.
Les digressions y participent. Non seulement par la présence effective quelles donnent à lauteur et par le rapport à lhistoire quelles énoncent explicitement, mais également par leur forme qui résulte, elle-aussi, de leur genèse. Très peu en effet constituent un ajout à proprement parler, mais plutôt une amplification correctrice. Parenthèse reprend dans ces derniers paragraphes, à peu près tels quels, ceux qui concluaient la description du couvent et corrige, non sans la déborder longuement, une réflexion regrettant la disparition du sentiment religieux[80]. Dans lhistorique de 1830 et du règne de Louis-Philippe, Mal cousu, conteste un assez long texte par lequel Hugo approuvait le choix fait par le peuple de la dynastie dOrléans et condamnait, avec mesure, la République et les républicains. Les arguments sont conservés, mais mis maintenant dans la bouche de ce que Hugo appelle « les habiles » et critiqués[81]. A loccasion du portrait de M. Gillenormand, le développement concernant les doctrinaires est simplement ajouté, pour les mettre dans le même sac, à celui qui visait les ultras. De manière comparable, dans la méditation de Marius hésitant à se joindre au combat, Lextrême bord, les objections de lhonneur militaire sont de première version, le motifs de solidarité aussi et la seconde ajoute la « rectification splendide [82]» que font dans son esprit le droit et le juste. Les derniers chapitres de LArgot développent la constatation antérieure dune inflexion de largot vers une « gaîté diabolique et énigmatique » et corrigent un bref développement appelant envers les déshérités à lexercice dune charité activée par la crainte dun retour aux jacqueries[83]. Les deux chapitres La surface de la question et Le fond de la question reviennent également sur un texte plus court de 1847[84]. Certains paragraphes sont simplement supprimés ceux qui montraient dans linsurrection de 1832 un contre-coup, une « réplique » de 1830 ; beaucoup sont ajoutés, plusieurs, comme dans Mal cousu, sont reproduits mais affectés au discours du « juste-milieu », école « du bon sens » et « parti de leau tiède ».
Sans doute peut-on ironiser sur le réemploi par Hugo de lexpression de ses convictions antérieures pour les démentir en les plaçant cyniquement dans la bouche dinterlocuteurs dévalués (« économie ! économie ! »). On peut aussi porter le jugement inverse : il lui fallait du courage pour se reconnaître et se déprécier si nettement au lieu de tout brûler et de réécrire. Reste, quoi quil en soit, laspect dialogique de ces digressions. Leur genèse lexplique et le manuscrit donne le spectacle déconcertant de ce dialogue étonnement laborieux de Victor Hugo avec lui-même- mais son effet se passe du savoir du généticien et il sétend aux textes de seconde version sans ébauche dans la première : le Conventionnel G. répond à Mgr Myriel, Waterloo discute le sens de lévénement et même ses causes et ses circonstances, La Charybde du faubourg saint Antoine sinterroge, non sans remords, sur juin 48, Lintestin de Léviathan met en doute autant quil laffirme le « progrès actuel ». Dans Les morts ont raison et les vivants nont pas tort, au seuil de lagonie de la barricade et du sacrifice de Jean Valjean, le discours en vient à corriger sinon la narration, du moins son éventuel effet désespérant :
Le Progrès !
Ce cri que nous jetons souvent est toute notre pensée ; et, au point de ce drame où nous sommes, lidée quil contient ayant encore plus dune épreuve à subir, il nous est permis peut-être den soulever le voile, du moins den laisser transparaître une lueur.
Le livre que le lecteur a sous les yeux [...] cest, dun bout à lautre, [...] la marche du mal au bien, de linjuste au juste, du faux au vrai, de la nuit au jour[...][85]. »
Cette interlocution nest ni duplicité ni ambiguïté, ni même hésitation. Seulement, dans sa propre parole Hugo reconnaît et sil le faut creuse la même distance que celle qui éloigne 1862 de 1848, le présent du passé et lavenir du présent, nous-mêmes également de lui. Et le lecteur entre à son tour dans ce dialogue ouvert par l'histoire entre l'auteur et Victor Hugo.
Impossible de croire, cela étant, que larrêt de la rédaction à Buvard bavard fut fortuit ou dû à je ne sais quel saisissement horrifié devant laveu dune pulsion incestueuse. Mais la contradiction latente quil y avait à plaindre la victime Jean Valjean sans approuver le justicier Enjolras devenait flagrante et insurmontable à lapproche du dénouement. Le moment était venu de faire mourir les insurgés : de quelle mort ? sacrificielle ou très regrettable mais finalement absurde, presque méritée ? Quel sens donner à la convergence des misérables Mabeuf, Eponine, Gavroche et Jean Valjean lui-même-, vers la barricade des insurgés : pouvait-elle rester celle de malheureux vers une mauvaise cause, pour un redoublement dégarement sinon de crime ?
Bref, une fois parvenu à ce point de laction, la logique même des Misères obligeait Hugo à trancher : il devait soit opposer la misère humaine du héros et la misère historique de linsurrection manquée mais cétait régresser depuis le réformisme charitable dun Myriel vers la dureté répressive du Balzac de Splendeurs et misères , soit les faire converger mais cétait renoncer à ses propres opinions politiques. Par une coïncidence extraordinaire il arriva que ce dilemme se présenta au moment précis, en février 1848, où les événements semblèrent commencer dy répondre. On comprend que Hugo ait suspendu la rédaction pour participer à une histoire si opportunément disposée à achever loeuvre. Mais on comprend aussi que son propre texte lui ait en quelque sorte dicté sa conduite. Fort modérée dabord, elle bascule, on le sait, vers la dissidence puis lopposition ce jour de juillet 1849 où la majorité de lassemblée législative enterre sous une commission la législation à créer pour remédier à la misère. Ce jour-là, les faits la mauvaise foi de ses amis de droite et leur indignation devant sa sincérité obligèrent Hugo à reconnaître que Jean Valjean devait donner un coup de main aux insurgés de la barricade. Le reste allait de soi et ne demandait que du courage.
On a vu comment Hugo souligne linterruption de la rédaction sur le manuscrit. Je crois quil faut donner son sens plein à cette annotation, qui semble narcissique et vaniteuse : Ici le pair de France sest arrêté parce quun pair de France ne pouvait aller plus loin ; et le proscrit a continué parce quil fallait pour continuer être proscrit, et « proscrit volontaire », comme on dit, proscrit malgré lamnistie de 1859, proscrit par un sacrifice réunissant ceux de Jean Valjean et dEnjolras - de Gavroche et d'Eponine également.
[1] V. Hugo, Oeuvres complètes, R. Laffont, « Bouquins », 1985 et 2002, vol. « Chantiers », R. Journet éd., « Dossier des Misérables », p. 734.
[2] Ibid., p. 738.
[3] R. Journet et G. Robert, Le Manuscrit des Misérables, Annales littéraires de luniversité de Besançon, Les Belles Lettres, 1963, p. 380.
[4] V. Hugo, Oeuvres complètes, vol. cité, p. 749.
[5] Les Misérables , IV, 14, 1, ibid., vol. « Roman 2 », p. 911. Les références au roman seront désormais données simplement par les trois chiffres localisant le chapitre, suivis de la page dans cette édition.
[6] Cest la thèse de Jacques Seebacher dans « Misère de la coupure, coupure des Misérables » in Victor Hugo et le calcul des profondeurs, PUF, 1993, p. 167 et suiv. La nôtre rejoindrait celle de P. Laforgue (« Mythe, révolution et histoire La reprise des Misérables en 1860 », La Pensée, n°245, mai-juin 1985) si celui-ci ne faisait dépendre la reprise des Misérables dun revirement idéologique et littéraire de Hugo, où celui-ci abandonnerait une représentation mythologique de la Révolution pour sa représentation historique. La conception de la Révolution ne me semble pas lobjet des Misérables ni un de ses enjeux décisifs ni même une de ses perspectives importantes, et je ne crois donc pas non plus quune aporie dans lécriture de la Révolution dans La Fin de Satan puisse expliquer le retour aux Misérables : la cause est ici disproportionnée aux effets. Sil fallait l « expliquer », lamnistie daoût 1859 serait une hypothèse explicative plus économique et donc meilleure ; mais je ne crois pas quon puisse « expliquer » un geste qui relève de la liberté de lécrivain : elle sexerce dans certaines conditions mais elle saffranchit de déterminations. En revanche, P. Laforgue voit juste, à mon sens, lorsquil met laccent sur limportance dune écriture de lhistoire dans Les Misérables. Seulement il renonce (explicitement p. 40) à sappuyer sur le manuscrit pour en juger alors quil me semble possible de le faire.
[7] V. Hugo, Les Misères Première version des Misérables, éditions Baudinière, 1927. On sait toutes les critiques qui peuvent être faites à cette publication. Ses fautes sont assez aisément corrigibles en se référant au Manuscrit des Misérables de R. Journet et G. Robert. Et elle reste précieuse parce quelle seule permet de lire le texte de 1848 dans sa continuité et de sen faire lidée que donne la lecture courante.
[8] Ouvrage cité ci-dessus, doù je tire lessentiel de mes informations sur la genèse du livre.
[9] De fait, ladaptation de la collection verte chez Hachette semble retrancher tout ce que lexil ajoute. Il y aurait une étude à faire sur la « régression génétiquement programmée » des adaptations : elles semblent souvent défaire ce que fait lécriture.
[10] II, 7, 4 ; 408.
[11] V, 2, 1 ; 991.
[12] V, 2, 5 ; 1001.
[13] V, 2, 6 ; 1003.
[14] III, 1, 11 ; 469.
[15] Beaucoup dadditions en III,2 et en III, 3, 3, en particulier ce qui concerne les doctrinaires.
[16] IV, 7, 2 ; 786.
[17] IV, 7, 4 ; 790-792.
[18] V, 2, 2 ; 995.
[19] I, 2, 6 ; 69.
[20] Elle trouve une occurrence assez étrange dans le mot par lequel la mère Supérieure conclut son entretien avec Fauchelevent : « Père Fauvent, je suis contente de vous... » (II, 8, 3 ; 429).
[21] II, 1, 17 ; 277.
[22] II, 1, 18 ; 278.
[23] V, 1, 5 ; 942.
[24] V, 1, 1 ; 929.
[25] IV, 12, 2 ; 861.
[26] IV, 11, 2 ; 849.
[27] V, 1, 3 ; 934.
[28] I, 4, 2 ; 124.
[29] I, 1, 12 ; 43.
[30] Et qui, par là, sapparente aux personnages historiques réels que le roman historique mèle classiquement à ceux de la fiction.
[31] « Revenons, cest une nécessité de ce livre, sur ce fatal champ de bataille. » Le plus beau est que le lecteur ne saperçoit ni que ce nest pas le même « passant » qui revient, ni quen sexcusant sur les nécessités du livre, Hugo traite le récit en digression !
[32] IV, 1, 3 ; 661.
[33] En II, 3, 6 ; 311. Ce portrait donne leur retentissement à plusieurs éléments ultérieurs : le « A bas les Bourbons, et ce gros cochon de Louis XVII ! » de Marius, bien sûr, mais aussi quantité de notations discrètes : la rencontre du roi avec le père de Bossuet (III, 4, 1 ; 519), le mot de la Thénardier « Jaimerais mieux épouser Louis XVIII... » (II, 3, 9 ; 329), etc.
[34] La significative erreur de lecture commise par Guillemin sur le folio 104 du Carnet davril-mai 1860 « Modifier le côté philosophique de lévêque » a donné lieu pendant une trentaine dannées à toutes sortes de commentaires inventifs mais dépourvus de la moindre pertinence. Elle. a été corrigée par R. Journet dans le volume Chantiers, éd citée, p. 735. Le chapitre du Conventionnel G. nest pas le seul à concourir à cette modification ; Solitude Mgr Bienvenu, qui est de lexil, y contribue aussi.
[35] De diverses manières. Lun ouvre la seconde partie, lautre la troisième ; le même comportement du charognard Thénardier conclut les deux ; le plan de la bataille emprunte son « A » à linitiale des Amis de lABC et celui de leur barricade au « N » de lEmpereur ; le combat poursuivi de part et dautre dun escalier coupé marque lacmè des deux combats ; ils ont chacun sa parole héroïques le mot de Cambronne et le discours dEnjolras, etc.
[36] Encore ne citons-nous pas tout : voir le Dossier des Misérables, ouvr. cité, p. 736-743.
[37] III, 1, 7 ; 463 et suiv.
[38] III, 7, 3 ; 573.
[39] II, 8, 1 ; 417.
[40] II, 3, 2 ; 300.
[41] III, 8, 6 ; 592.
[42] II, 6, 8 ; 398.
[43] IV, 6, 1 ; 745.
[45] IV, 6, 1 ; 745.
[46]I, 6, 1; 160.
[47]II, 5, 10 ; 376.
[48] I, 3, 1 ; 97.
[49]II, 8, 8 ; 447.
[50]Ibid.
[51]III, 4, 1 ; 514.
[52] Aussi artiste consciencieux soit-il, il sen dispense pour Histoire dun crime.
[53]V, 1, 1 ; 925.
[54] II, 6, 1; 379.
[55] On pourrait dire que lintertexte des Misères est Splendeurs et misères des courtisanes et Les Mémoires doutre-tombe celui des Misérables . Hugo observe lui-même : Javais fait sous le nom de Marius des quasi-mémoires, expliquant ce que jai appelé quelque part la révolution intérieure d'une conscience honnête. Ceci na été compris quà moitié ( Fragment publié par Henri Guillemin, repris dans lédition Massin, t. 16, p.455.) Lévolution des idées de Marius est peu modifiée pendant lexil ; il nen va pas de même de son appréciation (chapitres III, 4, 3 à 5 entièrement ajoutés) et surtout de la portée que le texte lui donne, ainsi formulée : « En même temps un changement extraordinaire se faisait dans ses idées. Les phases de ce changement furent nombreuses et successives. Comme ceci est lhistoire de beaucoup desprits de notre temps, nous croyons utile de suivre ces phases pas à pas et de les indiquer toutes. / Cette histoire où il venait de mettre les yeux leffarait. / Le premier effet fut léblouissement. » (III, 3, 6 ; 499-500) Cest dire que la transformation des idées de Marius est doublement historique : elle appartient à lhistoire et elle procède dune modification du rapport à lhistoire ou, pour mieux dire, de linstauration dun rapport à lhistoire. En cela elle mime celle du roman lui-même : en acquérant une historicité que lui donnent la durée et lentrée de son auteur dans lhistoire, il trouve un rapport à lhistoire quil lui faut représenter. Il suffit aux Misérables denregistrer la dépendance de leur écriture à lhistoire pour dire lhistoire.
[56] IV, 10, 2 ; 831.
[57] II, 1, 1 ; 241.
[58] IV, 1, 3 ; 662.
[59] III, 1, 5 ; 461.
[60] II, 5, 1 ; 353-354.
[61] II, 5, 5 ; 361.
[62] II, 6, 5 ; 393.
[63] II, 5, 2 ; 356.
[64] IV, 3, 3 ; 700.
[65] II, 8, 5 ; 434 et 435. Et II, 8, 1 ; 420 pour ce quen sait Fauchelevent.
[66] III, 2, 2 ; 474.
[67] III, 5, 10 ; 374.
[68] II, 5, 4 ; 359. Il sagit dune partie du quartier du Petit-Picpus ; cela donne du sel à la phrase, mais ne change rien à son effet.
[69] III, 2, 1 ; 473.
[70] III, 2, 1 ; 473.
[71] IV, 6, 1 ; 745.
[72] II, 5, 3 ; 358.
[73] II, 4, 1 ; 339.
[74] II, 6, 11 ; 401. Beaucoup dautres corrections ou additions contribuent à faire du couvent une survivance disparue, à commencer par le titre ambigu de ce chapitre, Fin du Petit-Picpus.
[75] II, 4, 2 ; 343.
[76] II, 6, 6 ; 395.
[77] II, 6, 5 ; 390.
[78] II, 8, 1 ; 422 et suiv.
[79] Cette manipulation de la distance temporelle est explicite dans cette notation : « A lépoque, dailleurs presque contemporaine, où se passe laction de ce livre, il ny avait pas, comme aujourdhui, un sergent de ville à chaque coin de rue (bienfait quil nest pas temps de discuter) ; [...] » (III, 1, 6 ; 462).
[80] Voir ce texte dans Le Manuscrit des Misérables, ouvr. cité, p. 106-107.
[81] Voir Le Manuscrit des Misérables et la transcription du texte initial dans le Dossier des Misérables, ouvr. cité, p. 799 et suiv.
[82] IV, 13, 3 ; 887. Ce paragraphe et ce qui suit jusquà la fin date de lexil.
[83] Voir le texte primitif dans LeManuscrit des Misérables, ouvr. cité, p. 199.
[84] Voir sa transcription dans Le Manuscrit des Misérables, ouvr. cité, p. 209-212.
[85] V, 1, 21 ; 981.