Françoise Chenet : Le paysage dans Quatrevingt-Treize

Communication au Groupe Hugo du 22 novembre 2003
Ce texte peut être téléchargé, dans la mise en page de son auteur, au format pdf.


Le sujet de cette intervention m’est venu d’une relecture de Quatrevingt-Treize dans le cadre d’un séminaire bucolique ayant pour thème : « Le bocage et la construction poétique du lieu ». Quatrevingt-Treize s’imposait mais j’y ai surtout vu la “déconstruction” d’un lieu poétique : le bocage dans Quatrevingt-Treize est l’envers du bocage[1]. et la démystification de tout ce qu’il a pu inspirer[2], et à Hugo en tout premier lieu.  Bien que l’amour soit au cœur du roman, on ne s’étonnera pas de n’y trouver ni idylle, ni bergers, ni même de satyre cornu. “Le pied fourché” est d’ailleurs frappé d’un impôt par “un édit de 1635” contre lequel protestent les libraires dans le “célèbre volume de Saint-Barthélemy[3]“ et s’il est question de vaches, c’est sur une estampe offerte à la concupiscence de Georgette mais que la version définitive ne retiendra pas (p. 384, note 1). Pas de vaches mais un bouvier, l’Imânus (p. 367). C’est dire que la dépoétisation est aussi “féroce” que les paysages dénoncés : “En présence de certains paysages féroces, on est tenté d’exonérer l’homme et d’incriminer la création.” C’est de cette “tentation” et de ses implications philosophiques, politiques et esthétiques qu’il sera question.

 

Des « paysages féroces » aux « fiers paysages »

Disons d’emblée que ”paysages féroces” est antinomique. Il y a incompatibilité entre les connotations toujours positives de paysage et l’épithète morale et négative qui lui est accolée. Le paysage peut être “lugubre”, “sinistre”, “riant”, “agréable” ou n’importe quoi, il ressortit toujours au jugement esthétique[4] qui, seul in fine, décide s’il mérite d’être regardé et au-delà préservé. Il est la beauté au point d’en être la redondance. Le "je trouve beau ce" du jeune Gargantua institue le paysage comme référence suprême. Déprécier le paysage ne peut être qu’un geste iconoclaste.

Par ailleurs, les dictionnaires nous disent que féroce vient du latin, ferox, “impétueux”, “orgueilleux” puis “cruel”. Son étymologie, < ferus, “sauvage”, en fait un doublet de fier.  De fait, la langue les emploie indifféremment jusqu’au XVIIe siècle où elle spécialise féroce dans le sens de “cruel, sauvage, violent” et par extension “impitoyable”. L’opposition pourrait n’avoir qu’un intérêt historique si elle n’était particulièrement active et féconde dans le contexte de Quatrevingt-Treize. La Marseillaise (1792) nous fait chanter :

 

Entendez-vous dans les campagnes

Mugir ces féroces soldats ?

Ils viennent jusque dans vos bras

Egorger vos fils, vos compagnes !

 

Et elle leur oppose :

 

Quoi ! ces phalanges mercenaires

Terrasseraient nos fiers guerriers ? (bis)

 

De fait, pour les Chouans, les Bleus, étrangers au pays, sont des “bêtes féroces” (p. 157) tandis que l’Imânus, fameux, “infernalement brave” et d’une “férocité épique” décline sans aucun doute toutes les acceptions anciennes de fier[5], assez proches du franco-normand dont dérive son nom : “Immanis, cruel, farouche, monstrueux”[6]. Le rapprochement avec “immanence” éclaire, comme on le verra, la nature de ces “paysages féroces” qui sont dans ce texte une figure de l’anankè.

Autre éclairage, qui délimite le champ conceptuel de féroce vs fier, l’une des rares occurrences de paysage dans la Légende des Siècles, exactement contemporaine et symétrique de Quatrevingt-Treize de trouve dans la troisième série (1883) il s’agit d’une pièce datée du 12 juillet 1873, appartenant au cycle de L’Amour (livre XXXIX) et au poème La Grèce :

Ecoute, si tu veux, puisque nous nous aimons,

Nous allons tous les deux fuir par-delà les monts ;

Nous irons sous le ciel de Grèce où sont les muses. (1-3)

Viens ; devant la splendeur de cet horizon bleu,

Nous sentirons en nous croître dans l’ombre un dieu ;

Viens ; nous nous aimerons dans ces fiers paysages

Comme jadis s’aimaient les belles et les sages… (21-24)

 

Variante, en apparence, du Sacre de la femme, le poème situe son espace dans celui du Satyre, “avec l’Olympe au fond” (v. 30), mais à mi-parcours de l’évolution du faune, quand il est encore à la mesure de l’homme qui le sent “croître” en lui “dans l’ombre”. Condition physique quasi météorologique du paysage, “l’horizon bleu” va de pair avec sa condition morale : l’amour.

 

Dieu manquerait au ciel s’il manquait à la terre,

Car la création n’est qu’un vaste baiser  (vv. 32-33)

 

Plus loin le poème précisera cette fonction du paysage : “hostie” et “hymen” (v. 36), il est la célébration de l’union de l’homme apaisé et du monde par la médiation de la femme. Ces “fiers paysages” réalisent la prédiction du Satyre : “L’azur du ciel sera l’apaisement des loups”. Dans Quatrevingt-Treize, à l’opposé, la férocité des paysages correspond à la violence prédatrice des hommes ramenés à l’état sauvage et mus par la haine. Au demeurant, si “fiers paysages” dérange moins que “paysages féroces”, la qualification reste surprenante et ne se comprend que dans le chiasme où elle s’inscrit symétriquement avec “féroces”.

Autre manière de saisir le choc de cette espèce d’oxymore qu’est dans le fond le syntagme “paysages féroces”, ce texte magnifique des Travailleurs de la mer où Hugo décrit comment  le promeneur est prêt à se laisser submerger par la mer, assis dans la chaise du “Qui-dort-meurt”, après avoir été attiré par la “beauté de la vue”, “le charme des grands horizons” et “l’amour du prospect” [7]. Difficile de concilier cette jouissance quasi érotique du paysage – même si elle conduit l’amateur (au sens latin)  à sa perte par “excès de beauté et de lumière” – avec ce qu’implique la férocité.

Dans tous les cas, le syntagme disjoncte et oblige le lecteur de Quatrevingt-Treize à revoir les catégories suivant lesquelles il juge les paysages en général et  ceux de Hugo en particulier. Pour les premiers, il a comme grille de référence la peinture de Millet qui le renvoie à l’imagerie populaire d’une nature domestiquée et paisible qui prévaut à l’époque et dans laquelle on veut reconnaître la spécificité du paysage français[8]. Ou encore l’impressionnisme dont le nom dérive d’une “Impression soleil levant” datée de 1872 et exposée en 1874 [9].

La convergence avec Quatrevingt-Treize n’est pas fortuite si l’on considère le titre du dernier chapitre : “Cependant le soleil se lève” (III, VII, 6). La promesse d’un monde plus juste comme le renouveau de la peinture se traduisent par le même paysage. Le chapitre réunit tous les éléments qui permettent de situer  dans le système des paysages, cette férocité choquante. D’une part la “confrontation tragique” de la Tourgue et de la guillotine, l’une ayant engendré l’autre : “Dans la terre fatale avait germé l’arbre sinistre […]. Aujourd’hui, la vieille férocité constatait et subissait la nouvelle épouvante” (p. 516). Sont renvoyés dos à dos (ou face à face en l’occurrence) “férocité” féodale, et “nouvelle épouvante” révolutionnaire. Au-delà, ou au-dessus, la “nature impitoyable” parce que pérenne et imperturbablement aimante et magnanime :

 

La nature est impitoyable ; elle ne consent pas à retirer ses fleurs, ses musiques, ses parfums et ses rayons devant l’abomination humaine ; elle accable l’homme du contraste de la beauté divine avec la laideur sociale […] ; il ne peut se soustraire à l’immense reproche de la douceur universelle et à l’implacable sérénité de l’azur. Il faut que la difformité des lois humaines se montre toute nue au milieu de l’éblouissement éternel. L’homme brise et broie, l’homme stérilise, l’homme tue ; l’été reste l’été, le lys reste le lys, l’astre reste l’astre. (p. 516).

 

Et dans la lumière du soleil, Gauvain “en gloire”, sur l’échafaud, “l’œil héroïque et souverain”, la chevelure au vent avant sa “tête charmante et fière” ne tombe et restitue ipso facto au paysage sa “fierté”. Surtout quand on sait que Gauvain est un avatar de Blanche, inspiratrice du cycle de L’Amour.

C’est donc “au regard des choses sacrées”, “en présence de la création fleurie, embaumée, aimante et charmante” que se jugent les actions des hommes dont leurs paysages témoignent. La nature est le contrepoint qui permet de les évaluer. Si la “terre est fatale”, ce n’est pas son fait, mais bien celui de l’Histoire et donc de l’homme. 

« Incriminer la création » ?

Ce constat – cette sentence – arrive au terme d’un procès instruit tout au long du roman : qui de l’homme ou de la nature est responsable de cette férocité des paysages  ? Le texte de Hugo est explicite, ce type de paysage est dans Quatrevingt-Treize une forme de l’anankè :

La configuration du sol conseille à l’homme beaucoup d’actions. Elle est complice plus qu’on ne le croit. En présence de certains paysages féroces, on est tenté d’exonérer l’homme et d’incriminer la création ; on sent une sourde provocation de la nature ; le désert est parfois malsain à la conscience, surtout à la conscience peu éclairée […]. La conscience petite est vite reptile ; les futaies crépusculaires, les ronces, les épines, les marais sous les branches, sont une fatale fréquentation pour elle ; elle subit là la mystérieuse infiltration des persuasions mauvaises […]. Quand l’homme est ignorant, quand le désert est visionnaire, l’obscurité de la solitude s’ajoute à l’obscurité de l’intelligence ; de là dans l’homme des ouvertures d’abîmes. De certains rochers, de certains ravins, de certains taillis, de certaines claires-voies farouches poussent l’homme aux actions folles et atroces. On pourrait presque dire qu’il y a des lieux scélérats. (III, I, 6, pp. 285-286)

 

Le titre du chapitre, “L’âme de la terre passe dans celle de l’homme”, résume le propos. Elle accrédite l’idée d’un “génie du lieu”, mauvais en l’occurrence et incarné par l’Imânus[10], qui disculperait l’homme. De là ce qu’il est convenu d’appeler un paysage “moral” et même “métaphysique” : il s’agit de “l’âme de la terre”. On voit poindre le sacrilège : la nature peut-elle être mauvaise ? C’est sans doute pourquoi Hugo multiplie les modalisations : l’adjectif indéfini “certains“ qualifiant “paysages”, “rochers”, “ravins”, “taillis” les particularise et relativise. De même “on pourrait presque dire” est de l’ordre de la dénégation. Ou de la prétérition. Hugo est prudent : il dit sans dire, comme s’il se méfiait de ces puissances obscures qui passent de la terre à l’homme et semblent le diriger, l’animer, au plein sens étymologique du terme. Dans ce contexte, “paysages féroces” peut-être compris non comme une métaphore mais comme une variation, sans doute ironique, sur la célèbre formule d’Amiel : “un paysage quelconque est un état de l’âme”. Ici, il est explicitement un état de “l’âme de la terre pass[ée] dans celle de l’homme”.

On comprend que la critique ait une fois de plus dénoncé son “panthéisme”, c’est-à-dire son matérialisme [11]. Hugo récuse aussi par avance un positivisme réducteur auquel pourrait faire penser cette espèce d’explication des comportements humains par le “milieu”. Au demeurant, la thèse de l’influence du milieu naturel et du climat remonte à Bodin et est au fondement du droit naturel et de “l’invention de la liberté”. Les philosophies du progrès sont des naturalismes. Sans doute est-ce le Michelet de la Préface de 1869 à son Histoire de France qui est le plus proche de Hugo et exprime le mieux ce “puissant travail de soi sur soi, où la France, par son progrès propre, va transformant tous ses éléments bruts”, donnés par sa “base géographique”, le “sol”, la “nourriture”, le “climat” : “Tel le nid, tel l’oiseau. Telle la patrie, tel l’homme.” C’est par le processus de cette autocréation, de cette invention de soi et de la patrie, que se font l’Histoire et la civilisation et que s’affirme la vocation prométhéenne de l’homme[12].

 Or précisément, c’est elle qui est en cause dans le conflit qui oppose la Vendée et la Convention. L’enjeu est bien celui de la “maîtrise” – du monde, de soi. L’homme peut-il échapper à l’influence délétère du milieu et construire un nouvel ordre social comme le projette la Convention ?

 

La grandeur de la Convention fut de chercher la quantité de réel qui est dans ce que les hommes appellent l’impossible. (II, III, 1, P. 245)

 

Tout le projet est contenu, si l’on peut dire, dans le mot “quantité”. L’ordre républicain est ordre au plein sens du terme dont l’aboutissement tragique sera la guillotine et plus positivement l’invention du système métrique. De là l’obsession de la ligne droite chez Cimourdain ou les architectes « messidor » et un “progrès qui aboutit à la laideur” et au  paysage à la guillotine du chapitre final  :

 

De loin sur l’horizon c’était une silhouette faite de lignes droites et dures ayant l’aspect d’une lettre hébraïque ou d’un de ces hiéroglyphes d’Egypte qui faisaient partie de l’alphabet de l’antique énigme […].

On sentait que cela avait été construit par des hommes tant c’était laid, mesquin et petit ; et cela aurait mérité d’être apporté là par des génies, tant c’était formidable. (III, VII, 6, pp. 512-513)[13]

 

Si la Convention est “un lieu immense”, son espace est, quant à lui, “violent, sauvage, régulier” (p. 234).

Aux “paysages féroces” de la Vendée répond le paysage[14]  allégorique de l’avenir éclairé par ces “rayons restés sur l’horizon”:

En même temps qu’elle dégageait de la révolution, cette assemblée produisait de la civilisation. Fournaise, mais forge. Dans cette cuve où bouillonnait la terreur, le progrès fermentait. De ce chaos d’ombre et de cette tumultueuse fuite de nuages, sortaient d’immenses rayons de lumière, parallèles aux lois éternelles. Rayons restés sur l’horizon, visibles à jamais sur le ciel des peuples, et qui sont l’un la justice, l’autre la tolérance, l’autre la bonté, l’autre la raison, l’autre la vérité, l’autre l’amour. La Convention promulgait ce grand axiome : La liberté du citoyen finit où la liberté d’un autre citoyen commence ; ce qui résume en deux lignes toute la sociabilité humaine. (II, III, 1, p. 249).

 

Le moins qu’on puisse dire, c’est que la Vendée est loin de cette “sociabilité” que concrétise l’œuvre de civilisation et de progrès détaillée dans ce chapitre : “la servitude abolie” (entre autres bonnes choses) est très exactement ce que semblent refuser par leur insurrection ces paysans bornés et victimes de ces “paysages féroces” :

 

Si l’on veut comprendre la Vendée, qu’on se figure cet antagonisme : d’un côté la révolution française, de l’autre le paysan breton. En face de ces événements incomparables, menace immense de tous les bienfaits à la fois, accès de colère de la civilisation, excès du progrès furieux, amélioration démesurée et inintelligible, qu’on place ce sauvage grave et singulier, cet homme à l’œil clair et aux longs cheveux, vivant de lait et de châtaignes, borné à son toit de chaume, à sa haie et à son fossé […], respectant son maître dans son bourreau […], vénérant sa charrue d’abord, sa grand-mère ensuite, croyant à la sainte Vierge et à la Dame blanche, dévot à l’autel et aussi à la haute pierre mystérieuse debout au milieu de la lande […] aimant ses rois, ses seigneurs, ses prêtres, ses poux (III, I, 1, Les Forêts, p .269).

 

Le paysage dans la « querelle de l’idée locale contre l’idée universelle »

On comprend qu’au début du roman le grenadier du régiment qui vient de recueillir la Flécharde et ses trois enfants s’indigne et parle d”un “véritable massacrement pour l’entendement de l’honnête homme” (p. 63). D’où la conclusion du chapitre VI qui explique l’entêtement aberrant des paysans par la nature des lieux  :

Les vastes horizons conduisent l’âme aux idées générales ; les horizons circonscrits engendrent les idées partielles ; ce qui condamne quelquefois de grands cœurs à être de petits esprits : témoin Jean Chouan.

Les idées générales haïes par les idées partielles, c’est là la lutte même du progrès.

Pays, Patrie, ces deux mots résument toute la guerre de Vendée. Querelle de l’idée locale contre l’idée universelle ; paysans contre patriotes (III, I, 6, p. 286).

 

On remarquera que les “horizons circonscrits” ne peuvent donner de véritable paysage, lequel ici est rabattu sur le “pays”[15]. Expression de “l’idée locale”, les “paysages féroces” sont des paysages impossibles. Toutes les théories du paysage concordent pour en faire une transformation valorisée, voire une transfiguration du “pays”[16] dont il dérive étymologiquement. Il n’y a de paysage qu’en rapport avec l’infini ouvert par l’horizon[17], cette limite toujours repoussée et impuissante à “circonscrire”. En fait, ni tout à fait local et réductible au lieu[18], ni totalement universel, sans quoi il ne serait qu’une abstraction, le paysage ne peut être défini  que par un oxymore : c’est un “universel particulier”. Enfermé dans des “horizons circonscrits”, le paysage se résorbe et involue. Il est plus sûrement du côté des “vastes horizons” et donc des “idées générales”, dont celle de “patrie” opposée à “pays”. Du reste, le paysan, attaché à la glèbe, ne saurait avoir assez de recul pour constituer son “pays” en “paysage”[19], de même que la Flécharde ne peut sortir mentalement de son “pays” pour comprendre l’idée de “patrie” (I, I, 1, p. 58).

On peut penser qu’on joue sur les mots y compris dans la réflexion contemporaine sur le paysage. Mais enfin, la “querelle” des “idées” qu’expriment les mots est bien réelle et sanglante et il importe de comprendre la raison de tel usage,  particulièrement chez Hugo, si exact dans son vocabulaire. Voilà pourquoi ces “paysages féroces” produisent à tous les niveaux un “véritable massacrement pour l’entendement”. Sans doute est-ce un effet volontaire pour traduire la stupeur de celui qui, à bonne distance spatiale (les Parisiens du bataillon de Bonnet Rouge ou temporelle (l’auteur puis le lecteur de Quatrevingt-Treize), s’apprêtait à penser “paysage” et qui, confronté à ces “lieux scélérats”, dont ce “lieu épouvantable”, le “tragique bois de la Saudraie” (I, I, 1, p. 53), se voit contraint de leur accoler une épithète qui en dénonce l’euphémisation inhérente au concept même de paysage. En d’autres termes, et provisoirement, il faut admettre que cette impropriété, “paysage” là où l’on attend “pays” ou “lieu”[20], est destinée à rendre l’aberration de cette “guerre plus que civile”[21] puisqu’elle atteint non seulement la famille mais la valeur des mots et des représentations.

 

Les fumées du paysage 

Est-ce ironie? la critique salue la description inaugurale du bois de la Saudraie pour sa réussite esthétique[22]quand Hugo s’emploie à dénoncer tout en la rendant sensible “l’éblouissante fascination de la nature” (I, IV, 7, p. 158) qui occulte la réalité cruelle dont elle est le cadre, voire la complice. Pendant que Tellmarch écoute le chant des oiseaux, la fumée qui monte de l’Herbe-en-Pail signale un autre “spectacle” qui le laisse “immobile”, saisi par le “sinistre éblouissement du désastre”. Encore n’a-t-il pas vu “l’horrible”, le monceau de cadavres déchaussés[23] éclairés par la lune et l’incendie. Toute la description joue sur l’ambivalence des signes qui rendent la lecture du paysage impossible : la fumée peut être “paisible” ou “scélérate” comme ici. Le rouge peut aussi bien être le reflet de l’incendie que la couleur du sang. Expérience symétrique de Lantenac : à  la même “heure charmante que la vieille langue paysanne normande appelle la « piperette du jour »”,  dans une nature qui respire la “joie profonde du matin”, entendant lui aussi le chant des oiseaux, “cardrounettes” et “moineaux de haie”, il voit “le paysage” devenir soudainement “terrible” sans être capable d’interpréter correctement les signes qu’il distingue pourtant nettement :

 

Tout à coup ce paysage fut terrible. Ce fut comme une embuscade qui éclate. on ne sait quelle trombe faite de cris sauvages et de coups de fusil s’abattit sur ces champs et ces bois pleins de rayons, et l’on vit s’élever, du côté où était la métairie, une grande fumée coupée de flammes claires, comme si le hameau et la ferme n’étaient plus qu’une botte de paille qui brûlait. Ce fut subi et lugubre, le passage brusque du calme à la furie, une explosion de l’enfer en pleine aurore, l’horreur sans transition (I, IV, 5, p. 151).

 

Aucun doute ici, il s’agit d’un vrai paysage, bien cadré, “chose vue” par le regard de Lantenac qui pour mieux le comprendre monte sur la “hure”. Cette position dominante et stratégique lui permet effectivement de constituer en paysage le “territoire qui s'estend jusqu'où [s]a veüe peut porter”, suivant la définition de Furetière. Au-delà du rebondissement théâtral – il est acclamé par ses troupes quand il s’attendait à être pris par les Bleus – c’est l’opacité du monde et son illisibilité[24] qui est ironiquement mise en scène autant que la sauvagerie d’une guerre littéralement contre nature. Le paysage dans Quatrevingt-Treize a perdu l’une de ses fonctions : il ne renseigne plus sur l’état des lieux. Il égare et il piège. Sans doute est-ce là une conséquence de la topographie et de cette “guerre des buissons” qui utilise les espaces masqués à des fins tactiques[25]. Mais c’est aussi cette haie aux oiseaux enchanteurs qui rend d’autant plus “féroces” les paysages qu’elle peut être pervertie par la haine : déduction juste de Lantenac après avoir observé le “fourré très hérissé et très fauve” dans lequel il localise la fusillade qu’il a entendue : “L’exécution, si c’était une exécution, avait dû être féroce, car elle fut courte” (p. 152). S’il est vrai que, participant d’une ambivalence ontologique, “la nature enseigne et en même temps égare l'homme[26]“, dans Quatrevingt-Treize, elle égare plus qu’elle n’enseigne. L’image du Bocage-labyrinthe[27], pour correspondre à la topographie, est assez éloquente. Nul besoin de Minotaure, c’est l’espace qui tue et dévore. La fumée qui sort du paysage n’est plus une “fumée d’idées[28]”, ni même – chiasme facile – idées qui partiraient en fumée. Elle a une signification encore plus terrible : ce sont les idées – “partielles” ou “générales” – qui mettent à feu et à sang le paysage et lui donnent ses couleurs.

Dans cette perspective, il y aurait lieu de suivre la direction de toutes les fumées qui obscurcissent l’horizon, depuis celles de la bataille navale (p. 110) jusqu’à celles dérisoires[29] des hommes de la Convention, “tas de fumées poussées dans tous les sens” (p. 254), suivies de cette “fumée de carnaval [qui] effaça vaguement Méduse” (p. 176), en passant par les divers incendies qui se font écho et tissent le sinistre réseau des paysages de la haine, images en creux de l’harmonie rompue. Et l’on noterait qu’ils s’inscrivent dans le même paradigme que le paysage en feu du Jour des Rois, vu en contre-plongée du pont de Crassus par le mendiant (v. 14-15) dont “le regard fixe semble effaré par l’espace” (v. 50). C’est “la même flamme” qui court d’une guerre à l’autre. Et Crassus est bien à l’embranchement sinistre de toutes les répressions, proscriptions et exactions. En réponse, une même invective dont l’écho se prolonge juqu’au “cri effrayant” de la Flécharde devant le spectacle de ses enfants “à travers les plis de flamme et de fumée” (III, V, 1, p. 451).

Un paysage iconoclaste

Mais dans le fond, c’est reconnaître au paysage, quelle qu’en soit la modalité, le pouvoir de révéler une vérité. Si la fumée efface et si le feu couvre, il découvre aussi dans le même mouvement les enfants endormis, “paisibles, gracieux, immobiles”, dans ce même contraste qui associe tout au long du roman une nature paisible et sereine aux “désastres” provoqués par l’homme. De là une prise de conscience : celle du mendiant du pont de Crassus, ou de Tellmarch devant l’incendie de l’Herbe-en-Pail, ou ici de Lantenac ébranlé par “la supplication terrible de la mère”. Et au-delà, celle du lecteur qu’il faut émouvoir pour le faire ré-agir et condamner non le paysage, mais la “férocité” dont il est le vecteur et ses causes.

Nonobstant, il y a là une véritable aporie. Pour que la représentation, au sens d’admonestation, soit efficace, il faut qu’elle mobilise toutes les ressources rhétoriques du poète tout en interdisant au lecteur un jugement exclusivement esthétique. Dans tous ces tableaux d’incendie, Hugo casse en fin de description l’espèce de fascination morbide qu’ils peuvent produire. C’est la leçon du Qui-dort-meurt. L’« amour du prospect » est fatal s’il n’est que cela. Néron, déjà, laissait brûler Rome pour admirer le spectacle.

 Exemple a contrario, le véritable paradigme de ces paysages en flammes, celui  de la lettre XIX du Rhin,  Feuer ! Feuer !

 

Le Rhin, les villages, les montagnes, les ruines, tout le spectre sanglant du paysage reparaissant à cette lueur, se mêlaient à la fumée, aux flammes, au glas continuel du tocsin, au fracas des pans de mur s'abattant tout entiers comme des ponts-levis, aux coups sourds de la hache, au tumulte de l'orage et à la rumeur de la ville. Vraiment c'était hideux mais c'était beau. [30]

 

A près de quarante ans de distance, on peut penser que Hugo ne ratifierait plus ce jugement et en inverserait les termes :  c’était beau mais c’était hideux, et même pire. La hiérarchie des valeurs s’est modifiée et le sentiment du beau doit être au service du vrai et du juste.

Tout le problème éthique de ces paysages de la catastrophe est bien là  et se posait identiquement dans La Légende des Siècles. Ces paysages sont impossibles non parce qu’ils ne peuvent être techniquement construits, aussi bien par le regard que par l’écriture, mais parce qu’ils sont la représentation de la misère morale de l’homme et qu’ils obligent le spectateur à cette disjonction contre nature du bien et du beau. Ce que traduit l’oxymore “paysages féroces”.

 Même si l’on veut y voir une métonymie – le mot paysage ne désignant plus la représentation mais le lieu représenté – ils n’en demeurent pas moins quelque peu dérangeants par rapport à  la doxa qui, dans un bel exercice de dénégation, refuse de prendre en compte “la configuration du sol” et ses conditions économiques et politiques de production. Si le paysage n’est qu’une construction mentale et subjective, sa réalité objective est secondaire, tout au plus un stimulus pour l’imagination. Voir Baudelaire. On admirera le travail qui en fait un pur artefact dont la finalité est de transformer le pays en paysage, c’est-à-dire en objet esthétique.  On comprend peut-être mieux maintenant l’enjeu de ce glissement métonymique sous la plume de Hugo. En se refusant de faire, ici, la distinction entre pays et paysage, alors que, comme on l’a vu, il a un usage très rigoureux du mot pays, il affirme la totale adéquation de la représentation au lieu et bride le jugement esthétique et subjectif. Le paysage n’est en rien, ici du moins, la projection de l’âme du spectateur ou de l’artiste sur le lieu regardé. Et s’il y a “travail”, c’est celui de l’homme sur le lieu (avec “féroces”, ce serait plutôt son absence) et non de l’artiste sur la représentation.

  Tout cela devrait permettre  également de saisir la portée iconoclaste de ces “paysages féroces”, analogue à celle du “massacre de Saint-Barthélemy”. D’une certaine façon, le paysage en tant que représentation — belle image[31] – est aussi massacré, et son idéologie dénoncée, c’est-à-dire l’espèce de culte superstitieux de la “belle nature” accordée à la “belle âme”. Aussi peut-on interpréter dans le même sens le retour par la fiction dans une région visitée en 1836, avec Juliette. La Bretagne n’a pas substantiellement changé,  prétendait-il alors :

 

Pauvre Bretagne ! qui a tout gardé, ses monuments et ses habitants, sa poésie et sa saleté, sa vieille couleur et sa vieille crasse par-dessus. Lavez les édifices, ils sont superbes ; quant aux bretons, je vous défie de les laver. [32]

 

Suit l’évocation d’un “beau paysage de bruyères” et d’une “charmante chaumière qui fume gaîment à travers le lierre et les rosiers”. Las ! “cette chaumière dorée est un affreux bouge breton où les cochons couchent pêle-mêle avec les bretons”. On connaît la fin de cette lettre à Louis Boulanger : les bretons ne comprennent rien à la Bretagne. Quelle perle et quels pourceaux !” A la fin du siècle, les peintres de l’école de Pont-Aven auront le même regard esthétisant sur une région qui continue à dépayser et les séduit par son côté “sauvage et primitif” (Gauguin).

Le choix de cette région de Fougères tant admirée par le voyageur pour ses paysages et ses monuments[33] ne vaut pas seulement sentimentalement à cause de ce voyage[34] avec Juliette, née Gauvain et native de Fougères. Il fait figure de remords et permet de mesurer l’évolution politique de Hugo entre 1836 et 1872, date à laquelle il commence à écrire Quatrevingt-Treize. La Bretagne n’a peut-être pas changé mais  le  regard  de l’auteur qui conditionne le paysage, comme chacun sait, n’est plus le même.

 

Le paysage entre aliénation et utopie

Le paysage n’est donc ici ni une représentation, ni même une plaque sensible qui donnerait le “tableau” d’une société à un moment de son histoire dans ses rapports avec la nature, mais peut-être une enseigne[35] captant l’attention parce qu’il révéle l’identité et les désirs des partis en présence. La haie qui caractérise le bocage (au sens géographique et non littéraire) et son paysage spécifique a la même valeur emblématique que la Tourgue ou la guillotine. Dans Quatrevingt-Treize, elle est plus près du hallier et de “la broussaille” que de la clôture entretenue. Même si elle sert de nid aux petits oiseaux et participe de l’harmonie de la nature, elle est du côté de “l’ombre” et de la sauvagerie. C’est elle qui fait les “paysages féroces”.

Cependant, elle n‘est en rien naturelle. Elle résulte d’un certain type d’exploitation du sol et de l’homme. Le bocage, tel que le décrit Hugo, est le paysage d’une aliénation dont les causes sont  historiques (c’est la féodalité) et économiques. Si la terre est “fatale”, ce n’est pas la faute de la nature, disculpée en fin de débat. On peut donc la transformer.

D’où la “nécessité de trouer dans tous les sens la vieille ombre bretonne et de percer cette broussaille de toutes les flèches de la lumière à la fois (III, I, 7, p. 288-89)”. Comme l’influence du lieu n’est néfaste que pour “la conscience petite”. il suffira de l’éclairer par l’éducation et de la diriger par la loi, comme le veut Cimourdain. Sa “république de l’absolu” (p.504) est celle de Procuste et résulte du “nivellement”. Son paysage est à son image : ”sombre” et “absolu” ; la “sérénité” de son ciel est “noire” et ses vertus brillent dans “les ténèbres” (p. 177). Bref, il est aussi sombre que la haie et ce qu’elle cache et il est habité par une haine symétrique : ”Défense lui étant faite d’aimer, il s’était mis à haïr” (p. 178).

 Gauvain est bien inspiré de lui opposer “la république de l’idéal”, plus humaine. Significativement, le paysage de l’avenir qu’il rêve “en poète” est celui d’une économie bocagère généralisée (petite propriété) et surtout régulée par la volonté de l’homme et par “l’entrelacement magnanime des bienveillances, l’amour” :

 

Les trois quarts du sol sont en friche, défrichez la France, supprimez les vaines pâtures ; partagez les terres communales. Que tout homme ait une terre, et que toute terre ait un homme. Vous centuplerez le produit social. […] Utilisez la nature, cette immense auxiliaire dédaignée. Faites travailler pour vous tous les souffles de vent, toutes les chutes d’eau, tous les effluves magnétiques. (III, VII, 5, p. 507)

 

Ce rêve démiurgique est aussi celui de Jean Valjean, maire de Montreuil et se retrouve quasiment dans les mêmes termes dans [Civilisation][36], repris par Hugo à son compte, tandis que la Préface à mes œuvres et Post-Scriptum à ma vie l’ajourne dans “l’utopie” et en dit la vanité :

 

Le progrès est une série de Chanaans toujours entrevus, jamais conquis, par qui les rêve ; ceux qui les ont niés y entrent. De jouissance point, et pour personne. La tyrannie est lourde aux tyrans ; la bonté est amère aux bons. L’ingratitude, quel fond de calice ! Aucune chose ne s’ajuste à nous  on n’entre jamais tout à fait dans la place où l’on est ; on a toujours du trop ou du moins ; toute patrie est un exil, tout exil est une patrie ; Ailleurs semble toujours préférable à Ici ; nos plus grandes plénitudes sont le vide. Une seule sérénité est possible, celle de la conscience[37].

 

 L’utopie n’en dessine pas moins un paysage dont la vertu aurait pu être performative : dire l'espace, c'est le faire. A certaines conditions (sociales, institutionnelles et discursives) qui sont celles des actes de parole. Soit le rôle que revendiquait une révolution centralisatrice et autoritaire, personnifiée par Cimourdain. Si elle échoue, c’est parce que, contrairement au désir de Gauvain qui opte pour la clémence, elle finit par choisir la répression et la violence. Le “lugubre malentendu” se traduira par une “épouvante de huit années”, dérisoire quant au résultat puisque quarante ans après, le paysage n’avait pas changé[38].

 

Le « grand drame du paysage »

 Finalement le paysage, confondu avec le pays, est un protagoniste du drame qui se joue dans les taillis avec au moins un rôle d’adjuvant dans ce qui pourrait être un système actantiel. C’est dans ce sens qu’on peut comprendre l’insistance avec laquelle Hugo parle de la “complicité” de la nature, “auxiliaire” de l’homme pour le meilleur (c’est le rêve de Gauvain) et pour le pire (la guerre civile) :

Il y avait alors en Bretagne sept forêts horribles. La Vendée, c’est la révolte-prêtre. Cette révolte a eu pour auxiliaire la forêt. Les ténèbres s’entraident. (III, I, 1 - Les Forêts, p. 267)

Le paysan a deux point d’appui : le champ qui le nourrit, le bois qui le cache (III, I, 2, p. 270)

Les tragiques forêts bretonnes reprirent leur vieux rôle et furent servantes et complices de cette rébellion, comme elles l’avaient été de toutes les autres. (III, I, 3, p. 272)

La configuration du sol conseille à l’homme beaucoup d’actions. Elle est complice, plus qu’on ne croit. (III, I, 6, p. 285)

 

Quelle que soit la nature de cette “complicité” qui témoigne au moins d’une interaction entre l’homme et son environnement, le paysage contribue à la théâtralité du roman, généralement reconnue par la critique. Mais pas en tant que décor. C’est lui qui est tragique. On ne peut s’empêcher de penser au “grand drame du paysage” de Pasages dans le voyage aux Pyrénées. Pourtant là encore, il y a rupture par rapport aux théories esthétiques qui construisaient les paysages d’avant l’exil.  Dans le reliquat, la description du château de Mauvaise, autre lieu “féroce”, et assez proche de celle du château de Falkenburg dans la Lettre XX du Rhin ou du manoir Corbus[39] dans Eviradnus, permet par contraste d’apprécier le dépouillement de la Tourgue :

 

Le va-et-vient du sentier, courbant ses coudes et étageant ses zigzags sur la pente hérissée d’herbes et d’arbres imitait parfois dans sa sauvagerie l’arrangement pittoresque d’un décor et ressemblait à ce qu’on nomme en style de théâtre un praticable. [40]

 

Dans le texte définitif, il y a encore le théâtre mais il n’y a plus le “style”. Sans doute parce que l’esthétique n’a décidément rien à voir dans ce roman avec le paysage, ni avec le reste. C’est pourquoi le problème du genre est indifférent. Seule compte la poésie, laquelle éclate dans le paysage qui suit le massacre de Saint-Barthélemy, précisément quand il ne reste plus rien des codes qui régissent, des décrets qui interdisent, des canons qui prescrivent ou tuent (ce ne sont pas les mêmes mais ils reviennent au même), des anathèmes et des glossateurs. De tout ce qui conduit aux disputes et à leurs suites funestes.

 

Ils ramassèrent et déchirèrent, ramassèrent encore et déchirèrent encore, par la croisée comme Georgette ; et, page à page, émietté par ces petits doigts acharnés, presque tout l’antique livre s’envola dans le vent. Georgette, pensive, regarda ces essaims de petits papiers blancs se disperser à tous les souffles de l’air, et dit :

— Papillons.

Et le massacre se termina par un évanouissement dans l’azur.

[…]

Les souffles tièdes entraient par les fenêtres ouvertes ; des parfums de fleurs sauvages, envolés des ravins et des collines, erraient mêlés aux haleines du soir ;  l’espace était calme et miséricordieux ; tout rayonnait, tout s’apaisait, tout aimait tout […]. Le paysage, ineffablement assoupi, avait cette moire magnifique que font sur les prairies et sur les rivières les déplacements de l’ombre et de la clarté ; les fumées montaient vers les nuages comme les rêveries vers les visions ; des vols d’oiseaux tourbillonnaient au-dessus de la Tourgue ; les hirondelles regardaient par les croisées, et avaient l’air de venir voir si les enfants dormaient bien. [41]

 

Le paysage est aussi vrai et réel que les “paysages féroces” et il est produit par le même buisson qui pour d’autres est meurtrier. Bonne nouvelle, bonne parole, ilse substitue, authentique, à l’évangile apocryphe lacéré. Il annonce la nature “impitoyable” dans “la douceur universelle” du chapitre final, comme il fait écho au paysage dans lequel repose Booz.

Que prouve-t-il ? rien, sinon la possibilité d’un autre rapport à la nature et aux hommes. Il est cette autre “sociabilité” à la portée de tous et des plus démunis, celle que Tellmarch, le mendiant, offre à ceux qu’il rencontre sur son chemin : Lantenac ou la Flécharde. Tellmarch : voilà la preuve que le problème posé par “ces paysages féroces” est finalement un faux problème. Sans révolution, ni révolte, il a échappé à la fatalité du lieu :

 

Vous comprenez, je ne sais pas au juste, on va, on vient, il se passe des choses ; moi, je suis là sous les étoiles. (I, IV, 4, p. 147)

 

Il a la “sérénité de la conscience”. Il est hors histoire et, d’une certaine façon, en dehors du paysage (représentation) s’il est bien du pays, lui, “le pauvre du bas du chemin” :

 

— Vous êtes du pays ? dit le marquis.

— Je n’en suis jamais sorti. (p. 147)

 

S’il n’a pas le même regard – “de mendiant à passant le regard n’est pas le même” –, c’est pourtant lui qui a la vision juste des choses. Il sait le prix d’une aumône. Il raconte sa misère sobrement. Il incarne le dépouillement d’une narration qui a renoncé aux effets rhétoriques. Pour preuve, ce passage du reliquat, daté de 1872 :

 

Le soir

Admirable paysage. Clair de lune. Forêt splendide. Douce brise. Zéphir de printemps. Le duc regarde. On voit quelques formes noires se balancer sous les branches.

— Ce sont les faux-saulniers que j’ai fait pendre, dit la vicomtesse. [42]

 

Dans le témoignage que rapporte Tellmarch, il n’y a plus de paysage mais la réalité toute nue. Ce n’est pas le même point de vue non plus. Les pauvres n’ont pas de paysage :

 

Mais autrefois, comme on vous accrochait les gens aux arbres pour rien du tout ! Tenez, moi, pour un méchant coup de fusil tiré à un chevreuil du roi, j’ai vu pendre un homme qui avait une femme et sept enfants. Il y a à dire des deux côtés.( p. 147)

 

Paysage aux trois ordres

Pour conclure, on peut tenter de définir la fonction du paysage dans Quatrevingt-Treize. Expression et complice de la haine qui divise, il est aussi la manifestation de  l’amour  et de la bonté de la nature. C’est lui qui porte le message optimiste d’un salut possible à la fois hors histoire et à portée de regard : il suffit de lever les yeux vers le ciel et les étoiles. Il réaffirme les vertus du rêve et de la contemplation.  A tous les stades de l’évolution des personnages, il rend sensible (au sens originel d’aisthesis, la véritable nature de la fonction esthétique) leur métaphorphose, voire leur transfiguration. Impossible de comprendre le geste de Lantenac sans la description de son environnement qui constitue un véritable paysage sonore. De même, c’est le soleil de l’aube qui illumine le sacrifice de Gauvain et lui donne sens. Il faudrait apprécier le rôle du paysage dans l’assaut de générosité des héros et dans ce qu’il faut bien appeler cette dialectique de l’amour et de la haine qui les invite au dépassement : n’est-ce pas la magnanimité de la nature qui donne l’exemple et la mesure de celle de Gauvain, comme de celle de Lantenac dont le geste a la gratuité des beaux paysages ?

De là une typologie des personnages liés à un certain type de paysage  et correspondant aux trois ordres pascaliens :

— Le premier ordre, celui de la chair, est évidemmment celui des “paysages féroces”, analogon des hommes dominés par la haine et bornés par leurs haies. Il correspond aussi à l’ordre féodal.

—  Le deuxième ordre, celui de l’esprit (ou de la Raison), correspond à la Convention. Pour être plus rationnelle, sa haine (Cimourdain), n’en est pas moins une “épouvante”. On change de régime et de motivations (c’est pour le bien de l’humanité) mais pas d’effets. Entre ces deux ordres, c’est haine contre haine et il n’y a pas de dialogue possible.

— Le troisième est celui du cœur. Il est hors Histoire et relève d’une nature mère dont il faut savoir entendre la voix. D’emblée y sont les enfants, la Flécharde, Tellmarch mais aussi les âmes de bonne volonté comme la vivandière (dont on notera le rapport à la nourriture et à la maternité).

Le problème est le passage d’un ordre à l’autre. Seuls y réussissent Lantenac et Gauvain  : Cimourdain reste prisonnier de ses contradictions. A examiner la générosité, la magnanimité des deux Gauvain, on ne peut que penser à Corneille qui serait ici le paradigme auquel référer cette problématique de la maîtrise qui traverse tout le roman. Mais aussi la réflexion politique et philosophique sur la guerre civile avec en filigrane, Lucain et la Pharsale. On sait la sympathie de Hugo pour l’un et pour l’autre, poussée jusqu’à l’identification puisque, dans l’un de ses voyages, il signa jadis Lucain  une prose de son invention (?) : ”in se magna ruunt” (les grandes choses s’écroulent sur elles-mêmes) [43]. Ce qui, somme toute, vaut aussi pour les “grandes choses” de 93…


[1]Bocage vient de boscage, boschage au XIIe s., dérivé dialectal de bosc, forme primitive de bois. Désigne donc d’abord un petit bois ou un lieu ombragé puis un type de paysage caractéristique de l’Ouest de la France, formé de prés clos par les levées de terre plantées d’arbres et de haies vives. A l’époque où se situe le roman, 1793, même si une partie importante des terres est clôturée et cultivée, le bocage que décrit Hugo est plus proche des bois, des taillis que de cette “nature jardinée” qui le caractérisera à son apogée, au milieu du XIXe siècle. Mais il s’agit bien d’une entité géographique attestée par la toponymie.

[2]. Le mot bocage a un usage littéraire et poétique qui remonte à la Renaissance (cf. Bocage, 1554, recueil poétique de Ronsard) : il désigne l’espace idyllique de l’âge d’or auquel renvoie le mythe de l’Arcadie, ainsi que les poètes grecs et latins revisités et imités. Le bocage dans la littérature des XVIe, XVIIe et XVIIIe, c’est le locus amœnus. Et c’est assez vite un topos qui se sclérose en clichés dans la pastorale et les bucoliques.

[3]. Quatrevingt-Treize, III, I, 6, Livre de poche classique, éd. B. Leuilliot, p. 380.

[4]. Voir François-Pierre Tourneux, « De l’espace vu au tableau ou les définitions du paysage dans les dictionnaires de langue française du XVIIe au XIXe siècle », La théorie du paysage en France, dir. A. Roger, Champ Vallon, 1995, p. 198.

[5]. fier < latin ferus « sauvage » (—> féroce) au propre — par opposition à mansuetus « apprivoisé » — et au figuré. Jusqu’au XVIIe s. fier signifie « farouche », « qui a du courage », « hardi », « intrépide », « audacieux », puis, par extension sémantique, idée de supériorité, de grandeur : « fort », « fameux ».

[6]. Voir note  (2) de B. Leuilliot, op. cit., p. 305.

[7]. “… on découvrait toute la mer, on voyait au loin les navires arriver ou s’en aller, […] on s’émerveillait, on regardait, on jouis­sait, on sentait la caresse de la bise et du flot […]. On contemplait la mer, on écoutait le vent, on se sentait gagner par l’assoupissement de l’ex­­tase. Quand les yeux sont remplis d’un excès de beauté et de lumière, c’est une volupté de les fermer. Tout à coup on se réveillait. Il était trop tard. La marée avait grossi peu à peu. L’eau enveloppait le rocher.

        On était perdu”  (Les Travailleurs de la mer, I, I, 8).

[8].  Voir Françoise Cachin, «Le paysage du peintre », in Les lieux de mémoire, sous la direction de Pierre Nora, t.II, La Nation, Gallimard, 1986.

[9]. Date du  tableau  de Monet Impression, soleil levant qui donnera son nom au mouvement. Mais le tableau ne sera exposé qu’en 1874, chez Nadar.

[10]. “Imânus, dérivé d’immanis, est un vieux mot bas-normand qui exprime la laideur surhumaine et quasi divine dans l’épouvante, le démon, le satyre, l’ogre […]. L’Imânus est mêlé aux superstitions locales […]. Il avait la férocité épique.

De là ce surnom difforme, l’Imânus.” [III, II, 1, p. 305]

[11]. “Le critique du Journal des Débats, Amédée Achard, après avoir reconnu la qualité de ses “paysages enlevés d’une plume ailée où brille et rayonne un sentiment exquis de la nature“  regrette que Hugo se soit laissé aller à son penchant pour les excès divers et relève “la tendance de plus en plus accusée de M. Victor Hugo de donner une âme, une pensée aux choses inanimées […]. il arrive ainsi à matérialiser l’idéal, à idéaliser la matière… C’est l’introduction violente du panthéisme dans la phrase […]. Le livre est terrible, on pourrait dire néfaste [et propre à] égarer la conscience publique”, « Revue de la critique », Quatrevingt-Treize, édition de l’Imprimerie nationale, Librairie Ollendorf, 1924,, p. 486. 

[12]. Michelet, « Préface de 1869  », Laffont, « Bouquins », Le Moyen Age, p. 17.

[13]. Jean Boudout, éd. Quatrevingt-Treize, Garnier, 1963, p. 487, notera à ce propos “l’imagination géométrique” de Hugo…

[14]. S’il est possible de parler de la Convention, c’est parce que “mise en perspective” par la distance temporelle, elle peut-être vue et décrite comme un paysage : “Nous approchons de la grande cime”, écrit Hugo (II, III, 1, p. 225) qui file la métaphore impliquée par la Montagne. En inventant le personnage de Cimourdain Hugo ne fait que donner à cette métaphore historique sa plus grande portée dramatique. De ce fait, Cimourdain est un personnage paysage : “Cimourdain était sublime ; mais sublime dans l’isolement, dans l’escarpement, dans la lividité inhospitalière ; sublime dans un entourage de précipices. Les hautes montagnes ont cette virginité sinistre” (II, I, 2, p. 185).

[15]. Pays : “habitant du pagus, du canton” au sens restreint de “terroir”. Pays, paysage et page dérivent du même verbe pango, pangere : borner, ficher, composer des œuvres littéraires.

[16]. Voir Alain Roger, “un pays n’est pas, d’emblée, un paysage, et il y a, de l’un à l’autre, toute l’élaboration de l’art.” Ce qu’il nomme “artialisation”. Court traité du paysage, Gallimard, 1997, p. 18. La distinction pays/paysage se trouve déjà chez René-Louis de Girardin, dans son traité De la composition des paysages (1777) : “Le long des grands chemins, et même dans les tableaux des Artistes médiocres, on ne voit que du pays ; mais un paysage, une scène Poétique, est une situation choisie ou créée par le goût et le sentiment.” Souligné par l’auteur et cité par A. Roger, ibid., p. 17. Cette opposition est respectée tout au long du XIXe siècle, jusqu’à ce que la géographie s’empare du paysage et en fasse, par une métonymie déjà impliquée par la définition de Furetière qui sert habituellement de référence, non seulement “l’aspect d’un pays” mais aussi “le territoire jusqu’où la veuë peut porter”. Michelet, par exemple, dont on convoque les “paysages” du Tableau de la France, n’emploie pas le terme. Il parle de “nature”, de “lieux”, de “pays”, de “contrées”, de “campagnes” ou des formes du relief. A titre d’exemple, dans une perspective analogue à celle du texte de Hugo, la conclusion du Tableau de la France : “Ainsi s’est formé l’esprit général, universel de la contrée. L’esprit local a disparu chaque jour ; l’influence du sol, du climat, de la race, a cédé à l’action sociale et politique. La fatalité des lieux a été vaincue”, Le Moyen Age, op. cit., p. 227. L’une des rares occurrences (la seule ?) de paysage implique une perception poétique du pays : “Tout ce Midi, si beau, c’est néanmoins, comparé au Nord, un pays de ruines. Passez ces paysages fantastiques de Saint-Bertrand de Comminges et de Foix, ces villes qu’on dirait jetées là par les fées”, ibid., p. 203.

[17]. Voir les travaux de Michel Collot, dont L'horizon fabuleux, 2 volumes, Librairie José Corti, 1988. 

[18]. Sur le rapport paysage/lieu, voir Paysage - Etat des lieux, dir. F. Chenet, M. Collot, B. Saint Girons, Bruxelles, éd. Ousia, 2001. Pour la critique des théories d’A. Roger, voir dans ce même ouvrage, J. De Witte, « Pays et paysage : A propos d’une difficulté de la théorie de l’artialisation », pp. 419 sqq.

[19]. Voir A. Roger, op. cit., p. 25 : “La notion même de paysage semble échapper aux paysans, qui, plus proches que quiconque du pays, seraient d’autant plus éloignés du paysage.”

[20]. A la fin du paragraphe, les “paysages féroces” sont devenus des “lieux scélérats”.

[21]. “Plus quam civilia bella”, titre du chapitre III, II, 1, et citation partielle de l’incipit de la Pharsale de Lucain.

[22]. Flaubert, Lettre à Edma Roger des Genettes, 1er mai [18]74, “Le Quatre-vingt-Treize du père Hugo me paraît au-dessus de ses derniers romans ; j’aime beaucoup la moitié du premier volume, la marche dans le bois, le débarquement du marquis, et le massacre de la Saint-Barthelemy, ainsi que tous les paysages”, Correspondance, Gallimard, Pléiade, t. IV, p. 793.

[23]. Echo de celui des Misérables, V, I, 19.

[24]. Même méprise quand du haut de la dune, Lantenac voit les cloches sonner mais ne les entend pas et, de fait, ne les comprend pas [I, IV, 2].

[25].  Sur la fonction tactique du paysage, voir Yves Lacoste, « A quoi sert le paysage », Hérodote, n° 7, 1977.

[26]. Philosophie, O.C./Critique, p. 495.

[27]. “Ce fourré, qu’on appelait le bocage d’Herbe-en-Pail […] cachait, comme tous les halliers bretons, un réseau de ravins, de sentiers et de chemins creux, labyrinthes où les armées républicaines se perdaient” (p. 151-152).

[28]. Cf. “De tout paysage, il sort une fumée d’idées, tantôt douces, tantôt lugubres ; celui-ci dégageait pour moi une triple pensée de ruine, de tempête et de guerre, et me faisait rêver, lorsqu’une jeune fille, pieds nus […] me regardait de ses yeux brillants à travers les saules comme Galatée. Tout est possible au bon Dieu puisqu’on rencontre des églogues de Virgile dans l’ombre du Rigi”, Promenade au Rigi, [Alpes, Voyage de 1839], vol. Voyages, p. 662. Cette philosophique maxime arrive après le constat que la “jolie ville riante” de Goldau “masquait au passant le cadavre de la ville écrasée”. Mais les idées “lugubres” dans ce texte sont chassées par l’irruption de Galatée : on reste dans la bucolique et dans l’aimable fantaisie, aux antipodes de Q.T.

[29]. Avec un bémol qui est mis dans le chapitre suivant : “Esprits en proie au vent./ Mais ce vent était un vent de prodige” (p. 254).

[30]. Le Rhin, lettre XIX, vol.  Voyages, p. 133. Cet holocauste est redoublé par celui d'un “pauvre trumeau Louis XV, avec des arbres rocaille et des bergers de Gentil-Bernard” : Enfin une grande flamme est entrée dans la chambre, a saisi l'infortuné paysage vert-céladon, et le villageois embrassant sa villageoise, et Tircis cajolant Glycère s'en est allé en fumée.” Avec “l'infortuné paysage vert-céladon”, c'était déjà le paysage académique de la pastorale qui flambait.

[31]. Catherine Franceschi suggère, d’après l’étude de la prononciation de paysage [pésage] un rapprochement avec image. Le rapprochement est justifié par le fait que le mot a été enregistré en français en 1549 par Robert Estienne, sous cette forme  : “PAISAGE : mot commun entre les peintres”. Elle commente : “Paisage (ou païsage, paysage) condense en un seul mot deux termes qui en constituent les référents : païs et image”, « Du mot paysage et de ses équivalents dans cinq langues européennes », in Les Enjeux du paysage, dir. Michel Collot,  Bruxelles, Ousia, 1997, p. 104..

[32]. Vol. Voyages, p. 572. Lettre à Louis Boulanger, 24 juin 1836.

[33]. “Eh bien donc, je viens de Fougères comme La Fontaine revenait de Baruch et je demanderais volontiers à chacun : Avez-vous vu Fougères ?”, ibid.

[34] Il fait allusion au voyage pour accréditer la fiction de la Tourgue, tour emblématique cependant : “Le voyageur qui, il y a quarante ans, entré dans la Forêt de Fougères…”, p. 337.

[35] Enseigne  < latin insignia : "indication généralement accompagnée d'une figure, d'un emblème, etc. qu'on place sur la façade d'une maison de commerce pour attirer l'attention du public" (Lexis , Larousse).

[36]. “L'éden faux, c'est l'état de nature ; l'éden vrai, c'est l'état de société. L'état de nature se contente de la satisfaction animale ; à l'état de société il faut la satisfaction intellectuelle et la satisfaction morale. C'est l'ordre plus haut des joies du devoir. L'état de nature mène la vie de proie, il chasse, il pêche, le travail de la bête lui suffit. L'état de société cultive. Au labourage de la terre la bête finit, l'homme commence. Que produit le labourage du champ ? la propriété. Propriété et société sont deux termes identiques. La société parfaite, ce serait tout homme propriétaire. C'est là qu'il faut tendre.” [La civilisation], « Bouquins », vol. Critique, p. 606.

[37]. Post-scriptum, vol. Critique, p. 709.

[38]. Ce qui n’est pas tout à fait juste : le bocage que nous connaissons se développe précisément pendant la première moitié du XIXe siècle. En revanche, la condition sociale du paysan ne s’est pas améliorée, comme en témoigne l’immigration bretonne.

[39]. Corbus est “double” : burg il est“féroce” (v. 117), citadelle, elle est “fière” (v. 209).

[40]. Massin XV, p. 278.

[41]. Quatrevingt-Treize, III, III, 6 et , p.. 384-385..

[42]. Massin, t. XV-XVI/1, p. 280.

[43]. Cité par Adèle dans Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, Plon, 1985, p. 345.