Jacques Seebacher : Hugo et la quadrature des religions
Communication au Groupe Hugo du 20 septembre 2003
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Si Dieu nous a faits à son image, nous le lui avons bien rendu.
Voltaire.
Vers la fin de l'hiver 1842, Hugo a quarante ans, « la force de l'âge » ; il épouse pleinement l'Académie française, publie Le Rhin qui, écrit sur le décours de la crise politique européenne, lui ouvrira les portes de la Chambre des pairs. Mais Juliette, sa maîtresse, jalouse, se moque pour ne pas pleurer, et tombe malade. Son fils, François Victor, se débat, probablement contre la tuberculose qui l'emportera quelque trente ans plus tard. Sa fille Léopoldine ne pense quà se marier avec Auguste Vacquerie, lequel va devoir enterrer ses neveux l'un après l'autre. C'est de cette période que Hugo date, dans Les Contemplations (III, 4), le quatrain Écrit au bas d'un crucifix, jailli en fait sous sa plume dans la nuit du 4 au 5 mars 1847, cinq ans plus tard, trois ans et demi après la noyade de Léopoldine, au moment où son travail pour ce qui sera Les Misérables l'attache au questionnement des insurrections de Paris ou de Buzançais, des ouvriers et des paysans.
Vous qui pleurez, venez à ce Dieu, car il pleure.
Vous qui souffrez venez à lui, car il guérit.
Vous qui tremblez, venez à lui, car il sourit.
Vous qui passez, venez à lui, car il demeure.
Le deuil, la souffrance, l'angoisse s'y conjuguent dans le symbolisme du « passage » qui fit la force et le triomphe des christianismes : Jésus, «Dieu fait homme», pleurant comme nous et comme Madeleine au tombeau de Lazare, est le ressusciteur bientôt ressuscité qui apaisera toute crainte, laquelle renvoie au principe de mort, puisqu'il est « la voie, la vérité, la vie », donc le principe permanent d'assomption dans l'éternité. La religion du Crucifié martyr reprend la vieille piété païenne : au bord des routes, les tombeaux parlent au voyageur, au passant qui passe (i, Viator .. ), pour quelque leçon de sagesse, et la rime embrassée du quatrain enserre salvation et apaisement dans le chiasme de l'identité et de l'antithèse.
L'image du calvaire, qui balise de carrefours et monticules la campagne chrétienne, est aussi celle du meuble de piété auquel s'adressent les prières quotidiennes, notamment celles du soir, qui conjurent les terreurs de la nuit, figure de la mort. Comme ceux qui furent adressés à la belle-sur de Léopoldine morte (III, 14, « À la mère de l'enfant mort »), ces vers s'inscrivent dans un évangélisme familial, populaire, bourgeois même, de sympathie et cohérence culturelle pour ne pas dire mondaine. Mais dès cette place dans Les Contemplations où ils s'ordonnent selon la reviviscence critique de la carrière des honneurs, ils s'entourent de tout un naturalisme militant qui justifie en 1856 la réponse de Hugo à Michelet.
Au reçu des Contemplations, en plein triomphe d'ordre moral de l'Église sous la protection de l'Impératrice, Michelet rappelle vivement à Hugo que son public n'est plus celui de la Monarchie de Juillet : « Le monde que vous nourrissez de votre oeuvre vous prie de penser à lui, de lui sacrifier le crucifix. On nous en frappe sur la tête. » Réponse : « Ce que vous me dites du crucifix est vrai. Il est de fer maintenant, et l'on en martèle les crânes pour y tuer l'idée. Mon sentiment est le même que le vôtre et je vous approuve et je vous seconde de mon mieux dans votre grande lutte contre la forme vieillie et devenue spectre. Seulement [ ... ] je ne puis oublier que jésus a été une incarnation saignante du progrès ; je le retire au prêtre, je détache le martyr du crucifix, et je décloue le Christ du christianisme [ ... ] je me tourne vers le gibet actuel de l'humanité, et je jette le cri de guerre ; et je dis comme Voltaire : « Écrasons l'infâme ! » et je dis comme Michelet : « Détruisons l'ennemi ! » Quant à ce mot Dieu, ou demi‑Dieu, appliqué à un homme, si vous allez jusqu'à ce que dit la bouche d'ombre, vous verrez [...] dans quel sens je l'emploie Oui, nous faisons la même oeuvre, je suis comme vous tout soulevé du souffle sombre de la nature. »
Il y a bien longtemps que le naturalisme cosmique comporte chez Hugo une orientation délibérément sociale. Dans Han d'Islande, son premier roman, le crucifix est déjà là, installé par le ministre luthérien Athanase Munder « sur une sorte d'autel grossièrement formé d'une dalle de granit adossée au mur humide de la prison » où le héros, Ordener, attendant son exécution, obtient que le prêtre célèbre son mariage. Le système de reconnaissance mélodramatique qui replie l'action en clôture symbolique rappelle en ce chapitre 44 la grâce de douze condamnés que, au chapitre 12, le fils du vice-roi avait promise au religieux. Entre les deux, c'est la condition misérable des mineurs de cuivre et leur mouvement vers la capitale qui avaient porté le roman. Et ce sont encore tous « les autres hommes » que voici inclus dans la boucle de charité du spectaculaire agenouillement réciproque, auquel fera écho, dans Les Misérables, l'agenouillement de l'évêque Myriel devant la « lumière inconnue » du Conventionnel mourant, qui scandalisa si fort la bonne société et les hommes de goût du Second Empire.
C'est que cette charité en coup de théâtre, ce retournement des valeurs usuelles, explosion des prudences personnelles et domestiques, rabat l'habituelle verticalité de la prière sur l'horizontalité de la nature historique et sociale. Le mot de passe de cet itinéraire est probablement une allusion à l'abbé de Lamennais, intime de Hugo: l'anagramme Nedlam sert de nom au personnage d'un ancien mineur exécuté pour fausse monnaie, dont le sauf‑conduit ouvre la voie au parcours initiatique autant que chevaleresque du jeune fiancé. Le prénom de ce « passeur » est celui de saint Christophe, le «porte‑Christ».
Une telle pratique du pour au contre, cette réciprocité dialectique, participe sans doute de l'évangélisme des Béatitudes, du Sermon sur la Montagne, mais elle n'a pas besoin de futur pour gagner le royaume des cieux, et encore moins de dogme pour appeler, au terme des Contemplations, à la fusion de Jésus et de Bélial. Car si Pierre Larousse consacre un bref article à ce « démon de la pédérastie » babylono‑phénicien, roi de l'enfer comme Lucifer, il renvoie à l'article Baal. On y trouve toute une notice de Jean Reynaud, monument d'encyclopédisme religieux, qui explique par le panthéisme de cet équivalent viril d'Astarté la réaction des inventeurs de Jéhovah : « Est il certain que l'instinct du monothéisme, inné dans la race d'Abraham, eût suffi pour empêcher une théologie réduite à des termes si généraux de prendre son cours vers le gouffre du panthéisme, si Baal, l'occupant déjà, ne l'en avait écartée par sa seule présence ? Comme le Dieu de ses ennemis était dans le monde, la nation pour se distinguer était poussée à prendre le sien hors du monde. » On gardera de ce texte de 1854 la notion de repoussoir, pour en conclure que le Dieu de Ce que dit la bouche d'ombre est bien au-delà de tout monothéisme, et qu'il rassemble dans l'Inconnu messianisme et panthéisme, progressisme et scientisme.
Tout se joue sur la limite de l'histoire des sciences en ce milieu du 19e siècle. Il s'agit de ces « impondérables », « fluides qui n'ont pas de poids », tels la lumière, le calorique, l'électricité, le magnétisme, qui étaient alors en pleine gésine physique ou encore, comme dit Pierre Larousse, à l'état de « pressentiments», ce qui permettait à d'aucuns de leur adjoindre « l'âme ». Le sentiment le plus certain de Hugo est que le jeu des forces physiques est effectivement l'âme de l'univers, et que cest un langage que l'on peut et l'on doit entendre. Et c'est de cette conscience, du poids, de la faute, de la chute que se dessine, comme par décollement, un Dieu plutôt moins créateur et cause que « fin universelle », dans la visée de l'échelle des êtres, à l'opposé du fameux « négatif», cet affreux soleil noir d'où rayonne la nuit.
D'où l'achèvement du poème dans le lyrisme strophique d'un nouveau et définitif « Commencement ! » : « Dieu, c'est le grand aimant » ; Michelet ne pouvait qu'adhérer à cette aimantation du Progrès indissociable de l'Amour, à quoi il commence précisément alors à envisager de consacrer tout un ouvrage, ce qui pouvait bien le tirer de son « embarras devant Les Contemplations... colorées de christianisme », lequel « à l'état de vampire, ni mort ni vivant » reste « l'ennemi ». Il s'agit bien d'une téléologie militante.
Après l'exil, Hugo se trouve face à une masse considérable de poésies dont la publication n'interviendra que bien après sa mort, Dieu et La Fin de Satan n'ayant pu trouver leur équilibre éditorial. Mais une partie de cette production qui pouvait rivaliser avec la Légende des siècles s'investit en 1880 dans Religions et Religion dont le titre est tout un programme au moment où la République triomphante et Hugo sénateur vont s'investir dans l'uvre de laïcisation scolaire, dans la perspective de la séparation des Églises et de l'État. La thèse générale est claire : toute religion instituée met en péril le développement authentique du sentiment religieux. La satire joue alors son rôle de la manière la plus allégrement voltairienne, soulignant les contradictions du dogme catholique et plus encore ridiculisant les croyances de l'imagerie populaire. D'où ce Chef d'uvre:
Vous prêtez au bon Dieu ce raisonnement‑ci:
J'ai, jadis, dans un lieu charmant et bien choisi
Mis la première femme avec le premier homme;
Ils ont mangé, malgré ma défense, une pomme;
C'est pourquoi je punis les hommes à jamais.
Je les fais malheureux sur terre, et leur promets
En enfer, où Satan dans la braise se vautre,
Un châtiment sans fin pour la faute d'un autre.
Leur âme tombe en flamme et leur corps en charbon.
Rien de plus Juste. Mais, comme je suis très bon,
Cela m'afflige. Hélas ! Comment faire ? Une idée
Je vais leur envoyer mon fils dans la Judée ;
Ils le tueront. Alors ‑ et c'est pourquoi j'y consens-
Ayant commis un crime, ils seront innocents.
Leur voyant ainsi faire une faute complète,
Je leur pardonnerai celle qu'ils n'ont pas faite.
Ils étaient vertueux, je les rends criminels ;
Donc je puis leur rouvrir mes vieux bras paternels,
Et de cette façon cette race est sauvée,
Leur innocence étant par un forfait lavée.
Cette veine satirique prolonge la vigueur sarcastique de Châtiments jusqu'au cur de Dieu et ne se contente pas de s'aligner dans la tradition moraliste qui depuis le cynisme raille la misère, l'infirmité des prétentions humaines : elle balaie au passage la succession des dogmes en ceci qu'ils ne serviraient guère qu'à endormir la souffrance et la crainte de la mort. Mais ce détournement du thème pieux de la « sur de charité» n'a pas son pareil pour décaper la racine profondément irréligieuse et immorale des croyances sociales:
Tu te crois rare et parmi tous choisi,
Parce qu'un vent d'en haut parfois souffle en ta brise,
Et que, de temps en temps, criant: Brahma ! Moïse
Isis ! ou murmurant: Lamma Sabachtani,
Relayant d'autres surs dont le temps est fini,
Une Religion, dans l'ombre ou la lumière,
Paraît à ton chevet, et, nouvelle infirmière
Vient changer l'oreiller de ton lit d'hôpital.
Il s'agit donc à la fois de rendre compte des fonctions misérablement psychologiques et sociologiques du fait religieux, et de débarrasser les religions historiques de leur fonction utilitaire, voire de leur ustensilité, même si la plainte en déréliction du Christ sur la croix (« Pourquoi m'as‑tu abandonné ? ») réserve au cur de ce sarcasme le brin de paille d'une humanité vraie.
D'où, pour ces massifs de poésie plus ou moins inachevée laissés par l'exil, une composition fortement structurée en phases : La Fin de Satan et Dieu ne sont pas La Légende des siècles, mais obéissent à des systèmes analogues d'échelonnement, selon lequel un principe général de narrativité suscite la prise de parole de voix mystérieuses et l'apparition de « points noirs » qui se concrétisent en figures emblématiques fondant sur le poète pour peu qu'il s'élève vers elles. Ce double mouvement des révélations successives dans l'espace du prodige organise un système d'écoute‑vision où tout communique: les traditions religieuses ne sont plus infirmières ni infirmes, elles sont moins les monuments de notre histoire spirituelle que les témoins dynamiques de l'aventure humaine voguant vers la Lumière et l'Amour.
Cette mise en perspective est plus encore création de l'aspiration religieuse, envol dans cette téléologie de la connaissance et de l'Erôs, qu'archéologie théologique. Elle travaille puissamment dans le sens du Sens. Mais les deux projets, de Dieu et de La Fin de Satan, sont indissociables : l'ascension continue du matérialisme vulgaire à la synthèse hugolienne de la transcendance et de l'immanence, depuis la chauve-souris jusqu'à la lumière ailée en passant par les emblèmes successifs du hibou, du corbeau, du vautour, de l'aigle, du griffon et de l'ange, ce parcours qui définit Dieu comme limite et se définit par cette limite s'appuie dans La Fin de Satan sur trois pilotis symboliques : le glaive, la Bastille et Lilith. L'oeuvre de l'humanité consiste à détruire la guerre, la prison, et à faire de l'éternelle Isis, la fille de Satan, la femme du salut. Ces trois libérations ne peuvent faire oublier que le glaive est l'emblème de saint Paul, instituteur des Églises, qui tranche dans son épître aux Corinthiens toute possibilité de compromis entre Bélial et Jésus. La lutte contre le sectarisme constitutif des religions est au cur de la politique selon Hugo et selon l'Esprit, tout aussi bien que le combat contre les « pénalités sombres », fruits de la misère sociale, et pour la libération de la femme qui conditionne la fin du satanisme.
Au cur de cet ensemble vertigineux, la Passion du Christ donc, le Gibet du Golgotha, ce lieu
Où la religion, sinistre, tua Dieu.
La chose peut s'entendre diversement : la religion des prêtres de Jérusalem a fait mettre à mort Jésus, Dieu (le Fils) du christianisme. Au-delà de ce sens obvie, quasi tout narratif, et par-delà l'évidence de la contradiction militante, elle encore bien localisée au début de notre ère, le contexte exige le passage à la règle. Toute religion installée dans ses dogmes, ses rites, ses disciplines et ses privilèges est la mort du divin, et c'est ce que devrait nous rappeler depuis ce temps chaque Vendredi saint. Mais on peut bien être, par l'infidélité même, fidèle à Hugo. Le Dieu que le judaïsme romanisé des premiers siècles a donné à la catholicité est un Dieu mort parmi les dieux morts de toutes les autres « religions ». Il n'est pas impossible que les protestants, « ceux de la Religion » comme on disait dans nos guerres civiles, aient tenté d'arracher jésus aux églises pour le rendre vivant à la foi, d'autant plus Messie que son royaume n 'est pas de ce monde. Il faudrait donc désarrimer la notion de Dieu de toute détermination repérable, et le placer, asymptote, à la limite de l'évolution de la nature et de l'humanité. Dans les proses philosophiques de l'époque des Misérables, Hugo institue ce vrai Dieu de la religion vraie comme le moi de 1'infini. Quand il prie ‑ car il prie ‑ c'est Lui qu'il prie.
On voudrait avancer que cette construction rigoureuse, qui s éprouve à chaque page de l'extraordinaire ensemble poético‑romanesque édifié au travers de l'exil, poursuivi dans l'action jusqu'au triomphe de la République, ressemble fort au cogito de Descartes, et que si elle ne fonde ni une philosophie ni une religion, et encore moins une secte, elle établit très certainement une discipline et une culture de la conscience. De l'évidence existentielle de son intimité, qui ne se borne certes pas à la pensée, car « la poésie est tout ce qu'il y a d'intime dans tout », découle non pas la preuve de son existence, mais la certitude de la réalité de son moi. Un ego au lieu d'un ergo, un Je au lieu d'un Donc. On n'a pas assez ‑ ou bien trop ‑ pris au sérieux cette apparence d'hypertrophie, qui s'alliait tant à l'ampleur oratoire, à la vaticination, à l'orgueil, aux prestiges et aux prestances qui ont nourri tant de folliculaires jusqu' au dernier souffle de Paul Claudel, mort pour avoir confondu Sennachérib et notre rimeur en chef. Ce qu'il y a de plus certain sur ce rôle pivotal du moi, c'est le vertige, la hantise, la question sans réponse et la donnée sans répondant. Nulle biographie n'assure jamais personne sur soi; pas seulement sur ce qu'on est, mais sur ce qu on fait. Et surtout sur la propriété de son action. Pour que la vie ne soit pas un tohu‑bohu, que le monde ne soit pas absurde, il faut que l'univers ait un moi, une sorte de lisibilité potentielle, à lui propre, comme on peut souhaiter quun miroir intérieur vous donne quelque transparence. La foi ‑ et non seulement la croyance ‑ en un Dieu « moi de l'infini » réalise la bipolarité qui caractérise la religion de Hugo, c'est‑à‑dire la manière dont il se relie à lui‑même par le passage à la limite du possible. C'est cette construction‑là, bien autre que réflexive, qui fonde dans cette oeuvre la religion de la Conscience.
On est apparemment bien loin du poème de la Légende des siècles qui porte ce titre, et dont le personnage de Caïn laisse trop aisément penser qu'il sagit simplement (si j'ose dire) de la conscience morale, celle qui se nourrit de la souffrance du remords. Le poème a quitté un projet pour Châtiments, où il serait trop aisément apparu comme la menace, adressée à Louis‑Napoléon Bonaparte, parjure auteur du coup d'État contre la République, de cette « clémence implacable » brandie par l'exilé Hugo comme mot d'ordre politique. Il a été repris pour la Légende, mais vite détourné par l'usage scolaire au bénéfice de l'instruction morale. Il s'inscrit probablement dans la réflexion anthropologique qui accompagne l'élaboration du programme de Hugo, qui prévoyait l'abolition de toutes les peines afflictives et infamantes. La liberté de Caïn, son errance, son crime, qui n'enfreignait aucun interdit encore prononcé, son rôle de cultivateur, inventeur des céréales, sa progéniture de métallurgistes et d'artistes, leurs talents de bâtisseurs, bref, la civilisation même, tout cela pend à une prise de conscience jaillie de la faute première, que la sottise psycho‑éthique impute à la jalousie, ce dont la Genèse se garde bien. L'oeil qui suit l'errant jusque dans la tombe, étant assez autre pour être même, forme le dipôle de la responsabilité, qui devient alors la loi de l'univers. À l'infini, Dieu.
S'il s'agit de transplanter le fait religieux des musées, des laboratoires et des chaires où on le cultive et des sociétés où il rivalise d'affrontements plus que d'cuménisme, pour lui trouver place dans notre enseignement, il est probable que cette théorie et pratique de la responsabilité, loin de se confondre en une sorte de religion naturelle, fournirait l'accès le plus laïque et le plus efficace aux réalités historiques, ethniques et sociales des curiosités et des appétits. On ne peut mettre en place, dans un paysage intellectuel satisfaisant, ni les inquiétudes, les dogmes, les pratiques et les engagements qui ont marqué l'évolution du sentiment religieux, ni les rivalités, ni les combats qui se sont élevés, si l'on néglige la critique de tout cela. Un fait n'est jamais donné, il faut l'établir, et l'interpréter, ce qui ne peut guère être entrepris devant un public qui ne serait pas pleinement responsable. L'oeuvre de Victor Hugo, à la base même de la scolarité républicaine, peut contribuer à développer cette responsabilité critique sans laquelle les religions ne pourraient pas sortir de leurs refuges respectifs. Son bénéfice principal pourrait résider en une conception du « respect » qui exclue l'indifférence, l'inconscience, et l'irresponsabilité.