[f° 114]

 

 

 

Livre IV [en sc sur « III »]

___

 

Shakespeare l’Ancien

 

 

 

[f° 115, première page d’une feuille double ; au coin gauche, au crayon, « 1 ». Elle a été découpée de manière à former une fenêtre, bouchée par un rectangle de papier, collé sur le verso, qui porte le numéro 116. Ce rectangle de papier provient d’une feuille déjà utilisée : au verso (f° 116v°, qui était primitivement le recto)  9 lignes, barrées d’une grande croix, appartiennent aux développements sur la science : « de térébenthine, le crime bizarre d’avoir essayé la génération humaine dans une citrouille. Le moindre médecin de campagne rirait de la façon dont Galien guérissait les indigestions de Marc-Aurèle. Que pensent les éminents spécialistes d’à présent , Desmares en tête, des savantes découvertes faites au dix-sptième siècle par l’évêque de Titiopolis dans les fosses nasales ? »]

 

[« Arrêtons-nous un moment. » ligne ajoutée, barrée]

[« Revenons sur Eschyle. Il est l’aïeul du théâtre. Eschyle, c’est Shgakespeare l’Ancien. » barré]

 

[f° 116]

 

I

 

 

 

Shakespeare l’Ancien, c’est Eschyle.

Revenons sur Eschyle. Il est l’aïeul du théâtre. [Ces deux premiers paragraphes sont ajoutés au-dessus des quatre lignes initiales, barrées, où se cherche la rédaction de l’incipit du chapitre :

« Shakespeare + + +  qui est Eschyle.

revenons [en interligne : addition à la ligne inférieure]

+ + + + un instant sur

et arrêtons [en interligne : addition à la ligne supérieure]

Eschyle. Il est l’aïeul du théâtre.

Eschyle, c’est Shakespeare l’Ancien. »]

Ce livre serait incomplet si Eschyle n’y avait point sa place à part. [« Ce livre… » : addition]

Un homme qu’on ne sait comment classer dans son siècle, tant il est en dehors, et à la fois en arrière et en avant, le marquis de Mirabeau, ce mauvais coucheur de la philanthropie, très rare [corrige « profond »] penseur après tout, avait une bibliothèque [f° 117 ; il s’agit en réalité de la partie basse de la demi-feuille dont le haut est numéroté 115. ] aux deux coins de laquelle il avait fait sculpter un chien et une chèvre [corrige « un bouc »] , en souvenir de Socrate qui jurait par le chien, et de Zénon qui jurait par le caprier. [« Comme saint Jérôme, il lisait Eschyle. » barré]  Cette bibliothèque offrait cette particularité : d’un côté il y avait Hésiode, [addition] Sophocle, Euripide, Platon, [addition] Hérodote, Thucydide, Pindare, Théocrite, Anacréon, Théophraste [remplace « Virgile »] , Démosthènes, Plutarque, [addition des deux noms] Cicéron, Tive-Live, Sénèque, Perse, Lucain, [addition des trois noms qui se substituent à « Virgile »] Térence, Horace, Ovide, Properce, Tibulle, [addition des trois noms] Virgile, et, au dessous, on lisait gravé en lettres d’or : AMO; de l’autre, il y avait Eschyle seul, et au dessous, ce mot : TIMEO.

[faux départ ou paragraphe supprimé : « Il faut craindre Eschyle en effet, de la façon dont on craint les dieux. » ]

[f° 118] Eschyle, en effet, est redoutable. Son approche n’est pas sans [« vertige » barré en correction cursive] tremblement. Il a la masse et le mystère. Barbare, extravagant [corrige « absurde », déplacé] , emphatique, antithétique, [« emphatique… » : addition] boursouflé, absurde, telle est la sentence rendue contre lui par la rhétorique officielle d’àprésent. Cette rhétorique sera changée. Eschyle est de ces hommes que le critique superficiel raille ou dédaigne, mais que le vrai critique aborde avec une sorte de peur sacrée. La crainte du génie est le commencement du goût.

Dans le vrai critique il y a toujours un poëte, fût-ce à l’état latent. [formule ébauchée au f° 371 du ms 24776]

Qui ne comprend pas Eschyle est irrémédiablement médiocre. On peut essayer sur Eschyle les intelligences.

C’est une étrange forme de l’art que le drame. Son diamètre va des Sept chefs devant Thèbes au Philosophe sans le savoir et de Bridoison à Œdipe. Thyeste en est, Turcaret aussi. Si vous voulez le définir, mettez dans votre définition Electre et Marton. [« C’est une étrange… » : addition ; elle est postérieure à la suivante]

Le drame [« déconcerte » rayé en correction cursive] est déconcertant. Il déroute les faibles. Cela tient à son ubiquité. Le drame a tous les horizons. Qu’on juge de sa capacité. L’épopée a pu être fondue dans le drame, et le résultat, [« propre au drame + » : addition abandonnée] c’est cette merveilleuse nouveauté littéraire qui est en même temps une puissance sociale, le roman.

[L’addition qui suit commençait par deux lignes barrées] L’épique, le lyrique et le dramatique amalgamés ; le roman est ce bronze. Don Quichotte est iliade, ode et comédie.

Tel est l’élargissement possible du drame. Le drame est le plus vaste récipient de l’art. Dieu et Satan y tiennent ; voyez Job. [L’addition de ces deux paragraphes est postérieure à celle du paragraphe « C’est une étrange forme… ».]

A se placer au point de vue de l’art absolu, le propre de l’épopée, c’est la grandeur; le propre du drame, c’est l’immensité. L’immense diffère du grand, en ce qu’il exclut, si bon lui semble, la dimension, en ce qu’ « il passe la mesure », comme on dit vulgairement, et en ce qu’il peut, sans perdre la beauté, perdre la proportion. Il est harmonieux comme la voie lactée. [« Il est harmonieux… » : addition] C’est par l’immensité que le drame commence [corrige « débute »] , il y a quatre mille ans, dans Job, que nous venons [« que nous… » corrige « qu’on vient » (?)] de rappeler, [« que nous venons… » : addition] et, il y a deux mille cinq cents ans, dans Eschyle; c’est par l’immensité qu’il se continue dans Shakespeare. [« Quels personnages prend Job ? Dieu et Satan. » barré] Quels personnages prend Eschyle? les volcans, [f° 119 ; au coin gauche, au crayon, « 2 »] une de ses trilogies [en sc. sur « tragédies » mais la surcharge prète à confusion et la copie lit « tragédies », à moins que la correction lui soit postérieure] perdues s’appelle l’Etna, puis les montagnes, le Caucase avec Prométhée, puis la mer, l’océan sur son dragon, et les vagues, les Océanides, puis le vaste Orient, les Perses, puis les ténèbres sans fond, les Euménides. Eschyle fait la preuve de l’homme par le géant. Dans Shakespeare le drame se rapproche de l’humanité, mais reste colossal. Macbeth semble [corrige « est »] un Atride [en sc. sur « Ajax »] polaire [addition à l’enre rouge ; de même à la copie] . Vous le voyez, le drame ouvre la nature, puis ouvre l’âme; [virgule corrigée en point-virgule à l'encre rouge; même correction à la copie] et nulle limite à cet horizon. Le drame, c’est la vie, et la vie c’est Tout. L’épopée peut n’être que grande, le drame est forcé d’être immense.

Cette immensité, c’est tout Eschyle, et c’est tout [« et c’est tout » :première rédaction : « c’est aussi tout »]  Shakespeare.

L’immense, dans Eschyle est une volonté. C’est aussi un tempérament. [« C’est aussi… » : addition] Eschyle invente le cothurne, qui grandit l’homme, et le masque, qui grossit la voix. Ses métaphores sont énormes. Il appelle Xercès « l’homme aux yeux de dragon. » La mer, qui est une plaine pour tant de poëtes, est pour Eschyle « une forêt » ̓άλσος. [« Ses métaphores… » : addition] Ces figures grossissantes, propres aux poëtes suprêmes, et à eux seuls, sont vraies, au fond, d’une vérité de rêverie. Eschyle émeut jusqu’à la convulsion. [« Ces figures… » : addition, extension de l’addition précédente] Ses effets tragiques ressemblent à des voies de fait sur les spectateurs. Quand les furies d’Eschyle font leur entrée, les femmes avortent. Pollux le lexicographe affirme [en sc. sur « ajoute »] qu’en voyant ces faces à serpents et ces torches secouées, il y avait des enfants qui étaient pris d’épilepsie [corrige « de convulsions »] et qui mouraient. C’est là, évidemment, « aller au delà du but. » La grâce même d’Eschyle, cette grâce étrange et souveraine [corrige « supérieure »] dont nous avons parlé, a quelque chose de cyclopéen. C’est Polyphème souriant. Parfois le sourire est redoutable et semble couvrir une obscure colère. Mettez, par exemple, en présence d’Hélène, ces deux poëtes, Homère et Eschyle. Homère est sur le champ vaincu, et admire. Son admiration pardonne. [« Son admiration… » : addition] Eschyle, ému, reste sombre. Il appelle Hélène fleur fatale; puis il ajoute : Ame sereine comme la mer tranquille [addition] . Un jour Shakespeare dira : Perfide comme l’onde.

 

 

 

[f° 120 : blanc ; f° 121, première page d’une double feuille ; au coin gauche, au crayon, « 3 »]

 

II [addition]

 

 

[addition abandonnée: « Qu’est-ce que le théâtre ? »(?)] Le théâtre est [en sc. sur +] un creuset de civilisation. C’est un lieu de communion humaine. Toutes ses phases veulent être étudiées. C’est au théâtre que se forme [corrige « fait »] l’âme publique.

[alinéa ajouté] On vient de voir ce qu’était le théâtre [« ce qu’était… » corrige « ce qu’il était »] au temps de Shakespeare et de Molière, veut-on voir ce qu’il était au temps d’Eschyle?

Allons à ce spectacle.

Ce n’est plus la charrette de Thespis, ce n’est plus l’échafaud [corrige « échafaudage »] de Susarion, ce n’est plus le cirque de bois de Chœrilus; Athènes, sentant venir Eschyle, Sophocle et Euripide, s’est donné des théâtres de pierre. Pas de toit, le ciel pour plafond, le jour pour éclairage, une longue plateforme [« le ciel… » corrige et complète « un long parallèlogramme »] de pierre percée de portes et d’escaliers et adossée [corrigé au féminin] à une muraille, les acteurs et le chœur allant et venant sur cette plate-forme qui est le logéum, et jouant la pièce; [virgule corrigée en point-virgule à l'encre rouge; de même à la copie][« les acteurs et le chœur… » remplace « ce parallélogramme [correction : « cette plateforme »] qui est le  logeum ayant sur son plateau les acteurs et le chœur qui jouent la pièce, vis à vis de ce parallélogramme un vaste hémicycle de gradins de pierre »] au centre, à l’endroit où est aujourd’hui le trou du souffleur, un petit autel à Bacchus, la thymèle; [virgule corrigée en point-virgule à l’encre rouge] en face de la plateforme [corrige « du parallélogramme »] , un vaste hémicycle de gradins de pierre, [virgule ajoutée ; « pouvant contenir (?) » rayé] cinq ou six mille hommes assis pêle-mêle; [faux départ : « c’est là que »] tel est le laboratoire. C’est là que la fourmilière du Pirée vient se faire Athènes; [f° 122] c’est là que la multitude devient le public, en attendant que le public devienne le peuple. La multitude est là en effet; toute la multitude, y compris les femmes, les enfants et les esclaves, et Platon qui fronce le sourcil.

Si c’est [« aujourd’hui » barré] fête, si nous sommes aux Panathénées, [« aux Panathénées, » : addition] aux Lénéennes ou aux grandes Dionysiaques, les magistrats en sont; [« les magistrats… » : addition] les proëdres, les épistates et les prytanes siègent [corrige « sont »] à leur place d’honneur. Si la trilogie doit être tétralogie, si la représentation doit se terminer par une pièce à satyres, si les faunes, les ægipans, les ménades, les chèvrepieds [« , les chèvrepieds » : addition] et les évants doivent venir à la fin faire des farces, si parmi les comédiens, presque prêtres, et qu’on nomme « les hommes de Bacchus », on doit avoir [« on doit avoir » corrige « il y a »] l’acteur favori qui excelle dans les deux modes de déclamation, dans la [corrige « le »] paraloge aussi bien que dans la [corrige « le »] paracatologe, si le poëte est assez aimé de ses rivaux pour qu’on ait la chance de voir [« figurer » rayé en correction cursive] dans le chœur figurer des hommes célèbres, Eupolis, Cratinus, ou même Aristophane, Eupolis, atque Cratinus, Aristophanesque poetæ, comme dira un jour Horace, si l’on joue une pièce à femmes, fût-ce la vieille Alceste de Thespis, [« la foule est » barré en correction cursive] tout est plein, [faux départ: « la foule »] il y a foule. La foule est déjà [« là » barré] pour Eschyle ce que plus tard, comme le constate le prologue des Bacchides, elle sera pour Plaute « un amas d’hommes sur des bancs, toussant, crachant, éternuant, faisant avec la bouche des bruits et des grimaces, ore concrepario, [« ore concrepario, » : addition ; elle est réécrite en marge en caractères très bien formés, à destination du copiste] se touchant du front, et parlant de leurs affaires» ; ce qu’elle est aujourd’hui.

Des écoliers charbonnent sur la muraille, tantôt par admiration, tantôt par ironie, des vers connus, entr’autres le singulier [f° 123, première page d’une feuille double ; au coin gauche, au crayon, « 4 »] vers ïambique en un seul mot de Phrynichus :

̓Αρκαιομελησιδωνοφρυνικήρατα.

[en marge, la transcription en caractères latins : « Archaiomélésidonophrunichérata » et la référence : «(Voir Pierron, préface, p. XIX trad. d’Eschyle .) »]

que n’a pu atteindre, tout en l’imitant, le fameux alexandrin en deux mots d’un de nos [addition abandonnée d’un mot] tragiques du seizième [corrige « dix-septième »] siècle :

Métamorphoserait Nabuchodonosor.

Il n’y a pas que les écoliers pour faire du bruit; il y a les vieillards. Fiez-vous pour le tapage aux vieillards des Guêpes d’Aristophane. Deux écoles sont en présence; d’un côté Thespis, Susarion, Pratinas de Phlionte [« de Phlionte » : addition] , Epigène de Sicyone, Théomis, [addition] Auléas, Chœrilus, Phrynichus, Minos lui-même; de l’autre le jeune Eschyle. Eschyle a vingt-huit ans. Il donne sa trilogie des Prométhées : [corrige point-virgule] Prométhée allumeur du feu, Prométhée enchaîné, Prométhée délivré, terminée [en sc. sur +] par quelque pièce à satyres, les Argiens, peut-être, dont Macrobe nous a conservé un fragment. L’antique querelle des deux âges éclate; barbes grises contre cheveux noirs; on discute, on dispute; [« barbes grises… » : addition] les vieillards sont pour les vieux; les jeunes sont pour Eschyle. Les jeunes [corrige « Ils »] défendent Eschyle contre Thespis comme ils défendront Corneille contre Garnier. Les vieux sont indignés. Ecoutez bougonner les [on lit plus volontiers « ces » que « les », donné par la copie] nestors [en sc sur +] [« Ecoutez… » : addition ; première rédaction : les + bougonnent »] . Qu’est-ce que la tragédie? c’est le chant du bouc. Où est le bouc dans ce Prométhée enchaîné? L’art est en décadence. Et ils répètent la célèbre objection : Quid pro Baccho? « Qu’y a-t-il là pour Bacchus? » Les plus sévères, les purs, [« les purs » : addition] n’admettent même pas Thespis, et rappellent que pour le seul fait d’avoir détaché et isolé [corrige « mis » en correction cursive] dans une pièce un épisode de la vie de Bacchus, l’histoire de Penthée, Solon avait [un ou deux mots barrés] levé son bâton sur Thespis en l’appelant « menteur ». Ils exècrent [corrige « blâment »] ce novateur d’Eschyle. Ils blâment toutes [« Eschyle… » corrige « ce novateur d’Eschyle et toutes »] ces inventions qui ont pour but de mieux faire ressembler [f° 124] le drame [corrige « le dialogue »] à la nature, l’emploi de l’anapeste pour le chœur, de l’ïambe pour le dialogue, et du trochée pour la passion, de même qu’on [« a blâm » barré en correction cursive] a plus tard blâmé dans Shakespeare le passage [« du vers de » barré en correction cursive] de la poésie à la prose et dans le théâtre du dix-neuvième siècle ce qu’on a appelé le vers brisé. Ce sont là des nouveautés insupportables. Et puis, la flute chante trop haut, et le tétracorde chante trop bas ; et qu’a-t-on fait de la vieille division sacrée des tragédies en monodies, stasimes et exodes? Thespis ne mettait en scène qu’un acteur parlant; voilà Eschyle qui en met deux. Bientôt on en mettra trois. (Sophocle, en effet, devait venir.) Où s’arrêtera-t-on? Ce sont des impiétés. Et comment [« ose-t-il appeler » barré en correction cursive]  cet Eschyle ose-t-il appeler Jupiter le prytane des immortels? Jupiter [corrige « C’ »] était un dieu, ce n’est plus qu’un magistrat. Où allons-nous? [« Et les jeunes éclatent de rire. » barré en correction cursive] La thymèle, l’ancien autel du sacrifice, est maintenant [« est maintenant » corrige « n’est déjà plus qu’ »] un siège pour le coryphée [en sc. sur « chœur »] ! le chœur devrait se borner à exécuter la strophe, c’est à dire le tour à droite, puis l’anti-strophe, c’est à dire le tour à gauche, puis l’épode, c’est à dire le repos; mais que signifie le chœur arrivant dans un char ailé? Qu’est-ce que le taon qui poursuit Io? Pourquoi l’océan vient-il monté sur un dragon? C’est là du spectacle, non de la poésie. Où est l’antique simplicité? Ce spectacle est puéril. [« Où est l’antique… » : addition] Votre Eschyle n’est qu’un peintre, un décorateur, un faiseur de fracas, un charlatan, un machiniste. [« un machiniste. » : addition et correction de la virgule par un point] Tout pour les yeux, rien pour la pensée. Au feu toutes ces pièces, et qu’on se contente de réciter les vieux pæans de Tynnichus [corrige « Tinnychus »] ! Au reste, c’est Chœrilus qui, par sa tétralogie des Curètes a commencé le mal. Qu’est-ce que les Curètes, s’il vous plait? des dieux forgerons. Eh bien, [« le poëte devait se borner à » barré en correction cursive] il fallait simplement mettre sur la scène leurs cinq familles travaillant, les Dactyles trouvant le métal, les Cabires inventant la forge, les Corybantes faisant l’épée et le soc de charrue, les Curètes fabriquant le bouclier, et les Telchines ciselant les bijoux. C’était bien assez intéressant comme cela. Mais en permettant aux poëtes d’y mêler l’aventure de Plexippe et de Toxée, on a tout perdu. Comment voulez-vous qu’une société résiste à de tels excès? [« Au feu… » : addition] C’est abominable. Eschyle devrait être cité [en sc. sur +] en justice et boire la ciguë comme ce vieux misérable [« ce vieux misérable » corrige « ce coquin »] de Socrate. [« + tout dégénère » barré en correction cursive] Vous verrez qu’on se contentera de [corrige « bornera à »] l’exiler. Tout dégénère. –

[alinéa ajouté à l’encre rouge ; de même à a la copie] Et les jeunes éclatent de rire. Ils critiquent, eux aussi, mais autre chose. Quelle vieille brute que ce Solon! c’est lui [f° 125 ; au coin gauche, au crayon, « 5 »] qui a institué l’archonte éponyme. Qu’a-t-on besoin d’un archonte donnant son nom à l’année? [« Qu’a-t-on… » : addition à l’encre rouge ; idem à la copie] Huée à l’archonte éponyme qui a dernièrement fait [couronner » : barré en correction cursive] élire et couronner un poëte par dix généraux au lieu de prendre dix hommes du peuple. Il est vrai qu’un des généraux était Cimon; circonstance atténuante aux yeux des uns, car Cimon a battu les phéniciens, aggravante aux yeux des autres, car c’est ce Cimon qui, afin de sortir de la prison pour dettes, a vendu sa sœur Elphinie et, par-dessus le marché, sa femme [point barré en correction cursive] à Callias. [« Pourquoi s’en prend-on à [correction : « attaque-t-on »] Eschyle ? » barré] Si Eschyle est un téméraire [corrige « impie »] , et mérite d’être mandé [corrige +] devant l’aréopage, est-ce que Phrynicus n’a pas été, lui aussi, jugé et condamné pour avoir montré sur la scène, dans la prise de Milet, les grecs battus par les perses? Quand laissera-t-on [« Quand… » corrige « Laissons »] les poëtes faire à leur guise? Vive la liberté de Périclès et à bas la censure de Solon![depuis les deux lignes barrées commençant  par « Pourquoi »… » : addition] Et puis, qu’est-ce que c’est que [« Et puis… » corrige en correction cursive « Et puis que signifie »] cette loi qu’on vient de rendre qui réduit le chœur de cinquante choreutes à quinze? et comment jouera-t-on les Danaïdes? et ne ricanera-t-on point au [corrige « à ce »] vers d’Eschyle : Egyptus, le père aux cinquante fils? les cinquante seront quinze. Cette magistrature est inepte. Querelle. Rumeur. [« Querelle… » : corrige « La querelle s’échauffe. »] L’un préfère Phrynicus, un autre préfère Eschyle, un autre préfère le vin miellé au benjoin. Les [corrige le singulier ; idem pour les deux verbes] porte-voix des acteurs se tirent comme ils peuvent de ce brouhaha percé de temps en temps par le cri aigre des vendeuses publiques de phallus et des marchandes d’eau. Tel est le tumulte athénien. Pendant ce temps-là on joue la pièce. Elle est d’un homme vivant. Le tumulte est de droit. [« Le tumulte… » : addition] Plus tard, quand Eschyle sera mort ou exilé, on fera silence. Il convient que vous vous taisiez devant un dieu.  Æquum est, c’est Plaute qui parle, vos deo facere silentium.

[bas de la page blanc]

 

 

 

[f° 126, première page d’une double feuille ; au coin gauche, au crayobn, « 6 »]

 

III [vraisemblablement ajouté]

 

 

Un génie est un accusé. [addition ; de même à la copie]

Tant qu’Eschyle vécut, il fut contesté. [Les trois lignes qui suivent ont fait l’objet d’une série de corrections très enchevêtrées avant d’être remplacées, en deux temps au moins, par le texte « Selon l’habitude… battue en brèche. »] On le contesta, puis on le persécuta, progression naturelle. [On le contesta… » : combine la première rédaction : « Puis on le persécuta, progression naturelle. » et l’addition : « contester l’homme, c’est le premier pas ; »] [« Comme [corrigé : « Ainsi qu’on avait fait »] pour Socrate, et  » : début barré de l’addition qui suit] Selon l’habitude athénienne, on démura sa vie privée; on le noircit, on le calomnia. [« Comme pour Socrate… » : addition de premier niveau. Elle reprend et corrige deux lignes barrées : « On lui + + + +, on démura sa vie privée [« + + l’habitude athénienne » : addition] on le noircit, on le calomnia. »] Une femme qu’il avait aimée, Planesia, sœur de Chrysilla, maîtresse de Périclès s’est déshonorée devant l’avenir par les outrages qu’elle lui adressa [le texte autographe ajouté à la copie donne: « qu'elle adresse à Eschyle »] publiquement. [« Une femme… » : addition de troisième niveau, à l’encre rouge, intercalée entre la précédente et celle qui suit ; addition autographe à la copie.] On lui supposa des [« On lui… » : corrige « on l’accusa d’ » qui lui-même corrige + + +] amours contre nature; on lui trouva, comme à Shakespeare, un lord Southampton. [« On lui supposa… » : addition de second niveau] Sa popularité fut [deux ou trois mots barrés en correction cursive] battue en brèche. [« Sa popularité… » : extension de l’addition précédente] [Retour ici au texte initial] On lui imputait à crime [« imputait… » : corrige « reprochait »] tout, jusqu’à sa bonne grâce [corrige « son affabilité »] envers les jeunes poëtes qui lui offraient respectueusement leurs premières [addition] couronnes; il est curieux de voir ce reproche [« ce reproche » : rétabli après correction abandonnée en « cette remontrance »] reparaître toujours; Pezay et St Lambert le répètent au dix-huitième siècle :

Pourquoi, Voltaire, à ces auteurs,

Qui t’adressent des vers flatteurs,

Répondre, en toutes tes missives,

Par des louanges excessives?

Eschyle, vivant, fut une sorte de cible publique à toutes les haines [« fut une sorte… » corrige « n’eut pas une heure heureuse. Il fut cible à la haine »] . Jeune, on lui préféra les anciens, Thespis et Phrynichus; vieux, on lui préféra les nouveaux, Sophocle et Euripide. Enfin, il fut traduit devant l’aréopage, et, selon Suidas, parce que le théâtre s’était écroulé pendant une de ses pièces, selon Elien, parce qu’il avait blasphémé, ou, ce qui est la même chose, raconté les arcanes d’Eleusis, il [en sc . cursive sur « E {schyle} »] fut exilé. Il mourut en exil.

Alors l’orateur Lycurgue s’écria : Il faut élever à Eschyle une statue de bronze.

Athènes, qui avait chassé l’homme, éleva la statue.

Ainsi Shakespeare [en sc., en correction cursive, sur « Eschyle mort »]  mort entra dans l’oubli, Eschyle dans la gloire [« , Eschyle dans la gloire »: addition] .

Cette gloire, qui devait avoir dans les siècles [« dans les… » corrige « plus tard »] ses phases, ses éclipses, ses disparitions et ses réapparitions, fut éblouissante. La Grèce se souvint de Salamine où Eschyle [corrige « il »] avait combattu. L’aréopage lui-même eut honte. Il se sentit ingrat envers l’homme qui, dans l’Orestie, avait [f° 127] honoré ce tribunal au point d’y faire comparaître [« combattu. L’aréopage lui-même… » se substitue à une première rédaction : « combattu. Athènes se souvint de l’aréopage [f° 127] qu’il avait honoré dans l’Orestie [dans l’Orestie » : addition] au point d’y faire paraître »]  Minerve et Apollon. Eschyle devint sacré. [« Eschyle devint sacré. » : addition] Toutes les phratries eurent son buste [« couronné de lauriers » : barré en correction cursive] ceint d’abord de bandelettes; plus tard, couronné de lauriers. Aristophane lui fit dire dans les Grenouilles : « Je suis mort, mais ma poésie est vivante. » Aux grands jours d’Eleusis, le héraut de l’aréopage [« Aristophane… » remplace une ligne et demi barrée : « Aux [« quatre + + » : addition] fêtes d’Eleusis + + + + + le héraut de l’aréopage »] souffla en l’honneur d’Eschyle dans la trompette tyrrhénienne. On fit faire, aux frais de la république, un exemplaire officiel de ses quatrevingt-dix-sept drames [« de ses … » corrige « d’Eschyle »] qui fut mis sous la garde du greffier d’Athènes. Les acteurs qui jouaient ses pièces [« devaient + » barré en correction cursive] étaient tenus d’aller collationner leurs rôles sur cet exemplaire complet et unique. On fit d’Eschyle un deuxième [On fit… » corrige «  On alla plus loin. On l’égala à »] Homère. Eschyle eut, lui aussi [« lui aussi » corrige « comme Homère »] , ses rhapsodes qui chantaient ses vers dans les fêtes et qui tenaient à la main [« à la main » : addition] une branche de myrte.

 [La rédaction initial se poursuit par « + + emplit le monde d’alors. L’Egypte.. ». Jusque là, tout ce qui suit est formé d’une cascade d’additions successives.]

Il avait eu raison, le grand homme insulté, d’écrire sur ses poëmes cette fière et sombre dédicace :

AU TEMPS. [« Il avait eu raison… » : addition de second niveau]

De son blasphème, il n’en fut plus question. [point de préférence à virgule] Ce blasphème l’avait fait mourir en exil, c’était bien, [« c’était bien, » : addition à l’encre rouge] c’était assez, il fut comme non avenu. Du reste, on ne sait où trouver ce blasphème. Palingène le cherche dans une Astérope, imaginaire, selon nous. Musgrave le cherche dans les Euménides. Musgrave a probablement raison, car les Euménides étant une pièce fort religieuse, les prêtres avaient [corrige « ont »] dû la choisir pour l’accuser d’impiété. [« De son blasphème… » : addition de troisième niveau intercalée entre la précédente et la suivante]

[alinéa ajouté à l’encre rouge ; idem à la copie] Signalons une coïncidence bizarre. Les deux fils d’Eschyle, Euphorion et Bion, passent pour avoir refait l’Orestie, exactement comme, deux mille trois cents [« trois cents » : addition] ans plus tard, Davenant, bâtard [corrige « qui se disait fils »] de Shakespeare, refit Macbeth. Mais en présence du respect universel pour Eschyle mort, ces impudentes retouches étaient impossibles, et ce qui est vrai de Davenant, est évidemment inexact de Bion et d’Euphorion. [« Signalons… » : addition de premier niveau]

La renommée d’Eschyle [« La renommée… » corrige + +] emplit le monde d’alors. L’Egypte, le sentant avec raison colosse et un peu égyptien, lui décerna le nom de Pimander, qui signifie Intelligence Supérieure. En Sicile, où il avait été banni et où l’on sacrifiait des boucs devant son tombeau à Gela, il fut presque un olympien [« un olympien » corrige « dieu »] . Plus tard, pour les chrétiens, à cause de la prédiction de Prométhée où l’on voulut voir Jésus [corrige « Christ »] , il fut presque un [addition] prophète.

Chose étrange, c’est cette gloire qui a fait sombrer son œuvre.

Nous parlons ici du naufrage matériel, car, comme nous l’avons dit, le vaste nom d’Eschyle surnage.

C’est tout un drame, et un drame extraordinaire, que la disparition de ces poëmes. Un roi a bêtement volé l’esprit humain. [Entre ces lignes, le manuscrit porte, au crayon, « Ptolémé Evergète le roi (?)  + des + »]

Contons ce vol.

IV [ajouté dans l’interligne entre « Contons ce vol. » et « Voici les faits, la légende du moins… »]

Voici les faits, la légende du moins, car, à cette distance et dans ce crépuscule, l’histoire est légendaire.

Il y avait un roi d’Egypte nommé Ptolémée-Evergète, beau-frère d’Antiochus-le-Dieu.

Disons-le en passant, tous ces gens-là étaient dieux. Dieux soters, dieux évergètes, dieux [« philadelphes, dieux philiopators » barré en correction cursive] épiphanes, dieux philométors, dieux philadelphes, dieux philopators. Traduisez [en sc. sur « Traduction »] : dieux sauveurs, dieux bienfaisants, dieux illustres, dieux aimant leur mère, dieux aimant leurs frères, dieux aimant leur père. Cléopatre était déesse Soter. Les prêtres et prêtresses de Ptolémée Soter étaient à Ptolémaïs. Ptolémée VI était appelé [addition] dieu-Aime-mère, Philométor, parce qu’il haïssait sa mère Cléopâtre; Ptolémée IV était dieu-Aime-Père, Philopator, [addition à l’encre rouge ; de même à la copie] parce qu’il avait empoisonné son père; Ptolémée II était dieu-Aime-Frères, Philadelphe, parce qu’il avait tué ses deux frères.

Revenons à Ptolémée-Evergète. [« Disons-le… » : addition]

Il était fils du Philadelphe, lequel donnait des couronnes d’or aux ambassadeurs romains [addition] , le même à qui [f° 128, première page d’une double feuille ; au coin gauche, au crayon, « 7 »] [Le dernier paragraphe de l'addition « Disons-le en passant… » reprend le texte initial : « Cet Evergète était fils du Philadelphe qui donnait  des couronnes d’or  aux ambassadeurs [f° 128] romains et auquel »] le pseudo-Aristée attribue à tort la version des Septante. Ce Philadelphe avait fort augmenté la bibliothèque d’Alexandrie fondée par Soter, son père, et [« fondée par… » : addition] qui, de son vivant, comptait deux cent mille volumes. Au [« volumes. Au » corrige « volumes, et qui, au »] sixième siècle, elle [addition] atteignit, dit-on, le chiffre incroyable [« pour ces temps-là » barré à l’encre rouge ; de même à la copie] de sept cent mille manuscrits. [signe d'alinéa à la copie] Ce répertoire de la connaissance humaine, formé sous les yeux d’Euclide, et par les soins de Callimaque, de Diodore Cronos, de Théodore l’Athée, de Philétas, d’Apollonius, d’Aratus, de Manéthon, de Lycophron et de Théocrite, eut pour premier bibliothécaire, selon les uns Zénodote d’Ephèse, selon les autres Démétrius de Phalère, à qui [corrige « auquel »] Athènes avait élevé trois cent soixante statues, qu’elle mit un an à construire et un jour à détruire. Or cette bibliothèque [« Ce répertoire… » addition de premier niveau. Elle se substitue au texte initial « Cette bibliothèque, formée sous les yeux [+ + addition abandonnée] d’Euclide, de Callimaque, de Lycophron et de Théocrite, » ; de même à la copie] n’avait pas d’exemplaire d’Eschyle. Un jour le grec Démétrius dit à Evergète : Pharaon n’a pas Eschyle, exactement comme, plus tard, Leidrade, archevêque de Lyon et bibliothécaire de Charlemagne, dit à Charlemagne : L’empereur n’a pas Scæva Memor. [Un jour le grec… » : addition ; écriture différente de la précédente ; extension de l’adddition précédente également à la copie]

[alinéa ajouté ; de même à la copie] Ptolémée-Evergète, voulant compléter l’œuvre [voulant… » corrige « en succédant au » Hugo a omis de corriger « au » ; addition également, mais sans la faute, à la copie]  du Philadelphe son père, résolut de donner Eschyle à la bibliothèque d’Alexandrie. Il déclara qu’il en ferait faire une copie. [« Il déclara… » : addition] Il envoya une ambassade emprunter aux athéniens l’exemplaire unique et sacré, gardé par le greffier de la république. Athènes, peu prêteuse, hésita et demanda un nantissement. Le roi d’Egypte offrit quinze talents d’argent. Si l’on veut se rendre compte de ce que c’est que quinze talents, on n’a qu’à se dire que c’était [corrige « étaient »] les trois quarts du tribut annuel [corrige « total »] [ faux départ : « payé p »] de rançon payé par [« le peuple » barré en correction cursive] la Judée à l’Egypte, lequel était de vingt talents et pesait à tel point sur le peuple juif que le grand-prêtre Onias II, fondateur du temple Onion, [« fondateur… » : addition] [« finit » barré] se décida à refuser ce tribut [corrige « à le refuser »]  au risque d’une guerre. Athènes accepta le gage. Les quinze talents furent déposés. L’Eschyle complet fut remis au roi d’Egypte. Le roi abandonna les quinze talents, et garda le livre.

Athènes indignée eut une velléité de guerre contre l’Egypte. Reconquérir Eschyle cela valait bien reconquérir Hélène. Recommencer Troie, mais cette fois pour ravoir Homère, c’était beau. On réfléchit pourtant. [« Recommencer… » : addition ; elle se substitue à « Mais »] Le Ptolémée était redoutable. Il avait repris de force [de force » : addition] à l’Asie les deux mille cinq cents dieux égyptiens emportés jadis par Cambyse, parce qu’ils étaient en or et en argent ; il avait de plus conquis la Cilicie et [« deux mille cinq cents… » corrige « deux mille cinq cents  statues de dieux égyptiens prises par Cambyse, plus la Cilicie et »] la Syrie, et tout le pays de L’Euphrate au Tigre. Athènes, elle, n’était plus au [f° 129] temps où elle improvisait une flotte de deux cents vaisseaux contre Artaxerce. Elle laissa [corrige « dut laisser »] Eschyle prisonnier de l’Egypte.

C’était un prisonnier dieu. Cette fois le mot dieu est à sa place. On rendait à Eschyle [« Cette fois… » complète et corrige « On lui rendait »] des honneurs inouïs. Le roi refusa, dit-on, [« , dit-on, » : addition] de le faire copier, tenant stupidement à posséder un exemplaire unique.

On veilla particulièrement sur ce manuscrit quand la bibliothèque [La rédaction initiale de la suite occupe trois lignes corrigées puis barrées en correction cursive : « [« d’Alexandrie » : addition] fut transférée dans le temple de Jupiter Sérapis + + + + par le don  + + fit à Cléopâtre ».] d’Alexandrie, [virgule ajoutée et « fut » barré] grossie de [« toute » barré] la bibliothèque de Pergame, qu’Antoine donna à Cléopâtre, fut transférée dans le temple de Jupiter-Sérapis. C’est là que saint Jérôme vint lire, sur le texte athénien, le fameux passage de Prométhée prophétisant le Christ : « Va dire à Jupiter que rien ne [« ne » manque] me fera nommer celui qui doit le [« renverser » barré en correction cursive] détrôner. »

D’autres docteurs [variante sans choix à « pères » préférée à la copie] de l’église firent sur cet exemplaire la même vérification. Car de tout temps on a combiné [faux départ : « ce qu’on a appelé »] avec les affirmations orthodoxes ce qu’on a appelé les témoignages du polythéïsme, et l’on a fait effort pour faire dire aux payens des choses chrétiennes. Teste David cum sibyllâ. On vint comme en pèlerinage compulser le Prométhée. [« Car de tout… » : addition de second niveau insérée dans celle en cours ; elle y entraîne la rature de « On y vint comme en pèlerinage. »] Ce fut peut-être cette assiduité à fréquenter la bibliothèque d’Alexandrie qui trompa l’empereur Adrien et qui lui fit écrire au consul Servianus : « Ceux qui adorent Sérapis sont chrétiens; ceux qui se prétendent évêques du Christ sont en même temps dévots à Sérapis. » [« D’autres docteurs… » : addition]

Sous la domination romaine, la bibliothèque d’Alexandrie appartenait à l’empereur. L’Egypte était la chose de César. Augustus, dit Tacite, seposuit Ægyptum. N’y voyageait pas qui voulait. L’Egypte était close. Les chevaliers romains, et les sénateurs même, n’y obtenaient pas aisément leurs entrées.

C’est pendant cette période que l’exemplaire [« d’Eschyle » barré en correction cursive] complet d’Eschyle put être consulté et feuilleté par Timocharis, Aristarque, Athénée, [ces trois noms en addition de second niveau] Stobée, [addition de premier niveau ainsi que deux noms, dont le premier est « Elien » remplacés par « Diodore de Sicile » ; au-dessus une note barrée : « vérifier »] Diodore de Sicile, Macrobe, Plotin, Jamblique, Sopatre, [addition] Clément d’Alexandrie, Népotien d’Afrique, Valère-Maxime, [ces deux noms en addition] [« et » barré] Justin le martyr, [virgule corrige point du fait de l’addition qui suit] et même par Elien, quoique Elien ait peu quitté l’Italie. [« et même… » : addition]

Au septième siècle, un homme entra dans Alexandrie. Il était monté sur un chameau, et assis entre deux sacs, l’un plein de figues, l’autre plein de blé. Ces deux sacs étaient, avec un plat de bois, tout ce qu’il possédait. Cet homme ne s’asseyait jamais qu’à terre. Il ne buvait que de l’eau et ne mangeait que du pain. Il avait conquis la moitié de l’Asie et de l’Afrique, pris ou brûlé trente-six mille villes, villages, forteresses et châteaux, détruit quatre mille temples payens ou chrétiens, bâti quatorze cents mosquées, vaincu Izdeger, roi de Perse, et Héraclius, empereur d’orient, et il se nommait Omar. Il brûla la bibliothèque d’Alexandrie.

Omar est pour cela célèbre; Louis, dit le Grand, n’a pas la même célébrité, ce qui est injuste, car il a brûlé la bibliothèque Rupertine à Heidelberg.

 

[f° 130, première page d’une feuille double ; au coin gauche, au crayon, « 7bis »]

 

V [peut-être ajouté ; le texte commence au haut de la page]

 

On le voit, cette aventure est un drame complet. Il pourrait s’intituler Eschyle perdu. Exposition, nœud et dénoûment. Après Evergète, Omar. L’action commence par un voleur et finit par un incendiaire.

L’Evergète, c’est là son excuse, a volé par amour. Inconvénients de l’admiration d’un imbécile.

Quant à Omar, c’est le fanatique. Soit dit en passant, on a essayé de nos jours de bizarres réhabilitations historiques. Nous ne parlons pas de Néron, qui est à la mode. Mais on a tenté d’exonérer Omar, de même qu’on a tenté d’innocenter Pie V. Pie V et saint, [virgule déconcerrtante, ajoutée peut-être parce que VH s’apprêtait à écrire « personnification » avant de sa raviser] personnifie [corrige « a fait »] l’inquisition; le canoniser suffisait, pourquoi l’innocenter? Nous ne nous prêtons point à ces remises en question de procès jugés. Nous n’avons aucun goût à rendre ces petits services au fanatisme, qu’il soit calife ou pape, qu’il brûle les livres ou qu’il brûle les hommes. On a fort plaidé pour Omar. Une certaine classe d’historiens et de critiques biographes [addition] s’apitoie volontiers sur les sabres, si calomniés, ces pauvres sabres. Jugez de la tendresse qu’on a pour un cimeterre. Le cimeterre, c’est le sabre idéal. C’est mieux que bête, c’est turc. Omar a donc été nettoyé le plus possible. [« On a fort plaidé… » : addition, comme aux « Intercalations » de la copie (f° 917) et aux épreuves] On a argué d’un premier incendie du quartier Bruchion où était la bibliothèque alexandrine, pour prouver la facilité de ces accidents; celui-ci était de la faute de Jules César [« celui-ci… » : addition à l’encre rouge ; de même à la copie] , autre sabre; [« , autre sabre ; » est ajouté, à l’encre noire, à l’addition précédente et figure aussi en addition aux épreuves et aux « Intercalations » de la copie (f° 917)] puis d’un second incendie, partiel, du Serapéum, pour accuser les chrétiens, ces démagogues d’alors. Si l’incendie du Sérapéum avait détruit la bibliothèque alexandrine au quatrième siècle, Hypathie n’aurait pas pu, au cinquième siècle, donner, dans cette même bibliothèque, [« Si l’incendie… » corrige une première rédaction : « L’incendie du Serapéum, au quatrième siècle, détruisit la + bibliothèque c’est + +  bibliothèque + + + Hypathie donner, + + +, »  ] ces leçons de philosophie qui la firent massacrer à coups de pots cassés « à coups… » : addition à l’encre rouge; de même à la copie] . Sur Omar, nous croyons volontiers les arabes. Abd-Allatif a vu, vers 1220, à Alexandrie, « la colonne des piliers supportant une coupole »,  et [f° 131] il dit : « là était la bibliothèque que brula Amrou-ben-Alas, par permission d’Omar. » Abulfaradge, en 1260, [faux départ : « raconte »] dans son Histoire dynastique, raconte en propres termes que, sur l’ordre d’Omar, on prit les livres de la bibliothèque, et qu’on en chauffa pendant six mois les bains d’Alexandrie. Selon Gibbon, [« Selon Gibbon, » : addition] il y avait à Alexandrie quatre mille bains. [« Jugez du peu. » : addition à l’encre rouge, barrée ; rature également indiquée aux « Intercalations » de la copie, f° 917.] Ebn-khal-doun, dans ses Prolégomènes historiques, raconte une autre destruction, l’anéantissement de la bibliothèque des mèdes par Saad, lieutenant d’Omar. Or Omar, ayant [« brûlé » rayé en correction cursive] fait brûler en Perse la bibliothèque médique par Saad, était logique en faisant brûler en Egypte la bibliothèque égypto-grecque par Amrou. Ses lieutenants nous ont conservé son ordre : « Si ces livres contiennent des mensonges, au feu. S’ils contiennent des vérités, elles sont dans le Koran, au feu. » Au lieu de Koran, mettez Bible, Veda, Edda, Zend-Avesta, Toldos Jeschut, Talmud, Evangile, et vous avez la formule imperturbable et [« imperturbable et » : addition] universelle de tous les fanatismes. Cela dit, nous ne voyons aucune raison pour casser le verdict de l’histoire, nous adjugeons au calife la fumée des sept cent mille volumes d’Alexandrie, Eschyle compris, et nous maintenons Omar en possession de son incendie.

[changement d’écriture ou de plume; copie : toute la fin du chapitre est de l’écriture de VH et constitue donc un ajout] Evergète, par volonté de jouissance [en sc sur +] exclusive et traitant une bibliothèque comme un sérail, nous a dérobé Eschyle. Le dédain imbécile peut avoir les mêmes effets que l’adoration imbécile. Shakespeare a failli avoir le sort d’Eschyle. [première rédaction : Il s’en est fallu de peu que Shakespeare n’eût le sort d’Eschyle. »] Il a eu, lui aussi, son incendie. [« Il a eu… » : addition, comme aux épreuves] Shakespeare était si peu imprimé, [« Shakespeare était… » : addition] l’imprimerie existait si peu pour lui [corrige « Shakespeare » en fonction de l’addition qui précède] , grâce à l’inepte indifférence de la [corrige « sa »] postérité immédiate, qu’en 1666 il n’y avait encore qu’une édition du poëte de Stratford-sur-Avon, l’édition [« du poëte… » corrige « de Shakespeare, [« la prem »(?) barré] l’édition,  + + +,] d’Hemynge et Condell [en sc. sur « Candell »] , tirée à trois cents exemplaires. Shakespeare, avec cette obscure et chétive édition attendant en vain le public, était une sorte de pauvre honteux de la gloire. [« Shakespaeare, avec… » : addition] Ces trois cents exemplaires étaient à peu près tous à Londres, [pas de virgule au texte autographe de la copie] en magasin, quand l’incendie de 1666 éclata. Il brûla Londres et faillit brûler Shakespeare. Toute l’édition Hemynge et Condell [en sc. sur « Candell »] y disparut, à l’exception de quarante-huit exemplaires, vendus en cinquante ans. Ces quarante-huit acheteurs ont sauvé [« Shakespeare » barré en correction cursive] la vie à l’œuvre de Shakespeare. [« Ces trois cents… » : écriture différente de ce qui précède et, vraisemblablement, addition]

 

 

[f° 132, première page d’une feuille double ; au coin gauche, au crayon, « 8 »]

 

VI

[inscrit au dessus de l’addition qui constitue le début du chapitre; copie: le folio commençait par les deux paragraphes du début du chapitre précédent; ils ont été barrés, signe que le chapitre qui précède a été intercalé.]

 

 

La disparition d’Eschyle! étendez hypothétiquement [addition] cette catastrophe à quelques autres noms encore, et il semble que vous sentiez le vide se faire dans l’esprit humain.

[faux départ : « Ce que c’est qu’Eschyle perdu, indiquons-le. »]

L’œuvre d’Eschyle était, par l’étendue, la plus vaste, à coup sûr, de toute l’antiquité. Par les sept pièces qui nous restent, on peut juger de ce qu’était cet univers.

Ce que c’est qu’Eschyle perdu, indiquons-le. [Ces trois paragraphes sont écrits en deux temps –les deux derniers ajoutés au premier–  dans la marge gauche ; ils se substituent à un texte, encadré et barré de grands traits obliques, dont la reprise développée forme le chapitre V :

« On le voit, [trois mots barrés sans doute en correction cursive] cette aventure est un drame complet. Il pourrait s’intituler Eschyle perdu. Exposition, nœud et dénouement. Après Evergète, Omar. L’action commence par un voleur et finit par un incendiaire.

[« Evergète » barré en correction cursive] L’Evergète ; c’est là son excuse, a volé par amour. Inconvénients de l’admiration d’un imbécile.

Maintenant, ce que la pensée humaine a perdu, [correction abandonnée : « ce que c’est que cette perte »]  indiquons-le.

[La liste des œuvres perdues qui suit, corrigée en plusieurs endroits, a été barrée et reprise plus bas avant la réfection du début. On distingue : «Douze drames : les Prométées dont faisait partie Prométhée enchaîné, Penthée, Athamas, Persée, +, Iphigénie, Teucer, Ethiopide,  les sept chefs devant Thèbes dont il nous reste une pièce, la Danaïde, +, Laïus, une en l’honneur d’Achille l’Iliade tragique, une en l’honneur de Bacchus la Lycurgie » ]

Quatorze [en sc. sur « Treize »] trilogies : les Prométhées, dont faisait partie Prométhée Enchaîné; les sept chefs devant Thèbes, dont il nous reste une pièce; la Danaïde, qui comprenait les Suppliantes, écrites en Sicile et ayant trace du « sicélisme » [soulignement pour italiques annulé] d’Eschyle; Laïus, [« auquel » barré en correction cursive] qui comprenait Œdipe; Athamas, qui se terminait par les Ithsmiastes [surcharge à l’encre rouge pour corriger « Isthmiastes » qui était correct !] ; Persée, dont le nœud était les Phorcydes; Etna, qui avait pour prologue les femmes Etnéennes; Iphigénie, qui se dénouait par la tragédie des Prêtresses; l’Ethiopide, dont les titres ne se retrouvent nulle part [« ne se retrouvent nulle part » corrige « sont perdus »] ; Penthée, où étaient les Hydrophores [corrige « Bassarides »] ; Teucer qui s’ouvrait par le Jugement des Armes; Niobé, qui commençait par les Nourrices et s’achevait par les Gens du cortége; [virgule corrigée à l’encre rouge en point-virgule] [« Niobée… » : addition] une trilogie [addition] en l’honneur d’Achille, l’Iliade tragique, composée des Myrmidons, des Néréides et des Phrygiens; [virgule corrigée à l’encre rouge en point-virgule] une en l’honneur de Bacchus, la Lycurgie, composée des Edons, des Bassarides et des Jeunes hommes.

[f° 133] Ces quatorze [en sc. sur « treize »] trilogies à elles seules donnent un total de cinquante six [en sc. sur « deux »] pièces, si l’on réfléchit que toutes à peu près étaient des tétralogies, c’est à dire des drames quadruples, et se terminaient par une satyride. Ainsi l’Orestie avait pour satyride finale [« le drame » barré] Protée, et les sept chefs devant Thèbes avaient le Sphinx.

Ajoutez à [corrige « Ajoutez » corrigé en sc. par « Complètez »] ces cinquante-six [en sc. sur « deux »] pièces [« par » ajout abandonné en fonction de la correction précédente] une trilogie probable des Labdacides; ajoutez [corrige « par »] des tragédies, les Egyptiens, le Rachat d’Hector, Memnon, rattachées sans doute à des trilogies; ajoutez [corrige le même mot, inadvertance explicable par la correction en série] toutes ces satyrides, Sisyphe transfuge, les Hérauts, le Lion, les Argiens, Amymone, Cyrcé, Cercyon, Glaucus marin, comédies où était le rire de ce génie farouche.

Voilà ce qui vous manque.

Evergète et Omar vous ont pris tout cela. [« Voilà ce qui… » remplace deux lignes et demi barrées : « + + + pour la pensée à l’intelligence humaine. Cela de moins, quel vide ! » déplacé au début du chapitre].

Il est difficile de préciser rigoureusement le nombre total des pièces d’Eschyle. [« Il est difficile… » corrige « Quant au nombre total des pièces [corrige « tragédies »] d’Eschyle, il est difficile de le préciser rigoureusement. »] Le chiffre varie. Le biographe anonyme dit soixante-quinze, Suidas quatrevingt-dix, Jean Deslyons quatrevingt-dix-sept, Meursius cent.

Meursius enregistre plus de cent titres, mais quelques-uns font probablement double emploi. [« Meursius enregistre… » : addition]

Le docteur de Sorbonne Jean Deslyons, théologal de Senlis, auteur du discours ecclésiastique contre le Paganisme du Roi boit, a publié au dix-septième siècle un écrit contre la coutume de superposer les cercueils dans les cimetières, écrit appuyé sur le vingt-cinquième canon du concile d’Auxerre : Non licet mortuum super mortuum mitti. Deslyons, dans une note de cet écrit, devenu très rare et que possédait, si notre mémoire est bonne, Charles Nodier, cite un passage du grand antiquaire numismate [addition] de Vanloo, Hubert Goltzius, où, à propos des embaumements, Goltzius mentionne les Egyptiens d’Eschyle, [« et deux autres titres de drames d’Eschyle perdus, les Curètes» barré] et l’Apothéose d’Orphée, titre [corrige le pluriel] omis dans l’énumération de Meursius. Goltzius ajoute que l’Apothéose d’Orphée était récitée publiquement aux mystères des Lycomides.

[f° 134, demi feuille ; au coin gauche, au vrayon, « 9 »] Ce titre, l’Apothéose d’Orphée, fait rêver. Eschyle parlant d’Orphée, le titan mesurant l’hécatonchire [le i corrige à l'encre rouge un y; de même à la copie] , le dieu interprétant le dieu, quoi de plus splendide, et quelle soif on aurait de lire cette œuvre! Dante parlant de Virgile, [faux départ : « ne comble pas cette lacune, parce que » Ce faux départ est suivi d’une rédaction qui reproduit exactement l’addition du f° 71 : « c’est-à-dire d’un moindre que lui, ne comble pas cette lacune. C’est entre égaux que ces hommages sont magnifiques. » Cette seconde rédaction, reproduite et barrée à la copie, est également abandonnée pour une troisième qui les combine. Cette dernière est transcrite, à la copie, de la main de Hugo.] et l’appelant son maître, ne comble pas cette lacune, parce que Virgile, noble poëte, mais sans invention, est moindre que Dante. C’est entre égaux, et de génie à génie, de souverain à souverain, que ces hommages sont magnifiques. Eschyle élève à Orphée un temple dont il pourrait lui-même occuper l’autel, c’est grand. [grand blanc jusqu’au bas de la page]

[au coin inférieur gauche de la page, au crayon, cette note : « Revenons à Eschyle. Eschyle, c’est Shakespeare l’Ancien. »]

 

 

 

[f° 135, première page d’une double feuille ; au coin supérieur gauche, de l’écriture de Hugo et au crayon « 9bis » ; pas de blanc]

 

VII [peut-être ajouté]

 

 

Eschyle est disproportionné. Il a de l’Inde en lui. La majesté farouche [en sc. sur + après correction abandonnée en « éclatante »(?)] de sa stature rappelle ces vastes poëmes du Gange qui marchent dans l’art du pas des mammous et qui, parmi les iliades et les odyssées, ont l’air d’hippopotames parmi des lions. Eschyle, admirablement grec, est pourtant autre chose que grec. Il a le démesuré oriental.

[alinéa ajouté ; de même à la copie] Saumaise le déclare plein d’hébraïsmes et de syrianismes, hebraismis et syrianismis. [« Saumaise… » : addition de premier niveau] Eschyle fait porter le trône de Jupiter par les Vents comme la Bible fait porter le trône de Jéhovah par les Chérubins, comme le Rig-Véda fait porter le trône d’Indra par les Marouts. Les vents, les chérubins et les marouts sont les mêmes êtres, les Souffles. Saumaise, du reste, a raison. Les jeux de mots, si fréquents dans la langue phénicienne, abondent dans Eschyle. Il joue, par exemple, à propos de Jupiter et d’Europe, sur le mot phénicien ilpha qui a le double sens [a le double sens » corrige « signifie »] navire et taureau. Il aime cette langue de Tyr et de Sidon, et parfois il lui emprunte les étranges lueurs [« étranges lueurs » corrige  « reflets » lui-même correction cursive de « ressources »] de son style. La métaphore « Xercès aux yeux de dragon » semble une inspiration du dialecte ninivite où le mot draka voulait [en sc. sur « veut »] dire à la fois le dragon et le clairvoyant. Il a des hérésies phéniciennes; sa génisse Io est un peu la vache Isis; [« sa génisse… » : addition de troisième niveau ; également à la copie] il croit, comme les prêtres de Sidon, que le temple de Delphes a été bâti par Apollon avec une pâte faite de cire et d’aîles d’abeilles. Dans son exil de Sicile, il va souvent boire religieusement à la fontaine Aréthuse, et jamais les pâtres qui l’observent ne l’entendent nommer Aréthuse autrement que de ce [en sc. sur « son »] nom mystérieux [en sc. sur « phénicien »] alphaga, mot phénicien qui signifie source entourée de saules. [« Eschyle fait porter… » : addition de second niveau, extension de l’addition précédente]

[alinéa ajouté ; de même à la copie] Eschyle [corrige « Il »] est, dans toute la littérature hellénique [corrige « grecque »] , le seul exemple de l’âme athénienne mélangée d’Egypte et d’Asie. Ces profondeurs répugnaient à la lumière grecque. Corinthe, Epidaure, Œdepsus, Gythium, Chéronée où Plutarque devait naître, Thèbes, où était la maison de Pindare, Mantinée où était la gloire d’Epaminondas, toutes ces [en sc. sur +] villes dorées, repoussaient l’Inconnu qu’on entrevoyait comme une nuée [« monstrueuse » barré] derrière le Caucase. Il semblait que le soleil fût grec. [phrase en addition] Le soleil habitué au Parthénon n’était pas fait pour entrer dans les forêts diluviennes de la Grande Tartarie, sous la moississure gigantesque des [« sous la… » corrige « sous les »] monocotylédones [« hideux » corrigé « épineux », le tout barré] , sous les fougères [« de cinq cents pieds » barré en correction cursive] hautes de cinq cents coudées où fourmillaient tous les premiers modèles horribles de la nature, et où vivaient dans l’ombre on ne sait quelles cités [corrige « villes »] difformes telles que cette fabuleuse Anarodgurro dont l’existence fut niée jusqu’au jour où elle envoya une ambassade à Claude. Gagasmira, Sambulaca, Maliarpha, Barygaza, Caveripatnam, Sochoth-Benoth, Theglath-Phalazar, [addition] Tana-Serim, tous ces noms presque hideux [« presque hideux » corrige « étranges » ; de même à la copie] [« firent peur » rayé en correction cursive] effarèrent la Grèce quand ils y arrivèrent rapportés par les aventuriers de retour, d’abord par ceux de Jason, puis par ceux d’Alexandre. Eschyle n’avait pas cette horreur. Il aimait [corrige « vénérait »] le Caucase. Il y avait fait la connaissance de Prométhée. [« Il y avait… » : se substitue à deux lignes barrées : « [« Il aimait la Perse et le » barré en correction cursive] Il semblait alors que la terre fut plutôt en Asie qu’ailleurs. » Le texte se poursuivait au f° 137.] [f° 136; ce folio est intercalé, voir plus bas] [ « Les pirates auxquels il fait allusion quelque part sont, selon toute apparence, les pirates Angrias qui habitaient l’écueil Vizindruk. » barré et déplacé, en addition, au f° 137] On croit sentir, en lisant Eschyle, qu’il a hanté les [« forêts primitives » barré en correction cursive] grands halliers primitifs, houillères aujourd’hui, et qu’il a fait des enjambées massives par dessus les racines reptiles et à demi vivantes [« reptiles… » corrige, à l’encre rouge, « hideuses » ; de même à la copie] des anciens monstres végétaux. Eschyle est une sorte de béhémoth parmi les génies.

Disons-le pourtant, la parenté de la Grèce avec l’orient, parenté haïe des grecs, était réelle. Les lettres de l’alphabet grec ne sont autre chose que les lettres de l’alphabet phénicien, retournées. Eschyle était d’autant plus grec qu’il était un peu phénicien. [« Disons-le… » : addition]

Ce puissant esprit, parfois informe en apparence à force de grandeur, [« Ce puissant… » corrige « Il a la gaité », lui-même corrigé, en correction cursive, par « Ce sauvage »] a la gaîté et l’affabilité titaniques. Il fait des jeux de mots sur Prométhée, sur Polynice, sur Hélène, sur Apollon, [« imitant », barré en correction cursive] sur Ilion, sur le coq et le soleil, imitant [« Il fait des jeux… » corrige et complète : « Il fait des jeux de mots sur Polynice + + + +  »] en cela Homère, lequel [« , lequel » corrige « qui »] a fait sur l’olive ce fameux calembour, [« utile à Diogène » barré en correction cursive] dont s’autorisa Diogène pour jeter son plat d’olives [« son plat… » corrige « les olives »] et manger une tarte.

[Un paragraphe de six lignes, barré et repris en addition au f° 148 :

« Cependant, nous le répétons [corrigé « maintenons »] , Eschyle + + + la Grèce ne s’y trompe pas. Eschyle est [« eupatride, » addition] éginétique, éleusiaque. + + être sacerdotal dans ces temps de loi et de religion mêlées c’était une haute façon d’être national. »]

Le père d’Eschyle, Euphorion, était disciple de Pythagore. L’âme de Pythagore, ce philosophe [« ce philosophe » : addition] demi-mage et demi-brahme, semblait être entrée à travers Euphorion dans Eschyle. [addition abandonnée : « Cicéron affirme qu’Eschyle était pythagoricien. »] Nous [corrige « Eschyle, nous »] l’avons dit, dans la profonde [« querelle » barré en correction cursive] et mystérieuse querelle entre les dieux célestes et les dieux terrestres, guerre intestine du paganisme, Eschyle était terrestre. Il était de la faction des dieux de la terre. Les cyclopes ayant travaillé pour Jupiter, il les rejetait comme nous rejetterions une corporation d’ouvriers qui aurait trahi, et il leur préférait les Cabires. Il adorait Cérès. « O toi Cérès, nourrice de mon âme! » et Cérès, c’est Déméter, c’est Gé-méter, c’est la Terre-Mère. De là sa vénération pour l’Asie. Il semblait alors que la Terre fût plutôt en Asie qu’ailleurs. L’Asie est en effet une sorte de bloc [f° 137, première page d’une feuille double ; au coin gauche, au crayon, « 10 »]  presque sans caps et sans golfes comparativement à l’Europe, et peu pénétrable à la mer. La Minerve d’Eschyle [« La Minerve d’Eschyle » : corrige à l’encre rouge « Minerve » ; de même à la copie] dit : « La grande Asie ». [« presque sans cap… » ces deux lignes d’une écriture et d’un interligne différents du reste ont été ajoutées. A la première rédaction le folio commençait par « en Asie qu’ailleurs. »  et se rattachait au texte qui occupe la fin du folio 135.] — « Le sol sacré de l’Asie », dit le chœur des Océanides. [faux départ : « Deux de ses tragédies sont intitulées les Perses »] Dans son épitaphe, gravée sur sa tombe à Géla et faite par lui-même, Eschyle [corrige « il »] atteste « le mède aux longs cheveux ». [faux départ de l’addition qui suit : « Dans les P »] Il fait célébrer par le chœur « Susicanès et Pégastagon, nés en Egypte, et le chef de Memphis, la ville sacrée. » Comme les Phéniciens, il donne à Minerve le nom d’Oncée. [« Il fait célébrer… » : addition ajoutée à l’addition qui suit] Dans l’Etna, il honore [corrige « célèbre »] les Dioscures siciliens, les Paliques, ces dieux frères dont le culte, rattaché au culte local de Vulcain, était venu d’Asie par Sarepta et Tyr. Il les nomme « les Paliques vénérables ». [« Dans l’Etna… » : addition] Trois de ses trilogies sont intitulées les Perses, l’Ethiopide, [[faux départ « Dans les P »] « Il fait célébrer… » : addition. Elle se substitue à « Deux [corrige « Trois »] de ses trilogies sont intitulées [« l’Ethiopide » : addition] les Perses »] les Egyptiens. Dans la géographie d’Eschyle, l’Egypte était Asie, ainsi que l’Arabie. Prométhée dit : « la [en sc. sur « cette »] fleur de l’Arabie, les héros du Caucase. » Eschyle était, en géographie, un étrange spécialiste. Il avait une ville gorgonienne, Cysthène, qu’il mettait en Asie, ainsi qu’un fleuve Pluton, roulant de l’or, et défendu par des hommes à un seul œil, les arimaspes. Les pirates auxquels il fait allusion quelque part sont, selon toute apparence les pirates Angrias qui habitaient l’écueil Vizindruk. [« Les pirates… » : addition du texte déplacé du f° 136)] Il voyait distinctement au delà du Pas du Nil, dans les montagnes de Byblos, la source du Nil, encore ignorée aujourd’hui. Il savait le lieu précis où Prométhée avait dérobé le feu, et il désignait sans hésiter le mont Mosychle, voisin de Lemnos.

[La fin du folio est occupée par trois paragraphes, dont le premier est barré d’une croix, et une addition, barrée de grands traits verticaux. Le textes des trois paragraphe est réutilisé f° 139 qui, ainsi que le f° 140, est une intercalation. L’addition de la scène de Clytemnestre est reprise dans une courte allusion  au f° 149.]

[Premier paragraphe:

« Cette géographie chimérique est mêlée  à une tragédie extraordinaire où l’on entend des dialogues plus qu’humains : –« Prométhée. Hélas ! – Mercure. Voilà un mot que ne dit pas Jupiter. » – et où Géronte, c’est l’océan. « Sembler fou, dit l’océan à Prométhée, c’est le secret du Sage. » Mot profond comme la mer. Et la Puissance [deux lignes barrées en correction cursive : « + + + Eschyle par cette loi d’affinite qui fait »] s’écrie : « Il n’est qu’un dieu libre, c’est Jupiter. » ]

 

[Addition :

« Cette hauteur âpre, et qui a on ne sait quoi de poignant, est partout. Voyez, dans l’Orestie, cette arrivée de Cassandre, esclave, au palais d’Agamemnon. Cassandre est restée fièrement sur son char. La reine Clytemnestre lui ordonne de descendre. Cassandre semble ne pas entendre et ne répond pas.

LE CHOEUR

Obéis. Descends du char.

CLYTEMNESTRE

Je n’ai pas le temps d’attendre à la porte. Allons, Cassandre, hâte-toi. Peut-être ne comprends-tu pas notre langue. Alors, fais comme les barbares, réponds par signes.

LE CHOEUR

L’étrangère est farouche comme une bête qu’on vient de prendre.

CLYTEMNESTRE

Elle a vu naguère sa ville prise et brûlée. Elle est folle [« Elle est folle. » : addition] Je ne lui parlerai plus [corrige « pas plus longtemps] . Elle ne s’accoutumera au frein qu’après l’avoir longtemps couvert d’une écume sanglante. (Elle sort.)

LE CHOEUR

Allons, malheureuse, descends de ce char. Accepte la destinée, accepte le joug.

CASSANDRE

Ah ! ciel ! terre ! Dieux ! grands dieux ! Apollon ! Apollon !]

 

[Deuxième et troisième paragraphes, non barrés :

« Aristophane aimait Eschyle, par cette loi d’affinité qui fait que [« plus on » : barré en correction cursive] Marivaux aime Racine. Tragédie et comédie faites pour s’entendre.

Le même souffle éperdu et tout-puissant emplit [« Aristophane » barré en correction cursive] Eschyle et Aristophane. Ce sont les deux inspirés du double masque antique. »]

 

[f° 138 : petit carré de papier collé au verso du f° 137 :

 

«  Le mystérieux [corrige « profond »] désespoir du destin est dans Eschyle. Sa tragédie n’est autre chose que le vieux dythirambe orphique se mettant tout à coup à crier et à pleurer sur l’homme.»] [repris au f° 140]

[A la suite, note au crayon : « suite folio 10 intérieur 

                                               Quand cette géographie »]

[Le premier paragraphe de cet ensemble de textes a été porté à la copie (f° 714), puis supprimée par découpe du folio au tiers de sa hauteur. Le reste du folio 714 est devenue le folio 717]

 

[f° 139 ; au coin gauche, au crayon : « 10 intérieur » et, à côté « Lemnos » qui indique le point d’insertion du texte. Les folios 139 ert 140 sont donc intercalés ; ils l’ont été en cours de copie.] 

Quand cette géographie cesse d’être chimérique, elle est [« brusquement » barré à l’encre rouge ; de même à la copie] exacte comme un itinéraire. Elle devient vraie et reste démesurée. Rien de plus réel que cette grandiose transmission de la nouvelle de la prise de Troie en une nuit par des fanaux allumés l’un après l’autre, et se répondant de montagne en montagne, du mont Ida au promontoire d’Hermès, du promontoire d’Hermès au mont Athos, du mont Athos au mont Macispe, du Macispe au Messapius, du mont Messapius, par dessus le fleuve Asopus, au mont Cythéron, du mont Cythéron, par dessus le marais Gorgopis, au mont Egiplanctus, du mont Egiplanctus au cap Saronique [virgule barrée] (plus tard Spiréum), du cap Saronique au mont Arachné, du mont Arachné à Argos. Vous pouvez suivre sur la carte cette traînée de flamme annonçant Agamemnon à Clytemnestre.

Cette géographie vertigineuse est mêlée à une tragédie extraordinaire où l’on entend des dialogues plus qu’humains : — « Prométhée. Hélas! — Mercure. Voilà un mot que ne dit pas Jupiter. » —  et où Géronte, c’est l’océan. « Sembler fou, dit l’océan à Prométhée, c’est le secret du sage. » Mot profond comme la mer. Qui sait l’arrière-pensée de la tempête? Et la Puissance s’écrie : « Il n’est qu’un dieu libre, c’est Jupiter. » [texte déplacé du f° 137]

Eschyle a sa géographie; il a aussi sa faune.

Cette faune, qui apparaît comme fabuleuse, [« cette » barré] est plutôt énigmatique que chimérique. [« Ainsi, » barré] Nous qui parlons, nous avons retrouvé et constaté [« et constaté » : addition] à La Haye, dans une vitrine du musée japonais, l’impossible serpent de l’Orestie ayant deux têtes à ses deux extrémités [« à ses deux extrémités » : variante sans choix de « dont une à la queue », préférée au texte autographe de la copie]  . Il y a, soit dit en passant, [« , soit dit en passant, » : addition, intégrée d'emblée à la copie] dans cette vitrine plusieurs [« autres » barré, suppression intégrée d'emblée à la copie] spécimens d’une bestialité qui serait d’un autre monde, dans tous les cas étranges et inexpliqués, car nous admettons peu, pour notre part, l’hypothèse bizarre des japonais couseurs de monstres. [Cette faune, qui… » : addition; addition également, de la main de VH, à la copie]

[alinéa ajouté] Eschyle [corrige « Il »] voit par moments la nature avec des simplifications empreintes d’un dédain mystérieux. Ici le pythagoricien s’efface, et le mage apparaît. Toutes les bêtes sont la bête. Eschyle semble ne voir dans l’animal [f° 140] qu’un chien. Le griffon est un « chien muet »; l’aigle est un « chien aîlé ». — Le chien aîlé de Jupiter, dit Prométhée.

Nous venons de prononcer [corrige « dire »] ce mot : mage. Ce poëte en effet, par moments, [ajout sur épreuves : « comme Job, »] officie. On dirait qu’il exerce sur la nature, sur les peuples, et jusque sur les dieux, une sorte de magisme. Il reproche aux bêtes leur voracité. Un vautour qui saisit, malgré sa course, une hase pleine, et qui s’en repaît, « mange toute une race arrêtée en sa fuite. » Il interpelle la poussière et la fumée; à l’une il dit : « sœur altérée de la boue », et à l’autre : « sœur noire du feu. » Il insulte la baie redoutée de Salmydessus, « marâtre des vaisseaux. » Il raccourcit aux proportions naines les grecs vainqueurs de Troie par trahison, il les montre mis bas par une [« machine de bois » rayé en correction cursive] machine de guerre, il les appelle « ces petits d’un cheval. » Quant aux dieux, il va jusqu’à incorporer Apollon à Jupiter. Il nomme magnifiquement Apollon « la conscience de Jupiter ».

Son audace d’intimité est absolue, signe de souveraineté. Il fait prendre Iphigénie par le sacrificateur « comme une chèvre ». Pour lui une reine, femme fidèle, est « la bonne chienne de la maison ». Quant à Oreste, il l’a vu tout petit, et il le raconte « mouillant ses langes » humectatio ex urina. [le point manque] Il dépasse même ce latin. L’expression [corrige « le mot », de même à la copie] que nous ne disons pas ici, [virgule subsistant après la correction qui suit] est [corrige « cherchez-le »] dans les Plaideurs (acte [un blanc réservé], scène [un blanc réservé]) [la parenthèse fermante manque]. Si vous tenez à lire le mot que nous hésitons à écrire, adressez-vous à Racine. [« Si vous tenez… » corrige : « Il faut lire la comédie de Racine pour savoir jusqu’où va la tragédie d’Eschyle. » De même à la copie.]

L’ensemble [« d’Eschyle » barré en correction cursive] est immense et lugubre. Le profond désespoir du destin est dans Eschyle. Il montre, dans des vers terribles, « l’impuissance qui enchaîne, comme dans un rêve, les vivants aveugles. » Sa tragédie n’est autre chose que le vieux dythirambe orphique se mettant tout à coup à crier et à pleurer sur l’homme. [repris du f° 138]

[au crayon : « Aristophane » qui indique l’articulation avec la suite du texte.]

 

 

 

[f° 138bis,  3° page de la feuille double dont la première est le f° 137]

 

VIII [ajouté après la modification du début du folio]

 

 

Aristophane aimait Eschyle par cette loi d’affinité qui fait que Marivaux aime Racine. Tragédie et comédie faites pour s’entendre.

Le même souffle éperdu et tout-puissant emplit Eschyle et Aristophane. Ce sont les deux inspirés du masque antique. [« Aristophane aimait… » : addition ; elle reprend le texte de la  fin du f° 137. Le texte initial commençait par « Aristophane, qui n’est pas encore… » sans retrait pour alinéa.]

[alinéa ajouté] Aristophane [faux départ : « tenait pour »] , qui n’est pas encore jugé, tenait pour les mystères, pour la poésie cécropienne [en sc. sur « orphique »] , pour Eleusis, pour Dodone, pour le crépuscule asiatique, pour le profond rêve pensif. Ce rêve, d’où sortait [« sortait » ou « d’où sortait » corrige « émanait » ou « émanait de »] l’art d’Egine, était au seuil de la philosophie ionienne dans Thalès aussi bien qu’au seuil de la philosophie italique dans Pythagore. C’était le sphinx gardant l’entrée.

[alinéa ajouté] Ce sphinx a été une muse, la grande muse pontificale et lascive [« pontificale… » corrige « + et cynique »] du rut universel, et Aristophane l’aimait. Ce sphinx soufflait à Eschyle la tragédie et à Aristophane la comédie [en sc. sur « tragédie »] . Il contenait [corrige « avait en lui »] quelque chose de Cybèle. [L’ensemble d’additions qui suit et va jusqu’à « Pas d’autre cause à l’antipathie… » se substitue à cinq lignes barrées, déplacées plus loin : «  Il était l’antique Génie de la Grèce. Il s’appelait Poésie et Philosophie.  Il avait sous lui le groupe des sept sages. Or, un certain esprit bourgeois vint avec Socrate. C’était la raison [corrige +] venant détrôner la sagesse. »]

[alinéa ajouté] L’antique impudeur sacrée est dans Aristophane. Par moments il a Bacchus aux lèvres en écume.  Il sort des Dionysiaques [« et des saturnales » barré] , ou de l’Aschosie ou de la grande Orgie triétérique, et l’on croit voir un furieux des mystères. Son vers titubant ressemble à la bassaride sautant à cloche-pied sur des vessies pleines d’air. [« Il sort des Dionysiaques… » : addition de deuxième niveau, intercalée. Elle se substitue à « et l’on croit voir un furieux des mystères. » ; de même à la copie.] Aristophane [corrige, du fait de l’addition qui précède, « Il »] a l’obscénité sacerdotale. Il est pour la nudité contre l’amour. Il dénonce [corrige « flétrit »] les Phèdres et les Sthénobées, et il fait Lysistrata.

[alinéa ajouté, de même à la copie] Qu’on ne s’y trompe pas, ceci était de la religion, et un cynique était un austère. Les gymnosophistes étaient le point d’intersection de la lubricité et de la pensée. Le bouc, avec sa barbe de philosophe, était de cette secte. Ce sombre orient, extatique et bestial, vit encore dans le santon, le derviche et le fakir. Les corybantes étaient des sortes de fakirs grecs. [« Le bouc… » : addition de troisième niveau intercalée ; de même à la copie] Aristophane appartenait, comme Diogène, à cette famille. Eschyle, par son côté oriental, y confinait, mais il gardait la chasteté tragique. [« L’antique impudeur… » : addition de premier niveau] [L’addition qui suit, ajoutée à celle-ci, en est une amplification.]

[alinéa ajouté, de même à la copie] Ce mystérieux naturalisme était l’antique Génie de la Grèce. Il s’appelait Poésie et Philosophie. Il avait sous lui le groupe des sept sages dont un, Périandre, était un tyran [« dont un… » : addition de troisième niveau à l'encre rouge ; même addition à la copie] . Or, un certain esprit bourgeois et moyen arriva avec Socrate. C’était la sagacité venant tirer à clair la sagesse. Réduction de Thalès et de Pythagore au vrai immédiat, telle était l’opération. Sorte de filtrage épurant et amoindrissant, [épurant… » : addition de quatrième niveau] d’où la vieille doctrine divine tombait goutte à goutte, humaine. Ces simplifications déplaisent aux fanatismes; les dogmes n’aiment pas être tamisés. Améliorer une religion, c’est y attenter. Le progrès offrant ses services à la foi, l’offense. La foi est une ignorance qui croit en savoir, et qui, dans de certains cas, en sait peut-être plus long que la science. [« La foi… » : addition de quatrième niveau]  En présence des affirmations hautaines des croyants, Socrate avait un demi-sourire gênant. [C’était la sagacité… » : addition de troisième niveau. Elle remplace et complète « C’était la raison venant détrôner la sagesse. »] Il y a du Voltaire dans Socrate. Socrate déclarait toute la philosophie éleusiaque inintelligible et insaisissable, et il disait à Euripide que, pour comprendre Héraclite et les vieux philosophes, « il faudrait être un nageur de Délos », c’est à dire un nageur capable d’aborder l’île qui fuit [en sc. sur +] toujours. Cela était impie et sacrilège pour l’ancien naturalisme hellénique. [« Ce mystérieux… » : addition de second niveau, amplification de l’addition « L’antique impudeur sacrée… mais il gardait la chasteté tragique. » Le long du filet qui place cette grande addition, on lit, à l’encre rouge, la phrase « Pourtant Périandre était un tyran. » Elle se rattache à la mention des Sept sages, au nombre desquels certaines listes placent Périandre, mais rien n’indique son point d’insertion dans le texte.] Pas d’autre cause à l’antipathie d’Aristophane contre Socrate [contre Socrate » : addition] .

[alinéa ajouté ; de même à la copie] Cette antipathie a été hideuse, le poëte [un mot barré] a eu une allure de persécuteur, il a prêté main-forte aux oppresseurs contre les opprimés, [« il a prêté main-forte… » : addition] et sa comédie a commis des crimes. Aristophane, châtiment [en sc. sur + en correction cursive] sombre, est resté devant la postérité à l’état de génie méchant. Mais il a une circonstance atténuante; il a admiré ardemment [« il a admiré ardemment… » corrige  « il a défendu ardemment » qui corrige « il a plaidé ardemment » qui corrige « ses plaidoyers ardents pour »] le poëte de Prométhée, [virgule corrige point-virgule] et l’admirer c’était le défendre. Aristophane [« et l’admirer… » se substitue à « il »] a fait ce qu’il a pu pour empêcher son bannissement, et si quelque chose peut diminuer l’indignation de lire [« de lire » corrige « que soulèvent »] les nuées acharnées sur Socrate, c’est qu’on voit dans l’ombre la main d’Aristophane retenant le manteau d’Eschyle qui s’en va.

Eschyle du reste a, lui aussi, une comédie, sœur de la farce immense d’Aristophane. Nous avons parlé de sa gaîté. Elle va loin dans les Argiens. Elle égale Aristophane et devance notre mardi gras [« notre mardi gras » corrige « Rabelais »] . [f° 142 ; au coin gauche, au crayon : «11 et 12 »]  Ecoutez : « Il me jette au nez un pot de nuit. Le vase plein [addition] me tombe sur la tête et s’y casse, odorant, mais autrement qu’une urne [« odorant, mais… » corrige « autrement odorant qu’un vase »] à parfums. » Qui dit cela? c’est Eschyle. [« Qui dit… » : addition] Et à son tour Shakespeare viendra, et criera par la bouche de Falstaff : «Videz le pot de chambre! » Empty the jordan. Que voulez-vous? vous avez affaire à des sauvages.

Un de ces sauvages, c’est Molière. Voyez, d’un bout à l’autre, le Malade imaginaire.

C’est aussi un peu Racine. Voyez les Plaideurs, déjà nommés.

[f° 143, rectangle de papier collé au précédent] L’abbé Camus était un évêque d’esprit, chose rare en tout temps, et, qui plus est, un bon homme [corrige « bonhomme »] . Il eût mérité ce blâme d’un autre évêque, notre contemporain, d’être « bon [« Il eût mérité… » corrige « Il était de ces êtres qui selon les + récents d’un autre évêque , sont bons »] jusqu’à la bêtise. » Cela tenait peut-être à ce qu’il avait de l’esprit. Il donnait aux pauvres tout le revenu de son évêché de Belley. [« Il donnait… » corrige une ligne barrée qui comportait l’addition allusive à Mgr Dupanloup : « non d’Orléans mais de Belley »  ; cette formule est portée en addition à la copie, puis barrée.] [f° 144, autre rectangle de papier collé au précédent.] Il s’opposait aux canonisations ; [« Il s’opposait… » : addition à l’encre rouge ; elle se substitue à une ligne barrée. Même addition à la copie.] c’était lui qui disait : Il n’est chasse que de vieux chiens et châsse que de vieux saints, et quoiqu’il n’aimât pas les nouveaux venus de la sainteté [« venus de la sainteté » corrige « saints », comme aux épreuves] , il était l’ami de St François de Sales, sur le conseil duquel il fit des romans [« , sur le conseil… » : addition] . Il raconte dans une de ses lettres qu’un jour [« qu’un jour » corrige « que »] François de Sales lui avait [en sc. sur « aurait »(?) ] dit : L’Eglise rit volontiers.

[changementr d'écriture] L’art aussi rit volontiers. L’art, qui est un temple, a son rire. D’où lui vient cette hilarité? [« D’où lui vient… » : extension de l’addition qui suit] Tout à coup au milieu des chefs-d’œuvres, faces sévères, se dresse et éclate un bouffon, chef d’œuvre aussi. Sancho Pança coudoie Agamemnon. Toutes les merveilles de la pensée sont là, l’ironie vient les compliquer et les compléter. Enigme. Voici que l’art, le grand art, [« D’où lui vient… » corrige et complète « Par moment il »] est pris d’un accès de gaîté. [« La matière » barré en cortrection cursive] [« Tout à coup » : addition abandonnée] Son problème, la matière, l’amuse. Il la formait, il la déforme. Il la combinait pour la beauté; il s’égaie à en extraire la laideur. Il semble qu’il oublie sa responsabilité. Il ne l’oublie pas pourtant, car subitement, derrière la grimace, la philosophie apparaît. Une philosophie déridée, moins sidérale, plus [« humaine » barré en correction cursive] terrestre, tout aussi mystérieuse que la philosophie triste. L’inconnu qui est dans l’homme [« qui est dans l’homme » correction cursive de « de la nature »(?)] et l’inconnu [« de la société » barré en correction cursive] qui est dans les choses [« se rencontrent, se +, » barré] se confrontent, et [« ces deux augures, la nature et le destin » barré en correction cursive] il se trouve qu’en se rencontrant, ces deux augures, la Nature et le Destin, ne gardent pas leur sérieux. La poésie, chargée d’anxiétés [corrige « énigmes »] , bafoue, qui? elle-même. Une joie, qui n’est pas la sérénité, jaillit de l’incompréhensible. On ne sait quelle raillerie haute et sinistre se met à faire des éclairs dans l’ombre humaine. Les obscurités, amoncelées [en sc. sur « partout »(?)] autour de nous, jouent avec notre âme. Epanouissement redoutable de l’inconnu. Le mot pour rire sort de l’abîme.

Cet inquiétant rire de l’art s’appelle dans l’antiquité Aristophane [f° 145] et dans les temps modernes Rabelais.

Quand Pratinas le Dorien eut inventé la pièce [corrige « le drame »] à satyres, la comédie faisant son apparition en face de la tragédie, le rire à côté du deuil [« du deuil » corrige « de l’horreur »] , les deux genres prêts à s’accoupler peut-être, cela fit scandale. Agathon, l’ami d’Euripide, alla à Dodone consulter Loxias. Loxias, c’est Apollon. Loxias signifie Tortueux, et l’on nommait Apollon le Tortueux, à cause de ses oracles toujours indirects et pleins de méandres et de replis. Agathon demanda à Apollon si le nouveau genre n’était pas impie, et si la comédie existait de droit aussi bien que la tragédie. Loxias répondit : La poésie a deux oreilles.

Cette réponse, qu’Aristote déclare obscure, nous semble fort claire. [faux départ : « La poésie en effet a deux oreilles, l’une »] Elle résume la loi entière de l’art. [faux départ : « La poésie, en effet, a deux oreilles ; l’une qui écoute la vie, l’autre qui écoute la mort. »] Deux problèmes, en effet, [« , en effet, » : addition] sont en présence : en pleine lumière [« en pleine lumière » corrige « l’un »] , le problème bruyant, tumultueux, orageux, tapageur, le vaste carrefour vital, toutes les directions offertes aux mille pieds de l’homme, les bouches contestant, les querelles, les passions avec leurs pourquoi? le mal, qui commence la souffrance par lui, car être le mal, c’est pire que le faire, les peines, les douleurs, les larmes, les cris, les rumeurs; dans l’ombre [« dans l’ombre » corrige « l’autre »] , le problème muet. L’immense silence, d’un sens inexprimable et terrible. Et la poésie a deux oreilles ; l’une qui écoute la vie, l’autre qui écoute la mort.

[blanc au bas de la page]

 

 

 

[f° 146, première page d’une double feuille ; au coin gauche , au crayon, « 13 »]

 

IX

 

 

La puissance de dégagement lumineux que la Grèce avait, est prodigieuse même aujourd’hui qu’on voit la France. La Grèce ne colonisait pas sans civiliser. Exemple à plus d’une nation moderne. Acheter et vendre n’est pas tout.

Tyr achetait et vendait, Béryte achetait et vendait, [« Béryte… » : addition]  Sidon achetait et vendait, Sarepta achetait et vendait; où sont ces villes? Athènes enseignait. Elle est encore à cette heure  [« la plus » barré en correction cursive] une des capitales de la pensée humaine [corrige « l’esprit humain »] .

[alinéa ajouté] L’herbe pousse sur les six marches de la tribune où a parlé Démosthènes, le Céramique est [« est [« à cette heure » barré] » corrige « n’est plus qu’ »] un ravin à demi comblé d’une poussière de marbre qui a été le palais de Cécrops, l’odéon d’Hérode Atticus n’est plus, au pied de l’acropole qu’une masure sur laquelle tombe à de certaines heures l’ombre incomplète du Parthénon, le temple de Thésée appartient aux hirondelles, les chèvres broutent sur le Pnyx; mais l’idée grecque est vivante, mais la Grèce est reine, mais la Grèce est déesse. [« L’herbe pousse… » : addition] Être un comptoir, cela passe; être une école, cela dure.

Il est curieux de se dire aujourd’hui qu’il y a vingt-deux siècles, des bourgades isolées et éparses aux extrémités du monde connu possédaient [corrige « avaient »] toutes des théâtres. En fait de civilisation, la Grèce entrait en matière par la construction d’une académie, d’un portique ou d’un logéum. [En fait de civilisation… » : se substitue à « Au temple et au théâtre, on reconnaissait la Grèce. »] Qui eût vu, presque à la même époque, s’élever à peu de distance l’une de l’autre, en Ombrie, la ville des Gaulois de Sens, maintenant Sinigaglia, et près du Vésuve, la ville hellénique [« la ville hellénique » : addition où « hellénique » corrige +] Parthénopée, à présent Naples, eût reconnu la Gaule à la grande pierre debout toute [addition] rouge de sang, et la Grèce au théâtre. [en face de cette ligne, en marge : « (14 décembre 1863. J’assiste en ce moment au départ de miss Marie Vaucour qui devait épouser Kesler.) »]

Cette civilisation par la poésie et l’art avait une telle force qu’elle domptait parfois jusqu’à la guerre. Les siciliens, c’est Plutarque qui le raconte à propos de Nicias, mettaient en liberté les prisonniers grecs qui chantaient des vers d’Euripide.

Indiquons quelques faits très peu connus et très singuliers [« très peu connus… » : addition] .

La colonie messénienne, Zancle en Sicile, la colonie corinthienne, Corcyre, distincte de la Corcyre des îles absyrtides, la colonie cycladienne, Cyrène en Libye, les trois colonies phocéennes, Hélée en Lucanie, Palania en Corse, Marseille [f° 147] en France, avaient des théâtres. [« Le t » puis « Le taon », barrés tous deux en correction cursive] Le taon [réécrit en marge] ayant poursuivi Io tout le long du golfe [corrige « de la mer »] adriatique, la mer Ionienne allait jusqu’au port Venetus, et Trégeste, qui est Trieste, avait un théâtre. Théâtre à Salpé, en Apulie, théâtre à Squillacium, en Calabre, théâtre à Thernus, en Livadie, théâtre à Lysimachia fondée par Lysimaque, lieutenant d’Alexandre, [« lieutenant… » : addition à l’encre rouge; de même à la copie] théâtre à Scapta-Hyla, où Thucydide avait des mines d’or, théâtre à Byzia, où avait habité Thésée, théâtre en Chaonie, à Buthrotum, où jouaient ces équilibristes venus du mont Chimère qu’admira [corrige « vus par »] Apulée [deux mots barrés] sur le Pœcile, théâtre en Pannonie, à Bude, où étaient les métanastes, c’est à dire les transplantés. Beaucoup de ces colonies, situées loin, étaient fort exposées. Dans l’île de [corrige « En »] Sardaigne, que les grecs nommaient Ichnusa à cause de sa ressemblance avec la plante du pied, Calaris, qui est Cagliari, était en quelque sorte sous la griffe punique; Cibalis en Mysie avait à craindre les Triballes, Aspalathon, les Illyriens, Tomis, futur tombeau d’Ovide, les Scordisques [corrige « + scythes »] ,  Milet, en Anatolie, les massagètes [corrige « les perses »] , Dénia, en Espagne, les cantabres, Salmydessus, les molosses, Carsine, les tauro-scythes, [un mot ou un nom barré en correction cursive] Gélonus, les Sarmates arymphées, qui vivaient de glands, Apollonia, les Hamaxobiens rôdants sur leurs chariots, Abdère, patrie de Démocrite, les Thraces, hommes tatoués. Toutes ces villes, à côté de leur citadelle, avaient un théâtre. Pourquoi? c’est que le théâtre maintenait allumée cette flamme, la patrie [« allumée… » corrige « allumé le feu sacré de la Grèce »] . Ayant les barbares aux portes, il importait de rester grecs. L’esprit de nation est la meilleure muraille.

Le drame grec était profondément lyrique. C’était souvent moins une tragédie qu’un dithyrambe. Il avait pour l’occasion des strophes altières comme des épées. Il se ruait sur la scène [« comme +  » barré en correction cursive]  le casque au front, et c’était une ode armée en guerre. On sait [corrige « Voyez »] ce que peut une marseillaise. [« Le drame grec… » : addition ; elle se substitue au texte initial, repris plus loin : « Et quel poëte jouait-on de préférence sur ces théâtres ? Eschyle. » ]

[f° 148, pemière page d’une double feuille ; au coin gauche, au crayon, « 14 »] Beaucoup [corrige « La plupart »] de ces théâtres étaient en granit [corrige « pierre »] , quelques-uns en brique. Le théâtre d’Apollonia était en marbre. Le théâtre de Salmydessus, qui se transportait tantôt sur la place Dorique, tantôt sur la place Epiphane, était un vaste échafaudage roulant sur cylindres, à la façon de ces tours de bois qu’on poussait contre [« les villes ass » barré en correction cursive] les tours de pierre des villes assiégées.

Et quel poëte jouait-on de préférence sur ces théâtres? Eschyle.

Eschyle était pour la Grèce le poëte autochtone. Il était plus que grec, il était pélasgique. Il était né à Eleusis, et non seulement éleusien, mais éleusiaque, c’est à dire croyant. C’est la même nuance qu’anglais et anglican. [« C’est la même nuance… » : addition à l’encre rouge ; de même à la copie] L’élément asiatique, déformation grandiose de ce génie [« déformation… » corrige « mêlé à son génie »] , augmentait le respect. Car on contait que le grand Dyonisius, ce Bacchus commun à l’occident et l’orient, venait en songe lui dicter ses tragédies. Vous retrouvez ici « l’alleur » de Shakespeare. [« Vous retrouvez… » : addition à l’encre rouge; de même à la copie]

[alinéa ajouté, comme aux épreuves] Eschyle, eupatride et éginétique, semblait aux grecs plus grec qu’eux-mêmes; [« et » barré] dans ces temps [ « de religion et de dogme mêlés » barré en correction cursive] de code et de dogme mêlés, être sacerdotal, c’était une haute façon d’être national. [formulations déplacées du f° 136] Cinquante-deux de ses tragédies [corrige « pièces »] avaient été couronnées. En sortant des pièces d’Eschyle, les hommes frappaient sur les boucliers pendus aux portes des temples en criant : Patrie! Patrie! [« En sortant… » : addition] Ajoutons ceci : être hiératique, cela ne l’empêchait pas d’être démotique. Eschyle aimait le peuple et le peuple l’adorait. Il y a deux côtés à la grandeur, la majesté est l’un, la familiarité est l’autre. Eschyle était familier avec cette orageuse et généreuse tourbe [« orageuse… » corrige « admirable »] tourbe [corrige par sc. « mob », comme aux épreuves] d’Athènes. Il donnait souvent à cette foule le beau rôle. Voyez dans l’Orestie comme [f° 149] le chœur, qui est le peuple, accueille tendrement [corrige « doucement »] Cassandre. La reine rudoie et  effarouche l’esclave que le chœur tâche de rassurer et d’apaiser. [Cette phrase résulte d’une série de transformations. Hugo a d’abord écrit : «La reine  la rudoie, le peuple » puis barré en correction cursive « le peuple » et poursuivi : « et l’effarouche, le chœur l’apaise .» Ratures et addition aboutissent ensuite à « La reine rudoie et effarouche l’esclave que le chœur apaise. » La troisième rédaction est : « La reine rudoie et effarouche l’esclave que le chœur tâche d’apaiser. » Enfin « de rassurer et » est ajouté. Cette scène avait été citée, en addition, au f° 137] Eschyle avait introduit le peuple dans ses œuvres les plus hautes; il l’avait mis dans Penthée par la tragédie des Cardeuses de laine, dans Niobé par la tragédie des Nourrices, dans Athamas par la tragédie des tireurs de filets, dans Iphigénie par la tragédie des faiseuses de lit. C’était du côté du peuple qu’il faisait pencher la balance dans ce drame  mystérieux [corrige « cette oeuvre mystérieuse »] , le Pesage des Ames(1). (1)La Psychostasie. [appel de note et note en ajout] Aussi l’avait-on choisi pour la conservation du feu sacré. Dans toutes les colonies grecques on jouait l’Orestie et les Perses. Eschyle [faux départ : « suppléait à l’absence de la patrie »] présent, la patrie n’était plus absente. Les magistrats ordonnaient ces représentations presque [« sacrées » barré en correction cursive ; « presque » : addition] religieuses. Le gigantesque théâtre eschylien était comme chargé de surveiller le bas âge des colonies. [corrige virgule] Il les enfermait dans l’esprit grec, il les garantissait du mauvais voisinage et des tentations d’égarement possible, [« Il les enfermait… » : addition] il les préservait du contact barbare, il les maintenait dans le cercle hellénique. Il était là comme avertisseur. On confiait, pour ainsi dire, à Eschyle toutes ces petites Grèces.

Dans l’Inde on donne volontiers les enfants à garder aux éléphants. Ces bontés énormes veillent sur les petits. Tout le groupe des têtes blondes chante, rit et joue au soleil sous les arbres. [« chante… » : première rédaction : « est là qui joue au soleil. »] L’habitation est à quelque distance. La mère n’est pas là. Elle est chez elle, occupée aux soins domestiques [corrige « à quelque soin domestique »] , inattentive à ses enfants. Pourtant, tout joyeux qu’ils sont, ils sont en péril. [f° 150 ; au coin gauche, au crayon, « 15 »] Ces beaux arbres sont des traîtres [« des traîtres » corrige « perfides »] . Ils cachent sous leur épaisseur des épines, des griffes et des dents. Le cactus s’y hérisse, le lynx y rôde, la vipère y rampe. Il ne faut pas que les enfants s’écartent. Au delà d’une certaine limite, ils seraient perdus. Eux cependant vont et viennent, s’appellent, se tirent, s’entraînent, quelques-uns bégayant à peine et tout chancelants encore. Parfois [corrige « Quelquefois »] un d’eux va trop loin. Alors une trompe formidable s’allonge, saisit le petit, et le ramène doucement vers la maison. [grand blanc jusqu’au bas de la page]

 

 

 

[f° 151, première page d’une double feuille ; au coin gauche, au crayon, « 16 »]

 

X [addition]

 

 

Il existait quelques copies plus ou moins complètes d’Eschyle. Outre les [« copies » barré en correction cursive] exemplaires des colonies, qui se bornaient à un petit nombre de [« un petit nombre de » corrige cursivement « quelques »] pièces, [« certaines » barré en correction cursive ] il est certain que des copies partielles de l’exemplaire d’Athènes [corrige « officiel »] furent faites par les critiques et scoliastes alexandrins lesquels [corrige « qui »] nous ont conservé divers fragments, entr’autres le fragment comique des Argiens et le fragment bachique des Edons, et les vers cités par Stobée, [« et les vers cités… » : addition] et jusqu’aux vers probablement apocryphes que donne Justin le martyr. Ces copies, enfouies, mais non détruites peut-être, ont entretenu [« Il existait… » : ultime réfection de la première rédaction. Elle est d’abord : « Il existait quelques copies partielles d’Eschyle. De là », puis « Il existait quelques copies partielles d’Eschyle. Ces copies, qu’on peut ressaisir peut-être, ont entretenu » puis " Il existait quelques copies partielles d'Escyle. Ces copies, enfouies mais non détruites peut-être, ont entrentenu"] l’espérance persistante des chercheurs, notamment de Le Clerc qui publia [« en 1709 » barré en correction cursive] en Hollande en 1709 les fragments retrouvés de Ménandre. Pierre Pelhestre, de Rouen, l’homme qui avait tout lu, ce dont le grondait l’honnête archevêque Péréfixe, affirmait qu’on retrouverait la plupart des poëmes d’Eschyle dans les librairies (bibliothèques) des monastères du Mont-Athos, de même qu’on avait retrouvé les cinq livres des Annales de Tacite dans le couvent de Corwey, en Allemagne, [corrige point. « Pierre Pelhesstre… » reprend le texte, en addition, du f° 71] et les Institutions de Quintilien dans une vieille tour de l’abbaye de St Gall. [« et les Institutions… » : addition]

Une tradition, contestée, veut qu’Evergète II ait rendu à Athènes, non l’exemplaire original d’Eschyle, mais une copie, en laissant, comme dédommagement, les quinze talents. [« Une tradition… » : addition]

Indépendamment du fait Evergète et Omar que nous avons rappelé, et qui très réel au fond, est peut-être légendaire dans plus d’un détail, [« et qui très réel… » : addition] la perte de tant de belles œuvres de l’antiquité ne s’explique que trop par le petit nombre des exemplaires. L’Egypte en particulier transcrivait tout sur le papyrus. Le papyrus [« manq » barré en correction curisve] étant très cher, devint très rare. On fut réduit à écrire sur poterie. Casser un vase, c’était casser un livre. [« casser un vase… » : addition à l'encre rouge; de même à la copie] Vers le temps où Jésus-Christ était peint sur les murailles à Rome avec des sabots d’âne et cette inscription : le Dieu des chrétiens ongle d’âne, au troisième siècle, [« Vers le temps… » : addition ; elle a d’abord commencé par « Au troisième siècle » déplacé à sa fin] [faux départ : « Le temps »] pour qu’on fît de Tacite dix copies par an, ou, comme nous parlerions aujourd’hui, pour qu’on le tirât à dix exemplaires, il a fallu qu’un César s’appelât Tacite et crût Tacite [corrige « et le crût »] son oncle. Et encore Tacite est presque perdu. Des vingt-huit ans [oublié et ajouté] de son Histoire des Césars [corrige « Empereurs »] , allant de l’an soixante-neuf à l’an quatrevingt-seize, nous n’avons qu’une année entière, soixante-neuf, et un fragment d’année, soixante-dix. Evergète défendit d’exporter le papyrus, ce qui fit inventer le parchemin. [« Evergète défendit… » : addition] Le haut prix du papyrus était tel que Firmius le Cyclope, fabricant de papyrus en 270, gagna à cette industrie assez d’argent pour lever des armées, faire la guerre à Aurélien, et se déclarer empereur.

[f° 152] Gutemberg est un rédempteur. Ces submersions des œuvres de la pensée, inévitables avant l’invention de l’imprimerie, sont impossibles à présent [corrige « désormais »] [ébauche au carnet 25739, f° 12v°] . [faux départ : « Grâce à Gutemberg »] L’imprimerie, c’est la découverte de l’intarissable. [début de l’addition de premier niveau] C’est le mouvement perpétuel trouvé en science sociale. De temps en temps un despote cherche à l’arrêter ou à le ralentir, et s’use au frottement. La pensée impossible à entraver, le progrès inarrêtable, qu’on nous passe le mot, le livre imperdable, tel est le résultat de l’imprimerie. Avant l’imprimerie, la civilisation était sujette à des pertes de substance. Les indications essentielles au progrès, venues de tel philosophe ou de tel poëte, faisaient tout à coup défaut. Une page se déchirait brusquement dans le livre humain. Pour déshériter l’humanité de tous les grands testaments des génies, il suffisait [« qu’un copiste f » barré en correction cursive] d’une sottise [corrige « bêtise »] de copiste ou d’un caprice de tyran. Nul danger de ce genre à présent.[« Avant l’imprimerie… » : addition de second niveau intercalée dans celle en cours] Désormais l’insaisissable règne. Rien ni personne ne saurait appréhender [« au corps » déplacé] la pensée au corps. Elle n’a plus de corps. Le manuscrit était le corps du chef-d’œuvre. Le manuscrit était périssable, et emportait avec lui l’âme, l’œuvre. L’œuvre, faite feuille d’imprimerie [« d’imprimerie » : addition] , est délivrée. Elle n’est plus qu’âme. Tuez maintenant [réécrit après correction abandonnée] cette immortelle! [« C’est le mouvement perpétuel… » : additions] Grâce à Gutemberg, l’exemplaire [première rédaction : « L’exemplaire, grâce à Gutemberg »] n’est plus épuisable. [point-virgule non corrigé mais « Tout » a une majuscule] Tout [corrige « l’ »] exemplaire est germe, et [« Tout… » corrige « l’exemplaire est germe, et il »] a en lui sa propre renaissance possible à des milliers d’éditions; l’unité est grosse de l’innombrable. Ce prodige a sauvé l’intelligence universelle. Gutemberg au quinzième [en sc. sur « seizième »] siècle sort de l’obscurité terrible, ramenant des ténèbres ce [en sc. sur « un »] captif racheté, l’esprit humain. Gutemberg est à jamais [« à jamais… » : corrige « maintenant »] l’auxiliaire de la vie; il est [« l’auxiliaire… » : addition] le collaborateur permanent de la civilisation en travail. Rien ne se fait sans lui. Il a marqué la transition de l’homme esclave à l’homme libre. Essayez de l’ôter de la civilisation, vous devenez Egypte. La seule décroissance de la liberté de la presse diminue la stature d’un peuple.

Un des grands côtés de cette délivrance de l’homme par l’imprimerie, c’est, insistons-y, [« , insistons-y, » : addition] la conservation indéfinie des poëtes et des philosophes. Gutemberg est comme le second père des créations de l’esprit. Avant lui, oui, [« oui, » : addition] ceci était possible, un chef-d’œuvre mourait.

Chose lamentable à dire, la Grèce et Rome ont laissé des ruines de livres. Toute une façade de l’esprit humain à demi écroulée, voilà l’antiquité. Ici, la masure d’une épopée, là, une tragédie démantelée, de grands vers frustes enfouis et défigurés, des frontons d’idées aux trois quarts tombés, des génies [f° 153, première page d’une double feuille ; au coin gauche, au crayon : « 17 »] tronqués comme des colonnes, des palais de pensée sans plafond et sans porte, [corrige point] des ossements de poëmes [« de poëmes » en sc. sur « d’idée »] , une tête de mort qui a été une strophe, l’immortalité en décombres. [« des ossements… » : addition] On rêve sinistrement. L’oubli, cette araignée, suspend sa toile entre le drame [correction abandonnée : « la Niobé »] d’Eschyle et l’histoire de Tacite.

Où est Eschyle? en morceaux partout. Eschyle est épars dans vingt textes [correction abandonnée : « écrivains »] . Sa ruine, c’est dans une multitude [corrige « foule »] d’endroits différents qu’il faut la chercher. [faux départ : « Macrobe donne le fragment des Argiens, A » (suite probable :  Au Temps)] Athénée donne la dédicace Au Temps, Macrobe le fragment de l’Etna et l’hommage aux dieux Paliques, Pausanias l’épitaphe, le biographe anonyme, Goltzius et Meursius, les titres des pièces perdues.

On sait par Cicéron, dans les Tusculanes, qu’Eschyle était [corrige « fut »] pythagoricien, par Hérodote qu’il fut brave à Marathon, par Diodore de Sicile que son frère Amynias fut vaillant à Platée, par Justin que son frère Cynégyre fut héroïque à Salamine. On sait par les didascalies que les Perses furent représentés sous l’archonte Ménon, [« et » barré] les sept chefs devant Thèbes sous l’archonte Théagénidès, et l’Orestie sous l’archonte Philoclès [« et l’Orestie… » : extension de l’addition] , [« On sait par les didascalies… » : addition] on sait par Aristote qu’Eschyle [correction cursive de « qu’il »] osa, le premier, [« , le premier, » : addition] faire parler deux personnages à la fois, par Platon que les esclaves assistaient à ses pièces, par Horace qu’il inventa le masque et le cothurne, par Pollux que les femmes grosses avortaient à l’entrée des Furies, par Philostrate qu’il abrégea les monodies, par Suidas que son théâtre s’écroula [virgule subsistant après l’addition qui suit] sous la foule, [« sous la foule, » : addition] par Elien qu’il blasphéma, par Plutarque qu’il fut exilé, par Valère-Maxime qu’un aigle le tua d’une tortue sur la tête, par Quintilien qu’on retoucha ses pièces, par Fabricius que ses fils sont accusés de cette lèse-paternité, par les marbres d’Arundel, la date de sa naissance, la date de sa mort et son âge, soixante-neuf ans.

[f° 154] Maintenant ôtez du drame l’Orient et mettez-y le Nord, ôtez [faux départ : « l’Inde »] la Grèce et mettez l’Angleterre, otez l’Inde et mettez l’Allemagne, cette autre mère immense, All-men, Tous-les-Hommes ; [corrige virgule pour tenir compte de l’addition] otez Périclès et mettez Elisabeth, otez le Parthénon et mettez la Tour de Londres, otez la plebs et mettez la mob, [« otez Périclès… » : addition où « otez la plebs et mettez la mob, » est une extension, à l’encre rouge, de l’addition primitive ; « ôtez la plebs… » : ajout à la copie] otez la Fatalité, et mettez la mélancolie, otez la gorgone et mettez la sorcière, otez l’aigle et mettez la nuée, otez le soleil, et mettez sur la bruyère [« livide » barré en correction cursive] frissonnante au vent le livide lever de la lune, et vous avez Shakespeare.

[faux départ : « Shakespeare étant »] Etant donnée la dynastie des génies, l’originalité de chacun étant absolument réservée, le poëte [corrige « l’homme »] de la formation [« la formation » : à l’encre rouge, variante sans choix à « l’Europe » ; choix à la copie] carlovingienne devant succéder au poëte [corrige « l’homme »] de la formation [« la formation » : variante sans choix à « la Grèce » ; choix à la copie] jupitérienne et la brume gothique au mystère antique, [« le poëte de la formation… » remplace « l’homme [addition : « sorti »] du moyen âge [corrigé « des temps carlovingiens »] devant succéder à l’hommre de l’antiquité, [corrigé « des grands + de la Grèce » , » ] Shakespeare, c’est Eschyle II.

[«  Remarquons [variante sans choix en marge : « Renouvelons la remarque déjà faite »] qu’après l’homme de l’antiquité et l’homme du moyen âge, il y a place pour l’homme  de la Révolution, l’avenir est une porte toujours ouverte » : encadré et barré de traits obliques, et refait, d’une plume différente, dans le paragraphe suivant.]

Reste le droit de la révolution française, créatrice du troisième monde, à être représentée dans l’art. L’Art est une immense ouverture, béante à tout le possible [« ouverture...» corrige « porte ouverte » ] . [Ce paragraphe chevauche une note de régie de quelques mots, écrite transversalement,  dont on ne déchiffre que « cette ».]