Yvon Le Scanff : Hugo et les « Proses philosophiques » (1860-1865) : encore une autre philosophie de la nature ?
Communication au Groupe Hugo du 18 janvier 2014
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Pour essayer d’approcher l’idée d’une éventuelle « philosophie de la nature » chez Hugo, nous nous sommes appuyés sur un corpus dont la cohérence ne nous a pas semblé seulement chronologique, mais également idéologique si ce n’est systématique. Il s’agit de textes épars voire fragmentaires des années 1860-1865 que l’édition des Œuvres complètes des éditions Robert Laffont (sous la direction de J. Seebacher assisté de G. Rosa) a regroupés sous le titre générique de « Proses philosophiques »[1]. Ils seront complétés pour des raisons évidentes par les développements « pensifs » de certains romans contemporains (Les Misérables mais surtout concernant la nature, Les Travailleurs de la mer) et du massif que constitue en matière de pensée hugolienne sur la création en général le William Shakespeare[2]. L’idée est d’aborder dans une première approche la réflexion hugolienne sur la nature en tant que philosophie de la nature et de la comprendre à l’aune d’une pensée cohérente. On va donc tenter, pour commencer, par isoler un certain nombre d’hypothèses, si ce n’est de principes, avec la certitude que tout cela en vaut la peine : « Le prodigieux être multiple se dérobe presque tout de suite au court regard terrestre ; mais pourquoi ne pas le poursuivre un peu » ? (Préf, 703)
1) Une philosophie romantique de la nature ?
La première caractéristique de cette philosophie de la nature est sans conteste son ancrage dans un contexte proprement romantique : échange entre esthétique et métaphysique, homologie entre art et nature, sollicitation parallèle des notions de génie et de sublime. Au cœur d’une telle conception réside le prodige hugolien qui subsume l’ensemble de ses dimensions esthétique et métaphysique.
Le poète-prophète ou l’artiste héros de la connaissance : l’esthétique et la métaphysique
Les proses philosophiques de l’exil s’inscrivent résolument dans une dimension proprement romantique car la métaphysique y est esthétique : plus exactement l’esthétique ouvre sur une connaissance métaphysique[3] puisque le poète fait « fonction de philosophe » (WS, 411)[4]. Le poète est consacré et « le prodige s’opère » : « le poëte devient prophète » (Goût, 567). Il devient le héros d’une expérience métaphysique : « les profondes vagues du prodige lui ont apparu. Nul ne voit impunément cet océan-là. Désormais il sera le penseur dilaté, agrandi mais flottant ; c’est-à-dire le songeur. Il touchera par un point au poëte, et par l’autre au prophète » (WS, 331). Le songe n’abolit pas le réel mais le prolonge à l’inverse à l’infini et dans l’infini : « Qui entrevoit ces prolongements dans l’invisible de la création est le mage ; qui entrevoit ces prolongements dans l’invisible de la destinée est le prophète » (MV, 688). L’expérience du songe n’abolit pas non plus la clarté, ne renonce en aucune manière à faire la lumière sur le mystère. Il la poursuit à l’inverse jusque dans les ténèbres du possible et devient alors l’« effrayant promontoire de la pensée d’où l’on aperçoit les ténèbres ». Ce « choix du noir » (WS, 331) n’est pas sans incidence tout de même sur la nature d’une pensée qui ne peut plus se définir dorénavant comme simple élucidation logique : « La rêverie est un regard qui a cette propriété de tant regarder l’ombre qu’il en fait sortir la clarté » (WS, 334). La réflexion laisse place à la spéculation. La pensée outrepasse ses limites, c’est pourquoi le songeur « rencontre la certitude parfois comme un obstacle et la clarté parfois comme une crainte. Il passe outre » (WS, 330) et affronte l’inconnu : « Vertiges. Escarpements. Précipices » (WS, 331). Ces différents niveaux de pensée induisent différents modes d’appréhension du phénomène qui tentent de circonscrire le phénomène dans toutes ses dimensions : « Le poëte complet se compose de ces trois visions : Humanité, nature, Surnaturalisme. Pour l’Humanité et la Nature, la Vision est observation ; pour le Surnaturalisme, la Vision est intuition » (PrS, 651). L’opposition est ainsi d’abord et avant tout binaire et fait le départ entre la perception de ce qui apparaît et l’aperception de ce qui permet l’apparaître ; entre l’observation et ce qu’il appelle dorénavant « intuition » (Ph, 510-511) ou parfois encore « imagination » : « le poëte philosophe car il imagine » (WS, 344). D’une façon plus récurrente, un schéma ternaire s’impose[5] :
Le poëte a un triple regard, l’observation, l’imagination, l’intuition. L’observation s’applique plus spécialement à l’humanité, l’imagination à la nature, l’intuition au surnaturalisme. Par l’observation, le poëte est philosophe, et peut être législateur ; par l’imagination, il est mage, et créateur ; par l’intuition, il est prêtre, et peut être révélateur. Révélateur de faits, il est prophète ; révélateur d’idées, il est apôtre (Préf, 698)[6]
Mais l’intuition semble couronner les deux autres facultés et les subsumer, elle peut « sonder » ce qui « échappe à nos organes » là où l’observation ne peut que « scruter » (Préf, 699) cette part d’infini de la nature que Hugo nomme « surnaturalisme » : « Pour bien voir l’homme, il faut regarder la nature ; pour bien voir la nature et l’homme, il faut contempler l’infini (Préf, 707). Dans les Proses philosophiques, l’intuition est bien la reine des facultés : « Cette bonne foi sublime, l’intuition la donne. Intuition, invention. L’intuition ne domine pas moins le géomètre inventeur que le poëte. L’intuition c’est la puissance » (Préf, 706), c’est « le grand organe de la conscience » (Préf, 704). Le génie a également cette faculté du regard complet qui relie toutes les dimensions de la création :
Premier degré, deuxième degré, troisième degré. Observation, imagination, intuition. Humanité, nature, surnaturalisme ; ce sont là les trois horizons. L’un complète et corrige l’autre ; leur coordination est l’ensemble cosmique. Qui les voit tous les trois est au sommet. Il est l’esprit cubique. Il est le génie » (Préf, 705).
Si le génie incarne au sommet cette capacité panoramique c’est qu’il est par excellence l’expression de la nature dans l’art, et l’agent d’une intuition souveraine que Schelling définit par « la faculté de voir le général dans le particulier, l’infini dans le fini, tous deux réunit dans une unité vivante »[7]. L’observation (scientifique) est en effet impuissante à constituer une philosophie de la nature, c’est-à-dire à « rendre compte de la possibilité de son objet »[8]. La nature est certes extériorité (transcendantale) mais également identité en tant que système de notre esprit (idéalisme), c’est pourquoi elle nous apparaît d’emblée comme organisme et organisation. La penser ainsi, par l’intuition ou l’imagination créatrice, comme organisme, c’est la postuler comme une totalité organisée et finalisée, comme un produit achevée et une production infinie, c’est se donner la possibilité de la penser : « la philosophie de la Nature naît de ce que la nature apparaît à l’intuition comme une totalité autonome »[9], ainsi « c’est l’intuition (…) qui fonde la philosophie de la Nature comme savoir »[10]. L’intuition spéculative de la Nature relève ainsi peu ou prou de ce que Pascal entendait par « esprit de finesse » dans son opposition à l’ « esprit de géométrie » : « il y a donc deux sortes d’esprits : l’une, de pénétrer vivement et profondément les conséquences des principes, et c’est là l’esprit de justesse ; l’autre, de comprendre un grand nombre de principes sans les confondre, et c’est là l’esprit de géométrie »[11]. Pascal explique ensuite plus avant ce qu’il entend par « esprit de finesse » en des termes qui ne laissent de justifier, voire de légitimer une telle approche de l’unité et de la totalité organique comme principes de la Nature :
On les voit à peine, on les sent plutôt qu’on ne les voit ; on a des peines infinies à les faire sentir à ceux qui ne les sentent pas d’eux-mêmes. Ce sont choses tellement délicates, et si nombreuses, qu’il faut un sens bien délicat et bien net pour les sentir, et juger droit et juste selon ce sentiment, sans pouvoir le plus souvent le démontrer par ordre comme en géométrie, parce qu’on n’en possède pas ainsi les principes, et que ce serait une chose infinie de l’entreprendre. Il faut tout d’un coup voir la chose d’un seul regard, et non pas par progrès de raisonnement, au moins jusqu’à un certain degré[12].
« Juger d’une seule vue »[13], c’est bien là en effet l’intuition première de la Naturphilosophie.
Identité de la philosophie de l’esprit et de la philosophie de la nature : l’art et la nature
De la même façon que le poète (ou l’artiste en général) devient l’interprète de la création naturelle, la création artistique se présente comme une (seconde) nature : « la poésie est élément », « la poésie est immanente » (WS, 302-303). La poésie et l’art sont absolus dans le sens où ils livrent l’absolu en une seule tenue, comme la nature qui se livre toujours comme TOTALITE signifiante sans formes a priori (espace, temps, causalité). L’art dit le tout de l’art à chaque fois, à chaque œuvre, de même qu’un élément naturel livre toute la nature à la fois. C’est donc le prodige de l’art (et c’est ce qui explique notamment qu’il n’y ait pas de progrès en art : WS, 302) que de se présenter inconditionné : « L’art a, comme l’infini, un Parce-que supérieur à tous les Pourquoi. Allez donc demander le pourquoi d’une tempête à l’Océan, ce grand lyrique » (WS, 342). Inversement, et comme le rappelle Mme de Staël reprenant notamment Schelling[14] ou Schlegel[15], « l’univers ressemble plus à un poème qu’à une machine ; et s’il fallait choisir pour le concevoir, de l’imagination ou de l’esprit mathématique, l’imagination approcherait davantage de la vérité »[16]. Dans les proses philosophiques de l’exil, Hugo défend cette conception romantique d’une identité métaphysique entre art et nature, en tant que poème de l’absolu :
Nous disons l’Art comme nous disons la Nature ; ce sont là deux termes d’une signification presque illimitée. Prononcer l’un ou l’autre de ces mots, Nature, Art, c’est faire une évocation, c’est extraire des profondeurs l’idéal, c’est tirer l’un des deux grands rideaux de la création divine. Dieu se manifeste à nous au premier degré à travers la vie de l’univers, et au deuxième degré à travers la pensée de l’homme. La deuxième manifestation n’est pas moins sacrée que la première. La première s’appelle la Nature, la deuxième s’appelle l’Art. De là cette réalité : le poëte est prêtre. Il y a ici-bas un pontife, c’est le génie. Sacerdos magnus. L’Art est la branche seconde de la Nature. L’Art est aussi naturel que la Nature (WS, 261-262).
L’art comme la nature inscrivent l’infini dans le fini et représentent par l’apparence ce qui n’apparaît pas en tant qu’essence : « Il ne saurait y avoir deux lois ; l’unité de loi résulte de l’unité d’essence ; nature et art sont deux versants d’un même fait » (WS, 293). Face à ce double infini de l’art et de la nature, le génie lui-même expression de « l’infini » (Goût, 577) se présente comme l’intercesseur (voir Gé, 560-563), comme expression de cette immanence qui produit l’apparence : « le poète, nous l’avons dit, c’est la nature » (WS, 349). Il est la nature, donc il est simple. Mais il a la simplicité sublime de la nature[17] : « Sous obscurité, subtilité et ténèbres, vous trouvez profondeur ; sous exagération, imagination ; sous monstruosité, grandeur » (WS, 289), « Certaines œuvres sont ce qu’on pourrait appeler les excès du beau. Elles font plus qu’éclairer ; elles foudroient » (Goût, 572). Hugo entend donc le génie comme un prodige : il « déborde comme la végétation, comme la germination » (WS, 351), « ce qui lui manque c’est le manque » (WS, 351), « Subtil, minutieux, fin, microscopique comme elle ; immense » (WS, 349-350), « Pas discret, pas réservé, pas avare. Simplement magnifique » (WS, 350). On retrouve ainsi « le même défaut » chez tous les génies : « l’exagération ». En eux, déborde ce qui devrait resté caché sous l’apparence : « Ces génies sont outrés. Ceci tient à la quantité d’infini qu’ils ont en eux. En effet, ils ne sont pas circonscrits. Ils contiennent de l’ignoré. » (WS, 288). « Cela, c’est l’inconnu. Cela, c’est l’infini » (WS, 288).
Le sublime et la métaphysique : l’espace du prodige
Au cœur de cette liaison entre esthétique et métaphysique, art et nature, et en parallèle avec la sollicitation du génie comme instrument de révélation, le sentiment du sublime prend très naturellement une place privilégiée[18] parce qu’il semble à la recherche d’une vérité au-delà des apparences : la « théorie du sublime distingue plus strictement qu’auparavant l’essence de l’apparence »[19]. Ce dépassement, cet enlèvement de l’apparence vers l’essence, c’est le geste du sublime : « l’enjeu du sublime, depuis Longin, aura toujours été la présentation du méta-physique comme tel »[20]. Il permet de voir et de faire voir la « nature trop loin » (Préf., 699) de relier nature et surnaturalisme ou comme le disait Hugo dans une note du 17 décembre 1854 relative à ses expériences de spiritisme : « le monde sublime veut rester sublime (…), il veut être notre vision et non notre science »[21]. En effet, « il y a deux connaissances de la nature », affirme Christian Jambet à l'occasion d'une étude portant sur la philosophie de Schopenhauer : d'une part, la « connaissance des phénomènes régis par les lois » dans laquelle la « connaissance de la nature est soumise au principe de raison » et d'autre part, la « contemplation de la nature, qui nous dispose à pénétrer son essence »[22]. La connaissance sublime de la nature est donc celle qui n'est pas soumise au principe de raison[23]. Hugo ne cesse de définir son expérience de la nature en termes de sublimité[24] : « dans la nature où éclatent à tout moment les coups de théâtre du sublime » (WS, 377), « Rien de plus sublime » (MV, 687), « rien de plus monotone et de plus sublime » (à propos du vent : MV, 691) etc. La nature est l'expression d’une démesure, d’un excès : « Dieu exagère. En bas comme en haut, il va trop loin » (MV, 690), « Il se dépense dans l'effroi comme dans la splendeur » (MV, 690), « C'est trop de magnificence ou c'est trop de difformité. Ici exubérance d'harmonie, là excès de chaos » (MV, 690). Devant cette expérience de l’immanence, devant le « déchaînement éternel des prodiges » (WS, 335-336), on retrouve alors l’affect caractéristique et discriminant qui témoigne de l’« accablement du sublime » (MV, 686) C’est pour Hugo l’expérience ambivalente et paradoxale de l’horreur sacrée[25] :
L'immanent persiste. Et c'est de l'immanent, toujours présent, toujours tangible, toujours inexplicable, toujours inconcevable, toujours incontestable, que sort l'agenouillement humain. Un frémissement vertigineux est mêlé à l'univers. De telles choses que celles que nous venons de dire ne peuvent pas exister sans dégager une sorte d'horreur sacrée, visible à l'esprit humain, et qui est comme l'ombre de la réalité redoutable. L'homme devant l'immanent sent sa petitesse, et sa brièveté, et sa nuit, et le tremblement misérable de son rayon visuel (Ph, 489).
Ce qu'exprime l'horreur sacrée, c'est d’abord l'accablement sensible, et même spirituel, de l'homme en face de la nature sous sa double forme de production de phénomènes infinis (la nature naturée) et de puissance infinie de production démesurée (la nature naturante) : elle « nous éblouit ou nous révolte, mais révoltés ou éblouis, nous accable. Sa présence infinie dans le moindre fait nous déconcerte » (MV, 690). « Quant à l’immensité de ces étendues liquides, l’esprit s’effraie d’y songer » (Ph, 475), « L’incommensurable synthèse cosmique nous surcharge et nous accable » (Préf, 699), « L’énormité de la nature est accablante » (Ph, 468), « on sent l’accablement de la création inconnue » (Cho, 678), « on est écrasé par l’impalpable »[26], la « dynamique de l'océan est terrifiante à force de simplicité » (Ph, 481), le soleil « nous accable de clarté » (Ph, 483) ainsi que le ciel étoilé : « Une fois l'éblouissement de cette quantité de soleils passé, le cœur se serre, l'esprit tressaille, une idée vertigineuse et funèbre lui apparaît » (Ph, 485), celle du « formidable infini noir » (Cho, 679). Goethe semble également associer le sentiment du sublime à la découverte d’un fait originaire : « lorsque des faits primaires se dévoilent et se manifestent à nos sens, nous ressentons une sorte de crainte qui peut aller jusqu’à la peur. Guidés par leurs sens, les hommes se réfugient dans l’étonnement (…). Nous sentons nos limites ; ce n’est qu’une fois vivifiés par le jeu éternel de l’expérience qu’ils nous réjouissent »[27].
En effet, « sitôt que le regard devient contemplateur, l’assainissement commence. Qui admire monte » (Goût, 565) et « de cette contemplation se dégage un phénomène sublime : le grandissement de l’âme par la stupeur » (TM, 238). L’élévation spirituelle provient d’un accablement sensible : « la pression de l’infini sur l’homme fait jaillir de l’homme le grand » (UB, 585) ; mais elle est le fruit d’une conversion du regard qui outrepasse le témoignage de ses sens par la stricte observation pour se livrer à l’intuition : « Il faut bien le reconnaître, et c'est là qu'on est irréfragablement conduit, en dehors même de toute observation intérieure, la nature accable l'homme d'on ne sait quelle clarté qui rayonne d'autant plus qu'on la regarde plus fixement, et qui, chose étrange, sans cesser d'être un mystère, finit par être une évidence » (Ph, 503). Dans un passage de Philosophie où Hugo cherche à définir l’intuition, il en montre le mouvement spéculatif qui part de la sensation d’« une sorte de vide d’abord terrible » (Ph, 510) avant que le travail de l’intuition ne sublime la terreur causée par l’observation : « peu à peu des linéaments se dessinent dans cette brume, des promontoires apparaissent dans cet océan, des fixités se dressent dans ces profondeurs ; une sorte d’affirmation se dégage lentement de ce gouffre et de ce vertige. Ce phénomène de vision intérieure est l’intuition » (Ph, 510). Instrument de la connaissance sublime, « l’intuition explore et scrute le dessous », elle passe outre : « là où le raisonnement s’arrête, l’intuition continue » (Ph, 510). Par sa capacité à appréhender les « faits de frontière » (MV, 690), l’intuition révèle l'immanence en tant qu' « imminence de l'impossible »[28] selon la belle formule d'Yves Gohin. C’est « l’espace du prodige » (Ph, 489) : « Une brusque déchirure de l'ombre laisse tout à coup voir l'invisible, puis se referme » (TM, 66). Dans le hiatus de cette déchirure, l’expérience hugolienne de la nature laisse voir le prodige comme une sorte de point sublime[29]. De fait, le prodige a en effet beaucoup à voir dans cette expérience avec le paradoxon qui est au cœur de l’expérience du sublime[30]. Nous reprenons ici l'analyse de Philippe Lacoue-Labarthe :
Longin conclut : « si ce qui est utile ou même nécessaire à l’homme est à sa portée, en revanche l’étonnant, pour lui, est toujours le paradoxe". To paradoxon : cela, normalement, ne se traduit pas. Je traduirai cependant : das unheimliche, pensant évidemment à l’usage heideggérien du mot ; mais aussi à cette célèbre définition de Schelling : on appelle unheimlich tout ce qui devrait rester secret, voilé, et qui se manifeste »[31].
Le prodige hugolien problématise cette liaison du visible et de l'invisible sous les catégories du possible et de l'impossible : on pourrait dire que son effet est comparable au choc produit par cette lune aperçue au télescope avec Arago : « cela semble impossible, et cela est » (PrS, 642) L’apparition du prodige est l'indice de l'infini : « Sa présence infinie dans le moindre fait nous déconcerte. Elle éclate surtout dans les phénomènes extrêmes, dans les merveilles hideuses ou splendides qu’on pourrait appeler les faits de frontière. Ce sont en effet des commencements de régions » (MV, 690). Le prodige se tient donc sur cette limite où « l’immanence entrevue » (Préf., p. 711) s'épanouit dans l’événement et s’évanouit dans l'infini. Grâce au prodige, « la nature est toute en doubles-fonds » (MV, p. 689), à la fois « apparence », mais « aussi transparence » (MV, p. 688) et « manifestation du monde immatériel » (Ph, p. 509). L’événement prodigieux redéfinit ainsi l’apparence comme apparition[32] et manifeste une liaison paradoxale du visible et de l'invisible, du phénoménal et de l’idéal. Il révèle, comme par effraction, l’essence de l’immanence qui est « omniprésence de l’infini »[33] : « l'immanent, le sans fond et le sans borne, tous les points de l'infini dilatés eux-mêmes en autant d'infinis, l'enfoncement possible de la pensée dans tous les sens au-delà de tout, le lieu et la chose s'enchaînant et se renouvelant à jamais dans le visible et dans l'invisible, l'éther sans fin, l'espace du prodige » (Ph., p. 489). Apparition naturelle mais aussi révélation du surnaturalisme de la nature, le prodige est causa sui, un pur phénomène qui s’affranchit des lois de la représentation qui régit le domaine du visible : « la volonté du prodige se laisse entrevoir dans de certaines irrégularités étranges et fécondes que le mécanisme pur exclurait » (Dél., p. 696). Quand la totalité de l’immanence est prodige, on a alors l’intuition de la Présence absolue, du « prodige immanent » : « il est la Nature pour ceux qui n'y trouvent qu'un mécanisme, et il est Dieu pour ceux qui y découvrent une volonté. La volonté du prodige se laisse entrevoir dans de certaines irrégularités étranges et fécondes que le mécanisme pur exclurait » (Dél., p. 696). Le prodige réalise ainsi « l’identité inouïe de la Nécessité et de la Volonté » (Ph., p. 492), la trace (la preuve) de la présence du phénomène immanent : le signe de l’événement dans l’élément (voir Préf, 708). On retrouve le langage de l’art pour dire la présence de cet absolu : « le prodige, c'est le phénomène à l'état de chef-d'œuvre » (MV, 682) et son ambivalence : « Le chef-d'œuvre est parfois une catastrophe » (MV, 682). Hugo revient ainsi incessamment sur le problème du Mal en tant que question : « L’élément est d’un côté fléau, et de l’autre bienfait. Et c’est le bienfait qui est son grand côté. De certaines calamités font douter de la providence. Il semble que l’effrayante nature dise : Ah ! tu ne crois pas en Dieu. Eh bien, tu as raison. Un déluge, une peste, un tremblement de terre, c’est l’athéisme pris au mot. Heureusement le mal n’est qu’un envers ; le bien est la face de la création. Une tempête est un acte de dictature de l’ombre rétablissant l’équilibre » (MV, 694-695). La loi de l’équilibre et de l’équité c’est l’immanence de la Providence, la loi de la nécessité c’est l’immanence de la fatalité (voir Préf, 708). La distinction morale et le départ entre Bien et Mal ne se fait donc que du point de vue de l’individuation (sur la face visible de l’immanence : le plan de l’individuation et des phénomènes). Sur la face invisible de l’immanence (le Possible), tout est absolument indifférencié et « se réalise au fond de l’absolu l’identité inouïe de la Nécessité et de la Volonté » (Ph, 492), cette identité prodigieuse de la nécessité et de la volonté que seule la conscience peut différencier a posteriori sur le plan de l’individuation. « Pour notre courte vue », la nature est ainsi « toute en doubles-fonds » (MV, 689), sa visibilité est un masque jeté sur son intangibilité. Indépendante des lois de l’individuation (notamment du temps et de l’espace qui bornent la créature), sa productivité n’a que l’infini comme borne. En cela la nature est bonne quoi qu’il en soit sur le plan du créé (la nature comme produit), puisque c’est cette infinité productrice qui maintient la création en vie, en équilibre entre l’être et le néant, dans un devenir incessant du fini, fait de production et de destruction des formes, de monstres et de merveilles, également justifiés comme produits de l’infinie productivité, par-delà le bien et le mal :
Elle a ce qui nous manque, le temps et l’espace. Rien ne la presse et rien ne la borne. Sa ligne n’est pas droite et nous échappe. Elle prend pour arriver à son but le détour de l’infini. Elle serpente dans un possible qui n’est pas le nôtre. N’ayant point notre limite, elle n’a point notre morale. Elle serait le monstre, si elle n’était la merveille. Pour elle, nous l’avons dit autre part, la fin justifie les moyens[34]. L’absolu seul a ce droit. Probablement, qui est sans mesure peut être sans scrupule. De là les cataclysmes, ces coups d’état de l’irresponsable (MV, 689).
En cela, le prodige ne se distingue du monstre que selon la loi de la solidarité et du progrès linéaire (quand le monstre n’appartient qu’au cycle). Le prodige n’est jamais seul à l’inverse du monstre qui reste isolé dans la création (selon la nécessité : le milieu par exemple) ou qui s’isole de la création (selon sa volonté : la liberté engendre la responsabilité). Le monstre est intempestif selon le temps, confiné dans l’espace. Enfin, le prodige est solidaire quand le monstre est solitaire : « Le prodige qui n’aime pas est monstre » (WS, 403), « Le chaos est un célibat » (MV, 682) ; en revanche « la pénétration du phénomène dans le phénomène engendre le prodige » (MV, 682). Le prodige est harmonie (même des contraires), il relie : « L’art est prodige ; il n’est pas monstre. Il contient le contraste, non la contradiction » (Goût, 565). Mais le monstre a aussi sa nécessité, il est selon la Nécessité : « l’inconnu dispose du prodige et il s’en sert pour composer le monstre » (TM, 278 à propos de la pieuvre), « Le Possible est une matrice formidable. Le mystère se concrète en monstres » (TM, 282). Ils sont aussi le produit d’une synthèse, certes de « polarisations inconnues » (TM, 282) mais de polarisations naturelles tout de même. Ils font également partie d’une chaîne, celle de la seule Nécessité, celle de la polarité absolue sans finalité (la loi d’équilibre) : « toute la nature que nous avons sous les yeux est mangeante et mangée », « Pourriture c’est nourriture » (TM, 283). Il manque donc au monstre d’être selon la Volonté, de s’accorder avec la conscience libre qui se replonge dans l’Inconnu pour y sonder les lois morales qui font partie de l’immanence et ne sont accessibles qu’à ceux qui sont solidaires puisqu’ils ont reconnu, par l’intuition, leur unité supra-rationnelle par-delà le phénomène de l’individuation. En un sens, tout individu est monstre en puissance : son individuation ouvre le champ sans limite du mal, mais l’intuition de l’immanence lui redonne accès à l’unité recouvrée par la pensée. Pour l’âme romantique, comme le disait Béguin, « l’existence séparée est un mal »[35]. Les personnages hugoliens (Jean Valjan, Javert, Lantenac et même Cimourdain entre autres) font l’expérience de cette plongée dans l’immanence de la conscience qui n’est autre que l’immanence puisque « toutes les racines de la loi morale sont dans ce qu'on appelle le surnaturalisme » (Préf, 710). La prodigieuse « révélation de la loi morale » provoque une « ouverture sur l'inconnu » (Préf., p. 710) qui délivre de la loi de la nécessité.
2) Une philosophie de la nature romantique (une Naturphilosophie) ?
Si l’on suit Gusdorf, qui semble par ailleurs méconnaître les textes de Hugo[36], « la Naturphilosophie est le fondement de la vision du monde romantique »[37]. De fait, l’analyse des proses philosophiques met en évidence une spéculation sur la productivité (Schelling) de la Nature qui témoigne, à l’instar de Michelet, d’une philosophie de la nature qui sans cesser d’être hugolienne n’en est pas moins romantique[38]. Si la généalogie de cette Naturphilosophie hugolienne reste à faire - autour notamment de la question des éventuelles influences, lectures et connaissances de Hugo[39] – elle ne doit pas occulter le fait, par ailleurs troublant, qu’une telle conception s’accorde parfaitement avec l’ensemble de la poétique esthétique et romanesque de ces années 1860-1865 ; comme si l’esthétique et la poétique avaient été, autant que la métaphysique, le creuset d’une telle élaboration. Au-delà des affinités très nombreuses, mais souvent ponctuelles, que l’on pourrait repérer entre les pensées de Goethe, Schelling ou Novalis entre autres, on peut considérer plus synthétiquement que toute Naturphilosophie s’organise autour de quatre concepts-clés qui s’opposent spéculativement deux à deux : principes de totalité (unité) et/mais de diversité, principes de continuité et/mais de polarité[40].
1er principe : la totalité
Envisager la « totalité de la vie » (MV, 693) est une exigence de la conscience : « Le devoir étroit de la science est de sonder tous les phénomènes (…) Un savant qui rit du possible est bien près d’être un idiot. L’inattendu doit toujours être attendu par la science. (…) Mission de la science : tout étudier et tout sonder (…) Abandonner les phénomènes à la crédulité, c’est faire une trahison à la raison humaine » (WS, 262). Cette première exigence concerne donc la délimitation du champ : il s’agit de reconquérir à la conscience un territoire mystérieux abandonné par une science positiviste qui n’envisage plus la nature que sous le prisme réducteur de l’objet, du produit (la nature naturée). En ce sens, le positivisme devient l’allié objectif de l’obscurantisme (voir Préf ,703-704), d’une religion qui finalement nie l’infini : « dans les religions, ce qui fait défaut, c’est l’essence même de la foi, c’est le sentiment de l’infini. Ce qui manque aux religions, c’est la religion (Préf, 700). Une grande partie de la Préface testamentaire de Hugo est ainsi consacrée à faire la promotion par l’intuition de ce qu’il appelle également « la Religion-Science » (Préf, 705) : « Non tu n’es pas fini. Tu n’as pas devant toi la borne, la limite, le terme, la frontière (…). Tu n’as point d’extrémité. Le ‘tu n’iras pas plus loin’, c’est toi qui le dis, et on ne te le dit pas » (WS, 335).
De la même façon, Schelling reproche à la physique empirique de ne s’intéresser qu’au produit de la nature et non à sa productivité infinie. C’est pourquoi il définit lui aussi cette nouvelle science de la nature[41] comme une physique spéculative[42] qui envisage la nature comme objet (le produit) mais aussi comme sujet (productivité) : « La nature comme simple produit (natura naturata), nous l’appelons la nature en tant qu’objet (c’est à elle seule que se rapporte toute empirie). La nature comme productivité (natura naturans), nous l’appelons la nature en tant que sujet (c’est à elle seule que se rapporte toute théorie) »[43]. La question du surnaturalisme chez Hugo[44] doit se comprendre dans un tel contexte, celui de l’exigence d’une totalité et d’une multiplicité des points de vue :
C’est la science académique et officielle qui, pour avoir plus tôt fait, pour rejeter en bloc toute la partie de la nature qui ne tombe pas sous nos sens et qui par conséquent déconcerte l’observation, a inventé le mot surnaturalisme. Ce mot, nous l’adoptons, il est utile pour distinguer, nous nous en sommes déjà servi et nous nous en servirons encore, mais, à proprement parler et dans la rigueur du langage, disons-le une fois pour toutes, ce mot est vide. Il n’y a pas de surnaturalisme. Il n’y a que la nature. La nature existe seule et contient tout. Tout Est. Il y a la partie de la nature que nous percevons, et il y a la partie de la nature que nous ne percevons pas. Pan a un côté visible et un côté invisible. Parce que sur ce côté invisible, vous jetterez dédaigneusement ce mot surnaturalisme, cet invisible existera-t-il moins ? X reste X. L’Inconnu est à l’épreuve de votre vocabulaire. Nier n’est pas détruire. Le surnaturalisme est immanent. Ce que nous apercevons de la nature est infinitésimal. Le prodigieux être multiple se dérobe presque tout de suite au court regard terrestre ; mais pourquoi ne pas le poursuivre un peu ? (Préf, 703)
La totalité s’entend donc comme immanence, comme liaison de l’invisible et du visible : « La complication du phénomène, laquelle ne se laisse entrevoir, au-delà de nos sens, qu’à la contemplation et à l’extase, donne le vertige à l’esprit. Le penseur qui va jusqu’à là n’est plus pour les autres hommes qu’un visionnaire. L’enchevêtrement nécessaire du perceptible et du non perceptible frappe de stupeur le philosophe » (WS, 336). Cette exigence définit en propre toute l’ambition de la Naturphilosophie, comme le rappelle Gusdorf (« le visible s’enracine dans le non-visible »[45]), après Goethe lui-même : « Où que l’on regarde, de la nature jaillit de l’infini »[46]. Dans ces proses philosophiques, Hugo ne cesse d’affirmer ce principe commun :
La création visible peut être inextricablement amalgamée de créations invisibles. Elle doit l’être. L’infinitude patente implique une infinitude latente. Par création invisible, nous n’entendons pas cette portion de la création matérielle, prolongement indéfini du monde télescopique et du monde microscopique, qui se dérobe à notre perception par l’éloignement ou par la petitesse, la petitesse étant un éloignement. Par création invisible nous entendons une création mêlée à nous-mêmes qui nous enveloppe et nous touche mystérieusement, inaccessible à nos sens, saisissable seulement à notre esprit (Cho, 674).
L’enchevêtrement nécessaire du perceptible et du non perceptible frappe de stupeur le philosophe. Cette plénitude est voulue par ta toute-puissance, qui n’admet point de lacune. La pénétration des univers dans les univers fait partie de ton infinitude. Ici nous étendons le mot univers à un ordre de faits qu’aucune astronomie n’atteint. Dans le cosmos que la vision épie et qui échappe à nos organes de chair, les sphères entrent dans les sphères, sans se déformer, la densité des créations étant différente ; de telle sorte que, selon toute apparence, à notre monde est inexprimablement amalgamé un autre monde, invisible pour nous invisibles pour lui (WS, 336).
Ce qui est original dans cette conception, c’est que la liaison entre le visible et l’invisible n’est plus analogique ou symbolique, idéelle ou idéaliste (à la façon d’un certain platonisme romantique). La nature est le plan d’immanence et le seul champ de spéculation : elle ne trouve pas la raison de son être dans un être qui serait en dehors d’elle - puisque Dieu lui-même se définit comme « prodige immanent » à savoir « Nature pour ceux qui n’y trouvent qu’un mécanisme » et « Dieu pour ceux qui y découvrent une volonté » (Dél, 696) [47]. Plus encore, la connaissance de la nature dans toutes ses dimensions est possible selon une sorte de phénoménologie post-kantienne qui reconnaît des modes réfléchissants de la pensée (dont les résultats sont appelés « sphères »[48] de l’expérience par Hugo, à l’instar de Kant) mais qui en postule l’identité, ou du moins l’unité (à l’encontre de Kant, comme du reste tous les théoriciens de la Naturphilosophie) :
Humanité, nature, surnaturalisme. À proprement parler, ces trois ordres de faits sont trois aspects divers du même phénomène. L’humanité dont nous sommes, la nature qui nous enveloppe, le surnaturalisme qui nous enferme en attendant qu’il nous délivre, sont trois sphères concentriques ayant la même âme, Dieu. Ces trois sphères, car c’est là le vaste amalgame, se pénètrent et se confondent, et sont l’unité. Un prodige entre dans l’autre. Une de ces sphères n’a pas un rayon qui ne soit la tige ou le prolongement du rayon de l’autre sphère. Nous les distinguons parce que notre compréhension, étant successive, a besoin de division. Tout à la fois ne nous est pas possible (…). De là notre distinction entre humanité, nature et surnaturalisme ; mais, en réalité, ce sont trois identités, et ce qui est de l’une est de l’autre. Qu’est-ce que l’humanité ? C’est la partie de la nature insérée dans notre organisme. Et qu’est-ce que le surnaturalisme ? C’est la partie de la nature qui échappe à nos organes. Le surnaturalisme, c’est la nature trop loin (Préf, 699)[49].
Le fond de cette identité naturelle entre ces différentes sphères qui s’interpénètrent, c’est ce que Mme de Staël avait déjà relevé chez les romantiques allemands comme le côté nocturne de la nature :
Il ne s’ensuit pas assurément qu’il fallût renoncer à la méthode expérimentale, si nécessaire dans les sciences. Mais pourquoi ne donnerait-on pas pour guide suprême à cette méthode une philosophie plus étendue, qui embrasserait l’univers dans son ensemble, et ne mépriserait pas le côté nocturne de la nature, en attendant qu’on puisse y répandre de la clarté ?[50]
Ce mouvement nocturne de la pensée qui s’enfonce dans les profondeurs de l’inconnaissable est paradoxalement celui d’une remontée du phénomène vers la chose en soi, du réel vers le Possible. Dans cette philosophie spectrale, Jankélévitch[51] distingue « deux thèmes nocturnes » : d’une part la « richesse occulte du non-être », qu’il appelle aussi « l’Être du non-Être » ou le « négatif du positif », et d’autre part l’ « épanouissement des possibles enveloppés ». Ces deux thèmes nous semblent correspondre à la caractérisation du principe hugolien. Fidèle à une esthétique et à une poétique romantiques[52], Hugo renverse en effet la perspective de la raison naturelle : « la nuit, (…) c’est l’état propre et normal de la création spéciale dont nous faisons partie » (TM, 238), « L'ombre apparaît comme l'unité » (Cho, 674), « L'état normal du ciel, c'est la nuit » (Ph, 485 et 487)[53]. « Le prodige nocturne universel » (TM, 238)[54] témoigne de la « présence informe de l'Inconnu » (TM, 237) et de l’ « Immanence formidable » (TM, 240), où peut se révéler l'Être du non-Être ou le positif du négatif comme le dit Jankélévitch, ou comme le dit Hugo : « ces univers qui ne sont rien, existent. En les constatant, on sent la différence qui sépare n'être rien de n'être pas » (TM, 238). En découvrant le Possible comme catégorie ontologique, le romantisme cherche à « distinguer le Rien qui est zéro et le Néant qui est fécondité et plénitude ; entre l'existence et l'inexistence, il découvre le possible, nature ambiguë dont on ne peut dire qu'elle soit quelque chose bien qu'elle ne soit pas nulle ; son talent de double vue lui permet de sentir la présence des absences et le plein du vide »[55]. La nature se développerait ainsi comme « épanouissement des possibles enveloppés » pour reprendre l’expression de Jankélévitch qui le définit comme « l’intuition d’un certain ordre vital selon lequel l’informe progressivement monte à la lumière » et cherche à se frayer un « chemin vers l’expression »[56]. Le Possible est l’unique milieu nocturne de l’âme et du monde[57] : « L’étendue du possible est en quelque sorte sous nos yeux. Le rêve qu’on a en soi, on le retrouve hors de soi. Tout est indistinct » (WS, 331), « Les phénomènes du sommeil mettent-ils la partie invisible de l'homme en communication avec la partie invisible de la nature ? » (PrS, 645). Dans le possible se retrouve ainsi autant la loi morale que la forme esthétique, le rêve que la germination sourde des éléments. Tout cela participe du même Songe de l’immanence qui est dans la nature perceptible (le paysage[58]), dans l’homme (le rêve), dans la société (le Droit), dans la morale (la conscience), l’art (le génie) : « Non, personne n'est hors du rêve. De là son immensité » (PrS, 665), « C'est à travers ce plafond, le songe, que nous voyons cette réalité, l'infini » (PrS, 665). Ce qui apparaît absolument décisif dans cette métaphysique de la nature, c’est l’abandon du dualisme[59] et de la conception de la matière (voire de la nature) comme pure extériorité : « Voici le vrai nom de l’Être : Tout Un » (Préf, 708), « Tout cela est une unité. C’est l’unité. Et je sens que j’en suis » (Ph, 491). S’il y a distinction, elle ne s’effectue plus – Hugo retient la leçon de la phénoménologie kantienne malgré tout – qu’au niveau empirique (plan phénoménal) de l’individuation et du mode de perception (ce que Schopenhauer appelle la représentation) :
On est partie intégrante d’un Tout ignoré, on sent l’inconnu qu’on a en soi fraterniser mystérieusement avec un inconnu qu’on a hors de soi. Ceci est l’annonce sublime de la mort. Quelle angoisse, et en même temps quel ravissement ! Adhérer à l’infini, être amené par cette adhérence à s’attribuer à soi-même une immortalité nécessaire, qui sait ? une éternité possible, sentir dans le prodigieux flot de ce déluge de vie universelle l’opiniâtreté insubmersible du moi ! regarder les astres et dire : je suis une âme comme vous ! regarder l’obscurité et dire : je suis un abîme comme toi ! (TM, 240).
L’immanence hugolienne fait l’unité de toutes ces formes de productivité : le corps est aussi infini que l’esprit, le rêve existe autant que le réel, l’imagination complète la perception, le Droit induit la Loi et la nécessité échange ses prérogatives avec la volonté : « L’homme participe à ce mouvement de translation, et la quantité d’oscillation qu’il subit, il l’appelle la destinée. Où commence la destinée ? Où finit la nature ? Quelle différence y a-t-il entre un événement et une saison, entre un chagrin et une pluie, entre une vertu et une étoile ? » (TM, 240). Tous ces phénomènes plongent également dans l’invisible du Possible qui est origine et destination, causalité et finalité. Le réel est programmé par le Possible : « Le réel est l’asymptote du possible ; le point de rencontre est à l’extrémité de l’infini » (MV, 691), « Dans l’absolu, le réel est identique à l’idéal (…). Il est la Nature » (MV, 688). Chez Hugo, la philosophie de la nature tend la main à la philosophie de l’Histoire comme expression d’un progrès indéfini : « Les éléments entrent en discipline. Résultante : la vie. La réduction des chaos d’opère peu à peu » (Cho, 671). Le songe est donc autant la faculté du possible que de l'impossible[60] qu’il inscrit néanmoins dans le sens d’une géodicée : « L’impossible d’aujourd’hui a été le possible d’autrefois » (PrS, 668). Dans cette interprétation, la sphère du Possible conditionne le réel non pas comme cause pour un effet, mais comme matrice pour une création. La vision métaphysique s’appuie en somme sur une conception esthétique[61] : « la nature n’a-t-elle pas rêvé aussi ? Le monde ne s’est-il pas ébauché par un songe ? » (PrS, 668)[62], « Le tâtonnement terrible du rêve est mêlé au commencement des choses, la création, avant de prendre son équilibre, a oscillé de l’informe au difforme, elle a été nuée, elle a été monstre, et aujourd’hui encore, l’éléphant, la girafe, le kangourou, le rhinocéros, l’hippopotame, nous montrent, fixée et vivante, la figure de ces songes qui ont traversé l’immense cerveau inconnu » (PrS, 668).
Pourtant « l’unité de l’ombre contient un multiple » (TM, 238) : toute dialectique de la nature doit pouvoir rendre compte de cet apparent paradoxe de l’apparence en tant que représentation.
2ème principe : la diversité
Hugo semble avoir évolué d’une vision mystique et chrétienne tournée vers la question de l’origine vers une conception métaphysique qui interroge la représentation, le processus de la manifestation de l’être. Ainsi le départ entre perfection du créateur/imperfection de la création[63] se trouve reformulé en une nouvelle polarité conceptuelle de type unité/diversité : « De ce que la nature est une, on a conclu qu’elle était simple » (MV, 681). « Pourtant, disons-le, la vie, une au point de départ, est diverse au point d’arrivée » (Cho, 675). Dans cette dialectique de la nature, on retrouve le même rapport entre nature naturante et nature naturée, entre productivité et produit : « L’unité engendrant la complication, c’est la loi des lois » (MV, 680). Il y a ainsi, semble-t-il, chez Hugo, deux conceptions parallèles qui correspondent précisément à deux points de vue portés sur la nature : une métaphysique (qui vise la présence de l’être productif), une phénoménologie (qui rend compte de l’apparaître produit). La première visée consiste ainsi à distinguer, sans opposer, essence et substance, l’infini et le fini, l’absolu et le relatif : « Le phénomène universel se réfracte d’un milieu dans l’autre ; de là les apparences diverses[64] ; de là les différents systèmes de faits, tous concordants dans le relatif, tous identiques dans l’absolu. L’unité d’essence entraîne l’unité de substance, l’unité de substance entraîne l’unité de loi » (Préf, 708). Du point de vue de l’essence, l’unité prédomine. Pourtant, dans cette incarnation de l’infini, quelque chose persiste et quelque chose se complique : « L’immanence infinie produisant le renouvellement indéfini ; tel est le phénomène de la vie universelle. Essence et substance ; de cet androgyne sort le monde » (Cho, 674). Cette première dialectique se détermine par le recours à l’indéfini comme la catégorie qui rend compte de cette incarnation de l’infini dans le fini : « L’indéfini (…) naît de la combinaison humaine et divine de l’infini et du fini »[65]. Elle rend compte du progrès mais aussi du Mal ; de la liberté mais aussi de la présence de l’indéterminé sous toutes ses formes. Menée du point de vue du phénomène, la spéculation hugolienne se redéfinit en des termes qui envisagent la création naturelle selon une dialectique du même et de l’autre, de l’identité et de la différence, de l’un et du multiple. Ce que Hugo met alors en évidence, c’est le processus d’individuation des phénomènes à partir de ce qu’on pourrait appeler la chose en soi. Dans cette phénoménologie hugolienne, les modes d’apparaître de la nature dépendent de la visée du regard (cf. la théorie des sphères, supra), voire de sa conversion. Le regard ordinaire adopte un mode représentatif lié à la visibilité du phénomène : espace, temps, causalité, dédoublement sujet-objet (principe d’individuation)[66].
La vie phénoménale passe en donc par l’individuation mais en aucun cas cela ne touche la chose en soi. Cette vie phénoménale n’est donc pas toute la vie (il y a une vie non phénoménale qui produit le nisus créateur de formes) et celle-ci c’est l’intuition (le mode d’aperception dégagé du principe de représentation) qui peut en faire l’expérience (comme pour la loi morale ou le songe, ou l’art). L’unité devient diversité selon l’observation (lois de la représentation : espace, temps, causalité) et selon l’imagination (sujet-objet). Selon l’intuition en revanche, la diversité se résout en unité (hors du principe d’individuation). C’est une position que Hugo avait déjà exprimée au moment de l’écriture du Rhin :
[...] puisque la nature, ce laboratoire sans fond de la substance et du phénomène, ce sombre et aveugle océan des êtres, ne connaît pas le moi, puisqu’aucune personnalité distincte et sentie de l’objet lui-même n’y sépare le végétal du végétal, le minéral du minéral, la chose de la chose, ne pourrait-on pas dire qu’il n’y a qu’un arbre, comme il n’y a qu’un rocher, comme il n’y a qu’une onde. Cet arbre éternel, qui a caressé du souffle de son feuillage Adam s’éveillant à la vie, qui a secoué de ses branchages la vase desséchée du déluge et laissé prendre son plus vert rameau à la colombe de l’arche, vieilli chaque hiver, rajeuni chaque printemps, a vu passer les hommes qui ont passé, nous abrite nous qui vivons, abritera ceux qui doivent venir, et le jour où son ombre verra expirer le dernier homme, sera encore le premier arbre[67].
La question du mal se reformule dès lors ainsi : il n’est pas spécifiquement et précisément lié à la matière, ou encore à la Chute mais bien plutôt au processus d’individuation du phénomène, à la perte de l’unité dans la représentation. Si l’existence séparée est un mal, c’est le mal lié à l’individuation que la conscience va conjurer par un accroissement de conscience en replongeant dans l’immanence : l’intuition surnaturaliste rachète au profit de l’humanité ce qui ne se perçoit pas immédiatement (dans l’observation physique selon les lois de raison suffisante). Il faut donc, par l’intuition[68], reconquérir cette évidence afin de refonder l’existence (notamment éthique et politique) selon l’être et continuer le travail de la Nature dans sa dimension profonde (chose en soi) qui est unité, fraternité, solidarité et donc continuité comme expression de la productivité naturelle. Le jardin de la rue Plumet par exemple met en œuvre « le saint mystère de sa fraternité » naturelle, « symbole de la fraternité humaine » (Mis., 700). Là encore Hugo rejoint Schelling : « La continuité absolue existe donc seulement pour l’intuition, non pour la réflexion. Intuition et réflexion sont opposées. La série infinie est un phénomène permanent pour l’intuition productrice, mais interrompu et composé pour la réflexion »[69].
3ème principe : la continuité
Le principe de continuité reprend une loi également partagée par toutes les philosophies de la Nature, de Leibniz : « tout est plein dans la nature »[70] à Goethe : « par sa productivité sans bornes, la nature remplit tous les espaces »[71] et jusqu’à Hugo : « Il n’y a point d’interruption dans la création » (MV, 684) puisque la nature est pleine et pleine d’infini : « le prodige immanent adhère à lui-même » (MV, 684). La nature ne connaît pas de vide : « Rien ne s’achève à pic ; tout ce qui finit une chose en ébauche une autre » (Ph, 490). Les phénomènes ne sont donc pas seulement en contact, mais même bien plutôt en communication - « Toute la nature est un échange » (MV, 680) -voire en réseau - « Les phénomènes s’entrecroisent » (MV, 682) tandis que « des prodiges s’entre-poursuiv(e)nt dans les ténèbres » (TM, 239) - ou même à la façon d’un rhizome[72] :
La vie, c’est la communication de proche en proche ; filière, transmission, chaîne. Ce qu’est cette adhérence, ce qu’est cette immanence, impossible de se le figurer. C’est tout à la fois l’amalgame qui engendre la solidarité et le moi qui crée les directions. Tout s’explique par le mot Rayonner. Les créatures entrecroisant leurs effluves, c’est la création. Nous sommes en même temps points d’arrivée et points de départ. Tout être est un centre du monde (MV, 685).
Ce principe de continuité implique donc la loi de solidarité - « La solidarité ne peut être la loi des âmes sans être la loi des mondes » (Cho, 675) - et le processus de métamorphose continue - « Tout ce globe est un phénomène de permanence et de transformation » (Ph, 470) - qui font de la création un véritable « creuset » (Ph, 471) :
Le labyrinthe de l’immanence universelle a un réseau double, l’abstrait, le concret ; mais ce réseau double est en perpétuelle transfusion ; l’abstraction— se concrète, la réalité s’abstrait, le palpable devient invisible, l’invisible devient palpable, ce qu’on ne peut que penser naît de ce qu’on touche et de ce qu’on voit, ce qui végète se complique de ce qui arrive, l’incident s’enchevêtre au permanent ; il y a de la destinée dans l’arbre, il y a de la sève dans la passion ; il est probable que la lumière pense. Le monde est une pile de Volta et en même temps est un esprit ; le Nil et l’Ens s’abordent et s’accouplent ; de l’immatériel au matériel la fécondation est possible ; ce sont les deux sexes de l’infini ; il n’y a pas de frontières ; tout s’amalgame et s’aime ; flux et reflux du prodige dans le prodige ; mystère, énormité, vie (Préf, 708-709).
Ce que la conscience comprend dans l’intuition de cette immanence naturelle, c’est la diversité émanant de l’unité : la métamorphose et le devenir ; c’est l’unité émanant de la diversité : la solidarité. Pourtant, cette continuité solidaire ne s’accomplit que dans la polarisation et l’opposition des phénomènes dont témoigne notamment le régime antithétique de la philosophie hugolienne de la nature.
4ème principe : la polarité
En effet, la dynamique naturelle a pour moteur le jeu des contraires, le conflit universel d’éléments opposés et pourtant unis : « le rythme fondamental de la nature est exactement celui du schéma dialectique : toute ‘polarité’, toute lutte de forces antagonistes et complémentaires, qui n’existent que l’une avec l’autre, se résout que dans une synthèse supérieure »[73]. Béguin rappelle ainsi les concepts de Goethe : double loi de la nature Polarité (Polarität) et intensification ou ascension (Steigerung)[74]. Chez Hugo, la figure de la polarité antithétique semble dominer : « La nature, c’est l’éternel bi-frons » (WS, 346) qui contient « des polarisations et des attractions », « l’embrassement et l’antagonisme, un magnifique flux et reflux d’antithèse universelle » (TM, 239). Pourtant, à l’instar du génie shakespearien (ou du génie tout simplement)[75], la nature crée en artiste en mettant l’antithèse (Polarität) au service d’une synthèse supérieure (Steigerung) pour faire de la création une œuvre à part entière :
Les plus hauts génies, les intelligences encyclopédiques aussi bien que les esprits épiques, Aristote aussi bien qu’Homère, Bacon aussi bien que Shakespeare, détaillent l’ensemble pour le faire comprendre, et ont recours aux oppositions, aux contrastes et aux antinomies. Ceci est d’ailleurs le procédé même de la nature, qui emploie la nuit à nous faire mieux sentir le jour. Hobbes disait : La dissection fait le chirurgien, l’analyse fait le philosophe ; l’antithèse est le grand organe de la synthèse ; c’est l’antithèse qui fait la lumière (Préf, 699).
Non seulement les « extrêmes » sont en « contact »[76], mais en outre ils s’harmonisent à un niveau supérieur (de conscience) : « Les contraires s’épousent ; les lointains sont des contacts. Ce qui vous semble divorce est mariage. La haine s’achève en amour. Sous le combat il y a le baiser. Tout est coefficient. Vous croyez être à un pôle, vous êtes à l’autre. Jamais l’union n’est plus étroite que là où l’écart semble le plus irrémédiable » (MV, 686). C’est dans l’antithèse suprême du tout et du néant[77], de la vie et de la mort, de la création et de la destruction que la nature exprime au mieux son génie de la polarité : « tout est mêlé à la vitalité même la pourriture » (Ph, 490), « Tout ce globe est un phénomène de permanence et de transformation ; un rut inépuisable s’y combine avec une destruction impitoyable (…) ; et de toute cette mort, de toute cette cendre, de toute cette pourriture, elle fait son épanouissement perpétuel » (Ph, 470). L’antithèse (la polarité) est donc un processus créatif, elle est l’expression d’un ordre dynamique et synthétique producteur de formes continûment supérieures : « dans l’engrenage de la création, prodigieuse décomposition immédiatement recomposée, rien n’est sans but. Accouplement est le premier terme, enfantement est le second. L’ordre universel est un hyménée magnifique. Point de fécondation par le désordre. Le chaos est un célibat » (MV, 682). Cet apparent « tumulte » est « harmonie » (WS, 336)[78].
Conclusion
La question philosophique n’a pas été abordée du point de vue de la fiction dans cette approche des proses philosophiques. C’est pourtant un élément très important, que nous soulignions dès l’amorce de ce travail de commentaire[79]. La question du roman philosophique chez Hugo a par ailleurs été très bien abordée dans la thèse de Myriam Roman[80]. Plus encore, à propos de Hugo, certaines études ont montré « comment des écrits de fiction peuvent, à leur manière, non seulement véhiculer, mais produire des formes de spéculation, directement expressives »[81]. C’est le cas par exemple des articles de Jacques Neefs qui montrent comment Hugo pense avec la fiction[82]. Comme Macherey, Neefs montre combien les structures romanesques induisent un mode de représentation, et même un mode de la représentation, qui rejoignent, me semble-t-il, les principes d’une philosophie de la nature hugolienne telles qu’il les a exposés dans ces « Proses » dites « philosophiques » : remontée du fond invisible vers l’expression, vers la visibilité, manifestations de l’être sous la forme de l’apparition-révélation etc. Jacques Neefs parle même à propos du roman hugolien de « mimesis de l’accès à la visibilité »[83]. L’étude de Charles Ramon[84] nous montre en outre comment le double fond de la fiction hugolienne pourrait s’accorder avec sa vision philosophique : le décalage de la conscience du personnage et de l’autorité narrative (« retard à la reconnaissance ») met bien en évidence ce double point de vue (phénoménal / nouménal – observation/intuition – représentation du produit/productivité du Possible). Une telle conception romanesque induit également une philosophie de l’histoire, entée sur une philosophie de la nature. À propos de Quatrevingt-treize, Bernard Leuilliot[85] parle notamment de « loi des tempêtes » ou « principe d’immanence » : dans le roman comme dans la nature, il s’agit de « poser ensemble et sur fond d’abîme, la rationalité du réel et sa contingence, l’identité inouïe de la nécessité et de la volonté ».
[1] Toutes les références dans le corps du texte renvoient à Victor Hugo, Critique, Œuvres complètes, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1985. Les abréviations utilisées sont les suivantes : William Shakespeare (WS), La Mer et le vent (MV), Philosophie (Ph), Préface de mes œuvres et post-scriptum de ma vie (Préf.), Les choses de l’infini (Cho), Le Goût (Goût), Du Génie (Gé), Promontorium Somnii (PrS), Utilité du Beau (UB), Les Déluges (Dél),
[2] Voir le travail fondamental de Myriam Roman, Victor Hugo et le roman philosophique, Paris, Champion, 1999, et notamment « 1860-1865 : Le ‘naturalisme’ hugolien », p. 169-209. Voir aussi p. 665.
[3] Jean-Marie Schaeffer, L’âge de l’art moderne. L’esthétique et la philosophie de l’art du XVIIIème siècle à nos jours, Gallimard, 1992. p. 88 et sq. et Carole Talon-Hugon, L’esthétique, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2004, p. 59 : l’art « est connaissance ».
[4] Toutes les références dans le corps du texte renvoient à Victor Hugo, Critique, Œuvres complètes, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1985. Les abréviations utilisées sont les suivantes : William Shakespeare (WS), La Mer et le vent (MV), Philosophie (Ph), Préface de mes œuvres et post-scriptum de ma vie (Préf.), Les choses de l’infini (Cho), Le Goût (Goût), Du Génie (Gé), Promontorium Somnii (PrS), Utilité du Beau (UB), Les Déluges (Dél),
[5] Dans Les Choses de l’infini, cette triade se décline différemment : « au-delà du visible, l’invisible, au delà de l’invisible l’inconnu » (Cho, 679).
[6] On voit bien comment Hugo, comme tous les post-kantiens romantiques, tente de dépasser les antinomies du maître de Königsberg, notamment en ce qui concerne l’opposition entre entendement et raison - Verstand et Vernunft - laquelle recoupe peu ou prou, chez Hugo, le doublet observation et intuition.
[7] Cité par Judith E. Schlanger, Schelling et la réalité finie. Essai sur la philosophie de la nature et de l’identité, Paris, PUF, 1966, p. 112.
[8] Ibid., p. 56.
[9] Ibid., p. 70.
[10] Ibid., p. 71.
[11] Blaise Pascal, Pensées, édition de Philippe Sellier, paris, Classiques Garnier, 1991, p. 458.
[12] Ibid., p. 459.
[13] Ibid., p. 460.
[14] Voir F.W.J. Schelling, « Le miracle de l’art », dans Textes esthétiques, traduit de l’allemand par Alain Pernet, Paris, Klincksieck, 1978, p. 27 : « Ce que nous appelons nature est un poème chiffré dans une merveilleuse écriture chiffrée ».
[15] Voir Friedrich Schlegel, Idées, cité par Ph. Lacoue-Labarthe et J. L. Nancy, L’absolu littéraire, Paris, Le Seuil, 1978, p. 216 : « Veux tu pénétrer dans l’intimité de la physique, fais toi initier aux mystères de la poésie ».
[16] Mme de Staël, De l’Allemagne, (1813), Paris, Garnier-Flammarion, 1968, tome II, p. 174.
[17] Cf. « La simplicité (finalité sans art) est pour ainsi dire le style de la nature dans le sublime » Kant, Critique de la faculté de juger, §29, p. 111.
[18] Voir Hadot par exemple : « un autre facteur de transformation du rapport des philosophes et des poètes à la nature a été également l’attention toute particulière que le XVIIIe siècle a porté au sentiment du sublime » (Le voile d’Isis, Paris, Gallimard, 2004, p. 278).
[19] Ernst Cassirer, La philosophie des Lumières, trad. Pierre Quillet, Paris, Fayard, 1966, rééd. « Agora », 1986, ch. VII, p. 412.
[20] Philippe Lacoue-Labarthe, « La vérité sublime », dans Du Sublime, (collectif), Belin, 1988, p. 99. Voir aussi : « le sublime vaut essentiellement pour la présentation du métaphysique, par différence avec le beau, qui n'est que la présentation du physique » (Id., « Sublime (Problématique du) », Encyclopédie Universalis).
[21] Hugo, Procès-verbaux des séances des tables parlantes à Jersey, cité par Arnaud Laster, « Les avatars du contemplateur », dans A. Ubersfeld, J. Seebacher (dir.), Hugo le fabuleux, Paris, Seghers, 1985, p. 322. Cette vision sublime met également la religion à distance : Dans les religions, ce qui fait défaut, c'est l'essence même de la foi, c'est le sentiment de l'infini. Ce qui manque aux religions, c'est la religion. L'illimité est toute la religion. La foi, c'est l'indéfini dans l'infini. Or, insistons-y, dans l'humanité telle qu'elle est encore, le caractère des religions, c'est l'absence d'infini . (…) C'est qu'un Dieu fini, c'est un Dieu commode » (Préf, p. 700).
[22] Christian Jambet, « L'expérience de la terreur », dans Roger-Pol Droit (dir.), Présences de Schopenhauer, Paris, Grasset, 1989, p.124.
[23] Selon Schopenhauer, la quadruple racine du principe de raison suffisante fonde le principe d'individuation (le voile de Maya) sous les catégories de l'espace, du temps, de la causalité et de la relation sujet-objet.
[24] Voir Dominique Peyrache-Leborgne, La poétique du sublime de la fin des Lumières au romantisme, Paris, Champion, 1997, chapitre V : « Hugo et le sublime de la contemplation : de la nature à Dieu », p. 221-252 et Yvon le Scanff, Le paysage romantique et l’expérience du sublime, Seyssel, Champ Vallon, 2007, « Hugo : un sublime panique », p. 179-187.
[25] Quelques variations sur le même motif, passim : « Horreur sacrée » (PrS, 642), « Comment échapper à la terreur sacrée ? » (Ph, 504), « Qui regarde trop longtemps dans cette horreur sacrée sent l’immensité lui monter à la tête » (WS, 331), « effroi sacré » (MV, 687).
[26] Hugo, Les travailleurs de la mer, dans Roman II, Œuvres complètes, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », p. 239 (abrégé dorénavant en TM).
[27] Goethe, Maximes et aphorismes, trad. Pierre Deshusses, Paris, Editions Payot et Rivages, 2001, « Rivages poche », maximes n°17 et n°16, p. 117.
[28] Y. Gohin, Sur l'emploi des mots immanent et immanence chez Victor Hugo, Paris, Minard, « Archives des lettres modernes », 1968, p. 36 : « l'immanence est l'imminence de l'impossible ».
[29]Tout porte à croire qu'il existe un certain point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement. Or c'est en vain qu'on chercherait à l'activité surréaliste un autre mobile que l'espoir de détermination de ce point » (André BRETON, Le second manifeste du surréalisme, 1930).
[30] Voir Gohin, « Une écriture de l’immanence », dans J. Seebacher et A. Ubersfeld (dir.), Hugo le fabuleux, op. cit., p. 28 : « ce prodige s’apparente bien au sublime ».
[31] Ph. Lacoue-Labarthe, « La vérité sublime », art. cit., p.145.
[32] Voir Yves Gohin, Victor Hugo, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1987, p. 79 : « toute apparence, découvrant et recélant un sens à explorer, est nécessairement apparition ».
[33] Y. Gohin, Sur l'emploi des mots immanent et immanence chez Victor Hugo, op. cit., p. 27.
[34] En un sens, puisque la philosophie de la nature hugolienne rejoint sa philosophie de l’histoire, on pourrait dire qu’il en va de la différence entre le prodige et le monstre comme de la différence entre « l’insurgé de montagne » et « l’insurgé de forêt » dont Hugo fera le parallèle plus tard dans Quatrevingt-treize (Roman III, Œuvres complètes, op.cit., p. 924-925).
[35] Albert Béguin, L’âme romantique et le rêve, Paris, José Corti, 1939, p. 68.
[36] Gusdorf publie ses deux volumes sur le romantisme en 1984 et 1985. Il n’a donc probablement pas eu une connaissance globale des « proses philosophiques de 1860-1865 » qui n’étaient pas jusque là regroupées de cette façon.
[37] Gusdorf, Le Romantisme, Paris, Payot, tome II, 1993, p. 365.
[38] Voir Yvon Le Scanff, Le paysage romantique et l’expérience du sublime, op. cit., Deuxième partie, ch. II : « Métaphysique de la nature », p. 142-187.
[39] Pierre Albouy donne un certain nombre de références scientifiques utilisées par Hugo dans La création mythologique chez Victor Hugo, paris, José Corti, 1963, Troisième partie : « Le Monde », p. 305-426 et Yves Gohin livre des références philosophiques contemporaines relatives à la notion d’immanence dans Sur l'emploi des mots immanent et immanence chez Victor Hugo, op. cit., p. 7-24. Deux références restent tout de même assez évidentes : hormis l’ouvrage de Mme de Staël bien entendu, l’édition complète de De l’Allemagne de Heine avait paru en 1855 chez Lévy. Heine résume ainsi la pensée de Schelling par exemple : « M. Schelling rétablit la nature dans ses droits légitimes, il voulut une réconciliation entre l’esprit et la nature, il chercha à les réunir tous deux dans l’éternelle âme du monde. Il restaura cette grande philosophie de la nature que nous trouvons déjà chez les anciens philosophes grecs, avant Socrate. Il restaura cette grande philosophie de la nature qui, germant sourdement de la vieille religion panthéiste des Allemands, annonça, dès les temps de Paracelse, les fleurs les plus belles, mais fut étouffée par l’introduction du cartésianisme » (Henri Heine, De l’Allemagne, édition de Pierre Grappin, Paris, Gallimard, « Tel », 1998, p. 150).
[40] Et qui se relèvent l’un par l’autre : ainsi l’Unité-Totalité est gage de continuité, tandis que la diversité (par l’individuation) induit la polarité.
[41] Voir Schelling, Introduction à l’esquisse d’un système de philosophie de la nature, trad. Franck Fiscbach et Emmanuel Renault, Libraire générale Française, « Le livre de poche – Classiques de la philosophie », 2001, §2 : « Le caractère scientifique de la Naturphilosophie », p. 70-71.
[42] Voir ibid., §3 : « La Naturphilosophie est une physique spéculative », p. 72-74.
[43] Ibid., §6, p. 89.
[44] Sur ce sujet, voir notamment Jean Gaudon, « Victor Hugo et le surnaturalisme », Dans Claude Pichois (dir.), Le surnaturalisme français, Neuchâtel, A la Baconnière, 1979, p. 63-80 et Paul Bénichou, Les mages romantiques, Paris, Gallimard, 1988, p. 485-488.
[45] Gusdorf, op. cit., p. 367.
[46] Goethe, Maximes et aphorismes, trad. Pierre Deshusses, Paris, Editions Payot et Rivages, 2001, « Rivages poche », maxime n°5, p. 115.
[47] C’est ainsi que la Naturphilosophie s’est parfois présentée : Schelling en parle comme d’un « spinozisme de la physique » (op. cit., §2, p. 70). C’est ainsi surtout qu’elle s’est souvent trouvée présentée : Heine déclare par exemple que « l’idée de la philosophie de la nature n’est dans le fond autre chose que l’idée de Spinoza, le panthéisme » (op. cit., p. 145).
[48] Cf. « Le moi de l’homme est le centre d’une sphère que Dieu enveloppe et presse de toutes parts. Cette sphère est elle-même composée d’une certain nombre de sphères concentriques qui se fondent l’une dans l’autre par les bords et mènent de l’une à l’autre comme les couleurs du spectre solaire. Centre : l’homme, le moi. Première sphère : le sexe, l’amour. Deuxième sphère : la famille. Troisième sphère : la patrie. Quatrième sphère : l’humanité. Cinquième sphère : la nature. Sixième sphère, ou pour mieux dire, milieu ambiant : Dieu. Chacune de ces sphères va gardant son centre et augmentant son diamètre et il faut que l’esprit de l’homme les traverse toutes pour arriver à Dieu » (Folios 60 et 62, 1845-1850, Ms 13487, « Fragments philosophiques », Océan prose, Œuvres complètes, op. cit., p. 33). Plus loin, Hugo parlera de ces sphères comme « les élargissements successifs du moi » (ibid., p. 34). Voir le commentaire de ce fragment dans Myriam Roman, Victor Hugo et le roman philosophique, op. cit., p. 744 (« L’inclusion concentrique des niveaux de signification »).
[49] Voir aussi : « ces deux régions, nature et surnaturalisme, qui nous apparaissent si diverses, sont dans l’absolu la même unité » (WS, 282-283),Aucun surnaturalisme ; mais la continuation occulte de la nature infinie » (TM, 67).
[50] Mme de Staël, De l'Allemagne, éd. cit., tome II, III, X, p.173. Cette expression est empruntée à G. H. von Schubert qui a en effet écrit Ansichten von der Nachtseite der Naturwissenschaft, en 1808. Mme de Staël l'a rencontré en Allemagne.
[51] Vladimir Jankélévitch, « Le Nocturne », dans A. Béguin (dir.), Le romantisme allemand, Les Cahiers du Sud, 1949, p.90. Toutes les citations suivantes de Jankélévitch proviennent des pages 90-91.
[52] Voir Alain Montandon, Les yeux de la nuit. Essai sur le romantisme allemand, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2010, passim et François Court-Perez et Sylvain Ledda, « Romantisme », dans Alain Montandon (dir.), Dictionnaire de la nuit, Paris, Champion, 2013, tome II, p. 1255-1267.
[53] Cet apophtegme est donc répété à deux pages d’intervalle, mais il a déjà été énoncé précédemment et sous cette forme dans Le Rhin, dans Voyages, Œuvres complètes, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1985, Lettre IV, p. 33 et Hugo le rappelle d’ailleurs incidemment (TM, 238).
[54] Sur ce sujet, « Sub Umbra » (TM, 237-242) et la lettre de Cauterêts dans Pyrénées (Voyages, op. cit, p. 850-852) sont des textes fondamentaux.
[55] W. Jankélévitch, art. cit., p. 90.
[56] Ibid., p. 90-91.
[57] Voir par exemple TM, 238 : « L’ombre est une » et TM, 239 : « l’obscurité est indivisible ».
[58] Voir Le Rhin, op. cit., p. 851-852.
[59] Voir Gusdorf, op. cit., p. 368 : « La Naturphilosophie refuse d’admettre le hiatus établi entre la matière et l’esprit, entre le corps et l’âme, entre le visible et l’invisible » et Schelling : « la nature n’est que l’organisme visible de notre entendement, op. cit., §1, p. 68-69.
[60] Voir PrS, 645 : « C'est l'impossible qui se dresse et qui dit : présent ».
[61] Cf. supra, I, §1 : « Le poète-prophète ou l’artiste héros de la connaissance : l’esthétique et la métaphysique » où l’on montre inversement que l’esthétique romantique a une visée métaphysique.
[62] Hugo parle de ce songe de l’impossible comme « incohérence du rêve », « matière à l’état de cauchemar » (PrS, 668).
[63] Sur cette conception voir les fragments « Philosophie prose » dans Océan, Œuvres complètes, op. cit., p. 37-39.
[64] Théorie philosophique qui s’accorde avec l’évolutionnisme. Le principe d’individuation est en effet relatif au temps, à l’espace et à tous les phénomènes de corrélation (cause à effet notamment) : « Tout est un ; mais rien n’est pareil à rien. (…) Le même être, placé ailleurs, sera autre » (Cho, 676).
[65] Victor Hugo, Les misérables, dans Roman II, Œuvres complètes, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1985, p. 963.
[66] Voir Arthur Schopenhauer, De la quadruple racine du principe de raison suffisante, 1813 et Le Monde comme volonté et représentation, Livre I, 1819. Schopenhauer sera surtout connu en France à partir de 1854 : voir René-Pierre Colin, Schopenhauer en France. Un mythe naturaliste, Presses Universitaires de Lyon, 1979, Première partie : « Introduction de Schopenhauer en France. 1854-1870 ». On notera notamment la publication de Foucher de Careil, Hegel et Schopenhauer, Paris, Hachette, 1862.
[67] Hugo, Le Rhin, op. cit., « Ebauche d’une monographie sur le Rhin », p. 473.
[68] Voir Préf, 709 : « la pénétration d’une autre loi, située plus avant dans les profondeurs et expliquant l’apparence fatale de la bête et de la chose, n’est donnée qu’à l’intuition ».
[69] Schelling, op. cit., p. 92.
[70] G. W., Leibniz, Principes de la Nature et de la grâce. Monadologie et autres textes, édition de Christiane Frémont, Paris, Garnier-Flammarion, 1996, p. 224. Voir aussi p. 255 : « tout est plein, ce qui rend la nature liée ».
[71] Goethe, Maximes et réflexions, op. cit., Maxime n° 27, p. 118.
[72] On pense bien sûr ici au concept deleuzien, même si chez Hugo on reste dans une perspective évidemment métaphysique (sur la définition de « rhizome », voir Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, Les éditions de Minuit, 1980, p. 31).
[73] Albert Béguin, op. cit., p. 69.
[74] Hugo parle bien « des polarisations et des attractions » (TM, 239), « des polarisations inconnues » (TM, 282), de « polarité électrique » (MV, 681) dans un contexte en général électro-magnétique.
[75] Voir WS, 346.
[76] Voir WS, 377 : « Ce contact des extrêmes fait loi dans la nature où éclatent à tout moment les coups de théâtre du sublime ».
[77] Voir Cho, 674 : « Cette unité, qu’est-ce ? C’est la noirceur, c’est la simplicité épouvantable, c’est l’immanence morte du gouffre, c’est le désert, c’est l’absence. Non. C’est la fourmilière des prodiges. C’est la Présence ».
[78] « Ce tumulte c’est l’harmonie » (WS, 336).
[79] Voir l’introduction de la deuxième partie, supra.
[80] Myriam Roman, Victor Hugo et le roman philosophique, op. cit.
[81] Pierre Macherey, « Autour de Victor Hugo : figures de l’homme d’en bas », dans À quoi pense la littérature ?, Paris, PUF, 1990, p. 93.
[82] Jacques Neefs, « Penser par la fiction (Les travailleurs de la mer) », dans J. Seebacher et A. Ubersfeld, Hugo le fabuleux, op. cit., p. 98-107.
[83] Jacques Neefs, « L’espace démocratique du roman », dans A. Ubersfeld et G. Rosa (dir.), Lire Les Misérables, Paris, José Corti, p. 89.
[84] Charles Ramond, « Hugo more geometrico », dans J. Seebacher et A. Ubersfeld (dir.), Hugo le fabuleux, op. cit., p. 125-139.
[85] Bernard Leuilliot, « la loi des tempêtes », dans J. Seebacher et A. Ubersfeld (dir.), Hugo le fabuleux, op. cit., p. 88.