Patrice Boivin : La religion des tables

Communication au Groupe Hugo du 20 mars 2010
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NDLR Cette communication a soulevé plusieurs réserves au cours de la discussion qui s'en est suivie. Voir le compte rendu de la séance.


Entre le 11 septembre 1853 et le 8 octobre 1855, Victor Hugo, alors en exil à Jersey depuis le 5 août 1852, se livre quasi quotidiennement à des séances spirites. Lors de celles-ci, il dialogue avec les esprits les plus illustres, Dante, Caïn, Shakespeare, Molière, Platon, Eschyle, Galilée… et les formes les plus abstraites comme l’Ombre du Sépulcre, la Critique, le Drame ou la Mort. Au total, plus d’une centaine d’esprits viendront, par leurs révélations, conforter Hugo dans les intuitions poétiques, philosophiques et métaphysiques qui sont les siennes. Ces entretiens sont scrupuleusement notés par les participants qui assistent aux séances des Tables. Le contenu des révélations s’avérera, en effet, une source directe d’influence des cinquième et sixième livres des Contemplations surtout,  mais aussi de certaines pièces de vers de l’Année terrible, de La Fin de Satan, des Quatre Vents de l’esprit, de La Légende des siècles, de Dieu ou encore de Toute la lyre.

Cependant, Hugo à Jersey, ce n’est peut-être pas seulement une intense période de création littéraire, c’est sans doute, avant tout, Hugo et les révélations de la Table. Ces deux éléments, création et révélation, demeurent cependant indissociables. Ils vont rapprocher Hugo de Dieu et donner naissance, à partir du mois d’avril 1854, et surtout au cours de 1855, à une nouvelle religion née directement des séances spirites. Le cahier inédit du Livre des Tables tenu par Hugo permet de suivre l’évolution de la religion hugolienne et le rôle tenu par Jésus-Christ lui-même.                                           

Au cours des années 1853 à 1855, la spiritualité de Victor Hugo, que l’on pourrait définir comme « la part de vie intérieure qui s’interroge sur le sens ultime des êtres et des choses, dans cette zone de l’esprit où l’intelligence côtoie la croyance et les ferments d’une foi en Dieu »,[1] va prendre un tour nouveau grâce à l’expérience décisive des Tables parlantes de Jersey. Il ne s’agit plus, pour Hugo, de prier ou de méditer mais de dialoguer avec les esprits de personnages, historiques, réels ou abstraits, venus lui rendre visite. Il s’agit alors d’un dialogue avec l’Au-delà, d’un dialogue qui le rapproche, un peu plus encore, de Dieu. Dieu devient « la représentation symbolique de l’horizon sublime vers lequel tend la poésie »[2] hugolienne.

 

 

L’Expérience spirite

Depuis le  11 décembre 1851, Victor Hugo est un exilé et, depuis le 5 août 1852, son exil a pris forme dans l’île anglo-normande de Jersey.

Cet exil, loin de nuire à l’épanouissement littéraire de Hugo, va au contraire contribuer à une intense période de créativité et à accroître bien plus encore la spiritualité du poète. Il ne faut pas oublier que Jersey est une île avant tout. L’exil que connaît Hugo constitue une période de retrait, un retrait lié à la proscription, à la distance qu’elle impose quant à la vie sociale et politique, sans oublier le contexte particulier de toute insularité. Comme Hugo l’écrira à Edmond About[3] le 23 décembre 1856 : « Un proscrit est une espèce de mort ; il peut donner presque des conseils d’outre-tombe. »[4] L’exil va ainsi permettre une sorte de spiritualisation de la vie de Hugo. Tout d’abord parce que le poète vit au bord de l’immensité de l’océan. L’omniprésence de celui-ci, et nous connaissons l’importance capitale de l’océan dans la méditation hugolienne, propulse Victor Hugo dans une rêverie infinie.

 

 J’habite dans cet immense rêve de l’océan, je deviens un peu un somnambule de la mer et je finis par ne plus être qu’une espèce de témoin de Dieu. »,[5] écrit-il, le 10 avril 1856, de Guernesey cette fois, à Franz Stevens.[6]

 

Plus tard, le 19 juillet 1860, c’est à Baudelaire, qui vient de lui adresser ses Paradis artificiels, que Hugo confie : « Je passe ma vie à boire ce haschich qu’on appelle l’azur et cet opium qu’on appelle l’ombre. [7]

Dans ces deux éléments que sont « l’azur » et « l’ombre », il est possible de discerner l’océan et la Table, la Bouche d’ombre telle que la nommait Hugo.

En effet, l’expérience des séances spirites auxquelles va se livrer Hugo à Jersey, va permettre de le rapprocher chaque jour davantage de cet océan d’en haut, de l’immatérialité du ciel, de l’au-delà et de Dieu. L’exil de Hugo va ainsi devenir métaphysique avant tout. Claude Roy, dans une préface à La Légende des siècles,[8] note que Hugo a été consacré par Dieu comme le fondateur d’une nouvelle Église. Le parcours du poète est en effet marqué par « l’élection par le malheur », c'est-à-dire le deuil et l’exil, et par « l’annonciation par la visitation », c'est-à-dire les Tables parlantes.

Comme les Chimères de Gérard de Nerval, parues, la même année,[9] « inaugur[aient] dans la poésie française une poésie des gouffres », les Tables inaugurent une nouvelle forme d’inspiration, celle de la Bouche d’ombre qui devient « une plongée dans la face cachée du monde », d’un monde invisible, d’un monde intermédiaire, entre les vivants et les morts, celui des esprits. « Par delà la disproportion des deux œuvres, Les Contemplations et Les Chimères se rejoignent ainsi dans une inspiration visionnaire et mystique ».[10]

 

La tragédie de la mort de Léopoldine n’avait pas vraiment affecté Hugo dans sa ferveur mystique. Hugo vivait sa souffrance comme une blessure le reliant à l’au-delà, une forme de connaissance supérieure à toute autre ; une sorte de communication, déjà, avec l’invisible. Léopoldine étant en quelque sorte entrée dans l’invisible, Hugo n’avait plus qu’à essayer d’en étudier et d’en délimiter les frontières et l’espace.  La mort de sa fille réactivait une idée présente dans les Rayons et les Ombres : « L’habitude de penser donne la facilité de consoler ; car à travers ce qui se déchire en nous [ses propres souffrances personnelles] on entrevoit Dieu, et quand il aurait pleuré, on méditerait. »[11]

 Ainsi, l’idée de la connaissance, par la souffrance ou grâce à elle, occupe-t-elle l’esprit de Hugo à partir de la mort de Léopoldine. Dès le 23 septembre 1843, Hugo écrivait à Edouard Thierry[12] :

 

La mort a des révélations ; les grands coups qui ouvrent le cœur ouvrent aussi l’esprit ; la lumière pénètre en nous en même temps que la douleur. Quant à moi, je crois, j’attends une autre vie. Comment n’y croirais-je pas ? Ma fille était une âme. [13]

 

 La prédisposition de Hugo quant à  cette « autre vie » va donc lever tout doute et toute barrière lorsque l’esprit de Léopoldine, le premier d’une liste prestigieuse, se présentera le 11 septembre 1853, à la table de Marine-Terrace.

Quelques mots suffiront pour convaincre Victor Hugo de la réalité de la survie de l’âme après la mort et de l’existence des esprits.

La certitude que les esprits des morts peuvent entrer en contact avec les vivants et que les vivants peuvent entrer en contact avec l’au-delà est cependant bien antérieure à l’expérience troublante et décisive des Tables. Elle s’est développée et renforcée après les deuils successifs vécus par Hugo, notamment celui de Léopoldine mais aussi celui de la fille de Juliette Drouet, Claire Pradier, comme en témoigne la lettre écrite par Hugo à Juliette Drouet, le 31 décembre 1853 :

 

Ce paradis que je rêve et que j’entrevois, nous y avons déjà des anges : ta fille y resplendit, la mienne y rayonne. Ces doux êtres prient dans l’azur, tandis que nous prions dans les ténèbres ; ils élèvent leurs ailes, tandis que nous joignons nos mains ; ils sont avec Dieu, tandis que nous sommes dans la douleur. [14]

 

La visite de Léopoldine, ce soir du 11 septembre 1853, à la table de Marine-Terrace, répond ainsi à l’attente de Victor Hugo, telle qu’en témoigne également la lettre qu’il écrivait, de Paris, à sa femme Adèle, restée à Villequier pour l’anniversaire de la mort de Léopoldine, le 4 septembre 1845 : « Tu sais comme j’ai la religion de la prière. Il me semble impossible que la prière se perde. Nous sommes dans le mystère. La différence entre les vivants et les âmes, c’est que les vivants sont aveugles, les âmes voient. La prière va droit à elles. »[15]

Hugo a toujours été convaincu de l’existence de l’âme, forme de présence de l’esprit divin en l’homme, dont le retour à Dieu passe par la nécessité de l’expiation. « Si je ne croyais pas à l’âme, je ne vivrais pas une heure de plus », déclarera  Hugo à la mort de son fils Charles.

A l’image de Balzac dans le Discours sur l’Immortalité de l’âme, Hugo discerne dans la prière comme « une poésie de la religion » mais aussi une forme de pensée qui permet de s’élever jusqu’à Dieu. Balzac précisait également dans le Traité de la prière que celle-ci était « le rapport particulier de l’homme à Dieu. » La prière institue ainsi un rapport vertical qui permet aux hommes de s’élever jusqu’à Dieu.

A Marine-Terrace, ce rapport vertical s’inverse en quelque sorte, ce sont les esprits qui prennent la forme de la prière et qui transmettent aux hommes la voix de l’au-delà. Par cette voix venue de l’infini, l’homme peut s’interroger sur les desseins divins et même les interroger directement.

La terrible souffrance née de la mort de Léopoldine ouvre donc une porte à Hugo afin d’entrouvrir sa connaissance de l’invisible. La visite de sa fille lui permettra de s’y engouffrer corps et âme.

Cette approche de l’invisible commence par une assimilation de la Bible. Hugo a une connaissance intime et ancienne de la Bible.[16] Cette connaissance s’est encore approfondie, en 1846, par une relecture complète de celle-ci. Cette relecture correspondait à une nécessité intérieure après la mort de Léopoldine mais aussi à un contexte de redécouverte de la poésie biblique comme en témoignent les œuvres de Lamartine, La Chute d’un ange, ou de Vigny, Poèmes antiques et modernes.

Hugo ne se contente pas de lire la Bible, il lit aussi le Coran[17] et en retient l’idée que « l’homme est de toutes parts environné de Dieu. »[18] Cette connaissance de la Bible et du Coran, liée aux révélations de la Table, nourrira plus tard les épopées métaphysiques présentes dans Dieu et La Fin de Satan.

A cette connaissance des textes sacrés s’ajoutent de nombreux livres d’histoire des religions, présents dans la bibliothèque de Hauteville-House[19] et des ouvrages de théories occultistes. Hugo ne fait, en effet, pas de distinction entre sciences exactes et sciences occultes, le surnaturel, comme il le rappelle un jour à son fils François-Victor, dubitatif quant à la réalité du phénomène spirite, fait partie intégrante de la nature :

 

Pourquoi trouver surnaturel ce qui est naturel. Pour moi, le surnaturel n’existe pas : il n’y a que la nature. Oui, il est naturel que les esprits existent ![20]

 

Tout ce qui peut représenter une voie d’accès à l’invisible intéresse Hugo qui lit ou fréquente les occultistes les plus réputés de son temps : Eugène Nus de 1836 à 1852, Alexandre Weill, célèbre kabaliste de l’époque qui a retracé leurs conversations dans ses Mémoires, Allan Kardec, dans Le Livre des esprits notamment, Du Potel à travers La Magie dévoilée ou Comment l’esprit vient aux tables d’Alcide Morin. En ce milieu du XIX siècle, les sciences occultes parlent à l’imagination comme une poésie.

L’occulte, au XIX siècle, devient la modernité et débarrasse, sans le vouloir, le christianisme dont on se détache puisqu’il ne dit plus la vérité. L’exigence de vérité humaine et la quête de la foi ont donc leur définition d’origine dans l’occulte puisque l’occulte consiste à croire qu’il y a un secret et qu’on pourrait le trouver. 

Les occultistes, notamment Weill, et Hugo ont en commun l’idée que Dieu est âme et en aucun cas matière, que la matière est même l’absence de Dieu. C’est la justification du mal. L’idée que sans l’existence du mal, ou du moins sa possibilité, l’homme ne serait pas parvenu à la conscience de soi, à la faculté de créer, à la liberté, se retrouve dans La Fin de Satan. Une autre idée, capitale dans la pensée hugolienne, est celle des mages, des prophètes, des poètes visionnaires et éclairés qui tireront l’humanité de l’ignorance. Il est des hommes élus de Dieu.

Le mardi 13 septembre 1853, l’Ombre du Sépulcre l’avait affirmé à la Table de Marine-Terrace, les esprits venaient ici car « il y a des voyants », ajoutant, en s’adressant directement à Victor Hugo : « Tu as une clé d’une porte du fermé. »

Le jeudi 8 décembre au soir, Hugo aura une longue conversation avec Moïse qui fera des révélations capitales à toute la famille Hugo :

 

Dieu parle éternellement à l’homme par la voix des révélations. La première révélation a été la nature, la seconde a été la conscience, la troisième a été le miracle. Quand la conscience et la nature ne sont plus écoutées, le miracle parle. La vérité absolue n’apparaît à l’homme qu’après la mort.

 

Moïse ajoutera que les révélations ne se font entendre par les voix qu’à certaines époques.

Dès le début de l’année 1854, Luther viendra confirmer les enseignements de l’Ombre du sépulcre en déclarant : « La parole de Dieu choisit certains esprits. » 

Le vendredi 13 janvier 1854, Shakespeare lèvera les ultimes doutes de Hugo, si tant est qu’il en ait jamais eu, en affirmant : « Vous êtes choisis. »

Les révélations des Tables, vont alors contribuer à élargir la manière dont Hugo conçoit la vie spirituelle.

Le lundi 29 décembre 1853, Hugo s’entretenait déjà avec Mahomet à propos des trois religions en lutte : la religion catholique, la religion grecque et la religion de Mahomet.

Mahomet prophétisait la disparition des religions instituées :

 

La religion catholique est le rempart de la nuit. La religion grecque est la forteresse de la neige. La religion de Mahomet est la muraille de la chair. Aucune ne doit durer. 

 

A partir de cette date, va peu à peu se construire une religion nouvelle prônée par les Tables qui fait de Hugo un nouveau prophète. Il s’agit d’un christianisme élargi par la métempsycose. Le point central de cette religion nouvelle est l’affirmation de l’existence et de l’omniprésence des âmes dans le monde terrestre. Des âmes conscientes habitent les pierres, les végétaux, les animaux, les hommes et les astres.

Dès le mois d’août 1852, Victor Hugo exposait à sa fille Adèle[21] le système entrevu par lui de l’échelle des êtres et du châtiment universel « depuis la pierre où commence la vie minérale, jusqu’au singe où se termine la vie animale ».[22] Le 27 septembre 1852, Hugo complétait son système en évoquant les étapes intermédiaires entre la pierre et le singe : le mollusque, l’huître, le poisson, l’oiseau, le chat, le chien. Cette échelle des êtres se poursuivait ensuite de l’homme jusqu’à Dieu le long « d’une échelle invisible et infinie, où chaque esprit monte dans l’Eternité ».[23]

Le premier esprit animal à se présenter à la table de Marine-Terrace, l’Ânesse de Balaam, confortait Hugo dans ses intuitions en révélant, le 27 décembre 1853, que les animaux et les plantes contenaient des âmes damnées expiant leurs fautes.

Le lion d’Androclès[24] fut le second représentant du règne animal à venir à la Table. Il viendra dix-huit fois au total, jusqu’au 26 septembre 1854.* L’ampleur de ses révélations, la qualité des vers dictés par lui en font un esprit majeur. Le vendredi 19 mai 1854, le lion d’Androclès résumait l’échelle des âmes damnées passant d’un corps et d’un astre à l’autre :

 

Vous tous, êtres punis dont les douleurs sont lentes,                                           *

Arbres, épis, roseaux, pauvres petites plantes

    Dont j’entends la clameur,

Fleurs, graines que répand dans les sillons funèbres

Cet autre fossoyeur qui vient dans les ténèbres

    Et qu’on nomme semeur,

Infiniment petits sortis d’énormes crimes,

Monstres du genre humain devenus ses victimes,

    Ombres du firmament,

Brins d’herbe, que Dieu seul au jour de la clémence,

Pourra déraciner avec son bras immense

    Du granit-châtiment !

Elevez vos regards vers le ciel, voici l’heure ;

Ces astres, ô cailloux, seront votre demeure,

    Pour vous ils sont vermeils […][25]

 

Auparavant, dès le 3 février 1854, les esprits les plus illustres, à commencer par  Luther, vont venir indiquer à Hugo quelle est la place réelle de l’homme dans l’échelle des êtres :

 

Le bruit de [la voix de Dieu],  c’est le tonnerre, c’est l’océan, c’est le vent. L’homme est le passager épouvanté. La vie est l’arche égarée. Dieu alors adoucit sa voix. Il fait taire la foudre, la mer et la tempête. Et tandis que le nautonnier [26] humanité  se désespère dans l’arche, il lui fait rendre l’espérance par les animaux. La colombe sauve Noë. L’âne sauve Balaam. Le lion sauve Androclès. Le pigeon inspire Mahomet. Le langage divin prend encore une autre forme. L’homme est placé entre la bête et l’ange. Il a une oreille ouverte du côté de la terre et une oreille ouverte du côté du ciel. Quand la bête se tait, l’ange parle. Mais c’est toujours l’ange. La bête est l’ange déguisé.[27]

 

Le 7 février suivant, Eschyle à son tour précise à Hugo que les hommes vivent dans des mondes intermédiaires, des mondes punis où ils doivent expier leurs fautes :

 

Dans les mondes punis, dans le monde où vous êtes, les êtres animés, les hommes et les bêtes, sont tous des condamnés et sont tous des bourreaux.[28]

 

Les esprits les plus différents vont ensuite se succéder pour convaincre Hugo de ce principe de métempsycose. La Métempsycose elle-même exposera ce qu’elle est :

 

Je suis l’idée éternelle. Je suis le vrai. Seulement je me complète par le moi. Je prends l’homme et j’en fais la chose. Je prends la chose et j’en fais l’homme. Je suis le pont de l’âme entre l’infini et le fini. Je suis le plus court chemin du caillou à Dieu.[29]

 

Josué, le 28 décembre 1854, indiquait encore que la moindre parcelle de vie se peuplait d’âmes et que chaque cellule de chaque être se composait de millions d’âmes.

Mais avant cette fin d’année 1854, Hugo avait eu le loisir d’interroger la Table sur cette éventualité que les animaux puissent avoir une âme :

 

Je me suis demandé s’il n’était pas possible que les animaux vissent ce que nous ne voyons pas, et si ce n’était pas là une de leurs compensations. Cette idée m’est arrivée en entendant aboyer les chiens la nuit sur la terrasse déserte à une heure où il ne passe personne. Je me disais : l’homme pense, mais il ne voit pas, les animaux ne pensent pas, mais ils voient. C’est de cette façon que s’établit devant Dieu l’équilibre de l’incomplet.[30]

 

L’esprit du Drame consentit à éclairer Hugo, le confortant dans les intuitions qui étaient les siennes :

 

Il est des compensations mystérieuses aux maux mystérieux. Les animaux sont des prisons d’âmes. Ils sont percés de fenêtres ouvertes sur l’infini, mais basses et étroites, et traversées de barreaux énormes. L’ombre tombe des barreaux et la lumière descend du soupirail. L’animal voit l’homme, et entrevoit l’ange. Le regard de la bête a un bout de ses cils dans la matière et l’autre dans l’idéal. L’œil d’un chien qu’on fouette voit sourire les anges. L’aboiement est le bégaiement que comprend le grand sourd-muet. Le rugissement et le vagissement qu’entend le grand-père silencieux. Le mot que dit l’homme contient la moitié de la prière ; la voix de l’animal contient l’autre moitié. La terre est pleine d’oreilles ; pour une seule bouche il y a deux oreilles, la première est la pardonnante et la seconde est la punissante. Les animaux, les fleurs, les pierres sont entre l’homme qui ne voit pas leur âme et Dieu dont ils entrevoient la face, de sorte que lorsque la nuit est tombée, de toutes parts des antres, des nids, des bois, des flots, des ténèbres, il s’élève un immense bruit ; c’est la prière des gueules, des becs, des nageoires, des prisons, des cachots, des oubliettes, des paupières qui pleurent toujours et qu’on n’essuie jamais. Dieu dit : je vous entends ; et le lion prend patience, et l’oiseau dort mieux, et le chien jappe sur la robe des anges : pardon est le seul mot de la langue humaine qui soit épelé par les bêtes. […] Il n’y a pas que le rosier qui contienne des âmes. Pourquoi vous poètes, parlez-vous avec amour des roses et des papillons, et jamais des chardons, des champignons vénéneux, des crapauds, des limaces, des chenilles, des mouches, des vers, des acarus,[31] des vermines, des infusoires, assurément ce sont-là des êtres malheureux ; et les cailloux, et les coquillages donc ! Pourquoi ne parlez-vous pas des punaises ? Des puces ? Des poux ? Des scolopendres ? Des scorpions ? Des cancrelats ? Des cloportes ? Des crabes ? Des homards ? Des oies ? Pourquoi ne plaignez-vous pas les souffrances des êtres immondes ? Pourquoi ne plaignez vous pas les tortures des infiniment petits ? Condamnés à être l’excrément de l’infiniment grand ? Pourquoi plaignez-vous Latude et ne plaignez-vous pas sa souris ? Pourquoi plaignez-vous Pelisson[32] et ne plaignez-vous pas son araignée ? Pourquoi plaignez-vous les esclaves que les romains jetaient aux murènes et ne plaignez-vous pas les murènes ? Pourquoi plaignez-vous les chrétiens du cirque et ne plaignez-vous pas les bêtes ? Pourquoi plaignez-vous Job[33] et ne plaignez-vous pas sa lèpre ? Pourquoi plaignez-vous ce qui est gracieux dans la souffrance et ne plaignez-vous pas ce qui est difforme dans l’expiation ? Pourquoi avez-vous de la pitié pour la matière organisée et non pour la matière brute ? L’une et l’autre sont à plaindre ; le fer souffre, le bronze souffre, le poignard souffre, le canon souffre, le couteau de la guillotine souffre,[34] vous plaignez Jeanne d’Arc, plaignez aussi son bûcher. Vous plaignez Socrate, plaignez aussi la cigüe. Vous plaignez Jésus-Christ, plaignez aussi la croix. Faites désormais vos livres avec ce sentiment.[35]

 

Fort de l’affirmation de l’existence de l’âme à toutes les échelles de la création, le Drame passera alors une commande précise à Hugo :

 

Je te demande formellement des vers sur les souffrances des instruments de torture et des quatre clous de Jésus-Christ.[36]

 

Hugo lui demanda aussitôt s’il connaissait sa production poétique :

 

Connais-tu les vers que j’ai fait ce matin dans l’ordre d’idées dont tu me parles ; notamment deux vers sur les champignons, et d’autres vers plus anciens sur les quatre clous de Jésus-Christ ?[37]

 

Le Drame n’ignorait pas les pièces de Hugo mais se montrait encore plus exigeant :

 

Je ne parle pas de ce sentiment vague qu’ont eu les poëtes de la vie universelle, que tu as eu, toi-même, dans tant de pages et surtout dans Sunt lacrymae rerum,[38] où tu as plaint les canons. Je parle de la vie des bêtes, des fleurs, des pierres, comme je parlerais de la tienne. J’affirme, je prouve et je commande des vers aux poëtes comme je commanderais à mes valets. Je veux qu’après avoir réhabilité la beauté dans Marion et la laideur dans Triboulet, tu réhabilites le malheur dans le crapaud et le désespoir dans le chardon. Je veux que dans cette maison, on parle des tigres avec pitié et des vermisseaux avec respect. Je veux que désormais tu parles de la douceur des loups, de la gentillesse des léopards et de la faiblesse des lions. [39]

 

Hugo ne se dérobera pas car un refus aurait pu être interprété comme une négation globale du message spirite et une remise en cause de la valeur de ses propres intuitions. Le 19 septembre 1854, la commande est en partie exécutée :

 

L’être qui se nomme l’Ombre du Sépulcre m’a dit de finir mon œuvre commencée, l’être qui se nomme l’Idée [ici Hugo se trompe sur l’identité de l’esprit, il s’agit en réalité du Drame mais pour lui le problème de l’identité ne se pose pas] a été plus loin encore et m’a « ordonné » des vers appelant la pitié sur les êtres captifs et punis qui composent ce qui semble aux non-croyants la nature morte. J’ai obéi. J’ai fait les vers que l’Idée me demandait ; ils ne sont pas encore complètement achevés.[40]

 

 Six jours auparavant, Hugo venait en effet de mettre le point final au développement sur lequel se termine « Ce que dit la bouche d’ombre », mais effectivement le poème n’était pas encore « complètement achevé ».  

Au mois de mai 1854, Shakespeare dictera un drame inédit qui s’arrête, le 28 mai, sur un étrange dialogue entre les quatre clous de son cercueil et le cadavre de Louis XV. L’influence des révélations des Tables dans le thème de ce drame est manifeste. La question posée est celle du crime et du châtiment qui interviennent du ciel jusqu’au tombeau et mettent en avant la question de la métempsycose. Toutes les choses inanimées parlent ici : les étoiles, la pendule, l’alcôve, les fleurs, le plafond, les flambeaux, un bouton de rose, les meubles, la porte, la clé. Ils participent à l’action et sont des plus malheureux lorsqu’ils constatent qu’ils ne peuvent pas intervenir pour aider Nihila, personnage éponyme de ce drame.

Pendant ce temps, Hugo, qui n’assistait pas à ces séances, avait achevé quatre scènes d’une petite comédie de 368 vers : La Forêt mouillée (publiée en 1886 à la fin de l’édition originale du Théâtre en liberté[41]). Dans cette comédie, le personnage principal, Denarius, traverse une forêt après la pluie. Au cours de sa traversée, Denarius rencontre deux jeunes filles qu’il prend pour des déesses et tombe amoureux de la plus vulgaire. Dans ces différentes scènes, toutes les choses inanimées parlent elles aussi : les fleurs, les plantes, les insectes, les arbres, les pierres, une goutte d’eau, l’étang, un nuage, un âne… Le drame inachevé de Shakespeare et la comédie achevée de Hugo présentent bien des similitudes. Bien avant d’avoir composé sa comédie, Hugo avait fait dialoguer une épée, une lime, une borne du chemin, un tombeau, le vent, la justice, des animaux, un navire, le droit, la raison, la poésie… dans deux poèmes des Châtiments : « Le Bord de la mer »[42] et « Tout s’en va ».[43] Dès le 17 novembre 1853, les «Voix dans le grenier »[44] faisaient dialoguer, dans un inventaire à la Prévert avant l’heure, un habit râpé, une chaise dépaillée, un poêle froid, un verre plein d’eau, une soucoupe pleine de poussière, une écuelle de bois, un carreau cassé, un gousset vide, un lit de sangle, une écritoire, un papier timbré, un miroir fêlé, un escabeau boiteux, une semelle percée, un ciel bleu, le trou de la serrure et un plafond troué comme dans « Nihila »…  Bien d’autres poèmes feront encore dialoguer des choses inanimées. Dans « Susurrant voces »,[45] écrit le 9 décembre 1853, ce sont la cheminée, la vitre, la montre, un vieux clou rouillé dans la cloison, un volume d’André Chénier ouvert sur la table, une bouteille, le bonheur, la porte, le coffre, le mur, le lit, l’oreiller, la chandelle, la tranche de jambon, la table, le pupitre, un tome dépareillé de Bossuet, une pantoufle, une savate, un buste sur la cheminée qui dialoguent. Dans « Abîme »,[46] composé le 26 novembre 1853, ce sont les planètes qui conversent avec l’homme dans une échelle qui va jusqu’à Dieu. Dans l’Epilogue de « Dans l’ombre » dans L'Année terrible, rédigé le 29 décembre 1853, il s’agit cette fois d’un dialogue entre le vieux monde et le flot.

Charles Hugo nuancera plus tard le caractère de révélation du raisonnement des Tables en affirmant :

 

Il n’y a rien de neuf sous le ciel, pas même les choses les plus neuves. Le critique le plus fort, l’esprit le plus profond n’a rien découvert d’absolument nouveau. Les Tables parlent de l’âme des animaux. […] Depuis le commencement du monde c’est une chose qui a constamment été mise en question. Il y a eu des gens qui ont dit : Les animaux n’ont pas d’âme. Il y a eu d’autres gens qui ont dit : les animaux ont une âme. Lamartine a attribué une âme au chien de Jocelyn. Dans un petit livre qui est ici, Geneviève de Lamartine, la même idée se retrouve à propos d’un oiseau.

 

Cette intuition sur la possibilité que les plantes et les animaux puissent avoir une âme remonte, en effet, à bien des années auparavant. Dans la Légende du beau Pécopin et de la belle Bauldour,[47] publiée en 1842, Hugo médite « cueillant de temps en temps, pour en aspirer l’âme, une fleur sauvage »[48] et écrit déjà, par la voix de Zin-Eddin ou Evilmerodach[49] : « les pierres vivent, les plantes pensent et les animaux savent ».[50]

Hugo concédera cependant, avant la venue du Christ, que ce sont les révélations des Tables qui firent naître en lui ce raisonnement lié à l’âme des animaux :

 

La seule chose [jusqu’à présent] qu’aient les Tables que je n’ai pas absolument affirmé dans le livre inédit que je veux faire paraître, c’est l’âme des animaux, et encore ai-je fait de ceci un chapitre à part. Quant à cette idée de l’âme de l’animal, je l’ai eue très longtemps. Du reste, le monde l’a aussi depuis très longtemps. La mythologie a les dryades, les Hamadryades. Pour l’âme des animaux, dans les Mille et Une Nuits il y a les deux sœurs changées en chameaux. [51]

 

Ces propos de Hugo, tenus au lendemain de la séance du 27 décembre 1853, marquée par les révélations de l’Ânesse de Balaam, se voulaient le rappel que, dès le mois d’août 1852, il exposait à sa fille Adèle[52] le système entrevu par lui de l’échelle des êtres et du châtiment universel. Pourtant, ce même soir du 27 décembre 1853, Madame Hugo entrait en contradiction avec les affirmations de son mari : « Ce que tu nous dis (en s’adressant à l’Ânesse de Balaam) des destinées de l’homme est ce que mon mari pense et dit depuis longtemps sauf ce qui touche les animaux et les plantes, à l’âme desquels mon mari ne croyait pas. »[53]

Néanmoins, huit mois plus tard, le 22 août 1854, Hugo oubliera ce qu’il confiait à son fils Charles, en décembre 1853, en affirmant : « Je suis le premier dans ce siècle-ci qui ai parlé non seulement de l’âme des animaux, mais de l’âme des choses. »[54]

Ses convictions ne restaient pas lettre morte et se voyaient suivies d’effets immédiats puisqu’en mai 1854, Hugo notait dans Choses vues[55] : « Mes choux, reconnaissants, me récompensent de ne pas les avoir mangés en remplissant mon horizon de fleurs jaunes ».

 

Une religion nouvelle dictée par le Christ

 

Mais auparavant, le 22 mars 1854, Jésus-Christ était longuement intervenu à la Table de Marine-Terrace. Le Christ venait tourner la page du druidisme et du christianisme et transmettre à Hugo le soin de conduire une nouvelle religion. Son discours s’achevait ainsi :

 

L’enfer n’est pas. Le paradis est l’état normal du ciel ; les ténèbres sont des apparences ; la nuit est une illusion des étoiles, le gouffre Dieu est plein de colombes et non de corbeaux. L’immensité a des entrailles de mère ; les soleils sont pleins de pitié pour les souffrances, et le ciel a des larmes plein ses étoiles. Ô hommes, tout aime. Ô bêtes, tout aime. Ô plantes, tout aime. Ô pierres, tout aime. Ô mondes, tout aime. Le firmament, Ô vivants, est un pardon infranchissable, et maintenant mourez.[56]

 

A la suite de ces paroles, Hugo avait posé la question suivante :

 

Connais-tu des vers que j’ai faits il y a dix huit mois et terminés ces jours-ci et qui sont par le fond et par beaucoup de détails identiques à ceux que tu viens de nous dire. Il est arrivé plus d’une fois que les êtres mystérieux qui nous parlent par la Table nous ont dit connaître nos travaux. Dis-moi si tu as connaissance de ces vers.[57]

 

Les vers dont parle Hugo sont ceux du poème « Solitudines Coeli » et ils correspondent en de nombreux points aux révélations du Christ. Pourtant ils ont été écrits pendant l’hiver 1853-1854. (Nous y reviendrons.)

A partir du milieu du mois de juin 1854, Hugo annonce ainsi une religion qui « englobera le christianisme, en l’élargissant, comme le christianisme avait englobé le paganisme ».[58] Le 3 juillet suivant, lors d’une séance où intervient l’Idée, Auguste Vacquerie lui demandera « des éclaircissements » avant de résumer cette religion nouvelle prônée par les Tables :

 

Par ce mot amour, les Tables contiennent le christianisme. Elles l’élargissent en élargissant l’amour ; Elles donnent une âme aux bêtes et aux cailloux ; dès lors, notre famille s’étend, le chien est notre camarade d’exil, l’arbre est notre prochain, le caillou est notre frère. Un immense flot de tendresse et de pitié se répand des yeux humains sur toutes choses ; l’homme ouvre les bras et serre sur son cœur centuplé toute la création.

Les Tables ajoutent au christianisme la pensée. On n’est plus forcé de croire. La révélation ne s’impose plus, elle autorise, elle sollicite la discussion. Que l’homme pense ce qu’il pourra, pourvu qu’il pense. La foi ouvre un battant de la porte du Paradis et le doute ouvre l’autre.

 Mais il y a surtout deux côtés par où les Tables agrandissent l’Evangile. Premièrement, l’homme ne commence plus sur cette terre. Il y expie des fautes commises par lui dans une existence antérieure. Donc, nous ne souffrons plus pour le crime d’un autre, les générations ne sont plus coupables parce qu’Adam a fait le mal. Dieu redevient juste. Deuxièmement, les peines ne sont plus éternelles. Point de passé monstrueux, point de charges de crimes aggravées, accumulées dans mille existences précédentes, point de montagne de scélératesse, que le repentir et l’expiation ne puissent finir de soulever. Bossuet damnait Socrate, le Mystère ne damne pas Judas. La révélation des Tables s’encadre entre ces deux grandes lignes parallèles : affirmation de l’éternité des âmes, négation de l’éternité des peines.

Devant ce vaste renouvellement de l’Evangile, j’admire et je sens que vous contenez une plus grande vérité que toutes les religions.[59]

 

Ces âmes éternelles gravissent ainsi l’échelle des êtres entrevue par Hugo. Plus elles sont punies, plus elles sont prises dans la matière qui est le mal : « Nous pesons, et chacun descend selon son poids. », affirmera un vers de « Ce que dit la bouche d’ombre »[60] qui résume cette religion nouvelle de la métempsycose et de la rédemption. Descendues au plus bas de l’abîme, les âmes remontent et suivent un reflux de l’être qui conduit jusqu’à Dieu. « Au morcellement du Dieu, remarque Denis Saurat,[61] succède sa reconstitution ; les fragments épars sont rassemblés et reprennent leur unité. […] Pour Hugo, le but de Dieu, une fois les êtres créés, est de surmonter cet obstacle de la limitation qui est inhérente à la création même, et d’arriver ainsi à s’adjoindre des êtres séparés de lui, mais cependant purifiés. Autrement dit, d’élever enfin à son niveau des fragments de lui-même dont il s’est retiré pour les rendre indépendants, ce qui les a momentanément fait déchoir. »

Si l’histoire des hommes représente leurs efforts pour transformer l’enfer où ils vivent, sur terre, en paradis, l’humanité devient alors le siège du conflit entre, selon les termes de Hugo, « les satans et les christs ». Dans cette lutte, Jésus occupe une place à part, au dessus de tous. Les mages, « Christ en tête »,[62] sont conduits à l’assaut du ciel. « Jésus assume la mission de transfigurer Satan et de diviniser l’homme. Avec Jésus, l’homme se fait Dieu. Pour cela, la souffrance de l’homme est nécessaire à Dieu. C’est par la douleur, observe encore Denis Saurat,[63] que le mal peut redevenir le bien. Sans doute parce que la douleur brise le moi, rompt ainsi l’obstacle qui sépare l’âme de Dieu. ». Ainsi la souffrance, l’expiation, deviennent-elles les conditions nécessaires de l’ascension : « La douleur est utile. […] Du supplice qu’il faut subir sur les hauteurs ; c’est l’épreuve ; acceptons-la toute ! […] C’est ainsi qu’on devient sublime,/Et que l’on est de ceux dont l’esprit monte et luit. ».[64] Le retour de l’âme à Dieu se fait donc à la fois par le châtiment et l’élévation, par la chute dans la matière, l’animalité et les règnes inférieurs de la plante et des roches, puis par l’ascension vers les sphères célestes.

Mais à la fin de l’année 1854, le principal esprit à venir s’inviter à la Table de Marine-Terrace sera celui de la Mort. De septembre à novembre, la Mort éclairera le monde des vivants :

 

Vos morts sont votre moi et vous êtes le moi de vos morts. Vos morts ne sont pas autre chose qu’une parcelle de votre vie qui commence ailleurs. Leur tombe est une des faces de votre demeure et un des côtés de votre âme. Quand vous serez morts, vous deviendrez eux et ils resteront vous. Le corps n’est pas la forme de l’être mais la formule. De même que la langue est la formule de l’idée. Le corps varie à l’infini et s’évanouit ; l’être est un et immortel. La langue varie à l’infini et s’évanouit, l’idée est une et éternelle. Il y a des mondes où les idées vivent sans formule et où les êtres vivent sans corps. Le corps n’est que l’habit de  voyage de l’âme. On change de vêtement dans la tombe, le sépulcre est le vestiaire du Ciel. Les morts se reconnaissent à l’âme.[65]

 

Ces propos tenus par la Mort se retrouvent explicitement dans deux des derniers poèmes du  livre sixième des Contemplations: « Les Mages » et « Ce que dit la bouche d’ombre ». Les mages, ce sont tous ceux, prophètes, poètes, artistes, savants, ces penseurs, ces sages, qui ont révélé aux hommes un aspect de Dieu. De chacun d’eux part : « Un rayon qui de leur âme/Va jusqu’à l’œil de Jéhovah. »[66]

            Les mages, ce sont « les têtes fécondées » qui vont chercher la note humaine : « Dans les suprêmes symphonies/ Des grands abîmes étoilées ! »[67]

            Quant à « Ce que dit la bouche d’ombre », c’est l’exposé d’ensemble du système métaphysique de Victor Hugo, dont les vers doivent une grande partie de leur sens à la demande expresse des esprits de Marine-Terrace :

 

Pour être compris il a fallu expliquer. J’ai dû entrer dans le détail, détail qui contient ma pensée ancienne avec l’élargissement apporté par la révélation nouvelle.[68]

 

Cette note de Hugo veut ainsi rappeler aux esprits que, depuis « vingt cinq ans », il avait trouvé « par la seule méditation plusieurs des résultats qui composent aujourd’hui les révélations de la Table». Le souci de Hugo de revendiquer l’antériorité de son inspiration face aux propos de la Table sera constant.

La Mort l’incite alors à donner une dimension nouvelle à son œuvre et à sa vie :

 

Réveille-toi, viens faire ton autre œuvre.  Viens regarder l’inabordable, viens contempler l’invisible, viens trouver l’introuvable, viens franchir l’infranchissable, viens justifier l’injustifiable, viens réaliser le non-réel, viens prouver l’improuvable.  Tu as été le jour, viens être la nuit ; viens être l’ombre ; viens être les ténèbres ; viens être l’inconnu ; viens être l’impossible ; viens être le mystère ; viens être l’infini. Tu as été le visage, viens être le crâne ; tu as été le corps, viens être l’âme ; tu as été le vivant, viens être le fantôme. Viens mourir, viens ressusciter, viens créer, viens naître.[69]

 

Nous pouvons voir là comme une invite à passer de l’autre côté du miroir, à entrer dans la connaissance intime de Dieu, de l’infini et de l’au-delà. Un court poème des Contemplations, « Ce que c’est que la mort », reprend dans ses vers ces éléments thématiques et les termes mêmes dictés par la Mort : « Ne dites pas : mourir ; dites : naître. Croyez. »[70] Hugo doit devenir, selon les propres termes de la Mort, « le châtelain de l’immensité ». Il lui appartient de devenir le prophète de cette religion nouvelle qui est à la fois la continuation et le dépassement du christianisme. A propos du christianisme, la Préface de Cromwell, rédigée vingt-sept années plus tôt, en faisait déjà une « religion spiritualiste » :[71]

 

Et d’abord, pour premières vérités, elle enseigne à l’homme qu’il y a deux vies à vivre : l’une passagère, l’autre immortelle ; l’une de la terre, l’autre du ciel. Elle lui montre qu’il est double comme sa destinée, qu’il y a en lui un animal et une intelligence, une âme et un corps ; en un mot, qu’il est le point d’intersection, l’anneau commun de deux chaînes d’êtres qui embrassent la création, de la série des êtres matériels et de la série des êtres incorporels ; la première, partant de la pierre pour arriver à l’homme ; la seconde partant de l’homme pour finir à Dieu.[72]

 

La théorie des mages et la théologie nouvelle instituée à Jersey par Hugo prennent  donc leurs sources plus d’un quart de siècle plus tôt. Jésus-Christ lui-même, au cours de l’année 1855, dont les interventions sont transcrites dans le cahier inédit de 1855, invitera ensuite le poète à dépasser une certaine vision du christianisme, il lui appartient désormais de comprendre les propos du Christ et de réaliser le programme indiqué.

Le jeudi 22 mars 1855 au soir, trois fidèles des Tables se retrouveront pour une dernière visite de Jésus. Madame Hugo et Charles tiennent la Table. Hugo écrit. Le Christ affirme :

 

La révolution du tombeau, les Tables la feront ; elles proclameront le droit du fantôme ; elles affirmeront le droit du mort, le droit de la poussière du sépulcre. Les Tables seront le 1789 des archanges ; elles jetteront des vérités surnaturelles dans le vrai humain ; elles mêleront les atomes et les mondes, elles prouveront la fraternité des hommes avec les  bêtes ; l’égalité des plantes avec les pierres ;  la solidarité des pierres avec les étoiles.[73]

 

Le fait fondamental de tout le système politique, social, religieux, métaphysique, psychologique de Hugo, c’est qu’à partir de l’année 1855 s’élabore une nouvelle religion dont il se considère comme le dépositaire. Cette religion apporte à la connaissance du monde deux nouveautés : l’idée qu’il y a des âmes individuelles et conscientes dans toute chose, jusqu’aux plantes et aux pierres, et la conception d’un pardon universel qui ne laisse aucune faute sans possibilité de rachat, non plus possible mais inévitable et certain. Jésus-Christ vient détailler cette nouvelle religion, pour la première fois, en ce dimanche 11 février 1855. Selon le Christ, l’humanité doit être gouvernée successivement par trois grandes religions : le druidisme, le christianisme et « la vraie religion ». Deux de ces religions appartiennent au passé, la troisième sera celle de l’avenir. Le druidisme avait sacrifié l’homme au surnaturel, religion cruelle envers l’humanité, pour enseigner à l’humanité ce qu’est l’éternité : « Les druides sont la première religion de l’homme et la première explosion de l’âme dans le corps, […] ils assassinent l’homme à coups de Dieu ». Le christianisme « monte un degré sur la terre et en descend un dans le Ciel ». Le christianisme, selon Jésus donc, est encore une religion barbare parce qu’elle attribue à Dieu la cruauté de se venger des hommes par l’éternité du châtiment dans les supplices de l’enfer. « Le christianisme, c’est le corps heureux ici-bas et torturé là-haut ; c’est l’âme heureuse ici-bas et suppliciée là-haut. […] Le christianisme se compose de deux choses : l’amour et la haine. Il fait l’homme meilleur et Dieu pire. » La troisième religion dont Hugo devient le prophète « aime les haïs, elle sauve les perdus, […] elle dit à l’homme monstrueux : lève-toi jusqu’à la mort qui s’élève jusqu’à Dieu, […] elle dit aux animaux : animaux, levez-vous jusqu’à la mort qui se lève jusqu’à l’homme, […] elle dit aux plantes : plantes, levez-vous jusqu’à la mort qui se lève jusqu’à l’animal, […] elle dit aux pierres : pierres, levez-vous jusqu’à la mort qui se lève jusqu’à la plante. […] L’infini n’est l’infini que parce qu’il a la clémence. […] L’Evangile du passé a dit : les damnés, l’Evangile futur dira : les pardonnés ». Ainsi, le pardon universel devient la vraie religion. Elle corrige l’erreur terrible du christianisme : l’enfer. Le second point est révolutionnaire également, tous les êtres, jusqu’à la plante et la pierre, ont une âme.

Voilà donc définie la troisième religion, la vraie. Voilà donc le prophète désigné sans erreur possible par Jésus-Christ lui-même. Jésus-Christ, fondateur de la deuxième religion, vient de parler et de transmettre le relais à Hugo. Sa mission est terminée et Jésus remet le pouvoir aux mains du nouveau prophète en charge de conduire l’humanité vers le « quatre-vingt-neuf des archanges ».

Cependant, à la suite de cette longue intervention de Jésus-Christ qui eut lieu ce soir-là  et la question de Hugo, il est intéressant de faire un rapprochement entre les affirmations de la Table et certains vers de « Solitudines Coeli », selon le premier titre envisagé avant que ce gigantesque poème ne s’intitule « Dieu, l’Océan d’en haut ». Pourtant ils ont été écrits pendant l’hiver 1853-1854.

Ainsi, en 1855, la Table dit : « L’enfer n’est pas ».

Hugo dans « Solitudines Coeli » écrit : « L’enfer n’existe point ». (v. 3163)

La Table : « Les ténèbres sont des apparences, la nuit est une illusion des étoiles ».

Hugo : « Ô Ténèbres, sachez ceci : la nuit n’existe pas ». (v. 3554)

 La Table : « Ô soleils, il n’y a plus de soleils ! »

Hugo : « Les astres ne sont pas. Ces lueurs de tombeaux sont fausses. » (v. 3561-3562)

 La Table : « Ô hommes, il n’y a plus d’hommes ! Ô bêtes, il n’y a plus de bêtes ! Il n’y a que des âmes égales devant l’amour. »

 Hugo : « La matière n’est pas et l’âme seule existe. » (v. 3643)

 La Table : « Ô mondes, tout aime. »

 Hugo : « Dieu n’a qu’un front : Lumière ! et n’a qu’un nom : Amour ! » (v. 3658)

 Lorsque Hugo posait sa question à la Table, il s’agissait donc bien des vers de « Solitudines Coeli » dont il voulait parler. Mais pourquoi Hugo dit-il que ces vers ont été faits « il y a dix-huit mois » ? Cela signifierait alors qu’une grande partie de « Solitudines Coeli » daterait de l’hiver 1853-1854 et précéderait La Fin de Satan. Dans ce cas, la religion des Tables aurait été élaborée, en partie, avant les Tables. Avant les révélations des Tables. Une autre question se pose alors. Lorsque, dans la nuit du 1er au 2 mai, Hugo procède à la première lecture de « Solitudines Coeli » dans la salle de Marine Terrace, Adèle, qui en retranscrit le lendemain, dans son Journal, le ton, le thème et le plan, a-t-elle oublié qu’elle avait déjà entendu des bribes de ce poème, sous une autre forme, un an auparavant ? « Solitudines Coeli » aurait-il quelque lien avec La Fin de Satan dans le projet hugolien de faire Dieu ? Il ne faut pas oublier que Hugo voulait faire de « Solitudines Coeli » le couronnement des Contemplations. C’est l’intervention d’Auguste Vacquerie, rapportée par Adèle Hugo, dans son Journal, à la date du 2 mai 1855,[74] qui le fit changer d’avis : « M. Auguste conseille à mon père de publier ce poème séparément et non dans Les Contemplations. […] Mon père dit que c’est possible et qu’il est probable qu’il fera ce que M. Auguste lui conseille. » Par conséquent, achever Les Contemplations par « Solitudines Coeli », et non par « Ce que dit la bouche d’ombre », signifie que la religion hugolienne se serait élaborée avant les séances spirites, s’était consolidée grâce aux révélations des Tables et avait supplanté la religion des Tables en la dépassant comme elle avait dépassé le christianisme. Le pouvoir prophétique du poète dépassait la révélation spirite. Hugo devenait le Mage de sa propre religion. Au-delà de la dernière religion abordée dans « Solitudines Coeli », celle du poète, il reste cependant une étape à franchir, mais « dont les modalités restent inconnues et qu’une ligne de points noirs symbolise ».[75]

En cet été 1855, le poète se voit ainsi sommé par le Christ en personne, de s’affirmer comme le nouveau prophète capable d’élargir l’enseignement des évangiles à l’ensemble de la création. La foi de Hugo s’engage alors dans une voie mystique qui ne se refermera pas. Le poète s’implique entièrement dans l’exploration du mystère de l’infini et de l’au-delà : « Dieu n’a pas de verrous ; sa manière de se clore c’est d’être sans bornes ; sa muraille c’est l’illimité. » [76]

C’est à ce stade de son parcours spirituel que Hugo se fait photographier, par son fils Charles, dans une posture singulière, les yeux mi-clos dans une sorte de méditation extatique et de contemplation de l’infini, et qu’il légende de sa propre main le tirage photographique en ces termes : « Victor Hugo écoutant Dieu. »

En donnant la parole à la Bouche d’ombre, la Table de Marine-Terrace, la voix des esprits, mais aussi la Bouche d’ombre du dolmen de Rozel, le poète reconnaît le mystère et la réalité de l’au-delà. Il est devenu le médium, le prophète qui traduit, par son œuvre poétique, les révélations des esprits et des ténèbres : « L’ange devint l’esprit, et l’esprit devint l’homme. », affirmait l’Ombre du Sépulcre, le lundi 18 décembre 1854.[77]

Après le 8 octobre 1855, l’expérience des Tables prit fin. Il reste que la foi dans l’existence et la présence des esprits dans le monde des vivants ne quitta jamais Hugo jusqu’à sa mort.

Les carnets tenus par le poète à Guernesey montrent que Hugo est environné de bruits mystérieux qu’il interprète comme la présence manifeste des esprits censés expier leurs fautes : « Ô Dieu, ayez pitié de tous ceux qui souffrent, de tous ceux qui expient, de tous ceux qui ont failli et de tous ceux qui peuvent faillir sur cette terre et hors de cette terre. »,[78] écrit-il dans le premier agenda de Guernesey.

La certitude de l’existence de l’âme et de la survie de celle-ci sous une forme abstraite demeurera dans la pensée de Victor Hugo jusqu’à sa mort. Lorsqu’il remit, le 2 août 1883, à Auguste Vacquerie, les grandes lignes testamentaires qui constituaient ses dernières volontés pour le lendemain de sa mort, Hugo refusait l’oraison de toutes les Eglises, affirmait sa croyance en Dieu et demandait «  une prière à toutes les âmes ».

L’expérience des séances spirites fut vécue par Hugo comme un lien privilégié avec l’au-delà, un lien qui le rapprochait un peu plus de Dieu. Cette relation rappelle celle dont Olympio rêvait dans Le Tas de pierres : « La foule a les yeux faibles. […] Les dogmes et les pratiques sont des lunettes qui font voir l’étoile aux vues courtes. Moi, je vois Dieu à l’œil nu. »[79]

Le rejet des dogmes et des pratiques fait ainsi de la poésie le lieu privilégié de l’activité spirituelle du poète. La poésie lui permet d’affirmer son propos autant que son projet. Il conviendrait alors de lire la Préface des Contemplations, de 1856, selon un autre éclairage. Quand Hugo écrit : «  Ce livre doit être lu comme on lirait le livre d’un mort. », il faut peut-être comprendre le livre d’un esprit délivrant ce qui est à l’envers de la vie. La connaissance de l’invisible est donnée aux vivants par les esprits des morts car « Dieu donne aux morts les biens réels, les vrais royaumes. »[80] Le poète se place ainsi à mi-chemin entre les vivants, « les fantômes », et les morts : « C’est nous qui sommes les vivants ! ». Hugo accède au rôle de prophète venu délivrer la vraie parole. La poésie devient la mise en mots et en forme de la révélation divine transmise par les Tables : « Moi, je vais devant moi ; le poëte en tout lieu/Se sent chez lui, sentant qu’il est partout chez Dieu. »[81]

La religion que le poète fait sienne à partir de 1855, peut donc se résumer ainsi : métempsycose sur terre et transmigration sur des planètes plus ou moins heureuses, tels sont les deux principes majeurs de la nouvelle religion hugolienne. L’homme ne commence plus sur cette terre, il y expie des fautes commises par lui dans une existence antérieure. Les peines ne sont plus éternelles, l’enfer n’est plus. La religion des Tables s’articule ainsi autour de deux grandes lignes parallèles : affirmation de l’éternité des âmes et négation de l’éternité des peines.

 


 

A Jersey, les Tables, au seuil de l’invisible, dans une sorte de tête à tête avec Dieu, donnent un nouvel essor à la spiritualité hugolienne. La mise en forme de la religion des Tables se fera à travers les cinquième et sixième livres des Contemplations, notamment par l’avant-dernier poème du recueil : « Ce que dit la bouche d’ombre », et dans les vastes épopées que seront Dieu et la Fin de Satan. Ces trois œuvres poétiques montrent que l’expérience des séances spirites a été vécue par Hugo comme une relation fascinante avec l’au-delà mais prouvent aussi que les Tables sont autant source de vérités métaphysiques que d’une nouvelle écriture.

En cela, à Marine-Terrace, les Tables donnent naissance à une nouvelle religion, spirituelle autant que poétique. Ainsi à Jersey, Hugo s’est forgé « une religion poétique, une religion en poésie. »[82]

La religion des tables

[1] Emmanuel Godo, Victor Hugo et Dieu, Bibliographie d’une âme, Cerf, Paris, 2001, p.28.

[2] Ib.p. 30.

[3] Edmond About (1828-1885), journaliste politique et écrivain français, connut le succès avec un recueil de nouvelles inspirées des peintures de mœurs de Balzac. Ses vives opinions anticléricales ne l’empêchèrent pas d’être élu à l’Académie française en 1884, un an avant sa mort qui accompagna celle de son ami Hugo.

[4] Victor Hugo, Œuvres complètes, sous la direction de Jean Massin, Tome X, p. 1561, Le Cercle français du livre, Paris, 1967-1969.

[5] Ibid. t. X, p. 1557.

[6] Franz Stevens : (1831-1858) poète belge mort à 27 ans ; entré en contact avec Hugo le 4 janvier 1852 en lui dédiant un poème publié dans la revue : « Sancho, Journal du dimanche, Revue des hommes et des choses. » Poème daté du 1er janvier 1852, il n’y a pas un mois que Hugo est en Belgique.

[7] Victor Hugo, Œuvres complètes, op.cit., t. XII, p.1641.

[8] Librairie générale française, Le Livre de poche, 1968.

[9] Les Chimères paraissent en 1854, l’année la plus riche en séances spirites.

[10] La littérature française : dynamique et histoire II, M. Delon, F. Mélonio, B. Marchal et J. Noiray, A.              Compagnon, Folio essais, Gallimard, 2007.

[11]Préface, 4 mai 1840.

[12] Édouard Thierry : (1813-1894) critique d’art dramatique et littéraire, conservateur de la Bibliothèque de l’Arsenal, administrateur de la Comédie française.

[13] Victor Hugo, Œuvres complètes, Ibid. t. VII, p. 1301.

[14] Ib. t. IX, p. 1116.

[15] Ib. t.VII, p. 1313.

[16] Voir l’étude de Claudius Grillet La Bible dans Victor Hugo d’après de nombreux tableaux de concordance, Paris, Librairie catholique E. Vitte, 1910.

[17] Hugo lit le Koran en 1846 dans une traduction de Kasimirski révisée par Guillaume Pauthier publiée chez Charpentier en 1840. Hugo possède aussi les Livres sacrés de l’Orient.

[18] Ibid. édition Massin,  t. VII, Le Koran, Choses de la Bible, p. 427-428.

[19] L’étude de la bibliothèque de Hauteville-House, à Guernesey, a été menée par Jean-Paul Barrère, dans deux articles de la Revue d’histoire littéraire de la France ; en octobre-décembre 1951 (p. 441-455) et en janvier-mars 1952 (p. 48-72). Il montre, selon E. Godo, que Hugo « grappille et lit des livres qu’on ne lit pas ».

[20] Journal d’Adèle Hugo, t. II, 1853, édition de J.M. Hovasse, Bibliothèque introuvable, Lettres modernes Minard, Paris-Caen, 2002.

[21] Le Journal d’Adèle Hugo, t. I, 17 août 1852.

[22] Ibid.

[23] Ib.

[24] Le lion d’Androclès : Androclès (Ier siècle) était un esclave romain fugitif. Il rencontra en Afrique un lion blessé à la patte, le soigna et devint son ami. Repris, il fut jeté aux fauves dans l’arène du Colisée à Rome. Le lion qui devait le dévorer se trouva être celui qu’Androclès avait soigné. Le lion le reconnut et se coucha à ses pieds. Cet épisode est rapporté par Aulu-Gelle, dans Nuits attiques (IIe siècle) mais aussi par Elien et Sénèque. L’origine du poème dont il est le héros éponyme se trouve dans les séances des tables du 17 février 1854 où Le Lion d’Androclès demanda que Victor Hugo lui adressât des vers. Le 18, Hugo écrivait « Androclès ». (Le lendemain, 18 février 1854, Victor Hugo écrit « Androclès » (Les Quatre Vents de l’esprit, III, 15) et termine « Océan » (La Légende des siècles, III, XXII, xli de l’édition définitive). Dans « Androclès », Hugo s’identifie au lion et ne parle de lui que pour le comparer à l’exil. Le 28 février, Hugo écrira « Au Lion d’Androclès », en réponse au message de celui-ci lors de la séance du 17 février. Ce poème figurera dans la Première Série de La Légende des Siècles.

Entre le 24 mars et le 6 août 1854, le lion d’Androclès dictera une quarantaine de strophes complexes, des sizains hétérométriques composés de deux fois deux alexandrins suivis d’un hexasyllabe.

[25] Séance du vendredi 19 mai 1854.

[26] Nautonier : « Celui qui conduit un navire. Dans les horreurs de l’orage, le nautonier effrayé dit un adieu éternel aux flots ; mais, aussitôt que la mer est un peu apaisée, il se rembarque. » (Littré) Hugo incarne cette figure du nautonier qui conduit l’humanité du fond de son exil. La voix des Tables le confirme dans le statut privilégié, électif et divin, qui est le sien.

[27] Séance du 3 février 1854, Luther.

[28] Séance du 7 février 1854, Eschyle.

[29] Séance du 7 février 1854.

[30] Séance du 25 avril 1854.

[31] Acarus : arachnide acarien responsable de la gale humaine.

[32] Paul Pellisson (avec deux l), avocat puis écrivain français. Il fut incarcéré au XVIIe siècle pour avoir défendu Fouquet, son bienfaiteur, dans trois discours célèbres. Dans son cachot il dut avoir à faire avec des araignées, motif récurrent chez Hugo qui signifie la fatalité. Amnistié, il fut ensuite historiographe de Louis XIV.

Latude, Bonnivard, le Masque de fer, Pellisson ici, sont des prisonniers célèbres régulièrement évoqués par Hugo.

[33] Job figure à la deuxième place, juste après Homère, dans la liste des quatorze génies de l’humanité, répertoriés comme tels par Hugo dans William Shakespeare.

[34] « La hache et le billot sont deux êtres lugubres ;/La hache souffre autant que le corps, le billlot/Souffre autant que la tête ; ô mystères d’en haut ! » (Ce que dit la bouche d’ombre, Les Contemplations, VI, XXVI). Un fragment posthume ultérieur de Dieu (I, 630) développe dans l’intention hugolienne de l’abolition de la peine de mort cette idée de la souffrance des instruments de torture et d’exécution. Comme dans Sunt lacrymae rerum où Hugo plaint les canons.

[35] Séance du lundi 25 avril 1854.

[36] La commande expresse du Drame donnera naissance à cet immense poème de près de huit cents vers qui deviendra « Ce que dit la bouche d’ombre », achevé le 13 octobre 1854.

[37] Séance du lundi 25 avril 1854.

[38] « Sunt lacrymae rerum » (Il y a des larmes pour l’infortune), Les Voix intérieures, II. Formule de l’Enéide (ch. 1, v. 462) souvent citée par Hugo qui servit d’épigraphe au poème sur « la Mort de Mlle de Sombreuil » (Odes et Ballades, II, 9).

[39] Séance du lundi 25 avril 1854, le Drame.

[40] Procès verbaux des Tables, 19 septembre 1854.

[41] Le Théâtre en liberté, édition d’Arnaud Laster, Folio classique, Gallimard, 2002.

[42] Les Châtiments, III, 15.

[43]Ibid., V, 4.

[44] Les Quatre Vents de l’Esprit, I, 6.

[45] Toute la lyre, VII, 22, IX.

[46] La Légende des siècles II, XXVIII.

[47] Légende du beau Pécopin et de la belle Bauldour, édition de Claude Millet, Le Livre de Poche, Libretti, 2003.

[48] Ibid. p. 24.

[49] « Zin-Eddin pour les hommes et Evilmerodach pour les génies », La Légende du beau Pécopin et de la belle Bauldour, p. 46, op. cit.

[50] Ib. p. 46.

[51] 28 décembre 1853, cité par Adèle Hugo dans le Journal de l’exil, t. I, édition de J.M. Hovasse, op. cit.

[52]Journal d’Adèle Hugo, t. I, 17 août 1852.

[53] Le Journal d’Adèle Hugo, t. II, 27 décembre 1853.

[54] Procès-verbal du 22 août 1854 et Journal de l’exil, t. III, 1854, op. cit.

[55] Choses vues, 1849-1885, édition d’Hubert Juin, p. 338, Folio classique, Gallimard, 1972.

[56] Séance du 22 mars 1854.

[57] Ibid.

[58] Le Journal d’Adèle Hugo, t. III, 15 juin 1854.

[59] Séance du lundi 3 juillet 1854, à une heure du jour.

[60] Ce que dit la bouche d’ombre, Les Contemplations, VI, XXVI.

[61] La religion de Victor Hugo, Denis Saurat. Hachette, 1949. p. 68.

[62] Les Mages, Les Contemplations, VI, XXIII.

[63] La religion de Victor Hugo, op. cit. p. 120.

[64] Le Livre lyrique, XXVII, Les Quatre Vents de l’Esprit.

[65] Séance du 3 septembre 1854.

[66] Les Mages, XXIII ; "Au bord de l’infini", Les Contemplations.

[67] Ibid.

[68] Victor Hugo, compte-rendu de la séance du 19 septembre 1854.

[69] Ibid.

[70] Les Contemplations, VI, XXII.

[71] Préface de Cromwell, 1827, édition Massin, p. 39.

[72] Cromwell, première édition : décembre 1827, Préface, p. 39, édition Massin, t. III, le Club français du livre, op. cit.

[73] Séance du jeudi 22 mars 1855.

[74] Journal de l’exil, Adèle Hugo, tome IV, 1855. p. 120, op. cit.

[75] L’Esprit humain, présentation de Jean Gaudon, Victor Hugo, Œuvres complètes, édition Massin, t. X, p. 25.

[76] Edition Massin, t. IX, p. 1448.

[77] Ib.

[78] Edition Massin, Ibid. t. X, Premier agenda de Guernesey, folio 74.

[79] Ib., "Rêveries sur Dieu", t. V, Portefeuille, p. 997.

[80] « Quia pulvis es », V, Les Contemplations

[81] « La Vie aux champs », VI, Les Contemplations.

[82] V. Dufief-Sanchez, La religion hugolienne dans la Première série de La Légende des siècles, Presses universitaires de la Sorbonne, 2002.