Sylvain Ledda : Lucrèce Borgia et la représentation de la mort
Communication au Groupe Hugo du 23
septembre 2006
Ce texte peut être téléchargé, dans la mise en page de son auteur, au format pdf.
Un grand succès a couronné cette uvre [Lucrèce Borgia] dont la conception a pour point de départ une réminiscence de La Tour de Nesle, mais sen éloigne par des scènes de haut dramatique qui appartiennent en propre à lauteur. Chaque acte en renferme une du plus grand effet ; celle du dénouement est dun aspect aussi hardi que singulier, aussi touchant que terrible.[1]
Cest en explorant la légende dune femme que Dumas puis Hugo ont remporté les triomphes les plus scandaleux de la scène romantique. Au-delà de ces succès, La Tour de Nesle et Lucrèce Borgia sont les parangons du spectaculaire des années 1830, et Marguerite comme Lucrèce deux figures centrales de lhéroïsme romantique. Quand Hugo donne Lucrèce Borgia à la Porte Saint-Martin, la presse fait immédiatement le lien entre son personnage et celui de Marguerite. Quen est-il des similitudes et des dissemblances entre ces Jocaste romantiques ? Placées au centre des regards, ces deux criminelles deviennent très vite des repères, des points de comparaison, des références. Surgies dune histoire lointaine et légendaire, elles accèdent au rang de mythe littéraire grâce à leurs crimes de théâtre. Les reprises successives des deux drames au cours du XIXe siècle prouvent, si besoin est, que ces héroïnes sont des emblèmes du spectaculaire romantique. Trois points communs rapprochent ces « Locustes romantiques » : une maternité blessée, une libido affirmée, une sanguinaire cruauté.
Si la Lucrèce de Hugo est apparue comme une contrefaçon de la Marguerite de Dumas, cest que ces deux reines de la nuit entretiennent un rapport avec la chair et avec la mort. Lun ne fonctionne pas sans lautre dans le fantasme que suscitent ces héroïnes, même si lalliance revêt des formes scéniques différentes. Les deux dramaturges envisagent le couple Éros/Thanatos dans son rapport à ldipe. Le désir, lorgie et le deuil entrent en effet en rivalité avec lamour maternel. La psychologie de ces héroïnes se construit sur une maternité endeuillée que lÉros ne console pas : seul le recours au crime de sang permet de résoudre ce conflit et la structure dramaturgique des pièces témoigne de cet assemblage complexe.
Plusieurs similitudes dramaturgiques permettent de souligner ce conflit. Les deux drames débutent par la description des malheurs du présent ; on raconte les forfaits commis par lhéroïne. Marguerite et Lucrèce sont ainsi accusées des maux qui sabattent sur la ville (Venise et Paris). Cest delles que vient le mal. Cest pourquoi, dans les deux cas, on relève des allusions à la peste, aux épidémies et aux forces sataniques. Demblée, leur portrait sélabore à partir de comparaisons explicites : le vampire et Satan pour Marguerite, Satan pour Lucrèce. En outre, un « double » négatif de lhéroïne se mêle aux dialogues de lexposition ; cest Orsini pour lune, Gubetta pour lautre. La première apparition des reines se fait en compagnie de ce factotum.
SIMON, se levant.
[ ] cest Richard le savetier qui veut savoir combien ton patron, Satan, a reçu dâmes ce matin.
RICHARD
Ou pour parler plus chrétiennement, combien on a relevé de cadavres sur le bord de la Seine, de la Tour de Nesle aux Bons-Hommes [ ] Cest la règle ; du moins ce fléau-là a de bon, quil est tout le contraire de la peste et de la royauté : il tombe sur les gentilshommes et épargne les manants. Cela console de la taxe et de la corvée. Merci, tavernier ; cest tout ce quon voulait de toi, à moins quen ta qualité dItalien et de sorcier tu ne veuilles nous dire quel est le vampire qui a besoin de tant de sang jeune et chaud pour empêcher le sien de vieillir et de se figer.
Dans les deux cas, le sentiment maternel saffronte à la nécessité du mal. Lucrèce et Marguerite éprouvent le même sentiment que « la nuit est différente » et que, peut-être, lheure de la rédemption a sonné. Ce sont des curs de mères qui parlent, car Marguerite pense à Gaultier et Lucrèce à Gennaro. La première image que donnent les dramaturges correspond donc à une maternité coupable qui trouve un refuge dans une « libido » mortifère : Marguerite tue ses amants de la nuit, Lucrèce a fait empoisonner ses maris après les avoir « consommés ». Une différence notoire néanmoins : Lucrèce sait qui est son fils, Marguerite ignore qui sont Philippe et Gaultier.
Un trait significatif rapproche les deux mantes religieuses et les fait verser dans la tragédie sanglante. Le fil porte une marque dinfamie à ce que la mère a de plus précieux : le visage pour Marguerite, le nom pour Lucrèce. Ce stigmate est donné à voir dans les deux pièces, à un moment décisif de laction. Dans les deux cas, il déchaîne lire latente de ces criminelles en puissance[2]. Cette scène de blasphème est immédiatement suivie, dans les deux pièces, dun intense désir de vengeance. Les grandes dames révèlent alors un autre visage : aveuglées par leur orgueil et leur volonté de pouvoir, elles veulent passer à lacte. Mais on observe dans les deux drames un retardement de laction qui fonctionne sur le même principe. Dans un premier temps, elles sont confrontées à une autorité masculine qui diffère laccomplissement de leur crime ; mais ensuite, cette confrontation précipite laction vers son dénouement tragique. Cest Buridan et Savoisy dans la Tour de Nesle, le Duc dEste dans Lucrèce Borgia.
MARGUERITE, seule et le suivant des yeux.
À demain, démon ; oh ! si je te tiens un jour entre mes mains comme tu mas tenu ce soir entre les tiennes si ces tablettes maudites Malheur ! malheur à toi de me venir ainsi braver ; moi, fille de duc, moi, femme de roi, moi, Régente de France ! Oh ! ces tablettes la moitié de mon sang à qui me les donnera Si je pouvais voir Gautier avant demain dix heures, si je pouvais lui reprendre ses tablettes ! Gautier qui ne me parlera que de son frère, qui va me demander justice du meurtre de son frère ; mais il maime plus que tout au monde, et, sil craint de me perdre, il oubliera tout, même son frère Il faut que je le voie ce soir où le trouver ? je tremble de me confier encore à cet italien, il sait déjà tant de mes secrets ![3]
Même enfermement des deux héroïnes au final, même accomplissement de la mort dans lorgie. Mais le caractère mélodramatique de La Tour de Nesle semble plus tangible : péripéties, contretemps, accélérations, cris, sang rappellent les effets du mélodrame. Dans Lucrèce Borgia, au contraire, la mort est esthétisée à lextrême et donne lieu à une fête funèbre jamais vue sur la scène romantique. Le titre choisi par Florence Naugrette pour analyser la mise en scène de Vitez rend compte de latroce élégance de ce dénouement : « le tombeau rayonnant »[4]. Le spectaculaire du drame de Hugo est plus proche de lopéra que du mélodrame.
La rapide comparaison des deux uvres montre donc que le spectaculaire opératique de Lucrèce Borgia est supérieur à celui de la Tour de Nesle. La pièce de Hugo, qui comporte moins de péripéties sanglantes, offre lexemple dun drame total, fondé sur une démesure visuelle et musicale que le drame de Dumas, un an plus tôt, ne comportait pas. Si La Tour de Nesle est rouge, Lucrèce Borgia plonge le spectateur romantique dans lespace fuligineux dun opéra dombres.
Une nuit chez Lucrèce Borgia
Au troisième acte, la scène tragique du souper interrompue par les chants funèbres, lentrée des moines, lapparition des cercueils et la terrible apostrophe de Lucrèce : « vous êtes tous empoisonnés ! » tint la salle haletante. Ce fut le coup de théâtre saisissant, le triomphe du procédé romantique des contrastes, des oppositions violentes, sur lequel le public nétait pas encore blasé et qui ne pouvait manquer son effet.[5]
Cent ans après la première du drame de Hugo, la revue Minerva témoigne de lextraordinaire clou que constitue le troisième acte, ironiquement intitulé « Ivres morts ». Dexcellentes études ont été consacrées à Lucrèce Borgia. Anne Ubersfeld a analysé la genèse, la réception et la structure dramaturgique de la pièce[6]. De son côté, Barry Vincent Daniels a étudié la conduite de mise en scène, montrant que la version jouée sur la scène de la Porte Saint-Martin nest pas conforme au texte imprimé, ce qui modifie notamment le finale et la représentation de la mort :
Before the détails of the staging are discussed, the important textuel variations presented by the promiscuity should be examined. In addition to the variant scene already mentioned, these changes include alterations of the stage directions to conform to the production, line cuts, and a reorganisation of the Act grouping.[7]
Émilio Sala, quant à lui, sest intéressé à la partition musicale de la pièce[8]. Il a démontré son rôle décisif dans la tension dramatique du dernier tableau. À partir de ces travaux, nous souhaiterions analyser comment un jeu sur linvisible et le visible organise la pièce autour de la représentation de la mort. Tous les ressorts du spectaculaire romantique sont en effet tendus vers ce dénouement mémorable.
Lucrèce samuse : preparatio mortis
Le bras tendu et menaçant, lil noir et cave[9], vêtue dune longue robe de deuil, Lucrèce Borgia, surgie du fond de la scène, prononce la sentence de mort et savoure sa vengeance :
Ah ! mes jeunes amis du carnaval dernier ! vous ne vous attendiez pas à cela ? Pardieu ! il me semble que je me venge. Quen dites-vous messieurs ? Qui est-ce qui se connaît en vengeance ici ? Ceci nest point mal, je crois ! Hein ? quen pensez-vous ? pour une femme ![10]
Somptueuse outrance théâtrale, lapparition fantasmagorique de Lucrèce Borgia « vêtue de noir, au seuil de la porte » est sans conteste lune des images les plus fortes de la scène romantique. Barry Daniels voit dans cette apparition une expression du sublime romantique : « The sublime Lucrèce Borgia was the grandest of the popular mélodrames produced in the Romantic period »[11]. Le caractère spectaculaire du dénouement repose en effet sur les différentes modalités de représentation de la mort dont Lucrèce est lépicentre. Telle est la puissance du saisissement quand, la double porte du fond de scène souvrant, apparaissent les cinq cercueils destinés aux amis de Gennaro :
La grande porte du fond souvre silencieusement dans toute sa largeur. On voit au dehors une vaste salle tapissée de noir, éclairée de quelques flambeaux, avec une grande croix dargent au fond. Une longue file de pénitents blancs et noirs dont on ne voit que les yeux par les trous de leurs cagoules, croix en tête et torches en main, entre par la grande porte en chantant dun accent sinistre et dune voix haute :
« De profundis clamavi ad te Domine »[12]
Est-ce pour autant un artifice de mélodrame ? La presse de lépoque et la critique ont souvent rapproché la pièce de ce genre, à cause des effets saisissants du clou. Mais peut-être convient-il de nuancer lemploi du terme mélodrame pour définir la pièce. Drames, opéras et même ballets utilisent tous des effets exceptionnels pour couronner leur fin. Le spectaculaire de Lucrèce Borgia repose en fait sur la concentration de tous les ressorts dramatiques, mettant en adéquation lhéroïne, ses gestes, lespace et les sons. Livresse ahurissante à laquelle Hugo convie le spectateur romantique, le soir du 2 février 1833, nest pas celle dun mélodrame banal ; elle relève de lhallucination macabre. Hugo donne à voir une scène envahie progressivement par lobituaire. Tout prépare au dernier tableau, à cette orgie commuée en banquet de mort. Sur ce point, Hugo sinscrit dans la tradition des banquets fatals, de Thyeste et de Titus Andronicus. Mais il transcende limaginaire shakespearien et transforme le cannibalisme en crime de sang, la répulsion de la chair en désir denivrement. En ce sens, le dénouement de Lucrèce Borgia établit léquilibre entre un macabre ostentatoire, une musique funèbre et une intrigue à suspens[13]. La suprême ivresse, dans Lucrèce Borgia, cest la rencontre avec la mort.
La pièce est entièrement conçue autour de la beauté hypnagogique de la femme aux poisons. Mais lhéroïne de Hugo est plus que la simple incarnation du mal ; elle est une allégorie de la mort capable de franchir les espaces et le temps. Or si le drame parvient à une telle réussite, cest que le spectacle est minutieusement calculé. Hugo organise en effet les séquences du finale à partir dun épicentre mobile qui investit tous les lieux[14]. Lucrèce est partout : dans une rue à Ferrare, chez le duc, dans le palais Negroni. Elle polarise dans son costume[15], par ses mouvements, par ses contradictions de mère et de monstre, le mystère qui unit le deuil à la beauté. Ses charmes sont sulfureux et ambigus : « cest un ducat dor à leffigie de Satan », dit Jeppo. « Cette femme est belle pourtant », constate Maffio. Sa beauté paradoxale a quelque chose à voir avec celle de la magicienne Circé ; elles ont en commun la vénusté et la science des poisons qui endorment à jamais. Mais comme Locuste, cette Borgia est une empoisonneuse à qui lhistoire a inventé une légende. Cest ce qui intéresse Hugo : la saga de la criminelle italienne. Lucrèce samuse avec les poisons noirs comme François Ier jouait avec Blanche, la fille de Triboulet. Parfaite symbiose entre le personnage devenu mythe et le décor du drame.
Mais la principale invitée du Souper à Ferrare (premier titre choisi par Hugo) cest « lIntruse », celle qui sintroduit de manière invisible avant dapparaître victorieuse au final. Au dénouement, linvisible devient visible, le suintement a distillé le vin de Chypre, les métaphores macabres ont pris corps dans les cinq cercueils et dans un cérémonial digne de lInquisition. Le mythe devient image. Le sacré et le profane sont confondus à travers la représentation de la mort. La métaphore du mal est devenue image visible.
Au début du drame, Lucrèce Borgia est un personnage fantasmatique. Avant sa première apparition, elle a fait naître des images macabres dans lesprit des joyeux drilles : « cest un ducat dor à leffigie de Satan », lance Jeppo. Par cette seule image, Hugo renouvelle la forme du blason et fait le portrait dune veuve noire. Lucrèce, cest demblée cette beauté fastueuse qui entretient une liaison intime avec le mal, le malheur et la mort. La force de la chute découle de ces premiers instantanés poétiques donnés à imaginer, grâce à un tissu de résonances métaphoriques et historiques. Au dénouement, Hugo parvient à élever le spectacle de la mort à la hauteur du fantasme quil avait fait naître chez les jeunes gens. Quand commence le drame, Lucrèce est déjà une menace. Hugo nous laisse deviner la suite par un syllogisme : lhistoire de lItalie est liée aux crimes des Borgia ; lhistoire individuelle des personnages est liée à celle de lItalie ; lindividu croisera la menace Borgia et la mort scellera le destin de Gennaro et de ses compagnons.
Jeppo, grand amateur dhistoires effroyables, raconte à ses amis une anecdote à glacer le sang et Hugo de retrouver les pouvoirs de lhypotypose. La fable de Jeppo, cest celle des Borgia, cest celle du siècle tout entier ; celle qui éclaire rétrospectivement la première réplique de la pièce, confiée à un personnage dont le nom possède, lui aussi, des connotations macabres :
OLOFERNO
Nous vivons dans une époque où les gens accomplissent tant dactions horribles quon ne parle plus que de celle-là, mais certes, il ny eut jamais événements plus sinistre et plus mystérieux.[16]
Avant que ne souvre le rideau, la menace Borgia est déjà là. Le passé est installé et met le présent en péril. La première réplique prend dès lors valeur dexposition « symbolique », car elle inscrit le contenu de la conversation dans le macrocosme de lhistoire et dans le microcosme des individus : « actions horribles », « événement sinistre et mystérieux ». La preparatio mortis est instaurée dès les premiers mots, mais dans le domaine du mythe, cest-à-dire de linvisible.
Sur ce point, létude attentive de la brochure du souffleur révèle une parfaite symétrie entre lacte I et lacte III. Sur lexemplaire annoté dont dispose le département des Arts du spectacle de la Bibliothèque Nationale, les premières répliques de lacte III sont biffées et le dernier tableau débute par une « histoire gaie » que raconte Maffio[17]. Inversion parfaite : le sinistre conte de louverture est devenu une histoire pour rire. Grâce à cette modification, le début du troisième acte est le parfait pendant du premier. Le grotesque a fait son chemin et a conduit les personnages de la vie à trépas.
Hugo commence par installer la légende de lempoisonneuse avant de la magnifier par limage. On comprend dès lors pourquoi le dramaturge sest laissé convaincre de modifier le titre de sa pièce. Cest moins le Souper à Ferrare que Lucrèce Borgia qui est le moteur de laction. Hugo retarde laccomplissement funeste et fait évoluer lintrigue autour de son héroïne. Le premier visage de Lucrèce est celui dune mère, dune femme lasse de ses crimes et de ses empoisonnements : « est-ce que tu nas pas soif dêtre béni, toi et moi, autant que nous avons été maudits ? est-ce que tu nen as pas assez du crime ? » demande-t-elle à Gubetta[18]. La légende noire pèse sur les épaules de celle qui la porte ; elle semble brisée par ce désir de rachat. Hugo insinue pourtant dans ce registre pathétique une note discordante, grâce à plusieurs procédés. Le premier concerne Gubetta, qui répond au désir de rédemption de sa maîtresse par une série de « mots-valises » :
Quand je passe dans les rues de Spolète, jentends bien quelquefois des manants qui fredonnent autour de moi : Hum ! ceci est Gubetta, Gubetta-poison, Gubetta-poignard, Gubetta-Gibet ! car ils ont mis à mon nom une flamboyante aigrette de sobriquets.[19]
Un tel homme à lesprit vif-argent naura pas détats dâme[20]. Cest lui qui versera les libations fatales, lui qui devait transformer la criminelle en sainte. Ladjectif « sinistre » (il apparaît à cinq reprises dans la pièce) resurgit en effet à un moment décisif du drame, celui où Gennaro, excédé de se croire lobjet du désir de Lucrèce, souille son nom en transformant « Borgia » en « orgia ». Ce blasphème[21] déclenche la machine infernale ; lorgie funèbre, préparée par les coupes empoisonnées et les contrepoisons du deuxième acte, rehaussée par le grotesque, na plus quà saccomplir.
DEUXIEME HOMME
Ma foi, si je perds, je dirai tout bonnement au duc que jai trouvé loiseau déniché. Cela mest bien égal, les affaires du duc.
Il jette un ducat en lair.
PREMIER HOMME
Pile.
DEUXIEME HOMME, regardant à terre.
Cest face.
PREMIER HOMME
Lhomme sera pendu. Prends-le. Adieu.
DEUXIEME HOMME
Bonsoir.
Lautre une fois disparu, il ouvre la porte basse sous le balcon, y entre,
et revient un moment après accompagné de quatre sbires avec lesquels
il va frapper à la porte de la maison où est entré Gennaro. La toile tombe.[22]
La version de scène supprime ce jeu grotesque entre les deux hommes et le remplace par un échange assez vif entre Astolfo et Rustighello. Au lieu de frapper à la porte, les gardes la défoncent à coups de hallebardes : effet visuel et sonore bien plus saisissant pour achever la première partie de lacte II (dans la version jouée).
Le grotesque initial est devenu un acte de violence.
Opéra dombres
On voit bien que le dénouement de la pièce est réglé par la musique et sur la musique ; le crescendo du pathétique et lintensité émotionnelle ne peut plus se dire avec des mots, mais trouve son expression à travers le langage gestuel et musical.[23]
La convaincante analyse dÉmilio Sala peut être complétée par lobservation minutieuse des écarts entre la version imprimée et la version jouée. Le finale de Lucrèce Borgia est en effet rythmé par la superposition des chants chansons divresse et de profundis , et par la présence constante de la musique aux moments décisifs de laction. Mais le dénouement est également lié à lagencement de lespace et à la conception scénographique. Le texte du souffleur montre que la Cène macabre de lacte III est conçue de manière à dynamiser laction, brisant par là limpression de hiératisme que pourrait susciter un tel tableau funèbre[24]. Grâce aux ajouts manuscrits, on peut déceler les étapes de cette plongée ad infernos, et faire le va-et-vient entre le texte imprimé et ce qua pu être la représentation du 3 février 1833.
Létude des didascalies manuscrites et imprimées traduit une nette dramatisation de la représentation de la mort. Le premier signe du macabre est en effet onomastique, cest le nom du palais où se déroule la fête : « Negroni » évoque la couleur noire. Les indications liminaires corroborent ce souci du détail onomastique : « Une salle magnifique du palais Negroni ». Le cahier de mise en scène[25] confirme la prégnance macabre et la magnificence des lieux en fournissant une liste des décors et des accessoires :
Sur la table : 12 couverts complets avec vaisselle dargent. Plats divers sur la table. Amphores et coupes.
Sur le praticable au fond : 5 cercueils tendus de noir.
Aux moines : 6 torches[26], 1e croix au bout dun long manche noir.[27]
Le second signe funeste repose sur les différents jeux de langage qui disent la présence sous-jacente de la mort. Toute la poétique du grotesque verbal est conservée dans la version de scène, tandis quune grande partie des galéjades autour du « sonnet dOloferno » est supprimée[28]. Cynique, la Negroni se moque ainsi des devins qui ont prédit à Maffio quil mourrait en même temps que Gennaro (un matin) : « Votre bohémien ne savait ce quil disait »[29]. Lhôtesse est dailleurs le pendant érotique de Lucrèce, cest une veuve, « on le voit à sa gaieté »[30] ; elle possède « de petits pages noirs vêtus de brocart dor » qui sont à son image ; « des pages nègres qui portaient des aiguières, des plats surmontés de fruits, habillés dor, ayant à découvert leurs têtes, leurs jambes et leurs bras noirs, avec lair de spectre de lenfer », précise le Victor Hugo raconté[31]. Le motif fuligineux envahit donc concrètement et symboliquement la scène, mais il est dabord traité sur le mode grotesque. Le troisième signe de menace sarticule autour du « duel » entre Gubetta et Oloferno. De nombreuses répliques sont coupées dans cette séquence, de manière à précipiter laction et à concentrer lattention du public sur la rixe ; pendant ce simulacre de combat, les charmantes hôtesses disparaissent. Les armes se font néanmoins voir et entendre, offrant à Gubetta loccasion de formuler lune de ces maximes dont il a le secret : « Couteau qui luit, femme qui fuit »[32], lance-t-il insolemment. Lattitude du sbire de Lucrèce participe des signes visibles de la menace de mort. Comme dans la version imprimée, il ne boit pas. Cest Maffio qui le remarque. Mais dans la version jouée, il ne jette pas son verre « par-dessus son épaule », mais « dessous la table » ; ce geste souligne lhypocrite duplicité du personnage qui, depuis le début de la pièce, agit « par en dessous ». Toute cette déraison orgiaque fonctionne comme un repoussoir qui prépare larrivée spectaculaire des deux héroïnes de la pièce : Lucrèce et la mort.
Quand Gennaro prononce sa première parole, le piège sest déjà refermé et les portes sont closes. Hugo modifie le refrain de la chanson pour la version de scène ; moins blasphématoire, il est dune ironie plus tragique.
La tombe est noire
Les ans son courts.
Il faut, sans croire
Aux sots discours,
Très-souvent boire,
Aimer toujours
(Tous en chur)
La tombe est noire, etc.[33]
Laccélération du rythme et la dramatisation sont tangibles à ce moment de la scène. Aux chants paillards se superposent aussitôt les premiers accords du de profundis[34]. Or, juste au moment où le double chant se fait entendre, une indication à lencre révèle un nouvel effet spectaculaire, visuel cette fois : « La nuit commence de venir doucement. »[35] Il y a donc une mise en relation des effets musicaux et optiques, alors que dans la version imprimée, la lumière ne baisse que douze répliques plus loin, après plusieurs incantations des moines. Environnés par la musique lugubre et par les ténèbres, tous se retrouvent prisonniers et sans armes. Ici, la composition dramaturgique est identique à celle de La Tour de Nesle.
Entrent les moines[36].
Un autre « détail » accroît alors le caractère sépulcral de la scène. Tandis que Hugo précise (dans les didascalies) que les pénitents qui se répartissent de part et dautre de la scène doivent être blancs et noirs, la version de scène supprime la première couleur pour ne garder que le noir (ladjectif « blanc » est biffé dans les indications). Laire de jeu est ainsi totalement endeuillée. Après la procession des pénitents, digne des cérémonies de lInquisition, un accelerando se produit et anime la scène. Sur le texte du souffleur, la réplique de Jeppo (« quel piège affreux ! Nos épées, nos épées ! ») se transforme en réplique collective, prononcée par tous les compagnons de Gennaro : « Nos épées ! » Urgence et menace se précisent. Cest exactement à ce moment-là, dans un décor éblouissant, quapparaît Lucrèce Borgia.[37]
Les croquis qui illustrent le texte et signalent les déplacements sont précis : Lucrèce est au milieu du dispositif scénique ; cette image fait écho à celle de lacte I, où lhéroïne était au centre de la scène, faible et conspuée par les compagnons de Gennaro. Cette fois, légèrement surélevée, elle domine la situation et cest elle la maîtresse de cérémonie. Ce choix montre que limage spectaculaire parle avant que les mots ne soient prononcés. Et le personnage se détache dautant plus dans ce tableau funèbre que les pénitents, tel un chur infernal, sont debout derrière elle, devant les cercueils quils cachent. Le choc visuel est donc encore plus saisissant grâce à cet effet qui met lhéroïne en lumière. La version de scène trahit dautres modifications qui témoignent dune volonté dostentation. Lucrèce doit être au centre des regards :
Version imprimée :
Et si jai eu soin de vos âmes, jai eu soin aussi de vos corps. Tenez ?
Aux moines qui sont devant la porte du fond.
Rangez-vous un peu, mes pères, que ces messieurs voient.
Les moines sécartent et laissent voir cinq cercueils
couverts chacun dun drap noir, rangés devant la porte.
(édition moderne Anne Ubersfeld).
Version scénique :
Et si jai eu soin de vos âmes, jai eu aussi soin de votre corps. Tenez ?
Aux moines blancs qui sont devant les cercueils
Rangez-vous un peu, mes pères, que ces messieurs voient.
+ Musique
Les moines sécartent et laissent voir cinq cercueils
couverts chacun dun drap noir, rangés devant la porte dans le fond.
(exemplaire Rondel).
Ces changements ont pour but de dramatiser la découverte des cercueils. Le choc oculaire est poussé à son paroxysme. La théâtralisation du moment se manifeste aussi dans le jeu du comédien qui interprète Gennaro (Frédérick Lemaître). Au lieu de faire « un pas » comme lindique la version imprimée, il « avance au milieu du théâtre près delle ». Ce mouvement est décisif car il suppose un déplacement visible du public (et de Lucrèce) et renforce la tension dramatique.
La dernière scène entre la mère et le fils se caractérise par une accélération brutale. Plusieurs ajouts manuscrits soulignent la violence physique et morale de léchange. Ces indications permettent de se faire une idée assez précise du crescendo dramatique créé grâce à la pantomime des acteurs :
Lucrèce fait un mouvement pour sapprocher de Gennaro qui lui fait signe de rester sur place
Gennaro jette le flacon sur la table. Lucrèce prend le flacon et va à Gennaro.
Lucrèce recule.
Il indique le fauteuil de la Negroni qui est près de la table.
Lucrèce remonte la scène, cest là où son bonnet tombe. Gennaro larrête et la ramène sur lavant-scène.
Gennaro la menace de son couteau.
Gennaro ébranlé tombe sur un siège et laisse tomber le couteau.
[Lucrèce] se jetant à genoux
Voix de Maffio
Gennaro se relève avec frénésie en ramassant le couteau. Il passe en 2.[38]
Il la frappe sur lépaule. Elle tombe par terre, le corps penché sur un siège. Gennaro tant anéanti par le meurtre quil vient de commettre que par le poison tombe sur le fauteuil.
Musique sur laquelle tombe la toile.
Ces indications, qui ne figurent pas dans la version imprimée, montrent un Gennaro plutôt vif, à lexception du moment où il doute et sasseoit. On peut dès lors se demander si la mobilité de Gennaro ne vient pas de Frédérick lui-même ; le dénouement correspond en effet à un moment de bravoure où il faut démontrer toute la palette de son talent, quon soit victime ou assassin. Cest donc lui qui occupe lespace scénique et qui dirige laction, plus que Lucrèce qui semble statique et soumise aux gestes de son fils[39]. Ladjectif « frénétique », employé pour qualifier lune des dernières actions scéniques du drame, traduit lénergie paroxystique avec laquelle doit saccomplir le matricide. Ces différents jeux sont accompagnés dune réduction significative du texte. De nombreuses coupes sont opérées qui éliminent tout sentimentalisme, pour ne conserver que la menace de mort et la supplication de Lucrèce : la situation se fait manichéenne et se resserre autour des deux protagonistes principaux. Les notes du souffleur révèlent que la scène se met au service de la représentation de la mort, et de son efficacité visuelle.
Certes, lintensité émotionnelle soulignée par la musique participe du pathétique final, mais le rythme dépend surtout de la structure des dialogues, des coupes et des biffures. Les chansons de Lucrèce sont des pièces brèves qui ne doivent pas ralentir laction, comme le suggère le témoignage de Harel[40]. Hugo recourt ainsi à une savante combinaison deffets visuels, de contrastes lumineux (or et noir) et déléments musicaux (récitatifs et aria). Et si lon ajoute que le jeu des acteurs est sans cesse sollicité dans ce dénouement dexception, on ne peut que constater le caractère opératique de ce finale. Voix, musique, image, interprétation, tout participe dun spectaculaire lyrique. Les rapports entre mélodrame et opéra étant nombreux à lépoque romantique, on a peut-être vu à tort un mélodrame dans une pièce qui concrétisait les théories du drame romantique en ouvrant la voie à lopéra. La preuve en sera donnée par la Lucrezia Borgia de Donizetti, qui transposera les contrastes de la dramaturgie de Lucrèce Borgia, avec moins de réussite. Sans doute parce que le drame portait déjà en lui une dimension lyrique. « Ça a la beauté du drame et de lopéra tout à la fois», aurait conclu un spectateur à la fin de la première représentation[41].
Lucrèce Borgia est donc une uvre riche qui trouve son unité esthétique dans la représentation de la mort. En ce sens, la pièce offre selon nous la plus belle synthèse du spectaculaire romantique. Son finale est certes redevable à lesthétique du mélodrame, mais il évoque aussi le grand opéra romantique et annonce, sous certains aspects, le drame total wagnérien.
Blessé par chaque détail qui ne répondait point à la beauté suprême du principal élément de leffet scénique, il [Wagner] crut quil ny avait quà vouloir pour créer un Drame, auquel tous les arts que le théâtre embrasse concourraient à la fois, dans une même perfection, et il se persuada que lapparition dun drame pareil ferait nécessairement abolir la méthode actuelle, qui consiste à appeler alternativement au bénéfice dun art préféré le secours de plusieurs autres qui ne lui servent que dauxiliaires et sont destinés, non à se développer eux-mêmes, mais à mettre en relief celui auquel lauteur, dans sa composition, veut donner la plus grande importance. Wagner saffirma à lui-même la possibilité de rallier en un seul faisceau, dindissolublement unir et dintimement entrelacer, la poésie, la musique, lart du tragédien en premier lieu, et de les concentrer tous ensuite sur la scène. Tous, selon lui, doivent être enclavés et exclusivement renfermés pour concourir à leffet quils sont tous amenés à produire par leur ensemble miraculeusement harmonieux.[42]
Lucrèce, Tigresse, Ogresse, Théodora
Cest avec lillusion rétrospective de la passion que lon peut tenter de reconstituer la scène finale de Lucrèce Borgia. De tels effets ne pouvaient manquer dattirer la plume amusée et féroce des parodistes. Ils se ruent sur cette toile macabre peinte au couteau par Hugo. Dans Tigresse-mort-aux-rats, la plus réussie des parodies de Lucrèce Borgia, deux des principaux ressorts du spectaculaire sont détournés : lérotisme de lhéroïne se transforme en une érotomanie face à laquelle Leduc (lépoux apothicaire de la dame) est désemparé. Et les motifs macabres (sang, poison, crimes) fusent dans les répliques des uns et des autres. Le titre de la parodie suggère dailleurs une dégradation du thème du poison. Mais ce qui renseigne le mieux, à rebours, sur les effets de la représentation de la mort dans Lucrèce Borgia, cest la présence du public dans la parodie, qui intervient au moment le plus fort de lintrigue. La pièce apparaît dès lors comme une mise en abyme : les spectateurs, révoltés contre ce quils voient, interrompent laction.
CASCARO [sadressant à Tigresse]
Toi ! cest un amalgame
De panthères, de chats, dours, autant que de femme.
Linceste avec ton père est ton péché mignon,
Linceste avec ton frère aussi ta semblé bon ;
Tes cousins, tes neveux, tous tu les subtilises ;
Même avec tes enfants tu ferais des bêtises,
Si les monstres avaient des enfants !
(Ici un violent coup de sifflet se fait entendre.)
GIGOMART, se levant au parterre.
[ ] À la porte cest moi qui ai sifflé, car cest trop fort En voilà assez, monsieur lacteur, cest une infamie ! se servir de pareilles expressions sur le théâtre des Variétés, un théâtre moral le théâtre le plus moral de Paris ! [ ] Je ne puis contenir mon indignation Maintenant vous osez reprocher à madame votre mère, car madame est votre mère, et je ne sais pas pourquoi elle ne vous dit pas ça tout de suite, ça na pas le sens commun, jen étais sûr à la première scène vous osez lui reprocher des choses fi donc ! [ ] cest scandaleux Allez dire cela à la Porte Saint-Martin.
MADAME GIGOMART
[ ] Mais mon Dieu ! monsieur Gigomart, vous me faites là un bruit qui na pas de sens commun Dailleurs vous me donnez en spectacle ! cest fort désagréable Parce que cette femme a eu un fils avant son mariage eh bien ! monsieur, cela se voit quelquefois, et parce quelle naime pas son mari, ça se voit tous les jours ?
GIGOMART
Très bien, madame ! Messieurs, voilà les résultats de lexemple (à sa femme.) Céleste, vous ne maviez jamais répondu comme ça. Je vais plus loin : avec de pareilles pièces, un gouvernement nest pas possible quel quil soit.[43]
Mais il est trop tard. Les invités de Tigresse ont bu. Certes, ils ne mourront point des libations dont les effets ne seront que « secondaires », mais les résonances métathéâtrales de ce texte critique révèlent lextraordinaire impact de la pièce de Hugo.
Cet impact se mesure également dans les pâles imitations qui suivent la création de Lucrèce Borgia. Anne Ubersfeld a relevé les corrélations entre le drame de Hugo et la Vénitienne dAnicet-Bourgeois. Certains parallèles sont en effet possibles : crime de sang, violences à litalienne, etc. Mais cest surtout par lintermédiaire de la principale interprète du drame, mademoiselle George, que peut sétablir un lien entre les deux pièces. À linstar de la pièce de Hugo, le dénouement offre un beau moment de bravoure. Amante passionnée, Théodora choisit le suicide :
THÉODORA
Tu as eu ton expiation en ce monde, laisse-moi la mienne. Dieu veut que mon sang rachète celui dun vieillard et lave mes fautes Laisse-moi femme impure, laisse-moi moffrir en sacrifice, puisque Dieu le veut bien.
GIOVANNI
Désespoir !
THÉODORA
La gondole sest arrêtée Ils sont là là Oh ! que puis-je te donner en échange de tant damour, Giovanni en échange de tant damour qui sacrifie tout ? (Se jetant dans ses bras.) Je ne puis te donner que ma vie. (Lui arrachant son poignard et se frappant elle-même.) Puisque tu ne veux pas le prendre
Ici paraît le sbire.
GIOVANNI, jetant un cri.
Théodora, quas-tu fait ?
SCENE XI
Les précédents, un sénateur, un sbire.
LE SBIRE
Le voilà, monseigneur.
LE SENATEUR
Giovanni
THÉODORA
Ah ! ne le punissez pas, il a exécuté lordre du tribunal
Elle expire.
LE SENATEUR
Giovanni, la république te dégage de ton serment tu es libre ton père est mort !!![44]
Bien que la pièce utilise les motifs du sang et de la vengeance à litalienne, elle ne parvient pas à rivaliser avec la munificence macabre de Lucrèce Borgia. Son échec relatif et les comparaisons quelle subit avec le modèle du drame hugolien trahissent ses limites. Des effets pourtant violents, écrits pour mademoiselle George, font de Théodora un simulacre de Lucrèce. Son suicide est dès lors à ranger parmi tous ceux que la passion romantique fait subir à ses héroïnes.
[1] Courrier des théâtres, 1er février 1833. Les pages qui suivent sont extraites de ma thèse : Des feux dans lombre. La représentation de la mort sur la scène romantique (à paraître, Honoré Champion). La communication présentée lors de la séance du 23 septembre est très largement inspirée de ces pages.
[2] La prédiction de mort est présente dans les deux pièces. Dumas lincarne dans le personnage du bohémien, tandis que Hugo la place seulement dans les paroles de Gennaro et Maffio. On voit bien, par cet exemple, quil y a une nécessité absolue de tout montrer. Mais Hugo concentre les effets spectaculaires quand Dumas les dissémine tout au long de lintrigue.
[3] La Tour de Nesle, I, 3, éd. cit., p. 510.
[4] Florence Naugrette, La Mise en scène du théâtre de Hugo de 1870 à 1993, op. cit., p. 271.
[5] Minerva, « Un centenaire romantique : la première de Lucrèce Borgia », 12 février 1933.
[6] Le Roi et le Bouffon, op. cit.
[7] Avant que les détails de la mise en scène soient analysés, les différences entre la version imprimée et la version jouée doivent être examinées. En plus des variantes déjà mentionnées, ces transformations affectent les répliques et les mouvements de groupes. » Barry Vincent Daniels, « Victor Hugo on the Boulevard : Lucrèce Borgia at the Porte-Saint-Martin Theatre in 1833 », p. 28. La différence entre le texte joué et le texte imprimé nest pas une exception à lépoque. Certaines divergences apparaissent entre le texte imprimé et celui qui a été vu par le spectateur romantique. La presse en témoigne souvent. Ce passionnant article propose des documents iconographiques. Certains dentre eux sont reproduits en annexes. Il faut signaler que la Bibliothèque historique de la ville de Paris possède également plusieurs cahiers de mises en scène de Lucrèce Borgia. Le premier dentre eux est identique (à quelques infimes détails près) à celui du catalogue Rondel analysé par Barry V. Daniels. Nous avons examiné les deux documents pour Lucrèce Borgia.
[8] Emilio Sala, « Drame, mélodrame et musique : Victor Hugo à la Porte Saint-Martin », dans Mélodrames et romans noirs, op. cit., p. 161-175.
[9] Voir planche X (annexes).
[10] Lucrèce Borgia, III, 2, éd. cit., p. 1052.
[11] « La sublime Lucrèce Borgia fut le plus populaire des mélodrames que la scène romantique ait offert».
[12] Lucrèce Borgia, III, 1, éd. cit., p. 1051.
[13] Contrairement à celle de La Tour de Nesle, lintrigue de Lucrèce est assez simple et linéaire. Par effet de contraste, cette simplicité donne une force supplémentaire à la démonstration finale.
[14] Sur lanalyse des espaces symboliques, voir la magistrale démonstration dAnne Ubersfeld : Le Roi et le Bouffon, passim.
[15] Six costumes différents.
[16] Lucrèce Borgia, I , première partie, scène 1, éd. cit., p. 975.
[17] Lucrèce Borgia, III, 1, dans uvres de Victor Hugo, Paris, Renduel, 1833, p. 142. Exemplaire annoté.
[18] Lucrèce Borgia, I, première partie, scène 3, éd. cit., p. 983.
[19] Ibid., p. 984.
[20] En cela il est le parfait opposé du bouffon LAngély du Roi samuse.
[21] Dans son étude génétique, Anne Ubersfeld a démontré que le blasphème Borgia/Orgia était lépicentre du drame.
[22] Lucrèce Borgia, I, deuxième partie, scène 4, p. 1008.
[23] Emilio Sala, « Drame, mélodrame et musique : Victor Hugo à la Porte Saint-Martin », art. cit., p. 167.
[24] Nous détaillons ici les remarques formulées par Barry Vincent Daniels. En effet, tout en soulignant pertinemment les variantes entre le texte et la représentation, dans le cadre restreint dun article, il ne développe ni les aspects dramaturgiques ni les conséquences des changements.
[25] Exemplaire de la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris. La comparaison entre lexemplaire du souffleur du fonds Rondel et celui de lassociation des régisseurs ne révèle que dinfimes différences. Nous distinguons les deux versions par « exemplaire Rondel » et « exemplaire B.H.V.P. ».
[26] La Quotidienne du 9 février précise la couleur de ces torches : ce sont des cierges de cire jaune.
[27] Lucrèce Borgia, cahier du régisseur, feuillet 7. (Exemplaire B.H.V.P.).
[28] Lucrèce Borgia, III, 1, exemplaire Rondel, p. 151.
[29]Ibid., III, 1, p. 152.
[30] Dans la parodie Tigresse mort-aux-rats, la princesse Négroni devient madame Gronini ; cette dégradation onomastique met en avant les atouts du personnage.
[31] Victor Hugo raconté, op. cit., p. 527.
[32] Ibid.
[33] Lucrèce Borgia, III, 1, exemplaire Rondel, p. 158. La didascalie manuscrite souligne le mot tombe. Effet de fortissimo lors de la reprise du refrain ?
[34] Cette technique de composition nest pas sans rappeler celle de Frantz Liszt : main droite chantante et arpégée, main gauche grave et pesante. (Harmonies poétiques et religieuses et Troisième année de pèlerinage, par exemple).
[35] Lucrèce Borgia, III, 1, exemplaire Rondel, p. 158.
[36] À lentrée des moines, il est intéressant de constater une divergence entre le texte de Hugo et ce qua pu être la représentation. Les didascalies indiquent en effet que « la grande porte du fond souvre silencieusement dans toute sa grandeur », alors que le compte rendu de la Quotidienne signale au contraire que « les portes du fond souvrent avec fracas ». Si le journal a raison, alors lentrée en scène des moines est bien un « coup de théâtre ».
[37] Le Victor Hugo raconté donne une précision sur les décors confiés in extremis à Séchan : « vous comprenez, aurait-il dit, cette décoration doit être fermée, une seule grande porte doit exister au milieu ? Il faut quelle soit tout or, dun or éblouissant et lugubre, que le métal soit sinistre, que ce soit une espèce de tombeau doré, et que lorsque la grande porte du milieu souvrira une grande croix dargent se détache sur cette étoffe noire ayant de chaque côté un cordon de ténèbres. De plus il nous faut cette décoration dans quatre jours. » Victor Hugo raconté, op. cit., p. 159.
[38] Cest-à-dire au milieu de la scène, là où est restée Lucrèce.
[39] Cest Frédérick Lemaître qui avait préféré Gennaro au duc dEste. Selon le Victor Hugo raconté, lacteur aurait déclaré : « il y a deux beaux rôles dans votre pièce, celui dAlphonse dEste et celui de Gennaro. Celui dAlphonse dEste occupe tout le second acte, est une série non interrompue deffets ; cest un rôle qui porte. Celui de Gennaro est difficile et a des côtés dangereux. La dernière scène a des mots difficiles à faire passer. Ah ! vous êtes ma tante ! par exemple ; cest le plus beau mot de la pièce, elle est toute là-dedans, mais ce mot devient périlleux, la pièce peut tomber là ou enlever le public. Cest pourquoi je suis content davoir Gennaro. » (Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, op. cit., p. 515.). Lemaître a relevé la gageure. On peut aussi supposer que lembonpoint de mademoiselle George lempêchait de se déplacer comme une gazelle.
[40] Selon le Victor Hugo raconté, cest lui qui aurait commandé la musique à Piccini : « Vous allez me mettre quelques notes sur les couplets que voici ? Que ce ne soit pas de la musique surtout, seulement quelque chose qui soutienne les paroles ». (op. cit., p. 521 et suiv.)
[41] Victor Hugo raconté, op. cit., p. 528.
[42] Frantz Liszt, « Lohengrin et Tannhaüser », Frantz Liszt. Artiste et société, éd. Rémy Stricker, Paris, Flammarion, coll. « Harmoniques », 1995, p. 286.
[43] Dupin et Jules, Tigresse mort-aux-rats, ou Poison et contre-poison, quatrième dose, scènes 3 et 4, médecine en quatre doses, [Théâtre des Variétés, 22 février 1833], Paris, Barba, 1833, p. 30-33.
[44] Anicet-Bourgeois, La Vénitienne, V, 10 et 11, drame en 5 actes et 8 tableaux, [Porte Saint-Martin, 18 mars 1834], Paris, Marchant, 1834, p. 32.