Chantal Brière : Mourir dans Les Misérables
Communication au Groupe Hugo du 26
novembre 2005
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« De linénarrable absolu, il ny a rien à raconter »[1] : telle est laporie à laquelle aboutit la réflexion de Vladimir Jankélévitch, constat douloureux de limpuissance de la pensée et du langage à concevoir et à formuler « ce que personne na jamais éprouvé »[2] qui condamne donc par avance tout récit de mort à lincomplétude et tout discours sur la mort à une stratégie de détournement ou dextrapolation. « Faute de penser la mort, ajoute le philosophe, il ne nous reste, semble-t-il, que deux solutions ; ou bien penser sur la mort, autour de la mort, à propos de la mort ; ou bien penser à autre chose quà la mort, et par exemple à la vie »[3]. La pensée de limpensable est reléguée en marge du sujet et, pour dire lindicible, le langage a recours à leuphémisme et à la périphrase, autant de voies obliques et de « zigzags de la conversation »[4] dont se méfie la philosophie qui y voit une manière desquiver « le mouvement rectiligne qui désignerait, dune désignation transitive, le complément direct appelé mort »[5]. Cet « art de bavarder à côté du sujet »[6] impuissant à dire la mort réelle perd de sa vacuité et se charge de sens quand la mort devient fictive, cest-à-dire inscrite dans un discours littéraire et, puisquil sagit ici des Misérables, décrite, narrée, dramatisée dans la construction romanesque.
Les morts sont nombreux dans Les Misérables tout aussi nombreuses les analyses magistrales qui en ont rendu compte et le discours sur la mort y est omniprésent. Comment composer une fresque historique, « un drame dont le premier personnage est linfini »[7], lhistoire dune rédemption individuelle et de la marche au Progrès sans évoquer lexpérience des limites ?
Si limpossibilité de parler de la mort conduit à parler de la vie pour mieux la comprendre, le constat de Jankélévitch appliqué à lobjet littéraire nest plus un échec mais un principe de structure et de vitalité du récit. La mort clôt la biographie du héros ou de tout autre personnage et, à linverse du récit de naissance qui ouvre des possibles, celui des derniers instants résume et conclut, fige de manière stylisée ce qui a été lessentiel de lêtre qui disparaît. Conclusion qui se double souvent dune position finale du récit, clausule dun livre éponyme, voire du roman (« Fantine », « Jean Valjean »), fin du deuxième et dernier acte du drame intitulé « Le drapeau » pour le père Mabeuf ; Eponine rend son dernier souffle au dernier mot du chapitre « Lagonie de la mort après lagonie de la vie », lâme de Gavroche senvole au point final et, dans lisolement dun livre au chapitre unique, Javert se donne la mort, geste atypique et réprouvé. Le texte samuït ou sinterrompt au moment de la rupture fatale.
Lagonie et la disparition des personnages tendent un miroir aux événements antérieurs et lultime biographème quest la mort construit une épure de la vie. De chaque personnage, il serait presque possible de dire : « il est mort comme il a vécu ». Mais il est clair aussi quà loccasion dune mort individuelle la fiction souvre sur une réalité : les causes de la mort, lappareil funéraire, les manifestations du deuil confèrent à chaque disparition une valeur historique et sociologique. La représentation de la mort stylise la vie du personnage en même temps quelle représente les conditions de vie dune société, sans quil soit pour autant question de considérer la littérature comme un document puisque nous verrons que le récit de mort nest que pur langage.
1 - La mort dans le récit
Le lecteur des Misérables est confronté à la mortalité, comme il lest à la criminalité, autre phénomène social à même de caractériser la France des premières décennies du XIXe siècle et de donner au roman son ancrage sociologique. De 1815 à 1833, bornes chronologiques de la fiction, nintervient aucun récit de naissance : Cosette a déjà deux ans lorsquil est fait mention de son existence, le cri que pousse Gavroche « au tome II » nannonce pas sa venue au monde, ses frères, présence surnuméraire, apparaissent plus quils ne naissent et les enfants viennent à M. Gillenormand dans des bourriches dhuîtres et sen retournent contre espèces sonnantes et trébuchantes. En revanche, à lexclusion de Marius et Cosette, M. Gillenormand, Thénardier et dAzelma enfuis aux Amériques, la mort emporte personnages et figurants.
LHistoire et ses assauts balaient les soldats de Waterloo et leurs chefs, dûment cités au champ dhonneur. Bien malgré eux et en dépit de paroles qui se voulaient les dernières, Ney et Cambronne ont survécu : le premier « réservé à des balles françaises »[8], le second excusé pour avoir échappé à la mitraille répondant à linsulte. La mort collective et anonyme se traduit de la manière la plus concrète par des chiffres, des bilans et des pourcentages :
On a fait ce calcul et établit cette proportion : Perte dhommes : - A Austerlitz, français, quatorze pour cent ; russes, trente pour cent ; autrichiens, quarante-quatre pour cent. A Wagram, français, treize pour cent ; autrichiens, quatorze. A la Moskowa, français, trente-sept pour cent ; russes, quarante-quatre. A Bautzen, français, treize pour cent ; russes et prussiens, quatorze. A Waterloo, français cinquante-six pour cent ; alliés, trente et un. Total pour Waterloo, quarante et un pour cent. Cent quarante-quatre mille combattants ; soixante mille morts.[9]
Revenu vivant des cimetières que furent les grandes batailles napoléoniennes, le colonel Pontmercy, victime dune fièvre cérébrale, séteint quant à lui dans la solitude. Son visage de gisant révèle lhomme quil a été : lingratitude de la nation pour ce demi-solde et labandon des siens se lisent dans une larme que la mort na pas tarie ; « son visage vénérable et mâle » exprime la bonté et la dignité de lhomme ; sa carrière de soldat de lEmpire lui a laissé des stigmates, ses seules décorations : « lignes brunes » des coups de sabre, « étoiles rouges » des balles, « gigantesque balafre ». Évincé par le retour de la monarchie, exilé à Vernon, cest dans loubli que lhomme sest éteint après « un accès de délire »[10] et sa mort confirme ce rendez-vous manqué avec lHistoire comme avec la vie :
On avait appelé le médecin et le curé. Le médecin était arrivé trop tard, le curé était arrivé trop tard. Le fils aussi était arrivé trop tard.[11]
Lautre guerre, la guerre civile, déchaîne une violence dautant plus redoutable que, comme les mers fermées produisent les plus fortes tempêtes, elle se déroule « entre quatre murs » ; espace fatal pour lassassin Le Cabuc condamné par Enjolras, le père Mabeuf mitraillé sur la barricade, Prouvaire exécuté comme prisonnier, Eponine soupirant et expirant pour Marius, Gavroche moineau foudroyé, les amis de lA B C : « Bossuet fut tué ; Feuilly fut tué ; Courfeyrac fut tué ; Joly fut tué ; Combeferre, traversé de trois coups de bayonnette dans la poitrine au moment où il relevait un soldat blessé, neut que le temps de regarder le ciel, et expira »[12], enfin pour Enjolras et Grantaire fusillés ensemble. Les uns et les autres trouvent une fin qui leur ressemble ou les dépasse : pour lobscur Le Cabuc-Claquesous, « [s]a vie avait été ténèbres, sa fin fut nuit »[13] ; Mabeuf qui « nétait ni royaliste, ni bonapartiste, ni chartiste, ni orléaniste, ni anarchiste »[14] devient, au sens propre et figuré, porte drapeau de linsurrection et sa mort interprétée justement ou non donne une fin « magnifique » à une existence qui ne le fut pas toujours ; lagonie dEponine prolonge celle de sa vie comme lindique le titre du chapitre : elle meurt en femme, amoureuse et malade, en enfant qui ne veut pas être grondé, déguisée en garçon. Protectrice ou prédatrice, être réel ou surnaturel, elle tient à Marius des propos à double sens et ses actes contredisent ses paroles puisquelle se réjouit davoir conduit Marius à la barricade et à une mort certaine au moment même où elle vient de lui sauver la vie. Aussi la représentation de sa mort semble-t-elle équivoque : sa souffrance, sa quête damour, son adieu à la vie et son espoir en lautre vie relèvent du pathétique et contrastent avec la représentation réaliste et triviale de son corps agonisant réifié (« Cela rampait sur le pavé. Cétait cela qui lui parlait. »[15], « Elle appuyait en parlant sa main percée sur sa poitrine où il y avait un autre trou, et doù sortait par instant un flot de sang comme le jet de vin dune bonde ouverte. »[16]). La vie comme la mort refusent à Eponine laccès au sublime, elle a de la paille dans les cheveux, « non comme Ophélia pour être devenue folle à la contagion de la folie dHamlet », mais pour avoir « couché dans quelque grenier décurie »[17]. Gavroche, qui chante pendant que meurt sa sur, chante au moment de mourir comme il est apparu dans la vie en criant. Jacques Seebacher a montré le caractère spectaculaire du personnage et le pathétique de sa fin qui arrête « cette féerie » à travers laquelle se dessinait lespoir, « lingénuité dune rouerie qui créait sans cesse la nature de la socialité »[18]. Messager, amateur de théâtre et de bons mots, atome de la grande ville, gamin et lutin, Gavroche joue son dernier rôle en mêlant tous les autres. Cest enfin en chef et en martyr que meurt Enjolras : sa beauté lumineuse et préservée na dégale que son courage, une image pieuse que la mort crucifie alors que Grantaire « qui réalisait, dans toute son énergie, la vieille métaphore : ivre mort »[19] demande à figurer au calvaire comme un larron qui ne sera plus jamais entre deux vins.
Dautres combats souvent perdus davance inscrivent leur date fatale dans la temporalité du roman : 1832 et lépidémie de choléra, ou encore « il y a trente cinq ans » - soit aux environs de 1825-1826 -, « la grande épidémie de croup qui désola, les quartiers riverains de la Seine à Paris, et dont la science profita pour expérimenter sur une large échelle lefficacité des insufflations dalun, si utilement remplacés aujourdhui par la teinture externe diode »[20]. Il faut se rappeler quau moment où Hugo reprend le manuscrit des Misérables il souffre de problèmes laryngés qui linquiètent comme en témoigne cette note du 24 janvier 1861 :
Depuis le 13 décembre dernier, je me crois, quoi quen disent les médecins, atteint dune laryngite chronique dont le dénouement sera une phtisie laryngée. Je cache ma pensée et je ninquiète personne autour de moi. Il faut porter avec sérénité le poids dune idée sombre.
Jaurais voulu achever ce que jai commencé. Je prie Dieu dordonner à mon corps de patienter et dattendre que mon esprit ait fini. [21]
Quil choisisse alors de faire mourir les enfants de la Magnon de cette maladie, sorte dangine qui provoque un développement de membranes dans les voies respiratoires, entraînant une aphonie puis une suffocation, nest peut-être pas pour nous étonner. Linquiétude de Hugo le 1er janvier 1861, constatant que « [s]a voix est toujours éteinte »[22], a trouvé à sexprimer dans ce détail narratif.
Pour soutirer toujours plus dargent à Fantine, Thénardier invente une maladie qui menacerait à court terme la vie de Cosette : la fièvre miliaire, « maladie qui est dans le pays » et pour laquelle il « faut des drogues chères »[23]. Larousse explique quen 1821 lépidémie de cette fièvre éruptive avait été meurtrière et sétait répandue depuis des villages entourés deaux stagnantes « la question de leau à Montfermeil » est bien réelle puisque les étangs alimentent le village en eau potable. Aux enfants et aux femmes la maladie : la mère de Jean Valjean succombe à une fièvre de lait mal soignée, la femme de celui qui nest pas encore Monseigneur Myriel meurt « une maladie de poitrine »[24], Fantine dune phtisie ou tuberculose dont le récit marque linéluctable évolution, maladie symboliquement associée à la maternité : « Fantine avait nourri sa fille ; cela lui avait fatigué la poitrine et elle toussait un peu »[25] ; la polysémie du mot poitrine facilite le rapprochement aux dépens de lexactitude scientifique. Le mal finit par se déclarer après lagression de Bamatabois, occasion pour lauteur de rappeler une réalité : Fantine souffre de la maladie du siècle, étudiée par Laënnec[26], qui est surtout le tribut à payer de la misère : « La phtisie sociale sappelle misère »[27]. Sans la barricade qui a décidé de son sacrifice, Eponine serait morte de la même manière et les symptômes quelle présente, « toux sèche », « râle » sorti de « sa poitrine étroite et débile »[28], maigreur effrayante, reproduisent la déchéance physique de Fantine. La « descente » de Fantine se poursuit jusquà la tombe ; malade et incurable, elle meurt de frayeur en voyant le visage de Javert, masque impassible de lautorité répressive. Cest un corps et un esprit martyrisés qui connaissent en ce monde les affres de la damnation : « elle ouvrit la bouche comme pour parler, un râle sortit du fond de sa gorge, ses dents claquèrent, elle étendit les bras avec angoisse, ouvrant convulsivement les mains comme quelquun qui se noie », scène de torture qui anticipe peut-être les tourbillons de la Seine et les « convulsions » qui effaceront son bourreau. La fosse publique reçoit la fille publique, elle ny repose pas mais on ly « coucha dans les ténèbres parmi les premiers os venus », elle qui avait dû coucher avec le premier venu et que les hommes et un curé peu charitable condamnent à jamais : « Sa tombe ressembla à son lit »[29], « tombeau convenable » au sens strict du terme. Quant à Javert, il meurt contre lui-même, « déraillé », il attente à sa vie après avoir enfreint la loi qui était sa raison dêtre. Jean-Pierre Richard en a fait une très grande « petite lecture »[30].
La mort emporte les figurants du récit : la fille de Champmathieu, blanchisseuse à la rivière puis au lavoir des Enfants-Rouges, qui se tue à la tâche dans le froid ou la buée intense et subit en rentrant les coups de son mari ; les femmes assassinées dans des quartiers déserts, comme la bergère dIvry ; les hommes victimes daccidents de travail : le père de Jean Valjean tombe dun arbre, le fossoyeur creuse sa tombe en fréquentant trop assidûment, cest-à-dire à chaque enterrement, le cabaret et « le cruchon du Suresne »[31], légoutier Blaise Poutrain, frère dun fossoyeur, senlise dans un fontis. Elle efface les familles sans histoire ni identité vouées à loubli et surtout les « feuilles tombées de toutes ces branches sans racines, et roulées sur la terre par le vent »[32], les enfants sans famille, abandonnés donc perdus, comme lorphelin de Necker qua vu mourir Combeferre :
Ce pauvre môme, je me le rappelle, il me semble que je le vois, quand il a été nu sur la table danatomie, ses côtes faisaient saillie sous sa peau comme les fosses sous lherbe dun cimetière. On lui a trouvé une espèce de boue dans lestomac. Il avait de la cendre sous les dents. Les statistiques constatent que la mortalité des enfants abandonnés est de cinquante-cinq pour cent.[33]
A ces images dangoisse soppose lagonie sereine des personnages entourés et accompagnés, au chevet de qui se penchent la religion et/ou la médecine et qui séteignent de leur « belle mort » : le conventionnel dans sa retraite, lévêque aveugle et aimé, passant dun paradis à un autre et « trépassé en odeur de sainteté à lâge de quatrevingt-deux ans »[34], selon lexpression consacrée employée par les journalistes qui ne manquent ni de lyrisme ni dimagination, la mère Crucifixion morte en bienheureuse. « Il y a eu du paradis dans cette mort-là »[35] affirme la supérieure du couvent qui ne sétonnerait pas de la survenue de miracles après la mort de celle qui couchait dans son cercueil depuis vingt ans et doit donc rester dans la communauté malgré la loi. Cet épisode, dont nous aborderons ultérieurement le côté profondément comique, met le récit en prises directes avec le réel car souvent la nécrologie des Misérables saccompagne de lévocation des rites sociaux, culturels et religieux qui entourent le décès. Au couvent du Petit-Picpus, « la cérémonie de mourir »[36] est parfaitement codifiée, au rythme des sonneries. Les explications concrètes et volontiers métaphoriques de Fauchelevent donnent pour ainsi dire la marche à suivre :
Quand le médecin a visé le passe-port pour le paradis, les pompes funèbres envoient une bière. Si cest une mère, les mères lensevelissent ; si cest une sur, les surs lensevelissent. Après quoi, je cloue. Cela fait partie de mon jardinage. Un jardinier est un peu fossoyeur. On la met dans une salle basse de léglise qui communique à la rue et où pas un homme ne peut entrer que le médecin des morts. Je ne compte pas pour des hommes les croque-morts et moi. Cest dans cette salle que je cloue la bière. Les croque-morts viennent la prendre, et fouette cocher ! cest comme cela quon sen va au ciel. On apporte une boîte où il ny a rien, on la remporte avec quelque chose dedans. Voilà ce que cest quun enterrement. De profundis.[37]
Marius va sur la tombe de son père porter des fleurs et y conduira Cosette. Chargé de lespionner, Théodule, le fringant lancier, est impressionné de cette visite et doublement respectueux devant la dernière demeure dun colonel : « La mort lui apparut avec de grosses épaulettes, et il lui fit presque le salut militaire »[38]. Les morts laissent un testament, un héritage, des objets que sacralise labsence et, en mémoire du disparu, les vivants portent le deuil. Ainsi Jean Valjean le prend-il à la mort de lévêque, ainsi habille-t-il Cosette de vêtements noirs en mémoire dune mère sans nom et garde-t-il ces vêtements de deuil embaumés dans linséparable, la petite valise noire, véritable cercueil de lenfance de Cosette, ainsi Marius arbore-t-il un traditionnel crêpe noir à son chapeau, puis, suspendue à son cou par un ruban noir, une boîte de chagrin enfermant le testament de son père et désirant « toujours être en deuil », ne sort-il que la nuit afin que son seul habit, malheureusement vert, paraisse noir.
Les travaux de Philippe Ariès permettent de mesurer le souci dexactitude qui chez Hugo préside à lagencement de certains matériaux romanesques. Linterdiction dinhumer les corps à lintérieur des églises par mesure de salubrité recueille tout le mépris de la supérieure du couvent qui voit là « une invention révolutionnaire ; Dieu subordonné au commissaire de police »[39]. Cest en effet le décret du 23 prairial an II (12 juin 1804) qui interdit définitivement par mesure dhygiène collective les enterrements dans les églises et dans les villes ; il pose aussi le principe que dans les fosses les corps ne seront plus superposés mais juxtaposés, ce qui augmentait la surface nécessaire pour les cimetières éloignés de la ville (au moins 35 à 40 mètres). Au début du XIXe siècle sinstaurent aussi les pratiques de la concession perpétuelle, proposée en particulier dans le tout nouveau et luxueux cimetière du Père-Lachaise, et de la pierre tombale dont les épitaphes sont alors, selon Philippe Ariès, « longues, bavardes et personnelles »[40].
Le rituel sera détourné en secret par la communauté des religieuses et permettra la renaissance de Jean Valjean comme « la pompe militaire officielle »[41] déployée pour le convoi funèbre du général Lamarque cédera la place à lémeute populaire. De lagonie au sépulcre, des signes distinctifs continuent dopérer : les misérables finissent à la fosse commune, les soldats dans le fossé dOhain devenu tragiquement « fosse », les religieuses sont transportées dans « un corbillard vieux modèle, orné de têtes de mort, de tibias et de larmes » au cimetière de Vaugirard, lieu qui va disparaître, et elles sont inhumées à lécart, le soir, dans un endroit ayant appartenu au couvent.
Jean Valjean repose lui aussi à lécart, non loin de la fosse commune quil aurait pu rejoindre, et « loin du quartier élégant de cette ville des sépulcres, loin de tous ces tombeaux de fantaisie qui étalent en présence de léternité les hideuses modes de la mort »[42]. La description du cimetière du Père-Lachaise, ouvert le 21 mai 1804 et aménagé par larchitecte Brongniart, suscite à plusieurs reprises lironie de Hugo, y compris par lintermédiaire de Thénardier[43], et correspond à celle quen donne Pierre Larousse :
Ce nest pas un cimetière : cest une véritable ville, avec ses quartiers opulents et ses quartiers pauvres. A côté de monuments magnifiques, ombragés darbustes et de fleurs, apparaît la fosse commune, formée par deux immenses tranchées pratiquées dans les flancs dune terre stérile. Là, rien que la solitude ingrate et nue, tandis quà quelques pas se dressent chapelles gothiques, sarcophages, pyramides, obélisques, génies de la mort plus ou moins corrects, symboles et attributs divers, monuments dorgueil pour la plupart. Les distinctions sociales y sont rappelées avec une ostentation qui attriste : titres, armoiries, blasons sétalent sur la pierre.
Cest dans un entre-deux que se trouve la dépouille de Jean Valjean, à limage dune sa vie qui na été quune douloureuse et perpétuelle alternative. Précédées dune réduction de lespace, de la nourriture et de lespérance, son agonie et sa mort mettent un terme à ce que Guy Rosa a défini comme « les étapes dun progrès tout entier déceptif et soustractif »[44]. Autour de lui, des objets reliques les chandeliers, le trousseau de Cosette, le miroir indiscret , en lui, des souvenirs qui remontent à la scène initiale de la rencontre à Montfermeil, point fixe des méandres de la mémoire et du délire, une mise en ordre de sa conscience qui nen a pas besoin, hors de lui, le flot de paroles dun taciturne.
Grâce à létude des variantes et des additions du manuscrit, Jacques Seebacher a montré la composition et le symbolisme de cette scène. A propos des souvenirs qui affluent à la mémoire du personnage et dont la forme plurielle invite à reconnaître, avant lépitaphe, un résumé du roman, il se demande si lagonie de Jean Valjean correspond à « ladaptation littéraire » de lidée répandue qui veut « quau seuil de la mort, lhomme revoit toute sa vie ».[45] Pas totalement affirmative, sa réponse montre quà travers cette évocation le passé est bien isolé pour que la conscience se prépare à sen détacher. Quoi quil en soit, il faut souligner quau moment où Hugo prête à son personnage les gestes de lagonisant une soif inextinguible, la perte de conscience, les mains creusant létoffe des vêtements un commentaire nous renvoie aux stratégies de fuite et de survie qui ont été monnaie courante dans lexistence de Jean Valjean qui sait « [l]es zigzags de la stratégie » et a connu « [l]es tâtonnements de lévasion »[46] :
On pourrait dire que lagonie serpente. Elle va, vient, savance vers le sépulcre, et se retourne vers la vie. Il y a du tâtonnement dans laction de mourir. [47]
Cest un saint que lange attend dans lombre, mais peut-être a-t-il encore les manières du bagnard qui sévade de la vie ?
En arrière-plan se dessine une réalité historique qui agonise à sa manière : lEmpire seffondre à Waterloo et malgré le dernier sursaut du dernier carré, « Ulm, Wagram, Iéna, Friedland mouraient en eux »[48]. Dans sa chute, il entraîne la Révolution mise à mort par une Europe monarchique coalisée et le monument de Waterloo, qui se dresse sur des « brouettées de terre pleines dossements »[49], commémore la fin dun monde et la naissance dun mythe. La Restauration sinstalle sur un vide et sur des cadavres. Dailleurs, le salon ultra de madame de T. que Marius fréquente est peuplé de fantômes :
Tout cela avait lair davoir vécu il y a très longtemps, et de s »obstiner contre le sépulcre. Conserver, Conservation, Conservateur, cétait là à peu près tout le dictionnaire. Être en bonne odeur était la question. Il y avait en effet des aromates dans les opinions de ces groupes vénérables, et leurs idées sentaient le vétyver. Cétait un monde momie. Les maîtres étaient embaumés, les valets étaient empaillés.[50]
A leur tour les Bourbons seffacent sans majesté particulière : « leur descente dans la nuit ne fut pas une de ces disparitions solennelles qui laissent une sombre émotion à lhistoire »[51] et, en 1832, les « lézardes » menacent déjà le règne de Louis-Philippe. Lhistoire comme légout charrie les dépouilles, abrite les assassinats, révèle la vérité par le résidu, prouve par les abîmes.
Si la représentation littéraire donne un sens à la mort du personnage dans son destin individuel comme dans son cheminement socio-historique, elle instaure également une relation signifiante entre les différentes morts. En conclusion de son article « Évêques et conventionnels », Jacques Seebacher met en évidence que mission et transmission construisent, dune mort à lautre, la leçon des Misérables, voire de luvre romanesque dans sa totalité. Toutes les morts conduisent à celle de Jean Valjean, sacrifice et renoncement suprêmes du moi et Les Misérables, « enfermés entre la mort dun criminel et dun conventionnel au début et celle du forçat racheté à la fin »[52], ravivent les discours des romans antérieurs sur la peine de mort et annoncent la quête de ceux à venir.
Le système des personnages trouve cohérence et cohésion dans la mort. Nous ne reviendrons pas sur le sacrifice. Agnès Spiquel a parlé dEponine, Nicole Savy de Cosette vivant de la mort des autres, non pas à la manière de Thénardier personnage nécrophage, mais en toute innocence : prédatrice de Fantine, rivale triomphante dEponine, jeune fille « papillon » abandonnant sa « chrysalide » Jean Valjean[53]. La mort fictive nest pas compensée par une naissance, comme dans la vie réelle, mais par la renaissance de lautre. Beaucoup de commentaires lont souligné.
Dans le dialogisme quentretient la fiction avec le symbolique, dialogisme étudié par Pierre Laforgue à propos des Misérables, un motif récurrent structure la relation entre les morts et les vivants : il sagit de la promesse. Le titre du livre III de la deuxième partie, « Accomplissement de la promesse faite à la morte », pourrait ouvrir nombre dépisodes. Si les paroles murmurées à loreille de Fantine morte par Jean Valjean annoncent les actes à venir et ladoption de Cosette, elles prolongent aussi une précédente promesse jamais formulée mais effective lorsque lévêque sauve Jean Valjean de larrestation et de la récidive, le contraignant à un pacte jusquà sa mort :
- Noubliez pas, noubliez jamais que vous mavez promis demployer cet argent à devenir honnête homme.[54]
Ainsi les vivants sont-ils les obligés des morts. Pour convaincre son jardinier denfreindre la loi de salubrité, Mère Innocente impose le même argument sans appel : « Père Fauvent, il faut faire ce que veulent les morts »[55]. Cest bien ce que fait Marius en découvrant et respectant à la lettre les dernières volontés de son père, notifiées sur un chiffon de papier, qui lui demandent de porter son titre contesté par la restauration et de faire le bien à son sauveur Thénardier. La mue de Marius saccomplit progressivement et irrémédiablement. Devenu baron de Pontmercy, il se dépouille de « son ancienne peau de bourbonien et dultra »[56], se passionne pour lépopée napoléonienne et, la conscience torturée face aux activités du sauveur de son père, il se retrouve au centre dun débat plus mélodramatique que cornélien :
Son père lui ordonnait du fond de son cercueil de faire tout le bien possible à Thénardier, depuis quatre ans Marius navait pas eu dautre idée que dacquitter cette dette de son père, et, au moment où il allait faire saisir par la justice un brigand au milieu dun crime, la destinée lui criait : Cest Thénardier ! La vie de son père, sauvée dans une grêle de mitraille sur le champ héroïque de Waterloo, il allait enfin la payer à cet homme et la payer de léchafaud ! [ ] Son père lui disait : Secours Thénardier ! et il répondait à cette voix adorée et sainte en écrasant Thénardier ! Donner pour spectacle à son père dans son tombeau lhomme qui lavait arraché à la mort au péril de sa vie, exécuté place Saint-Jacques par le fait de son fils, de ce Marius à qui il avait légué cet homme ! et quelle dérision que davoir porté sur sa poitrine les dernières volontés de son père écrites de sa main pour faire affreusement le contraire ! [57]
Linfâme enseigne de la gargote, sacralisée par le regard de Marius qui la découvre alors, produit un miracle en rendant la vie au colonel : « cétait une résurrection, une tombe sy entrouvrait, un fantôme sy dressait »[58]. Tout est quiproquo dans cette promesse : le sauveur est un voleur, le nom de Pontmercy réduit à ses deux dernières syllabes na pas été compris, un père mort attend son fils qui va mourir pour des reproches infondés. En jouant de ces malentendus, la dynamique nen est que plus féconde. Jusquau moment où Marius chasse Thénardier, venu involontairement lui révéler la vérité, il gardera le souci du contrat à remplir même si les termes ont changé ; en passant du singulier au pluriel, la dette a quitté lhonneur pour la réalité économique et mille cinq cents francs sont désormais nécessaires et suffisants pour apaiser la conscience du fils :
Il allait donc enfin délivrer de ce créancier indigne lombre du colonel, et il lui semblait quil allait retirer de la prison pour dettes la mémoire de son père.[59]
A la mort dEponine, Marius découvre une seconde promesse quil avait contractée sans en connaître la nature et quil accomplira pour la morte. En échange de ladresse de Cosette, Marius avait promis à Eponine de lui donner tout ce quelle voudrait. Autour du verbe « donner » se construit un nouveau quiproquo qui superpose la récompense financière et le geste véritablement attendu : Eponine rejette largent et seule la mort lui donnera le courage de réclamer son dû :
Maintenant pour ma peine, promettez-moi Et elle sarrêta. Quoi ? demanda Marius.- Promettez-moi ! Je vous promets. Promettez-moi de me donner un baiser sur le front quand je serai morte. Je le sentirai.[60]
Elle le sentira comme Fantine a entendu les paroles de Jean Valjean murmurées à son oreille, dans un au-delà des apparences et dans la véritable promesse qui est celle des retrouvailles.
La société tout entière entend la promesse aux morts quand elle sinscrit dans le discours idéologique et politique : au-dessus des cendres du passé, des massacres de 93, des victimes à venir, les prophètes décrivent un monde meilleur et un avenir lumineux. Au moment de mourir, le conventionnel justifie la violence révolutionnaire, la fin du tyran et la mort du vieux monde ; Enjolras, inspiré par lapproche de sa fin, sengage devant lavenir en annonçant la fin du Mal, visible à lhorizon de la barricade :
On pourrait presque dire : il ny aura plus dévénements. On sera heureux. Le genre humain accomplira sa loi comme le globe terrestre accomplit la sienne ; lharmonie se rétablira entre lâme et lastre ; lâme gravitera autour de la vérité comme lastre autour de la lumière. Amis, lheure où nous sommes et où je vous parle est une heure sombre ; mais ce sont là les achats terribles de lavenir. Une révolution est un péage. Oh ! le genre humain sera délivré, relevé et consolé ! Nous le lui affirmons sur cette barricade. [ ] Frère, qui meurt ici meurt dans le rayonnement de lavenir, et nous entrons dans une tombe toute pénétrée daurore.[61]
La responsabilité individuelle et lengagement politique prennent pour origine le don à autrui et au nom des morts saccomplit une forme de dépassement. À son tour, le lecteur sengage sur la tombe du plus misérable afin que le livre quil vient dachever ne soit pas « inutile ».
Dans un mouvement rétrospectif, la mort romanesque parle de la vie du disparu et, dans un mouvement prospectif, elle engage les actes à venir, point charnière de len deçà et de lau delà, point de jonction également tant la vie des misérables ressemble à la mort. Le misérable est un mort vivant, la vie loublie et sa disparition nest que substitution : Jean Valjean prend la place laissée vide par son père ou le mari de sa sur et « cela se fit simplement », la Magnon remplace ses enfants morts par ceux des Thénardier « le plus simplement du monde »[62]. Cette expression sert de faire-part de naissance comme de décès : Fantine est « venue dans la vie comme cela », Gavroche « sans savoir pourquoi », variations autour de lépitaphe de Jean Valjean : « La chose simplement delle-même arriva ».
Outre le peu de prix accordé aux limites de la vie des misérables, les événements qui la remplissent sont mortifères : la pénalité autant que la guerre compte des victimes, la première abandonne lêtre à un irrémédiable naufrage social et moral, « cette affreuse mort vivante, cette mort à ciel ouvert, quon appelle le bagne ! »[63], « cette persécution sépulcrale »[64] qui resurgit au passage de la cadène, la seconde sachève dans le carnage qui assassine les vaincus. La nuit menace Cosette contrainte daller chercher leau ; odieuse exploitation de lenfant qui figure parmi les « choses qui font ouvrir les yeux aux mortes dans leur tombeau »[65] ; avilissement des filles « pareilles à ces fleurs tombées dans la rue que toutes les boues flétrissent en attendant quune roue les écrase »[66]. Les misérables sont voués aux limbes : « séparés de tous par des murs de tombe »[67], Jean Valjean et Cosette sont les figures tragiques du Veuf et de lOrpheline, les Jondrette habitent « en dehors du monde des vivants », partie tout juste émergée des bas-fonds, la fosse infernale où rôdent les spectres et les larves. Deux titres disent léquivalence : « Lagonie de la mort après lagonie de la vie » et « Les morts ont raison et les vivants nont pas tort ». Si la mère Crucifixion couchait dans son cercueil, les misérables logent dans des tombeaux, galetas exigu, masure environnée de souvenirs et dombres sinistres, recoins abritant des grouillements dinsectes ou monument désaffecté partagé avec les rats :
Le galetas, la cave, la basse fosse où de certains indigents rampent au plus bas de léchelle sociale, nest pas tout à fait le sépulcre, cen est lantichambre ; mais, comme ces riches qui étalent leurs plus grandes magnificences à lentrée de leur palais, il semble que la mort, qui est tout à côté, mette ses plus grandes misères dans ce vestibule. [68]
Il faut adjoindre à ce constat morbide la présence de personnages qui ont commerce la mort. Nature heureuse, M. Gillenormand nen finit pas de bien vivre, « aspirant centenaire » plutôt quexpirant, non à la manière des octogénaires « qui, comme M de Voltaire, ont été mourants toute leur vie »[69] ; cependant, privé de Marius puis le retrouvant entre la vie et la mort, il sinsurge dune voix doutre-tombe contre lordre absurde des choses : « Tué ! mort avant moi ! »[70]. Marius sauvé des barricades et sorti de légout « fait leffet dun mort à quelquun qui sy connaît », en loccurrence Javert qui vient déchapper à une exécution sommaire. Quant aux religieuses, elles vivent leur foi en mourant au monde, « un suicide payé déternité »[71]. Aux couvents du passé morbidité et mortification, aux silhouettes agenouillées lintervalle infime « où le rayon affaibli de la vie se mêle au rayon vague de la mort »[72].
Comme tous les autres misérables, plus que tous les autres, Jean Valjean est lincarnation de la mort. Revenu de lenfer du bagne, racheté au mal, au plus fort de son abnégation, il ne peut vivre avec les autres : « Ainsi, moi, un mort, je me serais imposé à vous qui êtes des vivants. [ ] Je suis hors de la vie, monsieur. »[73]
Il a vécu toutes les morts, le naufrage social, la mort en rêve, les changements de matricule et didentité, les fausses morts en mer, en terre, ankylosé « entre quatre planches », la mort imminente et ignoble dans légout, « épouvantable enterrement long, infaillible, implacable, impossible à retarder ni à hâter, [ ] Sinistre effacement dun homme »[74]. Il a également vécu comme un mort : à Montreuil-sur-Mer, sa chambre a la réputation dune grotte, doublet étymologique de la crypte, qui après constatation des plus curieuses ne contient ni tibias ni têtes de mort mais demeure « une caverne dermite, un rêvoir, un trou, un tombeau »[75]. Hanter la mort est une habitude du maire :
Quand il voyait la porte dune église tendue de noir, il entrait ; il recherchait un enterrement comme dautres recherchent un baptême. Le veuvage et le malheur dautrui lattiraient à cause de sa grande douceur ; il se mêlait aux amis en deuil, aux familles vêtues de noir, aux prêtres gémissant autour dun cercueil. Il semblait donner volontiers pour texte à sers pensées ces psalmodies funèbres pleines de la vision dun autre monde. Lil au ciel, il écoutait, avec une sorte daspiration vers tous les abîmes de linfini, ces voix tristes qui chantent sur le bord de labîme obscur de la mort.[76]
Sur la voie douloureuse, Jean Valjean sauve son âme en sauvant la vie des autres, marche vers sa résurrection en acceptant la mort. La barricade le reconnaît comme « un homme qui sauve les autres »[77], mais si longue soit la liste de ces « autres », elle ne compense jamais le vol de Petit-Gervais : les enfants du capitaine de gendarmerie de Montreuil-sur-Mer sauvés dun incendie, la ville tout entière tirée de la misère qui périclitera après son départ, Fauchelevent qui le lui rendra, Champmathieu, le gabier de lOrion, Cosette dont lamour le fait renaître et dont la perte lui sera fatale, Marius dont il souhaite la mort et quil rend à la vie.
La mort reste bien cet «inénarrable absolu » mais sa présence, voire son omniprésence, dans Les Misérables semble un principe fécond de la narration. « La vie nest bien regardée que du seuil de la tombe »[78], écrit Hugo dans Philosophie - Commencement dun livre, sexpliquant sur la nature spiritualiste du livre de la misère. La mort est un surplomb nécessaire du récit pour entrevoir un autre mystère : la misère.
La mort ne se raconte pas, les morts nont rien à dire. Le seul équivalent de labsence serait le silence, ce silence quégrène une ligne de pointillés à la date du 4 septembre 1843, mais le récit ne joue pas le jeu et propose une suppléance.
2 - Le récit de la mort
Lorsquun personnage décède, le texte se tait dans le blanc narratif quest lellipse. Lévêque sagenouille devant le conventionnel pour recevoir sa bénédiction : « Quand, lévêque releva la tête, la face du conventionnel était devenue auguste. Il venait dexpirer. »[79]. La même expression annonce la mort du colonel Pontmercy mais la proximité accuse ici le retard du fils ; après la description des ultimes tourments de Fantine, la phrase sachève, le point final et le retour à la ligne léloignent de la suivante : « Elle était morte »[80] ; les points de suspension arrêtent la chanson et la vie de Gavroche, Jean Valjean sévanouit au moment où il entend tomber les pelletées de terre sur son cercueil, la rupture du chapitre ajourne ainsi la possibilité de lanalyse des pensées dun mort. Ces traductions de la rupture mettent en jeu la typographie plus que le langage qui avoue son impuissance. Dire la mort, cest dire un avant ou un après ; aucun temps verbal ne saurait donner la parole à la mort : un personnage songe à mourir, va ou vient de mourir, si le conventionnel passe dun « Je mourrai dans trois heures » à « je me meurs »[81], il ne fait que ponctuer son agonie ; en écho, la réponse dEponine à Marius, privée du pronom réfléchi : « Comment êtes-vous ici ? Que faites-vous là ? Je meurs, lui dit-elle. »[82], fait passer la mort de soi à un phénomène naturel. Quand il sécrit : « tout à lheure, jétais un vivant ! »[83], le soldat inconnu de Waterloo, broyé dans le fossé dOhain, décrit son martyr et non sa mort ; léquivalence des deux actes de Marius consignés dans son message à Cosette est un leurre : « Je meurs. Je taime. »[84] puisque lun a valeur performative, lautre pas. Le locuteur qui emploie le verbe mourir au passé néchappe pas à une forme de comique, Cosette exprime ainsi en badinant son inquiétude : « Pendant quatre mois, jai été morte. »[85].
Aussi le texte cherche-t-il à inscrire la mort plus quà la transcrire en multipliant les effets de mises en abyme de lécriture. Les articles de journaux, cités dans leur intégralité ou en partie, annoncent la disparition de lévêque, celle du bagnard et de Javert. Ces « documents » insérés au récit produisent les discours stéréotypés de léloge et du fait divers, auxquels il faudrait ajouter loraison funèbre parodique de Blondeau par Bossuet, autant de formes cadrées dans lespace du texte qui les signale comme des mentions, codifiées donc partagées. Autre discours rapporté et délimité dans lespace textuel, le testament confère à lécriture le pouvoir de faire entendre la voix qui sest tue, de conjurer lirréfragable silence. Sa valeur scripturale est inversement proportionnelle aux biens matériels quil peut léguer. Ainsi les « espérances » argent, titre ou pairie quattendent les jeunes gens parents éloignés de monseigneur Myriel poussent à espérer la mort de lautre, alors que Marius souffre de la disparition du testament son père, « le papier, cette relique sacrée, tout cela était dans son cur »[86]. Lécriture seule est dépositaire de lêtre.
Au silence le texte oppose également des formules mémorables, à labsence des inscriptions gravées dans la pierre. Les dernières paroles prêtées au mourant, ces ultima verba sacralisés, comme les épitaphes sont une manière de refuser la dépossession et leffacement de soi. Trouver le mot de la fin ou composer un texte pour la postérité entrent en résonance avec le dessein littéraire. Prononcer : « Ce moi de linfini, cest Dieu. », « Vive la République ! », « Vive la France ! vive lavenir ! », « Je meurs heureux » ou même avouer dans un dernier souffle « je crois que jétais un peu amoureuse de vous » entre dans la représentation de la « belle mort », celle qui fait advenir le héros en référence à un système de valeurs. Le mot est encore un acte qui conclut, met en ordre la vie et témoigne de la grandeur dâme de celui qui est alors prêt au passage. La parole a valeur dinscription dans le pathos de linstant fatal. Si lon excepte la pierre tombale de Monsieur Bernard Debrye dont lépitaphe mentionne la nature et la date de laccident qui lui a coûté la vie sur le chemin de Braine-LAlleud à Ohain, détail annonciateur de la catastrophe de Waterloo, et celle énigmatique et diabolique du moine Tryphon à labbaye Saint-Georges de Bocherville, les tombeaux de deux figures paternelles parlent des morts : « une croix de bois noir avec ce nom en lettres blanches : COLONEL BARON POMMERCY » et le quatrain sur la tombe de Jean Valjean. La pierre rend au père de Marius son titre, comme le tombeau de Schumacker lui restituait les siens à la fin de Han dIslande, comme Hugo édifie « A lArc de Triomphe » pour honorer son père oublié, comme il demandera à son ami Charles Robelin de faire exécuter des travaux dans le caveau familial du Père-Lachaise et de modifier lépitaphe paternelle en y ajoutant les campagnes du général.
Nous ne commenterons pas lépitaphe de Jean Valjean sur laquelle sachève le roman et dans laquelle il se reflète, si ce nest pour remarquer, en regard de la précédente, sa valeur de récit qui met en évidence un enchaînement dévénements biographiques à travers une temporalité et le recours à la pronominalisation :
Il dort. Quoique le sort fût pour lui bien étrange,
Il vivait. Il mourut quand il neut plus son ange ;
La chose simplement delle-même arriva,
Comme la nuit se fait lorsque le jour sen va.
Labsence de nomination, voulue par le personnage et symbolique de son abnégation totale, le renvoie aussi à ce quil est, un être de récit, cest également la mort du récit quannonce le quatrain, récit qui livre au lecteur ses ultima verba à méditer.
En sagrégeant les formes du discours funèbre réel, le roman expose la surdétermination du langage de la mort et en cautionne la représentation littéraire qui crée lémotion esthétique. « Les représentations de la mort sont un théâtre de la mort et elles en remplissent les fonctions : loin de nous confronter à la réalité tragique de la mort, elles en font un objet dart, lui confèrent une sorte de séduction fascinante. [ ] Les représentations de la mort tiennent lieu dune impossible rencontre, mais en vidant cette rencontre de lépouvante par lévocation poétique de la mort »[87]. A la croisée des genres et des registres littéraires, Les Misérables donnent à la réflexion de Lucien Guirlinger une portée extrêmement large et la mort y apparaît bien comme sujet et enjeu du discours. Lépopée et le drame conjuguent leurs poétiques pour raconter Waterloo et les barricades, décrire lanéantissement dindividus exemplaires de leur groupe social et la démesure désespérée et héroïque dune geste isolée, comme celle du père Mabeuf, de Gavroche et dEnjolras. Même si Hugo dit renoncer à peindre les « scènes successives et simultanées de cette tuerie grandiose » et ajoute que « [l]épopée seule a le droit de remplir douze mille vers avec une bataille »[88], il use de la rhétorique du genre, les douze mille vers en moins. Le récit de la mort simpose le plus souvent comme la scène à faire, moment le plus intense du drame : « moment du roman qui échappe à la narration, écrit Stéphane Lojkine, moment hors normes, espace exceptionnel où la machine romanesque sarrête, ou tout du moins change de régime. De lefficacité narrative, on passe à lefficacité scénique »[89].
Il semblerait que le langage sy montre à défaut de pouvoir montrer. Beaucoup darticles se sont intéressés au travail de composition de ces scènes où les mots comptent, où symboles et métaphores cernent lindicible (ombre, nuit sans étoiles, repos, entrée dans la lumière, chute ou envol, présence dun ange), où le canevas des modèles culturels et littéraires transparaît derrière le texte, rappelons entre autres le rapprochement que fait Jacques Seebacher entre la mort de Jean Valjean et celle du père Goriot, celui de Bernard Leuilliot entre la mort du conventionnel et celle de Socrate. Limitation doit être entendue là dans toutes ses acceptions.
Deux exemples nous semblent à même de rendre compte de lextraordinaire vitalité du jeu et de la création littéraire : il sagit dune part des titres de livres et de chapitres qui font référence à la mort, dautre part du chapitre « Les cimetières prennent ce quon leur donne » dont le registre essentiellement comique souligne tout particulièrement le travail du langage à propos de la mort. La table des matières des Misérables compte un grand nombre dintitulés liés à la mort mais plus que la fréquence de ces occurrences, cest la diversité des registres et le mélange des genres qui ne peuvent manquer darrêter la lecture. Les titres les plus réalistes se concentrent au début du roman (« Mort dun cheval », « M. Madeleine en deuil », « Accomplissement de la promesse faite à la morte », « Entre quatre planches ») alors que les derniers livres de la cinquième partie jalonnent léviction de Jean Valjean puis son agonie dimages et de symboles qui mêlent lombre et la lumière, le terme et le commencement (« La dernière gorgée du calice », « La décroissance crépusculaire », « Suprême ombre, suprême lumière », « Lattraction et lextinction », « Dernières palpitations de la lampe sans huile », « Nuit derrière laquelle il y a le jour », « Lherbe cache et la pluie efface »). Outre le livre « Les cimetières prennent ce quon leur donne » qui révèle explicitement la farce macabre, dautres titres jouent en contrepoint : « Requiescant » annonce la liturgie de la messe des défunts pour les salons ultras moribonds, l« Oraison funèbre de Blondeau, par Bossuet » nest quune plaisanterie de potache, en revanche lanodine formulation « Mort dun cheval » suivie de la redondance « Fin joyeuse de la joie » masquent le début de la lente agonie de Fantine tout comme « Tombeau convenable » définit par antiphrase sa sordide inhumation, « Un cur sous une pierre » pourrait parler de mort mais ne chante que lamour, « Fin des vers de Jean Prouvaire » na rien dune chute poétique. Les titres narratifs autant que ceux nés de rapprochements oxymoriques imposent une dynamique, la nécessité dune élucidation en distillant une ambiguïté parfois ludique autour dun sujet qui ne lest pas et ne peut lêtre : « Un enterrement : occasion de renaître », « Mortuus pater filium moriturum expectat », « Les morts ont raison et les vivants nont pas tort » ou « Marius fait leffet dun mort à quelquun qui sy connaît ». Les effets de langage, les jeux linguistiques se multiplient et de fait instaurent une distance qui déréalise la mort.
De ce point de vue, lépisode du faux enterrement de Jean Valjean autorise, sous couvert de mascarade, une libération du langage que signalent demblée les nombreux titres jeux de mots. Fauchelevent le répète : « En voilà une farce ! », farce macabre avec des cadavres à dissimuler, un fossoyeur à soudoyer, un intarissable dialogue de taciturnes, une Mère Innocente qui ne lest pas totalement. Le bavardage de Fauchelevent comme celui de la mère supérieure placent la mort au centre dun faisceau de représentations convenues mais en décalage. La manière dinhumer seule importe au jardinier fossoyeur et les précisions techniques émaillent son discours explicatif dénué de toute émotion. Lévocation du fossoyeur ivrogne appartient au même registre réaliste, motif présent dans la littérature comme dans la peinture contemporaines et sans doute inspiré par le fait que le transport des morts était assuré autrefois à Paris par la corporation des jurés-crieurs de corps et de vin[90]. Au réalisme et à la trivialité qui conjurent par des images la peur de la mort répond la harangue dhistoire sainte de la religieuse tout aussi codée, nourrie dexempla édifiants dont le sens exact échappe à linterlocuteur mais dont la tonalité lui suggère le mot de la fin : Amen. Par ailleurs, le topos de lenterré vivant réunit le modèle littéraire du roman noir à la peur encore vivace au XIXe siècle de la mort apparente et de lenterrement prématuré, de même quil est possible de lire dans le ton cynique du nouveau fossoyeur, écrivain public, une version édulcorée du couple Éros-Thanatos :
Toutes les cuisinières de la Croix-Rouge sadressent à moi. Je leur bâcle leurs déclarations aux tourlourous. Le matin jécris des billets doux, le soir je creuse des fosses. Telle est la vie, campagnard. [ ]
- Pourtant, continua le fossoyeur, on ne peut pas servir deux maîtresses. Il faudra que je choisisse de la plume ou de la pioche. La pioche me gâte la main.[91]
Dans cette comédie de la mort, parenthèse transgressive dans la tragédie de la vie des misérables, la mise en scène des rituels et des discours dénonce lartifice du langage autant quelle tente dexorciser par son outrance la peur de lirréversible. Des scènes édifiantes et pathétiques à la farce de Vaugirard, cest le même effort pour circonscrire le dit de la mort que mettent en uvre les codes du discours littéraires.
Reste à entendre la voix de lauteur dont lidentité saffiche autant quelle sestompe derrière la portée généralisante du discours et les masques de lécriture fictionnelle. Le combat de Hugo contre la peine de mort, son respect absolu de la vie et sa foi en limmortalité des âmes trouvent dans la polyphonie des Misérables des porte-parole. Lémotion de lévêque confronté à la guillotine est à lorigine dune nouvelle attaque contre le monstre anthropophage et dun rappel du caractère sacré de la vie : « La mort nappartient quà Dieu. De quel droit les hommes touchent-ils à cette chose inconnue ? »[92]. Néanmoins la violence exercée sur lindividu comme sur la société trouve une justification dans lidéologie quelle sert et qui est porteuse davenir. Enjolras peut exécuter Le Cabuc pour lavènement dun temps dans lequel son geste ne sera plus : « Mort, je me sers de toi, mais je te hais. Citoyens, il ny aura dans lavenir ni ténèbres, ni coups de foudre, ni ignorance féroce, ni talion sanglant. Comme il ny aura plus de Satan, il ny aura plus de Michel. »[93] ; le corps social tout entier subit un mal nécessaire pour sa résurrection : « Des maladies de peuple ne tuent pas lhomme »[94]. Juste ou justifiée, la mort ne saurait être un suicide, geste de désespoir de lindividu ou sacrifice irrationnel des révoltés qui crient le scabreux « Vive la mort ! »[95]. Dans un cas comme dans lautre il y a « voie de fait sur linconnu », mort de lâme ou meurtre des proches, femmes et enfants laissés à labandon et au péril social : « Mourrez, soit, mais ne faites pas mourir »[96]. Pour Hugo, la mortalité nimpose un terme ni à lhomme ni à lHistoire. Non seulement la pensée de la mort perpétue la tradition philosophique du sage : « nous croyons quun perpétuel souvenir du tombeau convient aux vivants »[97], mais la croyance en la mort sublime la vie et laction. Celui qui ne croit en rien si ce nest au néant, comme le sénateur, tue le moi.
Dans la seconde rédaction des Misérables affleure la situation de lexil et « lauteur de ce livre, forcé, à regret, de parler de lui »[98] confie à lécriture une autre expérience du tombeau, après et avec celle des Contemplations. Lhommage rendu à Louis-Philippe tisse les liens entre le roi mort en exil et lexilé :
une épitaphe écrite par un mort est sincère ; une ombre peut consoler une autre ombre ; le partage des mêmes ténèbres donne le droit de louange ; et il est peu à craindre quon dise jamais de deux tombeaux dans lexil : Celui-ci a flatté lautre.[99]
Lexil a ravivé le deuil et a placé Hugo au bord du tombeau ; lexpérience des tables tournantes a eu son rôle à jouer, les inscriptions de Hauteville House qui précèdent la reprise des Misérables ont bien souvent lallure dépitaphes et contreviennent au refus de lanthologie prouvant par là même une forme durgence à rassembler autour de soi lessentiel de ce qui a été et restera. Ce tombeau, il le partage avec les disparus et le roman accueille leur présence. Les deux tombes du colonel de Pontmercy et de Jean Valjean donnent à lire la douleur dun fils et celle dun père, le nom dun père et la perte dun ange donnent à lire deux pages de la vie de Hugo. A travers la douleur de Marius séparé de Cosette et celle de Jean Valjean, « père qui aimait Cosette et qui ladorait, et qui avait cette enfant pour lumière »[100], la fiction jette un voile bien transparent sur la disparition de lêtre aimé qui est « lépreuve suprême, disons mieux, lépreuve unique »[101]. Les vêtements de Cosette embaumés dans leur reliquaire sont-ils si différents du morceau de robe placé sous le portrait de Léopoldine lisant, peint par sa mère en 1837 et à côté duquel Hugo écrivit après sa disparition : Robe de Didine, 1834, V.H. et deux vers des Contemplations : « Oh ! la belle petite robe / Quelle avait, vous rappelez-vous ? » ? Que doivent-ils à la « robe que portait Léopoldine le jour de sa mort (4 septembre 1843) et contenue dans une housse à gants qui porte cette mention de la main de Victor Hugo : Costume avec lequel ma fille est morte : relique sacrée »[102] ainsi que la décrit le catalogue de la Maison Victor Hugo ? Comment ne pas interpréter le troublant rapprochement entre une tombe et une jeune fille dans lépisode où Marius se rend à Vernon, espionné par Théodule. « Au point du jour », il achète des fleurs, se dirige vers le but de son voyage, sans regarder personne. « Il semblait ne rien voir autour de lui » puis Théodule le découvre « le front dans ses deux mains », sanglotant après avoir déposé son bouquet. « La fillette était une tombe »[103] ? Comment ne pas lire dans lambiguïté qui mêle le rendez-vous amoureux et la visite au cimetière une variation de « Demain dès laube » ? Cest une douleur bien vivante que le roman inscrit en creux et sa permanente résurgence, dune forme à lautre, en dit lacuité.
Je meurs, vous entendez, je veux dire que je meurs, je narrive pas à le dire, je ne fais que de la littérature.[104]
Le roi mourant de Ionesco crie son impuissance à dire la mort et son échec à ne produire que de la littérature, synonyme dune hypertrophie du langage et dune imposture. Pas plus que la philosophie, elle napporte en effet la connaissance de linstant mortel. Pourtant, dans Les Misérables, littérature et philosophie se relaient, de la « vision » à « lautopsie », et se mêlent pour dire le refus du néant et la marche de lâme. Ce quénonce la préface dite philosophique : « Le fil humain entre dans la tombe et ne se casse pas ; on ly sent flotter avec une mystérieuse ondulation dinfini. Le moi libre sur la terre sent au delà de la terre le moi responsable, et sen inquiète. Lhomme moral survit à lhomme matériel, et sen va dans lultérieur sans sa chair et avec ses actions »[105], le roman en montre laccomplissement. En constituant lacte de mourir en principe de récit, en profession de foi qui conduit le plus misérable de la pourriture à la vie, du néant à Dieu, en lui ouvrant tous les possibles du langage, de largot « manger des pissenlits par la racine »[106] à limage poétique « lentrée dans la grande lueur »[107], de la tragédie au mélodrame, Les Misérables ne circonscrivent pas la mort mais la placent dans la chaîne ininterrompue de lexistence. « Va, âme ! » : la même exhortation des vivants à ceux qui partent image le discours philosophique, fonde toute lénergie du roman comme elle accompagne le départ de la fiancée de François Victor, Emily de Putron, sur la tombe de qui Hugo fit graver une partie du discours quil prononça lors de lenterrement et qui sachève ainsi. Dans luvre comme dans la vie, les mots pour Hugo sont des passeurs déternité.
[1] Vladimir Jankélévitch, La Mort, Flammarion, coll. « Champs », 1977, p. 89.
[2] Ibid., p. 88.
[3] Ibid., p. 44.
[4] Ibid., p. 62
[5] Ibid.
[6] Ibid., p. 41.
[7] Les Misérables, II, VII, I, p. 403. Toutes les références du roman renvoient au volume Roman II des Ouvres Complètes, édition Robert Laffont, [1985], 2002.
[8] Ibid., II, I, XII, p. 368
[9] Ibid., II, I, XVI, p. 275.
[10] Ibid., III, III, IV, p. 496.
[11] Ibid.
[12] Ibid., V, I, XXI, p. 982.
[13] Ibid., IV, XII, VIII, p. 880.
[14] Ibid., III, V, IV, p. 544.
[15] Ibid., IV, XIV, VI, p. 900.
[16] Ibid., p. 901.
[17] Ibid., IV, II, IV, p. 692.
[18] Jacques Seebacher, « Le tombeau de Gavroche ou Magnitudo parvuli », dans Lire Les Misérables, textes réunis et présentés par Anne Ubersfeld et Guy Rosa, Librairie José Corti, 1985, p. 193.
[19] Les Misérables, V, 1, XXIII, p. 986.
[20] Ibid., IV, V, I, p. 745.
[21] Autres carnets, albums, journaux, Ouvres Complètes, édition dirigée par Jean Massin, Le Club français du Livre, t. XII, p. 1532.
[22] Agendas de Guernesey, Quatrième agenda, Ibid., t . XII, p. 1354.
[23] Les Misérables, I, V, X, p. 146.
[24] Ibid., I, I, I, p. 5.
[25] Ibid., I, IV, I, p. 120.
[26] Ibid., I, VI, I, p. 161.
[27] Ibid., p. 790.
[28] Ibid., IV, VIII, IV, p. 805.
[29] Ibid., I, VIII, V, p. 237.
[30] Jean-Pierre Richard, « Petite lecture de Javert », dans Hugo /Les Misérables, présenté par Guy Rosa, Klincksieck, coll. « Parcours critique », 1995, p. 143-155.
[31] Ibid., II, VIII, V, p. 436.
[32] Ibid., V, I, XVI, p. 962.
[33] Ibid., V, I, IV, p. 937.
[34] Ibid., I, V, IV, p. 133.
[35] Ibid., II, VIII, III, p. 424.
[36] Ibid., II, VIII, I, p. 419.
[37] Ibid.
[38] Ibid., III, III, VIII, p. 507.
[39] Ibid., II, VIII, III, p. 427.
[40] Philippe Ariès, L'Homme devant la mort, 2. La mort ensauvagée, éditions du Seuil, 1977, p. 237.
[41] Ibid., IV, X, III, p. 835.
[42] Ibid., V, IX, VI, p. 1150.
[43] « Le Père-Lachaise, à la bonne heure ! Être enterré au Père-Lachaise, c'est comme avoir des meubles en acajou. L'élégance se reconnaît là. », Ibid., II, VIII, V, p. 435 ; « Dire qu'il n'y a pas d'égalité, même quand on est mort ! Voyez un peu le Père-Lachaise ! Les grands, ceux qui sont riches, sont en haut, dans l'allée des acacias, qui est pavée. Ils peuvent y arriver en voiture. Les petits, les pauvres gens, les malheureux, quoi ! on les met dans le bas, où il y a de la boue jusqu'aux genoux, dans les trous, dans l'humidité. On les met là pour qu'ils soient plus vite gâtés ! On ne peut pas aller les voir sans s'enfoncer dans la terre. », Ibid., III, VIII, VII, p. 592.
[44] Les Misérables, préface de Vercors, commentaires de Nicole Savy, notes de Guy Rosa, Librairie Générale Française, « Le Livre de Poche », 1985, 3 vol., notes p. 578.
[45] Jacques Seebacher, « La mort de Jean Valjean », dans Victor Hugo ou le calcul des profondeurs, PUF, 1993, p. 114.
[46] Deuxième partie, Livre IV, titres des chapitres I et IV.
[47] Les Misérables, V, IX, V, p. 1148.
[48] Ibid., II, I, XIV, p. 270.
[49] Ibid., II, 1, XVII, p. 277.
[50] Ibid., III, III, III, p. 492, 493.
[51] Ibid., IV, I, I, p. 653.
[52] Jacques Seebacher, « Évêques et conventionnels ou La critique en présence d'une lumière inconnue », dans Europe, février-mars 1962, p. 91.
[53] Voir Nicole Savy, « Cosette : un personnage qui n'existe pas », dans Lire Les Misérables, Librairie José Corti, 1985.
[54] Ibid., I, II, XII, p. 86.
[55] Ibid., II, VIII, III, p. 424.
[56] Ibid., III, III, VII, p. 502.
[57] Ibid., III, VIII, XX, p. 627, 628.
[58] Ibid., p. 631.
[59] Ibid., V, IX, IV, p. 1137.
[60] Ibid., IV, XIV, VI, p. 902.
[61] Ibid., V, I, V, p. 941.
[62] Ibid., IV, VI, II, p. 746.
[63] Ibid., I, VII, III, p. 180.
[64] Ibid., IV, III, VIII, p. 720.
[65] Ibid., II, III, V, p. 309.
[66] Ibid., III, VIII, IV, p. 585.
[67] Ibid., II, IV, III, p. 346.
[68] Ibid., III, VIII, 593.
[69] Ibid., III, II, I, p. 473.
[70] Ibid., V, III, XII, p. 1037.
[71] Ibid., II, VII, VII, p. 411.
[72] Ibid., II, VII, VIII, p. 413.
[73] Ibid., V, VII, I, p. 1098
[74] Ibid., V, III, V, p. 1019, 1020.
[75] Ibid., I, 5, III, p. 132.
[76] Ibid.
[77] Ibid., V, I, IV, p. 939.
[78] Philosophie, Commencement d'un livre, Ouvres Complètes, édition Massin, t. XII, p. 71.
[79] Les Misérables, I, I, X, p. 38.
[80] Ibid., I, VIII, IV, p. 232.
[81] Ibid., I, I, X, p. 32, 37.
[82] Ibid., IV, XIV, VI, p. 900.
[83] Ibid., II, I, XIX, p. 282.
[84] Ibid., IV, XIV, VII, p. 904.
[85] Ibid., V, V, IV, p. 1058.
[86] Ibid., III, III, VIII, p. 511.
[87] Lucien Guirlinger, « La mort ou la représentation de l'irreprésentable », dans Les représentations de la mort, actes du colloque organisé par le CRELLIC, Université de Bretagne-Sud, Lorient, 8-10 novembre 2000, PUR, 2002, p. 30.
[88] Ibid., V, I, XXI, p. 982.
[89] Stéphane Lojkine, La scène de roman, Armand Colin, Coll. U, 2002, p. 4.
[90] Voir Philippe Ariès, L'Homme devant la mort, 2. La mort ensauvagée, op. cit., p. 206.
[91] Les Misérables, II, VIII, V, p. 438.
[92] Ibid., I, I, IV, p. 16.
[93] Ibid., IV, XII, VIII, p. 880.
[94] Ibid., IV, VII, IV, p. 792.
[95] Ibid., V, I, IV, p. 934.
[96] Ibid., V, I, IV, p. 935.
[97] Ibid., II, VII, VIII, p. 412.
[98] Ibid., II, V, I, p. 353.
[99] Ibid., IV, I, IV, p. 662.
[100] Ibid., IV, XV, I, p. 911.
[101] Ibid.
[102] Jean Sergent, Maison de Victor Hugo, Catalogue, référence n° 915, 1934.
[103] Les Misérables, III, III, VIII, p. 507.
[104] Eugène Ionesco, Le Roi se meurt, 1962, Larousse, Nouveaux classiques, p. 103.
[105] Philosophie - Commencement d'un livre, op. cit., t. XII, p. 53.
[106] Ibid., III, I, II, p. 458.
[107] Ibid., I, VIII, IV, p. 233.