David Charles : Hugo et la référence à l'actualité : l'exemple des Travailleurs de la mer

Communication au Groupe Hugo du 15 mars 2003
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Ce travail s'est donné deux buts. Le premier vise Les Travailleurs de la mer et les références du texte à l'actualité. Il s'agira, d'une part, de l'actualité de l'époque où se place l'intrigue du roman (1823-1827) ; d'autre part, de l'actualité de la période de rédaction et de publication du roman (1864-1866) ; enfin, du télescopage de ces deux actualités-là, déjà produit par le roman précédent[1].

Il ne sera qu'indirectement question de l'inscription du texte dans l'Histoire. L'idée que l'actualité est vouée à devenir de l'Histoire est contraire à la pensée de Hugo[2]. En 1867, il identifie "le Paris immédiatement actuel" au Paris des "quinze dernières années" : il maintient ces quinze années d'Empire dans les limites d'une "minute" pendant laquelle le sens de l'Histoire, précisément, ne s'actualise pas. C'est déjà le cas du "Paris actuel" et "neuf" de 1831, et du "quart d'heure qui commence à 1814 et se termine vers 1820"[3]. Est actuel ce qui est "du jour même", mais aussi ce qui est en acte par opposition à ce qui existe virtuellement : ainsi du péché actuel par rapport au péché originel ou de la légalité par rapport à la légitimité[4]. Pour l'auteur de "Ce que c'est que l'exil", la loi est inactuelle par rapport au droit, parce qu'elle n'en constitue pas l'actualisation. Le second but de ce travail est précisément de reposer la question de l'articulation entre Histoire et actualité à partir du premier roman de l'exil. Hugo l'a projeté au lendemain de l'expulsion de Jersey et préparé dans la foulée de son refus de l'amnistie : ces circonstances portent l'exil à la puissance trois et achèvent de faire passer l'auteur du roman hors de l'actualité et dans l'Histoire ; hors de l'actualité de l'Empire, dans l'Histoire de la République. "Hors la loi, dans le droit." C'est ce que dit la dédicace du roman par son énoncé ; l'exilé est dans une actualité en ce sens que l'asile est l'actualisation de la mort :

 

Je dédie ce livre (…) à l'île de Guernesey (…), mon asile actuel, mon tombeau probable.

V.H.

 

C'est ce que cette dédicace réalise concrètement dans son énonciation, par son absence même de datation[5].

Ces conditions étaient préparées, bien avant l'exil, par la distinction toujours maintenue par Hugo entre l'Histoire et ce qu'un texte de 1843 nomme les "pauvretés de l'histoire du jour et de la politique du quart d'heure". L'actualité est la somme de "toutes ces choses imperceptibles qui demain seront le journal", mais aussi la matière des romans de Hugo en général et, semble-t-il, des Travailleurs de la mer en particulier :

 

Espartero qui tombe, Narvaez qui surgit, Lopez qui chasse Mendizabal, les grands événements microscopiques, (…) toutes les petitesses dont se composent l'homme qui passe et l'instant qui fuit (…)[6].

 

On ne voit pas de quoi, de quelle virtualité de l'Histoire ces "pauvretés" pourraient être l'actualisation, sinon de l'échec même de la Restauration à gagner par une guerre faussée sa place dans l'Histoire : il s'agit là des troubles qui ont marqué la succession de Ferdinand VII, rétabli en 1823 par la monarchie française. Ces "pauvretés" relèvent de ce qu'au début du siècle dernier on appelait les actualités ; elles sont ici télégraphiées. Les actualités commencèrent à exister au XIXème siècle grâce à ce qu'on n'appelait pas encore les nouvelles technologies de l'information, mais dont Hugo a enregistré les progrès, notamment dans le texte qu'il publie en 1867 sur Paris. Elles existèrent jusqu'à ce que les présentateurs du journal télévisé aient entrepris de faire croire que les actualités qu'ils n'ont pourtant pas cessé de présenter constituent l'actualité, c'est-à-dire le sens actualisé de l'Histoire, tel qu'il se laisserait saisir "Maintenant", dans "Le temps présent", parmi les "Faits contemporains".

Ces "pauvretés" affaiblissent, par leur insignifiance, l'idée même d'Histoire et compromettent, par leur inflation, celle d'événement : "trois cent soixante-cinq jours", écrit Hugo en 1831, "<sont>, par le temps où nous vivons, trois cent soixante-cinq événements"[7]. L'actualité passée - celle de "l'année 1817" par exemple - n'est pas, ou rarement, de l'ordre de ces "faits d'où l'histoire sort et que l'histoire ignore", dont une "histoire réelle" reconstituerait la cohérence. Elle semble au contraire se déployer soit en dehors même de l'Histoire : 1817 est "l'année où M. Bruguière de Sorsum était célèbre.", soit contre elle : "L'opinion générale était que M. Charles Loyson serait le génie du siècle."[8] La signification que prend l'actualité n'est alors pas simplement trompeuse, mais de l'ordre du contresens, et le sens de l'Histoire s'y retrouve tout de même : c'est de la "physionomie" de l'année 1817 que se compose la "figure" du XIXème siècle[9]. Il peut être restauré, au prix de cette lecture forcée des années terribles qu'effectue Hugo dans "Loi de formation du progrès", au moment même où son écriture passe hors l'Histoire, dans l'actualité, à la faveur d'une sorte d'exil inversé[10].

 

I. Un roman inactuel ?

Les Travailleurs de la mer ont failli être l'épopée du "travail capitalisé"[11], publiée un an avant le Livre I du Capital de Marx et l'ouverture de l'Exposition universelle de Paris, qui comportait une section consacrée à l'histoire du travail. Mais Hugo a renoncé à leur donner explicitement cette dimension dans sa préface : le mot travail, avancé à six reprises dans un projet antérieur, n'y est pas. Dans l'intervalle, le roman a pourtant trouvé - mais in extremis - son titre définitif : il s'est intitulé L'Abîme jusqu'à la veille de la remise du manuscrit à l'éditeur. "Le juste est dans l'abîme" et ce mot dit la singularité de ce premier roman de l'exil - le seul, avec L'Homme qui rit, mais L'Homme qui rit ne se passe pas au XIXème siècle. Hugo a donc rapidement exprimé son regret d'avoir changé de titre[12]. L'Abîme, épopée du travail, est remplacé par Les Travailleurs de la mer, roman de la fatalité de l'élément, où le travailleur lutte contre la nature, non contre l'économie du travail. Il est vrai que la révolution industrielle change, et conflictualise, le rapport à la nature qu'impliquait l'ancien régime du travail. Mais il n'en reste pas moins que ce nouveau roman semble reculer dans la perspective ouverte par Les Misérables, où tout autre organisation du travail que celle qui régit l'édification des barricades est suspecte.

Cette fatalité de l'élément, extérieure à la société comme à l'homme, est du reste "mêlée", comme toutes les autres, à une fatalité "suprême", celle du "cœur humain". Fatalité "intérieure" dont Hugo a décidé tardivement de la mentionner dans sa préface[13], qui décide du dénouement du roman et dont rien ne permet de penser qu'elle se dilue dans la fatalité historique, au contraire des deux autres, "des dogmes" et "des lois", sur lesquelles sont construits les romans précédents. Bien sûr, Déruchette aime l'oisif Ebenezer et non le laborieux Gilliatt ; bien sûr, Ebenezer appuie sa déclaration d'amour à sa déclaration de revenus[14]. Mais la société de l'époque et de l'endroit l'exige au moins en partie. Du reste, "on ne peut rien contre les choses angéliques", dit une "voix" qui n'est pas tout à fait celle d'Ebenezer : "toute la loi est amour"[15], et c'est là un anankè qui ne se résorbe pas complètement dans "l'anankè des lois".

Le roman est une "utopie"[16]. "L'autre côté" de Guernesey, "les barques rapiécées, les jachères, les landes, les masures (…), les troupeaux maigres, l'herbe courte et salée (…), le grand aspect de la pauvreté sévère - autrement dit, la misère -, est tenu à l'écart du texte[17]. Sur cette "terre fertile, grasse, forte", les enfants sont "demi nus", comme dans le Paris des Misérables, mais parce que le climat est celui d'une "quasi-Méditerranée"[18]. Ils n'attendent pas dans l'ombre l'ouverture de l'école ; ils ne disputent pas leur pain aux cygnes des jardins publics ; ils ne portent pas de fardeaux. Ils jouent à la marelle[19] : si l'on n'y parvient pas au ciel du premier coup, on peut toujours recommencer. Les "vaincus du duel social"[20] sont expulsés du référent. C'est à Saint-Malo qu'on les trouve, de "l'autre côté" ; sur le continent, non dans cet archipel où s'observe la concrétisation d'une "utopie" pourtant en voie de péremption à Paris, qui consiste à demander à la révolution industrielle de réaliser le programme de la Révolution française.

Le cadre du roman semble donc échapper à l'Histoire. Il est d'ailleurs doublement inactuel. L'archipel de la Manche est "une féodalité de droit, une république de fait"[21]. Il est donc en avance sur la France pour le fait : "franchise absolue de parole et de presse", mais en retard sur elle pour le droit : "l'aînesse existe, la dîme existe, la paroisse existe, le seigneur existe, (…) le passé existe"[22]. Les chevaux de l'archipel seraient condamnés à regarder "devant eux dans l'espace les flots qui se succèdent indéfiniment"[23], si le roman n'était pas le roman de l'entrée de l'archipel de la Manche dans l'Histoire. Elle est comprise comme le rattrapage du fait, déjà républicain, par le droit, encore féodal : le roman inverse le schéma qui prévaut dans "Le Droit et la Loi", où l'inactualité de la Loi au regard du Droit est la cause du blocage de l'Histoire. Le texte liminaire, dit Hugo, est "en dehors du drame, mais non du sujet"[24] ; le sujet est précisément celui de l'entrée de l'archipel dans un drame, dans une action, dans l'Histoire elle-même :

 

L'histoire fait gothique cet archipel, l'industrie et l'intelligence le font actuel. [25]

 

Industrie de la machine appuyée à l'intelligence des Lumières, relayée ensuite par l'industrie de l'outil, surgie des profondeurs ignorées de l'intelligence technico-scientifique.

Cette industrie est, à l'image même de la Durande, plus "gothique" qu'actuelle : l'industrie de Gilliatt est périmée à l'époque de la machine dont il entreprend le sauvetage. La machine elle-même l'est aussi, non seulement en raison des progrès de la mécanique[26], mais aussi, dans sa valeur symbolique, au vu de l'émergence de deux mythologies techniciennes concurrentes, celles de l'électricité et de la locomotion aérienne. Lorsque Hugo prépare son roman, la vapeur n'est plus qu'une question d'horaires de chemin de fer. Il le commence l'année où l'Académie des sciences décide de récompenser les applications industrielles de l'électricité. Il termine la rédaction de la deuxième partie - récit du sauvetage de la machine - alors qu'on inaugure à Paris une salle de pantélégraphes. Il le termine, enfin, tandis que Jules Verne songe à écrire un "voyage sous les eaux" : ce sera Vingt mille lieues sous les mers, salué en 1869 comme un "voyage à toute électricité"[27]. Hugo s'intéresse alors à "la locomotion aérienne au moyen d'appareils plus lourds que l'air" en faveur de laquelle Verne et Nadar ont fondé une société d'encouragement, et il soutient cette entreprise par une longue lettre publique adressée à Nadar[28]. Bref, la Durande ressemble si bien au Léviathan de "Pleine Mer" que les prédicateurs la baptisent ainsi ; la Légende veut que le "Plein Ciel" ne soit atteint qu'avec la navigation aérienne : alors l'"œuvre prométhéenne sera terminée", dit Enjolras. Les Travailleurs de la mer enregistrent discrètement mais spectaculairement - dans un paragraphe consacré à l'ubiquité du vent[29] - cette disqualification de la machine à vapeur dans sa prétention à motoriser l'avenir.

De là que la fable du roman finit par rejoindre les actualités jaunies des gazettes du passé. Le roman part d'"un mot écrit sur une page blanche", qui nomme le héros mais ne sera resté lisible qu'un jour : le jour où "il neigea". La mémoire de ce jour pourtant "mémorable"[30] est fragile, aussi fragile que celle que l'on a de l'actualité du jour : "le souvenir s'évanoui<t> comme la neige fond."[31] Gilliatt est, littéralement, un héros éphémère, dont l'écriture elle-même a du mal à garder la trace. Pas d'épitaphe sur sa tombe, fût-elle cachée par l'herbe et effacée par la pluie[32]. Pas d'épitaphe, mais un roman ;  seulement la dernière phrase de ce roman, "Il n'y eut plus rien que la mer", achève si bien la première du texte liminaire : "L'Atlantique ronge nos côtes.", que le livre lui-même s'efface, et s'abîme.

Il s'efface au profit du journal. Le journal est à l'origine de l'intrigue. "C'est une idée qui m'est venue (…) en lisant un journal qui en parlait", dit Lethierry de son bateau[33]. Hugo pourrait dire la même chose de son roman, tant les sources journalistiques de l'intrigue sont nombreuses : il l'a montée à partir de l'actualité des naufrages dans l'archipel, et le signifie au lecteur par la mise en abyme de sa propre activité de collecte. Rybeirolles est évoqué pour avoir tenu un "mémento personnel des faits quotidiens", dont une feuille est citée dans le texte liminaire[34], et le capitaine Gertrais-Gaboureau est l'incarnation vivante de l'"almanach"[35] que l'auteur a consulté (celui de Guernesey), en plus de celui qu'il s'est lui-même constitué à partir des "nouvelles" recueillies dans la presse[36].Le journal est en outre le devenir de l'intrigue : "On lira ça samedi dans la gazette au père Mauger."[37], dit le même Lethierry. "Les journaux (…) abondent" en effet dans l'archipel[38].

 

Les Travailleurs de la mer sont pourtant un roman à la fois "gothique"[39] et "actuel". Parce que l'actualité des années 1860 s'accommode elle-même fort bien du gothique, dans ce sens où la révolution industrielle n'abolit pas la misère. L'inscription des Misérables dans le même contexte est analogue, et recourt au même anachronisme, qui permet de préserver le rapport du texte à l'Histoire de la dégradation où l'entraînerait son inscription dans l'actualité falsifiée et falsificatrice du Second Empire : dans les deux romans, Hugo place sous la Restauration la révolution qui se produit pendant le Second Empire[40]. Le "succès" de Madeleine n'empêche pas "la descente" de Fantine ; le "succès" de Lethierry[41] n'exige même pas la révision des moyens classiques du traitement de la question sociale.

"L'augmentation du bien-être de tous" dans l'archipel de la Manche - c'est aussi le mot d'ordre du narrateur des Misérables : "l'effacement de la misère se fera par une simple élévation de niveau"[42] - exclut ceux qui, tels Gilliatt, ont toujours été en dehors des échanges économiques, et ne peuvent subsister que dans une économie non marchande. Quelque chose a en effet changé dans l'archipel en matière d'échanges, que le roman raconte ("agrandissement de circulation", "extension de commerce"[43]) même si la langue locale tarde à l'enregistrer puisque "le promeneur peut lire "encore" sur une enseigne de Guernesey : "Ici, on continue à prêter un joli taureau comme par le passé." [44] Les "pauvres" de Guernesey se voient accorder une aumône[45]. Geste tardif, dont la nature (aggravée par l'anticléricalisme de Lethierry), l'occasion (la découverte, inattendue, de l'argent personnel de Rantaine), le montant ("une poignée de guinées"[46]), la monnaie (celle de l'esclavage) et la matérialité (les échanges centrés autour de la machine se font au contraire en monnaie fiduciaire[47]) disent assez que l'utopie", effectivement, a une "histoire". Elle aboutit ici à un cul-de-sac, puisque c'est en un "cul de sac" que Gilliatt transforme la rue des Douvres. L'entreprise de Lethierry est logée dans les meubles des Protestants qui ont fui à Guernesey la révocation de l'Édit de Nantes :

 

Sur le vieux pupitre de chêne de la chaire huguenote, un registre aux pages cotées Doit et Avoir, remplaçait la Bible.[48]

 

Ce réemploi signale ce que la religion nouvelle doit aux anciennes : l'éthique protestante est en effet plus volontiers capitaliste que la catholique. Mais il dénonce la religion de l'industrie comme superstition simplement plus récente. C'est cette confusion de la "vérité" du progrès avec son "dogme"[49], où la misère n'est que résiduelle, qui fait naufrage. Disqualification programmée d'avance par la datation du démarrage de l'entreprise de Lethierry : il lance son bateau un 14 juillet, mais c'est celui de l'année 1817. C'est l'année de l'apparition sur la Seine de cette "mécanique bonne à pas grand'chose".

 

Roman très actuel, donc. L'idée que la révolution industrielle est vouée à réaliser la Révolution française est elle-même une idée "gothique". En publiant Les Travailleurs de la mer après Les Misérables, Hugo prenait un risque. Il changeait non seulement d'objet, mais aussi, et surtout, de point de vue : la misère est un "programme d'écriture" autant qu'un thème[50]. Hugo adopte ici le point de vue même que Les Misérables excluent : il passe de la misère au travail. Cet échange est d'autant plus important que ces deux romans publiés à quatre ans d'intervalle, dans le contexte de la fondation de l'Association Internationale des Travailleurs (1864), sont les seuls qu'il aura écrits pendant le démarrage de la révolution industrielle, et les seuls dont l'intrigue se déroule au XIXème siècle. Lamartine s'était scandalisé - sans doute comme ancien ministre du gouvernement qui ouvrit puis ferma les Ateliers nationaux - de constater que "dans ce poëme des travailleurs illusionnés" que sont Les Misérables, "personne <ne> travaille"[51]. Cette substitution du travail à la misère est projetée dès 1856 alors même que l'achèvement des Misérables est ajourné : misère et travail sont des programmes d'écritures quasi-concurrents. Le roman est fort bien accueilli par Zola : le chef de la publicité d'Hachette collabore alors à un journal positiviste intitulé Travail[52] et salue l'abandon, par Hugo, de toute visée politique[53]. Apparent retour de Hugo à la problématique bourgeoise de la "question sociale", dans un roman écrit en même temps que s'achève la guerre de sécession (on verra qu'il y fait allusion à plusieurs reprises), par la victoire, limpide, du Nord industriel contre le Sud esclavagiste: solidarité objective du revolver et de la machine à vapeur que le roman défait pourtant. Zola sait qu'une pensée reconnaissant dans le travail une catégorie consistante ne peut être aussi radicale qu'arrimée à la misère. Fiction réservée aux dames - "for ladies only", dit le dernier chapitre - que dénoncent tous les effets de signature du texte. Ce que dit Lamartine à son insu, et ce que montre Hugo, c'est qu'un ouvrier qui travaille est un misérable encore moins bien loti que les autres. Gilliatt est "le misérable sans le savoir"[54] - tous les personnages du roman précédent, Valjean, Fantine, Champmathieu, Éponine, savent qu'ils en sont.

         

   La fable du roman se résorbe donc dans une actualité qui a passé sans produire d'Histoire, ou sans en produire d'autre qu'"éternelle". "C'est toujours la même histoire", dit le narrateur des Misérables à propos du roman de la sœur de Jean Valjean et de ses sept enfants[55]. La fable des Travailleurs de la mer est appelée à rejoindre un jour les "récits de long cours" de Lethierry, ces "histoires vraies <qui> ressembl<ent> tant à des contes[56]. Ainsi s'explique que les références du texte à l'actualité des années 1823-1827 sont à la fois peu nombreuses et sans réelle utilité quant au repérage temporel de l'action.

 

II. Les références du texte à l'actualité

 

1) Les références à 1823-1827

Les références à l'actualité de l'époque où se déroule l'action sont peu nombreuses. Elles se concentrent dans "Les conversations de l'auberge Jean", chapitre nécessaire à la datation de l'intrigue, que viennent compléter - mais à peine - deux chapitres consacrés aux "propos interrompus" des passagers de la Durande. La référence à l'actualité s'inscrit donc principalement dans la parole des personnages, le narrateur l'assume beaucoup plus rarement que dans Les Misérables.

Les autres références à l'actualité de la Restauration, disséminées dans tout le roman, sont très rares. Allusion aux accusations portées par les royalistes dans les années 1820 contre Tissot, cet ancien membre des Cordeliers devenu professeur au Collège de France, réputé responsable du meurtre de la princesse de Lamballe lors des massacres de Septembre, dans la mention de l'auteur homonyme d'un des livres possédé par Gilliatt, Avis au peuple sur sa santé (1761) : "Ce doit être le Tissot qui a porté la tête de la princesse de Lamballe", dit un émigré français[57]. Allusions à la publication du Mémorial de Sainte-Hélène (1823), dans l'inventaire des "chimères" qui agitent Lethierry après le naufrage : "l'empereur Napoléon lui dictait ses mémoires"[58], et à la mort de Napoléon dans l'analyse de la joie de Clubin :

 

(…) le régent George tuant lentement Napoléon (…) devai(t) éprouver quelque chose de la volupté que rêvait Clubin. [59]

 

 Allusion, enfin, aux prestations d'un acteur des Variétés et du Vaudeville dans le chapitre consacré à la ruine de Lethierry, où sont décrites les humiliations subies par ceux qui ont "décr(u)" :

 

(…) voilà un de vos ennemis qui rit. Peut-être rit-il du dernier calembour d'Arnal, mais c'est égal, ce calembour ne lui semble si charmant que parce que vous êtes ruiné.[60]

 

C'est à peu près tout, hormis les deux chapitres de "conversations". C'est peu, et la référence à l'actualité ne sert généralement donc pas l'ancrage réaliste du texte. Elle le sert d'autant moins que l'actualité de l'archipel de la Manche est, paradoxalement, absente du roman. Elle l'est aussi de son texte liminaire, qui est pourtant entièrement consacré aux îles de la Manche, à l'exception de la mention de la première apparition d'un bateau à vapeur à Guernesey, "le 10 juin 1823"[61] - mais ce n'est pas le bateau de Lethierry, ce qui fictionnalise encore son histoire. Le statut de ces références est symbolique, ou métatextuel, plutôt que référentiel. Gilliatt, né en 1793 puisqu'il a trente ans quatre ans avant 1827, lit aussi Voltaire : la mention de Tissot sert son portrait intellectuel. La confusion avec son homonyme crée un sous-entendu où quelque chose se dit de la sexualité de Gilliatt : l'auteur de l'Avis au peuple sur sa santé a également publié un traité sur l'onanisme, "universellement" connu selon Larousse. Lethierry est à plusieurs reprises explicitement assimilé à Napoléon par la nature de son entreprise (échec compris), et Clubin, implicitement, à Napoléon III par son portrait moral : la référence à la mort de Napoléon et à la publication de ses mémoires sert donc l'inscription du texte dans l'Histoire du siècle. Enfin, le roman prend soin de se démarquer du vaudeville qu'il aurait pu être ; son auteur a lui aussi connu l'accablement, en 1843 - et la menace de la ruine, en 1852.

 

2) Les références à 1864-1866

Beaucoup plus nombreuses, en revanche, sont les références à l'actualité contemporaine de la rédaction du roman. Voire de sa publication, puisque Hugo révise le texte liminaire en vue de la seconde édition du roman, ce qui lui permet de mettre en quelque sorte son texte à jour relativement à l'actualité la plus récente - alors même que ce texte est le tableau d'une époque révolue.

 

a) L'actualité de l'archipel

Dans le texte liminaire, c'est à l'actualité judiciaire de l'archipel de la Manche que s'appuie la démonstration de la survivance des institutions et de la langue féodales : le narrateur mentionne - et date - trois affaires qui opposent respectivement une fille à son père, en octobre 1863, un écuyer et un seigneur, en 1864, et Dobrée à Marguerite Jehan, le 5 avril 1866[62]. Mais cette actualité est réputée inconnue du lecteur et sa compétence encyclopédique n'est pas mobilisée par la lecture de ces références. Cette actualité inconnue mais signifiante entre bien dans la catégorie des faits d'où sort l'histoire de l'archipel et que le roman n'ignore pas, sans préjudice de la valeur biographique que peut prendre la référence à la condamnation d'une jeune fille "à six semaines de prison “pour avoir ennuyé son père“" sous la plume d'un auteur dont la propre fille était alors partie au Canada rejoindre l'homme dont il ne voulait pas pour elle.

En revanche, la révocation de l'évêque sud-africain Colenso en 1864[63], évoquée à deux reprises dans l'analyse de l'église anglicane, déborde l'actualité de l'archipel. Elle peut servir de repérage de la situation d'énonciation ; elle est traitée comme un sujet de conversation possible entre le narrateur et le lecteur :

 

Une femme du très grand monde, à Londres, est célèbre pour le don qu'elle a de se trouver mal dans les maisons où il y a un exemplaire du livre de Colenso. Elle entre et s'écrie : Ce livre est ici ! et elle s'évanouit. [64]

 

Mais "ce livre" est aussi le roman que le lecteur a entre les mains, dont le dénouement s'écarte ostensiblement des happy ends  habituellement offerts aux dames "du très grand monde". On songe ici à Madame de Blinval, qui voit dans Le Dernier Jour d'un condamné "un livre abominable, un livre qui donne le cauchemar, un livre qui rend malade" : "le titre seul (…) fait mal aux nerfs" du bourgeois[65]. On songe aussi à l'une des "nouvelle<s> du moment" qui ont servi de matériau à l'intrigue. Le propriétaire de la maison louée par Hugo à Jersey était l'armateur d'un bateau à vapeur qui sombra en décembre 1851, et dont la machine avait été sauvée par une "espèce de sauvage". Il avait été inquiété quelques mois plus tard par la police française, au motif qu'un de ses passagers avait été pris en possession de trois exemplaires de Napoléon le petit : "Le gendarme qui l'arrêtait dit : "Ah, ce livre-là."" [66]

La seconde évocation de Colenso sert de contre-exemple dans la démonstration des progrès de la liberté dans l'archipel :

 

Cette liberté souffre une exception ; une seule (…) Il existe en Angleterre un tyran. Le tyran des Anglais (…) s'appelle Dimanche. (…)

Heureux du reste le peuple qui est libre six jours sur sept. Dimanche étant donné comme synonyme de servitude, nous connaissons des nations dont la semaine a sept dimanches.

Tôt ou tard, ces dernières entraves tomberont. Sans doute l'esprit d'orthodoxie est tenace. Sans doute le procès intenté à l'évêque Colenso, par exemple, est grave. (…)[67]

 

L'insinuation, sous-entendu malveillant, est décodée sans peine par le lecteur natif de la nation aux "sept dimanches"[68].

 

L'actualité de l'archipel de la Manche relative à l'époque de la rédaction et de la publication du roman est presque absente du roman lui-même. Le texte ne s'y réfère jamais comme à un ensemble de faits susceptibles de situer l'énonciation, puisque le lecteur est supposé ne pas en faire partie.

La commémoration, le 5 novembre 1865, de l'exécution du conspirateur catholique Guy Fawkes le 5 novembre 1605 est l'une des sources d'un chapitre précisément écrit en novembre 1865. Mais l'événement n'est pas allégué en tant que tel : rien ne dit que ce soit le 5 novembre que Gilliatt ramène dans sa barque le canon "que les gens de l'île tir(ent) tous les ans (…) en réjouissance de la mort de Guy Fawkes"[69]. On peut faire la même remarque à propos de la célébration de la fête de la Visitation par les casseurs de pierre de Saint-Sampson le 31 mai, mentionnée sans indication d'année dans un chapitre de "L'Archipel de la Manche" écrit en mai 1865[70]. Il s'agit là de sources, non de références.

La réunion de la Cour de justice royale en séance solennelle, à Guernesey en janvier 1864, est bien un fait d'actualité contemporain de la rédaction du roman. Gilliatt "se dit à travers son sommeil que les Chefs-Plaids d'après Noël seraient tenus le 21 janvier"[71]. Mais le statut de cette référence est complexe. Elle ne se justifie que par l'association de ces séances avec un costume de higlander que Gilliatt se rappelle "dans les moindres détails" : ces séances s'appellent "Chefs-Plaids" et seuls les chefs des higlanders portent le plaid, qui est un manteau. Association faite par Hugo lui-même, car cette indication est la seule qu'il laisse dans le texte qui lui sert de source : Gilliatt n'évoque pas cet accessoire vestimentaire. La date donnée à la réunion de cette cour : le 21 janvier, date anniversaire de l'exécution de Louis XVI, au lieu du 18, jour où elle a bien eu lieu en janvier 1864, provient sans doute d'un autre détail de l'équipement militaire écossais : la claymore, longue épée qui se tient à deux mains, dont le souvenir vient en revanche à l'esprit de Gilliatt. Il songe "aussi", immédiatement après, au recteur de Saint-Sampson, qui se nomme Hérode comme celui qui fit décapiter Jean-Baptiste. Bref, le personnage est doté de l'inconscient de l'auteur, et cette référence à l'actualité de Guernesey n'est en rien référence au réel.

 

b) L'actualité française et internationale

C'est l'actualité française et internationale des années de rédaction et de publication du roman qui, dans le texte liminaire et le roman lui-même, fait l'objet des références les plus nombreuses.

La découverte, par Boucher de Perthes en 1863, d'une mâchoire d'homme de l'époque tertiaire dans une carrière de la Somme, dont les conséquences avaient été tirées dans ses publications de 1864[72] ; les difficultés de l'introduction du chèque en France, dont une loi de 1865 avait reconnu la valeur légale[73] ; la campagne en faveur de l'érection d'une statue de Dupin dans la Nièvre, qui aboutira en 1869[74] ; la lenteur de la procédure en réhabilitation de Lesurques dans l'affaire du courrier de Lyon, qui échouera définitivement la même année[75] ; l'abolition partielle de la loi Le Chapelier, enfin, en mai 1864[76], sont évoquées dans "L'Archipel de la Manche", selon des degrés divers d'explicitation. La statue de Dupin est évoquée comme l'objet d'une rumeur, sur le mode du "il paraît que…" : le propos est ici explicite. Mais c'est l'exécution de Lesurques (1796) qui est alléguée à l'appui de la comparaison des "beautés de la peine de mort" dans l'archipel et en France. C'est l'insistance sur l'"absolue" liberté de s'associer en vigueur dans l'archipel qui seule convoque dans l'esprit du lecteur, a contrario, le souvenir du vote de la loi sur le "droit de coalition" - non d'"association" - qu'une lettre du ministre du Commerce, publiée dans Le Moniteur, venait de compléter en mars 1866, en prônant la tolérance à l'égard des réunions syndicales. C'est dans la même perspective qu'est évoquée la possibilité d'une réalisation "microscopiqu(e)" de la "révolution financière" dans l'archipel, qui paraît prématurée en France. C'est enfin à la faveur d'une remontée aux époques "antérieures aux temps historiques" que la découverte des "hommes primitifs" est évoquée : l'actualité (scientifique) sert ici à rappeler le temps long de l'Histoire. Chacune de ces références peut par ailleurs être symboliquement rattachée à une intrigue où "l'homme primitif", l'argent, la mémoire et l'organisation du travail jouent leur rôle.

 

À ces faits, une lecture attentive du roman permet d'ajouter, toujours en matière d'actualité française, une foule de détails.

La comparaison de Gilliatt à "un Dace de la colonne trajane"[77] est motivée sans doute, d'une part par la projection de l'épopée napoléonienne dans le roman, d'autre part par la complémentarité des chefs-d'œuvre respectifs de Gilliatt et de Lethierry : Lethierry compare la cheminée de son bateau à la colonne de la place Vendôme[78]. Cette projection se fait contre la thèse du "rétablissement" de l'Empire, puisque Trajan, modèle de Napoléon Ier, est traditionnellement crédité de qualités que Napoléon III n'a pas : souci des deniers publics et respect des lois héritées de la République. Il s'agirait donc ici d'Histoire et non d'actualité, si des moulages des bas-reliefs de la colonne trajane n'avaient pas été installés au Louvre en 1864, ce que le lecteur français ne peut ignorer. La "foi" de Lethierry à "la Dame blanche"[79] s'explique par le poids de cette superstition celtique dans les îles de la Manche, mais elle doit peut-être aussi quelque chose à la millième représentation de La Dame blanche à l'opéra-comique la même année, dont la première avait eu lieu en 1825. Source seconde du texte - car Hugo y croit aussi -, elle vient en quelque sorte actualiser les superstitions de Lethierry relativement aux deux contextes de l'énoncé et de l'énonciation.

Autres références, de statuts divers. La franc-maçonnerie avait adopté en 1865 une nouvelle Constitution, qui excluait les athées. Elle n'est pas mentionnée dans le roman, mais elle permet d'expliquer une partie du portrait de Rantaine, qui fait l'objet d'un chapitre ajouté à la même date. L'actualité est ici, sans doute, la source du texte, mais aussi l'objet d'une insinuation dirigée tout à la fois contre la franc-maçonnerie, le parti clérical et Napoléon III :

 

Son masque de franc-maçon ne l'empêchait pas (…) de porter le faux nez catholique. Le premier lui conciliait les hommes de progrès et le second les hommes d'ordre. [80]

 

Le débat sur le célibat sacerdotal, enfin : y participent la réédition, en 1863, et la parution, l'année suivante, de deux romans de Poligny et d'Aurevilly qui ont pour titre Un Prêtre marié. Ce titre est l'injure que lance Lethierry à un pasteur accompagné de sa femme : mot "absurde" à l'"époque" de l'intrigue, commente le narrateur, mot plein de sens à la parution du roman, se dit le lecteur[81].

 

Sur le plan de l'actualité internationale contemporaine de la rédaction du roman, telle remarque du texte liminaire sur la sociabilité - déhiérarchisée, donc républicaine - des officiers supérieurs hongrois exilés à Guernesey s'inscrit, plus explicitement cette fois, dans le contexte de la défaite de l'Autriche, soutenue par la France, contre la Prusse, à Sadowa trois mois plus tard, qui consacre l'indépendance de la Hongrie[82]. Telle autre, à propos des informations que demande le premier bouvier venu sur le sort de Garibaldi, qui venait alors d'abandonner Palerme et se préparait à envahir les États pontificaux pour marcher sur Rome, renvoie directement à la question italienne[83]. L'actualité de l'exercice du pouvoir spirituel et temporel du Pape est elle aussi rappelée, d'une part dans le parallèle que l'analyste de la "volupté" de Clubin s'autorise à faire entre Messaline et Marie Alacoque, religieuse du XVIIème siècle béatifiée en 1864[84] ; d'autre part dans l'attribution à la tempête du "Non possumus" par lequel Pie IX, en décembre de la même année, ouvre sa condamnation du rationalisme démocratique[85].

Enfin, le choix de faire d'"un nègre (…) évadé des sucreries de Surinam" le chauffeur de la Durande[86]. Le lecteur se rappelle que l'esclavage y a été aboli en 1863 : c'est donc une allusion à l'actualité de la période de rédaction du roman. Mais ce choix dit aussi que l'"histoire (…) de l'utopie" reste "éternelle" : le lecteur qui comme Gilliatt aura lu Candide sait qu'un esclave surinamien y explique qu'il a été mutilé deux fois, par son maître et par sa meule. Dans le roman, le "nègre" appelle Mon maître le patron qui le salarie et il "ser(t) (…) la machine". La révolution n'est qu'industrielle : même révolutionné dans ses moyens techniques, le travail reste servile. Question d'actualité au moment de la rédaction du roman, dont la guerre de Sécession est le contexte le plus immédiat : commencée au moment où Hugo reprend le manuscrit des Misérables, elle se termine alors qu'il rédige la dernière partie des Travailleurs de la mer. Les "propos" échangés par les passagers de la Durande y font allusion au travers de la mention d'un certain nombre d'hommes politiques américains.

 

Les références à l'actualité contemporaine de l'intrigue du roman sont donc peu nombreuses, et leur valeur faiblement référentielle, en dehors des chapitres consacrés aux conversations de l'auberge Jean et des passagers de la Durande. Ces chapitres donnent directement les dates de la chronologie de l'action, ou permettent de les calculer. Mais ces clés ne sont données qu'à la faveur d'un télescopage des actualités respectives des années 1823-1827 et des années 1864-1866. L'intrigue est datée relativement au temps court d'un régime, que signale d'ailleurs son inconsistance historique, mais sa pertinence au regard du temps long de l'Histoire est affirmée.

 

3) L'actualisation du sens de l'énoncé

Le télescopage de l'actualité de 1823-1827 et de l'actualité de 1864-1866 est si récurrent qu'il produit un effet de structure, dont la portée critique est plus grande que l'allusion, polémique par définition, à l'actualité contemporaine de la rédaction du roman ; il montre que rien ne distingue fonctionnellement le "rétablissement" de l'Empire de la Restauration. C'est une conduite d'historien, non de polémiste rivé à l'actualité même quand il en dénonce l'irréalité, et une conduite propre aux Travailleurs de la mer, car si ce télescopage s'observe fréquemment dans Les Misérables, il ne saurait y produire le même effet, dans la mesure où, précisément, le roman n'est pas tout entier de l'exil. L'idée est avancée par B. Leuilliot : dans le roman "la référence, archéologique, aux premières années du siècle (…) est sans cesse reconduite au temps de l'énonciation"[87]. La référence à l'actualité de l'intrigue est peut-être rarement strictement "archéologique" : moins en tous cas que dans Les Misérables, car l'exil qui traverse le texte oblige le narrateur à de telles exhumations. Mais cette "reconduction" de la référence au temps de l'énoncé vers le temps de l'énonciation est bien une règle des Travailleurs de la mer ; elle y produit de l'Histoire à partir de ce qui n'en est pas, à partir de deux actualités également insignifiantes.

 

L'allusion discrète à la Pologne, dans la conversation entre Lethierry, qui déclare : "Je ne veux pas du czar.", et le révérend Hérode, qui lui répond : "Il est écrit : Rendez à César ce qui est à César. Le czar, c'est César.", superpose, d'une part, le partage de la Pologne en 1815 au profit d'Alexandre Ier et le récent échec du mouvement républicain d'avril 1864 devant Alexandre II ; d'autre part, le Czar à César, c'est-à-dire à Napoléon III[88].

De la même manière, l'hypothèse avancée par le narrateur selon laquelle le timonier de la Durande, "Tancarville probable", appartient peut-être même à la famille des Montmorency constitue une allusion à la règle décrétée en 1820 pour réduire l'ambition de nombreuses familles à se rattacher aux Montmorency, en même temps qu'au viol de cette règle par Napoléon III, qui avait en 1864 reconnu un Montmorency dans un Talleyrand lointainement apparenté[89].

La comparaison entre la colonne Vendôme et la cheminée de la Durande[90] mobilise chez le lecteur le souvenir des textes que Hugo a consacrés à la colonne, en 1827 dans les Odes et Ballades et en 1830 dans Les Chants du crépuscule : référence, archéologique sans doute, à l'œuvre elle-même, autant qu'au contexte de l'intrigue, et à l'évolution politique de l'auteur. Mais dans un roman conçu pour être l'épopée du travail et non de la guerre[91], cette comparaison constitue également une allusion au remplacement, en 1864, du Napoléon en redingote qui coiffait la colonne, par un Napoléon en tenue d'empereur romain conforme au modèle initial.

 

"Les conversations de l'auberge Jean"

Le portrait du capitaine Zuela, chargé de récupérer Clubin après le naufrage, se réfère explicitement aux guerres d'indépendance des anciennes colonies espagnoles[92]. Ce contexte (1816-1825) ramène le lecteur quelques années avant le début de l'intrigue - et avant la date même des "conversations de l'auberge Jean", que les références à l'opposition rencontrée par Villèle et à la chronologie de la guerre de Grèce permettent de situer entre avril 1827 et janvier 1828. Mais cette référence s'inscrit aussi dans le contexte second de la guerre qui, en 1864, oppose ouvertement l'Espagne au Pérou indépendant.

La fin du chapitre est saturée de références à la Terreur blanche. Elles ramènent à nouveau le lecteur "sept ou huit (…) années" avant le début de l'intrigue. Mais elles lui sont finalement intégrées par une formule - "Ces temps étaient une époque de fuite." - à la dénotation large : l'"époque" ainsi définie va de 1815 (exécution des officiers de Napoléon) à 1822 (fin des conspirations bonapartistes et républicaines). Surtout, sa connotation est problématique : "ces temps" sont-ils si révolus que ces références ne puissent se lire aussi dans le contexte du Second Empire ? Dans cette liste voisinent en effet le personnel du Premier Empire et des conspirateurs aussi bien républicains que bonapartistes, ce qui contribue à confondre ces "fuites" sous la Restauration avec les exils consécutifs au "rétablissement" de l'Empire : "les restaurations entraînent des proscriptions". La référence à une chanson de Béranger de 1817, qui promut la souscription destinée à financer la colonie fondée au Mexique par deux généraux de l'armée de Waterloo, renvoie le lecteur à l'intervention française au Mexique des années 1861-1865[93]. Le passé royaliste de Hugo est discrètement convoqué d'une courte phrase : "Delon avait pris la fuite"[94], et son exil sert implicitement d'exemple :

 

Des personnes considérables, et même illustres, étaient réduites à des expédients de malfaiteurs. (…) S'imagine-t-on l'innocence contrainte à se grimer, la vertu contrefaisant sa voix, la gloire mettant un masque ? Tel passant à l'air suspect était une renommée en quête d'un faux passe-port.

 

Le 11 décembre 1851, Hugo avait quitté Paris pour Bruxelles avec le passeport d'un autre. Cette proximité des "personnes (…) illustres" aux "malfaiteurs" a sa réciproque : si les "honnêtes gens" sont contraints de se déguiser en "fripons", il est possible à l'inverse que des fripons se déguisent en honnêtes gens. Ainsi du personnel du Second Empire et de Louis-Napoléon Bonaparte lui-même, dont le lecteur de Napoléon le petit entrevoit ici sans peine la carrière :

 

Chose bizarre à constater, on pourrait presque dire, particulièrement pour les malhonnêtes gens, que l'évasion menait à tout. (…) Tel banqueroutier sorti d'Europe (…) a reparu vingt ans après grand vizir au Mogol ou roi en Tasmanie.

 

C'est en effet après s'être exilé en Amérique et s'être évadé de Ham, que Louis Bonaparte a reparu président de la République en France. Comme Empereur, il se distingue peu des despotes orientaux :

 

Il est maître, il est cadi, mufti, bey, dey, soudan, grand-kahn, grand-lama, grand-mogol ; grand-dragon, cousin du soleil, commandeur des croyants, schah, czar, sophi et calife. [95]

 

"Propos interrompus"

La discussion des passagers de la Durande à propos des sobriquets dont les américains nomment leurs hommes politiques[96] se comprend le mieux dans un contexte qui n'est paradoxalement pas celui de l'intrigue ; c'est d'ailleurs d'un article tardif (1853) de La Chronique de Jersey que Hugo tient ses informations[97]. Trois périodes sont confondues : la guerre menée contre les Anglais jusqu'en 1814, où s'illustrèrent effectivement les futurs présidents Jackson, Harrison et Taylor ; les combats contre les Indiens, où brillèrent, en plus des premiers, les généraux Scott et Cass, mais qui se prolongèrent jusqu'au début des années 1840 ; enfin, la guerre de Sécession, qui d'une part explique la guerre du Mexique et d'autre part constitue, je l'ai dit, le contexte immédiat de la publication du roman.

L'essentiel du personnel de cette conversation est nommé pour des qualités acquises postérieurement à la date de cette conversation : Van Buren était bien le vice-Président de Jackson en 1828, mais il est passé à la postérité comme son indigne successeur en 1836 ; Douglas n'a été élu sénateur qu'en 1847 ; Benton l'était dès 1821 mais était célèbre surtout pour la longévité de son mandat (30 ans) et sa participation, bien ultérieure, au financement du chemin de fer transcontinental ; Webster est connu pour son discours anti-esclavagiste de 1830 ; l'abolitionniste Seward, enfin, n'a pris la tête du parti républicain que dans les années 1840 et était secrétaire d'État au moment où Hugo écrivait le roman.

Cette conversation, censée dater l'intrigue, est préparée par celle des marchands de bœufs qui ne se réfère à aucune actualité mais vaut, comme "parlage", à la fois en tant que bavardage insignifiant et en tant que sociolecte. Elle date surtout le roman lui-même, et les combats menés par son auteur, d'une part contre l'esclavage[98], d'autre part contre Louis-Napoléon Bonaparte. Son sobriquet est calqué, suivant cette "mode bizantine" de la désignation des empereurs évoquée par l'un des passagers, sur ceux de Van Buren, le Petit-Sorcier, de Douglas, le Petit-Géant, et de Seward, Billy-le-Petit.

L'autre partie de cette conversation, interrompue par la menace du naufrage[99], a les mêmes effets de superposition. Selon B. Leuilliot, l'assertion du Parisien : "Monsieur, à Paris tout marche de travers.", doit se lire dans le contexte des tentatives de récupération, par l'Empire avec l'aide d'anciens saint-simoniens, du mouvement ouvrier, et du ralliement de ceux que Hugo appelle les "républicains agréables à la police"[100]. On voit mal en effet ce qui "marche de travers" dans la France de 1827-1828 - sinon, peut-être, l'opposition d'une grande partie de la droite à la politique de Villèle : "Vous verrez que la droite finira par renverser Villèle", dit l'un des patrons de l'auberge Jean. On entrevoit, en revanche, pourquoi le même Parisien déclare ensuite : "J'ai dans l'idée que le bon Dieu n'y est pas." Allusion possible au sacre de Charles X, dont la pompe en trompe-l'œil a fait dire à Hugo que le carton y était employé "pour plus de ressemblance (…) avec la monarchie d'alors"[101]. Allusion certaine en tous cas à Napoléon III :

 

- Le bon Dieu est absent. (…) Il est évident, mon cher monsieur, (…) que c'est (…) quelque crétin avec des ailes de moineau, qui mène les affaires.

 

À la parution du roman, les affaires sont effectivement menées par quelqu'un dont Thiers - auteur d'un grand discours sur les "libertés nécessaires" en janvier 1864 - disait en 1848 : "C'est un crétin qu'on mènera." "Avant le 2 décembre, rappelle Hugo, les chefs de la droite disaient volontiers de Louis Bonaparte : C'est un idiot. "[102] Un idiot affublé d'un aigle qui ressemble, au choix, à une chouette ou à un perroquet[103].

            Restauration ou "rétablissement", c'est toujours la même histoire. L'actualisation du sens de cette histoire, que vise la fiction relativement à l'ici et maintenant de la publication du livre, ne peut donc se faire que dans un rapport complexe à l'actualité.

 

III. Le poète dans les circonstances

 

Hugo interdit toujours à son lecteur d'établir un rapport immédiat entre ses œuvres et l'actualité. Cette précaution s'exerce d'abord au bénéfice de l'œuvre, qui doit refuser le "succès de réaction", "de scandale (…) et d'allusions"[104], sauf à s'abaisser au niveau de la propagande. Mais elle s'exerce aussi, je l'ai dit, au bénéfice de l'Histoire elle-même, qui n'est pas l'actualité. Cet interdit est d'autant plus spectaculaire que Hugo publie "à chaud" de nombreux textes isolés, tout en ayant la réputation de ne pas écrire d'œuvres de circonstance, parce qu'effectivement celles qui pourraient passer pour telles, comme William Shakespeare ou Paris, sont la continuation, par d'autres moyens, de livres antérieurs : ici la Préface de Cromwell, là Les Misérables. Reste le cas particulier de Choses vues, mais, à l'exception des affaires judiciaires et de l'émeute du 12 mai 1839, les "faits contemporains" qui y sont rapportés et le "temps présent" qui s'y construit relèvent rarement de l'actualité. Les "Faits contemporains" sont peut-être même "ce qui subsiste quand il n'y a plus d'événement, ou ce qui seul se distingue déjà quand l'événement (…) n'est pas encore là"[105] : dans les deux cas, ce que laisse subsister la déliaison de l'Histoire et de l'actualité. Et, surtout, Choses vues n'a pas été publié[106].

Ces textes sont publiés comme textes de circonstance, mais ils sont ensuite intégrés à un livre qui, lui, ne l'est pas. Plusieurs d'entre eux sont d'ailleurs des textes de commande, ce qui neutralise la question du rapport de l'écriture à l'actualité. Ces textes relèvent principalement de la production d'avant l'exil et sont, pour la majorité d'entre eux, des odes : autant de "traduction(s) d'un événement contemporain"[107]. Un autre ensemble - postérieur à l'exil - gravite autour de la publication de la nouvelle édition de Châtiments et de L'Année terrible[108]. Le reste est très divers et comprend des pièces des recueils d'avant l'exil, dont plusieurs se réfèrent à la révolution de 1830[109] ou sont écrits "pour les pauvres"[110].

Les textes de circonstance restés isolés, maintenus à l'écart du livre qui en changerait le statut, sont fort rares. C'est le cas, outre le texte de telle cantate commandée en 1841 par la Garde nationale de Boulogne pour l'inauguration d'une statue de Napoléon, publiée (mais partiellement) dans la presse locale[111], du Retour de l'empereur (1840), qui intègre l'édition anthologique de La Légende des siècles[112] ; de la Préface de la nouvelle traduction des œuvres de Shakespeare, qui doit précisément son existence au dépassement, par le livre, de la circonstance qui en est l'occasion, et dont la nécessité dit bien que William Shakespeare n'est finalement pas un texte de circonstance[113] ; de La Voix de Guernesey (1867) et de La Libération du territoire (1873), enfin, mais ces poèmes sont également publiés, sous d'autres titres, dans Actes et Paroles[114].

 

Livres inutiles et vers désintéressés

Dès "Le télégraphe", satire publiée en plaquette peu après les faits d'actualité qu'elle encode, la littérature est opposée aux "songes d'un instant qu'un autre instant détruit". Elle s'inscrit dans l'Histoire plutôt que dans l'actualité : c'est dans sa relation à l'Histoire, relativement à elle, que se pose la question de sa responsabilité et que se constatera, le cas échéant, la faute du poète. C'est un "censeur sans tache encore". Le télégraphe peut "Servir tous les forfaits et rester innocent" parce qu'il n'a à connaître que de l'actualité.  Les "notes" du poème disent la même chose : elles élucident les allusions qui saturent le texte, mais elles en manifestent surtout l'inintelligibilité[115]. Ce texte enregistre la simultanéité de ce que nous nommons aujourd'hui, ou de ce que nous nommions jusqu'à il y a peu de temps, respectivement fin de l'Histoire ("Le temps a d'Attila dissipé les vains songes") et avènement de l'ère de la communication - simultanéité que dit le seul mot d'actualité.

Le Dernier jour d'un condamné n'est référé à l'actualité des débats sur la peine de mort que par la préface de sa troisième édition. L'auteur y prend "deux ou trois exemples" puisés dans l'actualité judiciaire[116]. Mais il ne donne pas "le lieu, le jour, ni le nom", et préserve ainsi l'universalité du livre, qui est tout sauf un livre de circonstance, tout en exposant les circonstances de sa lecture. Ce sont les circonstances de la lecture, bien davantage que celles de l'écriture, qui font l'objet du paratexte des recueils publiés par Hugo. Les Orientales pourraient au contraire passer pour un "livre inutile de pure poésie, jeté au milieu des préoccupations graves du public"[117]. Elles ne le sont pas : la guerre de Grèce - davantage que l'avenir du ministère Martignac - en constitue le contexte. Mais la guerre n'est explicitement mentionnée qu'aux derniers paragraphes de la préface et comme guerre "mémorable"[118] : elle a déjà quitté l'actualité pour entrer dans l'Histoire. La préface décrète avant tout l'absolue autonomie de la poésie[119], et si d'autre part le poète avoue avoir "obéi peut-être" à la "préoccupation générale" qu'est devenu l'Orient grâce au développement des études orientales, c'est "à son insu" et "presque sans l'avoir voulu"[120]. Le rapport à l'actualité, doublement récusé sur les plans politique et culturel en même temps que posé, est médiatisé par la logique interne de l'œuvre. Elle est dite par sa comparaison à une ville, hétérogène puisqu'on y "trouv(e) tout", mais autosuffisante précisément parce qu'on y trouve tout[121].

Dans la préface des Feuilles d'automne, l'auteur dresse le tableau du "moment politique", et ce terme, qui ouvre le texte, est utilisé à six reprises. Par deux fois, une précision temporelle - "novembre 1831"- vient restreindre encore le contexte de la publication du recueil, et dire la pression que l'actualité est susceptible d'exercer sur l'écriture[122]. Mais le livre est "un volume de pauvres vers désintéressés" - encore l'auteur n'assume-t-il pas beaucoup plus ici que dans la préface des Orientales cette caractérisation, qu'il traite comme une concession faite au lecteur.

 

Sans doute, en un pareil moment, (…) c'est folie de publier un volume de pauvres vers désintéressés. Folie ! pourquoi ? [123]

 

Si pression il y a, c'est encore sur la lecture. Il se trouve, dit l'auteur, que "l'art a sa loi qu'il suit, comme le reste a la sienne"[124]. Il fait en outre allusion aux deux odes - "À la jeune France" (1830) et "Hymne aux morts de Juillet (1831) - publiées dans les journaux depuis la parution du recueil précédent, et les définit, dans la continuité du recueil des Odes lui-même, comme "inspirées par les événements contemporains". Poésie appelée "politique", et "qu'il voudrait qu'on appelât historique", écartée du recueil pour intégrer plus tard un "recueil de poésie politique" : ce seront Les Chants du crépuscule, recueil qu'il "tient en réserve" en attendant "pour le publier un moment plus littéraire"[125]. Hugo publie donc un recueil littéraire à un moment politique et attend un moment littéraire pour publier un recueil politique : la loi qui règle le rapport de l'art au "reste" est de l'ordre de la déception. De toute façon, Hugo signifie aussi qu'il n'écrit pas - ou n'écrit plus, depuis les Odes - de poésie sur "ces choses variables qui constituent les questions politiques"[126]. C'est au poète, lit-on dans la préface des Voix intérieures

 

qu'il appartient d'élever, lorsqu'ils le méritent, les événements politiques à la dignité d'événements historiques. Il faut, pour cela, qu'il jette sur ces contemporains ce tranquille regard que l'histoire jette sur le passé ; il faut que, sans se laisser tromper aux illusions d'optique, aux mirages menteurs, aux voisinages momentanés, il mette dès à présent tout en perspective, diminuant ceci, grandissant cela. [127]

 

L'élévation de l'actualité "à la dignité" de l'Histoire relève d'un travail critique de mise en perspective, où l'actualité trouve sa consistance en se distinguant, précisément, du "momentané", mais que le poète doit mener, en urgence, dans le "présent". Travail d'optique où le poème, dit la préface des Rayons et des Ombres, devient "le reflet, tantôt éblouissant, tantôt sinistre, des événements contemporains"[128], mais toujours déformé, ou plutôt reformé à la lumière de l'œuvre.

 

"Faire en même temps son devoir et sa tâche"

Selon P. Laforgue, la "création" d'un livre de Hugo relève "d'une double temporalité, formée d'un temps long", qui "rythme l'œuvre dans sa logique profonde, au mépris de tout élément contingent", "et d'un temps immédiat", que "la conjoncture (…) suscite"[129]. C'est sans doute le cas de tous les écrivains, mais Hugo est en davantage conscient que d'autres. William Shakespeare s'ouvre explicitement sur ce thème :

 

Le désir d'introduire, comme on dit en Angleterre, devant le public, la nouvelle traduction de Shakespeare, a été le premier mobile de l'auteur. (…) Cependant sa conscience a été sollicitée d'autre part, et d'une façon plus étroite encore, par le sujet lui-même. À l'occasion de Shakespeare, toutes les questions qui touchent à l'art se sont présentées à son esprit. (…) Une telle occasion de dire des vérités s'impose, et il n'est pas permis, surtout à une époque comme la nôtre, de l'éluder. (…) De cet agrandissement du point de vue est né ce livre. [130]

 

Le "mobile" est fourni par l'actualité. Elle pousse Hugo à renoncer à commencer la rédaction de Quatrevingt-Treize, roman qui est lui-même une "page arrachée" à un livre plus ample, "une histoire de la Révolution" : priorité paraît être donnée au temps immédiat, à "l'époque", sur le temps long. Le constant ajournement de Quatrevingt-Treize, "principale entreprise" de Hugo selon un possible mot de lui rapporté par Stapfer, donne de fait aux œuvres publiées entre 1862 et 1874 le statut d'œuvres de circonstance : Les Travailleurs de la mer en font partie. Hugo en retarde le démarrage, pour s'atteler à ce qui s'appelle alors La Montagne, bien que le projet des Travailleurs se soit déjà concrétisé par un repérage entrepris à Serk. Il les commence d'abord sans intention de les publier, ne voulant pas perdre dans le travail éditorial le temps qu'il lui reste pour écrire Quatrevingt-Treize. C'est bien dans ce but qu'il ajourne, au moment où il commence la rédaction des Travailleurs, la publication des Chansons des rues et des bois, alors que ce recueil s'annonce lui-même, depuis cinq ans, comme un ajournement nécessaire des œuvres à finir ou à faire[131].

Mais l'actualité qui commande la publication de William Shakespeare n'est pas la commémoration du tricentenaire de Shakespeare. Le "mobile" du livre est la publication d'une traduction, des œuvres de Shakespeare, qui n'existerait pas sans l'œuvre de Hugo. Cette traduction est en effet littéralement écrite dans la langue de Victor Hugo, dans cette "langue nouvelle" dont le traducteur dit qu'il fallait qu'elle "eût été définitivement créée" pour qu'on pût traduire Shakespeare[132]. Hugo n'est pas l'auteur de la traduction des œuvres de Shakespeare, mais il est l'auteur de sa langue. C'est pourquoi la publication de William Shakespeare trouve sa raison d'être dans la seule "conscience" de son auteur, qui est "sollicitée", non de l'extérieur par un "mobile", mais de l'intérieur par un "sujet" qui n'est autre que "l'art" lui-même : pas de sollicitation "plus étroite" que celle-là, qui sollicite l'œuvre par l'œuvre elle-même. Le "mobile" devient "occasion", et dans cette requalification s'inverse le rapport de l'œuvre à l'époque, qui de passif devient actif. On est mû par un mobile, mais on saisit une occasion : l'occasion ne "s'impose" qu'à celui qui la reconnaît comme telle et s'approprie l'époque où il vit avec ses contemporains. L'actualité est bien ici actualisation, qui rend "présen(t) à l'esprit" ce qui autrement en resterait absent, et demeurerait dans la virtualité. William Shakespeare actualise en l'occurrence ce qui du projet même de Quatrevingt-Treize est, à ce moment-là, mobilisable : la revendication du romantisme comme "93 littéraire"[133]. C'est "l'auteur de Ruy Blas commentant l'auteur d'Hamlet", dit François-Victor. C'est surtout l'auteur virtuel de Quatrevingt-Treize qui signe William Shakespeare, par une revendication d'identité collective où l'époque trouve sa définition et l'Histoire la consistance que l'actualité n'a pas :

 

(…) nous, hommes du dix-neuvième siècle, tenons à honneur cette injure : - vous êtes 93. [134]

 

"On peut, dit Hugo, faire en même temps son devoir et sa tâche"[135]. On le doit en tous cas, dès lors que c'est cette tâche qui légitime l'exercice de ce devoir. Le peut-on, et comment, sans sacrifier la tâche au devoir, le temps long au temps court, l'Histoire à l'actualité ? La solution semble être dans l'anticipation, dans l'avance gagnée par la tâche sur les nécessités du devoir. Avance nécessaire à la publication de livres inactuels qui sont d'actualité, non parce que la nature humaine s'y laisserait seule constater, non seulement en raison de l'"éternelle présence du passé"[136]. Ainsi du Rhin, dont l'auteur, pourtant parti "sans autre but que de voir des arbres et le ciel", présente explicitement la poursuite de sa tâche, libérée de toute obligation à l'égard de ses contemporains, comme l'anticipation nécessaire de l'exercice de son devoir :

 

(…) un jour, bientôt peut-être, le Rhin sera la question flagrante du continent. Pourquoi ne pas tourner un peu d'avance sa méditation de ce côté ? (…) Pour peu qu'il vive à l'une des époques décisives de la civilisation, l'âme de ce qu'on appelle le poète est nécessairement mêlée à tout (…), et doit toujours être prête à aborder les questions pratiques comme les autres. Il faut qu'il sache au besoin rendre un service direct, et mettre la main à la manœuvre.[137]

 

Pour "rendre un service direct" à l'époque et s'emparer des "question(s) flagrante(s)", le poète doit toujours se tenir "prê(t)", prêt à se saisir de l'actualité avant d'être saisi par elle. Hugo dit la même chose - c'est plus étonnant - de ses discours en 1875 :

 

En dehors des discours purement de réplique et de combat, tous les discours qu'on trouvera dans ce livre ont été ce qu'on appelle improvisés. Expliquons-nous sur l'improvisation. L'improvisation, dans les graves questions politiques, implique la préméditation (…). La préméditation fait que, lorsqu'on parle, les mots ne viennent pas malgré eux ; la longue incubation de l'idée facilite l'éclosion immédiate de l'expression. L'improvisation n'est pas autre chose que l'ouverture subite et à volonté de ce réservoir, le cerveau ; mais il faut que le réservoir soit plein.[138]

 

Les conditions de l'"ouverture" du texte à l'actualité font l'objet d'un développement important dans la préface du Rhin, parce que la "Conclusion" du texte est un programme de politique étrangère, et que le récit lui-même constitue une prise de position de son auteur dans la querelle du Rhin qui agite les années 1840 :

 

De retour à Paris, il (…) ne songe plus à son journal.

Depuis douze ans, il a écrit ainsi force lettres (…), et il les a oubliées. Il avait oublié de même celles qu'il avait écrites sur le Rhin, quand, l'an passé, elles lui sont forcément revenues en mémoire par un petit enchaînements de faits nécessaire à déduire ici.

On se rappelle qu'il y a six ou huit mois environ, la question du Rhin s'est agitée tout à coup. (…)[139]

 

L'actualité n'a pas d'autre rôle que de rappeler l'œuvre à la mémoire de son auteur, ce que dit à peine autrement l'ouverture de William Shakespeare, donc de l'inscrire dans une histoire interne et subjective : l'exercice du devoir, au lieu de l'interrompre, confirme le sens de la tâche en lui donnant conscience d'elle-même. Ce n'est pas l'actualité qui doit récupérer l'œuvre mais l'inverse. D'où cette ultime précaution de l'auteur quant au sens que tel paragraphe peut prendre dans le contexte de la publication :

 

Au moment où l'impression de ce livre se terminait, il s'est aperçu que des événements tout récents et qui, à l'instant même où nous sommes, occupent encore Paris, semblaient donner la valeur d'une application directe à deux lignes de la page 618 du second volume. [140]

 

Les lignes en question[141] font allusion à l'attentat "communiste" qui avait visé, en 1841, le fils de Louis-Philippe.

 

Or, l'auteur ayant toujours eu plutôt pour but de calmer que d'irriter, il se demanda s'il n'effacerait pas ces deux lignes. Après réflexion, il s'est décidé à les maintenir. Il suffit d'examiner la date où ces lignes ont été écrites pour reconnaître que s'il y avait à cette époque -là quelque chose dans l'esprit de l'auteur, c'était peut-être une prévision, ce n'était pas, à coup sûr, et ce ne pouvait être une application. (…) En admettant que ces deux lignes aient un sens, ce ne sont pas elles qui sont venues se superposer aux événements, ce sont les événements qui sont venus se ranger sous elles. [142]

 

L'œuvre ne vient pas "se superposer" à l'actualité. C'est l'actualité qui vient "se ranger sous elle" - la formule implique mise en ordre et subordination - et s'y incorporer.

On peut analyser de la même manière les deux journaux publiés dans Littérature et Philosophies mêlées, qui serait le "document" que sa préface présente[143], qui serait une anthologie de textes de circonstance, si les articles recueillis n'avaient pas tous été profondément remaniés. Ces "deux journaux d'idées, l'un de 1819, l'autre de 1830", ne sont pas seulement référés à l'année à laquelle leur titre même renvoie, mais aussi, et plus exactement, à l'œuvre elle-même :

 

Ainsi le Journal d'un Jacobite de 1819 est du temps de Han d'Islande, le Journal d'un révolutionnaire de 1830 est du temps de Notre-Dame de Paris. [144]

 

Du reste, Han d'Islande est de 1823, et le premier journal est un montage de textes publiés entre 1819 et1833. Notre-dame de Paris est de 1831-1832, et le second journal contient des notes antérieures à la révolution de 1830. C'est donc l'œuvre qui se date elle-même, et qui date le réel : chacun des deux journaux de Littérature et Philosophie mêlées a été écrit "en même temps que quelqu'un des ouvrages" qui "composent" les œuvres de l'auteur et "représente (…) le même groupe d'idées"[145].

 

L'exception terrible

L'écriture de L'Année terrible, "compartiment actuel de La Légende des siècles"[146], est au contraire si soumise à l'actualité, et cette soumission si explicitement assumée, que le recueil constitue une confirmation terrible de la validité de cette configuration générale des rapports entre l'œuvre et l'actualité. Le devoir semble y prévaloir sur la tâche, et Hugo le dit explicitement en août 1870 et en juillet 1871, soit aux deux limites de l'année :

 

Je vais serrer tous mes manuscrits dans les trois malles et me mettre en mesure pour être à la disposition de mon devoir et des événements.[147]

(…) j'ai fait mon devoir, rien que mon devoir, tout mon devoir (…).[148]

 

L'Année terrible ne paraît pas être un livre : ce sont des "feuillets"[149]. Il reproduisent les titres des journaux eux-mêmes[150]. Certains ont paru, dans Le Rappel, à des dates très proches de celles que leur assigne leur place dans le recueil[151]. Cette place enfin correspond le plus souvent - et quelquefois exactement - à la date à laquelle le texte a été écrit. C'est un texte - le seul avec certaines parties de Choses vues, mais Choses vues n'a pas été publié - écrit en temps réel[152]. Les poèmes de 1871 incorporés au calendrier de l'année 1870 sont assez rares. Aucun - sauf Septembre, I qui est le dernier poème écrit par Hugo pour ce recueil (janvier 1872) - n'est de composition postérieure à la Commune. Hugo n'écrit donc pas l'histoire de la guerre nationale à la lumière de la guerre civile (la tentation pourtant dut être grande), et ne recompose pas le matériau historique[153]. Le geste premier du recueil, qu'effectue son titre, est éminemment poétique : il nomme le réel[154], et le nomme après la publication, dans les journaux, des poèmes les plus circonstanciels du recueil. Mais la poésie, en quelque sorte, s'arrête là.

Dans le prologue, le poète "entrepren(d) de conter l'année". Récit d'un "témoin" - "ce siècle est à la barre" - garant de l'intelligibilité de l'histoire : "l'histoire en a besoin". Mais "conter" l'année revient à en compter les mois, voire les jours, dans l'ordre chronologique. Dans le poème de la seconde partie du recueil qui fait retour sur les conditions d'écriture du texte - une fois entamé le récit de la guerre civile -, l'accent est mis sur la passivité et l'impuissance du poète. Celui qui "entrepr(enait) de conter l'année épouvantable" écrit désormais

 

(…) ce livre, jour, par jour, sous la dictée

De l'heure qui se dresse et fuit épouvantée (…).[155]

 

C'est renoncer à cette subordination de l'exactitude chronologique à la vérité logique qui est à l'œuvre dans Les Contemplations, au profit de l'exercice du devoir, qui passe par la déresponsabilisation de l'écriture. Elle ne peut répondre d'elle-même dans le temps. Son émiettement répond à l'émiettement de la durée en fragments inintelligibles et à leur concrétion monstrueuse en une durée seconde : "l'année" n'est plus qu'"heure", mais le terme est au singulier et ce singulier homogénéise et unifie la pluralité des heures sans que cette unification produise un jour. Celui qui se présentait comme un "témoin" (actif) n'est plus que le secrétaire de l'actualité : elle "dict<e>" son texte à l'œuvre. Il finit par n'avoir plus d'autre existence que celle, exclusivement passive, du document. Fin de la littérature, devenue document :

 

L'événement s'en va, roulant des yeux de flamme,

Après avoir posé sa griffe sur mon âme,

Laissant à mon vers triste, âpre, meurtri, froissé,

Cette trace qu'on voit quand un monstre a passé.

Ceux qui regarderaient mon esprit dans cette ombre,

Le trouveraient couvert des empreintes sans nombre

De tous ces jours d'horreur, de colère et d'ennui,

Comme si des lions avaient marché sur lui. [156]

 

Exacte inversion de l'image qui préside à l'écriture de La Légende des Siècles, où la référence à la paléontologie inscrit l'écriture dans le temps long :

 

Il n'est pas défendu au poëte (…) d'essayer sur les faits sociaux ce que le naturaliste essaie sur les faits zoologiques : la reconstruction du monstre d'après l'empreinte de l'ongle ou l'alvéole de la dent. [157]

 

Ce qui s'actualise durant "l'année terrible" n'est donc pas l'Histoire. Un projet d'"Avertissement" oppose, d'une part, l'heure : "la presse en France à cette heure n'est pas libre", finalement explicitement identifiée à l'actuel dans le texte retenu : "La liberté actuelle de la presse ne permet pas de publier ce livre tel qu'il a été écrit.", et, d'autre part, l'Histoire : "l'histoire est patiente et peut attendre"[158]. Patience de l'Histoire qui est aussi "le mot de la souffrance"[159], sa mise en souffrance[160]. Il n'est pas sans intérêt de remarquer, pour commenter ce qu'écrit Hugo ici durant le siège de Paris, que c'est la métaphore du siège qui lui sert, dès 1834, à représenter les rapports de la littérature à l'actualité :

 

(…) Le drame, œuvre d'avenir et de durée, ne peut que tout perdre à se faire le prédicateur immédiat des trois ou quatre vérités d'occasion que la polémique des partis met à la mode tous les cinq ans. Les partis ont besoin d'enlever une position politique. Ils prennent les deux ou trois idées qui leur sont nécessaires pour cela, et avec ces idées ils creusent le sol nuit et jour autour du pouvoir. C'est un siége en règle. (…) Une fois la forteresse enlevée, les travaux du siége sont abandonnés (…) ; rien ne paraît plus inutile, plus déraisonnable et plus absurde que les travaux d'un siége quand la ville est prise (…). (…) Si quelque œuvre d'art a eu le malheur de faire cause commune avec les vérités politiques, (…) tant pis pour l'œuvre d'art, après la victoire elle sera hors de service (…).[161]

 

Cette nécessaire disqualification de la polémique trouve une singulière confirmation dans L'Année terrible, où la littérature elle-même est assiégée par l'actualité.

"Il y a le fait permanent et les faits momentanés", note Hugo à Vianden en 1871[162] : ce recueil est entièrement soumis aux seconds. Histoire d'un crime, qui est aussi un récit fait "heure par heure" - non d'une année mais de "quatre jours" - et la "déposition d'un témoin", constitue une revanche prise sur L'Année terrible dans l'exercice du même "devoir"[163] : "suppléer" les journaux[164]. C'est la revanche du juge, et pas seulement "d'instruction": "je juge, ce que n'ont pas fait les juges"[165], sur le témoin. Elle impliquait que le texte perde son statut de témoignage, qui interdisait jusqu'alors à son auteur de juger[166]. Retour à la veine de Châtiments, c'est-à-dire à un type de textes qui ne sont pas de circonstance, bien qu'ils en aient l'air. La préparation de Châtiments ajourne la reprise des Misérables et retarde la publication des Contemplations, qui "ferait l'effet d'un désarmement"[167], mais l'actualité du Second Empire y est anéantie[168]. La préface d'Histoire d'un crime, réduite à deux phrases, un nom et une date, dit l'actualité du livre. Affirmation exceptionnelle chez Hugo, mais biaisée parce que la catégorie de l'"actuel" y est à la fois reconnue et dépassée :

 

Ce livre est plus qu'actuel ; il est urgent. Je le publie.

V. H.

Paris, 1er octobre 1877.

 

Ce qui fait l'actualité du livre, c'est encore la "coïncid<ence>" entre la tâche, entendue comme l'énoncé "des choses d'autrefois" (de 1852), et le devoir, compris comme l'inscription de cette tâche parmi les "choses d'aujourd'hui" (de 1877)[169].

 

Le "surplomb" de l'Histoire

Hugo nomme "surplomb" la présence de l'Histoire à l'actualité qui seule lui donne consistance, et le point de vue qu'il faut par conséquent adopter sur elle :

 

Quelque chose de nous est toujours penché sur nos enfants, et dans le temps futur il entre une dose du temps actuel.  (…) Aujourd'hui, sur tout ce qui est et sur tout ce qui sera, la révolution française est en surplomb. Pas un fait humain que ce surplomb ne modifie. On se sent pressé d'en haut, et il semble que l'avenir ait hâte et double le pas. L'imminence est une urgence ; l'union continentale en attendant l'union humaine telle est présentement la grande imminence ; menace souriante. Il semble, à voir de toutes parts se constituer les landwehrs, que se soit le contraire qui se prépare ; mais ce contraire s'évanouira. Pour qui observe du sommet de la vraie hauteur, il y a dans la nuée de l'horizon plus de rayons que de tonnerres. Tous les faits suprêmes de notre temps sont pacificateurs. La presse, la vapeur, le télégraphe électrique, l'unité métrique, le libre-échange, ne sont pas autre chose que des agitateurs de l'ingrédient Nations dans le grand mélange dissolvant Humanité. [170]

 

D'une part, la constitution des landwehrs, qui sont les actualités et "le contraire" de l'Histoire. D'autre part, les "agitateurs de l'ingrédient Nations", qui sont l'actualité et les "faits suprêmes", parce qu'ils actualisent une virtualité de l'Histoire : "la révolution française". L'actualité, "dose du temps actuel" qui entre dans "le temps futur" est aussi la "vague figuration de ce qui sera dans ce qui est"[171]. De là, dans Les Travailleurs de la mer, ce télescopage seul producteur d'Histoire, de deux actualités également inconsistantes, voire contraires à l'Histoire : d'un côté le "quart d'heure" de la Restauration, de l'autre la "minute" du "rétablissement" de l'Empire, partout la proscription de l'Histoire, levée seulement par ce coup de force qui consiste à rabattre l'énoncé sur l'énonciation. De là, aussi, les préventions de Hugo en matière d'inscription de ses œuvres dans l'actualité, et les modalités de son usage de l'allusion.

 


[1]. Dans le chapitre consacré à l'actualité de "L'année 1817" par exemple : le sort des "proscrits de 1815" ressemble assez à celui des exilés de 1851 (voir Les Misérables, I, III, 1, p. 95). Sauf indication contraire, nous citons l'édition des Œuvres complètes établie, sous la direction de J. Seebacher assisté de G. Rosa, par le Groupe inter-universitaire de travail sur Victor Hugo, Laffont, "Bouquins", 1985-1990.

[2]. Sur ces questions, voir notamment L. Charles-Wurtz, Cl. Millet et D. Charles, "La légende du siècle", L'Invention du XIXème siècle. I. Le XIXème siècle par lui-même, Klincsieck, 1999, ainsi que les travaux de G. Rosa sur Les Misérables et de Cl. Millet sur La Légende des siècles.

[3]. Voir Paris, IV, 5, p. 32, Notre-Dame de Paris, III, 2, p. 589-590 et Les Misérables, III, III, 3, p. 493.

[4]. Dans la préface des Misérables, n'être pas "inutiles" semble bien signifier n'être pas "inactuels", puisque l'utilité des livres s'y apprécie relativement à des circonstances. Un livre actuel est utile en ce sens où il réalise dans l'espace de la fiction une vérité encore virtuelle : ainsi de la présence de Dieu en chacun prouvée dans l'histoire du salut d'une conscience que sont Les Misérables : voir l'éd. G. Rosa et N. Savy, Le Livre de Poche, "Classique" (1998), 2000, t. II, note générale n°13, p. 1966-1967.

[5]. Elle était datée dans une première version du texte (voir l'éd. Y. Gohin, Gallimard, "Bibliothèque de la Pléiade", 1975, p. 619, n. d) et la préface, qui suit, l'est.

[6]Alpes et Pyrénées, "Pyrénées", 27 juillet 1843, p. 773.

[7]. Marion de Lorme, préface, p. 684. La même précipitation des événements est constatée en ouverture de Littérature et Philosophie mêlées ("But de cette publication", p. 48).

[8]. Voir Les Misérables, IV, I, 5, pp. 93 et 96, et notes, p.1173.

[9]. Voir l'avant-dernière phrase du chapitre.

[10]. Voir L'Année terrible, Février, V.

[11]. Voir le projet de préface, éd. Y. Gohin, p. 1361.

[12]. Voir ibid., p. 1359-1360.

[13]. Voir ibid., p. 621, n. i.

[14]. Voir III, I, 2, p. 312.

[15]. Ibid., p. 313.

[16]. Voir les titres de I, III, 2 et 4.

[17]. Voir "L'Archipel de la Manche", III, p. 5.

[18] . Ibid., p. 4 et VII, p. 10.

[19]. Ibid., VII, p. 10 et III, III, 5, p. 339. D'un bout à l'autre du roman, donc, comme si ce qui s'y passe était nul et non avenu (voir infra).

[20] . Voir I, V, 6.

[21]. "L'Archipel de la Manche", <XVIII>, p. 32.

[22]. Ibid., p. 31.

[23] . Ibid., VIII, p. 10.

[24] . Éd. Y. Gohin, "Reliquat", manuscrit cité p. 1638.

[25]. "L'Archipel de la Manche", <XVIII>, p. 32.

[26]. Le narrateur les enregistre : voir I, III, 4, p. 83-84.

[27]. Voir S. Vierne, Jules Verne, Balland, 1986, chap. III.

[28]. Lettre des 12 décembre 1863 - 5 janvier 1864, éd. Massin des Œuvres complètes, Club français du Livre, 1967-1970, t. XII, p. 1249 sqq.

[29]. II, III, 3, p. 258.

[30].  Voir le premier chapitre.

[31]. I, III, 13, p. 99.

[32]. Même Clubin en a une, puisqu'on lit sur son squelette son nom inscrit à l'encre lithographique dans le cuir de sa ceinture (voir I, VI, 2, p. 155, et II, IV, 4, p. 288).

[33]. III, II, 1, p. 319.

[34]Ibid., V, p. 7.

[35].  I, V, 1, p. 113.

[36]. Voir dans l'éd. Y. Gohin (Annexes, II, p. 1693-17001) notamment "la nouvelle du moment", rapportée par Juliette Drouet dans son journal en septembre 1852, et la "triste nouvelle" notée par Hugo dans un carnet de mai 1858. De nombreux articles de La Gazette de Guernesey (de 1859 à 1862) ont été conservés par Hugo, ainsi que du Constitutionnel ou du Phare de la Loire. Ce ne semble pas être le cas pour Les Misérables.

[37]. III, II, 1, p. 319

[38]. "L'Archipel de la Manche", <XIV>, p. 25.

[39]. Voir M. Roman, Victor Hugo et le roman philosophique. Du "drame dans les faits" au "drame dans les idées", Champion, "Romantisme et Modernités", 1999, p. 241-251.

[40]. Sur la question du rapport des Misérables aux réalités contemporaines, voir l'éd. G. Rosa et N. Savy (notamment t. I, p. 24, n. 1 et t. II, p. 1462, n. 2) et J.-Cl. Nabet et G. Rosa, "L'argent des Misérables", in "Argent et société", Romantisme, n°40, 1983.

[41]. "Le succès juste est toujours haï" est le titre de I, IV, 5, et s'applique aussi à l'entreprise de Madeleine - ainsi que, par inversion, à celui de Louis Napoléon Bonaparte, amateur d'autres "verroteries" : celles du "pouvoir" (voir Napoléon le petit, I, 6, p. 15 et Châtiments, II, 7, viii).

[42]. Voir Les Travailleurs de la mer, I, III, 4, p. 83, et Les Misérables, IV, VII, 4, p. 790.

[43]. I, III, 4, p. 83.

[44]. "L'Archipel de la Manche", VIII, p. 13.

[45]. Voir III, II, 1, p. 319.

[46]. "L'Angleterre est avec la justice tant que la justice est avec la guinée.", "Le Temps présent", IV, 1849-1851, fragments sans date (1850?), Choses vues, p. 1246.

[47]. "La circulation fiduciaire à son haut degré" fait partie du tableau de "L'avenir" que dresse Hugo au lendemain de la parution du roman (Paris, I, p. 5) - il envisage dans "L'Archipel de la Manche" que cette "révolution financière" puisse se faire d'abord "dans ce petit coin du monde" (<XIV>, p. 24).

[48] . I, III, 8, p. 91.

[49]. Voir I, III, 10, p. 94.

[50]. Voir Les Misérables, éd. G. Rosa et N. Savy, t. 2, note générale n°9.

[51]. Cours familier de littérature, "Entretien" n°83 (1862), cité par M. Roman et M.-Ch. Bellosta, Les Misérables, roman pensif, Belin, "Lettres Sup", 1995, Textes et Documents, p. 287.

[52] . Voir C. Becker, "Zola et Le Travail", Les Cahiers naturalistes, n°51, 1977.

[53] . Voir son compte-rendu dans L'Événement, cité dans Les Travailleurs de la mer, Œuvres complètes de Victor Hugo, éd. G. Simon, Imprimerie Nationale - Ollendorff, 1911, "Notes de l'éditeur".

[54]. II, II, 4, p. 236 - Hugo a supprimé presque (éd. Y. Gohin, p. 873, n.o).

[55]. I, II, 6, p. 70.

[56]. I, III, 10, p. 93.

[57]. Voir I, I, 4, p. 55-56.

[58].  III, I, 1, p. 300.

[59].  I, VI, 6, p. 171-172.

[60].  III, I, 1, p. 306.

[61].  "L'Archipel de la Manche", <XII>, p. 19.

[62]. Date de l'ultime révision de "L'Archipel de la Manche" en vue de sa publication avec une nouvelle édition du roman, cette fois complète. Voir <XVI>, p. 29, <XVIII>, p. 30 et <XII>, p. 22.

[63]. Colenso est l'auteur de trois livres, sur la polygamie des indigènes, sur l'Enfer, sur l'authenticité du Pentateuque, parus entre 1860 et 1861.

[64].  X, p. 16.

[65]. "Comédie à propos d'une tragédie", Le Dernier jour d'un condamné, p. 421.

[66]. Journal d'Adèle Hugo, 16 décembre et 17 septembre 1852, cité dans l'éd. Y. Gohin, p. 1693-1694.

[67].  <XVIII>, p. 32.

[68]. Même insinuation - appuyée cette fois à une antiphrase - dans Les Misérables à propos du suisse de la cathédrale de Digne, "vieux sous-officier de la vieille garde, légionnaire d'Austerlitz, bonapartiste comme l'aigle", congédié de son poste de portier de la maison de ville : "Il échappait dans l'occasion à ce pauvre diable des paroles peu réfléchies que la loi d'alors qualifiait propos séditieux." (I, I, 11, p. 41) Le contenu de la "loi d'alors" (1815) avait été repris par une loi contemporaine de la publication du roman. La fausseté du présupposé selon lequel la loi d'aujourd'hui n'est plus celle "d'alors" est connue du lecteur, et la sédition est dans les propos de l'auteur.

[69]. I, I, 6, p. 64.

[70]. <XII>, p. 20.

[71]. I, IV, 1, p. 102.

[72]. XI, p. 17.

[73]. <XIV>, p. 24.

[74]. <XVII>, p. 29.

[75]. Ibid...

[76]. <XVIII>, p. 31.

[77]. I, I, 6, p. 63.

[78]. III, I, 1, p. 307.

[79]. I, II, 4, p. 75.

[80]. I, III, 3, p. 81.

[81]. I, III, 12, p. 97-98.

[82]. "L'Archipel de la Manche", <XII>, p. 22.

[83]. <XIV>, p. 25.

[84]. I, VI, 6, p. 171.

[85]. I, II, IV, p. 234. : Ainsi convergent les deux anankès, "des choses" et "des dogmes", que distingue pourtant la préface du roman.

[86]. I, VI, 2, p. 153.

[87]. B. Leuilliot, "Travailleurs de la mer, travailleurs de l'abîme", Pratiques d'écriture, Mélanges offerts à Jean Gaudon, Klincksieck, 1996, p. 237.

[88]. I, VII, 3, p. 188 ; voir aussi I, VI, 6, p. 171-172, et Actes et Paroles II, 1863, I.

[89]. I, VI, 2, p. 154.

[90]. III, I, 1, p. 307.

[91]. Voir le projet de préface cité.

[92]. Voir I, V, 1, p. 113-114.

[93]. La mention du projet qu'a Clubin de gagner la Vera-Cruz, État mexicain depuis 1821 (I, VI, 6, p. 173), achève de confirmer l'analogie de la biographie de ce "titan, nain" avec celle de "Napoléon le Petit". Sur le Mexique, voir Actes et Paroles II, 1863, III et 1867, III.

[94]. Ancien camarade de Hugo, conspirateur à Saumur (1822) parti pour la Grèce (voir Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, éd. A. Ubersfeld et G. Rosa, Plon, "Les Mémorables", 1985, I, 7-8 et IV, 11).

[95]. Napoléon le petit, II, 8, p. 34. Sur ce rapprochement, voir Cl. Millet, Le Despote oriental, Maisonneuve & Larose, "Victor Hugo et l'Orient", 2001, p. 52-65.

[96]. I, VI, 3, p. 158.

[97]. Reproduit dans l'éd. Y. Gohin, p. 1485.

[98]. Voir Actes et Paroles II, 1859, 1860 et 1867, V.

[99]. I, VI, 4, p. 163.

[100]. Lettre à P. Meurice de février 1865, éd. Y. Gohin, p. 1296.

[101]. Victor Hugo raconté, éd. citée, chap. XII et n. 11 p. 764.

[102]. Voir Napoléon le petit, I, 6, p. 14.

[103]. Voir Histoire d'un crime , I, 13, p. 216 ; Châtiments , IV, 13, p. 104 ; V, 4, p. 113. Le même procédé est employé dans Les Misérables au télescopage des mêmes périodes, quand le récit du narrateur n'a aucun sens relativement à l'actualité qui en est l'objet (la Restauration), et un sens évident relativement à l'actualité qui en est le contexte (le "rétablissement" de l'Empire) : "On n'avait plus le sentiment de ce qui était grand, ni le sentiment de ce qui était ridicule. Il y eut quelqu'un qui appela Bonaparte Scapin". (III, III, 3, p. 493)

[104]. Marion de Lorme, préface, p. 683 et 684 - voir aussi Le Roi s'amuse, préface, p. 833. Ces précautions sont rappelées dans Victor Hugo raconté, éd. citée, V, 6, p. 488 et VI, 2, p. 505 : "(…) je professe le plus grand mépris pour les exploiteurs d'allusions. Jamais je n'en introduis une dans mes œuvres."

[105]. J.-Cl. Nabet, notice, p.1438.

[106]. Voir G. Rosa, notice générale, p.1419-1420.

[107]. Préface des Odes de 1826, p. 63. Voir "La mort du duc de Berry", "La naissance du duc de Bordeaux" (1820), "Le baptême du duc de Bordeaux (1821), "Le sacre de Charles X" (1825) et "À la colonne de la place Vendôme" (1827), recueillis dans les Odes, I, 7 à 9 ; III, 4 et 7.

[108]. Voir "Les trois chevaux" (1869) et "Saint-Arnaud", texte de commande qui n'a finalement pas été publié à part (Les Châtiments, VI, 16 et VII, 16) ; "Turba" (1870), "À ceux qui reparlent de fraternité", "Un cri", "Pas de représailles", "Les deux trophées" et "Dans le cirque (1871), L'Année terrible, "Prologue" ; Février, IV ; Avril, IV et V ; Mai, I ; Janvier, IX. Voir aussi "À la France de 1872", prévu pour la lecture, annulée, de Ruy Blas en 1872, et "Alsace et Lorraine", contribution à un recueil édité par la Société des Gens de Lettres en 1873, dans l'éd. P. Albouy, Œuvres poétiques, Gallimard, "Bibliothèque de la Pléiade", t. III, 1974, "Alentours de L'Année terrible".

[109]. "Rêverie d'un passant à propos d'un roi" (1830, Les Feuilles d'automne, III) ; "Dicté après juillet 1830" (ode de 1830 citée comme telle dans la préface des Feuilles d'automne, recueillie sous ce titre dans Les Chants du crépuscule, I) ; "Hymne" (ode de commande de 1831 citée et recueillie dans les mêmes conditions, ibid., III).

[110]. "Pour les pauvres" (1830), Les Feuilles d'automne, XXXII ; "Dieu est toujours là" (1837), recueilli sous ce titre dans Les Voix intérieures, V. À ces derniers textes il convient d'ajouter "Les têtes du sérail" (1826), Les Orientales, III ; "Napoléon II" (1832), Les Chants du crépuscule, V ; "Le sept août mil huit cent vingt-neuf" (1839), Les Rayons et les Ombres, II, et "Chose vue un jour de printemps" (1854 - date exceptionnelle), Les Contemplations, III, 17).

[111]. Toute la Lyre, I, 32.

[112]. Édition collective, XLVIII.

[113]. Voir William Shakespeare, Annexes, et la notice et la note 88 de B. Leuilliot.

[114]. II, 1867, VIII et III, II, 16 (première partie dans Le Rappel du 17 septembre). "Mentana", nouveau titre de La Voix de Guernesey, est le premier poème publié dans Actes et Paroles, et le seul à y conserver une place exclusive : tous les autres poèmes d'Actes et Paroles trouveront une place dans L'Année terrible (J.-M. Hovasse, "La Voix de Guernesey", Hugo et la guerre, dir. Cl. Millet, Maisonneuve & Larose, 2002, p. 211-212).

[115]. Voir "Le Télégraphe. Satire", Premières publications, et les notes de l'éd. P. Albouy des Œuvres poétiques, t. I, 1964, "Œuvres d'enfance et de jeunesse", p. 1210 et 1212.

[116]. Voir la préface de 1832, p. 408-409.

[117]. Préface, p. 412.

[118]. P. 414.

[119]. Voir p. 411.

[120]. Voir p. 413.

[121]. Voir p. 412-413.

[122]. Voir pp. 559 et 561.

[123]. P. 559.

[124]. P. 560.

[125]. Voir p. 562.

[126]. P. 562-563.

[127]. P. 801-802.

[128]. P. 919.

[129]. P. Laforgue, Victor Hugo et La Légende des Siècles, Orléans, Paradigme, "Modernités", 1997, p. 15.

[130]. Préface, p. 241.

[131]. Voir Les Chansons des rues et des bois, I, II, 1.

[132]. François-Victor Hugo, Œuvres complètes de William Shakespeare, tome I (1859), "Observations", cité par B. Leuilliot, notice, p. 737-738.

[133]. William Shakespeare, "III. Conclusion", II, p. 432 (voir B. Leuilliot, loc. cit., p. 738).

[134] . Ibid..

[135]. Lucrèce Borgia, préface, p. 971 : le "devoir" est la "lutte politique".

[136]. Titre de L'Homme qui rit, II, I : "Éternelle présence du passé ; les hommes reflètent l'homme".

[137]. Préface, p. 3-4.

[138]. Le Droit et la Loi, VIII, Actes et Paroles I, p. 81. Une image analogue est employée en ouverture de Littérature et Philosophie mêlées (voir "But de cette publication", p. 49, et infra).

[139]. Préface, p. 5 (sur l'actualité politique du texte, voir la thèse de F. Laurent, Le Territoire et l'Océan. Europe et civilisation, espace et politique dans l'œuvre de Victor Hugo des Orientales au Rhin (1829-1845), université Lille III, 1995, t. I, pp. 138-139 et 155 sqq.).

[140]. Ibid., p. 9.

[141]. "Conclusion", XV, p. 423.

[142]. Préface, p. 9.

[143]. "But de cette publication", p. 48.

[144]. Ibid., p. 47.

[145]. Ibid..

[146]. Lettre à P. Meurice du 18 avril 1871, éd. P. Albouy, Œuvres poétiques, t. III, Introduction, p. XXXII.

[147]. Carnet du 9 août 1870, ibid., p. 892.

[148]. Actes et Paroles III, I, "Conclusion", p. 819.

[149]. Voir Juillet, XI.

[150] "Paris bloqué", "Paris diffamé à Berlin", "Une bombe aux Feuillantines" ou "Paris incendié" : Septembre, IV ; Novembre, II ; Janvier, VI ; Mai, III.

[151] Le "Prologue", qui porte en sous-titre "Publié en mai 1870", est paru le 7 juin 1870 ; Janvier, IX le 16 janvier 1871 ; Avril, IV et V en avril 1871 ; Mai, I, le 8 mai 1871.

[152] Dates connues, pour l'année 1870 : Octobre, I est d'octobre ; Novembre, VII et VIII des 16 et 17 novembre. Pour l'année 1871 : Janvier, I date du même jour ; Janvier, II du 10 ; Janvier, IV, VI et VII de ce même mois (les bombes sont tombées aux Feuillantines les 5 et 7, comme en atteste un des carnets de la guerre et de la Commune, p. 1083) ; Janvier, IX, X et XII des 15, 18 et 17 ; Février, I du 14 ; Mars, II et IV des 8 et 18 ; Mars V, de ce même mois ; Avril, II et IV des 29 et 15 ; Avril, V de ce même mois ; Mai, IV et V des 30 et 29 ; tous les poèmes de Juin, sauf six (sur 18) qui sont de mai, de juillet ou d'août, sont du même mois. Hormis le prologue et l'épilogue, qui n'appartiennent pas au calendrier de l'année, seuls "Aux rêveurs de monarchie" (Février, II), "Loi de formation du progrès" (Février, V) et "Les précurseurs" (Avril, I) sont de composition (très) antérieure à "l'année terrible". En revanche, les poèmes de Juillet 1871 datent surtout de juin et d'août, voire d'avril ou de novembre.

[153]. Voir Cl. Millet, Notice, p. 1416.

[154]. Salué comme celui d'un "très grand poète" par Péguy, cité par P. Albouy, p. 893.

[155]. Avril, III, p. 99.

[156]. Ibid., p. 99-100. Les trois textes publiés par Hugo en avril et mai 1871 dans Le Rappel (Avril, IV et V et Mai, I) "ne sont actes politiques que comme justification prenant date pour l'avenir" : son intervention publique est "amortie, voire annulée, d'avance par son principe abstentionniste" ; "ils ne constituent pas une action et n'en proposent aucune" (G. Rosa, "Politique du désastre. Hugo durant "l'année terrible"", Europe  n° 671, 1985, p. 181).

[157]. "Première série", préface, p. 567.

[158]. Manuscrit cité par P. Albouy, p. 909.

[159]. Juillet, XI, i, p. 169.

[160]. Sur ces questions relatives à L'Année terrible, voir L. Charles-Wurtz, Cl. Millet et D. Charles, article cité.

[161]. Littérature et Philosophie mêlées, "But de cette publication", p. 57-58.

[162]. "Le Temps présent", VI, après 1870 (1871), Choses vues, p. 1330.

[163]. Voir les variantes : projets de préface, textes de 1852, p. 1398-1399, et de 1877-1878, p. 1399.

[164]. Ibid., p. 1398.

[165]. "Note du tome Ier (1877)", p. 155 et Variantes, notes, textes de 1852, p. 1399.

[166]. Voir G. Rosa, "Victor Hugo : Histoire vécue, histoire écrite", Groupe Hugo, 19 octobre 2002, p. 7.

[167]. Lettre à Hetzel du 7 septembre 1852, éd. P. Albouy, t. II, 1967, p. XXVIII.

[168]. Revanche en prose, et à ce titre insuffisante : la "nouvelle série" de La Légende des siècles, publiée la même année complète le dispositif.

[169]. Voir la "Note du tome Ier (1877)", p. 155.

[170]. Paris, III, 5, p. 23 (voir aussi IV, 5, p. 32).

[171]. Ibid., 6, p. 24. Ainsi se définit le travail des génies : "Poésie, philosophie, civilisation, le futur dans l'actuel, l'humanité réelle, l'humanité vraie à conclure de l'humanité réelle, tels sont leurs entraînements." (Les Génies appartenant au peuple, proses philosophiques de 1860-1865, p. 591)