Claude Millet : Bloc, événement - Une représentation de l'Histoire dans l'oeuvre de Victor Hugo

Communication au Groupe Hugo du 6 avril 2002
Ce texte peut être téléchargé, dans la mise en page de son auteur, au format Pdf.


« Il n’y a, dit le « Journal des idées, des opinions et des lectures d’un jeune jacobite de 1819 », que deux tâches dignes d’un historien dans ce monde : la chronique, le journal, ou l’histoire universelle. Tacite ou Bossuet ».[1] Le jeune Hugo identifie, à travers ces noms anciens, les deux directions opposées qu’a prises l’historiographie de l’époque romantique, et sa propre écriture de l’Histoire, encore à venir. La première, dans le roman et au théâtre, prenant pour modèle les annales et les chroniques, analyse le local, le divers et le singulier. La narration romanesque, l’intrigue dramaturgique conjurent les risques de la dispersion dans la diversité du concret. En revanche, elles n’atténuent pas les heurts et ruptures de la destinée, heurts et rupture hasardeux en apparence, nécessaires en réalité, mais au contraire visent à les exposer – car « Les choses déconcertantes que nous nommons, dans la nature, caprice et, dans la destinée, hasard, sont des tronçons de lois entrevus »[2] . Cette enfoncée dans la concrétude historique et dans ses tourbillons ne s’assortit jamais dans le roman et le drame hugoliens d’une mise en fable du progrès. Celui-ci, je cite Myriam Roman, « n’a d’existence que dans la parole qui le nomme, et, ce faisant, le fait accéder à l’être »[3] . Dans les romans et le théâtre de Hugo, le progrès ne se raconte pas, il s’affirme, par effraction d’une digression auctoriale – « Ceci tuera cela », « Histoire éternelle de l’utopie »[4] - ou du discours emporté d’un personnage comme Enjolras ou Gauvain[5] . Enveloppé dans l’histoire tragique des cœurs, le temps collectif raconté ne dessine pas la logique lisse d’une évolution, d’une progression homogène, mais au contraire expose une événementialité obscure, du moins au regard de l’Homme, et l’hétérogénéité des strates historiques qui composent une époque donnée : des permanences, des adhérences et des latences, des plus-que-parfaits rencontrant des futurs antérieurs, l’«éternelle présence du passé »[6] se mêlant aux sourdes germinations de l’avenir pour les arracher, et composant avec les forces du présent pour des lendemains qui ne chanteront pas. Tacite, la dénonciation du désastre.

 

Bossuet, l’Histoire universelle, au contraire inscrit l’Histoire dans la longue durée, d’un peuple, d’une « civilisation », de l’Humanité. Cette deuxième direction de l’historiographie romantique, et de l’écriture hugolienne de l’Histoire,  constitue le récit historique en récit synthétique et conceptualisant, qui éclaire la logique des évolutions, dégage le sens des événements en les réintégrant dans leur vaste situation, raconte le voyage du progrès depuis la nuit des temps. Le « Fragment d’histoire » de 1827 s’essaie ainsi à « dérouler sous nos yeux l’histoire entière de la civilisation », la montrant « se propageant par degrés de siècle en siècle sur le globe, et envahissant tour à tour toutes les parties du monde »[7] . L’image combine dans la même continuité horizontale progression et propagation. Les grands événements sont les seuils par où passe la civilisation pour se propager d’un continent à l’autre. Le discontinu est le vecteur même de la continuité de ce voyage tendu vers l’avenir : le déplacement futur de la civilisation en Amérique, puis l’ultime propagation de la Civilisation à tous les continents, dans une sorte de triomphe ultime du continu.  Voyage sans arrêts, aux enchaînements nécessaires, qui ne laisse nulle part à l’Inconnu :

 

Les esprits qui aiment à sonder les abîmes ne peuvent s’empêcher de se demander ce qui serait advenu du genre humain, si Carthage eût triomphé dans cette lutte. Le théâtre de vingt siècles eût été déplacé. Les marchands eussent régné, non les soldats. L’Europe eût été laissée aux brouillards et aux forêts. Il se serait établi sur la terre quelque chose d’inconnu.

Il n’en pouvait être ainsi. Les sables et le désert réclamaient l’Afrique ; il fallait qu’elle cédât la place à l’Europe.[8]

 

Ce type de visions panoramiques du progrès ne cessera d’habiter l’œuvre de Hugo,  sinon ses récits,  du moins ses discours,  ses poèmes (car « Les poëtes seuls parlent une langue suffisante pour l’avenir »[9] ), à ceci près que « quelque chose d’inconnu » y pointera toujours, au moins à l’horizon. Ces visions panoramiques saisissent l’Humanité en mouvement,  sur le mode de l’avancée – caravane[10] ,  course de relais[11] , « grande marche humaine »[12] , ou de l’élévation plus ou moins vertigineuse, du « progrès en pente douce »[13] à l’ « immense ascension vers la lumière »[14] , en passant par la montée de l’escalier qui mène, comme à la Terre promise, à Dieu :

 

L’histoire m’apparut, et je compris la loi

Des générations, cherchant Dieu, portant l’arche,

Et montant l’escalier immense marche à marche. [15]

 

Toutes ces images disent  la « persévérance » de l’Humanité, son entêtement à poursuivre le chemin commencé  :

 

N’importe. Allons au but, continuons. Les choses,

Quand l’homme tient la clé, ne sont pas longtemps closes.

[…]

Regardons les penseurs de l’âge précédent,

Ces héros, ces géants qu’une même âme anime,

Détachés par la mort de leur travail sublime,

Passer, les pieds poudreux et le front étoilé ;

Saluons la sueur du relais dételé ;

Et marchons. Nous aussi, nous avons notre étape.

Le pied de l’avenir sur notre pavé frappe ;

En route ! Poursuivons le chemin commencé ;

Augmentons l’épaisseur de l’ombre du passé ;

Laissons derrière nous, et le plus loin possible,

Toute l’antique horreur de moins en moins visible.

[…]

Marchons ! un pas qu’on fait, c’est un champ qu’on révèle [.][16]

 

Cette marche de l’Humanité que peint le poème « Persévérance » de L’Art d’être grand-père, est un arrachement dynamique à l’ombre du passé vers la lumière de l’avenir, arrachement qui tend à rendre l’ombre du passé plus ombreuse, la lumière de l’avenir plus lumineuse. Elle renvoie à une conception continuiste du progrès, pensé non comme série discontinue d’événements mais comme processus. Ce processus continu intègre bien dans le relais des générations la discontinuité de la mort. Mais cette discontinuité de la mort est sans angoisse : elle fait partie de la génération même, de la succession des générations, de la vie, du mouvement vers l’avenir.

L’Histoire que voit l’œil prophétique est tendue entre deux aveuglements, l’éblouissement de l’avenir, l’obscurcissement du passé. La diversité des temps, la particularité des circonstances s’effacent : reste, absolument,  l’ombre du passé, étale et sans événements, et la lumière de l’avenir. Seules échappent à cette indistinction la génération présente et la précédente, celles du relais. Les Hommes en marche ont ainsi la mémoire courte, toute leur énergie s’appuyant sur la génération précédente des penseurs pour se détacher de la nuit du passé, et révéler à la lumière de nouveaux champs.

 

Les choses vont plus mal lorsque le regard qui saisit le grand panorama de l’Histoire universelle se détourne de l’avenir pour plonger dans le passé ; lorsque le sens du regard s’inverse, et que la prophétie se retourne en généalogie. Dès que la vision de l’Histoire se polarise sur le passé, dès qu’elle se fait remontée des temps et non plus appréhension du mouvement de l’Humanité vers l’avenir, alors elle semble se précipiter dans un même mouvement de régression vers plus d’ombre, de nuit, et d’immobilité. Une sorte de pulsion fige la narration en discours, et le passé historique en monument, c’est-à-dire en passé toujours présent. Telle, dans « La vie aux champs », la leçon d’Histoire que donne aux enfants le poète des Contemplations :

 

Je leur raconte aussi l’histoire ; la misère

Du peuple juif, maudit qu’il faut enfin bénir ;

La Grèce, rayonnant jusque dans l’avenir ;

Rome ; l’antique Égypte et ses plaines sans ombre,

Et tout ce qu’on y voit de sinistre et de sombre.

Lieux effrayants ! tout meurt ; le bruit humain finit.

Tous les démons taillés dans des blocs de granit,

Olympe monstrueux des époques obscures,

Les Sphynx, les Anubis, les Ammons, les Mercures,

Sont assis au désert depuis quatre mille ans.

Autour d’eux le vent souffle, et les sables brûlants

Montent comme une mer d’où sort leur tête énorme ;

La pierre mutilée a gardé quelque forme

De statue ou de spectre, et rappelle d’abord

Les plis que fait un drap sur la face d’un mort ;

On y distingue encor le front, le nez, la bouche,

Les yeux, je ne sais quoi d’horrible et de farouche

Qui regarde et qui vit, masque vague et hideux.

Le voyageur de nuit, qui passe à côté d’eux,

S’épouvante, et croit voir, aux lueurs des étoiles,

Des géants enchaînés et muets sous des voiles. [17]

 

Dans ce curieux « récit », l’Histoire perd très vite sa mobilité, que figure au départ l’errance du peuple juif, comme elle perd son orientation vers l’avenir : à « La Grèce, rayonnant jusque dans l’avenir » succède un laconique « Rome », tout le reste du « récit » embrayant sur l’Égypte son mouvement de régression entropique vers l’immobilité des pierres. Rome, république devenue empire, est le pivot d’une Histoire qui bascule de la progression énergique à la régression léthargique. L’Histoire ne passe plus, mais passe seulement à ses côtés « le voyageur de nuit ». Fin du voyage de l’Humanité dans l’Histoire : un individu solitaire a pris sa place, pour côtoyer dans l’effroi les grandes figures du passé immobile, qui perdure « depuis quatre mille ans ». Se substitue alors à la « persévérance » du genre humain dans sa marche, l’obscure et silencieuse obstination du passé  « taillé[] dans des blocs de granit », qui survit à son écroulement.

Nul événement, et un devenir strictement négatif, décliné en mutilation : une permanence cauchemardesque et fascinante, l’Histoire faite pierre tombale d’une Mort qui hante le présent.

Mais le plus curieux dans ce « récit », c’est sans doute qu’il n’en est pas un : le poète, contrairement à ce qu’il dit,  ne « raconte » pas l’Histoire, il en fait surgir des espaces-temps juxtaposés entre eux, et si régression il y a, elle ne dessine, même  à rebours,  aucun voyage de l’esprit, de l’Homme ou de la civilisation dans le temps. Ni chronologie, ni « géographie de l’esprit », pour reprendre l’expression de Marc Crépon[18] , mais une enfoncée de la vision historique dans la nuit silencieuse et immobile des monuments orientaux, qui transforme, telles sont les fantasmagories de l’effroi archéologique, le passé historique en passé mythique. Cette Histoire-là ne se « raconte pas ». Il faut, pour qu’il y ait quelque chose au bout du compte comme une narration, inventer une fiction nocturne, « un voyageur de nuit », mais c’est précisément par lui que l’Histoire sans histoire bascule dans le mythe, dans le souvenir mythique des géants enchaînés, et muets.

Le regard de l’Histoire, à vouloir remonter le temps passé, se fige dans l’hallucination d’une grandeur immobile, n’entrevoit le devenir que sous les espèces de l’accumulation, de l’entassement, de l’agrégation. La généalogie est une géologie, qui révèle dans le Mal historique, dans l’Histoire identifiée au Mal, un processus d’agglutination minérale, d’extension du même par agrégation, et non une évolution, une dynamique de transformation. Ainsi « [d]es préjugés, formés, comme les madrépores, / Du sombre entassement des abus sous le temps »[19] . « Sous », non « dans » le temps. Opposé au mouvement du progrès, que révèle la perspective prophétique, l’entassement, l’agrégation minérale, le bloc figurent le devenir sans devenir, le devenir entropique, les engendrements qui sont des avortements, les enchaînements du désastre, le Mal même – « et l’informe engendré du pervers, / La matière, le bloc, la fange, la géhenne »[20]. Le bloc est une figure au carré du Mal historique, parce qu’il est matière, et parce qu’il est matière sans mouvement, résistant au souffle, à l’anima, à l’âme. Il est ce à quoi aboutissent et dont relèvent toutes les causalités funèbres, le Mal étant, pour le poète des Contemplations, la chute de « l’être impondérable » dans une matérialité de plus en plus lourde, figée, jusqu’au bas de l’échelle des êtres, dans le monde minéral - une aggravation, au sens étymologique : « Or, la première faute / Fut le premier poids. / […] Le mal était fait. Puis, tout alla s’aggravant » [21] . Et  « La matière, affreux bloc, n’est que le lourd monceau / Des effets monstrueux, sortis des sombres causes » [22] .

Or  saisir tout le passé du point mouvant qu’est le présent de la conscience, c’est pénétrer toujours plus loin dans ce monde du Mal, avancer dans le Mal, c’est-à-dire dans « la matière, le bloc, la fange, la géhenne ». Le passé est minéral. Ainsi dans « La vision d’où est sorti ce livre », « préface en vers » écrite pour la Première Série de La Légende des siècles mais finalement publiée dans la Nouvelle, en 1877 [23] .  Cette vision est l’hallucination du « mur des siècles ». Mur compact de la tradition, « vaste enchaînement de ténèbres vivantes », mur abominable d’une souffrance coalescente – « C’était de la chair vive avec du granit brut » - cauchemar d’une pétrification mouvante – « Une immobilité faite d’inquiétude ». Ce mélange cauchemardesque de la chair vive et du granit brut, de l’immobilité et du mouvement de la conscience inquiète, fait toutefois de ce « mur » un bloc mouvant, qui intègre en lui le devenir, le progrès, la progression scalaire : et en effet ce « bloc d’obscurité funèbre » monte « dans l’infini vers un brumeux matin, / Blanchissant par degrés sur l’horizon lointain ». Seulement ce devenir reste pris dans la léthargie minérale, précisément parce que le mur est « complet » et continu, sans lacune, sans rupture : sans événements pour briser ses enchaînements qui rattache les siècles « au nôtre », et pour introduire dans l’Histoire « quelque chose d’inconnu ». Ce mur, « où le destin avec l’infini s’accouplait », confère au continuum historique une dimension tragique.  Et si « tout s’y trouvait, matière, esprit, fange et rayon », et même « La liberté brisant l’immuabilité », sa vision n’en est pas moins asphyxiante – « Qui donc avait sculpté ce rêve où j’étouffais ? » -

Un formidable appel d’air se produit cependant, à l’intérieur de cette vision étouffante, par le surgissement de deux grands anges, l’esprit d’Apocalypse et l’esprit d’Orestie ; deux esprits donc pour briser «le bloc d’obscurité funèbre» ; deux grands anges surgis du mur, du bloc même, « matière, esprit », mur qui offrait déjà au regard visionnaire, avant leur apparition, « La Marseillaise, Eschyle, et l’ange après le spectre » . L’esprit d’Apocalypse et l’esprit d’Orestie, la prophétie de la rédemption finale et la généalogie tragique des origines. Et de leur choc prodigieux  résulte l’effondrement du mur des siècles, de ce « bloc d’obscurité funèbre », lézardé, « Comme un temple en ruine aux gigantesque fûts, / Laissant voir de l’abîme entre ses pans confus » : alors le destin cesse de « s’accoupl[er] à l’infini », alors  de l’abîme, de l’inconnu se laissent voir – alors naît « ce livre », « tradition tombée à la secousse / Des révolutions que Dieu déchaîne et pousse » :

 

Ce livre, c’est le reste effrayant de Babel ;

C’est la lugubre Tour des Choses, l’édifice

Du bien, du mal, des pleurs, du deuil, du sacrifice,

Fier jadis, dominant les lointains horizons,

Aujourd’hui n’ayant plus que de hideux tronçons,

Épars, couchés, perdus dans l’obscure vallée ;

C’est l’épopée humaine, âpre, immense, - écroulée.

 

            « Ce livre », l’épopée fragmentaire du progrès discontinu, ne procède donc pas de la vision du « mur des siècles », du « bloc d’obscurité funèbre », mais de la vision de son écroulement par  l’événement révolutionnaire.   Poétique de la ruine qui est en même temps une politique : « Ce livre » est l’expression de ce moment dialectique, le XIXe siècle, où le bloc de la tradition est brisé en « tronçons hideux » par l’événement révolutionnaire, et en attente de l’avenir, que prophétise un des derniers poèmes du recueil, « Le temple », de l’avenir d’une nouvelle édification, d’une refondation :

 

Joie à la terre, et paix à celui qui contemple !

Écoutez, vous ferez sur la montagne un temple,

Et vous le bâtire la nuit pour que jamais

On ne sache qui l’a placé sur ces sommets ;

Vous le ferez, ainsi l’ordonne le prophète,

Du toit aux fondements et de la base au faîte,

Avec des blocs mis l’un sur l’autre simplement,

Et ce temple, construit de roche sans ciment,

Sera presque aussi haut que toute la montagne.

[…]

Le ciel ; de l’idéal pétri dans du rocher,

On ne sait quoi de tendre au fond de cette pierre,

Une forme de nuit debout sur la frontière

De l’inconnu, muette et rigide, et pourtant

D’accord avec le monde immense et palpitant,

L’âme qui fait tout naître et sur qui tout se fonde,

Voilà ce que ce temple, en son ombre profonde,

Fera vaguement voir à ceux qui passeront.

[…]

Il n’expliquera point au cœur les passions,

A l’esprit le problème, et la tombe à la vie ;

Mais il fera germer chez tous l’ardente envie

De monter, de grandir, et de voir au-delà.

Où ? Plus loin. [….] [24]

           

Cette ultime fondation dépasse ainsi l’opposition du bloc et de la marche, et cela de manière dialectique, en les conservant. Pour produire non un tel résultat, mais un tel programme, il aura fallu au recueil non seulement ordonner, de manière plus ou moins chronologique, les « tronçons » de l’épopée « écroulée »,  mais repenser en son centre cet écroulement. Au centre du recueil donc, à la fin du premier volume de l’édition originale, « ce livre » fragmentaire, résultante de la Révolution, se condense à nouveau, reconstruit « l’édifice » dans la fixité sombre, idéale et terrifiante des « sept merveilles du monde ». Ces merveilles sont la version aliénante, tyrannique du recueil lui-même : une projection de l’Histoire dans l’éternité du mythe, qui propulse hors du temps la célébration épique, et rend à jamais vivants les grands morts, rois et reines, dieux et héros.  Le monument, « mêlant l’éternel bloc à l’idée immortelle » [25] , fige l’époque historique dont il préserve la mémoire dans « la durée obscure et lourde des ténèbres » [26] . « Je suis là pour jamais », dit le colosse de Rhodes [27] . Le passé monumentalisé est une figuration sidérante de son éternelle présence, et c’est au présent que la troisième merveille, le Mausolée, évoque les triomphants – Cadmus, Achille, Xercès, Sémiramis…- dans le temps étale de leur grandeur. Faite édifice, la mémoire  révèle son rapport ambigu au temps : rapport de préservation du passé, contre la force de l’oubli, c’est-à-dire de la mort,  mais aussi de négation du devenir. Dans la splendeur de son tombeau, Artémis est toujours vivante. Et devant elle passent les siècles, une Histoire collective en mouvement, mais dont le mouvement même signale la vanité : l’Histoire des Hommes est en mouvement parce qu’elle n’est digne de nul monument. Et ce mouvement historique emporte les « mortels effrénés », s’affole, se volatilise face à celui qui est à jamais, et « Les siècles, partant l’un après l’autre, s’en vont, / Ainsi que des oiseaux volant sous un plafond » [28] .

            Passe,  ainsi que le voyageur nocturne des Contemplations, passe le tourbillon des siècles devant les monuments, jusqu’à ce que la septième merveille, point d’aboutissement du poème, crie son nom : « - Et moi, cria Chéops, je suis l’éternité » [29] . Chéops, l’éternité, contient en elle l’Histoire universelle. Les siècles ne la côtoient pas, ils sont écrits sur elle, gravés sur ses marches, sans que nulle progression scalaire n’ordonne cette gravure. Au contraire, c’est un mouvement vibrionnaire qui agite l’Humanité en un désordre obscur :

 

L’obscure histoire était sur ses marches gravée ;

Les sphinx dans ses caveaux déposaient leur couvée ;

Les ans fuyaient, les vents soufflaient ; le monument

Méditait, immobile et triste, et, par moment,

Toute l’humanité, comme une fourmilière,

Satrape au spectre d’or, prêtre au thyrse de lierre,

Rois, peuples, légions, combats, trônes croulants,

Etait subitement visible sur ses flancs

Dans quelque déchirure immense des nuées.

Tout flottait sur sa base en ombres dénouées ;

Et Chéops répéta : - Je suis l’éternité [30] .  

           

Les six premiers monuments, qui conservent, face au passage des siècles, la mémoire de grandes figures triomphantes, parlent, chantent, sont les sujets lyriques de prosopopées adressés à « l’espace sans bornes ». Chéops, voix de l’éternité qui absorbe en elle-même les siècles, ne peut que crier ce qu’elle est, et le répéter, de part et d’autre d’un silence où se grave, et non se dit, ni se raconte l’Histoire universelle. De tous les monuments, la pyramide égyptienne est la limite, parce qu’en elle s’inverse radicalement le mouvement ascensionnel d’une Histoire eschatologique, progrès de l’Humanité vers Dieu. Elle monte « aux cieux, escalier redoutable / D’on ne sait quelle entrée étrange de la nuit », et englobe dans son éternité une Histoire universelle sans ordre, sans dessein, et sempiternelle.

            Pour briser «  son bloc fatal […] de ténèbres construit » [31] , nul héros révolutionnaire, mais un ver, le ver du sépulcre, nul événement politique, mais un événement lyrique, le chant du ver, le chant de la Mort. Seul le ver s’oppose à ceux qui disent : « Je ne sais qu’une chose impossible : mourir » [32] , pour chanter la toute-puissance de la destruction. La ruine des édifices fiers n’est plus l’œuvre  des «révolutions que Dieu déchaîne et pousse »,  mais de la Mort, de la Mort d’en bas, de la Mort sans transfiguration qui travaille au pourrissement grotesque des corps, et à l’effondrement dérisoire des merveilles du monde :

 

Édifices ! montez, et montez davantage.

Superposez l’étage et l’étage à l’étage,

Et le dôme aux cités ;

Montez ; sous votre base écrasez les campagnes ;

Plus haut que les forêts, plus haut que les montagnes,

Montez, montez, montez !

 

Soyez comme Babel, âpre, indignée, austère,

Cette tour qui voudrait échapper à la terre,

Et qui dans les cieux fuit.

[…]

 

Ne vous arrêtez pas. Montez ! montez encore !

Moi je rampe, et j’attends. Du couchant, de l’aurore,

Et du sud et du nord,

Tout vient à moi, le fait, l’être, la chose triste,

La chose heureuse ; et seul je vis, et seul j’existe,

Puisque je suis la mort.

 

La ruine est promise à tout ce qui s’élève.

Vous ne faites, palais qui croissez dans un rêve,

Frontons au dur ciment,

Que mettre un peu plus haut mon tas de nourriture,

Et que rendre plus grand, par plus d’architecture,

Le sombre écroulement. [33]

 

Au début du second volume de l’édition originale, ce chant du ver se déploie en épopée, substitution abominable de l’épopée de la Révolution par celle de la mort, et de la mort grotesque, qui ruine désormais non plus seulement les sept merveilles du monde, mais l’édifice historique dans sa totalité, à la place des révolutions. A la destruction sublime des révolutions qui redonne la possibilité d’un sens à l’Histoire en la dé-bloquant,  fait place la destruction grotesque du lombric, force centripète qui attire à elle toute l’Histoire, et son récit, mis en abyme et en abîme, La Légende de 1877. « L’épopée du ver » célèbre la défaite de toute histoire démocratique, héritière de la Révolution, et le triomphe de l’aliénation, le ver étant « fait des croyances du prêtre, / Des splendeurs du tyran » [34] . L’Histoire n’est certes plus ce mouvement figé dans le bloc de Chéops. « Pêle-mêle obscur de souffles et de râles » [35] , mais elle est la nourriture de la mort, « Tout lentement rongé par Rien » [36] .

Régression désastreuse au cœur du Mal, évidemment, Mais « L’épopée du ver », absorbant en elle toute l’Histoire universelle, et son épopée, La Légende des siècles, n’est en même temps qu’un moment de cette Histoire, moment lui-même intégré et absorbé par sa Légende. Régression désastreuse, donc, mais participant à la progression. Car le ver en dévorant l’Histoire la remet en mouvement, la sauve de son immobile agitation sur les murs de Chéops, l’éternité. Grâce à lui le bloc se fait poussière. La mort, niée par l’Histoire-monument, est le sujet actif de l’Histoire-processus. Sans la mort, pas d’Histoire. Sans destruction, pas de mouvement, mais des siècles fixés dans leur agitation sans fin sur des murs, des monuments, des blocs. Le négatif est au travail dans le progrès : le ver du sépulcre accomplit la même besogne que les anges révolutionnaires de «  La vision d’où est sorti ce livre ». Il est leur envers, qu’il faut penser comme similaire, si l’on veut, comme Hugo, intégrer 1793 et plus globalement l’œuvre de la mort dans l’Histoire du progrès.

Similaire, non semblable : l’épopée du ver est la version matérialiste de la Nouvelle Série, qui retourne l’égalité démocratique en nivellement égalitariste, et reconnaît la destruction comme seule fin du devenir, là où il faut la penser, et là où le recueil lui-même, en plaçant le poème du ver en son milieu, la pense comme médiation. Cette épopée est, par rapport à La Légende, amphibologique, d’une ressemblance à troubler la logique du devenir. C’est pourquoi elle nécessite, avant que le récit des siècles ne reprenne, l’effraction d’une intrusion d’auteur, « Le poëte au ver de terre », pour recadrer le sens de l’Histoire, et de sa Légende.

Evénement de parole contre événement de parole dans le Grand Récit. Et l’action du ver dans le devenir est non un subit avènement, comme l’est l’apparition des anges de « La vision d’où est sorti ce livre » ou, plus loin dans le recueil, le surgissement  de cette autre figure de la Révolution, la comète, mais un processus lent, dont la lenteur signale l’obstination inexorable. Le ver est la Mort, mais la Mort lente qui ronge, non l’éclair fulgurant qui transfigure [37] . Le temps de l’épopée du ver de ce point de vue est bien le contre-temps des monuments : même étalement de siècles sans événement, dans la pure répétition du même, l’indifférenciation des époques, et la célébration du « fait tyrannie ». 

A cette obstination irrévocable fait pendant la « persévérance » des hommes du progrès en marche, nous l’avons vu, mais aussi et surtout, parce que les prophéties euphoriques du progrès sont somme toute plus rares dans l’œuvre de Hugo que les généalogies du désastre, la patience, la résignation de l’Humanité. « Ce qui m’a percé le cœur, c’est cette longue résignation, cette douceur, cette patience, c’est l’effort que l’humanité fit pour aimer ce monde de haine et de malédiction sous lequel on l’accablait » [38] - cette souffrance de l’historien Michelet, Hugo la partage très intimement. Et elle s’exprime dans une même vision de l’Histoire : étirement du temps historique dans la trop longue durée de l’obstination féroce des tyrans, de la douce patience de l’Humanité, et brusque condensation dans le « jour », « l’heure » de l’événement, la Révolution. Cette vision de l’Histoire, qui n’est pas exclusive chez Hugo, nous l’avons entr’aperçu, fait de l’événement révolutionnaire l’avènement d’une colère, d’une exaspération, qui fait déborder la patience des victimes, et interrompt l’obstination au mal de la Tyrannie. C’est ce qu’explique un poème du livre « En marche » des Contemplations  :

 

Les Révolutions ne sont que la formule

De l’horreur qui pendant vingt règnes s’accumule.

Quand la souffrance a pris de lugubres ampleurs ;

Quand les maîtres longtemps ont fait, sur l’homme en pleurs,

Tourner le Bas-Empire avec le Moyen-Age,

Du midi dans le nord formidable engrenage ;

Quand l’histoire n’est plus qu’un tas noir de tombeaux,

[…]

Alors, subitement, un jour, debout, debout !

Les réclamations de l’ombre misérable,

La géante douleur, spectre incommensurable,

Sortent du gouffre ; […]

Dieu dit au peuple : Va ! […] 

Tout est dit. C’est ainsi que les vieux mondes croulent.

Oh ! l’heure vient toujours ! des flots sourds au loin roulent.

A travers les rumeurs, les cadavres, les deuils,

L’écume, et les sommets qui deviennent écueils,

Les siècles devant eux poussent, désespérés,

Les Révolutions, monstrueuses marées,

Océans faits des pleurs de tout le genre humain. [39]

 

Dans la trop longue durée, l’événement est l’avènement d’un sujet – le poète, nous, l’Homme, le peuple, Dieu -  dont l’engagement politique procède de l’exaspération, de l’impatience. Pour que cet événement ait lieu, il faut que trop soit trop : que « Cette goutte qui doit faire déborder l’urne »[40] tombe enfin.

Ce temps de l’exaspération, qui retourne la longue durée de la patience en principe de son interruption se retrouve à deux moments essentiels de la Première Série de La Légende des siècles : à la fin du premier volume de l’édition originale, dans le premier des « Trônes d’Orient », « Zim-Zizimi » [41] , et à la fin du second volume, dans « La trompette du jugement » [42] . « Zim-Zizimi », dont la première séquence du poème célèbre la grandeur d’idole inhumaine, s’ennuyant dans sa solitude de despote tout-puissant, invite une série de prodiges, sphynx, coupe de vin, lampe de Sumatra, à le divertir par leur chant. Les voix des choses s’élèvent, pour dire la vanité de la gloire des tyrans, promis au pourrissement des corps dans leurs sépulcres. Toute la temporalité dans « Zim-Zizimi » est mise sous le signe de la répétition. Zim-Zizimi répète les mêmes crimes, jouit des mêmes plaisirs sadiques. Les sphinx, la coupe, la lampe répètent le même discours sur la mort grotesque des despotes sublimes. A l’intérieur de ce discours, la mort achève le destin en lui-même répétitif des despotes : répétitif parce que les crimes se répètent dans leur vie ; répétitif parce que les mêmes crimes se répètent d’un despote à l’autre. Téglath-Phalasar est, dit le deuxième sphinx, « Pour les villes d’Assur », « ce que sera pour l’Asie Alexandre, » « ce que sera pour l’Europe Attila ». L’avenir n’est plus qu’un futur chronologique, voire une pétition de principe grammatical, n’étant que la répétition du même, lui qui devrait être l’imagination de l’Inconnu. Les histoires se ressassent, les despotes s’entassent. Ni voyage dans le temps, ni voyage dans l’espace n’ordonnent leur succession d’un discours à l’autre : Nemrod n’est plus le despote originaire qu’il était dans La Fin de Satan, mais vient après la reine Nitocris de Babylone et l’assyrien Théglath-Phalasar, suspendu comme eux ou comme l’égyptienne Cléopâtre dans un Orient archaïque indéterminé, qui tend à absorber le XVème siècle de Zim-Zizimi. Aucun ordre chronologique ou géographique ne préside non plus à la succession des despotes à l’intérieur d’un même discours, en particulier dans celui de la coupe, qui met sur le même plan, en séries énumératives, des rois de toutes les antiquités : « Antiochus, Chosroès, Artaxerce, / Sésostris, Annibal, Astyage, Sylla, / Achille, Omar, César ». L’horreur s’accumule, jusqu’à satiété : au niveau de l’intrigue, quand, ne pouvant plus supporter l’insupportable, Zim exaspéré fait entrer la Nuit en jetant la lampe ; au niveau des siècles, quand Dieu par la bouche du quatrième sphinx dit : « Assez ! » :

 

Les rois triomphent, beaux, fiers, joyeux, courroucés,

Puissants, victorieux : alors Dieu dit : « Assez ! »

 

Le temps, spectre debout sur tout ce qui s’écroule,

Tient et par moments tourne un sablier, où coule

Une poudre qu’il a prise dans les tombeaux

Et ramassée aux plis des linceuls en lambeaux,

Et la cendre des morts mesure aux vivants l’heure.

 

Est-ce à dire que le poème « Zim-Zizimi », en plaçant le mot de l’événement, « assez », dans la bouche de Dieu et non, comme le fait un autre poème de la même époque, La Pitié suprême [43] , dans celle de nous les Hommes, renonce à faire de ceux-ci le sujet du devenir historique ? Non, car il y a bien en réalité deux exaspérés, instance de rupture du bloc tyrannique dans « Zim-Zizimi » : Dieu , qui dit « Assez ! », et le tyran lui-même, exaspéré par la voix poétique qui sort des choses, des prodiges ; par la lampe de Sumatra surtout, qui est allée très loin dans l’horreur grotesque, et que Zim brise, dans un geste de rage homologue au cri de Dieu. Zim-Zizimi en a assez, assez des discours sur la vanité de la vie des tyrans, et c’est lui qui au bout du compte réinscrit dans le bloc d’obscurité funèbre de la tyrannie un mouvement qui fait de l’exaspération ruptrice la logique immanente du devenir : Zim-Zizimi jette la lampe et entre ainsi de lui-même dans la Nuit de la Mort, réconciliant la violence tyrannique avec le jugement de l’Inconnu, de Dieu disant « assez ! » 

Le discours de la lampe de Sumatra, c’est le grain de sable qui fait retourner le sablier : l’Histoire amasse les horreurs, jusqu’à satiété et alors, et alors seulement, de cette satiété même surgit l’événement qui interrompt la répétition des crimes, et juge ceux-ci. Cette logique historique, c’est celle d’une Histoire tendue non vers la Terre promise mais vers l’apocalypse, dans l’attente du « bruit prodigieux de Dieu disant : enfin », quand sonnera la « trompette du jugement », Jour de Jugement que la préface du recueil identifie à la Révolution[44].

 

Oh ! comment concevoir, comment se figurer

Cette vibration communiquée aux tombes,

Cette sommation aux blêmes catacombes,

Du ciel ouvrant sa porte et du gouffre ayant faim,

Le prodigieux bruit de Dieu disant : Enfin !

Oui,  c’est vrai, c’est du moins jusque là que l’œil plonge, -

C’est l’avenir, - du moins tel qu’on le voit en songe, -

Quand le monde atteindra son but, quand les instants,

Les jours, les mois, les ans, auront rempli le temps,

Quand tombera du ciel l’heure immense et nocturne,

Cette goutte qui doit faire déborder l’urne,

Alors, dans le silence horrible, un rayon blanc,

Long, pâle, glissera, formidable et tremblant[.] [45]

 

 Le temps, dans cette logique apocalyptique, n’est ni succession, ni progression, mais accumulation, accumulation de séquences temporelles indifférenciées et décomposées, « Les instants, Les jours, les mois, les ans », sans emboîtement des instants dans les jours, des jours dans les mois, des mois dans les ans, et surtout sans ces périodes historiques que cernent les grands événements. La temporalité calendaire ici ne permet plus de distinguer les moments historiques.  Ces séquences ne constituent pas le temps, mais l’emplissent, jusqu’à ce qu’il déborde, dans « l’heure immense », « hors des temps ».  Étrange téléologie historique, qui se calque sur l’expression familière de la goutte d’eau qui fait déborder le vase, ou de la coupe pleine. L’urne vient à la place du vase et de la coupe, non pour « faire poétique » - nulle part la « familiarité terrible » dont parle Baudelaire à propos de la poésie hugolienne ne se manifeste mieux qu’ici – mais dire que ce temps réceptacle est un temps funèbre, un temps de deuil, la mort même, goutte à goutte, cendre à cendre.

      Mais l’Histoire ne fait plus bloc. Elle est, comme dans le poème de la section « En marche » des Contemplations que je citais précédemment, masse liquide, dont l’atome est l’heure - goutte, elle est une mer, en attente de son débordement, d’un nouveau déluge [46] qui serait son propre engloutissement. Fin de l’Histoire immanente à elle-même, et la transcendant hors des temps. L’événement advient de la situation même, lui est immanent, et la transcende  ; et l’événement, dans la distorsion de toute mesure temporelle, est « l’heure immense » qui connecte la temporalité humaine à l’infini, l’éternité, - dans la mort.

« Enfin ! » dit Dieu. Dieu est le grand exaspéré, celui qui attend son jour « hors des temps » pour que la Justice advienne. Mais il est aussi celui qui dit « assez »,  interrompt la chaîne des désastres, et rompt le bloc du « fait-tyrannie », pour que le jour du jugement, l’avènement de la Justice triomphe dans l’Histoire, pour que la Révolution arrive. Dieu dit au peuple : « va ! », délivre-toi de l’immobilité funèbre d’une Histoire monumentale, minérale. Dieu est le grand impatient, dont la colère et l’amour font un révolutionnaire, pour briser l’immuabilité des tyrans, et arracher l’Humanité à sa lenteur, à sa patience, sa trop grande endurance à la douleur. « Va ! », dit Dieu. Cet appel, venu des profondeurs, est repris par les génies :

 

Les esprits ont l’initiative. En avant ! tel est le cri, - le reproche – qui vient des profondeur. […] les opacités résistent, les immobilités résistent, les ténacités résistent, le mal résiste, […] les marcheurs à reculons résistent, le passé résiste, l’avenir, lui-même, dans une certaine mesure, résiste. Éclore est une fracture, naître est un effort. Toute cette résistance agrégée fait bloc. Cela doit céder, et aller, et avancer […]. Les génies, la sueur front, donnent le branle. Pour une telle mise en mouvement, il faut cette poussée énorme.

[….] Ce prodigieux bloc, l’homme, remue et marche. Mais quelle sombre lenteur ![47]

 

« Qu’attendez-vous, dit le poète exaspéré. Qui vous arrête ? Ah ! il y a des heures où il semble qu’on voudrait entendre les pierres murmurer contre la lenteur de l’homme ! »[48]


[1] Littérature et philosophies mêlées, « Journal… », « Histoire, p. 64 ; vol. « Critique » de l’édition des OEC « Bouquins », dir. J. Seebacher et G. Rosa, 1985.

[2] L’Homme qui rit, I, II, 8, p. 165 ; éd. M. Roman, Le Livre de poche classique, 2002.

[3] M.Roman, « Le Progrès selon Hugo », p. 87 ; Romantisme, n°108, L’Idée de progrès, 2000.

[4] Notre-Dame de Paris, V, 2 et  Les Travailleurs de la mer, I, III, 2.

[5] Les Misérables, V, I, 5 et Quatrevingt-treize, III, VII, 5.

[6] L’Homme qui rit, II, I, « Éternelle présence du passé : les hommes reflètent l’homme. »

[7] Littérature et philosophie mêlées., « 1827 – Fragment d’histoire », p. 167 ; éd. A.R.W. James, “Bouquins” (éd.cit.), vol. « Critique ».

[8] Ibid., p. 171.

[9] Océan – Faits et croyances – ms 13 416 « Poésie – art – théâtre », fin de l’exil ?, p. 188 ; « Bouquins » (éd.cit.), vol. « Océan ». .

[10] Châtiments, VII, 8, « La caravane ».

[11] Préface de la Première Série de La Légende des siècles, p. 47 ; éd. Cl. Millet, Le Livre de poche classique, 2000.

[12] L’Art d’être grand-père, XVIII, 3, « Progrès », p. 855 ; éd. Cl. Millet, « Bouquins » (éd.cit.), vol. « Poésie III ». 

[13] Les Misérables, IV, I, 5, p. 1135 ; éd. G. Rosa et N. Savy, Le Livre de poche classique, réédition 1998, vol. 2.   

[14] Préface de la Première Série de La Légende des siècles, éd. cit., p. 44.

[15] Les Contemplations, V, 3, « Ecrit en 1856 », 6, p. 234 ; éd. P. Laforgue, GF, 1995.

[16] L’Art d’être grand-père, XVIII, 2, « Persévérance », éd.cit., pp. 853-854.

[17] Les Contemplations, I, 6, « La vie aux champs », éd.cit., p. 38.

[18] Marc Crépon, Géographies de l’esprit, Bibliothèque philosophique Payot, 1996.

[19] Les Contemplations, I, 7, « Réponse à un acte d’accusation », éd.cit., p. 44.

[20] Ibid., VI, 26, “Ce que dit la bouche d’ombre”, éd.cit., p. 376.

[21] Ibid., p. 363.

[22] Ibid., p. 378.

[23] Nouvelle Série de La Légende des siècles, pp. 189-194 ; éd. J. Delabroy, « Bouquins » (éd.cit.), « Poésie III ».

[24] Ibid., XXVI, « Le temple », pp. 545-547.

[25] Ibid., X, 1, p. 345.

[26] Ibid., 6, p. 356.

[27] Ibid, 6, p. 356.

[28] Ibid., 4, p. 350.

[29] Ibid., 7, p. 357.

[30] Ibid., 7, p. 358.

[31] Ibid.

[32] Ibid., 4, p. 350.

[33] Ibid., [le chant du ver du sépulcre], pp. 359-360.

[34] Ibid., XI, p. 375.

[35] Ibid., p. 377.

[36] Ibid.,  p. 376.

[37] Proses philosophiques de 1860-1865, « Le tyran », p. 614 ; éd. Y. Gohin, « Bouquins » (éd.cit.), vol. « Critique ».

[38] Histoire de la Révolution française, Introduction, p. 59 ; édition Cl. Mettra, Laffont, « Bouquins », 1979.

[39] Les Contemplations, V, 4, « Ecoutez-moi. J’ai vécu ; j’ai songé… », éd.cit. , pp. 230-231.

[40] Première Série de La Légende des siècles, XV, éd.cit., p. 517.

[41] Ibid., VI, 1, pp. 267-284.

[42] Ibid., XV, pp. 513-521. 

[43] La Pitié Suprême, XIV, p. 954 ; éd. cit., J.-Cl. Fizaine, « Bouquins » (éd.cit.), vol. « Poésie III ». Nous avons analysé dans ce poème cet « Assez ! » de la communauté des démocrates qui rompt l’entassement des haines dans le bloc du « fait-tyrannie » dans Le Despote oriental, pp. 87-90 ; série « Victor Hugo et l’Orient », dir. F. Laurent, Maisonneuve & Larose, 2002.

[44] Éd.cit., pp. 44-45 : « Les poëmes qui composent ces deux volumes ne sont donc autre chose que des empreintes successives du profil humain, de date en date, depuis Ève, mère des hommes, jusqu’à la Révolution, mère des peuples [.] ». L’absence de toute « petite épopée » de la Révolution et la composition du volume renvoient ainsi le lecteur, de manière biaisée, à identifier Révolution et « Trompette du jugement ». Même identification dans l’Introduction de Michelet à son Histoire de la Révolution française, I , 4, p. 60 (éd. cit.). 

[45] Première Série de La Légende des siècles, XV, éd.cit.,  pp. 516-517.

[46] Voir en particulier l’Épilogue de L’Année terrible, p. 177 ; éd. Cl. Millet, « Bouquins » (éd.cit.), vol. « Poésie III.

[47] Proses philosophiques de 1860-1865, « Les génies appartenant au peuple », éd.cit.,  p. 595.

[48] William Shakespeare, III, II, « Le dix-neuvième siècle », p. 435 ; éd. B. Leuilliot,  « Bouquins » (éd.cit.), vol. .« Critique ».