Séance du 10 février 2018

Présents: Claude Millet, Olivier Berenval, Guillaume Peynet, Agathe Giraud, Hélène Soulard, Pierre Burger, Franck Laurent, Jean-Marc Hovasse, Guy Rosa, Arnaud Laster, Christine Moulin, Lothaire Berthier, Jordi Brahamcha-Marin.


Informations

Spectacle

Arnaud Laster évoque la pièce Hugo, l’interview, en ce moment à l’Essaïon : c’est une bonne surprise. Il s’agit d’un spectacle créé par une jeune troupe de théâtre, mis en scène par Charlotte Herbeau, dans lequel Hugo (Yves-Pol Denielou) répond aux questions d’actualité d’une journaliste (Charlotte Herbeau, en voix off). La bande annonce inquiétait, car elle laissait entendre qu’on avait mis dans la bouche de Hugo des propos tenus par ses personnages ou ses interlocuteurs. Mais au vu du spectacle, l’objection tombe. Hugo répond à des questions sur l’environnement, le terrorisme… Bien sûr, les auteurs se sont arrangés pour que les questions correspondent aux réponses que l’acteur avait envie de donner. Lundi prochain, la représentation sera suivie d’une petite discussion dans la brasserie voisine Le Chat zen.

 

Journée d’études

Franck Laurent signale que les actes de la journée d’études sur Notre-Dame de Paris, organisée au Mans en novembre dernier, sont en ligne : http://3lam.univ-lemans.fr/fr/publications/notre-dame-de-paris.html

 

Adaptations des Misérables

Franck Laurent signale que France Culture rediffuse le feuilleton Les Misérables, de 2012, avec notamment Michael Lonsdale en Mgr Myriel. Il lui semble que le choix de conserver ou d’enlever tel ou tel épisode dans les adaptations des Misérables a été figé très tôt.

Arnaud Laster note une différence entre les adaptations américaines et les adaptations européennes : dans les premières, l’épisode du Petit Gervais disparaît généralement. Les versions américaines considèrent que l’épisode avec Myriel est suffisant pour métamorphoser Jean Valjean. En revanche, les versions européennes conservent le moment de la prise de conscience par Valjean de ce qu’est un acte positif ou immoral.

Mais l’épisode du Petit-Gervais est gardé dans la version avec Charles Laughton (1935), précise Jean-Marc Hovasse. Et il figure aussi dans la comédie musicale, bien que traité très rapidement.

Arnaud Laster trouve que cette comédie musicale a un côté un peu sulpicien à la fin. Jean Valjean se retire quasiment au couvent.

Mais la comédie musicale a une version propre à chaque pays, indique Guy Rosa.

Arnaud Laster précise qu’elle passe à Montréal cette semaine. Et en effet, elle adopte des partis légèrement différents des versions précédentes. Tout cela, en tout cas, contribue à la vie posthume du roman.

 

Cela y contribue sans doute mieux, estime Jean-Marc Hovasse, que l’adaptation du roman par L’École des loisirs. Leur argument de vente est de dire qu’il s’agit du texte, abrégé, de Hugo. En fait, toutes les phrases sont coupées.

Franck Laurent rappelle que l’édition de la Bibliothèque verte prenait également le parti de ne rien réécrire, et se contentait de couper – mais pas au milieu des phrases !

Guy Rosa rappelle que la Bibliothèque verte, en coupant tout ce qui a paru inintéressant aux éditeurs, retombe souvent, comme par miracle, sur l’état du texte en 1847-1848.

Claude Millet signale aussi la version scolaire chez Bordas, faite par Florence Naugrette, coupée et non réécrite.


Communication de Guillaume PeynetMétaphore et citation dans l'œuvre de Hugo (1852-1864) (voir texte joint)


Discussion

Claude Millet remercie l’orateur pour sa belle communication. Elle suggère que l’exposé aurait pu aller au-delà de 1864, car les phénomènes signalés par Guillaume Peynet deviendront bientôt des traits de l’idiolecte d’Ursus, avec tout ce que cela implique d’auto-parodie de la part de Hugo.

On pourrait aussi partir d’une analyse des effets produits. Hugo, souvent, ne fait que faire ce que font les bourgeois du XIXe siècle à table : il cite du latin pour créer des effets de dissonance burlesque. Mens agitat molem, ça fait un peu confrérie des anciens du lycée. Mais en même temps, il y a des effets poétiques, ça fait trembler le sens…

 

« Intention communicative »

Claude Millet demande à Guillaume Peynet des précisions sur son usage de la notion d’« intention communicative ».

Guillaume Peynet répond que ce choix est lié aux exemples de sa première partie. Ainsi, dans le quatrième exemple, et au contraire de ce qui se passe dans d’autres cas, la citation de Regnard garde son sens ; ce qui est en jeu, c’est simplement un phénomène de pertinence. On a une redescription métaphorique, mais la citation ne change pas de sens. D’autre part, en général, les théoriciens de la métaphore n’aiment pas l’idée que le sens nouveau vient remplacer le sens littéral.

Claude Millet remarque tout de même que la suite de l’exposé remobilisait la polarité sens métaphorique / sens littéral.

En effet, répond Guillaume Peynet, cette opposition est parfois pertinente. Par exemple elle fonctionne pour le « Ibant obscuri ». Mais le cas de la citation de Regnard est différent.

 

Le poète « olympien »

Claude Millet n’est pas convaincue par la lecture de l’olympien de l’exemple 31 comme citation.

Pour Franck Laurent, cela dépend du sens que l’on donne au verbe s’appelait (« cela s’appelait être olympien »). Mais là, il lui semble que Guillaume Peynet force un peu. Hugo fait allusion à un état de langue, pas à un énoncé particulier. Ce n’est pas sûr que ce soit une citation.

Guillaume Peynet admet qu’on s’éloigne là du cœur de la citation strictement définie. Mais les procédés sont les mêmes qu’ailleurs.

On est tout de même à la limite de l’objet, estime Franck Laurent.

Il s’agit sans doute d’une allusion à Goethe, précise Pierre Burger.

 

Hugo montaignien

Claude Millet demande des précisions sur ce que dit Pierre Albouy à propos de « Hugo montaignien ».

Guillaume Peynet explique que le passage se trouve dans la présentation de William Shakespeare, au tome 12 de l’édition Massin. Albouy parle de l’érudition hugolienne et des citations étranges. Il signale que Montaigne avait fait cela avant Hugo. Le rapprochement est suggestif.

 

La prononciation du latin

Guy Rosa n’est pas d’accord avec les choix de l’orateur quant à la prononciation du latin. Il faut choisir entre le latin d’Église et la prononciation restituée ! D’ailleurs, laquelle Hugo pratiquait-il ?

Le latin d’Église, répond Franck Laurent, c’est-à-dire le latin italianisé. La prononciation restituée ne date que du XXe siècle, et même de l’après-guerre.

 

« Patuit dea »

Guy Rosa n’est pas convaincu par la manière dont Guillaume Peynet interprète le « Patuit dea ». En quoi y aurait-il chez Hugo une poésie que le texte de Virgile ne comporterait pas ? En quoi le texte virgilien serait-il « pédestre » ?

Chez Virgile, répond Guillaume Peynet, tout est littéral. Hugo, en métaphorisant, rend l’expression plus flamboyante.

Mais Guy Rosa relève que le processus décrit par Hugo (« il perd pied ; il s’envole ») a un rapport de sens avec le incessu de Virgile.

Franck Laurent répond que chez Virgile, on a du « pédestre » au sens propre. Le poète latin renvoie à la démarche de la déesse, alors que Hugo nous projette dans le ciel étoilé.

La métaphore, poursuit Guillaume Peynet, est très élaborée chez Hugo, alors que le passage de Virgile est littéral.

Mais Guy Rosa pense que c’est l’interprétation de l’orateur qui est littérale. Dans le « vera incessu patuit Dea » de Virgile, il y a une représentation plastique qui est belle.

 

« Ecce »

Arnaud Laster attire l’attention de Guillaume Peynet sur un dessin de Hugo représentant Tapner, puis réutilisé pour John Brown, et intitulé « Ecce ». Hugo a écrit : « Je ne crois pas au Christ, mais aux Christs » ; il est intéressant de voir John Brown en avatar du Christ.

 

La canaille

Franck Laurent revient sur l’exemple 30 : « Sacrifie à “la canaille”, ô poète ! » Ce retournement de l’injure en éloge, c’est la logique même de la fameuse chanson « La canaille », qui date de 1865, et qui dit : « C’est la canaille, eh bien j’en suis ! ». Mais plus généralement, cette génération pratique fréquemment le retournement positif de l’injure. Michelet fait cela, dans Le Peuple, avec les barbares. C’est un fait rhétorique qui semble récurrent.

 

Les citations latines et le « bien commun culturel »

Franck Laurent pense que la notion de « bien commun culturel » doit être cernée par une approche sociologique. Hugo ne peut pas être indifférent à cette question : le public qu’il veut atteindre ne comporte pas que des jeunes gens qui ont fait leurs humanités au collège. Même ergo sum et ecce homo, ce n’est pas évident que tout le monde comprenne. S’agit-il d’une tentative de dissémination vers un public plus large de compétences bourgeoises masculines ? Car cet usage social du latin est classant, et genré. Il faut se demander jusqu’à quel point Hugo prend cela en charge. La coprésence de citations comme « ergo sum » et « Défense de déposer des sénats le long des constitutions » témoigne peut-être d’une conscience que ce « bien commun » n’est pas si commun que cela, et qu’il faut l’élargir en ajoutant des références à des énoncés citationnels qui relèvent d’un tout autre univers. Un énoncé légal affiché sur les murs est bien plus objectivement « commun » que la citation latine la plus banale.

En tout cas, le statut de la citation latine chez Hugo fait problème. Car il sait pertinemment que c’est classant. Ou bien est-ce simplement une sorte d’habitude qu’il n’a pas envie de remettre en cause ?

Guy Rosa demande à partir de quelle année on cesse d’apprendre à lire sur des textes latins.

À l’époque de Hugo, répond Franck Laurent, les manuels de lecture sont déjà en français. Et c’est déjà le cas dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

 

Symbolisation et désymbolisation

Claude Millet relève qu’un très grand nombre des citations proposées par l’orateur intègrent une dimension mythico-religieuse. Or cette dimension-là, au XIXe siècle, est souvent abordée comme une production du langage, via un processus de symbolisation et de désymbolisation. Les mythes sont censés résulter de la logique d’une imagination dans le langage. Cette question de la symbolisation/désymbolisation pourrait être abordée pour le lion de l’exemple 6. Dans Pyrame et Thisbé, on a affaire à un vrai lion…

De même, « Ceci est ma chair, ceci est mon sang », pose de manière très affichée la question de l’incarnation, la question de la manière dont l’idéalité est articulée à la matérialité. Ce sont des pistes de travail possibles.

 

Les citations latentes

Guy Rosa observe que Guillaume Peynet ne s’est pas intéressé aux citations latentes. Or il y en a beaucoup ! Il s’agit de cas où le texte appelle dans l’esprit du lecteur une citation qui n’y est pas. Par exemple, un passage de William Shakespeare évoque les gens qui croient que la métaphore et la métonymie sont des termes de chimie. C’est une citation latente de Boileau. Mais le lecteur la connaît-il ? Pas nécessairement… Ce genre de procédés est très fréquent.


Communication de Olivier Berenval: La présence de Hugo dans mon dernier roman, Nemrod


Discussion

Hugo épique

Claude Millet est frappée par le corpus hugolien choisi. Il est bien connu que la science-fiction et l’heroic fantasy sont le refuge de l’épopée. Et Olivier Berenval va chercher les citations de Hugo du côté du genre épique. Il arrive même à intégrer cette dimension essentielle à l’épique hugolien qu’est la dimension chevaleresque, médiévale, féodale : chaque planète se choisit son propre régime, donc il y a une planète féodale… Et Welf vient incarner le moyen âge épique.

En effet, confirme Olivier Berenval : le poème est d’ailleurs respecté, puisque le stratagème utilisé pour capturer Welf est repris dans le roman. C’est un épisode qu’il a trouvé sympathique – souvent, il feuilletait La Légende des siècles en écrivant son roman, et se laissait inspirer par certains chapitres ou épisodes – comme celui-là – mais pas du tout par d’autres.

 

L’Épopée des cycles comme grand texte fondateur

La présence de Hugo, reprend Claude Millet, est donc à double étage. D’une part, il sert d’intertexte épique. D’autre part, à l’intérieur de la fiction, Hugo est constitué comme poète ancestral, comme voix fondatrice d’un univers qui s’est choisi le caodaïsme comme religion. Un jeune homme, dans le livre, identifie un passage de La Légende des siècles en disant, en substance : c’est avec cela que notre maître d’école nous barbait. Hugo a donc un statut de poète officiel. Et L’Épopée des cycles a clairement un statut d’épopée fondatrice. Mais elle n’est pourtant jamais assimilée par les personnages comme donnant un langage à la communauté, comme donnant sens à son destin. Il y a bien des personnages qui raccordent cet univers à l’univers caodaïste, mais les systèmes idéologiques sont décrochés de ce poème.

Olivier Berenval explique que c’est comme dans la réalité : la référence aux textes fondateurs est variable en fonction du conformisme ou de l’intégration des personnages dans leur propre société. La sœur aînée du jeune garçon en question est ainsi intégrée dans le Mouvement des jeunes volontaires : dans ce mouvement, qui représente une autorité officielle, elle se met à chanter spontanément la « Chanson des doreurs de proue ». Mais effectivement, les personnages réfractaires à cette religion mâtinée de culture officielle (car La Légende des siècles a un double statut de texte fondateur culturel et religieux) s’en détachent car ils la trouvent asphyxiante. L’héritage de Hugo dans cette société n’est pas perçu de manière monolithique.

En effet, reprend Claude Millet. L’exemple contrasté du frère et de la sœur marque bien cette pluralité des rapports aux grands textes fondateurs. Mais tout de même, la réception de ce grand texte fondateur semble très discrète, au point qu’il y a une sorte de décrochage entre, d’une part, la description de la culture communautaire, et d’autre part l’expérience des personnages. C’est énigmatique.

Olivier Berenval rappelle que l’on est dans des mondes multiples, avec des humanités différentes. Les personnages ont même des corps qui varient pour être adaptés à leurs mondes. Dans les organisations militaires, le texte fondateur sera totalement absent ; dans les organisations religieuses, il sera très présent. Ainsi, les personnages qui se destinent à la prêtrise connaissent très bien ce texte.

Claude Millet explique qu’au début de sa lecture, elle a craint que le roman ne bascule soit dans une vision de Hugo comme grand gourou de l’avenir, soit dans une dystopie où Hugo serait une sorte de Big Brother. Mais le roman évite cette alternative catastrophique en pluralisant les rapports à Hugo. Reste que l’effet est très étrange.

Mais ce constat, intervient Guy Rosa, est vrai pour tous les grands textes fondateurs. L’Évangile aussi, tout le monde s’en fiche.

 

Effets ludiques et « œufs de Pâques » hugoliens

Olivier Berenval souligne le côté jubilatoire de la référence hugolienne. Il y a du ludisme dans le fait d’avoir soit une métaphorisation excessive des citations de Hugo, soit une littéralité totale.

Claude Millet souligne le court-circuit remarquable à propos de l’histoire de Welf, qui est chez Hugo très sérieuse, mais dont Olivier Berenval propose une réécriture ludique. Chez Hugo, c’est une tragédie de la pitié. Dans le roman, tous les éléments y sont, mais le point de vue empathique du lecteur reste celui de Galia, donc d’une assiégeante. On désire que Welf soit neutralisé. Il y a donc des réécritures qui sont de l’ordre du sertissage ludique ; l’un des plaisirs de la lecture, c’est de voir comment Olivier Berenval s’amuse à retordre les fictions hugoliennes.

Il y a d’ailleurs, ajoute Olivier Berenval, un côté chasse aux œufs de Pâques. Les lecteurs qui connaissent très bien Hugo voient les références. Il a fallu faire un tri, d’ailleurs : s’il y avait eu trop de références, cela n’aurait pas fonctionné.

Claude Millet trouve que la pratique de l’allusion hugolienne donne souvent des effets très curieux – on a parfois l’impression de ne pas être loin du délire interprétatif. La référence à la loi du talion peut faire penser à L’Année terrible, surtout qu’elle s’inscrit dans un cadre qui dans lequel se pose le rapport entre guerre extérieure et guerre civile. Mais on n’est pas toujours sûr de l’identification.

Il arrive, explique Olivier Berenval, qu’il y ait des références involontaires à Hugo, et que celles-ci soient découvertes après coup. En l’occurrence, le roman fait assez peu d’allusions à la géopolitique de l’époque. Il s’inspire plutôt d’un contexte strictement français, dans ses dimensions politiques, littéraires et religieuses.

Christine Moulin s’interroge sur la fonction des « œufs de Pâques » hugoliens. En ont-ils une autre que celle, simplement, de pointer vers Hugo ? Le cortex s’appelle Booz, une planète s’appelle Melancholia… Faut-il décrypter ces allusions ?

Le plus souvent, non, répond Olivier Berenval. L’ouvrage est destiné au grand public, et beaucoup de lecteurs vont rater des références. Si le propos avait été trop détaillé, avec trop de niveaux d’interprétation, on aurait perdu le lecteur. Ce roman doit rester un ouvrage de divertissement.

 

La « Chanson de Maglia »

Arnaud Laster demande si la « Chanson de Maglia » dont il est question est bien celle qui dit : « Vous êtes bien belle et je suis bien laid » ?

Oui, tout à fait, répond Olivier Berenval. C’est un vieillard qui commence à la chantonner à une jeune femme à l’occasion de festivités.

« Booz endormi »

Claude Millet souligne que, dans le roman, Booz devient un protagoniste à part entière, intégré dans le cerveau du personnage, et qui a un rapport conflictuel avec lui.

Olivier Berenval indique qu’il s’agit là d’une référence cachée à « Homo duplex », avec cette idée d’un singe perché qui vient parasiter la pensée de l’autre.

 

Une nouvelle Terreur

Lothaire Berthier signale l’aspect contre-utopique, plutôt que dystopique, de l’univers romanesque. La réinterprétation qui y est faite de Hugo crée une nouvelle Terreur et donne lieu à une nouvelle dérive robespierriste, alors même qu’il y a un adversaire à la porte, qui pourrait être vu comme l’Angleterre ou l’Allemagne.

Olivier Berenval confirme cette lecture : il y a d’ailleurs un comité de salut public qui intervient à la fin du roman.

 

Différents modes de présence hugolienne

Franck Laurent demande des précisions : La Légende des siècles a été transmise dans la diégèse, mais les autres références à Hugo (à La Fin de Satan, à L’Homme qui rit…) jouent donc à un autre niveau ? Relèvent-elles simplement d’une intervention d’auteur ? Il y a donc deux niveaux de présence de Hugo : on a la diégétisation d’un texte (La Légende) et une simple réécriture par transposition des autres ?

C’est cela, confirme Olivier Berenval. La Légende est le seul texte révélé. L’Homme qui rit fait simplement l’objet d’un travail de réécriture. En revanche, il y a aussi des textes cachés, non révélés au grand public, mais accessibles à une élite informée : c’est le cas de La Fin de Satan. C’est d’ailleurs cela qui permet à l’une des protagonistes de comprendre, finalement, la clé du mystère.

Franck Laurent trouve que cela rappelle Le Nom de la rose.

Lothaire Berthier croit se souvenir que La Fin de Satan est intégrée, dans le roman, à L’Épopée des cycles. Mais Olivier Berenval explique que non, qu’il s’agit seulement d’une sorte d’apocryphe. La Fin de Satan fait partie de ces textes qui ont été préservés de la destruction et qui sont devenus un enjeu de pouvoir.

 

Utilisation de textes non hugoliens

Olivier Berenval indique qu’il s’est aussi beaucoup inspiré de textes et de chansons parfois bien antérieurs à Hugo, ou bien de chansons de boulevard de l’époque de Hugo. Les références sont parfois un peu décalées par rapport à l’époque de Hugo.

Claude Millet trouve que ces effets de distorsion temporels sont intéressants, d’autant plus qu’ils ne relèvent pas du gadget ou de la couleur locale, mais qu’ils passent par du discours, du langage, de la culture.

Lothaire Berthier relève en particulier la référence aux voyages de Gulliver, devenus chez Giana une comptine pour enfants.

Olivier Berenval explique cette utilisation de Swift : dans l’univers du roman, la dispersion de l’humanité pourrait engendrer une forme de racisme. Il est donc nécessaire d’avoir un texte commun pour dire que, malgré les différences, tout le monde appartient à la communauté humaine. C’est à cela que sert le texte de Swift sur les chevaux intelligents et les hommes sauvages, texte qui enseigne à ne pas se fier aux apparences.

 

Franck Laurent demande quels sont les autres auteurs qui ont survécu à la destruction.

Seulement Hugo, répond Olivier Berenval – ou alors, pour les autres, uniquement par quelques citations.

C’est le cas de Schopenhauer, par exemple, ajoute Claude Millet.

Ou d’Hugues Aufray, poursuit Olivier Berenval. Il y a aussi une berceuse cosaque qui conseille aux parents de se méfier du méchant Tchétchène. Cette chanson a été réécrite pour marquer l’antagonisme entre deux espèces humaines.

 

Thiacé, héros hugolien

Christine Moulin demande à Olivier Berenval s’il a voulu faire de Thiacé un héros hugolien.

Olivier Berenval confirme qu’il s’agit d’une sorte de Jean Valjean jeune, ou plus exactement d’un croisement entre Valjean, Papillon et Luke Skywalker. Le personnage accomplit tout un parcours initiatique. Il est le seul à posséder des dons particuliers qui vont l’aider à accomplir cette quête collective. C’est d’ailleurs lui qui prononce, à la fin du roman, la dernière citation de Hugo, tirée du poème « Amour ». La quête a été accomplie, les quatre héros sont devenus des parias, et se fondent dans la masse sur une planète assez reculée. Le roman se clôt sur une vision un peu bucolique, après beaucoup de sang et de fureur.

Claude Millet signale que l’épopée se transformant en idylle constitue un motif récurrent chez Hugo. Les deux genres sont d’ailleurs historiquement liés.

 

Réactions du public

Claude Millet demande à Olivier Berenval comment le public réagit, dans les conférences qu’il a données, à cette présence de Hugo dans le roman.

Olivier Berenval répond qu’elle ne laisse personne indifférent. Certains trouvent que c’est génial d’avoir réussi à insérer Hugo dans un contexte de space opera, d’autres estiment que toutes ces références nuisent au plaisir de lecture. Mais le lecteur de science-fiction n’est pas unique. Le latin est classant, mais le substrat hugolien peut l’être aussi.

Franck Laurent précise que cela fait partie de la tradition de l’heroic fantasy que de jouer avec des références anciennes qui appartiennent à la culture officielle.

 Jordi Brahamcha-Marin