Séance du 18 mars 2017

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Informations

Décès

Claude Millet fait part, avec une tristessse partagée, du décès récent de Sheila Gaudon.

 

Actualités de la Maison Victor Hugo

Claude Millet fait circuler les poèmes de Suzanne Doppelt et de Vincent Broqua, réalisés pour l’exposition La Pente de la rêverie à la Maison Victor Hugo. 

Claude Millet relaie l’appel de Gérard Audinet au mécénat participatif pour la restauration de ce musée (Gérard Audinet n’attend pas des chèques énormes ; même un don de 5 euros n’est pas ridicule; l'important est de lancer un mouvement que les média amplifieront ensuite). Elle rappelle que Gérard Audinet a présenté au groupe, il y a deux mois, ses réflexions. Il mène en ce moment un travail absolument remarquable de restauration de Hauteville House, à partir des archives photographiques notamment.

Guy Rosa regrette que la mairie de Paris ne consacre pas davantage d’argent à la Maison Victor Hugo. 

On a connu sur cette question des maires pires qu’Anne Hidalgo, note Claude Millet – certes, il y a toujours pire mais le pire n'excuse pas le mauvais, reprend Guy Rosa, et le désengagement de l’État et des collectivités locales est regrettable. 

Claude Millet explique que la Maison Victor Hugo reçoit le même genre de pressions que les universités et les équipes de recherche : on lui demande de chercher des financements privés…

 

Hugo président

Vincent Wallez suggère par plaisanterie d’instaurer une « taxe Hugo », payée par les politiciens à chaque fois qu’ils prononcent son nom ! François Fillon a d’ailleurs cité Hugo en meeting, signale Claude Millet

Guy Rosa relève dans le programme de Jean-Luc Mélenchon la reprise de l’idée d’un domaine public payant, chère à Hugo. Au bout de soixante-dix ans après la mort d’un auteur, l’argent des droits serait versé à une caisse publique. C’était une idée que Hugo avait avancée dans différents discours, à la Chambre ou au Sénat. Elle apparaît chez lui pendant l’exil, assez tôt. 

Il rappelle qu’en l’état actuel du droit, à l’expiration du délai de soixante-dix ans, il n’y a plus aucun droit patrimonial. Hugo est tombé dans le domaine public vers 1950, et c’est à cette date qu’ont été publiés de nombreux inédits par Henri Guillemin, qui n’attendait que cela.

En tout cas, ajoute-t-il, ce n’est pas d’aujourd’hui que Hugo est invoqué sur tous les bords politiques. La Gloire de Victor Hugo le montre très bien, ajoute Claude Millet au point que Hugo a pu être simultanément approprié par la Révolution nationale et par la Résistance.

 

La maison de Bièvre

Claude Millet informe que le musée de Bièvre rouvre après quelques années de fermeture. Elle lit un communiqué de presse publié pour la réouverture. Chaque salon est associé à un thème : l’engagement ; l’héritage universel ; l’Europe et la paix. Avant sa fermeture, du temps de la Soka Gakkai, le musée possédait (les possède-t-il toujours ?) des pièces magnifiques concernant Napoléon, et notamment un vrai costume de l’Empereur. Son thème de prédilection, c’était Hugo et Napoléon.

Guy Rosa ajoute que le musée a aussi les épreuves des Misérables corrigées par Hugo et offertes à Juliette Drouet. La Soka Gakkai avait  fait des achats, mais de manière assez désordonnée, et il n’y a pas de catalogue.

 

La maison des Metz

Guy Rosa se souvient que jadis, on pouvait à demi visiter la maison des Metz : y entrer, non, mais la voir, oui – et passer dans le jardin. On voit un très beau paysage depuis la maison.

Quelle distance y a-t-il entre les Metz et le hameau des Roches ? demande Claude Millet. C’est tout près, répond Guy Rosa, cela se fait à pied.

 

Spectacles

Guy Rosa note que Joey Starr, dans un spectacle intitulé « Éloquence à l’Assemblée » (théâtre de l’Atelier), dit des discours de Victor Hugo. Et pas seulement de Hugo, précise Tristan Leroy.

Guy Rosa transmet les excuses de Jean-Marc Hovasse et de Gérard Audinet, qui assistent en ce moment même à un concert de mélodies françaises à la Maison Victor Hugo.

Claude Millet signale que Lucrèce Borgia se joue en ce moment à la Comédie-française.

 

Conférences

Claude Millet signale que la conférence de Franck Laurent au Collège de France sur la violence dans Châtiments est visible et audible - mais pas lisible - sur le site de ladite institution. (https://www.college-de-france.fr/site/antoine-compagnon/seminar-2017-02-21-17h30.htm)

Jean-Pierre Langellier a parlé mardi dernier de Hugo, à Dreux, dans le cadre d’une université du temps libre. Son propos était général, mais il a conclu sa conférence en évoquant la marche de Hugo sur Dreux pour aller retrouver Adèle, en s’inspirant du livre de Jean-Marc Hovasse. L’orateur a été sidéré par l’affluence : deux cent cinquante personnes ! Le pouvoir d’attraction de Hugo est intact. Et même croissant, ajoute Guy Rosa !

Jean-Pierre Langellier indique que beaucoup de gens dans la salle étaient très bien au courant de la marche sur Dreux de Hugo. En fait, des balades touristiques sont organisées dans le centre de Dreux, et on y parle de Hugo. On doit y signaler la phrase célèbre du poète : « À Dreux, toute ma vie s’est décidée. »


Communication de Franck LaurentEssais et abandons d'une épopée de la Révolution (La Fin de Satan, La Révolution, La Légende des siècles) (voir texte joint)


Discussion

Fiction et récit, roman et épopée

Claude Millet remercie l’orateur pour sa communication qui renvoie à des questions fondamentales sur l’ambivalence de la révolution, sur son efficience ou son inefficience, sur la fin et l’inachèvement. Il était intéressant de reprendre ces problèmes du point de vue de la fiction, du narratif, du discursif. Peut-être d’ailleurs pourrait-on évaluer la difficulté des problèmes, pour Hugo, à son recours ou non au discursif. Il est frappant de voir à quel point il éprouve le besoin de discourir sur la révolution. Même la fin de Quatrevingt-Treize le montre : Hugo a besoin d’être en quelque sorte calé par le grand discours de Gauvain – sans parler, même, du chapitre sur la Convention. De même, dans la première Légende des siècles, « Paroles dans l’épreuve » vient recadrer le propos induit par les pièces narratives.

La première des difficultés est peut-être de trancher : faut-il faire la révolution ou pas ? Hugo est-il révolutionnaire ?

Franck Laurent propose de ne pas élargir trop vite le sujet. Son point de départ, c’est la question de la fiction. Son idée de base, la suivante : ne nous empressons pas de transformer en discours sur la révolution ce scénario qui est celui de La Fin de Satan.

Certes, la question du récit se pose. Il faut prendre au sérieux l’architecture narrative du scénario, sa capacité à produire du sens presque indépendamment du discursif. Les éléments narratifs produisent de la signification.

Mais la question spécifique de la fiction est quand même centrale. Tout de même, Hugo peut inventer ce qu’il veut pour raccrocher les wagons de l’histoire humaine ! On est là dans une pensée mythologique.

Ce que tu fais comprendre, poursuit Claude Millet, c’est que le problème que pose la fiction mythico-épique par rapport à la fiction romanesque, c’est que la fiction épique est englobante, à cause de sa puissance de symbolisation. C’est l’Histoire elle-même qui se trouve ou non dotée d’une fin, achevée, immobilisée… Alors que la fiction romanesque, elle, ne raconte que l’histoire de quelques hommes : elle a un reste. La fiction romanesque a une capacité d’ouverture qui permet de relancer le progrès. Si La Fin de Satan était terminée, il ne resterait plus rien.

Franck Laurent pense que les différences ne sont sans doute pas aussi massives, mais qu’on a bien ces deux polarités. La Fin de Satan a un scénario vraiment bien construit. Mais justement : vu le type de puissance qu’un scénario épique est censé avoir, en termes de signification, plus on scénarise bien, plus on ferme. Il peut cependant y avoir d’autres options qui s’offrent au poète : la fragmentation narrative de La Légende des siècles permet ainsi de mettre en œuvre un art de l’épique, tout en gardant un certain jeu de la signification.

Dans Quatrevingt-Treize, ce qui est remarquable, c’est la tension entre des dispositifs hyper fermants, malgré quelques ouvertures critiques (le discours final de Gauvain, la mécanique tragique parfaitement mise en place, la mort de l’Imânus programmée par le récit), et d’autre part la présence de l’ouvert et de l’indéterminé. Certains survivent : il y a des choses à faire avec ces gens qui restent là, pour le meilleur et pour le pire. Hugo semble avoir configuré cela en ayant en mémoire ce qui a bien dû lui apparaître comme un échec : La Fin de Satan.

Pour le dire autrement, résume F. Laurent, il s’est agi dans cet exposé de travailler sur les constructions signifiantes qui passent par les choix formels.

Il y a souvent chez Hugo la volonté de compléter, d’appuyer : on a l’épilogue de « La Révolution » (il faut à tout prix qu’on ait la morale de l’histoire !)… Mais dans d’autres cas, le discours et le récit ne se superposent pas. La prophétie de Gauvain a sa cohérence, croise les préoccupations de Hugo, mais ne dit pas le tout. Elle ne donne pas un programme. Elle fixe plutôt des principes, indique ce vers quoi on doit aller… Le discours final de Gauvain n’a pas la même fonction que l’épilogue de « La Révolution ».

 

Discussion épistémologique

Guy Rosa récapitule la problématique qui a été celle de l’orateur : pourquoi Hugo n’écrit-il pas une épopée de la révolution, alors qu’elle était presque faite, mais à la place un roman de la révolution ? Mais toute tentative de donner des causes à ce qui n’existe pas est illogique, vouée à l’échec. On peut expliquer pourquoi on a fait telle chose, mais pas pourquoi on n’a pas fait telle autre. 

Franck Laurent proteste : en tant qu’historien de la littérature, il est logique de s’interroger sur les choix éditoriaux. Et ceux de Hugo, ses publications ultérieures, sont là : ce n’est pas lui qui les invente !

Mais, reprend Guy Rosa, sur un fait négatif, toutes les explications sont possibles et se valent.

Franck Laurent reconnaît que ses hypothèses, qu’il a présentées comme telles, sont improuvables. Mais alors la critique de Guy Rosa ne porte que sur l’extrême pointe de son propos. Tout le reste, le scénario de La Fin de Satan, c’est écrit par Hugo ! Ce que devrait être la fin, ce n’est pas lui-même qui l’invente. L’épilogue est programmé.

Guy Rosa précise qu’il est d’accord avec ce que dit Franck Laurent, dans le détail et dans l’ensemble. Son propos vise simplement à ajouter des notes, ou à suggérer des variations de formulation. Ce qui n’existe pas ne peut pas être prouvé ni expliqué : ce n’est pas une objection, c’est une observation destinée à dire que tous les commentaires sur l’inachèvement de La Fin de Satan peuvent partir de considérations éditoriales ou autres, de données qui sont toutes d’égale valeur c’est-à-dire de valeur nulle. En revanche, il y a des choses qui permettent de mieux comprendre le texte. Et l’hypothèse de Franck Laurent permet en effet de mieux comprendre La Fin de Satan.

 

Épopées et romans de la révolution

Guy Rosa trouve contestables certaines affirmations de Franck Laurent. On peut aussi bien dire qu’il y a bel et bien une épopée de la révolution dans La Légende des siècles, bien que l'événement ne soit pas directement représenté; c'est aussi le cas, et pour les mêmes raisons sans doute, de la mort du Christ. On peut aussi dire qu’il n’y a pas de roman de la révolution. Quatrevingt-Treize a un statut exceptionnel. Le récit de la révolution est sans arrêt différé dans la carrière de Hugo. La Fin de Satan n’est pas terminée ; après Les Misérables, Hugo songe à un roman de la révolution mais ne l’écrit pas (il fait William Shakespeare et Les Travailleurs de la mer à la place). Quatrevingt-Treize est plutôt un accident historique, provoqué directement par la Commune. C’est un texte de circonstance, extorqué à Hugo par les événements, et qui ne remplit pas le grand projet qui a existé, de même que le programme de La Fin de Satan n’est pas exécuté. Quatrevingt-Treize, « La Révolution », ce sont des pis-aller.

Mais on peut aussi dire qu’il n’y a que des romans de la révolution. Tous les romans de Hugo sont des romans de la révolution, sauf peut-être, à la rigueur, Le Dernier Jour d’un condamné. La révolution est à l’horizon de Bug-Jargal, de Han d’Islande, de Notre-Dame de Paris, des Misérables, des Travailleurs de la mer, de L’Homme qui rit. C’est une vaste suite romanesque qui forme dans son ensemble un grand roman de la révolution – avec un statut particulier pour Quatrevingt-Treize.

Il n’empêche ! répond Franck Laurent. On peut bien dire, en effet, que La Légende des siècles est une épopée de la Révolution. Mais le choix de cette forme permet tout de même d’éviter la figuration narrative de l’événement. Quant à dire que tous les romans sont des romans de la révolution, c’est pousser le bouchon un peu loin. Quatrevingt-Treize, rien que par son titre, a un statut privilégié, sans compter qu’il met en scène les trois grandes figures de 1793. Ce roman n’a pas le même rapport à la figuration de la Révolution que les autres.

Dans les fictions théâtrales et romanesques, Hugo s’arrange pour laisser tomber la figuration des grands événements historiques. Les Misérables prennent en charge 1832 plutôt que 1830, L’Homme qui rit escamote 1642 et 1688. Mais justement, à cet égard, Quatrevingt-Treize est assez différent.

D’autre part, Franck Laurent n’est pas totalement en accord avec la lecture dominante selon laquelle la question déterminante pour Hugo, quand il écrit Quatrevingt-Treize, c’est la Commune. Cela, c’est une lecture rétrospective. Il y a au moins deux autres questions, à l’époque, qui sont au moins aussi déterminantes que la Commune pour les contemporains : la nation, et la république. En particulier : comment faire une république qui dure enfin ? Thiers vient d’être renversé, et ce sont les ducs qui arrivent au gouvernement.

Guy Rosa objecte que la nation, la république, ne sont pas des questions distinctes de celle de la révolution.

Ce sont différents aspects de la même question, nuance Franck Laurent. Mais on perd des choses de vue si l’on n’envisage Quatrevingt-Treize que sous l’angle de la Commune. Une autre question fondamentale est : à quelle condition une république est-elle durable ?

Mais la Commune pose aussi cette question, remarque Guy Rosa, ainsi que celle de la nation. Après la Commune, il y a toute une série de romans sur la révolution -e, indirectement, sur la Commune. Hugo fait ce que font tous les autres.

Franck Laurent observe qu’il y a aussi une activité éditoriale énorme sur la défaite de 70 et la durabilité de la république. C’est sous cet angle que l’on peut rendre compte de certains aspects conciliateurs dans Quatrevingt-Treize.

Guy Rosa souligne, sur la question de l’épopée de la révolution, que ce n’est pas le genre épique qui est incompatible avec la révolution. C’est un certain emploi théologico-messianico-historique de la forme épique.

Mais c’est la tradition du genre, répond Franck Laurent. La Fin de Satan est une épopée beaucoup plus classique, dans son rapport aux coordonnées du genre, que La Légende des siècles. Celle-ci est une œuvre narrative, en vers, sur l’histoire des hommes, soit, mais les bases canoniques du genre en sont absentes : la continuité, le parallèle entre l’ici-bas et le là-haut…

Guy Rosa accepte les remarques de Franck Laurent sur le « roman de la révolution ». Quatrevingt-Treize en tout cas n’est sans doute pas le roman que Hugo imaginait comme devant prendre place au sein d’une vaste entreprise romanesque.

Franck Laurent est d’accord avec cela. Justement, ce roman a un côté moins épique, au sens classique du terme, que ce que Hugo avait projeté. Il est plus proprement romanesque. Quand le roman s’arrête, on ne sait même pas si la république va gagner sur la Vendée. Le livre s’achève dans l’œil du cyclone. Hugo aurait pu s’arranger pour faire mourir ses héros en 1794.

 

Hugo révolutionnaire ?

Yvette Parent se propose de concilier les positions de Franck Laurent et Guy Rosa, par les remarques suivantes :

- Il est tout à fait exact que Hugo recule devant la représentation de la révolution. Ce thème est éparpillé dans toute son œuvre. Même Quatrevingt-Treize n’est pas satisfaisant, parce qu’une œuvre a une fin, alors qu’une révolution non. Le spectacle Ça ira de Joël Pommerat propose une représentation mimétique somptueuse de la révolution, mais reste insatisfaisant, pour les mêmes raisons. 

-La révolution, pour Hugo, est un questionnement qui commence très tôt, dès le début en fait, avec le thème du peuple révolutionnaire. Mais jusqu’aux Misérables, 1793, la révolution, c’est la violence. Or ensuite, tout à coup, Hugo se réconcilie totalement avec 1793. Il devient robespierriste. Le coup d’État, l’exil, ses fréquentations, lui font passer un palier, et Hugo devient pro-révolutionnaire. Ce sera corrigé dans Quatrevingt-Treize, où Hugo veut dire aux communards qu’on ne peut pas recommencer 1793. En même temps, son discours politique rejoint celui des communards, qui disent une chose très simple, encore valable aujourd’hui, qui est que la révolution n’est pas finie. La liberté, l’égalité et la fraternité ne sont pas réalisées.

Franck Laurent est d’accord, à quelques détails près. Sur la conversion de Hugo à 1793, il faut voir ce que l’on entend par là, car il y a plusieurs manières d’accepter 93. La position de Hugo est assez claire, et c’est celle qui est majoritaire chez les républicains : on accepte et on justifie 93 (Clemenceau dit : « La révolution est un bloc »), mais on ne veut pas le refaire. Il faut au contraire conjurer l’événement. Ce n’est pas la position, par exemple, d’un Delescluze, qui, lui, est robespierriste.

Il faut s’entendre aussi sur le thème de la révolution inachevée. Hugo a l’idée que si on mène une politique capable de désamorcer les puissances réactionnaires, considérées comme les causes principales des soubresauts violents du XIXe siècle (y compris la Commune, dont l’une des causes est la crainte d’une restauration monarchique), on doit pouvoir entrer dans une période progressiste où la politique va permettre d’avancer vers ce but messianique final sans trop de heurts et de révolutions. Hugo fait partie de ces gens qui s’efforcent de ne pas laisser apparaître un nouveau paradigme révolutionnaire. L’idée qu’il faut continuer la révolution, et l’idée qu’il faut refaire la révolution, ce n’est pas la même chose du tout !

Bref, la position de Hugo est assez claire. Il y a une exception à cette règle : les révolutions défensives. Sous l’Empire, il faut une dernière révolution, parce que la réaction triomphe. Parler d’un Hugo « robespierriste » est gênant ; disons plutôt qu’il ne voue pas aux gémonies la figure de Robespierre.

Il se distingue de ceux qui font un effort pour constituer un nouveau paradigme révolutionnaire, souvent explicitement dirigé, d’ailleurs, contre les valeurs libérales de 1789. C’est cela qui distingue les socialistes et les républicains, et c’est ce fossé que Jaurès travaillera à résorber, en développant l’idée, contre Guesde, qu’il faut intégrer la révolution à venir dans une sorte de prolongement de la révolution française. Mais la synthèse républicaine-socialiste de Jaurès n’a pas été facile à réaliser !

Guy Rosa rappelle que dans Châtiments, Hugo conjure explicitement le Titan Quatre-vingt-treize de ne pas revenir !

Franck Laurent suggère un parallèle avec la figure de Napoléon Ier : ça a de l’allure, certes, mais il ne faut pas que ça recommence.

Yvette Parent trouve que l’on confond, dans cette discussion, le problème de la violence et celui de la réalisation des idéaux révolutionnaires.

Franck Laurent souligne que l’interrogation de Hugo sur la révolution porte aussi sur la question de la violence dans l’histoire.

Guy Rosa rappelle la phrase d’Enjolras dans Les Misérables : « Il n’y aura presque plus d’histoire ! »

Pour Franck Laurent, cette phrase illustre la tendance saint-simonienne de Hugo, son idée d’un dépérissement du politique au profit d’un positivisme social. Mais cela va aussi avec une mise en congé de la révolution comme outil historique.

Mais le discours d’Enjolras, reprend Yvette Parent, est prononcé en pleine insurrection.

Franck Laurent précise que le discours d’Enjolras n’est pas celui de Hugo. Le narrateur condamne d’ailleurs le personnage comme étant incapable d’aimer, sauf les abstractions, comme ayant en lui trop de Saint-Just et pas assez de Condorcet… Alors que le discours de Gauvain est plus proche de ce que pense Hugo. On a du mal à y trouver des éléments de désaccord avec ce que Hugo, narrateur ou acteur politique, dit au même moment sur la république idéale.

Yvette Parent demande des précisions : pourquoi Hugo dit-il que les communards ont fait la commune trop tôt ?

Ce n’est pas tout à fait cela, répond Franck Laurent. Dans « À MM. Meurice et Vacquerie », texte un peu postérieur à la Commune, Hugo, sans condamner les objectifs de la Commune, condamne l’insurrection parce que ce n’est pas le moment. C’est un argument tactique : on ne fait pas une insurrection sous les yeux de l’occupant. Et encore moins dirigée par des inconnus ! On ne livre pas le sort de Paris à ces gens-là. Hugo a un peu de mal avec l’idéal de la prise du pouvoir par la classe ouvrière. Ses fils le lui reprochent, d’ailleurs : Le Rappel publie un article où il se fait taper sur les doigts. Mais Hugo ne dit pas du tout qu’il aurait fallu faire la Commune plus tard.

Guy Rosa demande quand Hugo a appelé à l’insurrection contre Napoléon III.

Franck Laurent répond qu’outre l’appel à la résistance armée contre le coup d’État, Hugo appelle ensuite à charger son fusil et à attendre l’heure. Pendant tout le Second Empire, il en appelle à la « révolution future ». Il y a des insurrections justifiées, parce que défensives, contre la réaction. Hugo n’est pas un pacifiste intégral, mais il n’attend pas une révolution à venir ; il n’aurait pas salué le soleil d’octobre.

 

Incarnation du mythe

Judith Wulf revient sur la question du parallèle entre épopée et roman quant au dispositif narratif, et quant à l’incarnation du mythe. Dans La Fin de Satan, le mythe s’incarne dans des personnages mythologiques (alors que dans La Légende des siècles, il y a tellement de personnages qu’on ne peut pas avoir de héros). Or ce problème de l’incarnation du mythe se pose aussi aux historiens du XIXe siècle. Il y a un débat à ce propos, sur Robespierre, entre Michelet et Louis Blanc. Blanc reproche à Michelet de défaire la révolution en critiquant Robespierre, et Michelet répond qu’il n’aime pas quand Robespierre devient messianique. Peut-être, dans le refus du troisième épisode de La Fin de Satan, y a-t-il aussi un refus par Hugo que quelqu’un incarne cet ange libérateur. Le roman, de ce côté, est par nature plus polyphonique.

Guy Rosa abonde : dans Quatrevingt-Treize, il y a Danton, Robespierre et Marat, mais ils sont trois, justement. Il n’y a pas une seule incarnation du mythe.

Et ce ne sont pas les héros, poursuit Franck Laurent, qui est d’accord avec l’analyse de Judith Wulf. Cette question du grand homme, Hugo se la pose dans les suites immédiates du 2 décembre. Il remet en cause la figure du grand homme au pouvoir, et explore le thème de la grandeur des petits. L’histoire ne peut pas se faire à coup d’individualités géniales. C’est un élément de définition des républicains français :  tout sauf le pouvoir personnel ! 

Et, oui, en effet, l’épopée doit nommer des individus, qui représentent des forces collectives mais qui sont, dans le texte, des personnages.

 

 Jordi Brahamcha-Marin