Séance du 13 juin 2015
Présents: Caroline Julliot, Franck Laurent, Denis Sellem, Yvette Parent, Nicole Savy, Guy Rosa, Yvan Le Scanff, Jean-Pierre Langellier, Pierre Georgel, Loïc Le Dauphin, Vincent Wallez, Arnaud Laster, Junia Barretto, Jean-Marc Hovasse, David Charles, Katherine L-Radcliffe, Delphine Gleizes, Josette Acher, Françoise Chenet, Jordi Brahamcha-Marin, Yannick Balant.
Informations
Arnaud Laster fait une annonce, une mise en garde : la parution aux éditions Via Romana d’un livre intitulé Hugothérapie, de Cousteau, soutien du nazisme. Contrairement à ce que l’on pourrait croire si l’on se fie au titre, il s’agit d’un ensemble de citations destiné à dénoncer les vues de Hugo. Il a guéri, mais guéri de Hugo en somme…
Franck Laurent fait remarquer à quel point la référence à Hugo était universelle dans la Résistance : ainsi, le pseudonyme de Leiris pendant la Résistance était Hugovic.
La « dictée des banlieues » a choisi un texte de Victor Hugo.
Communication de Caroline Julliot et Franck Laurent : L'âme romantique et la citoyenneté (voir texte joint)
Discussion
Claude Millet : Il me paraît fondamental de réintroduire comme vous le faites l’âme, en ce sens que l’âme, c’est le moi arraché à toutes les appartenances, c’est l’individu sublimé. Précisément parce qu’elle semble flottante, indéterminée, elle permet de figurer le sujet politique en démocratie.
Un différence majeure se dégage alors entre les auteurs : on a d’une part l’unanimisme et ses limites, chez Sand et surtout chez Lamartine ; et d’autre part le maintien du dissensus par Hugo en tant qu’instrument vers l’infini.
Franck Laurent : ce dissensus va dans le sens d’un refus du tragique de l’Histoire. On le retrouve dans les titres de chapitre par exemple, dans Les Misérables, à la fin de la barricade : les morts ont raison… mais les vivants n’ont pas tort. « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent » ; mais ceux qui luttent ce sont d’abord ceux qui vivent…
Claude Millet : cela permet aussi d’écarter l’idéologie révolutionnaire et post-révolutionnaire de l’assimilation. Quand on raisonne en terme d’âme et plus d’individu, on échappe à l’assimilation.
Guy Rosa : d’abord, point de détail, je propose d’ajouter Lamennais et Chateaubriand à l’itinéraire délimité par Caroline Julliot et Franck Laurent.
Sur le fond, une question me vient à l’écoute de votre exposé : « esprit du 11 janvier, es-tu là? ».
L’âme permet de penser la démocratie, d’accord. Mais permet-elle de la penser bien ?
Et en particulier, quelle est l’origine du dissensus ? Il ne devrait pas y en avoir, puisque c’est l’instinct divin qui s’exprime. Qu’est-ce qui résiste, alors ? Ou encore, vous évoquez les âmes pures. Y a-t-il des âmes noires ?
Il me semble qu’il y a au moins deux réponses philosophiques solides à cette question dirimante: d’abord celle de Rousseau: le JE ne fait pas problème, mais bien que plusieurs JE se rencontrent; de là naissent les querelles. Celle du dogme cattholique ensuite, qui est inverse. Car l’absence de liberté, la contrainte et le dogmatisme propres au christianisme ne sont pas accidentels; ils tiennent au fait que l’homme demeure de nature déchue ; ses seules forces ne le conduiront pas au Bien. Les chrétiens ne peuvent pas chanter "faisons notre salut nous-mêmes".
Bref, je trouve toute cette théorie théologico-politique faiblarde. Celle de Hugo l'est aussi. Les textes posent la contradiction mais ne la résolvent pas ni ne la dépassent -Renouvier l'a fort bien vu. Dans William Shakespeare, comme dans Quatrevingt-Treize, comme partout ailleurs, Hugo évoque certes une résolution finale des conflits par « sauts » dans l’infini, dans l’absolu; mais toutes les contradictions s'effacent dans l'absolu (ou l'idéal ou l'infini ou Dieu) et c’est une solution passe-partout, philosophiquement peu acceptable, et d'ailleurs lassante, même si l'oeuvre la fait fonctionner parfaitement.
Franck Laurent : d’abord, ce n’est pas un séminaire de philosophie politique, il est question de littérature, et nous cherchons à comprendre ce que ces auteurs ont voulu nous dire, nous considérons avant tout les textes. Or cette question de l’âme, qui a été minorée dans la tradition des cinquante dernières années, ce n’est pas périphérique pour eux, c’est la solution qu’ils pensent avoir trouvée et qu’ils mettent véritablement en avant.
Là où je ne suis pas d’accord, c’est à propos de Rousseau. C’est le paradigme de l’unitarisme : on gomme toute individualité au nom de l’intérêt général. Or dans le cas de Hugo, ne pas récuser 93 ce n’est pas automatiquement souhaiter refaire 93.
Enfin pour ce qui est des âmes noires, Hugo intègre la contradiction. Il croit en un messianisme, même si personne ne sait comment la résolution interviendra ; et cette croyance en l’âme demeure nécessaire si l’on ne veut pas réduire la politique à de la gestion des intérêts.
Caroline Julliot : l’une des explications initiales pour justifier qu’il existe non seulement un dissensus, mais aussi deux pôles du vrai, c’est qu’un pôle prend en compte les circonstances, l’autre pas.
Guy Rosa : c’est Trotsky et Staline…
Caroline Julliot : la fin de Quatrevingt-Treize n’est pas un dénouement « facile », puisque les deux âmes s’élèvent certes dans un même mouvement, mais il n’y a pas union des deux âmes. Au-delà peut-être, mais pour ce qui est de la fin que livre l’auteur, rien n’est facilement résolu.
De plus, lorsque Lantenac laisse échapper les enfants Fléchard, il prouve qu’il a une âme.
Nicole Savy : Je voulais ajouter quelque chose à propos de George Sand. Si elle n’a jamais participé pleinement à la vie politique, c’est dans la mesure où elle refuse de revendiquer des droits politiques tant que les droits civils ne sont pas acquis pour les femmes. D’abord l’égalité civile, ensuite l’égalité politique.
Yvon Le Scanff : cette question d’âme est intéressante car dans les périodes où Sand et Hugo sont retirés de la vie politique, Sand écrit des articles décisifs sur cette question. On ne décrit plus l’âme comme faculté universellement distribuée, mais on considère plusieurs types d’âmes, dans des sphères différentes : l’âme spécifique, l’âme individuelle, l’âme universelle. Ce n’est peut-être pas le binaire, mais le ternaire, dans une espèce de modèle leibnizien, qui nous fournirait une solution.
Yvette Parent : le problème posé est très complexe, c’est le rapport entre le moi et l’autrui. Le dissensus initial, c’est la promotion du moi.
Arnaud Laster : je suis intéressé, convaincu par votre démonstration. En revanche, dans la conclusion je ne suis pas certain que Hugo se prononce contre un retranchement de la religion dans la sphère privée.
Guy Rosa : et Michelet regrette que les révolutionnaires n’aient pas créé une religion.
Franck Laurent : Hugo quant à lui regrette que la République ne sache pas encore créer des cérémonies aussi solennelles que peuvent l’être les rituels religieux.
De toute façon, la fameuse déclaration de Hugo « je crois en Dieu » gêne nombre de ses amis, qui s’en plaignent à mots couverts et auraient préféré qu’il leur épargne cette précision. C’est la question de l’athéisme qui se pose.
Guy Rosa : La religion de Hugo est une religion creuse, sans dogme, sans dieu personnel. Qui a déjà vu le moi de l’infini ?
Franck Laurent : je ne suis pas d’accord, les mentions d’un Dieu personnel et les principes religieux que Hugo édicte à plusieurs reprises le prouvent.
Françoise Chenet : je trouve intéressant le fait de réhabiliter l’âme chez Hugo. Ce qui me frappe, c’est la question des âmes noires. Anima, le souffle. Mais les âmes noires ne s’envolent pas.
Yannick BALANT