Séance du 4 avril 2015

Présents: Mmes Violaine Anger, Caroline Julliot, Claude Millet, Florence Naugrette, Yvette Parent ; MM. Yannick Balant, Jordi Brahamcha-Marin, Pierre Burger, David Charles, Pierre Georgel, Jean-Marc Hovasse, Arnaud Laster, Guy Rosa, Vincent Wallez


Informations

Claude Millet tient à féliciter chacun des participants en ce week-end de Pâques.

On annonce deux colloques à Bruxelles, pour le bicentenaire de Waterloo : un pour les historiens, un pour les littéraires, dirigé par Damien Zanone et Franc Schuerewegen. Beaucoup de communications sur Hugo : Philippe Dufour, Jean-Marc Hovasse, Claude Millet, Jacques Neefs, Nicole Savy.

Claudie Bernard et Claude Millet préparent un colloque, pour les 22 et 23 octobre 2015, qui portera sur « l’Histoire épitaphe » : comment la mort et les morts nourrissent l’écriture historique (fictionnelle, éventuellement).

Samedi 11 avril, Sophie Lucet doit communiquer sur «Les fantômes de la Révolution».

Guy Rosa indique que lors d’une réunion récente de l’ITEM, une responsable de la BNF a pu lui assurer que les manuscrits de Hugo sont accessibles aux chercheurs qui en font la demande motivée. Il a pu voir au cours de cette réunion le manuscrit des Misérables, s’est étonné de son format réduit. Il avance l’hypothèse que Hugo faisait en sorte que son manuscrit ait des dimensions proches de l’imprimé, peut-être pour en avoir l’impression visuelle avant composition.

Jacques Cassier a actualisé sa bibliographie en ligne (10.000 entrées supplémentaires). Qu’il  soit vivement remercié pour ce travail de titan.

Florence Naugrette annonce une conférence le 9 avril à 18h à la Sorbonne. « Est-ce qu’un journal épistolaire peut être considéré comme une œuvre littéraire ? »

Toujours à propos des Misérables, Vincent Wallez dresse un compte-rendu très élogieux de l’adaptation cinématographique de Fescourt (1925) en six heures, récemment diffusée à la fondation Seydoux – Pathé. Il s’agissait d’une projection sur copie restaurée, avec un pianiste qui improvisait.


Communication de Violaine AngerVictor Hugo et la mélodie française (voir texte joint)


Discussion

Claude Millet remercie Violaine Anger pour sa très belle communication.

 

Question de genre

Arnaud Laster regrette que, dans la version qu’on vient d’entendre, « Oh ! quand je dors… » soit chanté par une femme… (il connaît d’ailleurs une très belle version du morceau, par un baryton-basse !). Pierre Georgel et Vincent Wallez s’en étonnent également.

Violaine Anger précise que le morceau n’a pas de dédicataire… Le fait que le texte soit chanté par une femme est permis par le fait que la chanteuse ne joue pas un personnage ; il y a une dimension citationnelle.

Claude Millet observe que les remarques qui viennent d’être faites sont typiquement masculines ! Les femmes sont habituées à lire, de manière citationnelle, des poèmes assumés par un je masculin.

Pierre Georgel demande s’il arrive que le compositeur mentionne le genre du chanteur. Violaine Anger : C’est rarissime ; on a au mieux une indication sur le dédicataire. De toute façon, les transpositions sont fréquentes.

 

L’ironie dans Le Pas d’armes du roi Jean

Pierre Georgel demande s’il n’y a pas un écho du Barbier de Séville dans le Pas d’arme du roi Jean de Saint-Saëns.

Violaine Anger répond que oui. Il s’agit d’une ballade ironique, et comique. Saint-Saëns intègre, grâce à Hugo, la ballade dans la mélodie français, et joue de cette rencontre.

Il semble à Guy Rosa que dans Le Pas d’armes du roi Jean, il y a une redondance entre la musique et le texte.

Violaine Anger confirme : c’est parce que cela relève d’une emphase ironique. On fait entendre le Requiem quand le beau page meurt… Ce n’est pas le cas dans les autres morceaux entendus : La Captive, c’est la réinterprétation du texte par des moyens musicaux.

 

Voix et personnages

Claude Millet observe que « La Captive », d’un point de vue poétique, est une ballade. Les Orientales viennent juste un an après la dernière édition des Odes et Ballades, et certaines ballades ont migré dans Les Orientales. Mais musicalement, répond Violaine Anger, ce ne sont pas des ballades. La ballade au sens musical s’attache à faire advenir musicalement les personnages évoqués dans le récit, comme dans Le Roi des aulnes. C’est le cas dans Le Pas d’armes du roi Jean, mais pas dans les espagnolades de La Captive.

Claude Millet : Chez Hugo, les poèmes intitulés « chansons » sont toujours des poèmes monodramatiques, avec un personnage fictif bien identifiable (comme dans « La Captive »), et avec des affects qui pourraient être ceux d’une nouvelle, d’un opéra… et toujours avec de la narrativité. À l’inverse, le « chant » est du côté du lyrisme transcendant, et réduit les affects à deux : la joie ou la douleur. Et l’énonciateur est alors complètement indéterminé. « Oh ! quand je dors » est de ce registre-là.

Violaine Anger : Le genre de la mélodie française s’empare beaucoup de poèmes où il y a un je, ou bien où il est fait mention d’un « je chante ». Mais dans « La Captive » ou « Les adieux de l’hôtesse arabe », le statut du « je » (personnage ou non ?) est indéterminé. S’agit-il d’une parole, ou d’un chant ?

Claude Millet remarque que l’énonciatrice est particulièrement déterminée dans le cas de « La Captive ». Cependant, répond Violaine Anger, la chanteuse ne vient pas sur scène déguisée en captive… Ce n’est pas comme à l’opéra : on n’a pas une chanteuse qui arrive sur scène en disant « Je suis captive ». La chanteuse nous dit, alternativement, « je suis chanteuse » et « je suis captive ». Mais contrairement à la romance, où l’on chante du début à la fin, dans la mélodie il y a toujours un passage vers le personnage. Il s’agit de dire le poème musicalement ; c’est un art très difficile.

 

Sur la compréhension des paroles

Arnaud Laster pose la question de la compréhension des paroles. Chanter en France un récital de Lieder sans que le public comprenne le texte, ce serait une aberration : soit on surtitre, soit on distribue le texte traduit…

Pierre Georgel observe que souvent, on ne comprend pas bien le texte même quand il est en français. Mais un bon chanteur, répond Violaine Anger, devrait nous le faire comprendre. Et Arnaud Laster déplore que l’on ait appris aux gens à accepter de ne pas comprendre les paroles.

Violaine Anger remarque que c’est aussi un problème qui tient à la composition : l’aigu est moins bien articulé… On comprend bien les compositions de Reynaldo Hahn ou de Poulenc, moins bien celles de Berlioz…

 

Du respect (ou non) de la métrique

Pierre Georgel demande si le compositeur respecte toujours la métrique dans son choix de faire prononcer ou non les e muets.

Vincent Wallez : En chanson, le e de la rime féminine est marqué. Et Florence Naugrette ajoute qu’il se prononçait à la scène au XVIIe siècle. Vincent Wallez précise qu’il faut le compter, non pas comme une syllabe entière, mais assez bien timbré pour qu’on l’entende… Il y a un art de l’e muet ! Regnault et Milner s’y sont attaqués, dans Dire le vers. Mais ils distinguent beaucoup de degrés d’e muets, de sorte que leur livre n’est pas très efficace comme guide pratique…

Pierre Burger fait état du Misanthrope, décevant à cet égard, qu’il a entendu à la Comédie français : il y avait des vers trop longs, ou trop courts…

Effectivement, confirme Claude Millet, certains acteurs mettent des e partout. À la Comédie française par exemple, certains comédiens savent bien dire le vers, et d’autres pas. Et ce n’est pas une question de génération. En tout cas, l'art de bien dire le vers n’est pas un art perdu !

 

Lire Hugo

Arnaud Laster signale le site Entendre Victor Hugo (http://entendre-victor-hugo.com/), sur lequel un acteur met en ligne un poème par jour, dit par lui. Et il s’efforce d’avoir une diction aussi respectueuse que possible de la métrique.

Quant à Hugo, ajoute Claude Millet, il lisait ses propres poèmes de manière retenue et réservée, sans emphase, et sans investissement dans un personnage.

Mais il lisait des textes interminables, précise Pierre Georgel. Il pouvait lire Dieu jusqu’à trois heures du matin, jusqu’à épuisement.

En ce qui concerne la période d’avant l’exil, souligne Jean-Marc Hovasse, on a peu de témoignage sur des lectures de Hugo. Sauf pour le théâtre, précise Pierre Georgel – dans les cénacles, ajoute Claude Millet. Vincent Wallez remarque que pendant l’exil, c’est la famille qui devient à elle toute seule un cénacle.

Guy Rosa a participé à une lecture commentée de textes de Hugo, à l’ENS, dans le cadre du cycle « La voix d’un texte ». C’était Nicolas Lormeaux qui lisait, et lui-même qui commentait. Les choix de Nicolas Lormeaux fonctionnaient très bien pour le théâtre et les discours. Mais pour les autres textes, le danger, c’est l’expressivité : moins il y en a, mieux cela vaut. Nicolas Lormeaux s’est d’ailleurs rendu compte qu’il valait mieux y renoncer.

 

Sur la lecture à voix haute en général

La grande difficulté qu’il y a à lire un texte écrit, ajoute Guy Rosa, c’est que quand on le lit pour soi on entend une chose, et que quand on le lit à voix haute on entend autre chose. On n’arrive pas à reproduire pour soi ce qu’on entend en lecture muette.

Vincent Wallez : En lecture muette, toutes les potentialités sont là. La lecture haute est toujours restrictive.

 

La poésie au théâtre

Claude Millet : En 1870, pendant le siège, on fait beaucoup de lectures publiques de poèmes (au profit des blessés…). C’est une pratique courante à la Comédie française dans la seconde moitié du XIXe siècle, ainsi qu’à la Porte Saint-Martin, et dans d’autres théâtres…

Pierre Georgel propose L’Après-midi d’un faune comme exemple de poème qui devait être déclamé en scène. Mais dans l’idée de Mallarmé, précise Claude Millet, c’était à l’origine une pièce de théâtre. Seulement, aucun théâtre n’en a voulu… Tout de même, répond Pierre Georgel, c’est une pièce pour une seule voix.

 

Mélodies contemporaines sur Hugo

Arnaud Laster nous informe qu’il continue à s’écrire des mélodies, et notamment sur des textes de Hugo. Il y aura le mercredi 8 avril, au temple du Luxembourg, la création d’une composition de Gabriel Rigaux sur Les Contemplations. Plus largement, plusieurs compositeurs actuels connus ont mis Hugo en musique.

Violaine Anger : On pourrait discuter pour savoir si cela relève encore du genre de la mélodie, dont les limites sont discutables et floues.

 

Chanson et mélodie

Arnaud Laster demande ce qui fait la différence entre la chanson et la mélodie au XIXe siècle : est-ce une question de structure ?

C’est plutôt la richesse de l’accompagnement musical, répond Violaine Anger.

Arnaud Laster : Les poèmes intitulés « Chanson » par Hugo deviennent parfois de véritables mélodies.

 

Un projet

Arnaud Laster nous apprend qu’il réfléchit à mettre en ligne une liste des mises en musique de Hugo. Mais il y en a une quantité énorme !

 Yannick Balant, Jordi Brahamcha-Marin