Séance du 26 janvier 2013

Présents: Patrice Boivin, Jordi Brahamcha, Chantal Brière, Brigitte Braud Denamur, Brigitte Buffard-Moret, Pierre Burger, Pierre Georgel, Delphine Gleizes, Colette Gryner, Jean-Marc Hovasse, Jean-Pierre Langellier, Arnaud Laster, Franck Laurent, Junxian Liu, Claude Millet, Claire Montanari, Yvette Parent, Guy Rosa, Yvon le Scanff, Denis Sellem,Vincent Wallez


Informations

Claude Millet fait circuler l’édition de Choses vues par Franck Laurent. Cette édition a fait l’objet d’une communication en septembre 2012.

 

Guy Rosa signale les articles de Jean-Marc Hovasse et de  David Charles dans le  numéro 2012/4 de Romantisme.

L’article de David Charles s’intitule « Obsétrique, mécanique et salaire du travail dans l’œuvre de Victor Hugo » [résumé : Hugo représente le travail moins souvent qu’il n’en parle dans des discours assez répétitifs, car occupés à contenir son socialisme, et politiquement moins radicaux que la fiction, notamment romanesque. On essaie ici de reconsidérer la question du travail dans l’œuvre de Hugo à partir des trois ou quatre cents occurrences qu’elle compte des termes « travail » et « labeur », et de la représentation des processus aussi bien naturels qu’historiques que ces deux termes désignent. Le travail est une vieille affaire d’obstétrique et un problème, contemporain, de mécanique. On montre ensuite que la question du salaire émerge dans les discours de Hugo alors que la fiction (Les Misérables , Les Travailleurs de la mer) a déjà disqualifié le projet même d’instituer « l’état normal du travail ».]

L’article de Jean-Marc Hovasse a pour titre : « Du quatrième acte (de Marion Delorme) au quatrième pouvoir » [résumé : L’interdiction de Marion de Lorme illustre pour la première fois l’intrication entre littérature, politique, édition et journalisme qui distingue Victor Hugo de ses contemporains. La stratégie qu’il met en œuvre, où la presse est mobilisée contre la censure, peut être reconstituée en suivant de près les journaux et la chronologie : le destin du quatrième acte de la pièce inédite d’un poète qui n’a pas trente ans y tient presque autant de place que le dernier changement de gouvernement. Cette stratégie, en lui révélant le pouvoir d’un plan de communication bien mené, musèle en grande partie la censure pour Hernani. Il ne l’oubliera pas lors de la publication de Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie et défendra jusqu’au bout sa version des faits. Car il s’agit bien d’un épisode fondateur, premier en date de ces retournements de situation éminemment spectaculaires qui ébauchent pour lui le chemin de l’exil.]

Par ailleurs, un numéro spécial de la revue de la Comédie-Française est consacré au théâtre de Victor Hugo et au Hernani mis en scène par N. Lormeau.

Enfin, l’année 1877 des lettres de Juliette Drouet est mise en ligne par le CÉRÉdI de  l’Université de Rouen sur le site qui y est consacré sous la houlette de Florence Naugrette.  

 

Arnaud Laster rappelle que le festival Égaux/Hugo débute ce 26 janvier. Il faut faire attention aux dates limites des réservations. Il est possible également de participer comme intervenant.

 

Claude Millet, qui a reçu de Guy Rosa la statistique de fréquentation du site du Groupugo pour le premier trimestre de l’année, observe que certains chiffres sont surprenants et montrent que les gens travaillent beaucoup à partir du site internet.

 

Jean-Pierre Langellier rappelle qu’on étudie plus qu’on ne pourrait le penser Hugo au collège. Plusieurs intervenants sont d’accord pour dire que l’intérêt pour Hugo est sans commune mesure avec celui qu’on lui portait il y a vingt ans.

 


Communication de Sylvie Vielledent et Nicolas LormeauLa La mise en scène de Hernani à la Comédie-Française - N. Lormeau, 2013 (voir texte joint)


Discussion

Claude Millet remercie vivement Nicolas Lormeau et Sylvie Vielledent, sans laquelle cette rencontre n’auraient pas eu lieu.

Ce que vous dîtes du vers en particulier est très intéressant. Vitez, dans un texte repris dans l’édition d’Anne Ubersfeld de Ruy Blas, précise qu’il ne faut pas « faire » les enjambements. Cela produit souvent un véritable effet poétique. Par la suite, au sein de notre groupe de recherche, grâce à Brigitte Buffard-Moret, nous avons finalement compris que Hugo voulait effectivement que l’on efface ces enjambements.

Guy Rosa : Je suis d’accord avec la réflexion de Nicolas Lormeau. Il y a des moments où il faut faire entendre les vers et d’autres non. Il n’y a pas une religion concernant la diction. Il faut faire des choix.

Vincent Wallez : Que l’on exhibe l’enjambement (avec une micro-respiration) ou que l’on fasse l’enjambement comme s’il n’y avait pas le passage d’un vers à l’autre, l’enjambement existe de toute façon. Seul le rythme change plus ou moins (dans le sens du vers ou dans le sens de la prose). Dans tous les cas, si l’on s’en réfère à une interprétation musicale, il est possible d’exhiber l’écriture ou au contraire d’être moins analytique. Le jeu devient alors plus simple.

Nicolas Lormeau : S’il faut faire entendre le sens de la phrase, il y a besoin de cette diction que j’ai choisie. Hugo se charge des rythmes avec génie. Il maîtrise cet aspect parfaitement. Il suffit donc de suivre ses directions. Il ne faut pas oublier qu’une mauvaise diction produit des effets comiques. « Maître Corbeau, sur un arbre perché » ne signifie pas que c’est l’arbre qui est perché. Les acteurs sont obligés d’en tenir compte. Par moments, dans la pièce de Hugo, nous ne savons plus du tout où nous en sommes avec le vers. C’est le talent de Hugo. Nous reconstituons mentalement le vers, et faisons des erreurs. J’ai la prétention de penser que faire entendre tous les rejets, les enjambements, les césures n’est pas utile.

Franck Laurent : Sur le vers, je suis d’accord pour dire qu’il y a une infinité de paramètres. Par conséquent, il faut voir votre mise en scène pour en juger. La théorie n’est pas d’un grand secours.

Nicolas Lormeau : Certes, mais certaines personnes trouvent mon discours choquant. Ce sont elles qui ont une théorie.

Franck Laurent : Nous avons probablement tous notre théorie. Pour resituer le débat par rapport à l’époque où écrit Hugo : il ne s’agit pas d’une remise en cause de l’alexandrin, mais du caractère répétitif de l’alexandrin, tel qu’il est écrit par Racine. Le premier impératif de révolution de la langue théâtrale est la variabilité au sein de l’alexandrin. C’est pourquoi tous les alexandrins de Hugo sont corrects. Hugo utilise des patrons différents, et fait entendre la différence. Il sait jouer de plusieurs rythmes. Deuxièmement, Vigny avait pensé au modèle shakespearien : avoir dans la même pièce de la prose, du vers blanc, et du vers rimé. Hugo ne croit pas que cela soit envisageable. Mais il prône une pièce qui mêlerait alexandrins classiques et alexandrins prosaïques, s’il est permis de s’exprimer ainsi. Donc il y a deux impératifs : faire entendre le sens (s’approcher de la prose) ; être sur scène (donc être dans l’artifice). La préface de Cromwell s’en moque : le Cid devrait être joué en espagnol. Hugo est pris dans ce débat : il est en permanence entre le naturel et les feux de la rampe, la distance. Ce sont les termes du débat à l’époque. Peut-être que ce ne sont plus les termes du débat d’aujourd’hui.

Nicolas Lormeau : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Pour moi, la question se pose toujours. Les comédiens m’ont demandé comment pouvait fonctionner cette coulisse aux yeux de tous. Je leur ai dit qu’il ne s’agissait pas d’une arrivée par la salle, mais de dénoncer la coulisse. Nous savons bien que nous sommes dans le monde du faux, et dans un monde poétique. Hernani est un homme de mots : il n’est que ce qu’il dit.

Arnaud Laster : Mais je crois qu’il ne faut pas avoir honte non plus du naturel. Dans la préface de Cromwell, Hugo préconise de ne pas sortir des limites d’une scène parlée, et que le vers n’ait l’air beau que par hasard. Le vers n’est pas une coquetterie. Cela va dans votre sens.

Nicolas Lormeau : Certes, mais les acteurs du temps de Hugo partent de très loin…Les acteurs déclamaient. Peut-être que Hugo rêvait…d’un spectacle tel que le mien !

Arnaud Laster : Hugo disait qu’il faut fuir la tirade. Je le rappelle. Cela va contre la déclamation de son temps.

Pierre Georgel : Mais il parle aussi de la majesté du vers.

Brigitte Buffard-Moret : Votre remarque à propos de La Fontaine (l’arbre perché) est très juste. Hugo et La Fontaine ont rusé : ils doivent faire des vers et en font. Ce sont des vers parfaits qui pourtant ne sonnent pas comme des vers. Là est leur astuce. La Fontaine et Hugo ont cherché à perturber leur public. Par conséquent, votre spectacle respecte Victor Hugo.

Pierre Georgel : Reste que Hugo a pris le parti d’écrire en vers certaines pièces et d’autres en prose. Tout l’art est de faire entendre l’écart par rapport à la norme. Il faut qu’une grille métrique reste présente à l’oreille, afin de permettre ce jeu.

Nicolas Lormeau : Cette grille métrique est bien présente. Récemment, j’ai lu un auteur qui avait écrit une adaptation littéraire en alexandrins. Il avait essayé de mêler vers harmonieux et vers déstructurés. Le résultat n’était pas convaincant, selon moi, et cela prouve l’immense talent de Victor Hugo. Écrire une telle langue n’est pas donné à tout le monde. Le seul but de mon spectacle est de faire entendre ce texte magnifique de Hugo. Je parlerais presque d’une lecture, certes très active et très fiévreuse. Les mots doivent être mis sous pression, comme je le précisais lors d’une représentation à Montpellier. Le texte de Hugo ne doit pas, ne peut pas, se dire sur le mode de l’intime. Il est doit être lancé haut et fort, pour lui-même. Il n’est pas dans la dépendance du personnage ; c’est l’inverse : le personnage n’est que la voix qui parle. Il est tout entier discours. Au pluriel d’ailleurs, car ce sont plusieurs discours, parfois dissonants entre eux et qu’il serait vain de chercher à harmoniser. La vedette du spectacle est le texte de Hugo. Cela me fait penser au théâtre lyrique : il faut être à la hauteur de la musique –à ceci près que ce n’est pas de la musique mais des mots.

Vincent Wallez : Dans les années 1980, il n’y avait pas beaucoup de sonorisation à Avignon – et encore avant aucune. Les acteurs devaient projeter le texte assez loin, ce qui donnait un aspect sonore particulier. Avec la sonorisation, il y a désormais des spectacles plus intimistes, et les acteurs, au lieu de proférer les paroles, ont parfois tendance à faire de la psychologie, à ajouter du sous-texte. On voit ici ce que la technologie du son peut modifier.

Nicolas Lormeau: Mais ça ne pose pas tant de problèmes qu’on peut croire. L’oreille est un organe très fin. Elle s’habitue et entend très bien même des chuchotements. La question est plus de l’intensité et de la tonalité que du volume.

Arnaud Laster : Vous sembliez embarrassé par le passage de Dona Sol de Saragosse à Aix-la-Chapelle. Je ne comprends pas pourquoi. A la fin de l’acte III, Don Carlos l’emmène. Par conséquent, nous avons l’explication.

Nicolas Lormeau : D’accord. Mais où est-elle au début de l’acte IV ? A l’hôtel ?

Arnaud Laster : Si vous voulez…

Nicolas Lormeau : Quand on y réfléchit, il y a chez Hugo des incohérences magnifiques. Mais on ne les voit pas, à moins de lire et relire. Hugo procède par blocs d’action qui se mettent bout à bout. Je me suis raconté quelque chose de romanesque pour comprendre comment on en arrive à cette situation : Dona Sol qui doit épouser Ruy Gomez, Hernani qui la rencontre, le roi qui en tombe amoureux. L’histoire commence de manière absurde. Comment a-t-elle rencontré Hernani ?

Guy Rosa : Est-ce que le spectacle sera aussi captivant que votre intervention ?

Nicolas Lormeau : Je l’espère. En tous cas, moi, j’aime beaucoup ce spectacle ; non parce que je l’ai fait (encore que ça ne gâche rien) mais  parce qu’il correspond à ce qui me plaît dans le théâtre : des acteurs et un texte.

 

 David Stidler