Séance du 19 mai 2012

Présents: Valentina Gosetti, Junxian Liu, Arnaud Laster, Guy Rosa, Bernard Leuilliot, Franck Laurent, Yvette Parent,  Nicolas Wanlin, Pierre Georgel, Jeanne Stranart, Vincent Wallez, Denis Sellem, Katherine Lunn-Rockliffe, Claude Millet


Informations

Guy Rosa signale l’exposition à Villequier Victor Hugo. Portraits photographiques et portraits-charge. Y sont juxtaposés, de manière tout à fait démonstrative, des photographies et des caricatures de même époque. L’exposition est tirée des collections de ses auteurs, Gérard Pouchain et Jean-Marc Gomis. Ajoutons que le catalogue est offert en cadeau aux visiteurs à l’initiative de la conservatrice du musée, Mme Sophie Fourny-Dargère.  Pour mémoire, l’adresse du site du musée, fort bien fait : http://www.museevictorhugo.fr/

L'excursion est vivement recommandée, surtout à ceux qui ne se sont jamais inclinés sur la tombe de Léopoldine.

 

Guy Rosa souligne l’usage œcuménique et intensif de Victor Hugo durant la campagne électorale présidentielle. Pierre Georgel précise que la seule mention de Hugo par le président élu a été faite à l’Hôtel de Ville. Elle était légèrement erronée en suggérant que Hugo avait subventionné l’assistance des pauvres à ses obsèques. Mais il est vrai que dans la liste des grands événements parisiens, celui-là avait sa place.

 

Claude Millet signale l’édition d’un Hernani procuré par Florence Naugrette chez Garnier-Flammarion. L’annotation sait faire dialoguer le texte et la réception critique contemporaine de façon extrêmement précise. Guy Rosa ajoute que cette édition, scolaire en apparence, est très savante et dense.

 

Elle indique aussi la publication aux éditions Classiques Garnier de Politiques de l’anti-romantisme,  qui réunit une partie des contributions du programme de recherche « Usages idéologiques de l’antiromantisme » de « Littérature & Civilisation du XIXe siècle ». Il y est naturellement souvent question  de Victor Hugo.

 

L’Unité de recherche CERILAC se voit reprocher son peu de « visibilité » par le conseil scientifique de l’Université Paris Diderot. Claude Millet le rapporte tout en soulignant que les sites administrés par Guy Rosa font échapper la recherche dix-neuviémiste à cette critique. Elle encourage néanmoins les participants du Groupe Hugo à mettre leur bibliographie, et les textes qu’ils jugeront bon, sur le portail HAL, sites spécifiques et portail étant complémentaires. Guy Rosa se demande si les responsables de la recherche de l’Université sont bien informés : HAL est quasi-exclusivement consacré aux sciences dites « dures » et tente de contourner le coût exorbitant et la fiabilité de plus en plus souvent critiquée des grandes publications internationales spécialisées. En lettres et sciences humaines, ce sont revues.org, fabula et hypothèses.org qui sont pertinents. Il profite de l’occasion pour indiquer qu’une proportion importante des visiteurs du site du Groupe Hugo y arrive par les moteurs de recherche, en particulier par accès directs à des pages spécifiques, sans passage par la page d’accueil. Bernard Leuilliot rappelle que le site du Groupe Hugo sort parmi les toutes premières recherches Google sur « Hugo » ou « Victor Hugo ». Un bref débat s’ensuit au sein du Groupe Hugo : quelles solutions pourraient permettre une meilleure « visibilité » ? Et puis, qu’est-ce que la « visibilité » ? Sur le web, beaucoup de sottises en ont une considérable.

 

A la Maison de la poésie, dernière représentation de Quatrevingt-Treize samedi 26 mai. C’est un très bon spectacle de Godefroy Ségal.

 

Robert Badinter écrit un livret d’opéra à partir de Claude Gueux. La musique sera composée par Thierry Escaich


Communication de Nicolas WanlinHugo et la poétique évolutionniste (voir texte joint)


Discussion

Claude Millet remercie Nicolas Wanlin pour cette communication aux enjeux si passionnants qu’elle mérite discussion de points d’éventuel désaccord. L’opposition, d’abord, n’est-elle pas un peu biaisée entre les évolutionnistes et Cuvier ? Car si  Lamarck fait une carrière institutionnelle cahotante, à la différence des succès académiques hégémoniques de Cuvier, Lamarck n’est pas pour autant complètement à la marge. Surtout, Hugo, bizarrement, est assez éclectique dans sa façon de se situer par rapport à cette opposition. Les idées du premier transformisme : les notions d’hérédité des caractères acquis et d’adaptation qui sont au cœur du lamarckisme, lui sont étrangères. L’absence dans son œuvre de l’hérédité est très frappante au regard de l’attention qu’elle rencontre dans tout le paysage intellectuel qui l’environne. Sur les procédures exactes du lamarckisme, Hugo ne peut pas se reconnaître. Et en ce qui concerne Geoffroy Saint-Hilaire, ce n’est pas son transformisme qui retient Hugo.

En revanche il est fasciné, comme bien des romantiques, par le travail de Cuvier sur les fossiles. Fondé sur une conception organiciste du vivant, il va, chez Cuvier, jusqu’à « la reconstruction du monstre d’après l’empreinte* de l’ongle ou l’alvéole de la dent » ? (LS1, p. 567) - la paléontologie de Cuvier est un modèle de reconstitution historique pour l’auteur de La Légende des siècles.

Enfin, Michelet manque, je crois, dans votre propos. Si Hugo se rapproche d’une histoire naturelle, c’est celle de Michelet. Elle se situe, comme celle de Promontorium somnii, dans l’idée d’une création conçue comme natura naturans : d’une nature qui se transforme par essais poétiques, tentatives formelles. Hugo a lu très attentivement Michelet. Son univers se situe là, plutôt que dans la science de son temps.

 

Nicolas Wanlin : On est presque d’accord. J’ai peu parlé de Lamarck parce que Hugo se situe peu par rapport à Lamarck. C’est bien pourquoi j’ai parlé de Geoffroy Saint-Hilaire. Une remarque sur les institutions : la fin de carrière de Lamarck fut atroce. Le débat important a lieu entre Cuvier et Geoffroy. Cuvier, mandarin absolu, est omniprésent et omnipotent. Bizarrement, il représente une sorte de positivisme en accord avec la Bible. Il traite Geoffroy de poète. Hugo prend position dans ce débat entre Cuvier et Geoffroy. Certes, il est fasciné, comme tout le monde, par la reconstitution (discutable mais Cuvier a une grande autorité, d’êtres complets à partir d’infimes fragments d’os. Mais cela reste superficiel et moins déterminant, dans la pensée d’ensemble, que ce qui se rattache à Geoffroy. L’imaginaire Cuvier à mon sens s’affaiblit voire disparaît.

Pierre Georgel : Sauf que persiste  l’imaginaire si important chez Hugo de la trace, de l’empreinte.

Nicolas Wanlin : Oui, mais cet imaginaire ne tient pas de rôle dans la question évolutionniste.

 

Pierre Georgel : Quand Hugo se confronte à la doctrine évolutionniste, il faut faire la distinction entre la démarche de la science et la démarche de la foi ; non pas la foi religieuse, mais la conviction. Hugo fait un pari pascalien. Doute pour doute, il préfère parier pour ce à quoi il adhère.

Nicolas Wanlin : Au niveau de la rhétorique profonde, cette opposition s’efface. Tous travaillent dans une sphère de pensée qui est celle de l’imaginaire, les savants autant que Hugo. Eux non plus ne sont pas certains ; eux aussi doivent faire un pari. Le spéculatif est au fondement de leur discipline. L’évolutionnisme était et reste toujours hypothétique. Entre savants, philosophes, écrivains, il y a un fonctionnement commun qui est de l’ordre de l’imaginaire.

 

Bernard Leuilliot : On a survolé des questions ravissantes. Mais il ne faut pas perdre de vue que Hugo entre dans ces débats à partir de sources de seconde main. Ses rapports à la science sont toujours un peu lointains. Où en est-on de la vulgarisation de Darwin en son temps? Tout cela relativise un peu le problème. Hugo est un écho sonore. L’évolutionnisme est un imaginaire de l’époque (Nerval et Les Chimères « un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres »). Par ailleurs, le problème Balzac : il y a chez Balzac, en particulier dans La Peau de chagrin, des pages exaltées en faveur de Cuvier. Mais progressivement c’est Geoffroy qui l’emporte chez Balzac (à cause de l’unité de composition). Enfin, il faudrait regarder de près vos textes : quel est le sens de « ravissante » dans « une unité ravissante » ? Le tâtonnement, l’oscillation…Il y a chez Hugo une attention à l’aléatoire, plus qu’au hasard.

Guy Rosa : L’idée d’un « dessein » non pas « intelligent » mais rêveur est intéressante. En tout cas, elle est d’une logique jusqu’au boutiste, mais parfaite : si toutes les qualités représentables sont en Dieu à l’état de perfection, Il doit être parfaitement bizarre, baroque, grotesque et rêveur

Bernard Leuilliot : Pour ce qui est de l’évolutionnisme, il y a des moments où Hugo est en faveur de la solution de continuité, d’autres où ce n’est pas le cas. Dans L’Art d’être grand-père, il y a l’idée de sauter une génération. C’est une image contraire à l’évolutionnisme. En fait, chez Hugo, il faut relativiser les choses, car on ne sait pas jusqu’où va sa compétence.

Guy Rosa : Mais cette position annule la question.

Bernard Leuilliot : C’est vrai.

Claude Millet : Hugo saisit ce qui l’intéresse, de manière plus ou moins attentive aux systèmes en question.

Bernard Leuilliot : Dans Les Misérables, il y a un moment où un personnage prend parti contre le matérialisme mécaniste (I, 1, 8 ; Philosophie après boire). Cela tourne aussi en un hommage à Diderot, curieusement.

Nicolas Wanlin : Sur la question de la compétence : je ne me la pose pas. Hugo est compétent comme poète. C’est ce qui importe. Tous travaillent sur des sources de seconde main (sauf Flaubert). Hugo n’a sans doute pas étudié en détail les naturalistes de son temps.

 

Bernard Leuilliot : Mais c’est aléatoire. Ses lectures sont aléatoires. Il n’a plus le temps de lire parce qu’il écrit.

Franck Laurent : Il n’y a pas tellement de savants dans ses fréquentations.

Arnaud Laster : Situer Hugo par rapport à la connaissance scientifique de l’époque, c’est intéressant. Cela n’a pas été encore fait de manière rigoureuse.

Denis Sellem : La presse était importante pour ses connaissances.

Arnaud Laster : Il y a bien des façons de s’informer. Berret, dans son édition critique de La Légende des siècles, rappelle que Darwin a eu trois traductions françaises depuis 1862. Donc il a dû y avoir des articles, ce qui a pu initier Hugo (ou pas).

Dans L’Âne, il y a un texte (« Toi qu’une heure vieillit… ») qu’il faudrait relire attentivement.

Claude Millet : Mais ce texte est beaucoup plus proche du catastrophisme de Cuvier, avec son chaos et ses déluges.

Arnaud Laster : Non, c’est une évolution qui est décrite.

Vincent Wallez : Non, c’est comme chez Buffon.

Nicolas Wanlin : Hugo n’est pas extrêmement original quand il écrit ça.

 

Franck Laurent : Ce qui me gêne dans les poèmes de Hugo contre le darwinisme,  c’est que ces textes sont très faibles, y compris poétiquement. Cette faiblesse pose une vraie question. On sent bien que l’argumentation de « France et âme » et des « Grandes lois » est incroyablement régressive. Peut-être faudrait-il les prendre par ce biais. 

Claude Millet : Charles Renouvier trouvait ces poèmes admirables. Cela en dit beaucoup sur l’époque.

Guy Rosa : Parce que Renouvier est un kantien.

Claude Millet : Oui, et ces poèmes unissent patriotisme, spiritualisme et anti-darwinisme. Etrange alliance à nos yeux mais qui, à l’époque, donne satisfaction à de hautes intelligences.

 

François Chenet : En ce qui concerne Geoffroy Saint-Hilaire, Hugo dans Le Rhin obéit à une logique pascalienne. L’écrivain se range dans le semi-habiles. Le vieux poète savant dit que c’est remarquable. Deuxième point : sur la lecture des journaux par Hugo, elle est aléatoire mais pas tant que ça. Dans Choses vues on voit bien les notes qu’il prend. Ce qui l’intéresse l’occupe beaucoup. Il feuillette, il prend une note, et la met dans son texte. Ses lectures dépendent de ce qui est dit dans les journaux. Troisième point : je suis surprise qu’on ne parle pas de Diderot.

 

Guy Rosa : Retenons deux acquis. D’abord qu’en matière de savoir scientifique, Hugo se distingue par un intérêt plus grand que celui de  la plupart des écrivains, et aussi par une capacité, plus authentiquement scientifique que ne le croient les non-scientifiques, à saisir l’imaginaire de la science. D’autre part, et c’était, je crois, le propos de Nicolas Wanlin, qu’au sujet de l’évolutionnisme Hugo développe des spéculations contradictoires. Comme en beaucoup d’autres matières, mais avec cette particularité qu’en celle-ci la raison de la contradiction est assez claire et se trouve dans sa position, foncièrement kantienne, qui exclut de la science les vérités dernières.

 David Stidler