Jean-Marc Hovasse : Verlaine - Hugo

Communication au Groupe Hugo du 23 novembre 1996
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Quiconque lit les Œuvres en prose complètes de Verlaine, qui se répartissent à peu près équitablement entre autobiographie et critique littéraire, est frappé de la constance avec laquelle il est fait mention de Victor Hugo. Un regard sur l'index des noms propres cités, dans l'édition de la Pléiade procurée par Jacques Borel, vient confirmer cette impression ‑ qu'il soit question de poète, d’homme politique, ou même de familier, personne ne revient si souvent sous sa plume ‑ pas même Rimbaud, loin de là. Un classement dans l'ordre décroissant du nombre de pages où ces personnages, pêle-mêle, sont cités, dessinerait le paysage suivant:

Victor Hugo (105) ; Baudelaire (66) ; Rimbaud (65) ; Banville (51) ; Shakespeare (50) ; Elisa Verlaine (49) ; Mathilde Mauté (48) ; Leconte de Lisle (47) ; Mallarmé (44) ; Racine (41) ; Villiers de l'Isle‑Adam (36) ; Coppée (34) ; Nicolas Verlaine (32) ; Catulle Mendès (3 1) ; Jean Moréas (30) ; Musset (29) ; Lamartine (26) ; Sainte‑Beuve (25) ; Edgar Poe (25) ; Gautier (24) ; Voltaire (23) ; François Villon (21) ; Léon Valade (20) ; Napoléon Ier (20) ; Vigny (19) ; etc.

En enlevant la famille et les auteurs des siècles précédents, admis dans cette liste à titre de comparaison, on obtient :

Victor Hugo (105) ; Baudelaire (66) ; Rimbaud (65) ; Banville (51) ; Leconte de Lisle (47) ; Mallarmé (44) ; Villiers de l’Isle‑Adam (36) ; Coppée (34) ; Catulle Mendès (31) ; Jean Moréas (30) ; Musset (29) ; Lamartine (26) ; Sainte‑Beuve (25) Edgar Poe (25) ; Gautier (24) ; Léon Valade (20) ; Vigny (19) ; etc.

 

Cette constatation faite, inutile de préciser qu'il n'y entre nulle hugôlatrie : les occurrences de Victor Hugo sont loin d'être toutes louangeuses, comme nous l'allons voir en retraçant l'histoire des relations entre les deux poètes que deux générations séparent. Avant de commencer, rappelons juste la date de naissance de Verlaine : le 30 mars 1844.

 

I) Premiers contacts.

Rentrer en contact avec Victor Hugo comporte un certain nombre d'étapes obligées, que l'on retrouve à peu près identiques à tous les niveaux, qu'il s'agisse de Baudelaire ou bien d'une quelconque poétesse anonyme du limousin. La première de ces étapes est bien souvent l'envoi de poèmes manuscrits, presque toujours dédiés au destinataire, avec une lettre d'accompagnement où se combinent témoignages d'admiration et demande de réponse. Ce qui distingue Verlaine des autres, c’est sa précocité, puisqu'il n'a pas quinze ans lorsqu'il remplit cette formalité. Il envoie à Hugo son premier poème, "La Mort", qui fut publié par Gustave Simon dans la Revue de France du 1er octobre 1924, dans un article intitulé Paul Verlaine et Victor Hugo.

 

Paris le 12 décembre 1858

Monsieur,

 

Pardonnez-moi si je prends la liberté de vous dédier ces vers, c'est que, me sentant quelque goût pour la poésie, j'éprouve le besoin de m'en ouvrir à un maître habile, et à qui pourrais-je, mieux qu'à vous, monsieur, conter les premiers pas d'un élève de quatrième, âgé d'un peu plus de quatorze ans, dans l'orageuse carrière de la poésie ?

 

 

LA MORT

 

Telle qu'un moissonneur, dont l'aveugle faucille

Abat le frais bleuet, comme le dur chardon,

Telle qu'un plomb cruel qui, dans sa course, brille,

Siffle et, fendant les airs, vous frappe sans pardon 

 

Telle l'affreuse mort sur un dragon se montre,

Passant comme un tonnerre au milieu des humains,

Renversant, foudroyant tout ce qu'elle rencontre

Et tenant une faulx dans ses livides mains.

 

Riche, vieux, jeune, pauvre, à son lugubre empire

Tout le monde obéit; dans le cœur des mortels

Le monstre plonge, hélas ! ses ongles de vampire!

Il s'acharne aux enfants, tout comme aux criminels :

 

Aigle fier et serein, quand du haut de ton aire

Tu vois sur l'univers planer ce noir vautour,

Le mépris n'est-ce pas, plutôt que la colère)

Magnanime génie, dans ton cœur, a son tour ?

 

Mais, tout en dédaignant la mort et ses alarmes,

Hugo, tu t'apitoies sur les tristes vaincus;

Tu sais, quand il le faut, répandre quelques larmes,

Quelques larmes d'amour pour ceux qui ne sont plus.

 

                                P. Verlaine.

 

Si vous voulez bien, monsieur, me faire l'honneur de me répondre, adressez ainsi votre lettre:

 

Monsieur,

Paul Verlaine, rue Truffaut, 28,

À Batignolles,

 près Paris.

 

 

Jacques Borel commente ainsi ce poème dans la Pléiade : "Vers négligeables, sans doute : nous savons bien d'où vient cette faucheuse dans un champ, et cette "faulx dans ses livides mains"1. Mais enfin il est caractéristique que ces premiers vers, malgré leur gaucherie, leur raideur, leurs fautes de prosodie, offrent déjà des variantes, des repentirs : ce trait, et aussi le fait que Verlaine les ait adressés aussitôt à un poète admiré, montre assez, chez cet adolescent qui s’essaie, la volonté, la conscience, de faire là oeuvre littéraire, et ce besoin d'être accueilli et jugé que n'ont pas d'ordinaire les collégiens qui balbutient en vers leurs confidences, leurs aspirations ou leurs nostalgies. C'est bien d'un acte poétique que, au moins par l'intention, il s’agit là en effet." Le commentaire d'Alain Buisine2, dans sa biographie parue l'an dernier, est plus sarcastique : "[...] il n'est rien de plus hugolien que [ce] poème", dit-il, avant d'expliquer qu'il est "grandiloquent et même pompier". Quoi qu'il en soit, même si certains biographes estiment que Victor Hugo aurait apprécié ces vers, nous n'avons ni la réponse, ni même le témoignage de l'existence d'une réponse.

Un passage des Confessions de Verlaine nous permet de savoir qu'il lut Les Misérables au moment même de leur publication : "J'avais seize ans, j'étais en seconde, ayant passablement lu d'à peu près tout... voyages, traductions, le tout dans mon pupitre, Les Misérables qui venaient de paraître, loués à un cabinet de lecture du passage de l'Opéra..." Mais nous possédons un témoignage plus contemporain sous la forme d'une lettre envoyée par Verlaine, qui vient d'avoir le bac, à son ami Edmond Lepelletier. Elle est datée de "Lécluse, ce 16 septembre 1862"

[...]

As-tu fini de lire Les Misérables ? Quel est ton avis sur cette splendide épopée ? Je m'en suis arrêté, pour mon compte, au second tome de l'idylle rue Plumet, (exclusivement), de sorte que je n'en puis porter de jugement définitif. Jusqu'à présent, mon impression est favorable : c'est grand, c'est beau, c'est bon, surtout. La charité chrétienne luit dans ce drame ombreux. Les défauts même, et il y en a, et d'énormes, ont un air de grandeur qui attire. Ce livre chenu, comparé à Notre-Dame de Paris, le chef-d’œuvre sans contredit de Victor Hugo, me fait l'effet d'un vieillard, mais d'un beau vieillard, cheveux et barbe blancs, haut de taille, et sonore de voix, comme le Job des Burgraves, à côté d'un jeune homme aux traits élégants, aux manières fières et nobles, moustache en croc, rapière dressée, prêt à la lutte. Le jeune homme plait davantage, il est plus brillant, plus joli, plus beau, même, mais le vieillard, tout ridé qu'il est, est plus majestueux, et sa gravité a quelque chose de saint, que n'a pas la sémillance du jeune homme.

      "Et l'on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,

      Mais dans l’œil  du vieillard on voit de la lumière."

 

Il est remarquable de retrouver, dès ce premier embryon de critique, les deux caractéristiques invariantes de l'attitude de Verlaine devant Hugo :

1°) La dénonciation de défauts.

2°) Un parallèle avec des oeuvres d'avant l'exil, toujours valorisées au regard des contemporaines.

On aura beau s'étonner de la diversité parfois contradictoire de ses jugements, il faut lui reconnaître une constance certaine dans la démarche. Dans l’historique des relations entre les deux poètes, l'année 1865 est marquée par la publication des Chansons des rues et des bois, où certains voient une des sources d'inspiration des Fêtes galantes. Pourtant, le point de vue du jeune Verlaine sur cette œuvre n'est pas très louangeur, comme il en fait l'aveu dans un article du premier numéro de L’Art daté du 2 novembre 1865 intitulé "Les Oeuvres et les hommes par J. Barbey d'Aurevilly". Le plus étonnant, c'est que cet article est écrit pour prendre la défense de Hugo contre les attaques de Barbey d’Aurevilly :

 

Passons maintenant en revue quelques jugements particuliers dans ce procès intenté aux poètes par M. Barbey d’Aurevilly, juge et avocat. À tout seigneur, tout honneur ! Notre aristarque commence sa distribution de férules par les Contemplations de Victor Hugo, qu'il appelle un "grand front vide", et Gustave Planche est dépassé ! Certes, à mes yeux, les Contemplations ne sont pas le chef-d’œuvre d'Hugo, tant s'en faut ; je les trouve même son livre le plus faible* ; mais ce n'est pas une raison pour insulter au génie, même défaillant, en quels termes, on en a pu juger par un mot pris au hasard entre mille. [ ... ]

 

Comme s'il voulait illustrer que la meilleure défense, c'est l'attaque, Verlaine ajoute ses réticences aux offenses de Barbey d’Aurevilly. Il y a quelque chose de torve dans cette démarche, voire d'assez inutile. On serait déjà en droit de se rappeler les articles de Baudelaire consacrés à Hugo, dont la perversité rhétorique mise en lumière par Pierre Laforgue avait au moins l'habileté de nécessiter un décrypteur de talent. Ici, l'attaque est plus directe, surtout au moment où il s'agit de La Légende des Siècles; comme on va pouvoir en juger par la suite de l'article :

 

De ces défauts, il en est un que M. Barbey d’Aurevilly n'a pas signalé, et pour cause. J'entends ces déplorables passages attendrissants qui ont la prétention d'être réalistes, et ne constituent rien moins qu'une grotesque parodie. (Voir, comme pièces justificatives, le discours du vieux Fabrice, devant le cadavre de la petite Isora3. ‑ Ratbert:

 

"M'avoir assassiné ce petit être-là

Mais c'est affreux d'avoir à se mettre cela

Dans la tête, que c'est fini, qu'ils l'ont tuée,

Qu'elle est morte..."

 

Dans la mesure où l'on peut faire confiance au témoignage de Verlaine, on verra que Hugo répondra par oral à cette attaque. Cette réponse nous donne l'indication précieuse que Hugo lisait L'Art, revue dont le credo était l'art pour l'art fondée par Louis-Xavier de Ricard, éditée par Lemerre, et dont l'existence éphémère4 est très importante puisqu'elle a directement conduit au premier Parnasse contemporain.

Le premier recueil de Verlaine, les Poèmes saturniens, paraît quelques mois après le Parnasse, toujours chez Lemerre, devenu l'éditeur attitré des Parnassiens (il est annoncé le 17 novembre 1866 dans le Journal de la Librairie). Tiré à 491 exemplaires, il ne rencontre aucun succès, n'étaient les lettres, dans l'ordre chronologique, de Leconte de Lisle (05/11/66), Théodore de Banville (11/11/66), Mallarmé (20/12/66) et Hugo (22/04/67)5. Avec ces deux derniers, elles marquent le début d'une relation suivie. Voici celle de Hugo:

 

Monsieur Alphonse Lemerre, / 47, Passage Choiseul. / Pour remettre à Monsieur Paul Verlaine.

 

H.‑H., 22 avril

 

Une des joies de ma solitude, C'est, monsieur, de voir se lever en France, dans ce grand dix-neuvième siècle, une jeune aube de vraie poésie. Toutes les promesses de progrès sont tenues, et l'art est plus rayonnant que jamais. Je vous remercie de me faire lire votre livre. UN spiritus ibi porta. Certes, vous avez le souffle. Vous avez le vers large et l'esprit inspiré. Salut à votre succès. ‑ Je vous serre la main.

VICTOR HUGO.

 

À peu près comme Baudelaire, deux ans plus tôt, se moquait dans une lettre à Manet d'une dédicace de Hugo6, Verlaine parodiera cette réponse avec son ami et premier biographe Edmond Lepelletier7. Ce rapprochement dû au hasard montre à quel point la lettre de Victor Hugo était un genre littéraire à part entière, avec ce qu'elle comportait de conventionnel : la cordialité, la formule en latin, la fraternité. Le pastiche de Verlaine est assez réussi :

 

Confrère, car vous êtes mon confrère, dans confrère il y a frère. Mon couchant salue votre aurore. Vous commencez à gravir le Golgotha de l'idée, moi je descends. Je suis votre ascension. Mon déclin sourit à votre montée. Continuez. L'Art est infini. Vous êtes un rayon de ce grand tout obscur. Je serre vos deux mains de poète. Ex imo. V. H.

 

Dans cette facilité à tourner en dérision une lettre dont il devait être, au fond, extrêmement fier, on pourrait lire une métaphore de tout le recueil des Poèmes saturniens. Multiples sont les influences qui y ont été relevées : Hugo, Gautier, Glatigny, Ricard, et surtout Leconte de Lisle et le Parnasse ‑ dont on ne sait jamais trop s’il les imite ou bien les parodie. Comparer le poème "Après Trois Ans" avec "La Tristesse d'Olympio" a été pendant longtemps un exercice d'école, pour conclure qu'à part l'identité du sujet, ils n'ont rien de commun8. Mais ceux qui ne reconnaissent pas l'originalité de Verlaine l'attaquent sur son étrange capacité à ressembler aux autres, comme Barbey d'Aurevilly qui lui consacre un de ses médaillonnets assassins parus dans Le Nain jaune9:

 

Un Baudelaire puritain, combinaison funèbrement drôlatique Sam le talent net de M. Baudelaire, avec des reflets de M. Hugo et d'Alfred de Musset, ici et là, tel est M. Verlaine. Pas un zeste de plus !

 

Les deux premières étapes de la relation sont terminées: on a, d’un côté, la lettre du jeune poète inconnu au maître sans la réponse de ce dernier et, de l'autre côté, le premier recueil du poète qui a mûri avec la réponse encourageante du maître. Ces barrières franchies, la prochaine étape sera naturellement la rencontre entre les deux hommes10.

 

II) La première visite.

Le 20 juin 1867, Hernani est repris au Théâtre‑Français, avec Mlle Favart dans le rôle de Doña Sol. Le succès est immense, et Verlaine s'y associe de deux façons. Tout d'abord, en adressant avec treize autres poètes de la nouvelle génération (Jean Aicard, Henri Cazalis, François Coppée, Emest d'Hervilly, Léon Dierx, Georges Lafenestre, Albert Mérat, Sully‑Prudhomme, Armand Renaud, Louis‑ Xavier de Ricard, Armand Silvestre, André Theuriet, Léon Valade) une lettre d’hommage à Victor Hugo. Cette lettre est reproduite dans Actes et Paroles, et compte au moins autant par ses signatures que par son contenu :

 

Cher et illustre maître,

 

Nous venons de saluer des applaudissements les plus enthousiastes la réapparition au théâtre de votre Hernani.

Le nouveau triomphe du plus grand poète français a été une joie immense pour toute la jeune poésie ; la soirée du Vingt Juin fera époque dans notre existence.

Il y avait cependant une tristesse dans cette fête. Votre absence était pénible à vos compagnons de gloire de 1830, qui ne pouvaient presser la main du maître et de l'ami ; mais elle était plus douloureuse encore pour les jeunes, à qui Il n'avait jamais été donné de toucher cette main qui a écrit la Légende des Siècles.

Ils tiennent du moins, cher et illustre maître, à vous envoyer l'hommage de leur respectueux attachement et de leur admiration sans bornes.

 

De cette lettre, il faut retenir le titre sans ambiguïté de "plus grand poëte français" décerné à Hugo, la division entre la génération de 1830 évoquée et la nouvelle génération, enfin le fait que la main de Victor Hugo ne soit pas celle qui a écrit Hernani mais la Légende des Siècles. On reconnaîtra ici l'influence des autres poètes plutôt que celle de Verlaine, dont on a vu qu'il se recommanderait plus volontiers d’Hernani que des derniers recueils. Le choix de la Légende rappelle évidemment que les signataires de cette lettre sont des poètes et non des dramaturges, mais ils auraient chronologiquement pu choisir le dernier recueil publié, Les Chansons des rues et des bois, ou bien, comme livre deleur génération, Les Contemplations. Ils sont tous nés dans les années 40, de 1833 pour André Theuriet à 1848 pour Jean Aicard ; et ils ont presque tous publié leur premier recueil de vers à l’époque du premier Parnasse contemporain, vers 1866. On pourrait donc imaginer qu'ils passent sous silence Les Chansons des rues et des bois pour une simple question de concurrence ; mais il est plus logique d'imaginer que, les quatorze signataires appartenant tous sans exception, et parfois même de très près, à l'école parnassienne, Victor Hugo est pour eux l'auteur de La Légende des Siècles, comme il était celui d’Hernani pour la génération de 1830. C’est ce parallèle éclairant qui ressort de leur lettre commune.

Pour l'instant, Verlaine ne se contente pas de cette lettre qui le fond parmi ses contemporains : il publie quatre jours plus tard, tout seul cette fois, un article dithyrambique dans L’International du 23 et 24 juin sur le spectacle. Il s'exclame : "Quel sublime cornélien mêlé à l'émotion shakespearienne avec je ne sais quoi de spécialement ému et sublime qui n'appartient qu'à Hugo !", il loue le travail de Vacquerie qui a surveillé les répétitions, la qualité des acteurs... "En somme glorieuse soirée, dont on sera fier plus tard de dire : "J'en étais !" puisqu'elle a consacré à jamais parmi nous le théâtre d'Hugo et réparé les injustices de la cabale classique de 1830. Retenons bien cette date: 20 juin 1867 ! " En somme, cet article reprend sur un ton plus personnel la lettre commune, avec cette distinction que 1867 est cette fois présenté non comme un équivalent contemporain de 1830, mais comme une revanche, une réparation et donc, d'une certaine façon, un dépassement de 1830. Le 22 juillet, Victor Hugo répond à la lettre des jeunes poètes, et nous allons voir qu'il va, d'entrée de jeu, habilement déplacer ce rapport 1830 / 1867 vers le rapport 1789 / 1830.

 

Bruxelles, 22 juillet 1867.

Chers poëtes,

 

La révolution littéraire de 1830, corollaire et conséquence de la révolution de 1789, est un fait propre à notre siècle. Je suis l'humble soldat de ce progrès. Je combats pour la révolution sous toutes ses formes, sous la forme littéraire comme sous la forme sociale. J'ai la liberté pour principe, le progrès pour loi, l'idéal pour type.

Je ne suis rien, mais la révolution est tout La poésie du dix-neuvième siècle est fondée. 1830 avait raison, et 1867 le démontre. Vos jeunes renommées sont des preuves à l'appui.

Notre époque a une logique profonde, inaperçue des esprits superficiels, et contre laquelle nulle réaction n'est possible. Le grand art fait partie de ce grand siècle. Il en est l'âme.

Grâce à vous, jeunes et beaux talents, nobles esprits, la lumière se fera de plus en plus. Nous, les vieux, nous avons eu le combat ; vous, les jeunes, vous aurez le triomphe.

 

Dans la perspective qui nous intéresse, cette lettre est d'un intérêt capital car, comme dissimulée dans des pages d'Actes et Paroles consacrées à Hernani, C'est d'une véritable lettre ouverte de Victor Hugo au Parnasse qu'il s'agit. Elle est écrite juste un an après la sortie du premier Parnasse contemporain, qui a pour caractéristique d'être à la fois la première et la plus importante manifestation du mouvement. Or, on sait que le détachement et l'impassibilité sont les mots d'ordre du Parnasse, qui se construit à bien des égards en réaction contre la figure du poète-prophète romantique. Sans doute grâce à La Légende des Siècles telle qu'elle est perçue à l'époque, Victor Hugo échappe d'une manière générale aux sarcasmes et aux attaques de la nouvelle génération, qui a plutôt choisi Musset comme tête de turc11. Aussi l'habileté de Hugo consiste‑t‑elle à récupérer la paternité de ce mouvement et de développer, à partir du parallèle juste évoqué dans la lettre, un syllogisme impeccable:

1°) 1867 confirme 1830.

2°) 1830 est l'équivalent littéraire de 1789.

3°) Donc 1867 est l'affirmation littéraire de 1789.

Il y a quelque chose d'énorme, pour reprendre un terme cher aux anti-hugoliens, dans le fait de s'adresser au Parnasse, qui clame partout son détachement des choses de ce monde, son désintérêt de la politique, et de l'instituer conséquence littéraire de la Révolution française. Plus encore, le triomphe est annoncé pour les successeurs : Hugo fait ici figure de Moïse, ce qui lui permet de donner au dix‑ neuvième siècle littéraire une unité que la politique ne lui donne apparemment pas. La suite de la lettre explique cette "logique profonde, inaperçue des esprits superficiels" :

 

L'esprit du dix-neuvième siècle combine la recherche démocratique du Vrai avec la loi éternelle du Beau. L'irrésistible courant de notre époque dirige tout vers ce but souverain, la Liberté dans les Intelligences, l'Idéal dans l'art. En laissant de côté tout ce qui m'est personnel, dès aujourd'hui, on peut l'affirmer et on vient de le voir, l'alliance est faite entre tous les écrivains, entre tous les talents, entre toutes les consciences, pour réaliser ce résultat magnifique. La généreuse jeunesse, dont vous êtes, veut, avec un Imposant enthousiasme, la révolution tout entière, dans la poésie comme dans l'état. La littérature doit être à la fois démocratique et Idéale ; démocratique pour la civilisation, Idéale pour l'âme.

 

La lettre sur la poésie est devenue une lettre réellement politique. Dans chaque phrase, faisant comme s'il n'avait pas compris la doctrine du Parnasse, Hugo la corrige en lui ajoutant son credo. Le Parnasse peut être satisfait, il retrouve sa «loi éternelle du Beau», son «Idéal dans l'art» ; mais combiné avec la "recherche démocratique du Vrai" et la "Liberté dans les intelligences". Au-delà du jeu sur les couples de mots à majuscules Vrai / Beau et Liberté / Idéal, Hugo dit au Parnasse qu'il n'est pas dans son siècle s'il dissocie ces valeurs ; il en va de l'esprit du dix-neuvième siècle" comme de "l'irrésistible courant de notre époque" : les poètes impassibles vont rester à côté. Tout se joue finalement dans l'écart entre le Lazare de Léon Dierx et celui de Victor Hugo... Celui de Victor Hugo, dans Châtiments12, est l'incarnation du peuple que le poète tente de ressusciter. Celui de Léon Dierx, un des poèmes phares du premier Parnasse contemporain, désespère d'être ressuscité et ne rêve que de mourir une seconde fois.

Ce paragraphe très démonstratif, presque redondant, s'achève avec, un élargissement général : les jeunes poètes sont une partie de la jeunesse et veulent donc, comme tout le monde, la révolution "dans la poésie comme dans l'état". Corollaire du dernier terme du syllogisme précédent, si 1867 est l'affirmation littéraire de 1789, il doit être aussi son affirmation politique. Le sommet de la démonstration est atteint ; les remerciements plus conventionnels peuvent maintenant venir.

 

Le Drame, c'est le Peuple. La Poésie, c'est l'Homme. Là est la tendance de 1830, continuée par vous, comprise par toute la grande critique de nos jours. Aucun effort réactionnaire, j'y insiste, ne saurait prévaloir contre ces évidences. La haute critique est d'accord avec la haute poésie.

Dans la mesure du peu que je suis, je remercie et je félicite cette critique supérieure qui parle avec tant d'autorité dans la presse politique et dans la presse littéraire, qui a un sens si profond de la philosophie de l'art, et qui acclame unanimement 1830 comme 1789.

Recevez aussi, vous, mes jeunes confrères, mon remerciement.

À ce point de la vie où je suis arrivé, on voit de près la fin, c'est‑à‑dire l'infini. Quand elle est si proche, la sorte de la terre ne laisse guère place dans notre esprit qu'aux préoccupations sévères. Pourtant, avant ce mélancolique départ dont je fais les préparatifs dans ma solitude, il m'est précieux de recevoir votre lettre éloquente, qui me fait rêver une rentrée parmi vous et m'en donne l'illusion, douce ressemblance du couchant avec l'aurore. Vous me souhaitez la bienvenue, à moi qui m'apprêtais au grand adieu.

Merci. Je suis l'absent du devoir, et ma résolution est inébranlable, mais mon cœur est avec vous.

Je suis fier de voir mon nom entouré des vôtres. Vos noms sont une couronne d'étoiles.

VICTOR HUGO.

 

On n’est pas étonné de voir à peu près disparaître 1867 à la fin de cette lettre : la grande critique d'aujourd’hui n'a finalement de différence avec celle de 1830 que son unanimité, et la fusion dans son esprit de 1789 et de 1830 cg la seule conséquence du recul chronologique. De la même façon, Hugo met syntaxiquement sur un pied d'égalité la presse politique et la presse littéraire. Les trois derniers paragraphes constituent la lettre proprement dite de réponse : à la fois cordiale et poétique, c'est celle que les auteurs pouvaient imaginer recevoir. En réintroduisant la politique dans la poésie parnassienne, Hugo avait fait son devoir : tenter de donner au Parnasse une mission. Tout se passe comme si Hugo avait très bien senti l'absence fondamentale de cohésion de ce mouvement et avait espéré lui en donner une. Mais choisir Verlaine comme interlocuteur, s'il s'agissait d'un choix poétiquement irréprochable, n'en était pas moins une erreur, à moins qu'il ait senti chez lui un défenseur tout à fait relatif des valeurs parnassiennes, un dissident potentiel.

Le ler août, le Journal de Bruxelles reproduit pour s'en moquer, la lettre des quatorze jeunes poètes à Victor Hugo. Cela réjouit Verlaine, qui écrit à Léon Valade : "Sachez que les journaux belges nous blaguent (à propos de l'adresse à Hugo ‑ ça bas-de-soie ‑), tout comme s'ils étaient Le Masque ou La Lune, les présomptueux. Oui, mon cher ami, nous voilà célèbres, ce qui est bien, et ridicules, ce qui est mieux, à Bruxelles, en Brabant, savez-vous ? Et nous y passons tous les quatorze, en toutes lettres, et sans coquille encore ! est-ce assez glorieux !" Verlaine a effectivement tout lieu de se réjouir, puisqu'il fait parler de lui et qu'on parle de lui, non seulement au-delà des frontières, mais dans la ville même où habite Victor Hugo à ce moment. Ces hommages répétés, qu'ils en soient la cause ou la conséquence, préparent et valident la visite de Verlaine à Bruxelles, dix jours plus tard, le 11 août 1867. Il est venu exprès pour rencontrer Victor Hugo ; il racontera cet épisode dans ses Croquis de Belgique, publiés en 1895. Ces croquis sont au nombre de trois : le premier retrace les souvenirs d'enfance de l'auteur en Belgique, le deuxième la visite à Victor Hugo, et le troisième parle plus brièvement de Bruxelles. Victor Hugo est donc le cœur  de cette oeuvre. On peut mettre en doute la mémoire de Verlaine dans ce récit, car il est écrit presque trente ans après ‑ l'erreur de date, dès le début, attire notre attention sur les aléas du souvenir:

 

C'est précisément à la suite d'un séjour dans les Ardennes belges que je me rendis, en août 186813, avec ma mère, veuve depuis deux ans, à Bruxelles, dans l'intention d'y voir Victor Hugo qui, tous les ans, quittait sa maison de Guernesey pour se rendre en villégiature chez son fils Charles.

 

Mais si les détails sont peut-être magnifiés par la distance, l'émotion atténuée par l'ironie, rien ne nous permet de mettre en doute le climat, l'ambiance d'un accueil du maître à un jeune disciple. Ce document est particulièrement intéressant, car c'est aussi une des seules descriptions que nous ayons de l'intérieur du 4 place des Barricades où Hugo vint tous les ans entre 1866 et 1871. Dès son arrivée à Bruxelles, Verlaine raconte qu'il se précipite chez le maître ; une bonne lui apprend qu'il West pas encore rentré, mais que "Madame" est là. C’est elle qui le reçoit.

 

Très gracieusement, elle me fit asseoir et me parla de moi, de mes travaux, de mes projets (Je n'ai pas dit que J'avais, par un mot écrit de la veille avant mon départ pour Bruxelles, prévenu le Maître de ma visite, d'où probablement l'invitation de la servante, sur mon nom énoncé, à entrer et attendre), m'assura de la grande sympathie de son mari pour les jeunes littérateurs et pour moi et mes vers en particulier ‑ ô la politesse ! [ ... ]

 

Le portrait de Mme Hugo par Verlaine en "Muse du Romantisme" est conforme aux photos d'elle prises à la fin de sa vie, avec en plus une sympathie manifeste de l'auteur. Il s'achève avec l'arrivée de son mari:

 

Comme j'en étais là, tout engagé dans une conversation qui me captivait véritablement et par elle-même et je crois encore, surtout par la personne et la personnalité plutôt encore de mon interlocutrice, la porte s'ouvrit, ‑ et Victor Hugo parut à mes yeux pour la première fois.

 

Verlaine confronte alors la réalité avec tous les portraits de l'auteur qu'il connaissait, pour conclure à la supériorité de la première. Hugo lui tend la main avant que sa femme ait fini de le présenter. Madame Hugo l'invite à dîner et se retire. L'entretien peut commencer.

 

A vrai dire, j'étais ému. Beaucoup. Dame ! J'étais, comme nous tous, doublement hugolâtre : 1830, le 2 décembre, ces deux dates me hantaient. Pourtant l'homme de génie commençait à m'imposer plus en Victor Hugo que l'homme de parti. Aussi fus‑je charmé de son accueil tout littéraire, et si gentiment littéraire !

Oui, j'étais ému, mais j'étais préparé. Et cette communion d'une heure avec la digne compagne du grand homme, ce quelque chose de lui qui était elle, et sa parole si suggestive, avaient, sinon rompu, du moins brisé ma timidité, et ce fut avec une aise modeste et, mon Dieu, l'avouerai‑je, avec une loquacité respectueuse que je causai avec lui.

Il me cita de mes vers ‑ ô sublime et doux roublard 1 Il flatta ma fierté d'enfant par une controverse qu'il souffrit paternellement que je soutinsse, à propos de quoi ? des premiers vers, des premiers articles que je publiais alors... Entre autres choses j'ai retenu ceci : "M. Leconte de Lisle est un poète très remarquable, mais je connais Achille, Vénus, Neptune: quant à Akhilleus, Aphroditè, Poseidon, serviteur ... » et mille autres choses judicieuses... Pour ce qui concernait l'Im‑pas‑si‑bi‑li‑té, notre grand mot d'alors, à nous Parnassiens, il ajouta: *Vous en reviendrez."

La conversation plana ensuite sur un monde de choses, et je me retirai très tard dans la soirée, avec la persuasion, chère à mon esprit et à mon cœur, que le Maître était, en outre, avec tous les défauts inhérents et indispensables à un homme digne d'être un homme, un homme exquis et un brave homme, au fond.

Que diable voulez-vous que je fisse à Bruxelles après cette aubaine ? M'en aller bien vite, emportant la bonne nouvelle à part moi : que Victor Hugo s'intéressait à moi !

Je m'en allai bien vite, parbleu !

 

Ainsi s’achève le deuxième "Croquis de Belgique". Avant de revenir à son contenu, citons encore le début du troisième, qui justifie qu'on puisse donner ce titre à un texte essentiellement sur Victor Hugo :

 

J'ai revu depuis Victor Hugo, souvent et beaucoup, Bruxelles aussi. J'abandonne à regret Victor Hugo et je reviens volontiers à Bruxelles.

 

L'espèce d'adéquation entre le proscrit et son provisoire pays d'accueil ne serait qu'une bizarrerie si on ne la trouvait pas aussi dans une page de Pauvre Belgique 1, page dont Verlaine ne pouvait pas avoir connaissance. On peut donc y lire comme un signe des temps, comme une image seconde qui tend à se superposer, pendant les dernières années de l'exil, à celle que tout le monde avait en tête, et à laquelle le vers célèbre de Banville donnera une forme définitive : "Mais le père est là-bas, dans l'île."14

Le récit de la rencontre entre Verlaine et Hugo nous apprend bien des choses ; il faut presque insister pour rappeler que Verlaine, à part ses très récentes manifestations dans la presse, était presque un inconnu et que rien n'annonçait son avenir littéraire. Rien, si ce n'est la plaquette des Poèmes saturniens. Sous prétexte que "Hugo disait la même chose à tout le monde", on a fini par n'accorder aucun crédit à ses réactions, par les taxer systématiquement, en confondant la poétique et la politique, de démagogiques. À tel point même, que l'on serait tenté de ne pas croire Verlaine quand il confie qu'il fut cité par Hugo. Mais alors pourquoi aurait‑il ajouté cette exclamation désabusée : "ô sublime et doux roublard !" ? Cela laisse entendre qu'il soupçonne Hugo d'avoir appris ses vers deux heures auparavant. Or, selon toutes les probabilités, cest à Guernesey que Verlaine avait envoyé les Poèmes saturniens, et l'on peut affirmer que Hugo ne les emportait pas dans ses bagages quand il voyageait sur le continent surtout que Verlaine prend bien soin de préciser qu'il n'a annoncé sa visite que la veille. Il faudrait alors en conclure le contraire : que les mots d'Adèle Hugo n'étaient pas qu'une "politesse", que son mari s'intéressait vraiment aux "jeunes littérateurs", ne fûtce que pour les convaincre de substituer l'action à l'impassibilité... La conversation le prouve d'ailleurs : loin d'être un de ces monologues de sourds à quoi se résument souvent les visites d'Académie (et dont Baudelaire voulut un temps tirer la matière d'un livre avant d'y renoncer sous prétexte qu'Hugo y avait déjà pensé), c'est un dialogue cordial où le disciple est encouragé par le maître dans ses confidences. On regrette les points de suspension dans le texte de Verlaine, car l'anecdote sur Leconte de Lisle émerge seule d'un "monde de choses". Leconte de Lisle était d'ailleurs le grand absent de l’adresse des jeunes poètes à Victor Hugo, mais peut-être était-il exclu de la liste par sa date de naissance (1818), qui fait de lui une figure intermédiaire entre les deux générations. Ce que l'on peut retenir de cette première rencontre, c’est que Hugo reçoit Verlaine comme un jeune ambassadeur du Parnasse et lui parle du présent ‑ voire de l'avenir, mais pas un instant du passé. La situation "d'égal à égal" qui pourrait passer à des yeux critiques (en partie ceux de Verlaine trente ans plus tard) comme une suprême mise en scène est en réalité beaucoup plus naturelle : Hugo entend bien profiter de ses séjours en Belgique, qui le rapprochent sensiblement de la France, pour ne pas perdre le contact avec l'actualité littéraire. En ce sens, recevoir Verlaine ‑en conservant l'hypothèse la plus défavorable, c'est-à-dire celle où Hugo aurait à peine découpé les poèmes de son hôte- participerait à peu près du même mouvement que celui de préfacer l’encyclopédique Paris Guide : ne pas devoir sa première place à un état de fait, ne pas s’endormir sous des lauriers dont le poids en eût écrasé plus d’un .

Pour compléter un peu le récit de cette visite, on dispose encore de quelques documents. Une phrase dans un des derniers articles de Verlaine consacré à Auguste Vacquerie15, prouve que la discussion n’avait pas été exclusivement littéraire :

 

N’ai-je pas entendu Hugo en plein dîner, à Bruxelles, dire solennellement: "Bonaparte, c'est une prostate."

 

Mais les autres documents ne sont pas politiques. Tout d'abord, un extrait de l'article de Verlaine "À propos d'un récent livre posthume de Victor Hugo" publié dans La Revue d'aujourd'hui du 11 juillet 1890. En citant de nouveau les vers selon lui faibles de "Ratbert", il raconte que Victor Hugo avait lu son article contre Barbey d'Aurevilly critiquant Hugo, et que les insuffisances de la défense ne lui avaient pas échappé.

 

Je me rappelle avoir, étant tout novice, écrit dans un taquin petit journal d'adolescents, l'ART (Lemerre, 1866 !), à propos justement de ces vers un peu gâteux, tout de même, on en conviendra, quelques lignes sincères qui m'attirèrent, lors de ma première "audience" place des Barricades, même année16, de très courtois mais je ne crus pas trop flatteur pour ma jeune vanité de croire irrités reproches du Maître, jaloux de revendiquer le passage, objet de ma critique, comme très bon et bien voulu. C'était son droit, mais m'est avis qu'il ne l'eût pas revendiqué et encore moins voulu vingt ans plus tôt.

 

Enfin, un mois après sa visite, Verlaine envoie à Hugo une lettre17 de remerciement développée, où l'on voit qu'il se présentait bien aux yeux du Maître comme un ambassadeur de la jeune génération :

 

Paris, 14 septembre 1867.

Cher, illustre et vénéré Maître,

 

Il m'a été impossible, en dépit de tous mes efforts, de réussir à mener à bonne fin les deux commissions dont vous avez bien voulu m'honorer et qui consistaient, d'une part, à vous faire parvenir l'article de Leconte de Lisle sur la Légende des Siècles, d'autre part à transmettre à Albert Glatigny vos bienveillantes paroles relativement à ses vers et à sa demande de jouer dans Ruy Blas.

J'ai pour la première de ces commissions, communiqué votre désir à Leconte de Lisle qui a perdu l'article et totalement oublié la date, même approximative, de son impression. Le Nain Jaune ayant depuis quelque temps changé nombre de fois de rédactions et de domiciles, ces péripéties ont entraîné la disparition de bon nombre de numéros parmi lesquels se trouve, sans nul doute, le numéro en question, car mes recherches, actives s'il en fut, et mes insistances n'ont absolument abouti qu'à mes mains vides et qu'à ma confusion.

Quant à Glatigny, il s'est, depuis le commencement d'août tellement éclipsé de Paris que ses plus intimes ignorent sa résidence actuelle. La nostalgie des planches et des toiles de fond l'aura repris, et il ajoute probablement, en attendant l'hiver et l'Alcazar, un nouveau chapitre à son Roman comique. Il n'est pas besoin de dire que, dès son premier signe de vie, je saurai faire ce qu'il convient. Soy quien soy.

Il me reste, cher Maître, à vous prier d'excuser ce bavardage et de recevoir l'expression de mon immense respect, ainsi que l'inaltérable affection de ma gratitude profonde. Mon bon ami François Coppée vous dira mieux que je ne saurais vous l'écrire le bonheur et la joie intarissables et bavards dont m'a comblé la charmante et fraternelle façon dont vous avez daigné me recevoir récemment.

En vous priant de faire agréer à Mme Victor Hugo l'hommage de mon profond et reconnaissant respect, je vous supplie encore une fois de me croire à jamais,

Cher, illustre et vénéré Maître,

Votre tout humble et dévoué serviteur et admirateur.

PAUL VERLAINE.

 

Je me recommanderai aussi au bienveillant souvenir de Mme Charles Hugo et de MM. Charles et François Victor Hugo.

P. V.

 

Verlaine apparaît bien de plus en plus comme l'interlocuteur de Hugo auprès du Parnasse : les deux auteurs à qui il doit faire passer un message n'avaient pas signé l'adresse à propos d'Hernani mais représentent deux grandes figures du Parnasse. D'un côté, Leconte de Lisle qui en est le modèle implicite ; de l'autre Glatigny, gracieux poète et comédien, qui en est une étoile montante. Que Hugo cherche à se procurer l'article de Leconte de l’Isle sur La Légende des siècles prouve à quel point, s'il en était encore besoin, il situe précisément l'enjeu du moment: on a l’impression qu'il cherche à mesurer ses chances de maîtrise du mouvement contemporain, ou tout au moins à évaluer sa position. Le troisième poète est évoqué par Verlaine avec une certaine insistance "mon bon ami François Coppée". Depuis 1866, la carrière de Coppée que l'on considère, grâce à son recueil Le Reliquaire dédié à Leconte de l’Isle, comme le véritable fondateur du Parnasse, a pris son essor et se distingue en cela de plus en plus de celle de son ancien ami Verlaine. L'insistance de ce dernier pour se réclamer de ce lien auprès du Maître peut être interprété comme une incitation supplémentaire à lui faire confiance, ou comme la crainte encore diffuse, mais partiellement justifiée, de se faire remplacer.

 

 

III) Des Poèmes saturniens aux Fêtes galantes.

Pour remercier Verlaine de ses bons offices, Hugo lui envoie son Paris dédicacé. En cette fin d'année 1867, les échanges entre les deux poètes sont constants et réguliers. Dès qu'il reçoit le livre, Verlaine répond à Hugo pour le remercier18.

 

Paris, 4 novembre 1867.

Cher et vénéré Maître,

 

Azans me remet à l'instant le Paris que vous avez bien voulu lui faire parvenir pour moi.

Je m'empresse de vous remercier du fond du cœur et de l'envoi et de la dédicace : double honneur dont je m'efforcerai d'être digne.

Je travaille en ce moment à un article qui paraîtra dans une quinzaine de jours et qui vous sera envoyé dès son insertion ‑ J'ose espérer qu'il ne vous déplaira pas.

Permettez-moi, Cher et vénéré Maître, de vous annoncer la prochaine publication de L'Odyssée et des Hymnes homériques par Leconte de Lisle, complément de sa belle Iliade.

Vous recevrez prochainement une lettre de Coppée vous mettant au courant des honteuses calomnies et des procédés inqualifiables dont Le Corsaire a jugé bon d'user à son égard. Le prochain numéro du Hanneton contiendra la polémique engagée à propos de ces méprisables manœuvres.

Vous témoignant de nouveau ma profonde gratitude, je vous prie d'agréer, cher et vénéré Maître, l'affectueux hommage de mon respect sans bornes.

PAUL VERLAINE.

Rue Lécluse, 26, Paris‑Batignolles.

 

Les rôles sont inversés depuis la lettre précédente : de porte-parole de Hugo auprès du Parnasse, Verlaine est devenu porte-parole du Parnasse auprès de Hugo. Cette fois, l'auteur de la lettre importe moins que son contenu, quand on essaye de savoir à quel point Hugo se tenait informé de l'actualité littéraire de son temps. Nous apprenons en même temps qu'il prenait ses renseignements à la meilleure source, et qu'il était au courant des moindres polémiques ‑ ne fût-ce qu'à travers les journaux qu'on lui envoyait. Si l'on complète ces renseignements écrits par les échanges avec Vacquerie, qui participa au premier Parnasse contemporain y apportant comme l'écho de Guernesey, on a le portrait d'un Hugo très conscient de ce qui se passait en France à la fin de l'Empire. Par sa correspondance et ses envois de livres, on peut aisément conclure qu'il ne subissait pas cet échange comme une forme d’hommage naturel, mais qu'il l'entretenait avec une attention certaine. Comme il l'avait annoncé, Verlaine publie le 24 novembre 1867 dans la Revue des Lettres et des Arts (dont le rédacteur en chef était Villiers de l'Isle-Adam) un article enthousiaste sur "Paris par Victor Hugo". Le 15 décembre 1867, à la même revue, il donne son poème "Les Loups" repris ultérieurement dans Jadis et Naguère. Il a alors pour épigraphe ces deux vers de Hugo tirés du poème dédié à Garibaldi La Voix de Guernesey19:

 

Vaste mancenillier de la terre en démence,

Le carnage vermeil ouvrait sa fleur immense.

 

Mais cette épigraphe n'est pas maintenue dans Jadis et Naguère qui paraît chez Vanier le 3 janvier 1885. Ce poème de trente et un quatrains d'octosyllabes à rimes croisées (le rythme le plus utilisé des Chansons des rues et des bois, bien que le sujet n’ait rien à voir puisqu'il s'agit du long récit d'un combat fait par des loups) est le seul de sa section ("Vers jeunes") à n'être dédié à personne. Les autres le sont successivement à Edmond Lepelletier, à Robert Caze, à Léon Vanier, à J.‑K. Huysmans, à Louis‑Xavier de Ricard. Est-ce à dire que la référence à Hugo aurait dépareillé cet ensemble de "jeunes" écrivains ? En tout cas, le remaniement de ce poème avant publication en recueil est minimal, presque inexistant, et ne saurait en aucun cas justifier l'abandon de l'épigraphe. Le premier choix de Verlaine s'apparenterait donc à une espèce de stratégie littéraire, dans la droite ligne de ce qui précède : maintenant que la rencontre a eu lieu, il s'agit de garder le contact. Nous trouvons une autre explication, plus concluante, dans ce billet20 que Verlaine écrit à Hugo, sur le ton de la conversation, mais toujours très respectueux. On y apprend que Hugo, fidèle à sa volonté de repolitiser le Parnasse, avait envoyé La Voix de Guernesey aux quatorze jeunes poètes qui lui avaient écrit

 

Paris, le 10 janvier 1868.

Cher et vénéré Maître,

 

La plupart, en effet, des signataires de l'Adresse à propos d'Hernani ont reçu la Voix de Guernesey, ‑ la poste, toutefois, n'étant pour rien dans cette bonne fortune.

Notre cœur, notre admiration et notre orgueil, cher Maître, saluent d'une immense gratitude l'envoi glorieux, les vers vengeurs, et le chef d’œuvre.

Votre lettre qui m'est elle, parvenue viâ Vandal, me récompense précieusement d'un devoir accompli. Mes efforts, j'ose l'espérer, confirmeront dans l'avenir l'extrême bienveillance dont vous voulez bien honorer, cher et vénéré Maître,

Votre tout dévoué et respectueux

PAUL VERLAINE.

 

Cette lettre de Hugo dont parle Verlaine a disparu, mais  nous avons assez d'éléments pour en reconstituer le contenu. On peut imaginer qu'il demandait à Verlaine, par exemple, l'adresse de tous les signataires de l'Adresse. La Voix de Guernesey fut écrite en trois jours, sous le coup de l'indignation, imprimée par Hugo à Guernesey et juste après à Bruxelles, puis envoyée en France et en Belgique. Si l'on en croit Jean Gaudon, dans la notice de l'édition Bouquins21, "ce n’est pas un poème très inspiré." Nul doute que Verlaine n'ait porté sur lui un regard plutôt critique. Il en a extrait, pour la publication de son poème en revue, une épigraphe à la manière d'un hommage discret ou d'un remerciement, voire d'un geste délicatement subversif envers les autorités qui n'allaient pas découvrir l'origine (non citée) de ces deux vers. Dix-sept ans plus tard, au moment de la publication en volume, cette allusion n'avait plus aucun sens. On est en droit de se demander si La Voix de Guernesey, envoyé individuellement à chacun des quatorze jeunes poètes par Victor Hugo, ne jouait pas le rôle d'illustration de l'art poétique énoncé dans sa lettre collective. Cette hypothèse se trouve confirmée par la proximité des deux textes dans Actes et Paroles II (1867 VII et VIII), ainsi que par l'originalité que représente la première publication d'un poème dans Actes et Paroles.22 Loin d'y voir le signe de sa faiblesse poétique, on peut y lire la revendication, surtout après la publication des Chansons des rues et des bois qui pouvait faire illusion, de l'importance de la politique dans la poésie, ou tout au moins de leur indissoluble union ‑ une leçon donnée au Parnasse.

Elle ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd en ce qui concerne Verlaine, puisqu'il vient se présenter à Auguste Vacquerie, directeur du Rappel, afin d'y donner des chroniques politiques23. Le premier numéro du Rappel date du 4 mai 1869 et s'ouvre par une lettre de Victor Hugo "aux cinq rédacteurs‑ fondateurs du Rappel"24. Entre autres missions esquissées, on peut lire celle-ci qui n'est pas nouvelle, mais dont la répétition même prouve à quel point elle tient à cœur à l'auteur:

 

Vous encouragerez le jeune et rayonnant groupe de poëtes qui se lève aujourd'hui avec tant d'éclat et qui appuie de ses travaux et de su succès toutes les grandes affirmations du siècle.

 

Quatre jours plus tard, dans le Rappel du 8 mai, paraît la première partie d'un poème de Verlaine intitulé "Au pas de charge" et signé BARRA (car la vignette qui sert d'enseigne au Rappel est un petit tambour). La deuxième partie du poème, qui ne contient pas d'allusion à Hugo (sauf, peut-être, une forme strophique qui évoque un peu celle des Chansons des rues et des bois : six quatrains d’heptasyllabes à rimes embrassées), paraît le 19 mai La première partie, en revanche, est à la fois politique et pro-Hugo, c’est-à-dire tout à fait dans le ton du journal. L'allusion à Gwynplaine s'explique par la parution en feuilleton de L’Homme qui rit dans le Rappel25.

 

Les petits tambours de l'an II,

Joyeux garçonnets hasardeux

Que les balles n'effrayaient guère

Ces tapins de la bonne guerre

Ne sont pas si morts qu'on le croit

Et dans la lutte qui s'accroît,

Iront frappant sur la peau d'âne.

 

M. Devinck26, que l'on condamne

À se porter, las! candidat

Avec l'impéri... al mandat

D'obéir à tous les ministres,

D'applaudir à tous les sinistres

Et d'approuver tous les chaos,

Regrette ses doux cacaos.

 

Je crains qu'Ollivier ne se blouse

En s'imaginant que la blouse

Et le paletot voteront

En faveur de son double front.

De nouveau Janus pourrait être

Désabusé, Morny, son maître,

Ne pouvant plus, du haut du ciel,

«Ecarter», cette fois, Bancel27.

 

Avant-hier, le dernier vestige

Du temps si fécond en prestige

Qui vit Brumaire et Waterloo,

Vint de l'autre côté de l'eau

Poser mainte et mainte Immortelle

À la grille devant laquelle

On est si fier d’être Français.

Coulez mes larmes, ‑ sans excès!

 

Cependant les poètes rêvent

Et leurs chants allés nous enlèvent

Dans les cieux immenses et clairs.

Ceinte de rayons et d'éclairs,

Voici venir l'œuvre du Maître

Dont l'éclat tournant nous pénètre

D'un tremblement religieux.

 

Le Poète prodigieux,

Cette fois encore, relève

Ceux que tient opprimés le glaive

Ou la loi des forts et, vengeant

L'Humanité, sur le méchant,

Fait luire, large éclair de haine,

Les trente-deux dents de Gwynplaine.28

 

Dans l'étude sur Vacquerie29 Verlaine rappelle cette époque, ses chroniques dans le Rappel, et les premiers vers de ce poème. Il nous paraît pourtant assez conventionnel, surtout si on le rapproche de ceux des Fêtes galantes qui sont parus quelques mois plus tôt. Ce second recueil est achevé d'imprimer le 20 février 1869 chez Lemerre (toujours à compte d'auteur) ; le service de presse se fait en mars.

Là encore, la critique a cherché ‑et trouvé‑ une multitude de sources à cette œuvre infiniment moins parnassienne encore que Les Poèmes saturniens. Jacques Robichez, dans son édition des Œuvres poétiques30 de Verlaine, les tient toutes pour secondaires, hormis "La Fête chez Thérèse". Il rappelle en effet, en se reportant à la biographie de Verlaine par Lepelletier31, que c'était un des rares poèmes que Verlaine sût par cœur et se plût à réciter.

L'œuvre ne remporte aucun succès cette fois encore, sauf un article de Banville dans le National32, et un billet de Victor Hugo, où ce dernier revient sur la visite de Verlaine à Bruxelles et précise ce qu'il représente pour lui :

 

Hauteville-House, 16 avril33.

 

Nul n'est poète, s'il ne l'est sous les deux espèces, qui sont la Force et la Grâce. Je me suis toujours figuré que c'était le sens de l'antique Double‑Mont Vous êtes digne, mon jeune confrère, de voler d'une cime à l'autre. Après les Fêtes galantes, livre charmant vous nous donnerez les Vaincus34, livre robuste.

On peut tout attendre de votre noble esprit. L'émotion, les larmes, la sympathie, c'est là qu'arrivera, après tant de pages excellemment poétiques, votre jeune et ter talent. Etre inspiré, c'est beau; être ému, c'est grand.

Vous savez qu'à Bruxelles je vous disais cette bonne aventure et je vous annonçais cet avenir. Vous êtes un des premiers, un des plus charmants, un des plus puissants, dans cette nouvelle légion sacrée de poètes que je salue et que J'aime, moi le vieux pensif des solitudes.

Que de choses délicates et ingénieuses dans ce joli petit livre, les Fêtes galantes ! Les Coquillages ! quel bijou que le dernier vers ! Je vous envoie tous mes vœux de succès et mon plus cordial shake-hand.

VICTOR HUGO.

 

Le billet de Hugo est sévèrement jugé par Jacques Borel dans la préface au recueil dans la Pléiade : « Un billet de Hugo du 16 avril, élogieux, emphatique, vague, comme il en écrivait à tous et à toutes, à Louise Colet comme à Baudelaire [...] ». En revanche, la réaction de Rimbaud dans la lettre à Georges Izambard du 25 août 1870 est longuement commentée... Citons-la donc intégralement :

 

J’ai les Fêtes galantes de Paul Verlaine. C’est fort bizarre, très drôle ; mais vraiment, c’est adorable. Parfois, de fortes licences ; ainsi : « Et la tigresse épou-vantable d’Hyrcanie" est un vers de ce volume.

 

Rimbaud focalise son commentaire sur un vers du poème "Dans La Grotte" tandis que Hugo, comme on vient de le voir, sur le dernier vers des "Coquillages" "Mais un, entre autres, me troubla." Sans parler même du reste de la lettre, si l'on se demandait une seconde lequel de ces deux vers est spécifiquement verlainien, dans sa nuance imprécise ou son aspect tremblé, le choix de Hugo paraîtrait plus perspicace que celui de Rimbaud ‑ qui s'était arrêté à une simple question de prosodie. On retrouve, dans le rapport entre toute cette glose admirative de trois lignes de Rimbaud et le souverain mépris dont on entoure une lettre de Hugo, une attitude presque systématique des critiques de poésie quand il s'agit de la période "après Baudelaire".

 

 

IV) Verlaine, Rimbaud et Hugo.

Il est fort peu probable. que Hugo ait jamais rencontré l'auteur du "Bateau ivre"35, mais il est en revanche certain qu'il a connu son existence par Verlaine. Rien de très poétique, pourtant, dans tout cela : Hugo y perd son image de Maître pour celle, plus surprenante, de conseiller conjugal.

Le 12 juin 1870, La Bonne Chanson est achevée d'imprimer. Il s'agit du recueil que Verlaine consacre à son futur mariage avec Mathilde Mauté. Mais le 19 juillet, c'est la déclaration de guerre à la Prusse ; la mise en vente du recueil sera retardée jusqu'en 1872. Son étrange destin sera résumé par la formule toujours citée, dont l'origine se trouve exclusivement dans les Confessions de Verlaine :

 

Victor Hugo me disait à son retour en France : "C'est une fleur dans un obus."

 

Le mariage, lui, n'est pas retardé : il est célébré le 11 août 1870 à la mairie de Montmartre (XVIIIème arrondissement) et à Notre-Dame de Clignancourt. Paul Foucher, le beau-frère de Victor Hugo, est l'un des deux témoins de Mathilde. Louise Michel, ancien professeur de Mathilde, est aussi présente. Deux raisons pour que le Maître soit tenu au courant. Verlaine lui rend sa première visite le 14 novembre. Hugo note : "Le soir Hetzel, P. Verlaine, L. Valade."36 Le 23 novembre, nouvelle visite : "Après le dîner sont venus Mme et Mlle Duverdier, Guérin, Paul Foucher, Paul Verlaine, Léon Valade."37 La semaine suivante, le 27 novembre, Verlaine retourne chez Victor Hugo pour lui présenter sa femme ‑ on retrouve la trace de cette visite, sur ses carnets, toujours sans commentaire : "Le soir M. et Mme E. Lefèvre, M. et Mme P. Verlaine, Valade, Allix, M., Mme et Mlle Duverdier."38 A la fin de cette année‑là, le 22 décembre, Verlaine envoie des vers à Victor Hugo, en invoquant l'état de sa gorge "littéralement en flammes" qui le prive de l'honneur et du plaisir d'aller les lui porter lui‑même39.

Dans ses Souvenirs de la Commune, Verlaine raconte l'insurrection de la Commune et l'enterrement de Charles Hugo, le 18 mars 1871.

Le 24 mai 1872, les Verlaine sont invités à dîner chez les Hugo avec les Burty. Verlaine vient de recevoir, à la suite d'une dispute avec Rimbaud, plusieurs coups de couteau dans les jambes. Hugo ne commente pas plus cette visite que les précédentes40. De juillet à septembre de cette même année, Verlaine s'installe à Bruxelles avec Rimbaud, au même hôtel que celui où il était descendu pour rendre visite à Victor Hugo41. Il y pense certainement, puisqu'il donne comme épigraphe au poème "Bruxelles / chevaux de bois"42 daté "Champ de foire de Saint-Gilles, août 72.", le célèbre début (deuxième strophe) du "Pas d'armes du roi Jeu" : "Par saint-Gille, / Viens-nous-en, Mon agile / Alezan ! "

En juillet 1872, Mathilde tente une dernière fois d'arracher Verlaine à Rimbaud et se rend à Bruxelles. Après de multiples atermoiements, Verlaine accepte de repartir avec elle, puis disparaît à la dernière seconde. Mathilde l'abandonne définitivement et rentre à Paris, où elle reçoit ce billet de son mari : "Misérable fée carotte, princesse souris, punaise qu'attendent les deux doigts et le pot, vous m'avez fait tout, vous avez peut-être tué le cœur de mon ami ; je rejoins Rimbaud, s'il veut encore de moi après cette trahison que vous m'avez fait faire."43 Ce billet, Mathilde Verlaine le montre à Victor Hugo à son retour à Paris, en même temps qu'elle doit lui raconter toute l'histoire. C’est pourquoi l'on peut lire, à la date du 3 août 1872, sur le carnet de Hugo :

 

Effroyable histoire de Paul Verlaine.

Pauvre jeune femme ! Pauvre petit enfant ! Et lui-même, qu'il est à plaindre !

 

Le 4 octobre 1872, Verlaine écrit de Londres, où il est avec Rimbaud, à Victor Hugo pour le prier d'intervenir auprès de Mathilde.

 

Londres, le 4 octobre 1872.

Mon cher Maître,

 

Je n'ai pas voulu, lors de mon départ de chez mon beau-père, vous importuner de mes affaires particulières, ni opposer une importune apologie aux récriminations dont n'aura pas manqué de vous accabler ma trop jeune femme...

L'intérêt qui s'attache à une jeune femme quittée est trop légitime pour que je songe à invoquer d'autre "excuse" que celle-ci : C'est moi le quitté. Quitté pour mon beau-père, pour une coterie qui m'a trouvé trop sévère, mais faible, durant plus d'un an, quitté par un caprice de pensionnaire infatuée, à cause de la Bonne Chanson et de mon inqualifiable faiblesse vis à vis de tous ses caprices...

 

Gustave Simon, dans son article de 1924, a censuré cette lettre qui n'est reprise nulle part ailleurs. Il ne nous reste donc qu'à citer son bref résumé de la suite : "Je ne saurais reproduire ici tous les détails de sa lettre, toutes les récriminations qui ont un caractère trop personnel. Toujours est-il que Verlaine rappelle "les lettres d'adjuration" adressées à sa femme pour la prier de venir le retrouver à Londres ou n'importe où, et ses lettres restées sans réponse." Il confie : "Je tâche à me consoler par un travail incessant." Et la lettre se termine par ce post-scriptum : "Quel beau jour celui où vous m'écririez une lettre bien douce !" Il est étonnant de constater avec quelle rapidité la correspondance entre les deux poètes est passée de la littérature à l'intimité. C’est à peine faire de la psychologie de bazar d'en conclure, comme Gustave Simon, que Verlaine a trouvé en Victor Hugo un père.

Nous n'avons pas la réponse de Hugo. L'année suivante, le 10 juillet 1873, Verlaine tire, à Bruxelles, sur Rimbaud. Il est emprisonné à la prison des Petits Carmes, d'où il écrit à nouveau à Hugo, le 20 juillet, pour le prier d’intervenir auprès de Mathilde. Cette lettre devait avoir la même tonalité que les fragments de la précédente ; avant même sa conversion, le penchant de Verlaine pour la confession ne fait pas de doute. Le 26 juillet44, Hugo répond

 

Mon pauvre poëte,

Je verrai votre charmante femme et lui parlerai en votre faveur, au nom de votre doux petit garçon. Courage et revenez au vrai.

 

Grâce au prestige de l'auteur de ce mot, Verlaine sera mis à la pistole des prévenus, c'est-à-dire soumis à un système de détention un peu plus clément. Il lui répond le même jour pour le remercier et, cette fois, le texte de sa lettre a été conservé :

 

Bruxelles, samedi, 26 juillet 1873.

 

Je reçois à l'instant votre lettre, mon cher Maître, et je m'empresse de vous envoyer toute l'expression de mon infinie gratitude. Je savais bien, en vous écrivant sincèrement, dans toute l'expansion de mon affreux chagrin, que je vous toucherais et que vous viendriez à mon secours. Merci mille et mille fois encore pour tant de bonté, je saurai m'en montrer digne.

Un instant de folie compliquée et provoquée par de longues et secrètes souffrances m'a fait quitter la voie heureuse et calme où j'étais enfin entré et rentré après d'atroces angoisses. Pourtant je puis témoigner que dès le lendemain je m'efforçais (il y a juste un an de cela) d'y revenir par tous les moyens. J'ai fait deux fois le voyage de Londres en Belgique à cet effet. Que de lettres n'ai-je point écrites, toutes suppliantes, toutes sincères, d'ici, de Londres, du pays de mon père (Luxembourg belge), où j'ai passé tout le mois de mai dernier ! De désespoir j'étais retourné à Londres, où je m'étais arrangé une vie d'étude et de travail qui n'eût pas manqué de porter de bons fruits, si l'impérieux besoin de revenir "au vrai" ne m'eût pas fait tenter cette dernière et désespérée démarche que les circonstances et un misérable vertige ont convertie en ce dernier malheur.

J'ai, dans ma triste situation, la consolation d'avoir autour de moi d'admirables dévouements. Ma pauvre mère, accourue aussitôt ici, s'est exilée et me consacre tout son temps. Un ami de ma famille a fait tout exprès le voyage de Paris. Je compte à Bruxelles des cœurs généreux qui s'emploient pour moi. Enfin l'ami que j'ai eu le malheur de blesser s'abstient de toute poursuite et ne me laisse pas sans nouvelles de lui. J'ose croire que la justice me tiendra compte de la franchise de mes réponses non moins que de l'état absolument anormal où je me trouvais en ce jour funeste.

Pourquoi faut-il que je ne puisse, sans crainte de n'y plus voir que l'indifférence ou que la haine, penser à celle qui est tout mon avenir comme elle était, comme elle est encore ma plus profonde affection !

 

Mais vous me dites d'espérer. J'espère. Aussi bien ne puis-je en arriver, même après cette année affreuse, à me convaincre que cet éloignement est définitif. La présence même de cet enfant devrait m'être un garant du cœur de la mère. En me supposant tous les torts, en admettant toute justice dans les résolutions prises à mon égard, n'y a-t-il pas là un petit être innocent, dont le nom est en cause, qu'un rejet de mes incessantes prières ferait bien plus tristement orphelin que cette mort que j'avais tant souhaitée, et depuis si longtemps ? Je disais plus haut que j'espérais: hélas! j'attends!

M'écrira-t-elle, ou sera-ce à vous qu'elle répondra ? Dans ce dernier cas, dois-je compter sur un mot de vous, m'apprenant les choses quelles qu'elles soient ? Enfin, quand vous serez à Paris, vous la verrez, n'est-ce pas ?

Tout ceci fut l'affaire de l'imagination, des nerfs, d'une sensibilité maladive, peut-être aussi ‑pour une part‑ de l'affreux alcool, triste solatium, bien répudié.

Elle doit comprendre pourquoi je n'ai pas été à Paris même. Si dernièrement j'avais dans la tête d'y aller, ce n'eût pas été pour vingt-quatre heures et vous savez pourquoi, ‑ elle aussi maintenant.

Mon cher Maître, je continue à mettre toute ma confiance et toute ma confidence en vous.

Agréez ma respectueuse et bien affectueuse reconnaissance.

PAUL VERLAINE

Aux Petits ‑Carmes.45

 

La lettre de Verlaine est aussi longue que le billet de Hugo est court, mais il faut faire la part de l'émotion et de la rapidité fiévreuse que l'on sent dans la réponse reconnaissante. Elle ne perd jamais de vue les quelques mots de Hugo, qu'elle cite et développe : d'abord le retour "au vrai", puis l'appel au "courage" et enfin le rôle de l'enfant. Un simple regard sur les en-tête et les formules de politesse permet de lire l'évolution des relations entre les deux poètes, qui nous paraît d'autant plus rapide qu'il nous manque quelques lettres. Mais cette intimité est le fruit d'un moment de crise et cessera dès le transfert de Verlaine à la maison d'arrêt de Mons. La présence de Hugo comme quatrième personnage dans le trio composé par Verlaine, sa femme et Rimbaud apparaît finalement comme une bizarrerie de l’histoire littéraire. S'il ne prend pas officiellement parti pour ou contre Verlaine, Hugo prend en tout cas au sérieux son rôle d'intermédiaire, puisqu'on lit quelques jours plus tard sur son carnet, le 9 août 1873 :

 

‑ déjeuné en tête à tête avec J. J. nous ferons ainsi tous les jours tant que nous serons dans la villa Montmorency, après le déjeuner nous sommes allés ensemble à Paris46, puis je l'ai ramenée à la villa, où elle a trouvé Mme Verlaine qui venait nous parler de l'affaire de Bruxelles.

 

Pas plus que celle de Verlaine, la rhétorique de Hugo ne parvint à convaincre une Mme Verlaine qui avait opté pour une séparation définitive. Pendant ces échanges épistolaires, Rimbaud terminait Une Saison en enfer dans les Ardennes, à Roche. Le 25 octobre 1873, Verlaine est transféré en wagon cellulaire à la prison de Mons, où il restera deux ans ‑ le temps de se convertir. À sa sortie, il pense encore à Rimbaud, puisqu'il adresse à Ernest Delahaye, le 24 août 1875, un "Vieux Coppée"47 intitulé : Ultissima Verba. " Il est signé F.C., avec la mention : "crayonné il y a deux jours et déjà propagé". Un dessin représente Rimbaud assis devant une table chargée de verres et de bouteilles et compulsant un gros dictionnaire48. Verlaine, dans ce dizain, fait parler Rimbaud que l'on reconnaît à son vocabulaire ordurier ; il dit ce qu'il pense de Quatrevingt‑Treize49, publié le 19 février 1874.

 

Épris d'absinthe pure et de philomathie50

Je m'emmerde et pourtant au besoin j'apprécie

Les théâtres qu'on peut avoir à la Gatti.

Quatre-vingt-treize a des beautés et c'est senti

Comme une merde, quoi qu'en disent Gros et Tronche

Et l'Acadême où les Murgers boivent du ponche.

Mais plus de bleus et la daromphe m'a chié.

C'est triste et merde alors et que foutre ? J’y ai

Pensé beaucoup. Carlisse ?51 Ah! non, c'est rien qui vaille

A cause de l'emmerdement de la mitraille !52

 

C'est par ce dizain où Verlaine donne à la parole de Rimbaud la forme de Coppée avec un titre violemment inspiré de Châtiments et une allusion à Quatrevingt-treize que se termine ce que l'on peut dire du lien entre Victor Hugo et le couple Verlaine-Rimbaud.

 

 

V) 1875‑1885.

À partir de 1875 et jusqu'à la mort de Victor Hugo, les relations entre les deux poètes sont très distendues. Verlaine date du 14 septembre 1876 un poème intitulé "Londres"53, qui a pour épigraphe un vers de Hugo emprunté au poème "France et Ame", de la Nouvelle Série de la Légende des Siècles : "... un grave Anglais correct, bien mis, beau linge."54 Le lien entre les deux poèmes est assez ténu, puisque celui de Verlaine est un tableau (élogieux) d'un dimanche d'été à Londres (soleil et cloches), et ne peut se rattacher à celui de Hugo que par l’Anglais évoqué ci-dessus, Darwin en l'occurrence55. Ce qu'il nous apprend surtout, c'est que Verlaine, installé en Angleterre, lit les poèmes de Hugo qui paraissent ‑ indice de son actualité littéraire en 1876. En décembre d'ailleurs, alors que Verlaine revient en France pour y passer les vacances scolaires, il envoie encore quelques uns de ses poèmes à Victor Hugo56. Ce dernier lui répond le 24 décembre, et la conclusion du billet prouve qu'il a perdu de vue le couple définitivement séparé des Verlaine :

 

Vos vers sont tout bonnement superbes. J'ai une belle part, les avoir inspirés ; vous en avez une non moins belle, les avoir faits. À bientôt. Mettez-moi aux pieds de votre charmante femme.57

 

Sauf preuve du contraire, il semble que ce soit là le dernier contact entre les deux poètes. Je ne sais pas si le poème de Verlaine "À Victor Hugo, en lui envoyant Sagesse" a été vraiment adressé à Victor Hugo en lui envoyant Sagesse, recueil publié en décembre 1880. Il est daté, sur le manuscrit, Arras, le 18 8bre 1880. Il fut envoyé d'Arras à Emile Blémont le 15 décembre 1880 et fut publié pour la première fois dans le numéro de Lutèce du 3‑10 janvier 1886 sous le titre collectif "Sonnets malsonnants" ‑ avant d'être intégré au recueil Amour. Il existe quelques variantes peu significatives entre les trois versions de cette espèce d'autobiographie testamentaire où rentre une nouvelle question religieuse:

 

Nul parmi vos flatteurs d'aujourd'hui n'a connu

Mieux que moi la fierté d'admirer votre gloire:

Votre nom m'enivrait comme un nom de victoire,

Votre oeuvre, je l'aimais d'un amour ingénu.

 

Depuis, la Vérité m'a mis le monde à nu.

J'aime Dieu, son Église, et ma vie est de croire

Tout ce que vous tenez, hélas ! pour dérisoire,

Et J'abhorre en vos vers le Serpent reconnu.

 

J'ai changé. Comme vous. Mais d'une autre manière.

Tout petit que je suis J'avais aussi le droit

D'une évolution, la bonne, la dernière.

 

Or, je sais la louange, ô maître, que vous doit

L’enthousiasme ancien ; la voici, franche, pleine,

Car vous me fûtes doux en des heures de peine.58

 

Ce sonnet est assez peu ambigu, et résume bien la position de Verlaine : à l'amour de jeunesse porté à l'œuvre s'oppose la haine du présent ‑ c'est bien d'une conversion qu'il s'agit aussi bien religieuse que poétique. La louange de la fin n’est pas due à la qualité des poèmes mais au soutien apporté par Hugo à Verlaine en 1873 ; elle n'est nullement spontanée mais tient du devoir. Encore une fois, l'autobiographie a pris le pas sur la littérature. Image cohérente et blasphématoire du retournement de situation évoqué par ce sonnet religieux, Verlaine raconte à Charles Morice 59qu'à Coulommes, il avait accroché sur son mur un Victor Hugo à l'envers: "Victor Hugo (Le Petit pinxit) en soleil couchant y figure la tête en bas, parce qu'il l'a mé‑ri‑té. " Il s'agit sans aucun doute de la couverture du Grelot du 11 mars 1883, dessin d'Alfred Le Petit sur lequel Hugo, revêtu d'une toge, ceinturé d'un nuage, dominant de très haut le monde sur lequel ses pieds reposent encore, est un dieu dont le crâne est déjà transformé en soleil60. Sans aller jusqu’à y voir l’accomplissement du meurtre du père, il y a dans ce geste de la part de Verlaine un peu plus que l’exaspération d’un converti devant la divinisation d’un mortel : sa conformité avec le contenu du sonnet en est une preuve.

Le jour des obsèques de Victor Hugo, Verlaine se trouve à côté de Juniville, au sud de Rethel (Champagne pouilleuse). Son ex-femme, en revanche, assiste à la cérémonie et écrit dans ses mémoires: "Mon divorce fut prononcé en 1885, la dernière fois que je signai du nom de Mathilde Verlaine fut sur le registre mortuaire de Victor Hugo." Coïncidence surprenante, c'est le jour même de la mort de Victor Hugo que l'acte d'état civil consécutif au jugement de divorce des époux Verlaine fut établi.

La panthéonisation de Victor Hugo va considérablement marquer Verlaine ; il y revient sans arrêt dans son oeuvre ultérieure, avec la constante fascination qui est la sienne pour les honneurs auxquels il n'a pas droit: l’Académie française et le panthéon. Deux chapitres des Mémoires d'un veuf lui seront consacrés : "Monomane" est une sorte d'étrange poème en prose, et "Panthéonades"61 une pantalonnade qui commence ainsi :

Eh quoi ? l'auteur exquis de si jolies choses, Sara la Baigneuse, Gastibelza-l'homme-à-la-Carabine, Comment, disaient-ils, En partant du golfe dOtrante, Me voici, je suis un éphèbe, Dormez (bis), ma belle, Par saint Gille, Viens-nous-en et caetera, ils l'ont fourré dans cette cave où il n'y a pas de vin ! Oh ! [ ... ]

 

De même que Verlaine a pour spécialité de citer les vers de mémoire dans ses articles de critique, c'est-à-dire de les transformer systématiquement à son goût, il prend un malin plaisir à rebaptiser la plupart des poèmes qu'il aime. Il n'est pas jusqu'au fameux testament de Victor Hugo qui résiste à ses sarcasmes, puisqu'il en publie une contrefaçon plus courte, sous le titre de "Mon Testament"62:

 

Je ne donne rien aux pauvres parce que je suis un pauvre moi-même.

Je crois en Dieu.

PAUL VERLAINE.

 

Il est temps d'ouvrir une conclusion partielle sur ce que fut Verlaine pour Hugo. Il lui apparut au début comme un interlocuteur privilégié de sa génération, sans doute pour son œuvre poétique, certainement aussi pour la position qu'il paraissait appelé à prendre dans le mouvement naissant. Son engagement dans le Parnasse ‑aussi réel dans sa vie que tourné en dérision dans son œuvre, aussi vite formulé qu'oublié‑ faisait aussi de lui une figure en porte à faux, et cette position anti-dogmatique ne pouvait que rassurer un Hugo que les impassibles admirateurs de Leconte de Lisle devait inquiéter. Plus tard, c'est par l'intermédiaire d'autres interlocuteurs que Victor Hugo gardera le contact avec la génération parnassienne : François Coppée ou Théodore de Banville me semblent en ce sens avoir pris la succession de Verlaine. Mais, curieusement avec aucun de ces jeunes poètes l'échange ne prendra le tour intime et familier de la correspondance entre Verlaine et Hugo ‑ elle restera sur la lancée des éloges, des encouragements et de l'enthousiasme. Bien sûr, cette correspondance intime est beaucoup plus le fait de Verlaine que de Hugo, mais ce dernier a accepté de le suivre sur ce terrain. À l'inverse, il ne faudrait pas non plus exagérer l'importance de Verlaine aux yeux de Hugo : on a vu qu'après l'exil, au moment où les visites que Verlaine lui rend sont nombreuses à Paris, son nom n'est jamais accompagné du moindre commentaire sur ses carnets. De même, les jugements de Hugo sur Verlaine ne sont pas légion. Le dernier que l'on puisse citer est celui que reprend Verlaine dans son article sur Verlaine dans Les Hommes d'aujourd'hui :

 

Féroce et doux", Victor Hugo a baptisé Verlaine en Abd‑el‑Kader.63

 

La rupture des liens dans les dernières années ne surprend pas le maître : nulle part, on ne trouve de question à ce propos : ils se sont perdus de vue. Le silence de Verlaine ne venait pas uniquement de son isolement relatif à cette époque car, sitôt Hugo panthéonisé, son mutisme va se transformer en bavardage presque ininterrompu.

 

 

VI) Règlement de compte.

En 1886, Verlaine publie Les Mémoires d'un veuf. Un chapitre porte un titre riche d'enseignement : "LUI TOUJOURS ‑ ET ASSEZ"64. On reconnaît le fameux incipit du poème "Lui" des Orientales consacré à Napoléon "Toujours lui ! Lui partout !", mais divisé, inversé et prolongé par un commentaire irrespectueux. On pourrait y voir comme le symbole du travail accompli par toute cette génération pour se débarrasser de Hugo : Banville, dans les Occidentales, se contentant de la première phase (renversement parodique), semblable en cela à Corbière ; tandis que Verlaine achève le mouvement. Ce chapitre ne parle d'ailleurs pas d'autre chose que de la mort de Hugo, c'est une sorte de participation rétrospective à l'enterrement. Il commence par développer une hypothèse qui eût invalidé notre sujet de thèse, et qui ne fait d'ailleurs que reprendre un leitmotiv de l'hugophobie à partir de l'exil :

 

[…]

Il eût fallu que Victor Hugo meure vers 1844, 45, au lendemain des BURGRAVES. Fort de trois BALLADES : Les Bœufs qui passent, Le Pas d'armes, La Chasse du Burgrave, des ORIENTALES, où il y a une perle, Les Tronçons du serpent, des quatre recueils de vers intimes rarement politiques (si peu en tout cas), LES FEUILLES DAUTOMNE, etc., qui constitueront sa vraie gloire de bon poète de demi-teintes, de son théâtre et de ses trois premiers romans, BUG, HAN, N.‑D. DE PARIS, si drôles par places, surtout le théâtre en prose et HAN, nous voudrions qu'il n'eût laissé que cela et eût disparu contesté. Les fières funérailles alors ! [ ... ]

J'oubliais, dans l'énumération des œuvres à conserver, le RHIN, de cette époque d'ailleurs, bien supérieur, je le dis, aux VOYAGES âgés et puérils de Théophile Gautier, et où se trouve l'adorable conte du Beau Pécopin. (Ah, Gautier ! Mlle DE MAUPIN, Ténèbres, ÉMAUX ET CAMÉES, trois chefs-d’œuvre et c'est tout, et déjà beau !)

Oui, tout ce qui part des CHÂTIMENTS, CHÂTIMENTS compris, m'emplit d'ennui, me semble turgescence, brume, langue désagrégée, l'art non plus pour l'art, incommensurable, monstrueuse improvisation, bouts-rimés pas variés, ombre, sombre, ténèbres, funèbres, facilité déplorable, ‑ ô ces CONTEMPLATIONS, ces CHANSONS DES RUES ET DES BOIS ! ‑ manque insolent platement de la moindre composition, plus nul souci d'étonner que par des moyens pires qu'enfantins. [ ... ]

 

Suit une violente critique de Châtiments, dont Verlaine se plaît à ne conserver que deux vers: "Ne frappe pas..." et "Et s'il n'en reste qu'un..." Quatre ans auparavant pourtant, dans une longue lettre ouverte à Charles Morice publiée par sa revue Nouvelle Rive Gauche (n° 8)65, Verlaine était revenu sur son "Art poétique" qui avait été durement attaqué. Il avait alors écrit : "Nul plus sincère admirateur que moi de Musset dans Mardoche, d'Hugo dans les Châtiments et d'Heine dans Atta‑Troll " Tout se passe comme si la mort de Hugo avait libéré l'expression, à moins de mettre ce revirement sur le compte de l'extrême versatilité verlainienne.

 

Oui, LA LÉGENDE DES SIÈCLES content de nobles contes épiques, dont quelques‑ uns, Le Petit Roi de Galice, Eviradnus, peuvent soutenir la comparaison avec tel ou tel poème arthurien de Tennyson. Mais quelle philosophie, quelle théologie, quelles vues sur l'horizon social, quelle pauvreté dans quelle dysenterie sesquipédalienne !

Le reste de l'œuvre d'à partir des CHÂTIMENTS ne vaut pas l'honneur d'être nommé ; et quand j'aurai avoué qu'il y a des choses dans LES MISÉRABLES, cet arlequin, et dans QUATRE‑VINGT‑TREIZE, laissez-moi retourner au Victor Hugo de Pétrus Borel et de Monpou !

Quelqu'un m'a, d'ailleurs très courtoisement, taquiné sur ce que J'avais nommé Hugo l'auteur de Gastibelza‑l'homme‑à‑la‑Carabine, pour tout potage. D'abord, oui, Il en est l'auteur, l'auteur il en est. Ensuite Gastibelza dépasse toute son œuvre. Il y a ENFIN là du cœur et des sanglots et un cri formidable de jalousie, le tout exprimé magnifiquement dans un décor superbe. Trouvez-m'en un autre, de Gastibelza, dans tous ces volumes!

C'est qu'Hugo n'a jamais parlé d'amour que banalement ou en homme qui (du moins c'est ce dont témoignent ses écrits) fut toute sa vie envers les femmes un simple Pacha. [... ]

 

Ce thème est le nouveau cheval de bataille de Verlaine. Il y reviendra plus d'une fois en comparant, dans l'œuvre de Hugo, les jeunes filles (par exemple : "petites horreurs fadasses et bébêtes") aux éphèbes tous réussis. Pierre Albouy fait de cette remarque qu'il apprécie, dans son article sur "La Vie posthume de Victor Hugo"66, la véritable réponse de Verlaine au conseil que lui avait donné Hugo de revenir au vrai. À la fin de l'article, Verlaine reprend ses rêves de parricide, accompagnés de captation d'héritage :

 

Moi qui connus l'homme dès avant 1870, et, quelque temps depuis, qui même eus à me louer, comme j'allais devenir ce pauvre veuf-ci, de sa commisération et de son amitié, qui, poète, ai eu plus qu'eux le droit de m'intéresser à la manière d'être glorieux et glorifié de mon maître au tombeau, je le prends, le mien de jour, et c'est aujourd'hui, et je le répète, et je le suis, Légion : Hugo est mort trop tard, il s'est survécu, mais son seul héritage sérieux est nôtre, et nous le défendrons, mes beaux messieurs du premier juin mil huit cent quatre-vingt-cinq !

 

Verlaine est une figure emblématique de cette génération qui a vingt ans au moment où paraissent Les Chansons des rues et des bois. Qu'il date précisément de sa naissance son désir d'enterrer Victor Hugo prouve à quel point la présence de ce dernier a pu être gênante pour un poète contemporain ‑ et beaucoup moins sa présence physique (Gautier non plus n'était pas mort et Verlaine lui règle son compte entre parenthèses) que sa présence dans les librairies au rayon nouveautés. Si la sincérité West pas absente de l'éloge du passé, la polémique transforme la critique du présent en énorme blague, à la manière de Huysmans : la prise de position de Verlaine plaçant le poème "Guitare"67 au dessus de tout le reste West pas sans rappeler celle de Des Esseintes qui n'admire d'Hugo que Les Chansons des rues et des bois. On voit qu'ici, le choix de Verlaine va simplement à rebours d’À rebours : sa situation de "concurrence directe" avec le maître dans le roman de Huysmans ‑dont le jugement critique n'est pas susceptible d'être entaché par un intérêt personnel, car il avait renoncé depuis longtemps à la poésie versifiée‑ n'y est certainement pas étrangère.

 

 

VII) Derniers jugements de Verlaine sur Hugo.

Le 15 mars 1890 paraît, dans le troisième numéro de la Revue d'aujourd'hui un important article de Verlaine écrit à l'occasion de la réédition des Poèmes saturniens. Il porte le titre Critique des Poèmes saturniens, mais le passage que nous allons citer serait plutôt une critique des poètes contemporains.

 

[ ... ] J'ai aussi abandonné, momentanément, je suppose, ne connaissant pas l'avenir et surtout n'en répondant pas, certains choix de sujets : les historiques et les héroïques, par exemple. Et par conséquent le ton épique ou didactique pris forcément à Victor Hugo, un Homère de seconde main après tout et plus directement encore à Monsieur Leconte de Lisle qui ne saurait prétendre à la fraîcheur de source d'un Orphée ou d'un Hésiode, n'est-il pas vrai ? Quelles que fussent, pour demeurer toujours telles, mon admiration du premier et mon estime (esthétique) de l'autre, il ne m'a bientôt plus convenu de faire du Victor-Hugo ou du Monsieur Leconte de Lisle, aussi bien peut-être et mieux (ça s'est vu chez d'autres ou du moins il s'est dit que ça s'y est vu) et j'ajoute que pour cela il m'eût fallu, comme à d'autres, l'éternelle jeunesse de certains Parnassiens qui ne peut reproduire que ce qu'elle a lu et dans la forme où elle l'a lu.

 

Verlaine a toujours eu un compte à rendre personnel avec Leconte de Lisle, mais son jugement sur Hugo paraît de plus en plus négatif. Les deux auteurs, qui se sont succédé sur le même siège à l’Académie française, semblent s'être réunis de la même façon dans la pensée de Verlaine68 sous la forme de la poésie épique. Cette rancune peut aussi venir d'une déception personnelle de Verlaine qui avait annoncé un immense poème intitulé Rosaire et qui "comprendrait depuis Adam et Eve jusqu'à présent. Toutes les civilisations, toutes les légendes... Je tiens à peu près le plan qui est tout théologique [ ... ] " Certaines litanies de Sagesse et de Bonheur nous donnent une idée de ce qu'aurait été ce Rosaire, et font occuper à Verlaine le rôle assez exact d'intermédiaire entre Hugo et Péguy. Quand il y aura renoncé, il reprendra le reproche de Barbey d'Aurevilly à Hugo, tout en inversant la critique de Baudelaire69, de n'avoir pas réalisé "l'Épopée française" :

 

[...] croyez-vous que Victor Hugo eût moult perdu à restreindre un tantinet ces interminables Misérables et à nous priver des quelques grandes beautés éparses dans ses derniers et avant-derniers romans, s'il eût consacré le temps dépensé à ces amusettes de sa plume d'oie et d'aigle, à faire Dieu, à finir et polir La Fin de Satan, et à nous gratifier ainsi, avec les Légendes des siècles complètes, elles, de l'Épopée française, que seuls ses qualités et ses défauts pouvaient trouver en cet instant des temps ?70

 

Cette même année 1890 semble être mise à profit par Verlaine pour une entière mise au point sur Victor Hugo : c'est le 11 juillet que paraît dans La Revue d'aujourd'hui l'article "À propos d'un récent livre posthume de Victor Hugo", d'où nous avons déjà extrait quelques passages. Il s'agit de l'article le plus long de Verlaine sur Hugo. On serait en droit de réfléchir au titre antithétique et loin d'être anodin qu'il lui donne : c'est le mélange de la position réelle de Hugo pendant la vie de Verlaine (récent) et le désir, peut-être, qu'il soit enfin posthume. La violence de cet article peut alors s'expliquer assez naturellement : il était déjà difficile de vivre en même temps qu'Hugo, mais puisqu'il continue de publier après sa mort, rien ne change que l'ordre des adjectifs : de récent et posthume (ou mort vivant), il est devenu posthume et récent (vivant mort). Une telle résurrection ne pouvait satisfaire Verlaine. Le livre dont il s'agit, c'est le volume qui réunit Amy Robsart et des fragments des Jumeaux ; mais le sujet de l'article déborde rapidement l'exécution par Verlaine de ces deux pièces pour retracer, encore une fois, l'historique de ses relations avec le Maître disparu. L'admiration devant Les Orientales et les quatre recueils suivants est confirmée, avant d'aborder les autres. Il faut remarquer encore une fois l'extrême imbrication de l'autobiographie et de la critique dans ces pages, comme si Verlaine insinuait que la qualité de l'œuvre naissait de son regard bien davantage que de l'œuvre elle-même.

 

Mais je grandissais, je grandissais et voici qu'il m'est temps d'arriver à mes contemporains ‑pour ainsi parler‑ les livres d'à partir de LA LÉGENDE DES SIÈCLES, en passant, un peu vite, par les CHÂTIMENTS et si vous voulez bien par un Hugo politique qu'illustreront avec votre permission quelques mots inédits et anecdotes sur le vif. [ ... ]

 

Les anecdotes livrent une variante de l'explication des Châtiments par le ministère refusé à Hugo : c'est celle d'une rivalité amoureuse entre Louis-Napoléon Bonaparte et Victor Hugo, vers 1848, et à propos bien sûr de Mlle Eugénie de Montijo. On peut dire que l’âme de Verlaine est devenue un véritable écho sonore de toutes les calomnies, qu'il semble se plaire à répéter avec la perverse satisfaction d'un neveu de Rameau réconforté par les travers des grands hommes. Son cas s'aggrave de ce qu'il s'autorise toujours d'avoir connu le maître pour affirmer ses propos.

 

J'ai passablement connu Victor Hugo. Les premières fois que je le vis, C'était sous l’Empire, à Bruxelles, dans le petit hôtel historique, par l'Année terrible, de la place des Barricades. J'allais assidûment chez lui, pendant le siège de Paris, hôtel de Rohan, et depuis rue de la Rochefoucauld. Des raisons à moi m'empêchèrent, par la suite, de continuer ces relatons toutes bienveillantes de sa part, toutes respectueuses de l'autre, puis ma vie plus qu'accidentée m'éloigna définitivement de sa maison, devenue de moins en moins semblable à celle de Socrate. [...]

 

En médisant ensuite sur le "républicanisme de Victor Hugo", Verlaine en fait la cause de la chute, à ses yeux, de son auteur. On peut se permettre une citation assez longue, grâce à l'extraordinaire absence de densité de l'article de Verlaine, où il s'essaye manifestement à mimer ce qu'il dénonce ‑ une dilution du style en des phrases interminables. En même temps, on ne peut passer sous silence ce qui apparaît comme une glose au sonnet de Sagesse, un échantillon hautement représentatif de l'hugophobie dans ces années-là, et une récapitulation des griefs de Verlaine contre Hugo :

 

Il est, me semble-t-il, très facile de conclure de tout ce qui précède que le républicanisme de Victor Hugo, tout extérieur, venu sur le tard et pour des causes relativement accessoires et contingentes, non par l'évolution lente et normale d'un esprit bien équilibré, en ce sens devait influer sur sa littérature postérieure aux événements tant matériels que mentaux, déterminatifs de sa seconde manière.

En effet l'éloquence j'ose dire concentrée, laconique quoique prolixe en apparence, par exemple, du fameux monologue d'Hernani, presque tout en petites phrases, celle de la non moins célèbre apostrophe de Ruy Blas aux ministres, pleine de faits pittoresques qui font saillie et ponctuent nettement, on dirait sèchement, la période, les discours trop longs, mais encore mesurés, dans les Burgraves, l'abondance sobre et pondérée des plus beaux poèmes contenus aux Feuilles d'automne et recueils de la même venue, font place, dès les Châtiments, à ces interminables déclamations ronronnantes où la phrase s'énerve dans l'éternité, dans la sempiternité de la virgule, où le sens s'évapore pour ainsi dire, s'affadit et tourne à rien parmi le bourdonnement des mots et des mots encore, dont la surabondance même détruit le relief et trouble la saveur. Déclamations de tribun bourgeois faisant le populaire, qui se souvient de ses humanités beaucoup trop dans l'espèce, et de littérateur qui est à cent mille lieues d'assez oublier qu'il a trempé dans le mélodrame ‑ mais pas convaincu pour un rouge liard ! Les beautés mêmes que rien ne peut empêcher d'y être semées à profusion jurent dans la prose et dans les vers du "républicain ennemi des roses"71 que sont en général les adeptes de l'actuelle démocratie et que veut inconsciemment passer pour être l'auteur de la Légende des Siècles, de la Chanson des rues et des bois, des Misérables et de tant de chefs-d'œuvre incomplets ‑ quoi qu'il en ait et quels que soient les sujets qu'il traite, Moyen Age, bibliques, mythologiques, ou mahométans. Les détails, si importants dans cet art enfantin et géant à force d'être énormes paraissent gros tout simplement ou émoussent par la multiplicité, enfin le style général, empreint de la décoction, pour ainsi parler, des idées vulgaires empruntées, se banalise tout en restant encore assez noblement grandiloquent, mais, hélas ! plus de cette ronde et lourde et riche comme brocart grandiloquence d'antan !

Relisez les si fastidieuses énumérations stellaires es certaines pièces affreusement longues et terriblement tautologiques des Contemplations, les nomenclatures parfois très amusantes mais que tumultuaires qui encombrent les trois Légendes et les Quatre Vents de l’Esprit, les filandreux, pour trop d'effort trop visible, boniments d'Ursus et les tonitruamment (thunderly) fades calembours de l'insupportable Tholomyès, et comparez avec, pour prendre au hasard, le petit Jehan Frollo et ses gamines prosopopées, si piquantes, si raccrocheuses de l'attention, et le dénombrement comme, et mieux que, pictural, de la lotte turque dans le Navarin des Orientales, et cette précision extraordinaire des moindres tirades si nourries de drame et d'action illustrant tout particulièrement le théâtre en prose. Quelle déchéance, bone deus ! n'est-ce pas ?

De plus, un avachissement, le mot est lâché, tant pis et tant mieux ! un veule, flasque, lamentable et piteux avachissement sévit sans conteste sur les poèmes et les romans de la dernière période.

 

Conclusion.

Talent énorme (c'est le mot) manifesté dès l'aurore, persistant jusque dans les suprêmes efforts contre la sénilité. Génie incontestable, éclatant fréquemment surtout vers le milieu de l'œuvre, des pages comme Gastibelza, superbe cri de jalousie quasi bestiale dans quel sinistrement voluptueux paysage, comme Olympio prodigieux, prestigieux d'orgueil, comme l'Expiation (bien qu'inférieure écriturement parlant au Feu du Ciel, prototype), comme l'incomparable Tempête sous un crâne, honneur de toute une littérature, a dit Baudelaire, mieux. Esprit d'homme de lettres, idées moyennes, sensations cordiales bourgeoises ‑ nul plus mauvais "chantre" de l'amour. Médiocre pamphlétaire en prose, fort-en-gueule seulement satirique, politique et littéraire, une érudition de livres dépareillés (suivant son aveu à votre serviteur72). Extraordinaire deux fois décadence, assimilable à aucune comme chute terrible et magnifique au point qu'on est tenté de lui appliquer le premier vers de la Fin de Satan:

Depuis quatre mille ans il tombait…

que la postérité peut-être la plus lointaine redira en parlant de lui comme aussi sa gloire peut sombrer sous nos yeux, et à coup sûr s'éclipsera pour un temps comme nous la voyons commencer à le faire.

Mais en somme, quelle grande figure et qu'avec tous ses défauts, c'est encore, avec Lamartine incomparablement plus poète certes, mais infiniment moins artiste, le Maître !

 

Verlaine prend ici le contre-pied de la méthode, consacrée par un proverbe latin, qui consiste à terminer des éloges par une attaque assassine. Dans ses derniers textes en vers, on retrouve aussi plusieurs allusions à Hugo. En 1894, l'ouvrage Épigrammes est publié aux éditions de la Plume, dans la Bibliothèque artistique et littéraire. Contre toute attente, Verlaine est peu ou prou devenu pour la génération suivante ce qu'avait été Hugo pour la sienne. Il le rappelle en parlant de "la jeunesse", poème où il se prend pour Hugo, mais sur un rythme personnel :

 

Après tout, ils ont sans doute raison,

Puisque notre vie est aux trois quarts faite;

C'est à nous de leur céder la maison,

En nous réservant toutefois le faîte.

 

La jeunesse, hélas! aime à triompher.

Nous fûmes aussi triomphaux et jeunes,

Sans plus qu'eux de pente à philosopher.

Bah, qu'ils aient la faim, nous aurons les jeûnes.

 

Qu'ils gardent Ibsen ! Nous, c'était Hugo.

Qu'ils soient tant et plus, nous restons les mêmes,

N'étant pas trop vieux, n'allons tout de go

Pas encor songer aux plongeons suprêmes.

 

Laissons-les grandir. Leur art mûrira :

Ils ne viennent que d'entrer dans le temple,

Et notre mort pleurée approuvera

Ceux à qui nous avons donné l'exemple.

 

Un poème du même genre, qui fait aussi rimer Hugo à go, paraît dans le recueil posthume Invectives73. C’est un poème contre Ghil74 intitulé "Conseils", et qui commence ainsi:

 

Ghil est un imbécile. Moréas

N'en est foutre pas un, lui, mais, hélas !

Il tourne ainsi que ce Ghil "chef d'école"75.

Et cela fait que de lui l'on rigole.

 

Chef d'école au lieu d'être tout de go

Poète vrai comme le père Hugo,

Comme Musset et comme Baudelaire,

Chef d'école au lieu d'aimer et de plaire.

[…]

 

Variation sur la rime précédente, une pièce dédiée "A Raoul Ponchon"76 commence ainsi :

 

PONCHON, vous n'êtes pas raisonnable non plus.

Écoutez ma semonce:

Eh quoi ! vous vous rangez dans les gens dissolus

Dont rougirait Alphonse,

 

Qui font la honte, ayant de l'esprit à gogo,

De toute notre époque.

Notre époque n'est plus celle du père Hugo,

‑ Encore un bon loufoque!

 

On trouve aussi, dans les œuvres posthumes, une parodie de la fameuse "Guitare", et même une "Ode à Guillaume II" où cette "Guitare" est encore citée. L'amour de Verlaine pour Gastibelza ne se dément donc pas... La dernière mention de Hugo dans l'œuvre de Verlaine, un peu moins d'un an avant sa mort, se trouve dans le premier quatrain du sonnet à Puvis de Chavannes, paru dans le numéro spécial de La Plume du 15 janvier 1895 qui lui était entièrement consacré. Verlaine y fait allusion au Victor Hugo offrant sa lyre à la Ville de Paris, décor de l'escalier du Préfet à l'Hôtel de Ville de Paris réalisé par Puvis de Chavannes en 189477 ; il reprend aussi l'image du Victor Hugo soleil dont il se moquait douze ans auparavant :

 

VICTOR HUGO, soleil dont tous sont le Memnon,

Donnant à nous sa lyre étoilée et fleurie,

Extase du poète, orgueil de la patrie,

Honneur du genre humain qui se lève à son nom;

 

Ce sont là de bien mauvais vers, encore inférieurs à ceux de son premier poème "La Mort" adressé à un "maître habile", mais ils permettent, un peu par hasard on dirait un ultime retournement. Comment conclure ? Il ne s'agit plus de tenter d'excuser Verlaine comme Gustave Simon le faisait à la fin de son article : "Il avait des excuses. Il avait beaucoup souffert..." On pourrait s'inspirer de la distinction à laquelle on aboutit généralement quand on parle des sentiments de Baudelaire envers Hugo, entre l'homme Hugo et l'œuvre Hugo : à l'exaspération envers le premier s'oppose l'admiration envers la seconde, et c'est par cette tension que peuvent s'expliquer les contradictions. Cette distinction entre l'homme et l'œuvre, presque dès le départ, Verlaine nous a obligés aussi à la faire, mais dans un sens inverse : à l'admiration portée à l'homme Hugo s'oppose l'exaspération envers l'œuvre Hugo. Ce résultat séduisant est pourtant trop réducteur. On pourrait l'affiner ainsi : Verlaine admire l'œuvre de Hugo, presque dans son intégralité, on en a vu plus d'un exemple, avant sa naissance, c'est-à-dire au moment où l'homme Hugo n'existait pas pour lui. Les réticences de Verlaine envers l'œuvre de Hugo naissent dès que l'œuvre et l'homme se rencontrent, c'est-à-dire à peu près à partir des Contemplations. La transformation rapide d'un échange littéraire en échange biographique pourrait apparaître finalement comme l'évacuation concertée, de la part de Verlaine, de la littérature au profit de l'intime : l'amour filial et la reconnaissance envers l'homme Hugo prennent alors toute la place. Aussi peut-on s'expliquer l'impossibilité chronique dans laquelle se trouve Verlaine de parler froidement de Hugo, de considérer l'œuvre Hugo sans y mêler, augmenté d'une bonne dose d'autobiographie, l'homme Hugo. Enfin, le moment où Verlaine devient Verlaine, le moment où sa notoriété grandit, correspond à la disparition de l'homme Hugo. C’est alors que se déchaînent ses sarcasmes contre l'œuvre  du Hugo d’à partir de l'exil, c'est-à-dire de celui qui a été son contemporain, tempérés çà et là par des retours de conscience qui viennent, comme la conclusion de l'article "À propos d'un récent livre posthume de Victor Hugo", infirmer tout ce qui a été dit jusque là. La permanente opposition qu'il se plaît à dénoncer entre le Hugo d'avant et celui d'après l'exil, bien trop systématique pour ne pas être chargée de sens, dit assez que Verlaine n'a finalement jamais supporté d'être le contemporain de Hugo, de n'avoir pas pu clamer ailleurs que dans un recueil posthume ‑ ultime ironie du sort- cet alexandrin bouffon que nous venons d'entendre:

 

Notre époque n'est plus celle du père Hugo.

 


1 Il n'y a effectivement qu'une lettre qui sépare le «Mors» de Victor Hugo de «La Mort» de Verlaine En 1890, dans son article «À propos d’un récent livre posthume de Victor Hugo», Verlaine confie qu'il a découvert la littérature dans Les Contemplations : "Mais ce ne fut que bien après, ‑ j'avais au moins treize ans, ‑ que la révélation par la lecture eut lieu pour ce faible moi et je tombai sur le second tome des Contemplations ; les Mages et la Bouche d’Ombre eurent, je le crains, presque aussi peu de clarté pour mon esprit en miniature d'alors qu'ils en ont trop pour le "décadent" que me voici, suivant des gens... Par contre, les vers sur la mort de Léopoldine me choquèrent et je trouvai, moi frais émoulu de mon catéchisme, absolument comme je le trouve aujourd'hui ce père désolé, ce chrétien qui se prétend si soumis, bien téméraire de dire au Dieu qu'il fait profession d’adorer dans toutes sa manifestations:

                                    Considérez que c’est une chose bien triste..."

2 Alain Buisine, Verlaine, Histoire d'un corps, Tallandier, 1995, p. 41.

* Avec les Chansons des Rues et du Bois. (Note de Verlaine).

3 La Légende des siècles. Première Série. 7, 3, 14.

4 Premier numéro : 2 novembre 1865 ; dernier numéro : 6 janvier 1866.

5 L'édition Massin, tome 13, p. 789, date cette lettre du 22 avril 1866 – c’est 1867 qu'il faut lire.

6 Victor Hugo avait écrit sur le volume des Chansons des rues et des bois envoyé à Baudelaire ‑ "à Charles Baudelaire, jungamus dextras. " Baudelaire commenta cet envoi : Cela , je crois, ne veut pas dire seulement : donnons‑nous une mutuelle poignée de main. Je connais les sous-entendus du latin de V. Hugo. Cela veut dire aussi : unissons nos mains,

POUR SAUVER LE GENRE HUMAIN. Mais je me fous du genre humain, et il ne s’en est pas aperçu." Lettre à Edouard

Manet, Bruxelles,  28 octobre 1865, in Baudelaire, Correspondance, vol. II, Pléiade, p. 538.

7 Edmond Lepelletier, Paul Verlaine  Sa Vie ‑ Son Oeuvre, Paris, Mercure de France, 1923, p. 141.

8 Cf., par exemple, la préface de la Pléiade p. 54.

9 Novembre 1866 (Trente‑sept Médaillonnets du Parnasse contemporain).

10 Projet que Verlaine annonce en ces termes à Edmond Lepelletier le 7 août 1867: «[…] pour aller voir à Bruxoir le seul Hugum [...]»

11 Extrait d'un article de L’Art contre Musset: "Le poëte idéal n’est point ce vaste épileptique que l’on nom peint échevelé, les yeux hagards, émettant indifféremment et d’un seul jet, sous l'inspiration de je ne saïs quelle Muse bavarde, des vers faciles et incohérents, mais un penseur sérieux qui conçoit fortement et qui entoure ses conceptions d’images hardies et lentement ciselées."

12 « Au Peuple », Châtiments, II, 2.

13 Il s’agit en fait d'août 1867.

14 Banville, Trente‑six ballades Joyeuses pour passer le temps composées à la manière de François Villon

excellent poète qui a vécu sous le règne du roi Louis le onzième, Paris, Charpentier, 1873. La « Ballade de Victor Hugo

père de tous les rimeurs" est datée d'août 1869.

15 Première parution dans The Senate, mai 1895 ; puis repris au tome II des Oeuvres posthumes de l’édition Messein.

16 Encore une erreur de date, puisqu'il s’agit toujours de 1867.

17 Lettre publiée pour la première fois dans la Revue de France du 1er octobre 1924.

18 Cette lettre, provenant de la vente de la collection Albed Dupont, 4ème partie, 22 novembre 1962 n° 184, a été publiée pour la première fois par Georges Zayed en appendice au volume de Verlaine Lettres inédites à Charles Morice, Droz‑Minard, 1964.

19 Poème renommé "Mentana. À Garibaldi », en 1875 dans le second volume d'Actes et Paroles (II, 1867, VIII).

20 Texte communiqué à Jules Mouquet par M. Le Dantec

21 Poésie II, p. 1097.

22 Tous les autres poèmes seront publiés dans Actes et Paroles III; trois au chapitre Bruxelles ("Un Cri", "Pas de Représailles", "Les Deux Trophées"); ainsi que "La Libération du territoire" dans la deuxième partie. La Voix de Guernesey est donc le seul poème que Hugo publie dans Actes et Paroles sans qu'il se trouve aussi dans L’Année terrible.

23 Ces articles, retrouvés par H. Bouillanne de Lacoste, ont été donnés par Jacques Borel dans son édition des Œuvres complètes au Club du meilleur livre, 1959‑1960, p. 167‑169. Ils sont au nombre de deux, le premier dans Le Rappel du 8 mai 1869, le second dans celui du 15 mai ; ce sont deux courts récits de deux séances électorales sur d'Alton‑Shée.

24 Actes et Paroles. II. Pendant l'exil. Lettre signée de «Hauteville‑House, 25 avril 1869."

25 on peut noter d'autre part une certaine identification de Verlaine au personnage, comme en témoigne cette lettre légèrement ultérieure à Nina de Callias, datée de "Fampoux, le 17 juillet [18]69" :

"Chère Madame,

Vous avez ‑et combien vous en suis-je reconnaissant !‑ pardonné à Gwinplaine (sic) de n’avoir pu rire lundi dernier, puisque vous avez eu la gracieuseté de lui écrire en termes si amicalement charmants. Le pauvre diable vous en remercie du fond de la solitude ‑rien d'Hugo‑ et se sent presque tenté de se féliciter d’une aussi heureuse maladie qui lui procure des correspondantes aussi précieuses. […]

26 Devinck est candidat bonapartiste au élections de mai 1869.

27 Bancel est le candidat radical.

28 Dans la composition du Rappel, des blancs coupent en deux la strophe 2 et isolent le dernier vers de la strophe 4 ; le typographe, au vers 4 de la strophe 5, a imprimé "Ceints" pour "Ceinte", avec une virgule au vers précédent (cf. note de l’édition Pléiade, p.1094).

29 Cf. p. 13, note 15.

30 Garnier, 1969, mise à jour en 1986.

31 Cf. p. 5 note 7.

32 Paru le 19 avril 1869.

33 Cette lettre de Victor Hugo à Verlaine, reproduite dans le tome XIV de l'édition Massin, p. 1297, est datée du 16 avril 1870; il faut lire 16 avril 1869.

34 Recueil annoncé au dos des Fêtes galantes, qui devait renfermer quelques unes des poésies de Verlaine composées à la fin de l'Empire. Le livre n'est pas paru. Seul un poème dont les deux premières parties figurent, avec d'autres pièces de la même époque, dans le Parnasse contemporain de 1869, fut réimprimé sous ce titre, avec deux autres parties, en 1884, dans Jadis et Naguère.

35 Pierre Petitfils rappelle (Verlaine, Paris, Julliard, 1981, p. 116) le bruit qui a couru selon lequel Hugo aurait reçu Rimbaud au début de l'automne 1871 et l’aurait traité de "Shakespeare enfant". En fait "le compliment semble plutôt avoir été adressé à Albert Glatigny."

36 Carnets 1870‑1871, édition Bouquins, volume Voyages p. 1063.

37 Ibid, p. 1065.

38 Ibid., p. 1068.

39 Catalogue Charavay n° 90242 ; puis de la vente André Bertaut, n° 301 (10‑11 avril 1957), cité par Pierre Petitfils dans son Verlaine, op. cit.

40 Cf édition Massin, tome XVI p.772.

41 Grand Hôtel Liégeois, 1 rue du Progrès.

42 Recueilli dans les Romances sans paroles.

43 Ex‑Mme Paul Verlaine, Mémoires de ma vie, Paris, Champ Vallon, 1992.

44 Ce mot est daté de début août 1873 dans la chronologie Massin, tome XVI p. 1032.

45 Correspondance de Paul Verlaine, tome III, Paris, 1929; Slatkine Reprints, Genève‑Paris, 1983, pp. 143‑145.

46 Depuis 1860, Auteuil faisait pourtant partie de Paris..

47 Parodie des dizains "réalistes" de François Coppée qui était un jeu très pratiqué par les zutistes. (Charles, Cros  Verlaine, Rimbaud, Richepin, Ponchon, Nouveau se réunissaient à l'Hôtel des Étrangers. Avec le musicien Cabaner et le photographe Carjat, ils parodiaient les auteurs dits parnassiens. Les Vieux Coppées se situent dans la ligne du Parnassiculet.)

48 Fonds Doucet; publié par André Fontainas dans son Verlaine homme de lettres, Paris, Delagrave, 1937.

49 Dans un article paru dans Le Courrier des Ardennes en 1882 et publié pour la première fois en 1948 par Jules Mouquet à Genève, Verlaine fait encore allusion au "détestable et admirable Quatre-vingt-treize."

50 La "philomathie" est une blague de Verlaine à Rimbaud sur sa manie de tout apprendre.

51 Allusion à la tentative de Rimbaud, en juillet 1875, de s’engager dans les troupes carlistes. Verlaine la tourne en dérision, de la part de son ami ex‑antimilitariste.

52 "En ce dizain de genre zutique, Rimbaud est censé parler son argot ordinaire, qu'il scande d'un "merde" insistant. Plus agressif que les mélancoliques rêveurs romantiques, il est, par excellence, celui qui s’emmerde, là où d’autres épuisent douloureusement leur spleen et se bercent d'élégies." Jean-Luc Steinmetz, Arthur Rimbaud Une question de présence, Paris, Tallandier, 1991, p. 232.

53 .Paru dans La Revue blanche du mois de décembre 1893, puis repris dans les Œuvres posthumes, Paris, Léon Vanier, A Messein succr, 1903 ‑ où le vers de Hugo est d'ailleurs incorrectement cité.

54 La "Nouvelle Série" de la Légende des Siècles parut le 26 février 1877. Verlaine pouvait avoir eu connaissance du poème "France et Ame" par une insertion en revue ; mais il est plus probable que l’année 1876, proposée pour le poème "Londres" par G. Jean-Aubry, est erronée ‑ ce que suggère d’ailleurs une note de l'édition Pléiade.

55 Et quand un grave Anglais, correct, bien mis, beau linge,

Me dit ‑ "Dieu t’a fait homme et moi je te fais singe;

Rends-toi digne à présent d'une telle faveur !"

Cette promotion me laisse un peu rêveur.

56 Extraits de ce qui deviendra le recueil Sagesse (1880) ou le recueil Amour (1888).

57 Catalogue de la bibliothèque Jules Claretie, première partie, 1918, n° 1208.

58 Dans la version envoyée à Emile Blémont, le dernier tercet est le suivant:

              Mais, poète, je sais l'hommage que vous doit

              L’enthousiasme ancien; le voici, plein, sincère,

              Car vous me fûtes doux en des jours de misère.

59 Lettre du 15 octobre 1883.

60 Ce dessin est reproduit dans le catalogue de l’exposition La Gloire de Hugo, sous la direction de Pierre Georgel, Paris, 1985, à la page 103.

61 Publié pour la première fois dans la revue Lutèce en août 1885.

62 Publié dans le numéro de Lutèce du 28 juin au 5 juillet 1886, dans Les Mémoires d'un veuf, repris dans Le Décadent du 13 novembre 1886 et dans La Plume du 15 octobre 1892 où son titre complet est "Un document odéonien. Mon testament"

63 Il s'agit peut-être tout simplement d'une réécriture du début de la lettre de Hugo du 16 avril 1869 ; cf. p. 20.

64 Article d’abord publié dans Lutèce en novembre 1885.

65 Daté du 15 décembre 1882.

66 Edition Massin, vol. XVI, p. XI.

67 Les Rayons et les Ombres, XXII.

68 Cf., dans le chapitre consacré à Villiers de l'Isle‑Adam, Les Poètes maudits : "[…] l'Académie Française, ‑qui a donné à Leconte de Lisle le fauteuil du célèbre Hugo, lequel Hugo fut, à parler franc, une façon tout de même de grand poète,‑ [ ... ]" ; ou encore, dans l'article sur Leconte de Lisle, Les Hommes d'aujourd'hui : "En effet, Leconte de Lisle peut seul occuper ce fauteuil."

69 La Légende du siècles est "le seul poème épique qui pût être créé par un homme de son temps pour des lecteurs de son temps."Revue fantaisiste, 15 juin 1861 ; cité par Claude Millet dans son Victor Hugo - La Légende des siècles, PUF, 1995, p. 116.

70 Article sur André Theuriet dans Les Hommes d'aujourd'hui.

71 Mot de Baudelaire.

72 ("Victor Hugo m'a un jour recommandé les livres dépareillés, entre autres tant de recommandations curieuses)." Dernières chroniques de I'hôpital.

73 Verlaine, Invectives, Paris, Léon Vanier, 1896.

74 René Ghil, dont le premier volume, Légende d'âme et de sangs, Paris-Frinzine et Cie, parut en 1885.

75 Allusion au succès remporté par son court mais novateur (selon Mallarmé) Traité du Verbe, 1886.

76 Datée du 16 novembre 1891. Raoul Ponchon était un chroniqueur de gazettes rimées, au Courrier français et au Journal.

77 Catalogue de l'exposition La Gloire de Victor Hugo p. 78 et surtout p. 313.