Florence Naugrette : Les mises en scène de Ruy Blas et de Marie Tudor par Jean Vilar

Communication au Groupe Hugo du 20 janvier 1990
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I- PRESENTATION

 

Je voudrais tout d'abord présenter mon sujet dans la perspective générale de ma thèse en cours sur Les mises en scène contemporaines du théâtre de Hugo. Les mises en scène de Ruy Blas et de Marie Tudor par Jean  Vilar représentent ma borne de départ, car l'histoire de la mi se en scène, montre que le théâtre de Hugo a mis plus un demi-siècle à se remettre de l'oubli dans lequel il était tombé disons approximativement après sa mort. On trouvera dans Pleins feux sur Victor Hugo d'Arnaud Laster un relevé des mises en scène de Hugo entre sa mort et l'après-guerre; dans l'ensemble elles n'ont rien de très marquant et contribuent davantage à figer Hugo dans une tradition de répertoire qu'à renouveler l'interprétation de son oeuvre.

Les mises en scène de Hugo par Jean Vilar coïncidavec un regain général d'intérêt pour Hugo après-guerre [1] . Elles s'expliquent aussi par l'attachement particulier de Jean Vilar pour Hugo, attachement aux résonances clairement politiques. C'est Aragon qui en 1953 donne à Vilar incrédule l'idée de monter Ruy Blas [2] ; Hugo fournit à Vilar deux spectacles qui mobilisent le grand public auquel il se consacre, dans sa recherche d'un théâtre populaire, c'est-à-dire ni facile ni démagogique mais bien plutôt "élitaire pour tous", dans la droite ligne de la conception du théâtre que Hugo nous donne dans ses préfaces. A la différence de Racine avec lequel Vilar rencontrera plus de difficultés, on perçoit aisément la profonde concordance entre les vues de Hugo et celles de Vilar sur leur ad; pour Vilar, la fonction du théâtre était d"'assum(er) conjointement ces trois obligations majeures: un public de masse, un répertoire de haute culture, une régie qui ne falsifie pas les oeuvres"; on retrouve ce programme presque à la lettre dans les préfaces de Hugo que nous connaissons; Vilar aurait repris à son compte les mots de Hugo: "Le théâtre est un creuset de civilisation. C'est un lieu de communion humaine. C'est au théâtre que se forme l'âme publique".

 

Ruy Blas est créé le 23 février 1954, devant un public d'associations. Environ 2000 personnes y assistent chaque soir. L'ambiance est d'autant plus chaude que Jean Vilar vient d'être reconduit pour 3 ans à la tête du T.N.P. après une campagne menée contre lui par la presse de droite et le gouvernement. Pendant cette saison Ruy Blas sera joué 35 fois et vu par 57.522 personnes[3] . En tout elle sera joué 84 fois. La pièce a un franc succès, et partira dans une tournée triomphante de par le monde. On redécouvre véritablement un Hugo rajeuni; citons quelques extraits de la relation de la première par Max Favalelli[4] . Sous le-titre "Jean Vilar (en gilet rouge) remporte pour Victor Hugo au XXème siècle la bataille de Ruy Blas": le chroniqueur affirme avoir assisté à une "nouvelle querelle des anciens et des modernes ( ... ). Rompent les traditions qui exigent que l'on interprète les tragédies romantiques avec de grands éclats de voix et en se martelant puissamment la poitrine[5] , Jean Vilar a préféré ne point braver le ridicule et a adopté le parti de l'intelligence (...); (les) acteurs estompent tout ce qui pourrait, dans le texte de Victor Hugo, provoquer le sourire et deviennent lyriques lorsque les sentiments qu'ils expriment l'exigent"; il repère dans le public Fernand Gregh, «grand prêtre de la religion hugolienne, (qui) frémissait jusqu'à la pointe de sa barbe de burgrave", et l'oppose au jeune publie, réticent au départ mais enfin séduit, qui réserve une ovation aux acteurs.

Marie Tudor est représentée au neuvième festival d'Avignon, puis à Chaillot en 1955; elle sera reprise en 1958); elle n'avait pas été jouée depuis 1673, soit quatre-vingt un ans ! Comme Ruy Blas l'année précédente, la pièce participe avec le nid et Don Juan à une grande tournée en province et à l'étranger[6] . Mais à la différence de Ruy Blas": la pièce rencontre beaucoup de critiques; on lui reproche son style ampoulé, sa grandiloquence, ses grands effets dramatiques, ses invraisemblances grossières, mais force est de reconnaître le succès du spectacle (103 représentations, la palme revenant au Cid ( 195) et à Don Juan (233) et une moyenne  très honorable de 1450 spectateurs par soir. La popularité de Maria Casarès contribue pour beaucoup à la réussite de la troupe, ainsi que la qualité extrême de la mise en scène déployée; un compromis courant dans la critique est d'accorder tout le mérite au talent de Vilar, qui aurait réussi le tour de force de faire un bon spectacle à partir d'un texte plutôt nul, compliment piégé dont Vilar se défend à plusieurs reprises.

 

 

II- CONTEXTE HISTORICO-POLITIQUE

 

Ces deux pièces s'inscrivent dans la ligne idéologique du T.N.P. qui se dessine de saison en saison; on repère que tous les grands spectacles de Vilar posent la question politique de l'organisation de la cité, de la légitimité du pouvoir, de la place de l'individu par rapport au contrat social; j'en en veux pour preuve le répertoire des premières années du festival d'Avignon, les présentations de Richard Il (1947), La Mort de Danton (1948), Le Cid (1949), Henri III (1950), et le Prince de Hombourg (1951), Mère Courage (1951), Meurtre dans la cathédrale (1952), Lorenzaccio (1952), Dom Juan (1953), Macbeth (1954), Cinna (l954), Ruy Blas et Le Cid sont d'ailleurs repris en même temps pour la tournée de 1954, et les critiques ne manquent pas de souligner 1es points communs entre ces deux pièces et la prédilection de Hugo pour le personnage du Cid.

Vilar apprécie dans les pièces que je viens de citer, outre la thématique politique, la clarté des oppositions de voleurs; humaniste, il aime trouver dans ses héros la force de dépassement de soi, la capacité à chercher voire à déclencher la confrontation, une certaine dimension héroïque. "Car ce qui est nécessaire au théâtre ( ... ) c'est l'homme qui fût-il placé dans la situation la plus basse, la plus honteuse - et criminelle, sache s'élever au-dessus de cette condition qui lui est faite et sinon s'en rendre maître, du moins la juger enfin ( ... ) et la dominer. Le héros mourra à la fin, nous le savons bien. Il n'importe. Il aura vaincu inlassablement le sort qui lui était fait"[7]

Hugo est pour Vilar plus qu'un grand écrivain; c'est le grand ancêtre du théâtre populaire; il déclare: "Nous ne pouvions pas terminer trois ans de Théâtre Populaire sans monter une oeuvre du poète[8] français le plus populaire. Il y a un an, nous avions salué le cent cinquantenaire de Victor Hugo par une matinée poétique et musicale: nous n'avions pas de pièce prête, à l'époque, mais nous songions à en monter une.[9] "

Il faut souligner que Vi1ar est 1e premier étonné de monter du Hugo: i1 confie à un journaliste de ses amis: "Quand j'ai débuté dans la mise en scène, si tu m'avais dit que je monterais un jour du Victor Hugo, je t'aurais ri au nez. Mais je l'ai relu, figure-toi! Et je me suis dit: ça c'est du théâtre populaire, oui ou non?"[10] .

A posteriori Vilar affirmera qu'en cherchant bien dans le répertoire français et étranger, ce qu'il a trouvé "de plus immédiatement et libérateur", c'est Corneille et Hugo, Molière Marivaux, Büchner et Beaumarchais"; les pièces contemporaines qu'on lui propose ne lui permettent pas de réaliser son projet humaniste.

Pour Vilar, monter Hugo est un acte politique au sens 1arge. Il faut prendre position pour ou contre Hugo,  selon une équation qui peut paraître simpliste "Hugo=peuple=théâtre", qui est le reflet de son enthousiasme. Il déclare: "Ceux qui n’aiment pas Marie Tudor n'aiment pas  le peuple et par conséquent n'aiment pas le théâtre"[11] .  On ne saurait exprimer plus violemment la liaison politique entre le peuple et le théâtre.

On entend tout aussi fortement la connotation politique d'une formule telle que: "Le mot d'ordre au théâtre et ailleurs est Vive Hugo!"[12] .

La critique comprend cet appel à demi mot, comme l'indique le commentaire de Morvan Lebesque dans Carrefour: "Rien ne ressemble plus au siècle précédent que le nôtre, et nous venons tout justement de quitter une ère de restauration bourgeoise et intellectuelle pour aborder à une époque profondément révolutionnaire où le rocher de Guernesey ne cessera plus de nous lancer des signes"[13] .

Plus précisément, si on cherche une actualité politique dans Ruy Blas, c'est assurément dans la guerre d' Indochine, ses piastres et ses morts, qu'il faut 1a trouver; c'est en tout cas l'interprétation que proposent plusieurs critiques de l'adresse de Ruy Blas aux ministres; de même qu'en 1838 Hugo s'adresse aux ministres de Louis Philippe, de même en 1954 c'est toute la gauche qui se reconnaît dans la tirade de Ruy Blas, et qui, trois semaines avant que ne débute la batelle de Dien Bien Phu, réclame par sa voix la paix en Indochine à laquelle le journaliste du journal communiste La Marseillaise entend une claire allusion sous les vers:

 

"Soyez flétri s, devant votre pays qui tombe,

Fossoyeurs qui venez le voler dans se tombe!"

 

Claude Roy dans L'Humanité Dimanche généralise même la portée de la signification actuelle du discours: "je crois entendre, dit-il, la voix même des jeunes hommes qu'on fait mourir en Indochine, chômer ou avoir faim ici, jeter à d'autres ministres (les nôtres) l'apostrophe fameuse

 

"Le peuple misérable et qu'on pressure encore

A sué quatre cent trente millions d'or"[14]

 

Ces mêmes vers évoquent à notre journaliste de La Marseillaise "l'écrasant fardeau qui pèse sur les épaules de la classe ouvrière"[15]

Quant aux vers:

 

-La Hollande et l'Anglais partagent ce royaume

Rome vous trompe...

ils évoquent pour lui "l'occupation yankee et la menace du retour des revanchards allemands ».

Un autre critique rapporte que deux ministres étaient au premier rang, écoutant attentivement la tirade; «Mais c'est du Mendès-France! dit le premier. -Non, répondit l'autre, du Mendès-Espagne"[16] .

Plus sérieux et plus intéressant, ce témoignage d'une journaliste du Monde Ouvrier qui sous le titre « Victor Hugo, Ruy Blas et Gérard Philipe ont aussi été les vedettes du congrès »[17] , entendez du parti communiste, rend compte des discussions de ses camarades sur l'opportunité de monter du Hugo; il semble que plusieurs militants doutent du bien-fondé    de la transposition tout à fait anachronique qui ferait de Ruy Blas un héraut de la lutte des classes, ce qui est une erreur historique certaine;          il vaudrait mieux selon ces "camarades" jouer des histoires contemporaines dont l'enjeu idéologique serait moins sujet à caution.

 

 

III L'ESTHETIQUE SCENOGRAPHIQUE DE VILAR

 

Ruy Blas marque un grand changement dans l'esthétique scénographique de Vilar: pour la première fois il est contraint de construire un décor assez lourd et de mettre des meubles sur scène. La surprise est grande, d'autant plus que Hugo avait dit lui-même, et en cela il avait un siècle d'avance sur l'art de 1a scène de son époque, qu'on "peut très bien jouer Ruy Blas avec une table et six chaises". Tout metteur en scène de Hugo aujourd'hui, surtout dans ces dernières décennies qui revendiquaient le retour à un espace vide habité et structuré par le seul corps et la seule voix de l'acteur, se trouve confronté à ce choix. Il y a en effet chez Hugo des objets dont on ne peut pas se passer, car ils ont une double fonction dramatique et symbolique; Vitez par exemple s'est laissé piéger par ce choix dans se mise en scène de Lucrèce Borgia, par ailleurs excellente, où faute de représenter le banquet du IIIème acte il perdait la dimension grotesque, et par conséquent toute l'épaisseur dramatique de la fin de la pièce.

Vilar ne peut ici se passer de nombreux accessoires indispensables à l'intrigue; même si les minutieuses didascalies de Hugo ne sont évidemment pas suivies à la lettre, on retrouve les dentelles (le morceau de dentelle par lequel la reine identifie son amoureux), la cheminée (par où arrive Don césar), la fiole de poison, les bouteilles de vin, les fauteuils, les sabres et le coffret en bois, dans un décor à transformations de Camille Demangeat qui évoque de manière assez réaliste la galerie du palais royal de Madrid, la chambre de la Reine, la salle de gouvernement ou la demeure de Salluste avec force châssis, découvertes, portes et fenêtres, et le rideau de scène proscrit jusqu'à présent par Vilar refait son apparition pour masquer ces changements de décor. Dans une note pour les comédiens du 22 février[18] , c'est à dire la veille de la première, Vilar insiste sur cette importance, non tant du décor, mais plutôt des objets, chez Hugo: "Toute pièce de Hugo est une pièce éclatante. (...) Ruy Blas est donc, d'abord, une pièce à éclats. Ruy Blas est aussi une pièce où l'accessoire est un tyran. Oui, c'est à la fois l'oeuvre d'un poète et un drame réaliste. Avant tout effet, avant tout éclat sonore ou rythmique, l'interprète se heurte au petit détail réel, vrai, inévitable autour duquel le poète va faire tournoyer la scène qui suit. C'est même ce petit détail vrai (un objet ou une indication concernant l'intrigue) qui fait démarrer presque toutes les scènes, chaque acte et la pièce. Je vous ferai grâce ici du relevé de la Régie de scène et de la Régie-construction on concernant les multiples objets nécessaires, les bouteilles, les coffrets, les fenêtres, les portes, les rideaux, la cheminée, etc... Mais ne les oubliez pas."

Vilar s'en explique en ces termes: "Voilà qui indiquera que nous n'avons aucune théorie[19] , sauf celle de l'acteur. Nous avons suivi Hugo à la lettre Toutes les indications de mise en scène ont été notées par ses soins, il faut les suivre et jouer avec les accessoires qu'il propose. ( ... ) Ruy Blas est une pièce réaliste, (une) pièce populaire"[20] . A la question, " objets inanimés, avez-vous donc une âme? », Vilar répondrait: D'ordinaire, non, mais chez Hugo, oui.

En effet dans la plupart des mises en scène de Vilar, l'esthétique de la scène quasi-nue est indissociable du refus du jeu intimiste et psychologisant qui s'aide de toutes les ressources de la mimique. Vilar préfère la tradition épique à la tradition psychologique et met la grande scène neutre de Chaillot au profit de pièces à structure éclatée, comme Le Cid, Le Prince de Hombourg, Lorenzaccio, Don Juan. Richard III, Macbeth, etc-... où les lieux multiples ne sont pas écrasés sous le pittoresque mais caractérisés tour à tour par tel ou tel élément; ainsi, il ne reste du décor initialement prévu par l'auteur que quelques éléments qui suggèrent le lieu imaginaire de manière métonymique et symbolique forte, de sorte que l'unité du drame est préservée: ainsi du trône dans Le Cid, du rocher dans le premier acte de Don Juan du billot dans la troisième journée de Marie Tudor, de la charrette dans Mère Courge, de la toile de fond représentent Florence dans Lorenzaccio. Les différents lieux scéniques sont au besoin individualisés par la lumière qui éclaire la partie concernée de la vaste scène de Chaillot.

Mais il me semble qu'il ne faut pas surestimer l'ampleur du changement: ce n'est quand même pas un revirement total, un retour au naturalisme; certes, le traditionnel fond noir primitif est supprimé, mais c'est pour laisser la place à des ouvertures toutes fonctionnelles, et la vaste scène de Chaillot ne croule pas sous les meubles inutiles. Entre chaque acte, les changements de décor sont assez minimes, l'espace n'est pas remodelé très différemment, comme nous allons le voir maintenant avec une analyse plus précise du décor de chaque acte.

(Voir les croquis).

Décor du I cf. croquis, + extrait du cahier de régie: 1 table avec tout ce qu'il faut pour écrire, 1 fauteuil, 1 chaise, 1 tabouret sur la table: tapis rouge, encrier vert, sous-main vert, papiers. [à noter la couleur verte, qui est celle de Don Salluste]

Décor du II : salon royal austère avec trois baies ouvrant sur le ciel bleu qui évoque la joie et la liberté. 7 tabourets style Renaissance, 1 chaise en bois pour la reine, 1 métier à broder pour Casilda, 1 prie-Dieu, 1 petite table avec un encrier d'argent, des papiers pour écrire, 1 plume d'oie, 1 clochette.

Décor du III: 6 chaises espagnoles en cuir, 8 tabourets, 1 trône royal surmonté d'un dais (prévu dans la didascalie de Hugo), des papiers, des plumes d'oie, lettres pour Ruy Blas, 1 mappemonde sur un socle, miniature du monde où Ruy Blas pourra pointer les possessions espagnoles et illustrer ainsi toutes ses références à l'Empire (cf. photo). 1 petit fauteuil en cuir, la même table qu'au 1 avec tapis vert, encrier brun, sous-main brun, plumes, lettres (complot), fenêtre entrouverte à la cour, la grande porte du fond est magnifiquement ornée

Décor du IV: 1 table, 1 fauteuil, 1 tabouret, 1 petite table, 1 manteau rouge et 1 manteau vert, bottines près de la cheminée, 1 sacoche bourrée de sacs d'écus, assiettes, verres, bouteilles, aiguière, tout ce qu'il faut pour manger (sur petite table), tout ce qu'il 1 faut pour écrire. 1 billet pour la duègne, 2 épées, 1 lampe à huile, 1 flacon de poison. Dans l'armoire: pâté garni, 2 assiettes, 2 gobelets, 2 bouteilles remplies, 1 couteau.

Décor du V: le même.

Au total, il y a tous les accessoires utiles à l'action, mais rien de plus; ce n'est pas une mise en scène naturaliste, les objets ayant une fonction purement dramatique, nullement décorative. Il faut d'ailleurs faire une différence dans les didascalies de Hugo entre architecture et accessoires; ce sont deux choses tout à fait différentes: les descriptions architecturales du décor sont très lourdes et correspondent à la scénographie de son temps (voir la description du salon de Danaë): Vilar n'en tient évidemment pas compte; mais lorsque Hugo décrit les accessoires: il donne "une table, un fauteuil, et ce qu'il faut pour écrire"[21] , c'est tout. D'autre part, Vilar ne suit pas à la lettre les indications de Hugo et reste très économe des moyens scénographiques: il condense presque en un seul lieu le salon de Danaë du I et la salle de gouvernement du III, puisque le fauteuil et la table y sont identiques et disposés au même endroit; seule la porte du fond les différencie.

Je parierai tout à l'heure plus longuement de l'emploi de la lumière et de la musique dans Marie Tudor. Disons simplement pour l'instant que la musique de Maurice Jarre souligne d'un accord de guitare, d'un roulement d'un tambour ou d'un coup de cymbale, le rythme et l'atmosphère passionnée du drame

Les costumes de Ruy Blas, conçus par Léon Gischia, a, sont souvent comparés à des Vélasquez; somptueux, ils font rêver; ce sont surtout eux, plus que le décor, qui assument la somptuosité et le luxe. Nous verrons tout à l'heure le rôle qu'il joue dans la conception que Vilar se fait de l'interprétation des acteurs.

On trouve dans Marie Tudor une répartition quasi "élisabéthaine» de l'espace scénique en trois aires de jeu distinctes:

- 1 scène avancée, véritable lieu de l'action

-1 scène moyenne permettent son extension

- 1 arrière-scène destinée à des décors très simplifiés

L'insistance est mise sur la scène avancée., qui se répartit en trois lieux: (cf. croquis): la prison, la cour de la reine et chez Gilbert ; les lieux sont à la fois distingués et rapprochés symboliquement: s'il est vrai que "le structure de presque tous les récits dramatiques peut se lire comme un conflit d'espaces, ou comme la conquête ou l'abandon d'un certain espace"[22], la cour de la reine ainsi située empiète sur la vie du peuple (Gilbert) et jouxte la prison dans une proximité qui explique la facilité de l'entrevue de la reine et du bourreau; toute l'action se passe sur I'avant-scène, puisque dans les scènes de la prison ou devant chez Gilbert les acteurs sortent de la scène moyenne pour venir à l'avant-scène; tout finit donc chez la reine.

Le spectacle commence par un grand défilé qui sera repris à 1a fin; ce défi1é, qui dans l'esprit de Vilar devait remplacer les trois coups, commence quand les projecteurs s'éteignent; c'est un long cortège funèbre où défilent des tambours voilés de crêpe, suivis de lansquenets vêtus de noir portant des bannières noires et blanches, suivis de moines en robe noire, d'un cardinal en rouge, du bourreau sanglant et se hache; dans le défilé de la fin seulement, viendra ensuite le condamné voilé de crêpe, portant un cierge, puis la foule des grands seigneurs dans des costumes rutilants; ce défilé est scandé par 1a musique que de Maurice Jarre. Est-ce une référence au générique de l'Othello d'Orson Welles? En tout ces l'effet du cortège introductif qui annonce le dénouement funèbre est saisissant, notamment parce que ses dimensions dépassent largement le cadre de scène. Ce cortège du début n'est pas prévu dans le texte, il fait fonction de générique de cinéma ou d'ouverture d'opéra, et donne déjà, par ses effets contestés de noir, blanc et rouge, la coloration tragique de tout le spectacle. L'arrière-scène, comme toujours chez Vilar, se compose de rideaux noirs qui encerclent le lieu éclairé de l'action dramatique et renvoient le spectateur à son propre espace imaginaire.

IIème journée: quelques objets suffisent à indiquer de manière métonymique l'intérieur du palais

Un resplendissant divan vert véronèse, ainsi que trois coussins du même tissu étalé à terre; deux lutrins, portant l’un une Bible, l'autre une couronne; derrière ce divan des paravents élégants ornés de symboles de la royauté: le lion et les piques.

IIIème jounée:

1er tableau: 1 seul accessoire: le billot.

2ème tableau: Deux cachots faits de barres et de lumières.

Dans cet espace on le voit relativement nu, où les objets ont un rôle soit fonctionnel, soit symbolique (parfois les deux), c'est la lumière qui va modeler les lieux et les corps.

L'émeute, hors-scène dans le texte, est représentée par des éclairs sur la façade. Tandis qu'on attend le dénouement, pendant le défilé, la silhouette de la reine est projetée sur le mur du Palais des Papes, illustrant 1e fameux "C'est 1a lionne qui guette"[23] , et Jane et Joshua reculent terri fiés.                1

La musique, utilisée comme au cinéma., souligne l'atmosphère ou bien sert d'indicatif, de motif, à chaque personnage. Cet usage du leitmotiv, emprunté à l'opéra, est triple: le thème peut souligner l'entrée d'un personnage, l'accompagner pendant toute une scène, ou annoncer son entrée prochaine. Exemple du premier cas: "les entrées de la douce et infortunée Jane sont saluées par une petite ritournelle légèrement sirupeuse et d'un humour charmant"[24] ou les trémolos qui scandent l'arrivée du traître, et les roulements de tambour celle de la reine. Exemple du deuxième cas: dans sa première scène, son duo avec Gilbert à la scène 3 de la première journée, la petite musique accompagne Jane de son entrée à sa sortie. Troisième cas: dans la première scène un chant accompagne pendant très longtemps tout le dialogue des gentilshommes au sujet de la situation de Fabiani; on se demande si c'est Fabiani qui chante; il ne doit entrer qu'à la scène 5, mais son entrée est largement anticipée dans la scène 4 de la Ière journée: on l'entend chanter depuis les coulisses sa chanson, qui dans le texte du Hugo ne s'entend qu'à la scène 5; c'est Fabiani lui-même qui introduit son propre leitmotiv, sur le thème de l'amour volage, pendant que l'Homme raconte à Gilbert ce qu'il sait de l'origine de Jane; il reprendra d'ailleurs cette chanson dans l'Acte II, chez la reine, en s'accompagnant d'une guitare; dès l'Acte 1, la chanson de Fabiani en contrepoint prend donc un sens beaucoup plus menaçant et lie ce personnage immédiatement à Jane, ce qui simplifie et renforce le suspense; autre exemple, dans la Ière journée scène 6, le thème du poignard annonce le meurtre de l'Homme par Fabiani quelques répliques avant le crime.

La lumière souligne elle aussi de manière un peu redondante les effets  dramatiques: dans la troisième journée notamment, de nombreux noirs rythment le suspense.

La lumière sert aussi à accentuer la dramaturgie en tableaux, en soulignant la séparation entre les scènes qui ne se passent pas dans les mêmes lieux, éclairant tout à tour chez Gilbert, chez la reine et la prison, comme souvent chez Vilar, elle sert de rideau, ce que montrent les nombreux effets de lumière surtout sur la fin. La musique sert elle aussi de rideau, puisqu'elle accompagne les changements de tableaux.

Comme on le voit, espace, lumière et musique visent à mettre en valeur l’acteur, unité de base du théâtre.

                       

IV- LES ACTEURS

 

Si l’équipe du TNP forme une troupe soudée, il y a néanmoins un point commun entre l'époque du vivent de Hugo et l'époque de Vilar, c'est le recours aux monstres sacrés; à Mademoiselle Georges, Mademoiselle Mars, Madame Dorval, Frédérick Lemaître, Sarah Bernhardt et Mounet-Sully, succèdent dans le très démocratique T.N.P. Gérard Philipe et Maria Casarès dont la célèbrité acquise au cinéma cautionne le texte de Hugo et le signale comme un chef d'oeuvre.

Cette constatation semble mettre en échec les pétitions de principe de Jean Vilar qui revendique l'égalité de traitement de tous les acteurs au sein de la troupe et se déclare farouchement opposé à la tyrannie du monstre sacré; à propos de l'interprétation d'Hernani par Mounet-Sully, Vilar pose la question de "la nécessité ou l'inutilité d'une conception unique, d'un ordre particulier ou général ( ... ). Hernani régi par un metteur en scène digne de ce nom, on eût sacrifié Mounet-Sully et ses "cinquante vers qu'il dit comme un dieu" à une représentation, je ne dirais pas meilleure, mais plus régulière; on eût sacrifié le génie irrégulier d'un seul à une tenue totale, plus régulière du jeu scénique"[25] . Il n'empêche que Gérard Philipe et Maria Casarès sont perçus par le grand public comme de très grandes vedettes à qui le T.N.P. doit une partie importante de son succès.

Commençons par Gérard Philipe.

Il est parfaitement à sa place dans son emploi de jeune premier; il a déjà joué au T.N.P. plusieurs rôles similaires où l'amour de la femme est intimement lié à l'amour de la patrie: il est donc logiquement Ruy Blas après avoir été Rodrigue, Lorenzaccio, Le Prince de Hombourg, Richard II.

On apprécie avant tout se sobriété; celle-ci lui évite de tomber dans le piège qui consisterait à accentuer le côté ténor du rôle.

Il dit se fameuse tirade sur le ton du mépris, modulé parfois d' accents douloureux; au lieu de s'avancer vers le public comme on le faisait d'habitude pour capter l'attention de celui-ci et lui signaler le morceau de bravoure, il reste en retrait et s'exprime presque familièrement, sur le ton de la conversation, avec davantage de tristesse que d'indignation; le jeu de scène est ici particulièrement intéressant puisqu'au lieu de s'adresser aux ministres, qui de toutes façons ne l'écoutent pas, selon un processus courant chez Hugo où le personnage s'adresse à qui ne peut l'entendre[26] , Philipe se promène au milieu d'eux comme s'il ne les voyait pas, autant dire comme s'ils n'étaient pas là, comme si, au-delà d'eux, c'était à l'Espagne et au fantôme de Charles Quint qu'il s'adressait. La tirade devient monologue. (cf Nicolas Lormeau).

Quant à sa diction, elle est diversement appréciée; à titre d'exemple, et avant d'analyser plus en détail le traitement du vers de Hugo, écoutons les premiers vers de son apostrophe aux ministres. *

Vous avez sans doute remarqué comment il "désarticule le vers avec une nonchalance étudiée"[27] , dans un"style décontracté qui n'exclut pas pourtant la conviction dans le jeu"[28] .

Ses détracteurs exaspérés disent qu'"il s'emploie trop à casser les vers, à les parler au lieu de les lancer, à raisonner le texte, à découvrir la pensée sous les mots, à "shakespeariser" son héros. Ruy Blas n'est ni Hamlet ni Richard"[29] . Jean-Jacques Gautier, le critique du Figaro compare la voix de Philipe à un violoncelle ou un alto, auquel manque la chaleur des cuivres [évidemment, on ne peut pas tout -avoir; c'est comme si on reprochait à Nada Strancar de ne pas avoir une voix de soprano]. Et pourquoi pas? Justement. Philipe gomme volontairement la profondeur psychologique au profit de la dimension épique.

Autre critique: "Tous les aspects du rôle se fondent dans un ton geignard qui désole et fatigue. Chacune des scènes et des répliques célèbres tombe à plat. Ce n'est ni romantique, ni réaliste, ni quoi que ce soit. Ce n'est rien ( ... ) C'est aussi mauvais que l'interprétation de Britannicus par Jean Marais"[30] ; le critique n'a pas compris ici que le jeu de Phi1ipe est fondé sur un contraste entre une diction décalée par rapport au texte et une gestuelle au contraire très claire; c'est dans l'intervalle entre les deux que vient se glisser la perception du spectateur, qui a besoin d'être surpris d'un côté (la diction) et rassuré de l'autre (le gestuelle) pour entendre le texte d'une oreille neuve et fournir l'effort d'imagination, de travail interprétatif sans lequel il n'y a pas de plaisir théâtral.

Il est d'ailleurs de nombreux critiques qui analysent la discrétion, le style de diction retenu de Philipe de manière tout à fait positive, faisant remarquer que les grandes tirades connues ressortent d'autant mieux, avec une efficacité insoupçonnée.

On ne peut pas faire abstraction non plus du charme intrinsèque de Gérard Philipe, qui a ses fans, comme l'illustre la caricature de Badert dans l'Aurore du 27.2.1954, où l'on voit Gérard Philipe au bord de la scène devant ses groupies, manquant de tomber dans la fosse à force de virevolter, la légende lui (?) faisant dire: "Bon appétit, Mesdames !"[31] .

Vilar rencontre des difficultés dans la distribution de la reine; après avoir pensé à Marie Casarès (déjà), et pressenti Renée Faure, Monique Chaumette (le future Jane) et Dominique Blanchar, c'est Gaby Silvia, qui venait du boulevard (comme Marie Dorval), qui est choisie tardivement; elle a donc assez peu le temps de répéter et sera souvent critiquée dans le rôle de la reine; on lui reproche un jeu trop terre à terre, une diction plus positive et précise, légèrement grasseyante et parisienne, que mélodieuse; l’interprétation de 1a reine, plutôt infante de Velasquez que reine, frêle, délicate et espiègle, s'inscrit au rebours de l'interprétation de Mlle Bartet et de Sarah Bernhardt, plus noble et empreinte de grandeur. On préférera à Gaby Silvia Christiane Minnazzoli qui reprendra le rôle à partir du festival de Strasbourg le 22 juin; elle est membre du T.N.P. depuis 1952, où elle a déjà interprété les jeunes premières, étant Marion dans La Mort de Danton, Marianne dans L'Avare, Louise Strozzi dans Lorenzaccio, Lucinde dans Le Médecin malgré lui, et Mathurine dans Don Juan.

Vilar lui-même aurait aimé interpréter Salluste, c'est dire l'importance qu'il accorde à ce rôle; il doit y renoncer car il est trop occupé par ses tâches d'administrateur et de régisseur; il confie donc le rôle à Jean Deschamps, qui a de l'avis général très grande allure dans un rôle dont la tradition avait surtout retenu le côté Méphistophélès, et qu'il joue plutôt en grand seigneur; ce point me semble très important à souligner car, dans la confusion que l'on fait assez souvent entre le théâtre de Hugo et le mélodrame, la conception figée des emplois de théâtre amène souvent à simplifier outrageusement la psychologie des personnages de Hugo, lesquels échappent aux types traditionnels, et du théâtre classique, et du mélodrame; les mises en scène les plus réussies sont souvent celles où l'emploi des personnages principaux reste indécidable; ainsi de l'interprétation de Don Ruy par Vitez, à la fois père noble de tragédie et barbon de comédie, ou de celle de Don Carlos par Redjep Mitrovitsa, qui est à la fois le tyran et le jeune premier, Pour le T.N.P. Jean Deschamps, dont c'est de l'avis général l'une des meilleures compositions, compose un Don Salluste assez sympathique, et non pas un simple traître cruel de mélodrame.

Le grotesque est pris en charge par l'admirable et truculent Daniel Sorano dans le rôle de Don César (il faut passer sur la faible ressemblance entre Philipe et Sorano qui rend la confusion entre le vrai et le faux Don César tout à fait invraisemblable, mais il s'agit d'une convention théâtrale que le public accepte sans peine). Je cite quelques critiques: Sorano fait « très époque Louis XIII, et genre burlesque ( ... ) il abuse des rires, gloussements, hennissements, entre les vers"[32] . On pense à Gil Blas, Figaro, Sancho Pança, au Capitaine Fracasse. Certains trouvent même le personnage un peu trop univoque, trop valet picaresque ou moliéresque et pas assez grand seigneur.

Très drôle aussi la performance de Georges Riquier qui joue une duègne.

 

Passons à Marie Tudor et tout d'abord à Maria Casarès, dont l'interprétation fait l'admiration quasi unanime de la critique.

Maria Casarès sort du Conservatoire en 1941 après avoir présenté Bérénice en concours de sortie. Avant son entrée à la Comédie-Française en 1952, le début de sa carrière est marqué par le répertoire moderne ou contemporain; elle se distingue surtout dans ses rôles imprégnés d'une aura tragique; on remarque qu'elle interprète habituellement des personnages ou bien sacrifiés (Sonia des Frères Karamazov en 1945 au Théâtre de l'Atelier, Nathalie dans Les Enfants du Paradis, (1943, Marcel Corné), Jeanne d'Arc de Péguy en 1952 au Festival d'Angers) ou bien des personnages violents et destructeurs: Martha dans Le Malentendu, Hélène dans Les Dames du bois de Boulogne de Robert Bresson (1945), Dora dans Les Justes ( 1949), 1a Mort dans Orphée de Cocteau ( 1950). Tous ces rôles es ont en commun un enjeu tragique certain; mais le plus remarquable est l'alliance chez cette actrice de la fragilité et de la violence, de l'innocence et de la cruauté. Cette oxymore thématique se traduit physiquement par le surprenant contraste entre sa frêle stature et son jeu intense, sa voix extrêmement puissante, contraste qui la destine à l'évidence au rôle de Phèdre, avec lequel Marie Tudor a plus d'un point commun.

Vilar engage Maria Casarès en 1954 pour jouer Lady Macbeth; il avait déjà pensé à elle pour la Reine de Ruy Blas, (facette victime) à l'époque où Jeanne Moreau avait choisi de quitter définitivement le T.N.P. Après Ruy Blas, Gérard Philipe renonce aux créations. La troupe manque donc de vedettes. Marie Casarès est une valeur sûre par sa formation classique et sa notoriété cinématographique. Elle déploie pour le personnage de Lady Macbeth son double registre de violence (ambition démesurée, absence de scrupules) et de fragilité et de souffrance (la folie et la mort de Lady Macbeth); la critique s'enthousiasme pour cette interprétation nouvelle du personnage, que la tradition avait figé en un monstre insensible, calculateur et rusé. Ce succès pousse peut-être Vilar à confier  un nouveau rôle de femme puissante et passionnée à l'actrice.

Dans Marie Tudor la critique est sensible une fois encore au jeu halluciné de Casarès, les excès de son style convenant semble-t-il parfaitement aux exigences romantiques: "L’œil hagard, la bouche déformée par un rictus sardonique, les mai ns gantées de rouge sang, Mademoiselle Maria Casarès est admirable et parvient à hisser ce mélo à la hauteur d'une tragédie"[33] ; on admire "sa rage, se violence, sa férocité, les cris de se voix rauque, la fulgurance avec laquelle elle passe d'un mouvement à un autre, son ironie menaçante et surtout la manière cinglante dont elle lance ses répliques"[34].

 

"Elle est sublime, héroïque, toutes griffes dehors"[35] .

"Son jeu touche au génie. Par ses finesses, ses nervosités, ses familiarités à la fois constamment naturelles et souveraines, son émotion toujours en haleine elle refait de Marie Tudor le monstre sacré[36] " de Hugo.

"Quand elle lève les deux bras, écarquille ses petites mains au-dessus de sa tête, crispe la bouche, et lance sa grande voix, elle devient immense"[37].

"Elle ne joue pas, elle se plonge dans un état second"[38]

 

Sa somptueuse robe de cour, avec fraise et bouillonnés, manches d'hermine, fait penser à un tableau d'Holbein. Elle est gantée de rouge sang.

Elle jouera ensuite, dans un style tout différent, Lâla dans La Ville et Léonide dans Le Triomphe de l'Amour, où elle composera un personnage plus léger et détendu, avant de donner toute sa mesure dans Phèdre en 1956.

Dans son étude des mises en scène contemporaines du théâtre de Racine, Anne-Françoise Benhamou montre combien le jeu doloriste de Maria Casarès dans Phèdre était à l'opposé de celui, très sobre, des autres acteurs, Jean Vilar se désintéressant apparemment de l'héroïne dont les passions égocentriques ne l'intéressent pas et laissant à l'actrice toute liberté pour se mettre en valeur à son idée[39] .

Dans le rôle de Gilbert, Georges Wilson, qui n'a pas un physique de jeune premier, succède pourtant à Jean Deschamps, où il montre plus de chaleur que son prédécesseur. Il est habillé de gris, couleur du peuple, comme Jane au début de la pièce avant qu'elle ne devienne grande dame.

Dans le rôle de Simon Renard, Philippe Noiret, "débonnaire, massif et fin"[40] , plein d'autorité et d'humour a une prestance à la Henri VIII. Sa lenteur et son calme inquiétant, ses silences pesants, son caractère pensif agrandissent le personnage.

Roger Mollien, "ce petit fauve apprivoisé »[41] dit une critique, est vêtu de rouge vif, comme un diable; "beau, cynique avec grâce"[42] ; il a une très belle voix, et un bel habit de dentelle. Il contraste avantageusement avec Gilbert. Au début de la deuxième journée il est assis sur un coussin aux pieds du divan sur lequel la reine est allongée; il se roule à ses pieds quand celle-ci le démasque. Le contraste est charmant entre sa beauté et son attitude servile; les rapports avec la reine sont très physiques, aussi bien dans la feinte tendresse que dans la vengeance- elle le gifle, le bouscule, le fait tomber à plusieurs reprises, avec la même violence dont elle traite Jane.

Daniel Sorano, « cet ange biscornu"[43] fait penser à Gustave Doré ou à Dickens. Son rôle sera repris par Riquier, plus discret dans ses attitudes.

De manière générale, la gestuelle des acteurs de Vilar est claire et stylisée; dans un espace aussi vaste que celui de Chaillot ou d'Avignon, la mimique compte peu car les spectateurs sont trop loin pour la percevoir ; c'est davantage la gestuelle qui devient expressive. Comme l'explique Jean' Vilar- "N'y a t-il pas eu de grands théâtres où le visage du comédien restait invisible (Commedia dell'arte, le théâtre grec); ce qui exprime le plus le comédien, c'est le corps entier»[44] ; c'est ce que Daniel Sorano appelle le "jeu de grand format"[45] ; la fonction du costume est d'accentuer cette expressivité du corps; l'emploi des projecteurs, qui tirent l'acteur de l'obscurité avant de l'y replonger, des projecteurs latéraux aussi, qui soulèvent légèrement le corps de l'acteur, permet de dessiner des silhouettes épurées. L'examen des photos des spectacles montre assez cette stylisation dans les attitudes et la proxémique qui rend les rapports de force aisément déchiffrables: raideur altière de Marie Tudor, position servile, étymologiquement humble (près du sol) de Jane et Fabiani devant elle, dont l'effondrement moral se traduit immanquablement par une chute, position oblique de Gilbert s'interposent entre Jane (à terre) et la Reine (debout). Les personnages gardent longtemps la même attitude, d'où un effet pictural très fort de dramaturgie en tableaux.

 

 

V- DIRE HUGO [le texte]

 

Ces deux mises en scène sont l'occasion pour le public et les gens de théâtre de retrouver le texte de Hugo dépoussiéré des clichés de la critique. La position de Vilar est un peu ambiguë, dans la mesure où il demande à ses acteurs une diction à la fois naturelle, presque prosaïque, et fidèle au rythme incantatoire du texte­, paradoxe apparent seulement, puisque la déconstruction de l'alexandrin se trouve déjà en germe dans le texte. Il suffit donc de faire confiance au texte; il est alors inutile de se lancer dans les morceaux de bravoure et les scènes à faire, qui s'imposent d'eux même. Dans une Note du LUNDI 22 FEVRIER, c'est à dire après la répétition générale, Vilar écrit à ses acteurs:

 

"Dans l'ensemble, ( ... ) nous jouons comme si nous avions des arrières-pensées profondes. Erreur.- s'il y a des arrières-pensées dans cette oeuvre, elles sont toutes simples et Hugo nous les livre entièrement. Vous donc, interprètes de Hugo, vous devez les livrer entièrement. Ne gardez rien sur le cœur. Sinon Hugo, ce "gaillard» populaire, vous balance vertement un bon petit coup d'épaule. En effet, le vers de Hugo parvient à notre oreille un peu trop étouffé par vous ( ... ) et nous vous en voulons d'avoir atténué les générosités verbales du poète. ( ... ) Nous jouons un peu trop comme des gens compliqués ou profonds. Eh non! un peu moins de profondeur et un peu plus en surface. Le ton changera, je crois, le jour où, dans le dialogue, dans le cliquetis du dialogue ( ... ) nous jouerons avec le coeur [il me semble, FN, au sens de courage, sans retenue]. Aisance, articulation nette, respect des effets. Voilà, en deux ou trois mots, les nécessités techniques. Réalisme donc et aussi poésie. Ces deux nécessités, contradictoires d'apparence, il faut à tout prix les marier. Et dans une union heureuse. Il faut colorer l'une et l'autre. Avec évidemment beaucoup de goût.

N'enroulez pas autour du vers ou répliques de Hugo, des jeux ou des intonations,   ou des phrases trop particuliers à vous mêmes., trop personnels, chapeau bas devant le poète. Et verbe haut ( ... ).

Nous léchons trop les vers et les sentiments. Ça donne l'impression que l'on s'écoute parler ( ... ). Rien de plus néfaste à Hugo qu'un interprète qui lèche, surlèche ses alexandrins écrits en pleine inspiration et de plein jet. A notre tour, avec Hugo, nous devons éblouir cette assemblée d'enfants que sont des spectateurs ( ... )".

 

Le principe du refus des numéros d'acteurs et de la simplicité du style de jeu fait partie de l'esthétique et je dirais presque de la morale artistique de Jean Vilar; ce dernier se contente donc ici de la rappeler à ses acteurs, mais il apparaît que cette exigence est plus difficile à tenir lorsqu'il s'agit de jouer Hugo.

Il ne faut pas en rajouter, mais il ne faut pas non plus se défiler devant la violence du style qui est celle des sentiments.

 

JEUDI SOIR, 25 février [c'est à dire après deux jours de

représentation] .

Dans l'ensemble, tout va bien,

Mais cela manque de violence, de tempérament, de chaleur.

Ruy Blas est une pièce bien faite et intense.

Je demande aux ministres d'être âpres, durs, rapaces.

Aux amoureux d'aimer mer comme des fous.

Aux drôles d'être tonitruants ou vifs.

Aux rôles d'autorité d'être autoritaires, vifs, nets, forts.

Nous manquons encore de flamme.

Il fout jouer, si ce mot a un sens, romantique.  Pas de pudeur.

Oui, pas de pudeur.

 

Ce qui fascine Vilar dans le texte de Hugo, comme dans celui de Racine, c' est la primauté de la fonction incantatoire, surtout du vers, au point qu'un critique se demande: « L'alexandrin deviendrait-il d'avant-garde?"[46]. Il s'agit de garder la violence du texte sans tomber dans l'emphase; il en résulte un rythme vif, et un "décapage du vers par la voix des acteurs; on a tordu le cou à l'éloquence ( ... ). Du même geste, dit tel critique, on a parfois tué la poésie, le délire, la fureur ... ( ... ) De la grande apostrophe aux ministres, il ne reste à peu près rien ( ... ) En revanche le second acte, chez la reine, est délicieux d'ironie, de comique sournois mélange de sacrilège et de tendre dévotion. Ruy Blas devient une idylle.[47] " A l'opposé écoutant l'hommage que lui rend Jean Vilar: "Hier Gérard a à demi joué, à demi indiqué tout son IIIème acte. Ne paraissant jamais aller à la recherche de l'émotion, obéissant au chant profond du poème sans cependant se laisser gagner par celui-ci, éclairent ou l'idée ou le thème ou tel vers, sans heurts, sans faux effets (ô merci), il respectait ainsi -le savait-il?- le style aisé, que celui-ci s'envole ou retourne aux réalités, du poète. L'interprète, indiquant donc plus que jouant, était beau. De cette beauté qu'accorde au visage, à la taille et aux gestes d'un comédien doué d'une interprétation débarrassée des appogiatures trop personnelles et qui, confiant et fidèle, se laisse guider par les vertus, par l'humanité et par les bonheurs d'un texte inspiré"[48] .

 

Je vous propose pour en juger d'écouter l'apostrophe aux ministres (III, 2). Aujourd'hui une telle interprétation ne nous surprend plus tellement. On s'aperçoit que Gérard Philipe fait un sort à chaque tournure, rien n'apparaît comme une cheville; le changement est dans le fait de ne plus réciter l'alexandrin de manière monotone et déclamatoire, en exhibant la structure versifiée; Gérard Philipe, comme les autres acteurs, suit " naturellement", si tant est que ce mot ait un sens au théâtre, le rythme du vers hugolien qui invite déjà de lui-même à la distorsion de l'alexandrin; beaucoup de critiques ont été choqués de ce qui n'était déjà que trop programmé dans le texte de Hugo que Vilar a su lire. La diction de Philipe constitue presque une explication du texte de Hugo, dans la mesure où son intonation souligne les mots les plus importants, de manière parfois surprenante, mais toujours signifiante; essayons de définir plus précisément le travail prosodique de Philipe

- l'enjambement est souvent fait, d'où un traitement prosaïque du texte dont la structure versifiée est effacée: "Conseillers vertueux ! Voilà votre façon

De servir" (03)

ou

"L'Autriche aussi vous guette.- Et l'enfant bavarois

Se meurt, vous le savez.- (18)

ou

" ( ... ) A peine six mille hommes (...)

Qui vont pieds nus" (38)

- accentuation de certains mots grammaticalement secondaires (adverbes, adjectifs) mais forts sémantiquement:

"Et vous enfuir après" (06)

- allongement de certaines voyelles produisant un effet incantatoire:

"Là moitié de Madrid pille l'autre moitié" (36)

- retravail de la coupe, au-delà encore des effets de dislocation du vers hugolien:

"Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,

Fossoyeurs / qui venez le voler dans sa tombe" (08)

ou bien

"Ce grand peuple espagnol aux membres énervés,

Qui s'est couché dans l'ombre et sur qui vous vivez,

Expire / dans cet entre où son sort se termine,

Triste / comme un lion mangé par la vermine!" (47)

- ton de la conversation donné par l'emploi d'intonations descendantes quand la rythmique et le sens semblent inviter à une intonation montante:

"L'Espagne et se vertu, l'Espagne et sa grandeur,

Tout s'en va. (09)

ou

«La Savoie et son duc sont pleins de précipices» (15)

Il faut souligner que dans les années 50 la mode était à l'escamotage des "e" muets, ce qui, joint à un respect assez aléatoire des diérèses, produit le désagréable effet de transformer les alexandrins en vers de 11, 10, parfois même 9 syllabes.  Ex. « L'Europ(e) qui vous hait vous regarde en riant"(11). Gérard Philipe massacre ainsi pas mal de vers.

Il y a aussi, comme pour tout texte devenu "classique" le problème des vers trop connus. Il faut distraire le public d'une manière ou d'une autre. Ainsi, le "Bon appétit Messieurs" est adroitement escamoté par la mise en scène : Le « Bon appétit, messieurs", est séparé du reste de la tirade par la musique de scène, après laquelle seulement il reprend sur « Ô ministres intègres"; le texte résonne déjà naturellement dans l'oreille du spectateur à qui il ne faut pas donner l'occasion de « reconnaître" le vers, ce qui déclenche immanquablement le rire (cf. "Vous êtes mon lion superbe et généreux chez Vitez" ou « Etre ou ne pas être, c'est la question" de Bonnefoy-Chéreau).

 

La question du texte se posait de manière très différente dans Marie Tudor. A l'évidence il est impensable de réécrire le texte d'une pièce en vers- tout au plus peut-on y pratiquer des coupures strictes; mais dans le cas d'une pièce en prose, tous les changements, même de détail, sont permis; alors qu'il ne manque pas un vers à la présentation de Ruy Blas, il apparaît t que Vilar à beaucoup modifié le texte de Marie Tudor, en pratiquant moins des coupes claires qu'un travail stylistique très rigoureux d'allègement du texte, visant à lui rendre plus d'efficacité dramatique, par

- la suppression des redondances ou de détails superfétatoires

-la suppression des expressions pathétiques

- et la suppression de certaines petites intrigues secondaires Exemples:

Gilbert: -Votre majesté rendra à la fille de Lord Talbot les biens, les titres, le rang, le nom, les armes et la devise de son père".

ou bien

La Reine: "Bien. Je ferai ce que vous venez de dire.

Gilbert: Votre majesté fera ce que je viens de dire. La Reine d'Angleterre me le jure à moi, Gilbert, l'ouvrier ciseleur, sur sa couronne".

ou encore

(1,3) lire p. 1093.

Le texte a été sévèrement coupé, ce qui peut s'interpréter comme le signe de sa médiocre qualité; on reprochera beaucoup à Vilar le choix de Marie Tudor, et dans une moindre mesure celui de Ruy Blas. comme nous allons le voir maintenant dans l'étude de la réception de ces spectacles.

 

 

VI- LA RECEPTION DE HUGO

 

Contre

Les critiques visant les seuls défauts du théâtre de Hugo viennent se joindre à cette époque aux critiques portant sur la politique théâtrale de Vilar lui-même, auquel on reproche bientôt sa facilité, le savoir-faire brillant mais gratuit de sa troupe; à cette époque la revue Théâtre Populaire qui l'avait soutenu à ses débuts se détache de lui pour se tourner vers Brecht et accuse le T.N.P. d'être devenu une machine qui gâche son talent en tournant à vide, critique que Vilar ne rejettera d'ailleurs pas entièrement, ou bien de se contenter de gérer le patrimoine, en directeur de théâtre répondent aux commandes de l'Etat et non plus en véritable créateur.

Roland Barthes ne trouve dans Ruy Blas aucune vérité des caractères, aucun souffle épique "qui change l'événement en Histoire et les hommes en destin". "Le Ruy Blas du T.N.P. est monté ( ... ) avec tant d'intelligence et de mesure que c'est comme un manteau pudique jeté charitablement sur ce grand vide de la pièce. Mais je dis mon avis, tel qu'il est: je ne me satisfais pas d'un si grand talent. Donner Ruy Blas au T.N.P. me parait un acte inutile, et cette inutilité est conséquente dans la mesure précieuse- où chaque geste de Jean Vilar, chaque moment de son effort est véritablement l'épisode d'un combat[49] .

Même type de réaction pour Marie Tudor sous la plume cette fois de Jean Duvignaud: "L'élément visuel du spectacle l'emporte sur le sens d'une pièce dépourvue d'intérêt, qui n'existe en somme que par la force de conviction de Casarès et la mise en scène de Vilar"; selon lui Vilar aurait cherché à faire un exercice de style à partir d'un mauvais texte, pour montrer la toute puissance créatrice du metteur en scène qui peut, comme le revendiquait Piscator, suppléer à l'insuffisance du dramaturge. "Marie Tudor est une sorte de "western" où de nombreux "suspenses" tiennent le spectateur en haleine, mais la pièce fait appel dans le public à une confuse passion pour le roman policier"; puis Duvignaud compare le rôle du mélodrame romantique à celui du cinéma d'Hollywood, et conclut donc à la désuétude et à l'inutilité de la pièce.

Le même Jean Duvignaud avait écrit une critique semblable dans La Nouvelle Revue Française sur Ruy Blas: "Philipe sauve habilement un rôle ridicule: se voix est si belle, elle se contracte si douloureusement dans sa gorge, qu'elle fait passer les plus mauvais vers de la scène française"[50] .

De manière générale, très nombreux sont les critiques pour qui Marie Tudor est la plus mauvaise pièce de Hugo, par sa langue et par la psychologie de ses personnages. Comme dans les manuels de MM. Lagarde et Michard, on reconnaît à Hugo davantage de mérite dans ses drames en vers que dans ses drames en prose, et plus de talent de manière générale comme poète que comme dramaturge.

Bernard Dort, dans France-Observateur, attaque lui aussi Hugo. Lui reconnaît que Marie Tudor n'est pas un simple mélodrame- "Victor Hugo a visé plus haut, et il a atteint plus bas (...) c'est une pièce truquée, où ni l'histoire, ni l'homme, ni l'amour ne se donnent libre cours; une pièce où les héros, jamais, ne vont jusqu'au bout de leur passion ; une pièce où l'intrigue, la mécanique (un peu boiteuse) du reste) mènent le jeu"; selon lui, le vrai mélo (Féval) ne recule pas devant le mal. Mais Hugo veut toujours rester moral; il me semble qu'on a montré depuis qu'il y a un profond conformisme moral du mélodrame. «Il a nié l'histoire et la politique. Il oppose aussi une fin de non-recevoir à la passion ( ... ) son théâtre est radical-socialiste: à la fin, les extrêmes s'y reconnaissent et s'y bénissent"[51] ; pour ma part [FN], je ne vois pas ça dans Marie Tudor.

 

Pour

A l'opposé de ces critiques de l’œuvre, on trouve des réactions qui prouvent que grâce à ces spectacles le théâtre de Hugo est véritablement redécouvert, relu d'un oeil neuf; on souligne la jeunesse des acteurs, des personnages, et de Hugo lui-même quand il écrivit la pièce, et on s'étonne, comme si la tradition qui s'était figée à la fin du siècle avait enfermé Hugo et ses oeuvres dans une éternelle vieillesse. Le T.N.P. bénéficie aussi de l'effet repoussoir produit par deux mauvaises mises en scène récentes de Hernani ( 1952) et de Ruy Blas ( 1953) à la Comédie Française; on va jusqu'à dire que c'est Chaillot qui compense les défaillances de lia Comédie Française quand celle-ci manque à son rôle. Beaucoup de critiques, assez naïvement, s'étonnent d'apprécier, ce qui est une constante dans les dossiers de presse des mises en scène contemporaines de Hugo. "Par la grâce d'un acteur qui semble pouvoir tout faire, même les choses les plus folles, le vieux mélo romantique passait la rampe sans effort ( ... ); (le), public (est) sidéré, puis emballé, et oubli(e) complètement de sourire de "la bouche de serpent" ou du "ver de terre amoureux d'une étoile"[52]

L'Humanité soutient assez systématiquement Vilar, comme le montre cette citation de Guy Leclerc, parlent d' "une foule qui vient d'être secouée par une explosion de jeunesse, de pureté, de passion, prise et reprise pendant cinq actes dans la tornade du verbe triomphant"[53] . André Maurois: «Quand Sorano vint nous apprendre ce que nous savions, que ce drame romantique est en cinq actes et en vers, le nom de Victor Hugo fut acclamé. Et vraiment le vieux dieu se tirait de l'épreuve magnifiquement. Le vers héroïque sonnait comme celui des classiques de la grande 'époque" et son article se termine sur ces mots en style télégraphique"Romantisme pas mort. Succès suit"[54] .

La critique de Duvignaud est parfois retournée sur son envers positif, et Hugo est crédité d'avoir inventé le grand spectacle populaire, ancêtre des thrillers; en somme il ne lui manquait que les moyens techniques d'Hollywood, il ne lui manquait que le cinéma, pour lequel Hugo aurait été un grand scénariste.

 

 

Conclusion

En conclusion., je voudrais souligner que Vilar n'a jamais cherché à masquer les contradictions de sa démarche, qui sont nombreuses: il ressent lui-même une certaine gêne à chercher refuge dans le répertoire du passé pour parler d'une réalité sociale et politique contemporaine qui ne repose pas sur les mêmes bases idéologiques que les textes; il est sans doute victime des implications universalistes de son humanisme, c'est ce que ses anciens amis lui reprochent aussi. Au sein même de sa troupe à l'organisation très démocratique, il fait appel à des vedettes qui accaparent l'attention du public et des critiques. Mais son grand mérite est d'avoir redonné au public, au jeune public surtout, le goût de Hugo, et d'avoir ouvert la voie, en les décomplexant, à de jeunes metteurs en scène, brechtiens notamment, qui vont faire avancer la recherche hugolienne en faisant sortir des tiroirs toute une partie de son théâtre inconnue du public, je veux parler du Théâtre en Liberté. Il nous aura aussi invité à suivre ce conseil donné à ses acteurs un soir d'août 1955, sous le ciel d' Avignon, pour encourager à bien jouer et à ne pas relâcher leur effort:

"Il faut veiller à défendre Hugo contre les sots et les gens d'esprit".

 

 

Bibliographie

1 - Ecrits et propos recueillis de. Jean Vilar

a- Ouvrages

De la tradition théâtrale, coll. "Idées", Gallimard, Paris, 1955. (ou bien N.R.F., 1963)

Chronique romanesque, Grasset, Paris, 1971.Mot pour mot, textes réunis et présentés par Melly Touzoul et Jacques Téphany, Stock, Paris, 1972.

Le Théâtre, service public, présentation et notes d'Armand Delcampe, Gallimard, Paris, 1975.

Memento, présentation et notes d'Armand Delcampe, Gallimard, Paris, 1981.

b- articles

« Un lieu théâtral: Avignon", Le Lieu théâtral dans la société moderne études réunies et présentées par Denis Babet et Jean jacquot, Editions du C.N.R.S., Paris, 1963, pp. 153­160.

 

2- Sur Vilar

a- ouvrages consacrés à Vilar

LECLERC, Guy,. Le T.N.P. de Jean Vilar, U.G.E., Paris, 1971.

ROY, Claude, Jean Vilar, Seghers, Paris, 1965.

SERRIEREn Marie-Thérèse, Le T.N.P. et nous, Corti, Paris, 1959.

SPOTTISWOOD, Gilbert, Etude du style de Jean Vilar, metteur en scène au T.N.P., mémoire de maîtrise, s.l.d. de Jean-Jacques Roubine, Insti tut d'Etudes Théâtrales de Pari s III, s.d. ( 1966 ?).

VALOGNE Catherine, Jean Vilar, Presses Littéraires de France, Paris, 1954.

WEHLE Philippa, Le Théâtre populaire selon Jean Vilar, Actes Sud, Avignon, 1961.

b- ouvrages dont une partie est consacrée à Vilar et au T.N.P.

DE BAECQUE, André, Le Théâtre aujourd'hui, Seghers, Paris, 1964.

BEIGDEBER, Marc, "La théâtralité intériorisée et ses chefs d'oeuvre: - Jean Vilar", Le Théâtre en France depuis la libération, Bordas, Paris, 1959, chap. IX, pp. 177-216.

CASARES, Maria, Résidente privilégiée, Fayard, Paris, 1980.

DUSSANE, Béatrix, Marie Casarès, Calmann-Lévy, Paris, 1953.

Gérard Philipe, souvenirs et témoignages recueillis par Anne Philipe et présentés par Claude Roy, Gallimard, Paris, 196 1.

GONTARD, Denis, "Jean Vilar", La Décentralisation théâtrale en France, S.E.D.E.S.-C.D.U., PARIS, 1972, pp. 317-323.

LECLERC, Guy, Les Grandes aventures du théâtre, préface de Jean Vilar, Editeurs français réunis, Paris, 1965.

PAPAANDREOU, Nicéphore, Le metteur en scène et le théâtre dans les textes de Barrault, Vilar, Planchon, Vitez. Thèse de IIIème cycle, s.l.d. de Bernard Dort, Institut d'Etudes Théâtrales de Paris III, 1976.

ROY, Claude,                        "Viva Vilar", L'Amour du théâtre, Paris, Gallimard, 1973, chap. IX, pp. 147-157.

c- archives

- Sur Ruy BIas

Dossier de presse (Archives Nationales.. 295 AP 9)

Cahier de régie éclairage (Archives Nationales)

Cahier de régie générale (Archives Nationales)

- Sur Marie Tudor

Dossier de presse (Archives Nationales, 295 AP 12)

Cahier de régie éclairage (Archives Nationales)

Cahier de régie générale (Archives Nationales)

- Sur Victor Hugo et le T.N.P.

Catalogue de l'exposition Victor-Hugo au T.N.P., Maison Jean Vilar, Avignon, 1985.


[1] Etudes de René JOURNET, Louis ARAGON, Hugo, poète réaliste (1952); Jean- Bertrand BARRERE, La Fantaisie de Victor Hugo, (1949, 1950, 1960), Hugo, l'homme et l'oeuvre, 1952; Jean GAUDON, Hugo dramaturge (1955) ; Léon CELLIER, L'Epopée romantique, (1954); Henri GUILLEMIN, Victor Hugo par lui-même (1951), Hugo et la sexualité (1954). André  MAUROIS, Olympio ou la vie de Victor Hugo (1954), dont la lecture passionne Jean Vilar. Remis à la mode aussi par le cent cinquantenaire de sa naissance.

[2] Mémento ("Quoi, jouer une pièce de Hugo? c’est pas sérieux)

[3] A titre de comparaison, Don Juan fait 33 représentations et 61576 spectateurs, Lorenzaccio 31 et 57.994, Richard III 30 et 61.135.

[4] Max Favalelli, Ici Paris, 8 au 14 mars 1954.

[5] Allusion à Mounet-Sully, Madame Second-Weber ?

[6] Allemagne de l’Ouest, URSS, Amérique du Sud, USA.

[7] Jean VILAR, De la tradition théâtrale, pp. 95- 96.

[8] Intéressante précision, Hugo est surtout considéré comme un grand poète, même par l'homme de théâtre Vilar.

[9] Propos recueillis dans Le Parisien libéré, 25. 2. 1954. Propos recueillis, par Guy VERDOT, La Nouvelle République, 2.8.1955.

[10] Propos recueillis, par Guy VERDOT, La Nouvelle République, 2.8.1955.

[11] Rapporté dans L'Express, 7.11.55.

[12] Notes de service de Jean Vilar, présentées par Melly Puaux dans Cahiers Théâtre, Louvain, n° 53, 1985.

[13] Morvan Lebesque, "L'intelligence paie", Carrefour, 3.3.1954.

[14] Claude ROY, "Cinq raisons (entre autres) d'aller au T.N.P.", L'Humanité Dimanche, 28/2/1954.

[15] André REMACLE, "Ruy Blas, l'homme du peuple, a remporté un immense triomphe", La Marseillaise, 10.7.1954

[16] Dimanche Matin, 28.3.1954.

[17] Eliane RICHARD, "Victor Hugo, Ruy Blas Gérard Philipe ont aussi été les vedettes du congrès", Monde Ouvrier, 20-26 novembre 1955.

[18] Notes de service de Jean Vilar, présentées par Melly Puaux dans Cahiers Théâtre Louvain, n° 53, 1985.

[19] Ce n'est pas ce que semble penser Jean-Jacques GAUTIER, le critique du Figaro, qui s'écrie victorieusement: "enfin le système a fléchi", « Ruy Blas", Le Figaro, 27.2.1954. Il continue perfidement, "ainsi, déjà le décor existe. Une autre fois, il pourrait bien être réussi".

[20] Propos recueillis dans Le Parisien libéré., 25.2.1954.

[21] Ruy Blas, p. 12.

[22] Anne UBERSFELD, Lire le Théâtre, p. 176.

[23] Marie Tudor, p. 117.

[24] Max Favalelli, "Marie Tudor au Palais de Chaillot",  Paris-Presse,  7.11.1955.

[25] Jean VILAR, De la tradition théâtrale, p. 72. Vilar cite la relation de la représentation par Jules Renard

[26] Je renvoie ici aux analyses d'Anne UBERSFELD.

[27] G. JOLY, "Ruy Blas avec Gérard Philipe", L'Aurore, 27.2.1954.

[28] Jean PICHON, "Ruy Blas au T.N.P.", Combat, 1.3.1954

[29] Jean-Jacques GAUTIER, "Ruy Blas", Le Figaro, 27.2.1954

[30] André- Paul ANTOINE, "Ruy Blas au Théâtre National Populaire", L'Information,  27. 2. 1954.

[31] Illustration de l'article de G. JOLY, Ruy Blas avec Gérard Philipe", L'Aurore, 27. 2. 1954.

[32] Robert KEMP, Le Monde, 27.2.1954.

[33] Max FAVALELLI, Paris-Presse-L'intrangiseant, 6-7.11.1955

[34] Jean-Jacques GAUTIER, Le Figaro, 7. 11. 1955

[35] Claude BAIGNERES, "Le T.N.P. joue Marie Tudor", Le Figaro, 18. 7. 1985.

[36] Marc BEIGBEDER, "Séduction et fraîcheur de Marie Tudor", Les lettres françaises, 21.7.1955.

[37] Robert KEMP, "Marie Tudor", Le Monde, 7.11.1955.

[38] Jean BOISSIEU, "Marie Tudor prend pour nous le visage de Marie Casarès et révèle sous un aspect nouveau Wilson et Riquier", Le Provençal, 18.7.1958.

[39] Anne BENHAMOU, p.262.

[40] Elisabeth BARBIER, »Impressions sur les comédiens du festival et le T.N.P.", La Marseillaise, 16.7.1955.

[41] Elisabeth BARBIER, "Impressions sur les comédiens du festival et le T.N.P.", La Marseillaise, 16.7.1955.

[42] Guy LECLERC, "Marie Tudor de Victor Hugo au 9ème festival d'Avignon", L'Humanité,19.7.1955.

[43] Elisabeth BARBIER, "Impressions sur les comédiens du festival et le T.N.P.», La Marseillaise, 16.7.1955.

[44] "Un lieu théâtral, Avignon", ?

[45] Anne PHILIPE, Gérard Philipe, Gallimard, 1960, p. 162.

[46] Paul GORDEAUX, "Ruy Blas avec deux stars », France Soir, 1.3.1954.

[47] Robert KEMP, "Ruy Blas", Le Monde, 27.2.1954

[48] Jean VILAR, Mémento, du 29 novembre 1952 au 1er septembre 1955, présentation et notes d'Armand Delcampe, coll. "Pratique du théâtre'', Gallimard, 1981, p.72.

[49] Chronique de Roland BARTHES sur Ruy Blas, mise en scène de Jean Vilar au T.N.P., Théâtre Populaire. n° 6, mars-avril 1954.

[50] Jean DUVIGNAUD, La Nouvelle Revue Française, 1.4.1954.

[51] Bernard DORT, "Une reine sans royaume, un théâtre sans objet", France-Observateur, 17. 11 . 1955.

[52] Guy VERDOT dans Les dernières nouvelles, s.d.

[53] Guy LECLERC, "Au Théâtre National Populaire. Ruy Blas avec Gérard Philipe", L'Humanité, 27.2.195 4.

[54] André MAUROIS, "Hugo acclamé au T.N.P.", Carrefour, 3.3.1953.