Pierre Laforgue : "La symbolisation de l'histoire -Cosette et Gavroche"

Communication au Groupe Hugo du
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"Peindre des choses vraies par des personnages de fiction"(1), telle est la "manière" de Hugo lorsqu'il entreprend de représenter l'Histoire dans un roman. En vertu de quoi les personnages historiques, s'il y en a, sont traités comme des personnages de fiction : déshistorisés, ils sont vus "de profil" (2), comme Louis XI dans Notre-Dame de Paris ou la reine Anne dans L'Homme qui rit (3), et comme n'importe quels autres personnages ils ont un statut romanesque. Mais leur présence étant souvent très réduite, c'est généralement aux personnages de fiction qu'il appartient de dire l'Histoire. Cela se traduit, dans ce dernier cas, par une historisation du personnage de fiction, ou plutôt de son discours (paroles, gestes, actions, statut, fonction). Il ne s'agit pas d'une inversion des rôles entre historique et fictionnel, mais bien davantage d'un déplacement de l'Histoire vers et dans le Romam, d'une inscription de la matière historique dans le cadre romanesque, - mouvement que par commodité j'appellerai symbolisation. Je voudrais ici montrer comment dans Les Misérables se produit cette mise en perspective de l'Histoire et du Roman, en étudiant la façon dont deux personnges éminemment romanesques, Cosette et Gavroche, mettent en oeuvre une telle pratique de la symbolisation.

 

Histoire d'une poupée

"Mannequins insensibles à la vie", "marionnettes" (4), écrivait Goethe pour qualifier les personnages de Notre-Dame de Paris. Quinze ans plus tard (5), Hugo lui donnera très ironiquement raison en créant le personnage de Cosette : ni mannequin ni marionnette, elle est une poupée. A l'origine, il y a une vraie poupée, celle offerte par Jean Valjean à Cosette. Cette poupée disparaît dès le livre suivant (6), mais entre-temps elle a eu "un effet magique" (7) sur Cosette : elle a fait d'elle un personnage, un personnage avec une apparence d'identité. Tant qu'elle est réduite au rôle de souillon "la petite toute seule" (8) n'est que "mademoiselle Chien-faute-de-nom" ou "mamselle Crapaud" (9) ; en recevant des mains de l'"affreux pauvre" (10) la poupée, elle reçoit, de la Thénardier elle-même, un nom, son nom, Cosette, et Cosette donne en échange à la poupée un nom, Catherine (11). Echange, mais non pas entre Cosette et Catherine, entre Cosette et Jean Valjean par l'intermédiaire de la poupée, à qui il revient d'emblée de médiatiser dans le symbolique la curieuse relation qui peu à peu s'installera entre le Veuf et l'Orpheline (12).

Par le truchement de Catherine, Cosette prend possession de tout ce dont elle était privée. Une mère, tout d'abord : Catherine est "la dame" (13), image sublimée de la Mère, qui en ce 24 décembre est la Vierge. Mais selon un procédé tout hugolien (14), Cosette devient en même temps la mère de cette mère qui vient de mourir, et sous l'oeil attendri de Jean Valjean elle assouvit ses désirs de maternité. Un miracle a lieu lors de cette nuit de Noël : dans un décor hideusement réaliste le réel connaît une transfiguration symbolique inouïe, et cela sans que la réalité elle-même disparaisse : Cosette est à la fois un enfant Jésus (15) et la Vierge de ce même enfant Jésus, alors que Jean Valjean assumerait le double rôle du Christ de la Maternité et de saint Joseph, s'il n'était incontestablement Balthazar.

Il apporte l'or : avant tout le moyen d'arracher Cosette à la misère, qu'elle ne connaîtra plus jamais d'ailleurs après cette mémorable nuit de Montfermeil. Dans ce rachat de Cosette (16) la poupée est un élément essentiel. Elle est sans prix, mais elle a un prix. Elle coûte au moins trente francs (17), et avant les 1500 francs déboursés par Jean Valjean, elle représente la somme la plus importante dépensée par le "vieux mystérieux" (18). Elle s'inscrit donc dans le système général de l'échange, mais sans avoir de valeur monétaire définie de manière précise. Son prix oscille, au fur et à mesure que grandit l'envie des Thénardier ; le prix d'achat ne sera jamais dit, preuve que la poupée participe autant à la sphère du réel qu'à celle du symbolique. Cette ambivalence entre les deux est réaffirmée presque à la fin de l'épisode de Montfermeil, quand Jean Valjean dépose dans le sabot crotteux de Cosette un louis d'or. C'est une pièce et c'est une étoile (19), celle qu'enfin Cosette voit briller. Le lendemain, sur le chemin vers Paris, Cosette marchera en ayant sa pièce dans la poche et sa poupée dans les bras, pareillement effrayée par ces deux objets qui sont l'un et l'autre signes du sacré.

Jean Valjean-Balthazar qui apporte l'or et fait se lever l'étoile des mages accomplit un autre miracle : il sacre Cosette reine des misérables; En effet, tout le livre Accomplissement de la promesse faite à la morte dit la royauté de Cosette . Cette métaphore - mais est-ce une métaphore ? - parcourt tout le texte. Voici les réflexions de Cosette devant la vitrine du bimbelotier, et dans la contemplation de la poupée : "Elle se disait qu'il fallait être reine ou au moins princesse pour avoir une "chose" comme cela (20)."
Cosette a raison. Sitôt qu'elle , cette petite chose (21), a reçu la "chose", elle devient une reine :
"Cosette considérait la poupée merveilleuse avec une sorte de terreur. Son visage était encore inondé de larmes, mais ses yeux commençaient à s'emplir, comme le ciel au crépuscule du matin, des rayons étranges de la joie. Ce qu'elle éprouvait en ce moment-là était un peu pareil à ce qu'elle eût ressenti, si on lui eût dit brusquement : Petite, vous êtes la reine de la France (22)."

La Thénardier non plus, si soucieuse d'étiquette, même si elle confond une Majesté et une Altesse royale (23), ne s'y est pas trompée. En fureur elle déclare à son mari : "donner des poupées de quarante francs à une chienne que je donnerais moi pour quarante sous ! encore un peu il lui dirait votre majesté comme à la duchesse de Berry (24) ?"

L'usurpation de Cosette est intolérable à cette czarine (25) : elle décide de "flanque(r) Cosette demain à la porte" (26), et le lendemain elle réaffirme qu'elle "aimerai(t) mieux épouser Louis XVIII que de la garder un jour de plus à la maison (27) !" Cette supposition grotesque prend tout son sens si l'on se rappelle que Jean Valjlean a donné un louis d'or (28) à Cosette et qu'en allant louer un logis Boulevard de l'Hôpital il s'est trouvé sur le passage de Louis XVIII (29). Seulement, entre le début de l'après-midi du 24 décembre et les premières heures de la nuit du 25 décembre une mutation s'est accommplie : "ce gros-là qui est le gouvernement" (30) est devenu dans le sabot, puis dans la poche de Cosette un signe emblématique de la sacralité royale, en même temps que Cosette dans l'auberge bonapartiste de Montfermeil devenait la duchesse de Berry.

Fille adoptive d'un millionnaire et petite duchesse : le conte de Noël est beau. Apparemment trop beau, parce qu'il semble gratuit et qu'il impose une contradiction difficilememnt admissible : Cosette, dans son enfance, est le plus misérable des personnages des Misérables, à part Fantine bien sûr, mais telle mère telle fille. Même Eponine et Gavroche dans leur plus grande détresse ne connaîtront pas une misère aussi terrible. Et pourtant cette incarnation de la misère enfantine est promue incarnation de la royauté légitime. Hugo a-t-il voulu écrire "le Sacre de la Souillon", avant ou après Le Sacre de la Femme, ou bien "La Poupée de l'Infante" ? Non, le sacre de Cosette dans ce livre des Misérables participe à un vaste mouvement de symbolisation de l'Histoire, qui exclut tout paradoxe, car il obéit à une logique romanesque très concertée.

 

Cosette à Waterloo.

Accomplissement de la promesse faite à la morte est la pièce essentielle de la constitution symbolique de l'Histoire en Roman, qui est l'objet de toute la deuxième partie des Misérables. Dès le début il s'opère une confusion entre romanesque et historique : le titre de cette partie est Cosette, mais son premier livre s'intitule Waterloo, façon d'annoncer que commence à s'écrire le Roman de l'Histoire. Ce que confirme le dernier chapitre de ce livre qui voit Thénardier tirer des traites à plus ou moins longue échéance sur le désastre final de l'Empire (31). Plus généralement la narratologie mise à l'oeuvre dans cette deuxième partie du roman en désigne l'enjeu historique et symbolique. L'action de son premier livre, Waterloo, daté du 18 juin 1815, est antérieure au début du roman, daté, lui, des "premiers jours d'octobre 1815" (32). Le commencement vient donc après le commencement, et, par ce procédé complexe qui mêle analepse et anisochronie, Hugo d'une part réinscrit de manière très spectaculaire (33) le roman dans sa matière historique, et d'autre part en profite pour introduire le personnage-clef de la construction romanesque des Misérables, Cosette (34).

Cosette avait fait une première apparition dans la première partie : on la voyait, habillée en poupée, jouer avec les petites Thénardier (35), puis son absence occupait le délire de Fantine à Montreuil-sur-mer. ELle n'avait alors guère qu'un rôle d'embrayeur au récit des misères de Fantine. Cosette entre donc véritablement en scène dans le troisième livre de la deuxième partie et désormais ne quittera plus le roman, jusqu'à l'avant-dernier vers du quatrain final. Ainsi cette double introduction de Cosette dans la fiction reproduit-elle à une plus petite échelle le double commencement du roman en octobre et en juin 1815. Avec Cosette il s'agit toujours de recommencer et dans l'ordre de l'Histoire ce recommencement s'appelle Restauration. Hugo s'est même payé le luxe de créer autour de Cosette une première et une deuxième Restauration, comme dans la réalité du XIXè siècle à ses débuts. Pareille mimèsis de l'Histoire par le Roman aide à se persuader que l'existence du personnage de Cosette est principalement d'ordre symbolique. Cela se vérifie dans les plus infimes détails d'écriture.

Lorsque pour son malheur Cosette arrive à Montfermeil "un soir du printemps de 1818" (36), "elle va sur trois ans" (37), dit sa mère : à l'évidence, Cosette est née le 18 juin 1815. Dans sa personne elle résume et symbolise l'écroulement de l'Empire (38). Quand on la retrouve cinq ans plus tard, elle évolue dans un affreux monde dégénéré, celui des Thénardier, qui est fait des débris lamentables de l'Empire : déjà à cette époque les Thénardier sont "joliment bonapartistes" (39), à ceci près qu'en 1823 le mythe napoléonien n'est pas encore constitué ou qu'il est à l état de larve : une enseigne d'auberge, hideuse et menteuse ; un charognard à l'oeil tricolore montré par des paillasses à des bonapartistes un peu bêtes (40). Il serait abusif de chercher dans le martyre de Cosette par les Thénardier des raisons d'ordre politique (la Restauration attaquée par des résidus de l'Empire !) : ce serait avoir une conception par trop mécanique de la symbolisation romanesque. Mieux vaut penser qu'en présentant des créatures tarées de l'Empire grouillant autour de la nouvelle duchesse de Berry Hugo a cherché à fonder en légitimité historique son choix d'incarner la Restauration en Cosette.

Néanmoins il est difficile d'admettre qu'un personnage chargé d'une telle symboliqiue puisse être porteur de tout le futur humanitaire et généreux, c'est-à-dire bourgeois, du roman. Il n'y a que Chateaubriand qui après 1830 se soit obstiné à voir une positivité dans la Restauration (41). Chateaubriand. C'est dans sa référence que s'écrit le deuxième livre de la deuxième partie, Le Vaisseau l'Orion, et en particulier son troisième chapitre, dont j'abrègerai le titre, interminable, en "Faut-il trouver bon la guerre d'Espagne ? (42). "L'année 1823 était ce que la restauration a appelé "l'époque de la guerre d'Espagne" (42)", guerre que Chateaubriand appelait simplement "ma guerre d'Espagne" (44)." Par-delà le règlement de comptes entre l'enfant sublime et le grand-père sublime (45), Hugo en deux pages dit la nature historiquement et idéologiquement contradictoire de l'année 1823 : elle marque l'apogée diplomatique et politique de la Restauration, mais elle en est aussi la dernière année faste. L'année suivante Charles X arrive au pouvoir et 1830 commence à se profiler (46). Cette contradiction qui mine l'année 1823 s'éprouve dans Cosette : gueuse va-nu-pieds et gamine royale. Quant à sa poupée magnifique, Catherine, j'oserais gager qu'en juillet 1823 elle était à la proue du vaisseau l'Orion qui, faisant eau après sa croisière en Méditerranée lors de la guerre d'Espagne, venait se faire radouber à Toulon (47). La contradiction qui est au coeur de l'année 1823 empêche de voir dans Cosette une image unilatéralement heureuse de la Restauration et permet de comprendre l'évolution ultérieure de ce personnage symbolique.

 

Désymbolisation

Symbolique, Cosette en réalité ne l'aura été que très peu de temps, le temps où elle aura eu avec elle sa poupée. Jean Valjean ne lui donne pas l'occasion de l'emporter lorqu'ils quittent la masure Gorbeau avec Javert à leurs trousses. Au couvent, Cosette n'a plus de poupée (48) ; elle n'en a peut-être plus besoin, puisque maintenant beaucoup de mères (49), un peu trop, l'entourent. La seule trace qui reste de la poupée est la petite valise où Jean Valjean a serré les vêtements de deuil de Cosette enfant et que Cosette a baptisée l'inséparable (50). L'inséparable est la poupée de la poupée : si elle est tout pour Jean Valjean, elle n'est rien pour Cosette et Cosette n'est plus symbolique que pour Jean Valjlean (51). La désymbolistion de Cosette n'apparaît pas immédiatememnt : son séjour de cinq ans au couvent, son ellipse momentanée dans la troisième partie, où tout est raconté du point de vue de Marius (52), occultent ce retrait du symbolique. Dans le livre cinquième de la quatrième partie, il n'y a cependant aucun doute : Cosette n'est plus qu'un personnage de roman et rien qu'un personage de roman ; elle devient même réelle au point de donner son nom à Marius (53). Toute charge symbolique lui est retirée, sans doute parce que seule une enfant héroïque de huit ans peut porter tout le poids de l'Hisotire et qu'une jeune fille amoureuse ne s'occupe pas de symbolisme historique.

La part de symbolisme qu'elle garde est à usage purement fictionnel. Cela apparaît clairement dans les quatre derniers livres de la dernière partie. Son mariage, avant tout, fait d'elle un pur objet romanesque :
"Cosette avait sur une jupe de taffetas blanc sa robe de guipure de Binche, un voile de point d'Angleterre, un collier de perles fines, une couronne de fleurs d'oranger ; tout cela était blanc, et, dans cette blancheur, elle rayonnait. C'était une candeur exquise se dilatant et se transfigurant dans la clarté. On eût dit une vierge en train de devenir une déesse (54)."
Plus encore que le tableau du Sacre de la Femme (55), Hugo dans ces lignes démarque la description qu'il a faite de la poupée merveilleuse dans la deuxième partie, et il charge M. Gillenormand d'indiquer ce parallélisme entre les deux épisodes. Dans son discours du 16 février il affirme avec toute son autorité libertine : "Une femme entre en scène, une étoile se lève ; à plat ventre !" (56) et une page plus loin il déclare à Cosette et à Marius : "Vous avez chipé à la loterie le bon numéro, l'amour dans le sacrement ; vous avez le gros lot, gardez-le bien" (57). L'emprunt textuel de ces deux phrases au livre de MOntfermeil montre nettement l'évolution du personnage de Cosette et son changement de statut dans le roman.

Cosette est devenue une poupée, gracieuse et charmante, mais dont le symbolisme est strictement limité. Lors de ses retrouvailles avec Marius ne l'a-t-elle pas grondé en lui disant :
"Oh ! que c'est méchant d'avoir été à cette bataille ! Qu'est-ce que je vous avais fait ? Je vous pardonne, mais vous ne le ferez plus (58)."
Que deviendra Marius ? Le roman est ouvert. Cosette, elle, a de beaux jours en perspective. Son mariage l'a fait devenir, dans l'ordre romanesque et non plus symbolique, une véritable reine, et c'est encore le grand-père Gillenormand qui le dit :
"La femme ! Il n'y a pas de Robespierre qui tienne, la femme règne. Je ne suis plus royaliste que de cette royauté-là. Qu'est-ce qu'Adamm ? C'est le royaume d'Eve. Pas de 89 pour Eve (59)."

Quelle royauté précisément ? On en aura une idée en écoutant Cosette dire à Jean Valjean sur son lit de mort : "Vous mangerez de mes fraises. C'est moi qui les arrose. Et plus de madame et plus de monsieur Jean, nous sommmes en république, tout le monde se dit tu (60)". Littéralement Cosette est "la meilleure des républiques". La "dauphine" de la monarchie légitime de 1823 est orléaniste en 1833 (61). C'est le sens de l'Histoire, c'est aussi la logique du Roman. Le symbolisme royal, sacré en 1823, s'est embourgeoisé et ne signifie plus que dans une sphère exclusivement romanesque (62), une fois que les derniers mythes de l'Histoire se sont effondrés.

 

L'atome fraternise avec la poupée.

Ce serait une lecture possible des Misérables, que le texte même autoriserait, si Cosette était la seule héroïne du roman. Or, dès son entrée en scène de 1823, Hugo lui a donné Gavroche comme frère d'infortune. Même s'ils ne se rencontrent jamais, excepté peut-être dans l'en-deçà du roman, ils forment tous deux un véritable couple, non réel, mais idéel. Et une bonne part du sens des Misérables tient dans l'impossibilité où ils sont de se rencontrer. A défaut d'une réunion de ces deux êtres, une conjonction s'opère entre ces deux atomes (63). Dans le chapitre Le gamin ennemi des lumières, Gavroche est envoyé par Marius porter une lettre à Cosette, mais c'est à Jean Valjean qu'il remet la lettre, - non sans avoir rebaptisé Cosette en "mamselle Chosette" (64). En elle-même la scène du 5 juin 1832 rue de l'Homme-Armé reproduit la scène du 24 décembre 1823 à Montfermeil : au trio Cosette-Catherine-Jean Valjean se substitue le trio Gavroche-Chosette-Jean Valjean, Cosette tenant maintenant le rôle de la poupée et Gavroche celui de Cosette. Cela se vérifie très précisément : Jean Valjean donne à Gavroche une pièce de cinq francs pour sa mère (65) et, comme Cosette en 1823, Gavroche éprouve la même peur en face de cette manifestation du sacré (66). De même, lors de la nuit de Montfermeil les conversations et les chansons disaient toutes à des degrés divers le mystère de la naissance et de la maternité (67); il en reste quelque chose en 1832. C'est ainsi que je comprends l'amusante saynète où Gavroche, poussant une charrette qu'il a volée s'explique avec un garde national lui barrant le passage :
"- Où vas-tu ? où vas-tu ? où vas-tu, bandit ?
Gavroche repartit :
- Voilà de vilains mots . La première fois qu'on vous donnera à téter, il faudra qu'on vous essuie mieux la bouche.
Le sergent croisa la baïonnette.
- Me diras-tu où tu vas à la fin, misérable ?
- Mon général, dit Gavroche, je vas chercher le médecin pour mon épouse qui est en couches (68)."

Malheureusement les noces de Cosette et de Gavroche n'auront pas lieu, elles resteront à l'état de fantasme romanesque. Marius aura beau expliquer un an plus tard à Cosette : "C'est à lui (Jean Valjean) que Gavroche aura remis ma lettre. Tout s'explique" (69), rien n'y fait : Gavroche est mort et Jean Valjean va mourir, chacun mettant fin à la pratique d'une Histoire épique.

Pourtant, les relations symboliques de Cosette et Gavroche avaient commencé sous un tout autre jour à Montfermeil. Cosette s'y révélait une nouvelle duchesse de Berry ; et Gavroche, qui était-il ?
"Par intervalles, le cri d'un très jeune enfant, qui était quelque part dans la maison, perçait au milieu du bruit du cabaret. C'était un petit garçon que la Thénardier avait eu un des hivers précédents, - "sans savoir pourquoi, disait-elle : effet du froid", - et qui était âgé d'un peu plus de trois ans. La mère l'avait nourri, mais ne l'aimait pas (70)."

"Agé d'un peu plus de trois ans", le 24 décembre 1823? Gavroche pourrait bien être né le 29 septembrem 1820, le même jour curieusement que le duc de Bordeaux, lui aussi enfant du miracle, que Hugo avec tous les poètes de son temps a célébré au moment de sa naissance (71), et à qui il adressera encore un poème dans l'Année terrible(72). Duc de Bordeaux et duchesse de Berry, Gavroche et Cosette entretiennent dans leur jeune âge une même relation symbolique à l'Histoire où se mêlent maternité, filiation et fraternité impossibles. Par la faute de Jean Valjean qui arrache Cosette à la misère et par la faute de la Thénardier qui jette Gavroche dans la misère, les routes de Gavroche et de Cosette se séparent.

Il fallait deux entrées en scène à Cosette pour acquérir un statut de personnage, il en faut quatre à Gavroche (73) : la première fois, en 1823, il est un anonyme petit tout seul qui pleure, abandonné des siens ; la deuxième fois, son nom apparaît dans un chapitre portant le fatal numéro 13, et lui-même montre enfin sa face d'orphelin ; la troisième fois, il rend visite à ses parents à la masure Gorbeau, pour apprendre qu'ils sont tous en prison, et c'est l'occasion pour Hugo de rappeler qu'il pleurait huit ans auparavant à Montfermeil (74); la quatrième fois est la bonne, et ce retard dans le roman lui vaut l'honneur de donner son nom à un livre entier : Le Petit Gavroche. Cet admirable livre est composé de trois chapitres qui sont occupés chacun par un même motif : la réinvention de la famille et de sa famille par un profond connaisseur de la socialité misérable. Or Cosette a une part de responsabilité dans cette restauration familiale à laquelle se livre Gavroche : à la fin du cinquième livre de la quatrièmem partie Cosette dit son nom à Marius et devient un personnange uniquement romanesque (IV,V). Aussi, au livre suivant (IV,VI), le petit Gavroche vient-il prendre le relais du symbolisme défaillant. Il adopte ses petits frères et tire son père de la prison, sans savoir qu'ils sont ses frères et son père. Ce faisant il sauve la misère, et aussi la préserve, en procurant une éducation de gueux aux moutards (75) et en remettant son père en circulation dans le roman. Le rapprochement de Cosette et Gavroche dans cette partie (IV, VI, 2) reprend celle de Cosette à Montfermeil en 1823 :
"Le petit Gavroche avait l'air d'admirer profondément une mariée en cire, décolletée et coiffée de fleurs d'oranger, qui tournait derrière la vitre ,montrant, entre deux quinquets, son sourire aux passants ; mais en réalité il observait la boutique afin de voir s'il ne pourrait pas "chiper" dans la devanture un pain de savon, qu'il irait ensuite revendre un sou à un "coiffeur" de la banlieue (76)."

 

Entrée en scène d'un éléphant.

La scène est la même et s'offre ironiquement à la fascination des lecteurs. Sauf que tout a changé : Catherine a grandi, elle est affublée du chapeau à fleurs d'oranger qui était celui de la Thénardier lors de son mariage, au dire de son mari (77) ; et surtout Gavroche ne regarde pas cette poupée, car elle ne signifie rien pour lui, le pain de savon lui importe plus (78). D'un côté, les signes de la légitimité royaliste et de la Restauration en 1823 ; de l'autre, les trafics de la misère et le choix, contraint et forcé, de la gueuserie. Il y a longtemps que "le petit qui criait" dans la deuxième partie était un avatar du duc de Bordeaux, alors que Cosette est encore très duchesse de Berry, à cause de ses amours clandestines par exemple (79). En 1832 le symbolisme de 1823 est dépassé, ce que dit la rencontre de Gavroche avec l'image de l'ancienne Catherine. Parallèlement, alors que la légitimité n'existe plus, les débris de l'Empire se rassemblent et arrivent à se constituer en mythe. Un symbolisme chasse l'autre, au fur et à mesure que l'Histoire avance.

Cette substitution d'un symbolisme à l'autre s'opère dans le chapitre Où le petit Gavroche tire parti de Napoléon le grand, que pour abréger, je rebaptiserai "Entrée en scène d'un éléphant", le rapport entre Montfermeil en 1823 et Paris en 1832 étant justement signalé par la présence de la poupée au début du texte. Outre que dans ce chapitre apparaît l'objet (80) qui, avec la poupée magique, fait que Les Misérables sont pour la conscience universelle Les Misérables, Hugo ici tord ensemble les trois rayons de Paris, de Napoléon et de la misère populaire, il crée un mythe. Il fait de l'éléphant un monument du symbolisme historien en l'intégrant à une triangulation politico-architecturale dont les deux autres éléments sont "le spectre invisible de la Bastille" (81) et le "tuyau de poêle" de la colonne de Juillet (82), Gavroche étant chargé de donner à cette construction symbolique sa vitalité romanesque en étant son âme et son cornac (83).

Inutile d'insister, tout cela est bien connu, - parce que c'est encore notre Histoire. Je préfèrerai m'attacher à la description elle-même du magnifique éléphant :
"Il était là dans son coin, morne, malade, croulant, entouré d'une palissade pourrie souillée à chaque instant par des cochers ivres ; des crevasses lui lézardaient le ventre, une latte lui sortait de la queue, les hautes herbes lui poussaient entre les jambes ; et comme le niveau de la place s'élevait depuis trente ans tout autour par ce mouvement lent et continu qui exhausse insensiblement le sol des grandes villes, il était dans un creux et il semblait que la terre s'enfonçât sous lui. Il était immonde, méprisé, repoussant et superbe, laid aux yeux du bourgeois, mélancolique aux yeux du penseur. Il avait quelque chose d'une ordure qu'on va balayer et quelque chose d'une majesté qu'on va décapiter (84)."

Page magnifique. La complexité symbolique est à son comble : la majesté et l'ordure désignent conjointement autant la monarchie et l'Empire que la misère, et l'élimination envisagée par balayage ou décapitation est aussi bien celle du résidu misérable qui choque la bourgeoisie que celle des forces historiques et politiques qui laissent subsister la misère. Cette ambivalence symbolique est illustrée dans l'ordre romanesque par ce que représente l'éléphant pour Gavroche : sa liberté et aussi son aliénation. A un autre niveau cependant la contradiction est dépassée, si à la suite de Hugo on substitue aux questions politiques les questions sociales. L'éléphant est une pensée du "membre de l'Institut, général en chef de l'armée d'Egypte" (85), mais la misère des temps a transformé cet emblème du premier Empire en "une sorte de symbole de la force populaire"(86) : en installant Gavroche dans l'éléphant, Hugo, grâce à une symbolisation puissante, transcende l'Histoire napoléonienne et sur ses ruines écrit le Roman de la misère. De cette manière il fait d'une pierre deux coups : il donne une dimension mythique aux souvenirs du premier Empire si grotesques en 1823 à Montfermeil et, tout à la fois, retourne et dépasse dans la quatrième partie des Misérables la relation Cosette-Waterloo de la deuxième partie en une relation Gavroche-Bonaparte (87).

Un dernier point vaut d'être souligné. L'éléphant de la Bastille est d'une monstrueuse laideur, à la différence de la poupée d'une beauté rayonnante, du moins aux yeux de Cosette. Dans les deux cas ces créatures symboliques disent la sublimation de la misère : par le haut avec la poupée, par le bas avec l'éléphant. Et c'est l'éléphant qui a la force symbolique la plus grande. Cela ne tient pas seulement à sa monumentalité, mais aussi à ce qu'il montre crûment la misère cependant qu'il en montre simultanément la sublimation, tandis que la poupée n'est que sublimation. L'épisode de l'éléphant suggère donc avant l'épisode de l'égout (88) que "la preuve se fait par les abîmes" (89), que la spiritualisation de la misère, sa disparition, passe d'abord par la prise en compte de sa matérialité, de sa matérialité la plus immonde (90).

 

L'alouette et le moineau

Le gamin de Paris, "c'est le nain de la géante" (91). C'est le petit de l'énorme ville. Aussi les deux animaux qui désignent métaphoriquement le gamin sont-ils le moineau et le rat. Le rat est "le produit de l'accouchemennt de Paris" (92) et il vit dans les égouts, et dans les éléphants. Gavroche s'en protège avec une zinzelière (93) et momentanément les écarte en allumant un rat de cave (94). Lui-même sans doute est un petit rat, puisqu'il vit dans un éléphant et que l'éléphant est une créature géante, comme la ville de Paris et comme la Thénardier, toutes deux ses mères. A moins que ces rats ne soient des souris, des souris très méchantes qui ont mangé le chat de Gavroche (95). Est-ce bien le chat de Gavroche ? Peut-être, mais ce chat a reçu sa première éducation à Montfermeil, où il était emmailloté par Eponine et Azelma et transformé en poupée vivante sous le regard de Cosette (96). Qui est Cosette ? Comme Gavroche est le moineau, elle est l'alouette (97) ; comme Gavroche est le rat de l'éléphant, elle est, esclave de la Thénardier, "une souris au service d'un éléphant" (98). Pour que l'intrication entre romanesque et historique, entre thématique et idéologique, soit inextricable, Hugo signale qu'en 1818 la Thénardier "avait à peine trente ans" (99), ce qui la fait naître en 1789 (100) : la logique du Roman et de l'Histoire est imparable.

Pour finir, écoutons un bel échange de répliques entre Jean Valjean et Cosette, qui aide peut-être à comprendre l'originalité provocatrice et profonde de l'écriture symbolique de Hugo :
"Ils atteignirent le village ; Cosette guida l'étranger dans les rues. Ils passèrent devant la boulangerie, mais Cosette ne songea pas au pain qu'elle devait rapporter. L'hommme avait cessé de lui faire des questions et gardait maintenant un silence morne. Quand ils eurent laissé l'église derrière eux, l'homme, voyant toutes ces boutiques en plein vent, demanda à Cosette :
- C'est donc la foire ici ?
- Non, monsieur, c'est Noël (101)."

 


1. Hugo, CFL, XIV, p. 1254.

2. Ibid. Cette lettre de 1868 à l'éditeur Lacroix est importante : Hugo y déclare n'avoir jamais écrit de romans historiques.

3. Sur Notre-Dame de Paris, on se reportera aux travaux de J. Seebacher : "Gringoire, ou le déplacement du roman historique vers l'Histoire" (RHLF, ,1975) et l'éd. critique du roman (La Pléiade, Gallimard, 1975). Sur L'Homme qui rit je me permettrai de renvoyer à mon article: "Le romanesque et l'écriture de l'Histoire dans L'homme qui rit", in La parole-monstre de Victor Hugo, Sedes, 1985, dont je reprends la problématique, inspirée elle-même largement des travaux de J. Seebacher sur Notre-Dame de Paris.

4. Jugement cité par G. Lukacs dans Balzac et le réalisme français, Maspéro, 1967, p. 103. Cette page de Lukacs peut être lue comme un excellent exemple de dogmatisme borné, d'aveuglement idéologique ou d'incapacité à penser le littéraire en tant que tel : je penche pour cette dernière solution. Quant à Goethe - très proprement exclu du catalogue des génies de William Shakespeare - son jugement a empoisonné les études sur Hugo pendant des décennies : les personnages hugoliens ont-ils une psychologie ? leur absence d'épaisseur psychologique est-elle regrettable ? etc ? Pour Cosette, N. Savy, en intitulant sa contribution à Lire Les Misérables (Corti, 1985), "Cosette, un personnage qui n'existe pas", a porté à ce concept de personnage, inopérant chez Hugo, un coup fatal qui fait date.

5. Sur une enveloppe, adressée au pair de France qu'il est depuis le 13 avril 1845, Hugo note ces quatre lignes :

"Histoire d'un saint
Histoire d'un homme
Histoire d'une femme
Histoire d'une poupée."
Est-ce un plan ? est-ce un état d'avancement du roman ? Cela date-t-il de 1845 ou de 1847?

6. Mis., II, VIII, 9 (448) Le chiffre qui suit entre parenthèses la localisation dans Les Misérables renvoie à l'édition "Bouquins". Jean Valjean et Cosette sont partis de la masure Gorbeau en Mis. II, IV, 5 (351) et c'est seulement au couvent que l'on apprend que Cosette n'a pas emporté Catherine.

7. Mis., II,III,4 (305). Compte tenu de la symbolique de ce livre, pourquoi ne pas entendre davantage mages que magie dans magique?

8. Mis., II, III, 5 (306).

9. Mis., II, III, 3 (304). Sur la première appellation on notera qu'en Mis., IV, III, 5 (708), Cosette refusera d'être une "madame Chien-fou" en continuant à porter ses vêtements de pensionnaire, - lesquels par leur simplicité rappellent ceux qu'elle portait en quittant Mmontfermeil : la Cosette de 1823 a définitivement quitté la scène en 1829-1830. D'autre part, l'anonymat injurieux dont est victime Cosette se retournera contre Jean Valjean en Mis., II, III, 10 (337) : Thénardier l'appellera "monsieur-dont-je-ne-sais-pas-le-nom".

10. Mis., II, III, 8 (318).

11. Ce nom a fait couler beaucoup d'encre : est-ce un souvenir de Catherine Thomas? de Léopoldine, dont le troisième prénom était Catherine ? (cf. G. Rosa, Mis., 1187, n. 15). Hypothèses toutes possibles, mais invérifiables. Peut-être vaut-il mieux [mais il vaudrait mieux aussi supprimer la note 25 -c'est moi (G.R.) qui souligne l'inconséquence] constater en Mis.,V, V, 4 (1059) qu'une autre Catherine apparaît dans un des discours lyriques de M. Gillenormand :"Il y a une certaine sainte Catherine que je voudrais toujours voir décoiffée." La patronne des filles à marier convient à Cosette aussi bien en 1823 qu'en 1832, bien qu'elle soit un peu jeune en 1823. Fantasme enfantin donc.

12. Mis., II, IV, 3 (346). La relation de paternité/filiation entre Jean Valjean et Cosette se fonde sur une absence, celle de la mère et de l'épouse, et sur une absente, Fantine ; sur le manque et le deuil. Ce vide est d'abord comblé par Catherine. En quittant Montfermeil Cosette la serre dans ses bras, se faisant la fille de sa mère. Le couple parental se constitue dans le symbolique autour de Jean Valjean/Catherine. Ensuite, l'inséparable ayant pris la place de Catherine,, c'est elle qui jouera le deuxième terme du couple parental,et un oedipe apparaît même en Mis., IV, III, 1 (698). Les choses cependant se compliquent considérablement si l'on pense que Catherine et l'inséparable sont autant des substituts de la mère que de la fille.

13. Mis, II, III, 4 (305). "La dame", par exemple, c'est Notre- Dame, la Vierge.

14. Cf. C .Baudoin,, Psychanalyse de Victor Hugo, A. Colin, 1972, pp.291-295, et A. Ubersfeld, "Hugo récrit Lear", in Paroles de Hugo, Editions sociales, 1985, pp. 153-165.

15. En Mis.,II, III, 8 (327) Hugo décrit l'endroit où dort Cosette chez les Thénardier. La petite est couchée sur "une paillasse trouée jusqu'à montrer la paille" : en cette nuit de Noël, cette paille est celle de la crèche.

16. Rachat, et non rédemption : cf. J. Delabroy, "Coecum", in Lire Les Misérables, pp. 113-114.

17. Mis., II, III, 8 (324). Une page plus loin la poupée vaut quarante francs.

18. Mis., II, III, 8 (325). Sur l'argent dans le roman, cf. J.C. Nabet et G.Rosa, "L'argent des Misérables", Romantisme, 1983, n° 40. Le traitement de l'argent dans l'épisode de Montfermeil mériterait à lui seul une étude. Donc, deux remarques seulement. 1) Jean Valjean parle en francs et les Thénardier en sous. A la fin de l'épisode Thénardier s'avise de faire payer son hébergement à Jean Valjean en francs, puis il se ravise et lui fait payer des sous afin d'obtenir une grosse somme en francs, et éventuellement en écus : en vain. 2) Les sommes dépensées par Jean Valjean suivent une courbe exponentielle, sans doute parce que Jean Valjean essaie d'acquitter les dettes de Fantine à l' égard de Cosette et de s'acquitter des siennes propres à l'égard de Fantine (cf. Le titre du livre).

19. Mis., II, III, 9 (333). Au contraire, lorsqu'elle était partie chercher de l'eau en Mis., II, III, 4 (305), il n'y avait "pas d'étoile au ciel".

20. Mis., II, III, 5 (305). Les guillemets à chose signalent la reproduction d'un mot d'enfant, l'impossibilité de nommer une telle merveille et le jeu de mots avec Cosette, la petite chose (à moins que l'on ne préfère voir dans Cosette une traduction burlesque de son vrai prénom, Euphrasie, la bavarde).

21. Cf.Mis., IV, XV, 2 (915). Le nom de Cosette est formé par un diminutif, tout comme le prénom-nom-surnom Gavroche : cf. A. Ubersfeld, "Nommer la misère", in Paroles de Hugo,, p. 149.

22. Mis., II, III, 8 (324).

23. Commele remarque J. Massin, in CFL, XI,p. 325, n. 2.

24. Mis., II, III, 8 (325).

25. Mis., II, III, 8 (323). Pourquoi une czarine ? parce que la plus connue est sans conteste Catherine II.

26. Mis., II, III, 8 (327).

27. Mis., II, III, 9 (329).

28. Mis., II, III, 9 (333). Le nom de la pièce est important : "Ce n'était pas un napoléon, c'était une de ces pièces de vingt francs toutes neuves de la restauration sur l'effigie desquelles la petite queue prussienne avait remplacé la couronne de laurier."

29. Mis., II, III, 6

30. Mis., II, III, 6 (311).

31. Sur le sens de Waterloo dans le roman,, cf. les remarques de G. Rosa dans son éd. du Livre de Poche, 1985, I, pp. 530-531, n. 1.

32. Mis.,I, II, 1 (49).

33. Le parallélisme entre Jean Valjean et Napoléon est bien connu. Cf. G. Rosa, Mis., Bouquins, p. 1172, n. 2 et n. 3.

34. Cf. N. Savy, loc. cit., pp. 173-174.

35. Mis., I, IV, 1 (121).

36. Mis., I, IV,, 1 (117). A noter le parallélisme avec Mis., I, II, 1 (49).

37. Mis., I, ,IV, 1 (122).

38. Marius, au contraire, est né en 1810, à l'apogée de l'Empire. Le symbolisme du roman passe autant par l'union de l'étudiant pauvre et orphelin et de la fille naturelle de la prostituée, que par celle de 1810 et de 1815, - à la lumière de 1851.

39. Mis., III, VIII,4 (586).

40. Mis., II, III, 1 (298). Le vautour est un charognard, de même que Thénardier sur le champ de bataille de Waterlooo.

41. Cf., par exemple, M.O.T., éd. Levaillant,, IV, ,pp. 15-18.

42. Mis., II, II, 3 (290). La guerre d'Espagne dans ce chapitre est présentée comme une parodie des guerres impériales, ce qu'elle était : "cette guerre, faite par des princes qui descendaient de Louis XIV et conduite par des généraux qui sortaient de Napoléon. Elle eut le triste sort de ne rappeler ni la grande guerre ni la grande politique" (291). La guerre d'Espagne a, au moins, deux retombées dans le roman : en Mis., II, IV, 3 (346) Jean Valjean se fait passer auprès de la principale locataire de la masure Gorbeau pour "un rentier ruiné par les bons d'Espagne", et en Mis., III, VIII, 3 (580) Thénardier envoie une lettre signée "Don Alvarès,, capitaine espagnol de caballerie, royaliste réfugié en France" à la marquise de Grucheray pour obtenir d'elle un secours.

43. Mis., II, II, 3 (291)

44. M.O.T., éd. Levaillant, III, p. 245. Hugo en 1861-1862 (le développement sur la guerre d'Espagne est une addition de l'exil) connaissait fort bien l'opinion de Chateaubriand,, pour avoir lu Le Congrès de Vérone, paru en 1838.

45. Cf. J. Massin, CFL, XI, p. 299, n. 11.

46. Cf. Mis., II, II, 3 (292) : "1830 germa dans 1823".

47. Cf. Mis., II, II, 3 (294). L'assimilation de Catherine à la poupée de l'Orion n'est pas dans le texte, mais je m'autorise des Travailleurs de la mer pour la formuler. Ce roman, dont l'action commence "la Christmas de 182." (1823, peut-on supposer) met en scène une vraie poupée de bateau (T.M., I, III, 10 et II, I, 9) qui a une valeur symbolique, puisqu'elle représente Déruchette, autre Cosette.

48. Cf. Mis,, II, VIII, 9 (448). Cependant, on notera en Mis., II, VI, 6 (394) la présence d'un petit mannequin dérisoire.

49 Cf. Mis., IV, III, 4 (703) : "Cosette n'avait pas eu de mère. Elle n'avait eu que beaucoup de mères, au pluriel." Plus loin (705) Cosette se dit en voyant Jean Valjean : "C'est peut-être ma mère, cet homme-là."

50. Mis., IV,, III, 1 (698), où le nom l'inséparable est pour la première fois écrit. La valise elle-même que ce nom désigne apparaît en Mis., II, VIII, 9 (448), alors que dans les lignes précédentes a été mentionnée l'absence de poupée, celle-là prenant le relais de celle-ci. L'inséparable contient l'image de Cosette enfant, réduite à ses vêtements de 1823, des vêtements de deuil. C'est l'image d'une Cosette morte (les vêtements sont comme embaumés dans la naphtaline) sur laquelle Jean Valjean fait une fixation régressive.

51. Mis., V, VI, 3 (1086-1088) et Mis., V, IX, 3 (1128).

52. Dans l'épisode du Mauvais Pauvre (Mis., III, VIII) tout le livre de Montfermeil est repris (cf. pp. 628-629). L'anecdote est rappelée avec fureur par Thénardier qui surnomme Jean Valjean "monsieur le donneur de poupées" (628). Seulement, Marius qui écoute et voit est incapable de comprendre ce qu'il voit et ce qu'il entend.

53. Mis., IV, V, 6 (744).

54. Mis., V, VI, 2 (1080).

55. Cf. L.S., P.S., Le Sacre de la Femme, vv. 63-75.

56. Mis., V, VI, 2 (1084). Cette phrase reprend le titre de Mis., II, III, 4 (305) : Entrée en scène d'une poupée, et l'ordre donné à la Thénardier par son mari en Mis., II, III, 8 (324). Dans les deux cas il s'agit de la poupée et des réactions qu'elle suscite. En 1833 Cosette est la poupée.

57. Mis., V, VI, 2 (1085). Cette phrase reprend le titre de Mis.,II, III, 11 (337) : Le numéro 9430 reparaît, et Cosette le gagne à la loterie. En 1833, Jean Valjean n'est plus le bon numéro.

58. Mis., V, V, 4 (1058).

59. Mis., V, VI, 2 (1084).

60. Mis., V, IX, 5 (1143)

61. On peut supposer que, la Restauration n'ayant pas reconnu son titre au colonel Pontmercy, la Monarchie de Juillet, elle, l'aura reconnu à Marius.

62. Cela affecte en premier lieu la figure même du pouvoir royal. Comparer le portrait de Louis XVIII en Mis., II, III, 6 (310-311) et celui de Louis-Philippe en Mis., IV, I, 3 (657-662). Voir aussi le jugement du narrateur en Mis., IV, I, 3 (660), où il est question de "la politique plus familiale que royale " de Louis-Philippe.

63. Le mot atome sert à qualifier le Gamin de Paris en Mis., III, I (457) et Cosette en Mis., II, III, 5 (307), et dans les deux cas la même référence à Lucrèce (cf. J. Seebacher, "Magnitudo parvuli", in Lire Les Misérables, p. 202 et n. 34) : "Le frémissement nocturne de la forêt l'enveloppait tout entière. Elle ne pensait plus, elle ne voyait plus. L'immense nuit faisait face à ce petit être. D'un côté, toute l'ombre; de l'autre, un atome."

64. Mis., IV, XV, 2 (915).

65. Mis., IV, XV, 2 (914). Les Misérables est le roman des pièces de cinq francs : cf. G. Rosa, éd. du Livre de Poche, I, p.544, n. 2 à la p. 413.

66. Mis., II, III, 9 (333) et Mis.,IV, XV, 2 (914).

67. Mis., II, III, 8 (321), où les petites Thénardier réinventent la génération des animaux et des enfants (elles ont fait du chat une poupée), et où Cosette joue avec un sabre emmailloté en poupée. Dans les deux cas la poupée est substitutive, et doublement substitutive, puisque, chat ou sabre, ce n'est pas une poupée. D 'autre part, pendant que les enfants jouent à la poupée, les buveurs chantent : "C'était une gaillardise de haut goût où étaient mêlés la Vierge et l'enfant Jésus."(322)

68. Mis., IV, XV, 4 (920). Rien de moins gratuit que cette scène funambulesque, si l'on voit dans la charrette de Gavroche celle du Père Fauchelevent et dans les cinq cheveux du garde national,qui pourraient être vendus, selon Gavroche, chacun cent francs, un rappel des cheveux de Fantine (146).

69. Mis., V, IX, 4 (1143).

70. Mis., II, III, 1 (299).

71. Cf.Odes et Ballades, éd. de 1828, I,8 et I,9.

72. L'Année terrible, Juillet, VIII.

73. Mis., II, III, 1 (299) ; Mis., III, I, 13 (470-472) ; Mis., III, VIII, 22 (645-646) ; Mis., IV, VI, 2 (747 sv.).

74. Mis., III, VIII, 22 (645).

75. Au contraire, leur mère adoptive, la Magnon, veut leur donner une éducation bourgeoise, cf. Mis., IV, VI, 1 (746-747). Gavroche, lui, fera "l'instruction de ces êtres en bas âge" (760) en leur apprenant l'argot, cf. Mis., IV, VI, 2 (759-762).

76. Mis., IV, VI, 2 (748).

77. Mis., II, III, 8 (326-327).

78. Ce pain de savon renvoie peut-être au pain que Cosette a oublié d'acheter en Mis. II, III, 7 (315) ou à celui que Jean Valjean a volé en Mis., I, II, 6 (69). A remarquer que la scène de Noël 1823 à Montfermeil reprend celle d'octobre 1815 à Digne (l'auberge, "monsieur", la chambre, etc.) : le pain que Cosette a oublié d'acheter est bien celui que Jean Valjean avait volé à Faverolles en 1795... Enfin, on notera que l'auberge des Thénardier se trouve Ruelle du Boulanger.

79. On se rappelle que la duchesse de Berry, arrêtée après sa tentative en Vendée et enfermée à Blaye, avait en 1833 donné naissance, treize ans après la mort du duc de Berry, à un nouvel enfant du miracle.

80. Dès le début de l'écriture de Jean Tréjean, en 1846, Hugo recueille un morceau de la maquette de l'éléphant,, cf. B. Leuilliot, Présentation des Misérables, CFL, XI, p. 10.

81. Mis., IV, VI, 2 (755).

82. Mis., IV, VI, 2 (756).

83. Son rôle et sa place dans l'éléphant sont comparables à ceux de Quasimodo dans la cathédrale.

84. Mis., IV, VI, 2 (755)

85. Mis., IV, VI, 2 (755). Napoléon n'est pas encore Napoléon, mais Bonaparte.

86. Mis., IV, VI, 2 (755).

87. Gavroche vient redonner une positivité à l'Histoire du Directoire : en 1796 tout n'est pas encore condamné au désastre de 1815, - même si c'est en 1796, sous le Directoire, que Jean Valjean est envoyé au bagne.

88. Une même mythologie biblique réunit l'égout de Paris, "l'intestin de Léviathan", et l'éléphant de Gavroche, baleine de Jonas (758).

89. Cette phrase appartient à un des chapitres retirés de Patron-Minette, cf Mis., éd. d'Y. Gohin, Folio, III, p. 547.

90. Sur la scatologie dans Les Misérables, cf. Mis., II, I, 14- 15 (271-272), Mis., IV, VII, 2 (784-785), Mis., V, II-III (991-1028), et passim.

91. Mis., III, I, 2 (547).

92. Mis., V, II, 1 (994).

93. Mis., IV, VI, 2 (763).

94. Mis., IV, VI, 2 (758).

95. Mis., IV, VI, 2 (763).

96. Mis., II, III, 8 (320-321).

97. Mis., I, IV, 3 (125-126).

98. Mis., II, III, 2 (300).

99. Mis., I, IV, 1 (121).

100. Y. Gohin ( "Une histoire qui date", Lire Les Misérables, p. 43) doute que ce soit possible, car en Mis., II, III, 2 (299) et Mis., III, VIII, 6 (592) la Thénardier est née en 1783. L'objection est recevable, mais pourquoi le personnage de la Thénardier n'aurait-il pas une double date de naissance, l'une réelle (1783), l'autre symbolique (1789). Pour un tel monstre, c'est bien le moins.

101. Mis., II, III, 7 (315)