Sylvie Brodziak : Clemenceau lecteur de Hugo
Communication au Groupe Hugo du 5
avril 2008
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Je suis très honorée et heureuse dintervenir aujourdhui devant vous. En effet, non seulement vous rencontrer est important mais aussi parce que Victor Hugo , comme vous le découvrirez dans quelques instants, appartient à lhistoire familiale des Clemenceau.
Ainsi, dans un premier temps , je souhaite rappeler limportance du legs hugolien fait par son père à Georges Clemenceau, dans un second temps jétudierai lappropriation de celui-ci par lhomme politique et lécrivain quil fut , enfin, en guise de rapide conclusion, je verrai quelles sont les traces profondes de Hugo qui demeurent aujourdhui dans la mémoire et les lieux des descendants de Clemenceau.
I) Hugo en héritage
Clemenceau, né en 1841, fut élevé comme tout petit garçon du milieu du XIXe siècle.
Jusquà lâge de 10 ans, il est éduqué dans la maison familiale puis, à partir du collège, à la différence de ses surs Emma, Adrienne et Sophie qui, elles, sont toutes instruites à la maison par leur mère, il va connaître, à Nantes, la pension et le Lycée Impérial. Sa prime éducation est toutefois strictement maternelle : le petit Georges entouré de toute laffection et attention de sa mère évolue dans un univers clos où, son père étant peu présent dans la journée, Sophie est au quotidien souveraine : « Dans le courant de la journée, je ne voyais pas beaucoup mon père, qui ne fichait rien et qui, comme tous les hommes qui ne fichent rien, était assez occupé [...] » [1] .
Mais son rôle ne se borne pas à la simple phase de maternage. Sophie Gautreau est une femme moderne qui non seulement éduque mais instruit son fils et ses filles. Sophie est cette « mère institutrice » qui veut inculquer des valeurs autant intellectuelles que morales à ces jeunes enfants. Georges Clemenceau, même très âgé, reconnaît avec tendresse cette empreinte maternelle. Lors dun entretien avec Jean Martet , le 26 juin 1928 alors que ce dernier lui demande : « Et vos études ? Avant daller au collège ? » Clemenceau répond : « Cest dabord ma mère qui sest occupée de ça [...] Ma mère était une femme admirable. Elle a appris le latin pour pouvoir me lenseigner[...] » [2] .
La langue des humanités nest pas le seul enseignement que Sophie donne à son fils aîné. Issue dune famille de tradition républicaine, aux côtés de son mari Benjamin , elle fait définitivement entrer Georges en république [3] . Benjamin Clemenceau, le père, constitue un phénomène dans la mémoire familiale des Clemenceau. Lorsque Jean Martet demande le 26 juin 1928 quelles ont été les influences qui ont agi sur lui, Georges Clemenceau « commence par ouvrir de grands yeux » puis répond : « Ah ! bien, je crois que la seule influence qui ait eu quelque effet sur moi, cest... oui, celle de mon père. »
Georges, fils aîné, avoue avoir été très impressionné par ses idées et ses audaces. « Celui à qui je dois tout » proclame-t-il au banquet de Montaigu en 1906. Cette affirmation de lempreinte indélébile laissée par le père est commune dans ce dix-neuvième siècle où « le père est la figure de proue de la famille comme de la société civile » [4] . Comme tout chef de famille, Benjamin est le maître de largent du ménage : « Avec largent de mon oncle, comme mon père était ordonné, quil faisait attention, dépensait très peu, il sen est tiré » et cest lui qui prend les décisions fondamentales.
Que ce soit le soir à table ou pendant les grandes vacances, il joue son rôle de père transmettant la masculinité et ouvrant lesprit de ses enfants à la réflexion et au savoir. Benjamin chasse avec son fils, « élève ses garçons à cheval [5] » et parcourt avec lui la Vendée :
« Avec son père, écrit Geffroy , il visita les villes, les villages, les campagnes, il apprit sur place lhistoire de la Révolution dans lOuest, les péripéties violentes des guerres de la Chouannerie à travers les chemins creux, les fossés et les haies du Bocage [...]. » « A table, il parlait beaucoup de ses lectures, il lâchait sa philosophie en boutades, et peu à peu ça entrait en moi. » [6]
Plus attentif à léducation des garçons, il soccupe particulièrement de linstruction de Georges : « Il me disait donc à dîner : Quest-ce que tu as appris aujourdhui ? Je le lui disais. Je lui racontais les théories cléricales quon mavait servies dans la journée sur lâme [...] ». Lorsque Benjamin est arrêté en 1858, il écrit quelques recommandations à sa femme, nombreuses sont celles qui intéressent le petit Georges :
« Je désirerai quaprès Pâques Georges reprit ses leçons darmes avec Moreau.[ ] Tu diras à Georges de monter ma jument [...]. Dans quelque temps dici, il faudra tenquérir auprès de M. Desprez sil est nécessaire quil donne quelques répétitions à ton fils.[...] Jengage Georges à lire larticle sur Rome qui est dans la revue quil a emportée et à garder en note le numéro de cette revue. [7] »
Parmi tout ce que Benjamin a pu transmettre à son fils choix et fidélité à la République, athéisme, viscérale insolence deux passions nous intéressent aujourdhui plus particulièrement : celles des livres et celle de Victor Hugo.
Au XIXe siècle, les livres et la bibliophilie sont affaires dhommes et Benjamin est celui qui initie Georges à la fréquentation des livres, ceux de sa bibliothèque personnelle [8] ou ceux du cabinet de lecture Plançon . La nouvelle « Justin Cagnard », armateur, extraite de Aux embuscades de la vie, décrit ce lieu, sis au coin de la place Graslin et de la rue Jean-Jacques Rousseau à Nantes :
" Ce cabinet consistait en un grand couloir aux murailles garnies de livres, aboutissant à deux fenêtres sur la place Graslin. Le maître du lieu trônait là derrière un grand pupitre, recevant et rendant des volumes crasseux, romans, livres d'histoire dont une importante clientèle d'employés et de petits bourgeois faisait son ordinaire pâture [...] "
Cest donc là que le jeune Georges emprunte les livres, mais ce cabinet nest pas uniquement une sorte de bibliothèque municipale, cest lespace dexpression du « parti libéral » [9] et « le centre de toutes les informations sur les affaires publiques et les choses de la cité.» Georges y trouve lectures, débats et rumeurs : « Il paraît quon a dit cela chez Plançon était un argument de poids dans les discussions nantaises. » Dans la bibliothèque de Clemenceau, actuellement rue Franklin au musée, certains ouvrages proviennent de celle de Benjamin et permettent de confirmer la marginalité idéologique dans laquelle baigne Clemenceau enfant et adolescent. Benjamin, homme de réflexion, sintéresse aux idées nouvelles dont celles de Louis Blanc , Blanqui , Buonarroti [10] , Proudhon et autres, moins connus, aux pensées dérangeantes voire « dangereuses ».
Luvre de Victor Hugo fait également partie de cette bibliothèque paternelle par la présence de deux livres : Le Beau Pécopin, (Hachette, 1857) et Quatorze Discours, (Librairie Nouvelle 1851). Ces deux uniques ouvrages ne reflètent quimparfaitement ladmiration sans bornes que Benjamin éprouve pour Victor Hugo, et ceci depuis 1830.
Arrivé à pieds à Paris, Benjamin Clemenceau assiste à la bataille dHernani [11] , puis en juillet participe à la Révolution. Ce haut moment de lhistoire du théâtre est un événement fondateur pour Benjamin. Linitiant de façon concrète à la contestation et à la subversion, il reste gravé à jamais dans sa mémoire. Ainsi, Benjamin Clemenceau élève son fils dans ladmiration de Hugo, placé au sommet de son Panthéon littéraire : « Mon père, au fond, était un romantique, qui avait transporté dans la politique, dans la sociologie, les idées littéraires de Victor Hugo et de ces gens-là. » [12]
Clemenceau , qui jouit dune personnalité tout aussi forte que son père, sapproprie à sa façon ce don de Hugo. Et si tout au long de sa vie, par certains de ses combats et de ses écrits il revendique tacitement la filiation, il ne cesse de laménager, de la transformer pour finalement se démarquer du romantique que fut Hugo.
II) Clemenceau , fils du romantisme ?
Lhomme détat que devient Clemenceau est incontestablement le plus inspiré par Victor Hugo.
Clemenceau provincial devenu parisien sest formé politiquement dans le cercle républicain des proscrits du 2 décembre.
En octobre 1861, Clemenceau arrive à lembarcadère, 44 boulevard du Montparnasse, accompagné par son père. Fort de son expérience détudiant en médecine dans les années 30, Benjamin veut chaperonner et introduire son fils dans la capitale. Cette initiation à la vie parisienne se fait essentiellement par le biais de visites. Par celles-ci, le jeune homme pénètre des réseaux de sociabilité où il va pouvoir se reconnaître et être reconnu. Lappartenance à lopposition républicaine est le premier signe distinctif. Identifié en province par ses opinions politiques, Benjamin demblée présente son fils à lopposition parisienne.
La première visite au « grand homme » est pour Etienne Arago , frère du grand physicien François Arago , rentré en France en 1859, contrairement à Hugo.
Chez lui, Clemenceau connaît Ranc , Eugène Pelletan , Henri Lefort , Henri Rochefort , Prolo , François Lacour , Jules Méline , Eugène Protot , [13] tous opposants, tous républicains, tous ayant connu Hugo.
Georges Clemenceau, au soir de sa vie, approuve cette stratégie paternelle lorsquil confie à Martet : « Mon père tenait plus à me voir fréquenter Lefort que la Faculté : car, par Lefort, qui avait connu Hugo (exilé comme lui après le 2 décembre), recueilli son verbe, toutes les portes souvraient. » Ainsi, lobéissance filiale caractérise les rapports entre Benjamin et Georges ; ce dernier ne se construit pas « contre » son père ; il ne rejette pas la philosophie et lengouement paternels, au contraire tout au long de son parcours, il va saisir les occasions de les cultiver de façon toute personnelle.
En conséquence, par éducation et par choix, Clemenceau , dès le début de sa vie politique, vit sous les auspices de Hugo et ceci se matérialise concrètement dans trois grands combats communs aux deux hommes :
- la lutte contre le Second Empire mère de la haine contre Napoléon III,
- la lutte pour lamnistie.
- le combat contre la peine de mort
La lutte contre le Second Empire est le tout premier combat de Clemenceau, étudiant en médecine, journaliste dans ces feuilles éphémères du quartier latin.
Arrêté le 23 février 1862 pour avoir apposé à la Bastille des affiches appelant à une grande manifestation à loccasion du quatorzième anniversaire de la II République, il reste 77 jours à Mazas et ainsi, comme son père interné en 1851 et 1858 pour opposition à lEmpire, connaît, à son tour, lunivers carcéral. Lépreuve est rude. Clemenceau enfermé est profondément malheureux. Sa seule consolation est livresque et voici les ouvrages quil réclame le 2 mars 1862 à une libraire :
Dimanche 2 mars 1862
Madame
Je suis détenu à Mazas* pour affaire politique [14] . Selon toute apparence on ne me gardera pas bien longtemps, mais comme jai besoin de livres pour me distraire je vous prie de menvoyer par le commissionnaire qui vous remettra cette lettre les volumes suivants.
Shakespeare traduction française
Victor Hugo* tous les volumes moins les trois premiers.
Le fou Yégoff [15] - Erckman-Chatrian
Comédies et proverbes [16] - Alfred de Musset :
Histoire des Treize, le Père Goriot, la Peau de chagrin [17] Balzac -
Valvèdre-la famille de Germandre [18] - G. Sand -
La Légende des Siècles [19] - Victor Hugo-* Le Rhin [20] .
Tout cela fait une somme que je ne vous paie pas de suite parce quen prison on na jamais trop dargent. Si contre mon attente je ne sortais pas dici peu, écrivez-moi lépoque où vous désirez être payée et je vous ferai toucher le montant de la note.
Si du reste jai besoin de quelques autres ouvrages je vous en ferai la demande.
Jai lhonneur de vous saluer.
G. Clemenceau
Mazas- 3ème division n°97 [21]
Une fois libéré, en allant voir son ami Ferdinand Taule, encore emprisonné à Sainte Pélagie, il rencontre Blanqui et Auguste Scheurer-Kestner avec lequel il entame une forte et longue amitié. Amoureux de la belle-sur de Scheurer, ce dernier le fait fréquenter et sentretenir longuement avec son beau-frère Charras, proche de Hugo comme lindique Jean-Marc Charlot dans sa thèse sur Charras intitulée "Waterloo dans la mémoire française 1815-1914".
La lutte contre lEmpire est le moteur originel de laction politique de Clemenceau et, à linstar de Victor Hugo il hait Napoléon le Petit quil nomme, pour sa part, linsecte ou le crapaud dans une de ses lettres adressées à Scheurer le 1er mars 1864.
Élément plus original de ce combat anti-impérial est la thèse de médecine (scientifiquement fausse) quil soutient en 1865. Tenir pour la génération spontanée, cétait aussi manifester son opposition à lÉglise, soutien du pouvoir impérial. Cétait - dit-il en 1928, dans un de ses entretiens avec Jean Martet au moment de la parution de son uvre philosophique « Au soir de la Pensée » - un acte politique et ne pas être dans les « idées de Napoléon III » [22] .
De la génération des éléments anatomiques est indiscutablement une thèse fausse sur le plan scientifique, mais son intérêt est ailleurs. Il est dordre politique, philosophique et éthique. Clemenceau en sinterrogeant sur lorigine de la matière et de lhomme nie une intervention extérieure, divine.
Ce tout premier combat est relayé par la lutte pour lamnistie dans laquelle, devenu député de Paris (quartier Clignancourt) le 20 février 1876 il sengage avec ferveur. Il intervient à la tribune de la Chambre le 16 mai 1876, dans la ligne de la campagne que viennent de lancer Victor Hugo au Sénat et François Raspail pour les députés.
Lorsquen février 1879, le débat est relancé, ses interventions à la Chambre le propulsent sur le devant de la scène politique. Non signataire du texte [23] présenté par Victor Hugo au Sénat et Louis Blanc à la Chambre, il nen défend pas moins lamnistie plénière. Il voit ses vux exaucés par la loi du 21 juin 1880 complété par le décret du 10 juillet qui gracie les derniers condamnés de La Commune. Ce combat pour lamnistie se déroule avant tout à la tribune et lart oratoire est également partagé par Hugo et Clemenceau. Contrairement à Hugo, Clemenceau nest pas un familier des barricades mais lun et lautre, par leurs discours et leur posture, construisent la même image du héros- orateur, défendant avec fougue les principes et idéaux de la République.
Hugo et Clemenceau mettent en scène volontairement leurs discours. Le ton est haut, les formules cinglantes et la dramatisation voulue -à laquelle réagit volontiers le public- naltère pas la clarté et la force du propos. Les procédés utilisés sont souvent les mêmes : répétitions, prises à témoin du public, phrases courtes , sobres et efficaces, interrogations multiples, images frappantes. Ceci est particulièrement perceptible lorsque lon rapproche deux de leurs grands discours sur lAmnistie. Celui du 16 mai 1876 pour Georges Clemenceau, celui du 28 février 1879 pour Victor Hugo. Séparé par trois années, largumentaire paraît commun et sordonne autour de trois points :
- Condamnation de la guerre civile
- Le partage des responsabilités
- Célébration de la République juste et indivisible, artisane de la paix sociale.
Pourtant, lexamen plus attentif des deux discours, tout en confortant lidée incontestable de la communauté desprit, met à jour deux stratégies de persuasion fort différentes. Clemenceau, pour convaincre, sattaque au problème de la responsabilité, du pourquoi de linsurrection ? Il pose, à travers lHistoire de France, le thème de la culpabilité.
De fait, si pour Clemenceau la souffrance endurée par le peuple de Paris ignoré sous le Second Empire est une des causes fondamentales de légarement du peuple :
Et dabord, quelle a été la situation de la population de Paris sous lempire , Paris assurément nétait pas responsable de lEmpire ; il nen était pas responsable puisquil avait fallu le mitrailler pour commettre lattentat quon avait médité contre la France. (Très bien ! très bien ! sur les mêmes bancs. ) Il nen était pas responsable puisquil navait cessé de protester par ses votes, de la façon la plus énergique, contre le régime impérial. Et cependant, il faut dire que Paris a été la première victime de lEmpire, et que cest sur lui que sest exercé tout dabord laction délétère de ce gouvernement, car cest cette ville quon a cherché particulièrement à séduire, à corrompre, à pervertir, dont on a voulu faire une ville de luxe et de plaisir, au lieu dune ville de travail et de lumières ( Nouvelle approbation sur les mêmes bancs). [24]
Il nen nest pas moins vrai quen faisant le choix dorganiser toute sa plaidoirie sur les paroles de Jules Favre et de Thiers acteurs essentiels de la guerre civile évoquée il énonce et légitime lidée de la responsabilité fondamentale du gouvernement de Versailles dans le déclenchement de linsurrection :
Écoutez ce que disent M. Thiers et M. J. Favre des causes générales de linsurrection :
« Lorigine du mouvement, dit M. Thiers, est facile à discerner. Il y avait dans Paris 200, 000 hommes qui sétaient nourris de ce sentiment que cétait lâcheté et trahison que de traiter avec les prussiens. » Et plus loin : « Paris avait été abandonné par les gens dordre : il ny restait que les mauvais bataillons qui faisaient un service de garde nationale, et ces bataillons se composaient pour la plupart dhommes qui croyions que nous voulions détruire la république.
De son côté, M. Jules Favre porte le jugement suivant : « Il est certain quattribuer le 18 mars à une conspiration serait tout à fait se tromper. La conspiration a existé beaucoup plus que je ne le croyais, car je ny avais jamais cru. Je me suis trompé, mais je crois quelle a été pour une part extrêmement faible dans linsurrection ; cest une grande sédition qui est née de circonstances que navaient pas prévu ceux qui en ont profité, qui les ont étonnées eux-mêmes. Quand nous avons quitté Paris, les chefs de ce mouvement ne se doutaient pas de leur succès. Ils ont éprouvé pendant quelques jours une certaine stupeur qui prouve quil ny avait pas chez eux lespérance dun succès aussi complet ni le parti de réaliser un système politique. »
Et enfin Jules Favre donne sa conclusion définitive dans les termes suivants : « Telle est la chimère le rétablissement de la monarchie à laquelle les députés de la majorité de lassemblée ont sacrifié la paix publique ; Qui peut douter aujourdhui que sils avaient, à Bordeaux, reconnu et sanctionné les institutions républicaines, ils neussent, à lavance, désarmer une insurrection qui na eu dautre mot dordre que la défense de la République ? Donner à la France, dans ce moment suprême, le gouvernement qui avait soutenu en elle lesprit de résistance à létranger, qui avait relevé son honneur, qui lui rendait la liberté , était un acte de haute sagesse et de saine politique. Si le pouvoir exécutif et lAssemblée avaient eu assez de clairvoyance et de fermeté pour laccomplir, ils auraient eu dans lhistoire une grandeur incomparable, et, tôt ou tard, la reconnaissance de la nation aurait entouré leur mémoire dune vénération légitime. Cette fortune nous a été refusée. Les justes défiances soulevées par les réticences de lAssemblée ont été lune des causes les plus directes de linsurrection de la Commune ; - la fatalité de la situation le voulait ainsi-, mais en la constatant, nous avons le droit de rétablir les responsabilités et de ne point imputer exclusivement à la population de Paris un égarement funeste dans lequel beaucoup dautre ont eu leur part. » [25]
Ce besoin de chercher « la vérité », de nommer les responsables, après avoir lu lanalyse de Franck Laurent dans son article « Victor Hugo, « Le Rappel et la Commune », inscrit, me semble t-il, Clemenceau plutôt dans la lignée des positions du « Rappel » du 19 mars 1871 que de celles de Hugo alors abstentionniste :
Le gouvernement après de longs tâtonnements sest décidé au coup de force que lui conseillaient les journaux de la réaction et auquel ne voulaient pas croire les journaux républicains [ ].
La responsabilité de la grave situation où nous sommes doit peser toute entière sur le gouvernement qui la amenée, qui la peut-être voulue. Il a éveillé la guerre civile, croyant pouvoir aisément sen rendre maître. Mais la preuve quil ny avait à la guerre civile, ni raison, ni prétexte, cest que la guerre civile nest pas venue : larmée envoyée pour combattre la garde nationale la simplement embrassée !
Et si nous navions pas encore à nos portes la guerre étrangère, - danger dont le pouvoir absolu a voulu se faire un moyen- la « guerre civile » de la journée dhier naurait abouti quà la plus admirable et à la plus pacifique consolidation de la République et de la République la plus sincère et la plus forte. [26]
Quant au discours de Hugo, qui vient au Sénat, il est vrai, après de nombreuses interventions, il sarticule essentiellement autour de loubli comme remède à la souffrance politique et sociale. La notion de responsabilité est peu évoquée et de « laffrontement des forces obscures [doit jaillir] la lumière de la République souveraine. »
Si au contraire, vous acceptez la grande solution, la solution vraie, lamnistie totale, générale, sans réserve, sans condition, sans restriction, lamnistie pleine et entière, alors la paix naîtra, et vous nentendrez plus rien que le bruit immense et profond de la guerre civile qui se ferme (applaudissements). Les guerres civiles ne sont finies quapaisées. En politique, oublier cest la grande loi. Un vent fatal a soufflé : des malheureux ont été entraînés, vous les avez saisis, vous les avez punis, il y a de cela huit ans.
La guerre civile est une faute. Qui la commise. Tout le monde et personne.
(Bruits à droite). Sur une vaste faute, il faut un vaste oubli. Lamnistie, cest loubli. [27]
Non spécialiste de Hugo, je ne peux répondre sur le choix du poète mais pour ce qui est de Clemenceau, il me semble, au-delà du contexte politique (rupture prochaine avec Gambetta entre autres) particulièrement révélateur de lhomme quil est en 1876. Dune part, appartenant toujours à la mouvance blanquiste - il le démontrera notamment en 1879 en soutenant lélection de Blanqui aux législatives à Bordeaux Clemenceau est un homme qui en 1876 peut comprendre linsurrection, malgré son désir dordre dans la République. Dautre part, cette lancinante interrogation sur la responsabilité laffirme comme enfermé définitivement dans le souvenir du 18 mars.
En effet, depuis les assassinats des généraux Lecomte et Thomas auxquels il assiste impuissant, Clemenceau se sent coupable et, comme je lai analysé dans un précédent article, le silence sur cette « triste journée» le fige durablement dans lesprit et le cur de Clemenceau. La tentative dexpulsion du traumatisme par lécriture commencée en 1872 est demeurée inachevée et secrète. Labsence de publication, donc la non-reconnaissance par les autres engendre une blessure que le temps et lexpérience politique ne pourront soulager.
Jean Martet, dans le Silence de M. Clemenceau, note :
M. Clemenceau a eu une vie longue et traversé des heures cruelles : aucun souvenir, pourtant ne la hanté avec une telle persistance que le souvenir de ces temps dhorreur et de folie, où , jeune maire de trente ans, il apprit ce quétait lémeute et où il eut tant de fois à se demander si son aventure nallait pas se terminer là, stupidement. [28]
De fait, au seuil même de la mort, Clemenceau revient sur ce quil nomme lui-même son
« crime » :
Le premier crime que lon me reproche est davoir fait assassiner Lecomte et Clément Thomas. Cest laffaire du 18 mars 1871. Jai, de lautre côté, tout un dossier là-dessus, que je vous passerai ; vous en ferez ce que vous voudrez. En 72, je métais livré à une enquête à ce sujet pour essayer de réunir le plus de témoignages. Vous verrez quil y a une centaine de lettres parmi lesquelles des lettres de Méline, de Schoelcher. En outre, javais commencé à écrire lhistoire de tous ces faits-là, de tout ce qui a précédé le 18 mars et de ce qui la suivi [ ]. Javais écrit minute par minute mon emploi du temps pendant la journée du 18 mars
Répondre à LEnquête du 18 Mars ouverte en 1872 par la justice aurait dû assouvir le besoin urgent de la narration après la fin tragique de La Commune. Ce rapport aurait pu devenir la phase première dun protocole thérapeutique, permettant de soigner la profonde souffrance de Clemenceau, engendrée à la fois par lhorreur du spectacle mais aussi par le sentiment de culpabilité de notre auteur-acteur, qui na pu éviter la tragédie. Il nen fut rien.
Ainsi, si ce récit, que nous pouvons en partie parcourir grâce à Jean Martet, relate les évènements minute par minute et, à lévidence, a pour but premier de mettre un baume sur une plaie ouverte, lefficacité de cet onguent fut médiocre parce que le traitement fut interrompu.
Pourtant, la démarche du narrateur se veut dès le départ scientifique et médicale. Rapport dexpert, il conjugue le diagnostic du médecin et lobjectivité du journaliste. Phrases courtes, précises, absence de digressions, style sobre du compte-rendu :
Je me rendis immédiatement sur les Buttes. Jeus à parlementer à plusieurs reprises avec les soldats qui barraient le passage. Le boulevard extérieur et les rues que je parcourus étaient déserts, ou à peu près. La nouvelle de lentreprise commençait seulement à se répandre.( ) A mesure que je gravissais la Butte, lattitude des soldats me parut relâchée. Il y avait là un plus grand nombre de personnes dans la rue. [ ].
Ce récit rigoureux veut donner la preuve de lirresponsabilité de Clemenceau dans le meurtre de Lecomte et Thomas et décrit ses multiples tentatives pour ramener le calme :
Vers 4h et demie, je vis arriver dans mon cabinet le capitaine Mayer, suivi du capitaine Garcin. Mayer me raconta dans un grand trouble que si je naccourais pas au plus vite, on allait fusiller les généraux Lecomte et Clément Thomas.
Je fis observer que cela ne pouvait être ; les journaux avaient annoncé que Clément Thomas était parti,, peu de temps auparavant, pour lAmérique.
Mayer me répondit :
- Si ce nest pas Clément Thomas, cest quelquun dautre quon prend pour lui. En tout cas, accourez vite, car on parle de le fusiller.
- Les termes dont se servait Mayer, bien quindiquant une situation grave, permettaient de supposer que la crise navait pas encore atteint létat aigu quon pouvait redouter.
- Je pris mon écharpe dans mon tiroir et je mélançais dans la rue, suivi des deux capitaines et de M ; Sabourdy ( .) Nous courûmes et marchâmes du plus vite que nous pûmes, presque sans mot dire. ( )°Les Buttes étaient couvertes de gardes nationaux en armes. Nous nous engageâmes dans cette foule. Mon écharpe me désignant aux regards de tous, je ne tardai pas à devenir lobjet des démonstrations les plus malveillantes. On me reprochait de mêtre entendu avec Le Gouvernement pour faire enlever les canons, on maccusait davoir trahi la garde nationale, on minsultait. ( )
- A mesure que nous avancions, jentendais répéter :
- Cest fini ! Justice est faite ! Les traîtres sont punis ! Si quelquun nest pas content, on lui en fera autant ! Il est trop tard ! ( ) [29]
En conséquence, dans les deux discours que nous avons rapprochés, le point de vue de Victor Hugo et de Clemenceau ne peut être le même. Le 18 mars, jour de linsurrection parisienne, Victor Hugo suit lentement le cercueil de son fils jusquau Père Lachaise et , très vite, le 20 part pour Bruxelles. Clemenceau, lui, dévale la butte Montmartre et arrive trop tard.
Plus généralement, Clemenceau est identique à ces orateurs décrit par Tocqueville dans De la démocratie en Amérique : « Nos orateurs parlent souvent à tous les hommes, alors même quils ne sadressent quà leurs concitoyens » [30] . Ses discours sont à vivre et prononcés au nom de tous, de lHumain en général. Les thèmes de ces discours ont, bien souvent, cette dimension universelle : lamnistie, les libertés, la démocratie, laction sociale, la République, les calomnies faisant [31] (je me réfère aux travaux de Marieke Stein) de lactivité oratoire , comme Victor Hugo lécrit dans Sur Mirabeau en 1834, lactivité reine de lHomme- Événement et de lHomme- Peuple. Cette fidélité à Victor Hugo, initiée durablement par Les Quatorze discours lu dans la bibliothèque paternelle, Clemenceau la manifeste enfin dans la lutte quil va mener pour l abolition de la peine de mort. Même si, jeune journaliste pour le Temps à New York , il se démarque et ne suit pas le poète lorsque celui-ci intervient au Mexique auprès du président Juarez pour demander la grâce de lempereur Maximilien, le 20 juin 1867 [32] . Bien au contraire, avec la fougue de la jeunesse et son enthousiasme viscéral pour la Révolution Française, il justifie avec violence le châtiment dans une lettre du 6 septembre 1867 adressée à Madame Jourdan :
Nous avons une querelle à vider cependant. Que diable allez-vous vous imaginer des Maximilien* ., et des Charlotte [33] . .. Mon Dieu, oui, je le sais, ces gens-là sont toujours charmants. Cela était convenu davance : il y a cinq ou six mille ans quils sont comme cela. Ils ont la recette de toutes les vertus et le secret de toutes les grâces. Sourient-ils : cest délicieux. Pleurent-ils : cest touchant. Vous laissent-ils vivre : quelle exquise bonté. Vous écrasent-ils : cest le malheur de leur situation. Eh bien, je men vais vous dire une chose. Tous ces empereurs, rois, archiducs et princes sont grands, sublimes, généreux et superbes, leurs princesses sont tout ce quil vous plaira, mais je les hais dune haine sans merci, comme on haïssait autrefois en 93 [34] , alors quon appelait cet imbécile de Louis XVI lexécrable tyran. Entre nous et ces gens-là, il y a une guerre à mort. Ils ont tué dans des tortures de toute espèce des millions dentre nous, et je ne parierais pas que nous en ayons tué deux douzaines. Il est vrai grande est la classe des exploiteurs de limbécillité humaine, mais ils sont à leur tête et comme tels cest eux quil faut viser. Je nai point de pitié pour ces gens-là. Plaindre le loup, cest commettre un crime envers les moutons. Celui-là voulait commettre un vrai crime : ceux quil voulait tuer lont tué. Jen suis ravi. Sa femme est folle : rien de plus juste : cela me ferait presque croire à une Providence. Cest lambition de cette femme qui avait poussé cet imbécile. On a tué bien des hommes pour que votre Charlotte fut saluée du nom dimpératrice. Il paraît cependant quon en a pas tué assez. Tenez, je regrette quelle soit folle et ne puisse pas comprendre que son mari est mort par elle et que cest un peuple qui se venge- dailleurs ne rejetez pas la responsabilité sur autrui. Si Maximilien na été quun instrument, son rôle est plus vil (car il y a de la grandeur dans un beau crime bien prémédité) mais nen est pas moins coupable.
Vous croyez que je suis féroce. Ce quil y a de pire cest que je suis intraitable et que sur cet article-là je ne changerai jamais. » [35]
Les années, lexpérience brute de la violence en mars 1871, lengagent définitivement à uvrer pour labolition de la peine de mort. Parce que, comme il lécrit dans un texte célèbre de la Mêlée sociale en 1895 consacré à lexécution publique de lanarchiste Emile Henry :
Voici ce que je rapporte de la place de la Roquette. Jai raconté ce que jai vu, sans rien dramatiser, le simple récit des faits me paraissant supérieur en émotion vraie à tout artifice dart. Que les partisans de la peine de mort aillent, sils osent, renifler le sang de la Roquette. Nous causerons après.
Ainsi, lombre de Victor Hugo plane très souvent là où agit Clemenceau . Lépisode de la censure de Thermidor ,pièce de victorien Sardou, en 1891, en est un autre exemple. Il reprend à la fois larticle les Martyrs de lHistoire publié le 22 février 1862 dans le Travail mais aussi lesprit qui anime Victor Hugo premier à oser célébrer la Convention dans son discours de réception à lAcadémie en 1851 [36] et lors de la publication, en 1873, de Quatrevingt-treize, aboutissement du roman historique romantique où la « Révolution en bloc » est justifiée.
Cette proximité est-elle la même entre les deux écrivains quils furent ? Certes, il nest pas dans mon intention desquisser une comparaison entre les deux uvres : lune appartient au patrimoine littéraire universel , lautre est celle dun écrivain demeuré obscur.
Il est toutefois intéressant de voir comment Clemenceau, par son écriture, sinstalle jusquà un certain point dans le sillage de Hugo, en tant quauteur romantique.
La première grande référence à Victor Hugo est faite par le critique littéraire quest un temps létudiant Clemenceau. En 1861, il fonde avec Germain Casse, Ferdinand Taule, Eugène Carré, Laurent -Pichat, Le Travail, à 20 centimes le numéro qui vient sajouter à ces feuilles et journaux créés pour critiquer lEmpire « autoritaire ». Le premier numéro paraît le dimanche 22 décembre 1861, le bureau du journal est rue Sainte Hyacinthe- Saint-Michel. Georges Clemenceau y tient le plus souvent la chronique dramatique et littéraire. Sa première publication consiste donc en une réflexion sur lécriture des autres. Le 22 décembre 1861, son premier article est une critique du roman feuilleton dEdmond About LHomme à loreille cassée. Clemenceau dit ne pas comprendre le succès de ce « roman chéri de son auteur. » Le 5 janvier 1862, il éreinte Les Mariages daujourdhui, comédie de Bourgeois et Decourcelles donnée au Gymnase, boulevard Bonne Nouvelle. Il note la fadeur et labsence doriginalité de lintrigue : « Nest-elle pas toujours en effet la même cette histoire du mari trompé toujours, si prévenant, si bon, qui jamais ne sait rien et jamais ne doit rien savoir [...] Ceci est une vieillerie [...] ». Il est, quelques lignes plus loin, beaucoup plus conciliant en présentant une petite comédie en vers de Edmond Pailleron , Le Mur mitoyen, jouée à lOdéon. Pièce sans prétention (deux plaideurs veulent marier leurs enfants pour terminer un procès que chacun a peur de perdre), elle distrait agréablement le public : « On le voit cela est simple et sans aucune prétention, mais cela amuse, cela fait rire et le public nen demande pas davantage. Des scènes vraiment comiques, des saillies, de forts jolis vers assurent un succès durable à cette petite comédie [ ] ».Lamateur de théâtre quest Clemenceau se retrouve mieux dans le répertoire plus classique et mieux écrit de lOdéon que dans la légèreté du théâtre populaire du Xe arrondissement. Ainsi, à la fin de larticle, pour mieux manifester sa nostalgie dun théâtre de qualité, il sengage dans une longue dissertation admirative sur celui de Victor Hugo :
Certes, il y a longtemps que nous navons vu le nom de Victor Hugo sur laffiche de nos théâtres, et cest pourtant une mine inépuisable et surtout inépuisée qui renferme la fortune de plus dun directeur. On nous annonce quil va bientôt y reparaître, lAmbigu se mettant en mesure de monter prochainement un grand drame tiré des Misérables. A défaut de ces drames que la jeunesse qui sélève ne connaît que pour avoir lus, nous applaudissons à cette pensée, car le théâtre en donnant la vie aux personnages conçus par le poète, en réalisant ses fictions, en les faisant toucher du doigt, pour ainsi dire les présente à lesprit sous une forme saisissante et les imprime plus fortement dans le cerveau des masses. Les détails seront sacrifiés, je le sais, tel ou tel personnage perdra sans doute à cette mise en scène ou disparaîtra même complètement. Quimporte ! lensemble de luvre, cest à dire ce qui sadresse surtout à la multitude, gagnera en clarté, en rapidité daction et cest là le point essentiel.
Clemenceau dénonce la vacuité des thèmes traités, la banalité du mélodrame ou du vaudeville dun Emile Augier, Dumas fils , Victorien Sardou , Octave Feuillet , Labiche , auteurs à la mode et à succès. Il préfère les pièces de Victor Hugo moins engluées dans le réel petit bourgeois, aux personnages plus consistants et plus surprenants. Clemenceau exalte la qualité des fictions hugoliennes rendues plus accessibles au peuple par la mise en scène. Le théâtre est présenté comme un moyen de vulgarisation, un medium pédagogique et non plus comme un simple divertissement. Le critique littéraire se fait militant dun théâtre populaire de qualité, où le peuple comme dans les Misérables peut devenir objet décriture. Cette position nest pas en soi nouvelle : dès le début du siècle, la conception élitiste du théâtre fut mise en cause. Guizot dans son Essai sur la vie et les uvres de Shakespeare en 1821 revendique la scène comme un lieu denseignement pour adultes. Quelques années plus tard, en 1827, Hugo réaffirme cela dans la préface de Cromwell. Tout en reprenant ces positions, Clemenceau est, à son époque, quelque peu iconoclaste puisquil demande une complexification des sujets. Il veut un théâtre plus intelligent pour un public populaire, accusant le genre-roi du vaudeville de faire circuler des idées trop souvent simplistes.
Labandon de la critique littéraire pour la littérature sous la forme de nouvelles, dun roman et dune pièce de théâtre [37] permet de tenter la comparaison raisonnée des deux uvres.
Vue lampleur de la tâche, je ne présenterai que deux grands mythes présents chez Hugo mais emblématiques de luvre littéraire et de la philosophie politique de Clemenceau : le mythe du peuple et le mythe de Prométhée.
Le peuple « clemenciste » est celui de la « mêlée sociale » née de la Révolution Française. Composé de « types » [38] qui défilent sous nos yeux, divisé en Forts et en Faibles, il est issu en ligne directe du populisme davant 1870 de Hugo, Quinet et Michelet . Cependant, si dans lépopée humanitaire [39] , la définition du peuple est surtout affaire dimages, dans celle de Clemenceau elle est affaire didées. Clemenceau, écrivain et homme politique, loin du socialisme, tout en sinscrivant dans la tradition romantique construit son propre mythe du peuple.
Le peuple est avant tout divisé.
Lopposition riches-pauvres traverse lensemble de luvre. Son traitement seffectue presque toujours en deux temps. Tout dabord, le tableau qui reprend en grande partie les mythes romantiques, puis, la proposition qui doit déboucher sur laction immédiate. Cette dernière nest jamais abordée sous langle particulier de lopprimé ou du misérable, elle est toujours envisagée du point de vue de lUniversel et des Droits de lHomme. Clemenceau ne fonctionne pas selon une solidarité de classe mais dans une perspective daffranchissement et de progrès de lHumanité. Le mythe est alors relayé par laction qui doit réaliser le droit à lexistence, à la santé, aux libertés, à la sécurité, à lassistance, à léducation, au travail. Clemenceau, tout au long de son uvre, décline à la fois la Constitution de 1793 et celle de 1848. Les plus faibles sont majoritaires dans le peuple. Celui-ci est avant tout misérable.
Ainsi, le thème de la faim ouvre La Mêlée Sociale. Il est traité à plusieurs reprises pour affirmer le « droit économique à la vie. Les affamés sont également décrits dans « A la Maison du Peuple », ou soupe populaire du Grand Pan. Ne plus avoir faim est le premier droit de lhomme à satisfaire. Là est le premier devoir de toute société.
Le peuple est également travailleur.
Clemenceau véhicule la mystique du labeur. Comme chez le paysan, lhomme trouve son identité et sa valeur sociales par son travail. Une nouvelle dans Au fil des jours narre cette nécessité du travail non seulement pour vivre mais surtout pour exister parmi les autres. Dans « Cheval de retour », un forçat gracié par Carnot pour conduite exemplaire revient de Nouvelle Calédonie. Arrivé à Paris, sur les conseils de son ancien avocat qui lui écrit : « Japprends avec plaisir que vous êtes libéré. Tâchez de vous réhabiliter par le travail. Renoncez à lidée de redevenir clerc de notaire, comme autrefois. Faites nimporte quoi. En vous conduisant bien, peu à peu vous vous réhabiliterez », il sinscrit dans les mairies « pour les jours où la ville prend des ouvriers supplémentaires. Je me fais inscrire dans quatre mairies quand il tombera de la neige. ». Peine perdue, il ne neige pas. Le pauvre homme essaie de trouver du travail, ny arrive pas, couche dans la rue, puis, va prendre conseil chez un ami de Clemenceau qui constate que, contrairement à lAmérique, rien nest fait pour faciliter la rentrée de ces prisonniers dans « la vie dordre et de travail ». Finalement, il reprend ses « pérégrinations douloureuses ». La nouvelle sachève sur le post-scriptum suivant :
Je lis dans les journaux quon a trouvé la nuit dernière un homme mort de froid dans les fortifications. Cest peut-être mon clerc de notaire. Pauvre cheval de retour ! [40]
Le peuple travailleur est souvent présenté comme le peuple esclave des plus forts, un peuple bafoué, un peuple maltraité. Lexpression de cette humiliation est permanente dans de nombreuses nouvelles. La négation de lhumanité du peuple par la bourgeoisie est un des grands thèmes, traité à la fois par le journaliste reporter de La Mêlée sociale et par lécrivain. Ainsi, dans les Plus Forts, la visite à lusine de Harlé est un épisode de la violence de lindustriel capitaliste :
Cest le blanchissage des chiffons, répondit Harlé. Le blanchissage au chlore. Lodeur en est insupportable, et le gaz vous ferait tousser.
Comme il parlait, la porte souvrit violemment, et, parmi les spirales de fumée jaunâtre, un homme sélança, secoué dune toux déchirante. Dans ses chiffons rongés de chlore, effilochés en pâte verdâtre, on le vit appuyer la tête à la muraille, convulsé, les deux bras contractés sur la face. Et, comme il reprenait laplomb de ses jambes, après laccès passé, un éclaboussement de pourpre vive sur le crépissage révéla lhabituel crachement de sang des ouvriers du chlore. [ ]
On va lui donner du lait à linfirmerie, dit Harlé. Mes hommes ne restent jamais plus de quatre heures à respirer le gaz. A condition de ne pas épargner le lait, et je leur donne en abondance, jen ai qui durent longtemps, des années. [41]
Par conséquent, face à la misère, aux mauvaises conditions de travail, à la torture physique ou mentale, le peuple a le droit de « résister à loppression » et peut se révolter. Sauf que, dans luvre de notre auteur, cela est rarement montré. Chez Clemenceau, le peuple nest pas émeutier : nulle barricade comme chez Hugo.
Le peuple est volontairement présenté pacifique.
La lutte sociale nest pas, contrairement à Hugo, matière à littérature. La morgue, lamphithéâtre ou la prison sont souvent les lieux emblématiques du peuple désespéré. La morgue parce que le peuple se suicide, lamphithéâtre de lécole de médecine parce que le peuple meurt à lhospice, la prison ou le bagne parce que le peuple devient délinquant. Limage dominante du peuple est celui de la victime paisible. Ce refus de la lutte sociale nest pas idéologique. Clemenceau, démocrate, croit en la légitimité du combat social et le réclame. La grève, lagitation sont expression de la démocratie et évitent la révolution. Ceci est clairement exprimé dans La Mêlée sociale :
Javoue, quant à moi, que cette agitation pacifique, si fort redoutée de notre bourgeoisie parlementaire, me paraît une chose infiniment désirable, la condition même dexistence dun gouvernement démocratique, la meilleure garantie contre les mouvements révolutionnaires. [42]
Malgré cette reconnaissance, lexpérience sur le terrain, narrée longuement dans La Mêlée sociale, installe durablement en lui une crainte de la violence qui aboutit à son occultation dans luvre littéraire. Les Révolutions, les luttes passées ou à venir ne sont pas mises en scène dans la production littéraire de notre auteur.
Seul est montré le peuple vertueux [43]
Bon nombre de nouvelles servent à dénoncer les inégalités devant la naissance, la maladie et la mort. Parmi celles-ci, les récits dont les acteurs sont des enfants sont particulièrement émouvantes. « Le Colibri » est certainement une des nouvelles « les plus romantiques » de Clemenceau. Histoire vraie, elle commence à la manière du conte : « Cétait aux temps anciens où javais un dispensaire à Montmartre ». Lintrigue est simple, presque banale : Clemenceau, médecin des pauvres, sauve lenfant unique dun ménage modeste mais heureux. Quelque temps après, lenfant tant aimé meurt et les parents sombrent dans une infinie douleur. Il sagit à la fois de dénoncer une terrible réalité et démouvoir le lecteur ou lauditeur susceptible de sengager dans le combat social. Le récit est strictement encadré. Au début, une seule phrase plante le décor : « Un cabinet de consultation, une salle dattente, voilà linstallation rudimentaire que je mettais à la disposition du public ». Cette exposition minimale est suivie de la définition du contexte ou plus exactement de lambiance de ce cabinet où malades et solliciteurs défilaient. Clemenceau décrit avec humour larrivée de ce solliciteur qui, voyant deux malades se déshabiller, se dévêt à son tour et, nu, demande une place dans les Postes. Puis, il poursuit par un tableau plus large de la misère ouvrière à Montmartre. Ces deux paragraphes lui permettent de mesurer la distance entre dominants et dominés. Le ton est polémique :
Les riches compatiraient sils avaient lémotion de la misère vue, touchée du doigt. Mais ils vivent entre eux, et Rothschild, qui croit naïvement faire acte de bonté quand il envoie vingt mille francs à lAssistance publique, ne sait pas quavec quelques louis donnés à propos, de sa main, il mettrait plus de joie dans son cur, et dans celui des frères vaincus dont la défaite condamne son triomphe.
Ce préambule a pour vocation de capter lattention du lecteur-auditeur et de le « mettre en oreille ». Lhistoire proprement dite du « Colibri » constitue de fait les deux- tiers de la nouvelle. Le sujet est restreint : une seule anecdote est contée. Elle est ténue : un enfant meurt et demande à ses parents de chanter le petit Colibri, chanson fétiche du bonheur passé. Seule, la mère a suffisamment de forces pour la chanter et accompagner la fin de son jeune enfant. Toutefois, malgré cette matière narrative réduite, le récit se déploie en une véritable histoire. Celle-ci se déroule en deux temps. Le premier mouvement pourrait être intitulé : « le bon docteur Clemenceau ». Notre médecin subitement appelé par les parents pour une attaque de faux croup soigne et sauve lenfant, conquérant par cet acte, la reconnaissance infinie des parents. Cest durant ces premières visites que le « bon docteur » découvre le jeu damour autour de la chanson Le Colibri :
Une attaque de faux croup mamena le père chez moi, une nuit de janvier. Je vis un homme décomposé, hagard, qui pour tout propos, me dit : « Vous me reconnaissez bien : nous nous sommes rencontrés lan dernier dans la politique. Mon petit va mourir, dépêchez-vous ». Je ne le reconnaissais pas du tout, mais quimporte ! De folles objurgations au cocher précipitèrent une course échevelée dans la nuit, et bientôt je pus dire la parole attendue. [ ] En moins de temps quil nen faut pour lécrire, je devins subitement pour eux le vieil ami de vingt ans. Jeus beau dire : rien ny fit, je fus sacré dieu. [ ] Cétait la plénitude de la vie heureuse. Au square où jouait lenfant, dans la petite chambre dune propreté coquette, que de parties entre la jeune maman blanche et blonde et le petit Colibri répondant par des cris aigus et des battements daile aux grognements du méchant loup qui, sous prétexte de le mordre, le couvrait de baisers. Le grand jeu, cétait la chanson du colibri. Il sagissait du petit oiseau qui veut trop tôt quitter son nid, malgré les avis de ses parents, et quune déplorable culbute punit de son imprudence.
Le deuxième temps est « lagonie du colibri ». Il est lancé avec alacrité, et accélère le rythme du récit. Succédant à un chapitre où sont minutieusement décrits les jeux de main qui accompagnent le chant, cinq phrases lapidaires viennent interrompre la fluidité du bonheur :
Un jour, je vis arriver la maman sérieuse. Elle nétait pas inquiète. Mais Le Colibri navait pas ri depuis deux jours. Il navait pas voulu quitter le lit ce matin-là. Il se plaignait vaguement. Ce ne serait rien, puisque jétais là.
Cette économie des mots rend le récit vivace et contribue à sa dramatisation. Bien que sa durée ne soit pas indiquée, le récit progresse rigoureusement et aboutit à une narration stylisée plus efficace pour raconter le véridique. En effet, lenfant- colibri nest pas nimporte quel enfant, il ne peut être assimilé comme dans un poème de Hugo à tous les enfants pauvres et malades, il a une histoire particulière, cest un individu, un authentique personnage. Nous ne sommes pas dans le mythe et le temps éternel du conte, nous sommes dans lindividualité et le temps singulier de lhistoire vécue. Ce souci de lauthentique est présent dans lécriture. Clemenceau, comme un clinicien, narre la consultation. Les termes employés sont précis et la sobriété de lexpression exprime lintensité et lhorreur du moment :
Et je courus chez un de mes maîtres, grand cur que ni la haute science ni la riche clientèle nont jamais pu distraire de ses devoirs de bonté. Le diagnostic fut tel que je lavais prévu. Le pronostic : la mort
Seul, un paragraphe séloigne de ce travail dépuration sentimentale. Chargé de décrire larrivée de la mort, il file la métaphore rompant avec la brutalité de la parole du professionnel. Ce lyrisme est, à nos yeux, la concrétisation, dans ce texte, de la rupture avec un certain savoir faire journalistique ce qui le rapprocherait de Hugo.
Ici, Clemenceau, en renonçant au ton informatif, rejoint lesthétique de la nouvelle qui permet lexpression dune personnalité. Ces quelques lignes où éclate la subjectivité du narrateur achèvent de faire du texte, non pas un compte-rendu, mais un moment de littérature :
Enfin, comme laube venait sur nous, la grande nuit de toujours fondit victorieusement sur sa proie. Et voilà quau seuil de léternel sommeil, lenfant terrassé, mais lucide, fut également pris du désir de se coucher dans la tombe au rythme ami du chant qui le mettait au berceau. Une dernière lueur brilla dans les yeux glauques, et les lèvres blanches distinctement murmurèrent : « Le Colibri ».
Cette entrée de Clemenceau, homme sensible, est dailleurs explicitement confirmée et dans les mots et dans la forme à la fin de la nouvelle. Celle-ci sachève sur les questions dun homme impuissant, ému qui espère en la force de la vie [44] :
Ma vue devint odieuse à ce deuil. Je le compris, ne pouvant moi-même, sans souffrance aiguë, regarder ces deux suppliciés survivants. Ils me fuyaient. Je leur dis mentalement adieu.
Où sont-ils ? Pleurent-ils toujours ? La jeunesse a des baumes pour toutes les blessures. Parfois je les rêve heureux. Un autre Colibri a peut-être fait ce miracle.
Lenfant incarne chez Clemenceau linnocence et, dans son ensemble, est le symbole de la pureté. Lenfance, que ce soit dans « Refus de vivre » de La Mêlée Sociale ou « Pilons lherbe » du Grand Pan est toujours bonne, jamais souillée. Il ny a pas chez Clemenceau comme dans la Comtesse de Ségur de « bons » ou de « mauvais » enfants. Les enfants du peuple vont en prison parce quils sont avant tout des victimes. En conséquence, la société incapable de les élever na pas à leur demander de comptes. Cet oubli social de lenfance est sévèrement condamné dans larticle « Refus de vivre » :
Un enfant de onze ans sest suicidé, il y a quelques jours à la Petite-Roquette, où il était arrivé de la veille. Une serviette accrochée à lespagnolette dune fenêtre, un nud autour du cou, et le malheureux petit a rendu à sa famille et à la société le triste présent quil en avait reçu. [ ]
Mais lenfant qui est là sans avoir demandé la vie, qui na choisi ni famille, ni milieu social, ni pays, que lui répondre, sil était en état de se retourner contre son juge ‑ père ou magistrat ‑ et de lui demander des comptes à son tour ? [ ]
Jai visité, à plusieurs reprises, la Petite Roquette. Les jeunes détenus, comme on les appelle, ne sont pas tous beaux à voir. Quelques-uns sont résignés ou paraissent tels. D'autres frémissent de révoltes, beaucoup paraissent sournois ou méchants. Tous sont lamentablement douloureux. [45]
Lenfance est ainsi comme chez Hugo, un pôle lumineux. Lenfant est la vertu et le principe despérance du peuple. Force doptimisme pour les misérables, valorisée, elle introduit systématiquement du pathos dans lécriture. A travers lenfant, le faible est temporairement puissant. De fait, pour Clemenceau, homme politique, lenfant est celui pour qui prioritairement doit se développer le droit à lassistance [46] et à linstruction.
Si lenfant constitue un pôle vertueux dans ce peuple malheureux et soumis, sa mère, la femme, par son irrespect des conventions et la liberté de parole que Clemenceau lui accorde construit une marche vers lespérance. Chez Clemenceau, la femme est diseuse.
Dune façon générale, misérable, travailleur, pacifique, le peuple, chez Clemenceau, est toujours souffrant. Pourtant, malgré de telles images, sa représentation nest pas figée. Un souffle despérance passe dans luvre de Clemenceau, et, le peuple étant une composition dindividus divers, lHomme est pris inexorablement dans un mouvement ascensionnel. Cet homme doit lutter pour que la société soit « profitable à tous, et non plus seulement à quelques-uns.
Écho sur terre de Prométhée, lhomme, au service de tous, emprunte chez Clemenceau un seul chemin : celui de lÉtat et de la République toujours plus démocratique sans Dieu. Ici, Clemenceau se sépare définitivement de Hugo.
Pour notre auteur, la société est une somme dindividus qui ne peut fonctionner que dans un cadre souple et respectueux : lÉtat. Dans cet État élastique, le peuple ne peut être sauvé ni par lamour humain, ni par la religion, ni par lidéologie.
Lamour humain est présent, chez Clemenceau sous deux formes : la passion amoureuse et la charité. Lamour entre deux êtres, sauf exception, est volatile et éphémère. Lamour du prochain, lui, existe. Clemenceau le reconnaît et lencourage. Cependant, la charité nest pas une véritable solution. Privée ou publique, elle sexerce de façon inefficace et Tolstoï en est le vivant témoignage :
Lisez, sur limpuissance de la charité, ladmirable livre de Tolstoï[47], que je citais tout à lheure ; vous verrez comment ce grand seigneur chrétien, ayant entrepris de faire lui-même du bien à ses semblables par la charité, ny put réussir. Et cest lui, un disciple du Christ, qui condamne la charité en dépit de lui-même, et proclame que sil faut donner aux pauvres, cest purement par politesse. Une aumône, un coup de chapeau, cest tout un. Question de forme, non de fonds. [48]
La charité privée est dautant plus suspecte « quelle est viciée dans son essence, parce quon en a fait une des formes de la propagande religieuse ». Parmi ces propagandes, la religion chrétienne est particulièrement impuissante à sauver le peuple, puisque ceux qui se « réclament de sa parole possèdent le monde et ne donnent rien ».
Toute luvre de Clemenceau dénonce la religion chrétienne comme une imposture. En premier lieu, elle est mensongère. En second lieu, les principes du christianisme « ami des humbles » sont réalisés par une Eglise « gorgée dor et de biens ». Le christianisme, contrairement au Bouddhisme et à lIslam, « une fois conquis par les sociétés dOccident » est devenu une religion vénale et, exploite de tout temps la crédulité du petit peuple qui verse « son sou ».
De plus, la religion chrétienne est lauxiliaire précieuse de lobscurantisme et des superstitions. Clemenceau est un fervent adversaire du mysticisme incapable de soulager parce quil est « faux que celui qui sait, soit plus malheureux que celui qui ignore. » Positiviste et matérialiste, refusant tout dogme et la transcendance, Clemenceau pense que le peuple a besoin de connaissances et de vérités. En dernier lieu, la religion ne peut aider le peuple puisque, tout au long de lhistoire, elle la envoyé à la guerre ou aux galères, la emprisonné, torturé ou brûlé.
Les religions sont donc synonymes dintolérance et servent les intérêts des plus forts, comme le proclame avec conviction la fin de « La religion des peuples et des rois» :
Peuples candides, apprenez à connaître vos maîtres : et ceux qui sont sortis de vous, athées agenouillés devant le Dieu quils renient, et ceux qui vous gouvernent de par lautorité du Dieu quils mettent à lencan. [49]
Les idéologies sont également impuissantes à sauver le peuple. Quoique privilégiant la question sociale, Clemenceau repousse au nom de la liberté, le socialisme et le communisme, et tout régime à Etat puissant. Clemenceau reconnaît le bien fondé de lutopie socialiste mais rejette le principe de la collectivisation, réduisant la liberté dentreprise et la liberté individuelle. LEtat doit réglementer mais ne peut tout gérer. Autre point de divergence avec le socialisme : la lecture économique que celui-ci donne de la société est insuffisante. Un homme nest pas seulement un travailleur, et son bonheur passe aussi par dautres domaines.
Clemenceau n'est cependant pas partisan du capitalisme sauvage : il s'oppose à l'accumulation des richesses et réclame le devoir de solidarité : il soppose à laccumulation des richesses et réclame le devoir de solidarité :
Un homme qui meurt de faim à côté dun autre qui accumule, jusquà être hors détat den jouir, des biens qui sont faits de la privation dautrui, paraîtra un spectacle aussi intolérable que le serait pour nous, aujourdhui, linstitution de lesclavage acceptée, il y a cent ans, par les âmes pourtant très hautes dun Washington ou dun Jefferson. [50]
Enfin, Clemenceau refuse pour le peuple tout guide profane tout chef spirituel. Les idéologies sont dangereuses parce quelles ne servent que quelques-uns au détriment de la multitude : « La vérité est que, sous des noms divers, nous navons jamais été gouvernés que par des oligarchies dintérêts décorés didéologie. » [51]
Pour autant, Clemenceau ne prône pas lanarchie ou le désengagement politique.
LHomme, moteur du peuple, est le seul acteur de la démocratie et de la République qui doit fonctionner dans lintérêt des faibles.
Une autre République, toujours plus démocratique, est à construire. Son programme, avant dêtre formalisé sur papier en 1881 [52] , est énoncé dans le discours de Marseille en 1880 :
Délivrer lhomme des chaînes de lignorance, laffranchir du despotisme religieux, politique, économique et layant affranchi, régler, par la seule justice, la liberté de son initiative ; seconder par tous les moyens possibles le magnifique essor de ses facultés : accroître lhomme, en un mot, en lélevant toujours plus haut : tel est le but que nous nous proposons. [53]
Cette République doit, si possible, se rapprocher le plus de loriginelle démocratie grecque malgré ses imperfections. Le peuple doit être au plus près du pouvoir et de la République. Parmi tous les moyens envisagés pour développer la démocratie, léducation est fondamentale. Par linstruction, lhomme, donc le peuple, peut se libérer de toutes ses servitudes. Ce droit à la connaissance irradie toute luvre de Georges Clemenceau. Lindividu sort de la barbarie et de linconscience par le savoir. Dans la lignée dAuguste Comte , léducation, seul lien universel, élève lenfant à la dignité de lhomme. Une nouvelle du Grand Pan « Le maître décole » synthétise cette foi en la mission de lécole laïque, gratuite, publique et obligatoire. Linstituteur de la République fabrique lavenir, alors
Courage, toi qui ouvres péniblement le dur sillon. Tu sèmes le premier grain dune maigre récolte, mais de là viendra la semence des grandes moissons futures. Et quand tu seras entré dans le bon repos de la terre, ton effort demeuré vivant produira ses fruits pour lhumanité. [54]
Par là-même, ces idées et ces éléments de programme servent de matière à la création littéraire. Mis bout à bout, ils construisent une République et une société idéales. Clemenceau, en dénonçant, invente une utopie sociale. Ses écrits ont tous une fonction dalerte ou de proposition. Et même si laction politique est le relais indispensable de lidée, il nen demeure pas moins que Clemenceau sauve avant tout le peuple par le rêve. En conséquence, limaginaire politique de Clemenceau se sert du mythe du peuple pour interpréter et récuser le réel. Ainsi, dans « Enfants dhospice », sil aborde le problème des enfants abandonnés et justifie la suppression du tour [55] ‑ à laquelle il a participé ‑ au final, il réclame et rêve, pour éviter tout abandon, dune plus grande assistance des mères désespérées. De même, dans « Théodore Charançon, homme dEtat », son analyse magistrale et lucide du milieu parlementaire aboutit à imaginer un autre type de personnel politique, plus humain et moins égoïste.
Le mythe du peuple chez Clemenceau satisfait à une fonction ontologique [56] . Il lui permet denraciner la condition humaine dans un archétype transcendant, de la réintégrer dans le temps primordial de la lutte pour lexistence, qui, au delà des vicissitudes du présent et de lhistoire, lamène non pas à proposer un modèle formel dutopie (il ne construit pas sa « Cité du Soleil » [57] ), mais à bâtir le rêve humaniste dune société fondée sur le respect des libertés, dun monde pacifique, plus juste et plus égalitaire :
[ ] Rêver, cest espérer. Qui ne sest pas construit un rêve au-dessus de ses moyens, et na pas tenté de le vivre, ne se sera pas montré digne dun passage dhumanité. [ ] [58]
Reste que, chez Clemenceau, le peuple, entité collective, nest pas à même de réaliser cette utopie. Seul lHomme éveillé, sans religion, comptant sur ses propres forces peut la débuter.
En conséquence, si luvre de Clemenceau a de nombreux points de convergence avec le romantisme, elle sen sépare radicalement par son refus de toute croyance. « Lépopée romantique, nous dit Léon Cellier, est humanitaire et religieuse. Il ny a quun héros épique : lHomme ; il ny a quun sujet épique : le progrès de lHumanité. » LHomme est le véritable héros chez Clemenceau, et son action est orientée vers le progrès de lHumanité. Toutefois, poursuit Léon Cellier : « Lépopée romantique reste donc éminemment le récit dune action héroïque ; mais elle prétend aussi délivrer sous une forme historico‑allégorique un message théosophique. Le merveilleux cesse dêtre un ornement ; il est intériorisé, et plus exactement luvre humaine laisse entrevoir en filigrane laction providentielle : Gesta Dei per Homines ». Là est la rupture. Luvre de Clemenceau délivre un message anthropo-sophique. Il ny a aucune rédemption dans lépopée clemenciste mais un accomplissement par linstruction et le savoir dans le strict respect du droit. Cest ce credo qui clôt le Discours pour la liberté [59] de 1903, quintessence de la pensée et de laction de notre auteur :
[ ] Nos pères ont fait, il y a cent ans passés, une révolution de droit dans le monde. Pour les continuer, nous ne pouvons que maintenir et développer la notion de droit quils nous ont léguée ; et comment développer le droit, si ce nest par le développement de lhomme qui en est la substance ? Cest pourquoi le mot dordre de cette civilisation moderne que la Révolution a fondée et que le Syllabus maudit, ne peut être, à travers toutes les incertitudes dune si longue bataille, que de libérer, de grandir, daccroître lhomme toujours. [ ] [60]
Sans le Dieu de Hugo, sans la Providence de Quinet, sans lÂme de Michelet , lâge dor de Clemenceau se réduit à un bonheur terrestre où lHomme ne se rachète pas. Ne comptant que sur ses seules forces, il sort de sa brutalité et devient tout simplement lui-même.
Clemenceau , à la différence des romantiques, na pas le désir infini de linachevé, au contraire homme de lHistoire, son Prométhée, émancipateur, tue définitivement le spirituel et les Dieux pour mieux construire une République strictement humaine. Lextrait de la lettre suivante à Marguerite Baldensperger en témoigne :
7 avril 1925
Mardi 11 h.
Je travaille à mon ordinaire et si quelquefois la besogne est un peu dure, je la vois avancer. Diabolicum perseverare, [61] dit lEglise. Faites-vous traduire cela par un de vos écoliers. Je nai pas lu la Bible de lHumanité parce que tout cela, malgré de belles aspirations, cest la partie secondaire de Michelet [62] Rien de nouveau ou des commentaires qui ont été dépassés. Luvre véritable cest la construction de lhistoire, et à mon avis, cest dans cela seul quil faudrait se cantonner. Le penseur lui-même avait trop profondément reçu lempreinte romantique de son temps pour ne pas sêtre embrouillé dans les violences de la Révolution Française, que nous commençons à peine à pouvoir juger sereinement. Sans doute il faut avoir lu les différents ouvrages, mais pour en dégager simplement lesprit qui est tout en haut. Ce qui ma fait grand plaisir, cest que lâme romantique vous ait paru surannée. Michelet avait besoin de ce mot pour résumer quelque chose, et non la moindre, de ses livres, comme V. Hugo du bon dieu pour chanter. [ ]
G.C
Conclusion : Paul Meurice, Hugo et les Clemenceau
Hugo et Clemenceau se sont-il rencontrés ? Oui, ils se sont beaucoup fréquentés sans vraiment devenir amis. Les Carnets de Hugo mentionnent trois entrevues en 1876-1877 [63] . Clemenceau, participant à des délégations, na pas de conversation particulière avec le poète. Seul le déjeuner ou dîner du 14 mai (soit deux jours avant la célèbre crise du 16 mai déclenchée par Mac Mahon ) en compagnie de Périn et de Gustave Flaubert laisse supposer, ce jour là, une relation plus directe et personnelle. Mais, au soir de sa vie, lorsque le Général Mordacq en 1927 lui rapporte quil a déjeuné récemment avec de fervents admirateurs de Victor Hugo , Clemenceau se laisse volontiers aller et avoue :
Je lai beaucoup connu, beaucoup fréquenté ; autant il était exécrable dans son intérieur, autant, en général, il était charmant avec ses amis. Ce fut un très grand poète et il est bien certain que peu décrivains ont fait preuve dune richesse de verbe aussi variée, aussi abondante. Je ne parle pas de ses romans qui sont de moins en moins lus, et qui, probablement, ne resteront pas. Comme homme politique, il a beaucoup souffert ; lexil lui a été particulièrement dur et la postérité doit sincliner devant un homme qui a tout supporté pour rester fidèle à ses convictions ; mais il nétait pas taillé comme bon nombre dautres grands écrivains pour être un homme dÉtat. Les grands poètes (voyez Lamartine) ne sauraient être de grands hommes politiques et cela se conçoit ou bien alors ils ne seraient pas de grands poètes. On ne saurait sortir de ce dilemme. A côté de cela, Victor Hugo avait un énorme défaut : il était dun orgueil fou, un véritable orgueil de dément. Je me rappelle toujours un certain dîner intime, chez lui, auquel jassistais et au cours duquel la conversation roula sur la vie future. Chacun de nous donna plus ou moins son avis, mais Victor Hugo, qui paraissait très impatient de donner le sien, se lança tout à coup, suivant son habitude dailleurs, dans des développements qui nen finissaient pas. Puis, comme lun des convives lui posait enfin la question : « Et vous-même, après votre mort, où pensez-vous que vous irez ? » - « Mais, répondit vivement le poète, la question ne se pose même pas, je ne puis aller que dans le Soleil. ». « Et moi, dans ce cas, ajouta timidement Madame Drouet, que deviendrai-je alors ? » - « Vous répondit froidement et brutalement Victor Hugo, cest bien simple, vous irez tout naturellement dans la Lune. » La pauvre femme qui avait une sainte admiration pour son amant, parut cruellement mortifiée de cette dure réponse. Nous étions tous si gênés que lon changea aussitôt de conversation.
Je lai revu fréquemment dans les dernières années de sa vie mais il avait bien changé : il nétait plus lami charmant et aimable dautrefois, son fol orgueil avait fini par le rendre insupportable, même à ses meilleurs amis. [64]
Malgré cette distance qui sinstalle entre Clemenceau, acteur essentiel de la vie politique et le poète vieillissant, celle-ci nest pas définitive si lon rappelle que par son exécuteur testamentaire Meurice, Hugo est entré pour toujours dans lhistoire familiale des Clemenceau. Il y a quelques années, Madame Devinat, petite-nièce de Clemenceau, petite-fille de son jeune frère Albert, ma invitée chez elle à Meudon.
Dans la maison, sur le mur du salon, mon regard fut attiré par un dessin quil me semblait reconnaître : Marine-Terrace. Je savais déjà que depuis le mariage dAlbert en 1888 avec la fille de Paul Meurice , Georges Clemenceau avait retrouvé indirectement le cercle du grand poète. Mais il a fallu ce dessin et dautres prêtés par Madame Devinat lors dexpositions- pour que je réalise combien dans la famille Clemenceau le souvenir de Hugo est toujours présent.
Clemenceau a éprouvé une grande admiration pour lécrivain Paul Meurice, compagnon avec Auguste Vacquerie , depuis 1836, de Victor Hugo. Marques de respect et demandes réciproques de conseils imprègnent leur correspondance :
A Paul Meurice :
Paris 5 février 1895
Cher Maître et ami
Vous mavez témoigné tant damitié que je puis résister au désir de vous soumettre la première épreuve de la Préface de la Mêlée sociale*.
Si vous vouliez me la retourner avec vos critiques, je serais heureux de cette nouvelle preuve de vos sentiments amicaux.
À vous de tout cur.
G. Clemenceau
A Paul Meurice :
Paris 9 septembre 1895
Mon cher Maître et ami,
Je navais garde doublier votre aimable invitation et jespère bien quil me sera possible de my rendre. Je me promets une grande joie dune nouvelle lecture- à nous deux- de votre admirable Struensee. [65] Mais il faut dabord comme je vous lavais dit, que jaille passer une dizaine de jours chez un de mes amis qui a depuis trois ans ma promesse. Cest dans la dernière semaine de septembre que je compte aller vous voir. Je quitte Paris ce soir même.
A bientôt, mon très cher Maître et ami.
Tous mes bons souvenirs à Marthe [66] et à ceux des vôtres qui sont autour de vous.
Ma plus affectueuse poignée de main.
G. Clemenceau. [67]
Ce lien amical renforcé par le mariage de Albert Clemenceau avec Marthe Meurice lamène en 1895 à aller en Normandie à Veules où vers 1868, Paul Meurice fait construire une propriété avec terrasse, comportant un pavillon de trois pièces sur la mer, composé dune chambre, dun cabinet de toilettes et dune grande pièce avec une baie vitrée . Là, Hugo résida à plusieurs reprises en 1879, 1880 et 1882.
Ainsi, en devenant à son tour lhôte de son ami Meurice, Clemenceau non seulement retrouve le souvenir de Victor Hugo, mais aussi permet, à ses descendants, jusquà aujourdhui de le cultiver.
A l'amiral Maxse:
Aunay 13 septembre 1895
Mon cher ami
Je retourne à Paris lundi prochain pour me remettre au travail, car cest à grand peine que jai pu conquérir, après un mois passé à Carlsbad, ce court loisir de Nach Kur [68] . Cest vous dire que je ne pourrai pas me rendre à votre amicale invitation. Jai eu cette année de trop longues vacances et il faut absolument que je rattrape le temps perdu. Jai promis à Paul Meurice* daller passer deux jours avec lui en Normandie pour relire, à nous deux, une admirable pièce quil vient de terminer et qui sera je pense un très grand succès à la Comédie Française. Ce sera ma dernière fugue.
G.C [69]
Jespère avoir su justifier ma présence ici, ce matin, dans ce groupe Victor Hugo. Je vous remercie à nouveau de mavoir invitée parce que ce travail je devais laccomplir autant pour la recherche universitaire que pour la mémoire familiale des Clemenceau.
Bibliographie :
Brodziak, Sylvie, Clemenceau écrivain, Lille, ARNT, 2004.
Brodziak Sylvie, Limpossible écriture de la violence chez Georges Clemenceau, communication en ligne, http://www.u-cergy.fr/article5235.html -
Brodziak Sylvie et Jean-Noël Jeanneney, Correspondance de Clemenceau, Paris, Robert Laffont, collection Bouquins, octobre 2008
Duroselle, Jean-Baptiste, Clemenceau, Fayard, 1988
Laurent, Franck, Victor Hugo, le Rappel et la Commune, communication en ligne 13 mars 2004, htpp/www.groupugo.univ-paris-diderot.fr/
Mordacq, Général, Clemenceau au soir de sa vie, Paris, Plon, 1933.
Morat Yves et Pouchain Gérard, Les séjours de Victor Hugo à Veules-en Caux chez Paul Meurice, édité par lAssociation pour la sauvegarde du Patrimoine veulais, juin 2007.
Stein Marieke, Un homme parlait au monde. Victor Hugo orateur politique. Champion 2007
[1] Jean Martet , M. Clemenceau peint par lui-même, Paris, Albin Michel, 1929, p. 181.
[2] Jean Martet , M. Clemenceau peint par lui-même, op.cit, p. 187.
[3] Sur les racines républicaines de la famille de Georges Clemenceau, voir supra et larticle de Jeanne Gilmore OBrien dans Clemenceau et la Justice, Paris, Publications de la Sorbonne, Série France, XIXe, XXe, n°15, 1983, 184 pages.
[4] Lexpression est de Michelle Perrot dans Histoire de la vie privée, sous la direction de Philippe Ariès et Georges Duby, tome 4, « De la Révolution à la Grande Guerre », Paris, Seuil, 1987, 623 pages.
[5] Cet amour du cheval est héréditaire chez les Clemenceau. Deux ouvrages achetés à plusieurs années dintervalle indiquent cet engouement trans-générationnel :
Cardini : Dictionnaire dhippiatrique et déquitation, 1845.
Dressage méthodique du cheval de selle, ed J. Rothschild, 1891.
Il y a aussi louvrage de Fillis, Principes de dressage et déquitation, dans sa version allemande de 1894, ouvrage rédigé par Clemenceau, sous les conseils de son auteur officiel.
[6] In Jean Martet , M. Clemenceau peint par lui-même, op. cit., p.181.
[7] Extraits dune lettre de Benjamin Clemenceau à sa femme, in Georges Wormser , La République de Clemenceau, Paris, PUF, 1961, 520 pages.
[8] « Mon père [ ] le moment délicieux, cest quand il senfermait dans sa bibliothèque, au milieu de ses livres, et quil décidait daimer avec ivresse lhumanité, par principe. » dans René Benjamin , Clemenceau dans la retraite, Paris, Plon, 1930, p. 59
[9] Il est difficile de définir par une doctrine les libéraux. « Parti libéral » ne signifie pas parti républicain, nous reprendrons les précisions données à la fois par Pierre Sorlin et les auteurs de lHistoire culturelle de la France, op. cit., tome 3 : « Entre les républicains et les bourgeois existe un petit groupe dhommes qui veut soulager la misère ouvrière. Le premier de ces philanthropes est le docteur Guépin [ ] qui considère le corps social comme un ensemble organique, élément vivant qui a besoin dune morale collective (donnée par lenseignement). Les libéraux nont pas les mêmes préoccupations que Guépin. [ ] Ils ne croient pas indispensable dassurer aux classes pauvres une totale indépendance, mais ils pensent que la ville gagnera à avoir plus douvriers qualifiés, dagriculteurs ou de commerçants capables. ». Les objectifs du parti libéral sont « la restauration des murs et la régulation de la souveraineté populaire ». Les libéraux ont une conception laïque de lEtat, mais ils ne se rallient pas après 1830 à lindividualisme et à lapologie du marché. Les libéraux tels que Tocqueville choisissent de défendre la liberté denseignement et de se passer dune morale dEtat.
[10] Filippo Buonarroti (1761-1837) : révolutionnaire français, dorigine italienne. Entré en 1796 dans la conspiration de Babeuf, il réussit à échapper à la déportation.
[11] Ceci est confirmé par une lettre de la mère de Benjamin à son fils le dimanche 21 mars 1830 : « Parlons de Hernani [ ] enfin je conclus que Dieu te garde, et que Monsieur Hugo eût dû mieux faire. » La bataille ayant eu lieu le 25 février 1830.
[12] In Jean Martet , M. Clemenceau peint par lui-même, op. cit., p. 181.
[13] Ceux ci sont mentionnés par Georges Suarez dans Clemenceau, Paris, Editions de France, 1934, p.15, J.B Duroselle , Clemenceau, op. cit., p. 43, et Geffroy dans Georges Clemenceau, sa vie, son uvre, Paris, Larousse, 1929 daprès Talvart et Place. Certains sont restés dans lhistoire de la République:
RANC Arthur : 1831-1908, républicain militant, déporté sous le Second Empire, rentre en France en 1859 ; membre de La Commune, amnistié, fut un des proches collaborateurs de Gambetta , journaliste, en 1905, il succéda à Clemenceau comme rédacteur en chef de lAurore.
PELLETAN Eugène : journaliste, écrivain, libre penseur et républicain, père de Camille Pelletan qui rencontre à lâge de 15 ans Clemenceau, son futur patron.
ROCHEFORT Victor Henri : 1830-1913, journaliste et homme politique français, employé modeste à lHôtel de Ville. En 1861, il quitte ses fonctions et devient auteur de vaudeville. Auteur à partir de 1869, dun pamphlet hebdomadaire La Lanterne, député républicain en 1869. Condamné à la déportation après La Commune, il sévade en 1874 de la Nouvelle Calédonie. Devenu boulangiste en 1885, il devient opposant à la Troisième république et antidreyfusard. Il finit nationaliste.
LEFORT Henri : résistant au coup dEtat du 2 décembre, républicain, futur membre de la Première Internationale.
MELINE Félix Jules : 1838-1925; avocat parisien; il appartient à lopposition républicaine sous le Second Empire. Homme dEtat sous la Troisième République, spécialiste de lagriculture, il fut aussi le chef de file des protectionnistes à la Chambre et fit instituer en 1892 le double tarif douanier.
PROLO : Jean Pausader dit Jacques Prolo , auteur du livre Les Anarchistes, tome X, de lHistoire des partis socialistes en France sous la direction A Zévaes , Paris, Rivière éd., 1912.
[14] Georges Clemenceau et ses compagnons Ferdinand Taule et Eugène Carré, journalistes au Travail ont été arrêtés le 23 février : ils avaient apposé, place de la Bastille, des affiches conviant les ouvriers à célébrer lanniversaire du 24 février 1848, chute de Louis Philippe. Eugène Carré et Ferdinand Taule partirent pour Sainte Pélagie, Clemenceau pour Mazas.
[15] Linvasion ou le fou Yegof paru le 1er septembre 1861 dans la Revue des Deux Mondes fut publié en volume en 1862 . Ce roman appartient à un ensemble intitulé Les romans nationaux , publié par Hetzel en édition populaire illustrée. Linvasion narre la lutte victorieuse de montagnards vosgiens contre les envahisseurs autrichiens. Celle-ci est dramatisée par la présence dun traître : le fou Yegof.
[16] Publié en 1840 par G. Charpentier , ce recueil est composé de ses principales pièces de théâtre : les Caprices de Marianne ( 1833), Fantasio ( 1834), On ne badine pas avec lamour ( 1834)
[17] Ces trois ouvrages appartiennent à la Comédie humaine, ensemble de luvre romanesque de Balzac . Histoire des Treize appartient à Scènes de la vie parisienne et comprend trois petits textes considérés comme une trilogie : Ferragus, Ne touchez pas la hache, rebaptisé la Duchesse de Langeais et la Fille aux Yeux dor.
Le Père Goriot est le tome 22 de Scènes de la vie privée, La Peau de chagrin constitue le tome un des études philosophiques.
[18] Valvèdre et la famille de Germandre sont deux romans de George Sand , parus en 1861.
[19] La Légende des Siècles est une vaste fresque de lhistoire de lhumanité, le premier tome fut publié en 1859 alors que son auteur est en exil sur lîle anglo-normande de Guernesey.
[20] Le Rhin : Seul voyage de Victor Hugo a avoir donné lieu à une publication, le Rhin , lettres à un ami, est le fruit littéraire des trois voyages réalisés en compagnie de Juliette Drouet en 1838, 1839, 1840.
[21] Brodziak Sylvie, Jeanneney Jean-Noêl , Clemenceau correspondance, collection bouquins, Paris robert Laffont, 2008.
[22] In Jean Martet , M. Clemenceau peint par lui-même, op. cit., p. 200.
[23] Dailleurs signé par Scheurer-Kestner
[24] Clemenceau , Discours sur lAmnistie, chambre des députés , séance du 16 mai 1876, Paris, p.7 et 8
[25] Ibidem.
[26] Le Rappel, 19 mars 1871.
[27] In Discours pour lamnistie, Séance du sénat du 28 février 1879, in Actes et Paroles IV, depuis lExil-1879.
[28] Jean Martet, Le Silence de M. Clemenceau, Paris, Albin Michel, 1929, p. 267
[29] Jean Martet, Le Silence de M. Clemenceau, Paris, Albin Michel, 1929, p. 293-294.
[30] In Tocqueville , De la démocratie en Amérique, tome 2, Paris, M.T Génin, 1951, p. 96.
[31] Selon les travaux de Marieke Stein.
[32] Victor Hugo, Actes et Paroles II, Pendant lexil, 1867, III, lempereur Maximilien.
[33] Maximilien , empereur du Mexique vient dêtre exécuté le 19 juin 1867.
[34] Sous la Terreur.
[35] In Brodziak Sylvie , Jean-Noêl Jeanneney , la correspondance de Georges Clemenceau, collection Bouquins, Paris, Robert Laffont, 2008.
[36] La Convention « sujet de contemplation sombre, lugubre, effrayant mais sublime ».Victor Hugo
[37] Le Voile du bonheur, pièce chinoise.
[38] Patrons, grands industriels, ouvriers, paysans, juifs, prostituées, bourgeoises, curés, artistes, députés, chômeurs, vieillards, enfants, vieilles anglaises. Le type condense, sous une forme individuelle, des traits caractéristiques de la nature humaine.
[39] Je reprends le titre de louvrage de Léon Cellier , Lépopée humanitaire et les grands mythes romantiques, Paris, SEDES, 1971.
[40] Clemenceau, Au fil des jours, « Cheval de retour », op.cit., p. 121.
[41] Clemenceau, Les Plus Forts, Paris, Fasquelle , 1898, p. 121-122
[42] Clemenceau, La Mêlée sociale, « Etat desprit », op.cit., p. 288
[43] Titre emprunté à Alain Pessin , Le Mythe du Peuple et la société française du XIXème siècle, Paris, PUF, 1992, 280 pages.
[44] A la mort de Clemenceau, en décembre 1929, cest cette nouvelle, jugée révélatrice de lhomme, que publiera la revue Chanteclair, revue artistique et littéraire, sous la direction de Carmine Lefrancq, Romainville. Cette revue était exclusivement réservée au corps médical et pharmaceutique.
[45] Clemenceau, La Mêlée Sociale, « Refus de vivre », op.cit., p. 34-37.
[46] Ce droit à lassistance apparaît dans larticle 21 de la Constitution de 1793 ou de l An I.
[47] Il sagit de Que faire ? paru chez Savine en 1887.
[48] Clemenceau, La Mêlée sociale, « La charité », Paris, Fasquelle, p. 141.
[49] Clemenceau, Au fil des Jours, « La religion des peuples et des rois »,op.cit., p. 493.
[50] Clemenceau, La Mêlée sociale, « Après le sermon sur la montagne », op.cit., p. 99.
[51] Clemenceau, Au Soir de la Pensée, tome 2, « La civilisation », op.cit., p. 374.
[52] Voir annexe 5.
[53] Extrait du Discours de Marseille, le 28 octobre 1880.
[54] Clemenceau, Le Grand Pan, « Le maître décole », op .cit., p. 216.
[55] Le tour était ce système qui permettait aux mères dabandonner leur enfant sans être vues. Clemenceau a milité pour sa suppression, car si ce moyen permettait de garder lanonymat de la mère, il empêchait de « tenter les plus grands efforts pour maintenir, sil se peut, le lien qui rattache lun à lautre. » De nos jours, des tours modernes viennent dêtre réinstallés dans certains pays dEurope.
[56] Nous empruntons ce concept à J-P Sironneau, In Retour du mythe et imaginaire socio-politique, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1980, p.14-15. Sironneau dégage quatre fonctions du mythe dans limaginaire politique : une fonction cognitive, le mythe est une réponse, une fonction sociologue, le mythe légitime lordre social, une fonction psychologique, le mythe est lexpression et le dépassement des conflits inconscients de la psyché et une fonction ontologique qui permet lenracinement de la condition humaine dans un archétype transcendant.
[57] Cet ouvrage de Campanella est présent dans sa bibliothèque dans une édition de 1840.
[58] Clemenceau, Au Soir de la Pensée, tome 1, « Rêver, penser », op.cit., p. 203.
[59] Il sagit du discours au Sénat sur la liberté denseignement.
[60] In Clemenceau, Discours pour la liberté, cinquième cahier de la cinquième série, Cahiers de la Quinzaine, Paris, 8 rue de la Sorbonne, 1903, p. 56.
[61] « Errare humanum est, diabolicum persevere » : il est humain de se tromper, diabolique de persévérer.
[62] Grand admirateur de Michelet et de sa lecture de la Révolution Française, dès 1862, le jeune journaliste Clemenceau dans deux numéros du Travail , le 2 et le 22 février, deux articles qui en revendiquaient lhéritage.
[63] Ces précisions furent heureusement apportées par M. Arnaud Laster lors de mon intervention au groupe Hugo, je me permets donc de modifier mon texte.
[64] In Général Mordacq, Clemenceau au soir de sa vie, tome 2, Paris , Plon, 1933, p. 175-176.
[65] Drame en 5 actes écrit par Paul Meurice, contant lhistoire du médecin Struensee, amant de la reine Caroline-Mathilde épouse de Christian VII roi du Danemark qui régna de 1766 à 1784. Le médecin Struensee gouverna , en raison de la maladie mentale de Christian VII, le pays de 1770 à 1772, date où il fut exécuté.
Le drame de Paul Meurice fut représenté à La Comédie Française le 11 mai 1898.
[66] Sa fille.
[67] Sylvie Brodziak et Jean-Noël Jeanneney, La correspondance de Clemenceau, collection bouquins, paris, Robert Laffont, 2008.
[68] Temps de post-cure.
[69] Sylvie Brodziak et Jean-Noël Jeanneney, La correspondance de Clemenceau, collection bouquins, paris, Robert Laffont, 2008.