Florence Naugrette : Cocteau adaptateur de Ruy Blas

Communication au Groupe Hugo du 17 septembre 2005
Ce texte peut être téléchargé, dans la mise en page de son auteur, au format pdf.


Voici la présentation d’un travail en cours, qui paraîtra sous une forme plus aboutie dans les Cahiers Cocteau, chez Minard, dans un numéro sur Cocteau adaptateur dirigé par Serge Linarès.

 

La critique n’est généralement pas tendre avec le Ruy Blas que Pierre Billon a réalisé en 1947 sur un scénario et des paroles de Jean Cocteau. Depuis sa création, ce film, qui rencontra pourtant son public, a été régulièrement dénigré, suivant un sort fréquemment réservé aux adaptations transgénériques ou transmodales. Dans le cas de ce Ruy Blas, les attaques ont porté principalement sur les très grandes libertés prises à l’égard de l’intrigue par le scénario de Cocteau, sur l’interprétation de Jean Marais et/ou Danielle Darrieux, et sur la déversification. On se refusera ici au jugement de valeur catégorique ou épidermique. On s’intéressera plutôt aux questions de poétique que pose la réécriture transmodale, afin de répondre à ces questions : dans quelle direction Cocteau a-t-il orienté sa lecture du drame de Hugo ? Quelles sont les parts respectives de la thématique personnelle et du contexte historique de l’immédiat après-guerre dans ses choix de lecture ? Pourquoi a-t-il éprouvé la nécessité de modifier substantiellement l’intrigue ? Quels enseignements rétrospectifs l’adaptation peut-elle, en retour, nous apporter, sur le sens de l’œuvre-source ?

 

Outre le film lui-même, disponible en vidéo aux Editions René Château, nous disposons de documents précieux : le scénario publié chez Paul Morihien, et un dossier préparatoire conservé à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris. L’étude de ce dossier, porté à ma connaissance par Serge Linarès et mis à ma disposition par Claudine Boulouque[1], permet de mieux comprendre le sens de l’adaptation. Outre des lettres d’acteurs demandant à Cocteau la faveur d’un engagement, et divers courriers administratifs, on y trouve principalement des brouillons de scénario portant exclusivement sur des passages inventés de toutes pièces par Cocteau. L’un, relativement lisible, propose une version du début du film assez éloignée du résultat final ; quelques ajouts figurent dans ses marges. L’autre, écrit d’une main plus pressée, et d’un déchiffrage malaisé, propose de ce même début une version plus proche du scénario final ; il comporte de très nombreuses ratures. Dans les deux versions, les dialogues sont soit assez développés, soit simplement esquissés, et mêlés alors au descriptif de l’action sans distinction particulière dans la mise en page.

 

Selon la classification de Francis Ramirez et Christian Rolot, Ruy Blas fait partie, dans l’œuvre cinématographique de Cocteau, de « la veine rouge et or du cinéma de théâtre », avec L’Aigle à deux têtes et Les Parents terribles[2]. Contrairement aux deux autres, il s’agit d’un « classique », comme on dit alors dans la presse, qui n’en est pas, en 1947, à sa première adaptation[3]. Le rapport que Cocteau entretint avec ce film est complexe : d’un côté, s’approprier Ruy Blas relève pour lui d’une nécessité profonde, commandée par sa fréquentation de Hugo ; de l’autre, l’œuvre est traitée avec une certaine désinvolture, depuis l’adaptation libre et les commentaires cavaliers qui l’accompagnent, jusqu’à l’abandon de la réalisation à Pierre Billon.

Que nous apprennent les circonstances de la création du film sur son rapport à Hugo ? Le scénario est écrit en moins d’un mois, pendant l’été 1946, lors d’un séjour à la Roche-Posay. Il est achevé le 13 août 1946. Le 2 septembre, Cocteau passe un contrat avec les héritiers de Hugo, où il s’engage à respecter l’esprit de l’œuvre. Il signe avec les Productions Georges Legrand le 17 septembre, et c’est finalement André Paulvé qui produira le film. Le premier réalisateur pressenti est Henri Calef, qui est remplacé par Pierre Billon. Cocteau dit ne pas se sentir suffisamment dispos pour faire ce travail lui-même[4]. Au générique, sa part se réduit donc à la formule « adaptation et paroles ». Cependant, il assistera chaque fois qu’il le pourra au tournage qui se déroule de juin à septembre 1947, aux studios de  la Giudecca à Milan. Aussi, même si le film est d’une facture bien plus sage que ses propres réalisations, on y retrouve de nombreux ingrédients de son univers cinématographique.

En voici la fiche technique, et la distribution par ordre d’apparition :

 

Décors et maquettes : Georges Wakhévitch. Costumes : Marcel Escoffier. Opérateur : Michel Kelber. Musique : Georges Auric.

Ruy Blas et Zafari (Jean Marais), le duc d’Albe (Gilles Quéant), l’écuyer du duc d’Albe (Claude Serre), Goulatromba (Alexandre Rignault), Don Guritan (Giovanni Grasso), Don Salluste (Marcel Herrand), Santa Cruz (Paul Amiot), l’Archevêque (André Lurville), Les ministres (Rolla Norman, Pierre Magnier, Eddy Debray, Alain Dhurtal, Guy Favières, Charles Lemontier, Jacques Berlioz). Maria de Neubourg (Danielle Darrieux), la duchesse d’Albuquerque (Gabrielle Dorziat), Casilda (Ione Salinas).

Le scénario, édité en décembre 1947 chez Paul Morihien, est tiré à 300 exemplaires. Le film sort le 18 février 1948. Il est mal accueilli par la critique, qui accuse Cocteau d’avoir défiguré la pièce. Ce jugement, qu’on rencontre encore aujourd’hui, mérite d’être nuancé, les données du problème devant être sériées, en distinguant les questions anecdotiques des questions esthétiques.

 

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Premier élément : le refus de Jean Hugo de prendre en charge les décors et les costumes ; à cette époque, le petit-fils du poète, qui a déjà signé les décors de la Comédie-Française pour le centenaire de Ruy Blas en 1938, et a déjà collaboré avec Cocteau, s’éloigne de leur groupe d’amis communs, depuis sa récente conversion au catholicisme. Il ne veut pas cautionner cette entreprise que les puristes ne manqueront pas de critiquer. Son refus déçoit Cocteau.

Deuxième élément : l’effet parasite, pour nous, de la trop célèbre formule « Victor Hugo était un fou qui se prenait pour Victor Hugo », abusivement interprétée comme un signe univoque de mépris, tel le « Victor Hugo hélas ! » de Gide sorti de son contexte. Il n’est que de lire les journaux de Cocteau pour constater son estime et sa fréquentation régulière de l’œuvre de Hugo, notamment de sa poésie militante.

Troisième élément : les propos tenus par Cocteau lui-même au moment de la conception du scénario, qu’il faut ramener à leur juste valeur. Cocteau juge la construction de l’intrigue hugolienne invraisemblable, et entreprend de l’amender. Il s’en explique dans une lettre à Jean Marais : « La pièce de Hugo ne tient pas debout à l’étude. C’est brossé comme un vieux décor. Il a fallu démonter et remonter la machine avec des pièces comme une montre suisse. »[5] Il reprendra cette idée à plusieurs reprises, en variant les métaphores. Quand il parle à la radio de « l’abracadabrance de Ruy Blas », les héritiers s’émeuvent, et réclament à la production, par l’intermédiaire de leur avocat, un droit de regard sur le scénario[6]. Avec le recul, on est en droit de trouver cette formule assez inoffensive : d’une part, les artistes interviewés sont souvent amenés à prononcer des formules frappantes qu’on a beau jeu de monter en épingle ; d’autre part, souligner l’invraisemblance des intrigues hugoliennes n’est pas un cas pendable : le drame romantique n’est pas la comédie réaliste, et le « vraisemblable », on le sait, varie avec les époques et les systèmes de valeur. D’autre part, contrairement à la crainte exprimée par les héritiers de Hugo, si la « lettre » est assurément modifiée, on ne saurait dire que l’« esprit » de l’œuvre de Hugo soit à ce point altéré : le début est certes largement réinventé, l’ordre des scènes est plus d’une fois inversé, et les possibilités offertes par le medium cinématographique servent à prolonger la fable. Mais pour le reste, l’esthétique générale du film, avec ses décors inspirés de la peinture espagnole, la flamboyance du jeu de Marais, et le mélange du grotesque et du sublime, est relativement conforme à l’« esprit » de Hugo : le grand public, moins sensible que les lettrés aux altérations subies par le texte, y a été sensible.

 

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Les vingt-trois premières scènes sont consacrées à la rencontre entre Salluste et Ruy Blas, et à l’introduction de ce dernier à la Cour sous l’identité usurpée de Don César. Cette partie, qui équivaut à l’acte I, dure 36 minutes.

Les sept scènes suivantes montrent l’ennui de la Reine à la Cour, l’arrivée de Ruy Blas apportant une lettre du roi qui chasse, et la jalousie de Guritan expédié à Neubourg par la reine pour retarder son duel avec Ruy Blas. Cette partie équivaut à l’acte II, et dure 23 minutes.

Les quatorze scènes suivantes montrent l’ascension de Ruy Blas à la cour jusqu’au poste de Premier Ministre, la leçon qu’il donne aux ministres (« Bon appétit, Messieurs ! »), et la déclaration d’amour à la reine. Cette partie correspond à la première moitié de l’acte III et dure 17 minutes.

Les neuf scènes suivantes montrent le retour de César, qui se rend chez Salluste pour obtenir des explications et y tue Guritan venu défier Ruy Blas en duel. Les deux sosies se croisent brièvement. La reine et Ruy Blas échangent leurs inquiétudes sur les dangers qui les menacent. Cette partie équivaut — très vaguement ! — à l’acte IV et dure 11 minutes.

Les seize dernières scènes enchaînent directement le retour de Salluste qui désillusionne Ruy Blas sur son rôle et le traquenard tendu à la reine dans sa petite maison, la révélation de l’identité de Ruy Blas à la reine et le suicide du héros. Cette partie correspond à la fin de l’acte III et à l’acte V et dure 17 minutes.

Plutôt que de nous offusquer des importants travestissements de l’intrigue hugolienne, nous préférons dresser une typologie des modalités de l’adaptation. On repère ainsi 1) la reprise « fidèle » de la plupart des principales scènes. 2) des inversions dans l’ordre de la fable. 3) la figuration de certains épisodes maintenus hors-scène au théâtre, mais permis par le cinéma. 4) l’invention pure et simple de scènes entières, qui modifient substantiellement l’interprétation du drame. Dans le cadre de cet article, notre analyse ne saurait être exhaustive : aussi donnerons-nous, pour chacun de ces quatre cas, les exemples les plus flagrants.

 

1) Comme l’a montré le résumé ci-dessus, les grandes étapes de la pièce sont respectées, et la plupart des scènes attendues sont au rendez-vous : la signature imprudente par Ruy Blas, sous la dictée de Salluste, des deux lettres qui le perdront ; son introduction à la Cour, son trouble devant la reine traversant la galerie ; l’ennui de cette dernière, sa tendre amitié pour Casilda, l’arrivée de la lettre et l’évanouissement de Ruy Blas, le duel évité avec Guritan, la reine l’envoyant à Neubourg porter une boîte qui contient le message suivant « Gardez le plus longtemps possible ce vieux fou » ; le « Bon appétit Messieurs » suivi de la démission des ministres et de la déclaration d’amour à la reine surgie de derrière la tapisserie ; le retour de Salluste ordonnant à Ruy Blas de fermer la fenêtre, de ramasser son mouchoir, de renoncer à ses ambitions politiques et de reprendre sa fonction de domestique ; le quiproquo qui amène César à tuer Guritan chez Salluste ; le piège tendu par ce dernier à la reine, le dévoilement de l’identité de Ruy Blas, le refus de la reine de lui pardonner, l’empoisonnement, et, à peine modifié, le fameux dernier échange  « — Ruy Blas ! — Merci » sur lequel se clôt la pièce.

 

2)La modification de l’ordre des scènes peut être anodine, si elle correspond à des actions se jouant dans des lieux différents, et qu’on peut imaginer simultanées dans le temps de la fiction. Elle est lourde de conséquences, en revanche, si selon la loi aristotélicienne qui associe chronologie et causalité, elle perturbe l’enchaînement des causes et des effets. C’est le cas notamment au début du film, où Salluste engage Ruy Blas à son service et l’introduit à la Cour sur sa seule ressemblance avec César, sans savoir encore qu’il est amoureux de la reine. Dans la pièce de Hugo, cette confidence de Ruy Blas à César, surprise par Salluste, est un élément déterminant dans la décision de ce dernier de faire endosser à son domestique l’identité de son cousin. On voit mal ce que cette inversion apporte à Cocteau, dans la mesure où elle affaiblit considérablement le machiavélisme de Salluste.

Autre exemple : chez Hugo, le retour de Salluste (III, 5), coup de théâtre spectaculaire, suit immédiatement le duo d’amour et le « rêve étoilé » de Ruy Blas. Dans le film, cette scène étant retardée jusqu’au dénouement, Cocteau ménage une plage de temps pendant laquelle les deux amants, sentant sur eux confusément se tendre un piège ourdi à la fois par les grands seigneurs offensés et par Salluste humilié, décident de persister dans leur amour et dans la défense du pays ; seconde conséquence de cette inversion, la chute de Ruy Blas, au lieu d’occuper toute la seconde moitié de la pièce, est concentrée de manière extrêmement dramatique dans les dernières minutes, et la menace formulée par Salluste contre sa créature récalcitrante est immédiatement mise à exécution, par l’envoi fatal du billet à la reine. Ce retardement est lourd de sens : alors que Hugo laisse à Ruy Blas le temps de prendre ses dispositions pour sauver la reine (IV, 1) — dispositions ruinée par l’arrivée fortuite de César chez Salluste à l’acte IV —, Cocteau  n’en laisse pas au héros la possibilité tactique. Au contraire, il le montre, conscient de sa faute, s’enferrer dans le danger avec une inconscience jusqu’au-boutiste. C’est par ce genre de manipulations de l’ordre des scènes, évoqué dans la lettre à Jean Marais citée plus haut, que Cocteau, sous prétexte de remonter la « montre suisse » dans le bon ordre, altère profondément les motivations des personnages.

 

3)Les ajouts permis par le medium cinématographique, en revanche, produisent des scènes très suggestives, qui prolongent l’intrigue sans l’altérer, puisqu’ils permettent de montrer ce que la scénographie romantique forçait à maintenir dans le hors-scène. Limité à un décor par acte, Hugo adopte ce que Anne Ubersfeld appelle une « esthétique du compromis », afin d’accéder à la scène de son époque. Il s’interdit les fréquents changements de lieu que permettait jadis le plateau élisabéthain, que retrouve Musset pour Lorenzaccio, non immédiatement destiné à la scène, et que le plateau nu de la scène du XXe rendra de nouveau possible pour la représentation « épique » de l’histoire.

Cocteau tire le meilleur profit des changements de lieu, notamment pour montrer des extérieurs : les paysages de Castille, le repère des brigands, l’équipée sauvage de Ruy Blas dans les torrents de Caramanchel à la recherche de la fleur bleue prisée de la reine, les ruelles de Madrid, la place de la cathédrale, ou l’exil doré de Salluste en Andalousie ; le meurtre de Guritan dans le patio de la maison de Salluste est aussi visible, et non pas, comme dans le théâtre classique, refoulé dans le hors-scène.

Il utilise aussi cette technique pour montrer des épisodes se déroulant, dans la fiction théâtrale, entre les actes. C’est ainsi que l’ascension de Ruy Blas jusqu’au faîte du pouvoir, ellipse entre les IIe et IIIe actes de la pièce, est figurée dans le film, par une scène où la reine lui demande son amitié, puis par plusieurs séquences muettes et rapidement enchaînées, où Cocteau joue efficacement des forces indicielle et symbolique du signe :

 

La loge d’honneur des arènes

Ruy Blas préside la course. Le matador lui tend l’oreille du taureau.

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Une des portes du palais de Madrid

Grandes dames et courtisans attendent. Ruy Blas sort, escorté de deux pages qui portent des torches. Une dame s’agenouille et lui donne un placet.

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Salle du trône du roi à l’escurial

La main du Roi tend un parchemin que le duc d’Albe en armure porte à Ruy Blas agenouillé et dont le vaste manteau blanc couvre les marches du trône. Ruy Blas s’incline.

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Un salon chez ruy blas au palais de madrid

Une toile où la main du peintre termine un portrait de Ruy Blas en grand dignitaire. La main se retire. La palette masque le tableau.

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Place du palais de madrid

Ruy Blas paraît au balcon. Les chapeaux volent.

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Le salon de la reine

Un miroir d’ombre d’où surgissent Ruy Blas les yeux fermés et, derrière lui, la Reine qui lui passe au cou le Collier de la Toison d’Or.[7]

 

Le spectacle y perd en intensité dramatique, mais y gagne en romanesque, et ces scènes, pour inventées qu’elle soient, n’en sont pas moins conformes à l’esprit de la fable, puisque l’ascension de Ruy Blas à la Cour, si elle se fait en un entracte dans le temps de la performance, ne se fait pas en un jour dans le temps de la fiction.

L’intervalle entre les actes IV et V est lui aussi comblé par la vision saisissante de la fuite de la reine hors du palais, qui, sous la houlette de Casilda, rejoint Ruy Blas, croyant répondre à son appel. Les deux femmes déjouent la vigilance des gardes, et croisent dans les rues sordides de Madrid une sinistre procession religieuse. Cette scène, qui mêle le comique et l’effroi, est tout à fait conforme à l’esthétique hugolienne en général, et en particulier à cette atmosphère cauchemardesque qu’a exploitée elle aussi Brigitte Jaques-Wajeman dans sa mise en scène donnée en 2001 à la Comédie-Française.

 

4) Les changements les plus énormes sont des inventions pures et simples d’épisodes, notamment pour l’exposition de l’intrigue, qui n’a plus rien à voir avec la pièce de Hugo. L’étude des brouillons montre que Cocteau a essayé diverses solutions avant de mettre en place l’enchaînement des premières scènes, devant aboutir à la rencontre de Ruy Blas et Salluste (qui chez Hugo sont déjà maître et domestique bien avant le lever du rideau). Le premier brouillon débute par une audience chez la reine, qui charge Guritan d’annoncer sa disgrâce à Salluste. Ce dernier confie ses projets de vengeance à Santa Cruz, et lui demande de le servir en échanges d’anciens services rendus. La scène se déplace ensuite hors Madrid, dans une auberge, repaire des mauvais garçons :

 

On approche de la table où don César [Zafari] en costume magnifique montre à Goulatromba, les billets doux du comte d’Albe qui bourrent ses poches. Ce pourpoint a été volé au comte d’Albe par Matalobos qui lui en a fait cadeau.

Lucinda, la rousse, est à côté d’eux. Le comte d’Albe n’hésite pas à venir chez [illisible]femme lui donner rendez-vous. Lucinda joue le rôle de la femme. Matalobos le rôle du mari. Le comte était couché. Lucinda a pendu ses vêtements dans l’armoire à double fond qui donne sur le derrière de l’auberge. [illisible]Elle s’est cachée dans l’armoire. Don César vêtu du pourpoint est parti avec elle sur les chevaux du comte. Il a dit au page qui le prenait pour Albe : « tu rentres à Madrid sur un âne que tu trouveras dans la maison. » L’atmosphère doit mettre le public au courant des personnages parmi lesquels il se trouve. C’est une bande célèbre qui terrorise l’Espagne. Ils attendent une nouvelle [illisible]recrue : Ruy Blas. Don César parle de sa ressemblance extraordinaire avec lui – sauf qu’il est brun et ne porte pas de barbe. (Don César est blond et porte une courte barbe).

 

 Après l’arrivée de Ruy Blas, la police surgit pour arrêter César, mais ce dernier s’enfuit et son sosie, arrêté à sa place, est amené à Salluste. Ce dernier, comprenant la méprise, rassure Ruy Blas sur ses intentions pacifiques à l’égard de son ami, l’engage comme intendant, et l’envoie chercher Zafari. Ruy Blas se rend chez Lucinda, mais le bandit, méfiant, se cache. Rendez-vous est pris le soir à l’église, où Salluste le fait arrêter. César s’échappe de l’église, etc.

Le deuxième brouillon est plus proche du résultat final, mais reprend encore quelques éléments de la première version, auxquels Cocteau renonce, comme en témoignent les ratures :

 

(X) Salluste veut arrêter Don César et arriver avec la police à l’auberge. (Police cachée) Salluste arrive chez César Sal Auberge Salluste envoie les alguazils (Police) Arrestation et fuite.

 

Finalement, le film commence par la rencontre entre l’étudiant Ruy Blas et le duc d’Albe sur la route de Madrid. Ils tombent sur une embuscade et le duc est pris en otage ; le meneur croit reconnaître en Ruy Blas son chef Zafari. Le duc envoie Ruy Blas chercher sa rançon auprès de Salluste. Les bandits emmènent le duc dans leur repère, où il rencontre Zafari. Le duc pense que c’est Ruy Blas, mais comprend bientôt sa méprise. Zafari est heureux de retrouver, grâce au duc, la trace de son ami d’école Ruy Blas, et relâche le duc, non sans avoir échangé avec lui son pourpoint. Chargé par Zafari de transmettre à Ruy Blas un rendez-vous à l’église, le duc revient en hâte à la Cour, craignant que son jeune ami, pris pour Zafari, ne soit fait prisonnier. C’est en effet ce qu’envisage Salluste, quand Ruy Blas se présente à lui, et qu’il le prend lui aussi pour son cousin Don César, grand d’Espagne devenu bandit sous le surnom de Zafari. Comprenant sa méprise, il envisage le parti qu’il pourrait tirer de la ressemblance pour se venger de la reine qui l’exile. Ayant appris du duc d’Albe que Zafari attendra Ruy Blas à l’église, il se garde bien de transmettre le message, et s’y rend lui-même. C’est là qu’il propose en vain à son cousin le fameux pacte, et qu’il le fait arrêter publiquement, après une tentative de fuite rocambolesque. Après l’avoir envoyé aux galères, il charge Ruy Blas de son identité, et introduit son protégé à la Cour. C’est à cet endroit que le film rejoint la pièce.

Cette exposition est ingénieuse. Elle permet d’exploiter la ressemblance entre les deux jeunes gens, dont parle le texte, sans en faire cependant un ressort aussi puissant. Elle permet aussi de donner corps aux personnages secondaires, de la bande de gueux commandée par Zafari, dont le truculent Goulatromba[8], jusqu’au duc d’Albe et à Santa Cruz : ces deux personnages qui participent, dans la pièce, du même groupe indifférencié de grands seigneurs, sont chez Cocteau individualisés dès le début dans leurs fonctions opposées : Albe, qui s’amuse d’avoir dû céder son pourpoint à Zafari, protègera son jeune ami César de ses conseils épicuriens, tandis que Santa Cruz devient l’informateur de Salluste exilé ; enfin, ce début rocambolesque compense la réduction drastique du rôle de César dans l’acte IV[9].

Mais cette exposition, si elle apporte un surplus de romanesque, affaiblit le personnage de Ruy Blas : en effet, en supprimant la rencontre entre les deux anciens amis à l’acte I, elle exclut la confidence amoureuse surprise par Salluste. En revanche, Ruy Blas avoue de lui-même son amour pour la Reine à son maître, geste non seulement imprudent, mais aussi, pour le coup, nettement plus invraisemblable que les solutions envisagées par Cocteau pour combattre la prétendue invraisemblance de l’exposition de Hugo. Ruy Blas confiant inconsidérément son secret à Salluste fait figure de pantin aveuglé par l’amour et soumis à son mentor, et non pas de jeune homme ambitieux et idéaliste. Dans le film, c’est Salluste qui lui commande d’aller chercher des fleurs bleues à Caramanchel pour plaire à la reine, comme si Ruy Blas n’avait aucune initiative, tandis que chez Hugo, il a déjà ému lui-même le cœur de la reine avec ses bouquets anonymes. Cocteau invente aussi que Ruy Blas, fils d’un garde-chasse, est né à Neubourg, a joué avec la reine dans leur enfance, et l’a suivie en Espagne. Là encore, Cocteau augmente l’invraisemblance sous prétexte de la réduire : à aucun moment la reine ne reconnaîtra son camarade de jeux, et la question des ressources de Ruy Blas, fils de garde-chasse allemand devenu étudiant espagnol, n’est pas posée, tandis que, dans la pièce de Hugo, Ruy Blas s’est depuis longtemps fait le laquais de Salluste pour subvenir à ses besoins. Ruy Blas n’est plus chez Cocteau qu’un amoureux transi, une caricature de jeune premier romantique, tel qu’on les envisageait au milieu du XXe siècle, c’est-à-dire en proie à des doutes existentiels, mais détachés de toute réalité économique et sociale. De manière générale, avec la réduction drastique du « Bon appétit messieurs !» et des protestations de Ruy Blas au retour de Salluste, c’est toute la dimension politique de la pièce qui est minimisée, ce que Cocteau lui-même reconnaissait volontiers.

 

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L’étude des brouillons fait aussi apparaître l’attention que Cocteau accorde au dialogue de Hugo, au rôle des objets dans sa dramaturgie et à la vigueur corrosive du grotesque.

La déversification peut passer pour un manque de respect à la lettre du texte. Mais en tient-on rigueur aux auteurs du Moyen Âge qui la pratiquaient couramment, en « dérimant » de nombreux romans en vers au début du XIIIe siècle ? Et Hugo n’a-t-il pas lui-même renoncé au vers pour être accepté sur la scène populaire de la Porte-Saint-Martin ? Cocteau réduit considérablement les répliques de Hugo, mais il garde aussi de très nombreuses formules, des phrases entières, ce qui donne aux « paroles » des personnages un style à la fois modernisé et reconnaissable. Le ton est parfois trivial, comme lorsque Casilda dit à la reine : « Mon Dieu, Madame, ne vous mettez pas dans un état pareil… »[10], mais on retrouve aussi des formules attendues, plus ou moins transformées,  comme dans le « Bon appétit messieurs » passablement écourté : « ayez quelque pudeur ! », « le peuple, Messieurs, pour vos seuls plaisirs, a sué en vingt ans, quatre cent trente millions d’or »[11], ou (parlant de l’Aigle Impérial) « il est là, sur cette table déplumé, dans votre marmite ! ». Il s’agit, explique Cocteau, de dessécher[12] le texte sans pour autant perdre ses élans lyriques :

 

« Le problème de la déversification était le plus grave. Mais Hugo, malgré sa grande vague, ne renonce pas aux détails. Ils prennent presque toute la place dans notre dialogue et donnent le rythme. D’un bout à l’autre, la vague roule et fait son bruit.  Qui ne le connaît ? L’essentiel était que les oreilles le retrouvassent. »[13]

 

Ces détails, ce sont aussi les objets à la fois dramatiques et symboliques auxquels Cocteau reste très attentif. Il garde ainsi les deux papiers compromettants signés par Ruy Blas, le bouquet, la dentelle, la boîte envoyée à Neubourg, le flacon de poison. Mais il en ajoute de son propre cru, comme le pourpoint du duc d’Albe, dont le texte de Hugo dit qu’il lui a été volé par Matalobos, et que Cocteau transforme en plaisante monnaie d’échange lors de la scène de l’enlèvement du duc.

Le collage cinématographique permet de multiplier ces effets de « détails » emblématiques, réunis, au service du sublime cette fois, dans le dernier plan du drame :

 

Pendant la voix du Sereno, l’appareil suit au sol les traces du drame : le cadavre de Salluste. Le sang. L’épée. La Toison d’Or. La mantille. La main de Ruy Blas mort. C’est sur sa figure que le Sereno dit « Soyez heureux »[14].

 

Cocteau est aussi sensible au grotesque hugolien, qu’il rétablit dans plusieurs scènes pour compenser l’affaiblissement de l’acte IV. La scène du repaire des brigands est particulièrement pittoresque, avec la salle commune de la ferme où « une trentaine d’hommes boivent et mangent. D’autres dorment sur la paille »[15], et où l’on écorche un lapin. Idem pour la scène de rue sur la place de l’église Santa Mayor, travaillée au brouillon et maintenue dans le scénario, et où l’on repère aisément une intertextualité avec la Cour des miracles de Notre-Dame de Paris :

 

La place nocturne grouille de monde, d’attractions foraines, de feux. Tréteaux. Danseurs. Acrobates. Zafari à cheval traverse la foule. Il accroche son cheval, saute à terre. Une vieille lui fait signe et soulève la mantille de la jeune femme qu’elle accompagne […][16]

 

L’épisode ajouté de la fuite de la reine hors du palais pour rejoindre Ruy Blas est de ce point de vue très réussi. Au sublime dramatique (elle se jette dans la gueule du loup) Cocteau mêle des éléments grotesques : après son coucher officiel, la reine se rhabille pour sortir, puis se recouche précipitamment à l’arrivée de la camerera mayor, et ressort à pas de velours devant un garde assoupi ; Casilda déjoue habilement la vigilance du garde de la poterne en répondant par une plaisanterie au deuxième degré qui amuse fort, pour des raisons différentes, le planton dupe et le spectateur complice : « — Qui va là ? — La reine d’Espagne. » Il s’agit d’un de ces nombreux « gags » dont Cocteau parsème son film, et qui sont la marque de fabrique des brouillons : pour la scène de l’église où César échappe aux alguazils en se balançant à la corde du lustre pour sauter dans la rue par la rosace, Cocteau note dans son brouillon « Gag de la corde ». A plusieurs reprises, dans ses recherches préalables, il  précise « Il faut trouver un gag », « gag à trouver », « Gag. »[entouré d'un rectangle]. L’invention romanesque vient ainsi au secours du grotesque.

 

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Dans quel sens cette réécriture oriente-t-elle l’interprétation ? Le drame historique est d’abord prétexte à « faire un “western”, un film de cape et d’épée »[17]. Les cavalcades en extérieur et les cascades dans l’église et à travers le torrent donnent à Jean Marais, dans chacun de ses deux rôles, l’occasion de déployer ses talents athlétiques, inaugurant cet emploi de jeune premier aventureux où il s’illustrera avec ses grands succès du Comte de Monte Cristo, du Bossu, du Capitan, etc.

L’intrigue hugolienne est aussi prétexte à approfondir le thème de la gémellité et de la ressemblance, central dans le drame inachevé des Jumeaux (1840), et que Cocteau a déjà traité dans La Machine à écrire (1941), où Jean Marais interprétait le double rôle de Maxime et de Pascal, et dans La Belle et la bête, où il interprétait le triple rôle Avenant – la Bête – le Prince. On retrouvera ce thème dans L’Aigle à deux têtes, où l’attirance de la Reine pour Stanislas est en partie conditionnée par sa ressemblance troublante avec le défunt roi. Que ces quatre binômes aient été interprétés par Jean Marais peut aussi donner à penser sur la complexité du rapport fantasmé et comme obsessionnel de Cocteau à son compagnon à la fois « omniprésent et insaisissable »[18] . Cocteau y insiste, « tout repose sur les quiproquos qui naissent de la ressemblance entre Ruy Blas et Don César »[19]. Quiproquo à la fois comique et tragique, que Cocteau creuse dans les deux directions : les méprises grotesques du début, dont sont victimes successivement Goulatromba, Albe et Salluste, mais aussi la défiance qui finit par s’installer entre Zafari et Ruy Blas, quand le premier découvre que son ami a usurpé son identité : la scène du carrosse, où les deux jeunes gens n’ont pas le temps de s’expliquer et manquent leurs retrouvailles, dit la tragique solitude des âmes, tandis que chez Hugo, les deux amis n’ont pas l’occasion de se recroiser, ni même de comprendre le tour fatal qu’on leur a joué.

Ce centrage sur la question de l’identité, on l’a vu, privilégie l’interprétation existentielle du personnage de Ruy Blas, au détriment de la question politique. Cet effacement est aussi présent dans les rapports entre Ruy Blas et la reine. Les deux personnages, isolés du monde, et éperdus, ont plus d’un point commun avec le couple que forme la reine de L’Aigle à deux têtes avec Stanislas. Cette similitude entre les deux œuvres a déjà été remarquée : dans les deux cas, un homme du peuple, manipulé par un puissant traître, entre par effraction dans l’espace du pouvoir, séduit la reine et en meurt ; dans les deux cas il remplace auprès de la reine le roi absent (mort, ou défaillant), et nourrit des ambitions politiques pour son pays. Les blessures sont analogues, et le jeune homme s’empoisonne en entendant la reine le renier. Nul doute que la pièce de Hugo a servi de matrice ou de chambre d’échos pour L’Aigle à deux têtes (écrit en 1943 et joué en 1946), et que l’évacuation du politique dans Ruy Blas s’explique par le nihilisme qui sous-tend la pièce de Cocteau. En cet immédiat après-guerre, Cocteau privilégie la représentation de l’individu broyé par l’appareil d’Etat.

Dans le même état d’esprit, il développe un autre motif, idéologiquement fort, absent du drame de Hugo, mais bien présent dans le reste de son œuvre, et violemment satirique dans La Reine d’Espagne de Latouche (1831), l’une des sources de Hugo, à laquelle Cocteau renvoie avec insistance dans la présentation de son propre scénario[20] : la collusion de l’Église et de l’État, de sombre mémoire après le régime de Vichy. Pour ce faire, il donne corps au personnage de l’archevêque, qui prête son concours au complot des grands seigneurs contre le jeune ministre réformateur. La procession nocturne des pénitents blancs encagoulés et portant des torches, qui terrifie la reine et Casilda, sert aussi le propos anticlérical du film, et n’est pas sans rappeler Torquemada. C’est une société en profonde décadence que montre Cocteau, en peignant la Cour des Miracles sur la place de l’église, en faisant dire au duc d’Albe « drôle d’époque où les bandits ont l’air de Grands d’Espagne »[21], en construisant des décors effrayants, inspirés du Gréco et de Goya, « en bois ajouré, entrecroisé, en poutres d’échafaud et de catafalque »[22] qui font ressortir à la fois la grandeur passée et le délabrement actuel du pays. Les indications pour le metteur en scène donnent le sens de ce décor :

 

« L’Espagne se désagrège. Tout croule. L’herbe pousse entre les pavés. Les alguazils ressemblent à des hommes de bandes. Le laissez-aller du palais est incroyable. Seul tient debout le cérémonial autour de la Reine. Le Palais de Madrid offre l’aspect d’un grand Hôtel vide après une occupation. De temps à autre, on y remarque un meuble magnifique. »[23]

 

« Un grand hôtel vide après une occupation ». L’allusion à la Seconde Guerre Mondiale est à peine cryptée. Cette actualité brûlante de l’oeuvre n’est sans doute pas étrangère au succès public du film à sa sortie. Elle témoigne aussi de la force prodigieuse du chef-d’œuvre de Hugo, qui se prête, conformément à une loi bien connue de l’esthétique de la réception, à divers questionnements posthumes. Aragon témoignait en 1952 dans un discours au Comité National des Écrivains, de cette redécouverte de l’œuvre de Hugo :

 

« Nous sommes ici ceux-là mêmes qui, au début des années quarante de ce siècle, le rencontrèrent debout et chantant. C'est dans les malheurs de la patrie, que l'on sent proche, présente, l'haleine immense du poète, et qu'on sait vraiment que ce brasier ne s'est point éteint. Ceux qui, sous la terreur hitlérienne, cherchaient au fond de notre passé la justification d'un courage qui sembla désespéré, trouvèrent, sous les cendres oublieuses, les brûlantes escarboucles d'une poésie qui leur réchauffa le cœur »[24].

 

Les exemples que donne Aragon sont tirés des Châtiments ; on ne s’en étonnera pas. Et on remarquera qu’à sa manière, le Ruy Blas de Cocteau et Billon, tout en étant conçu comme un film de cape et d’épée, peut, à la même époque, évoquer les mêmes ombres.


[1] Ce travail a été largement facilité par le concours savant du premier et l’accueil généreux et avisé de la seconde, chargée du fonds Cocteau à la BHVP. Mes remerciements s’adressent aussi à Danielle Girard et Aiko Tsuda.

[2] C. Rolot et F. Ramirez, Jean Cocteau. L’œil architecte, ACR Edition, 2000, p. 184. Cette catégorie est l’une des cinq repérées par les auteurs, avec le « cinéma de poésie » (Le Sang d’un poète, Orphée et Le Testament d’Orphée), le « féerique sans fées » (La Belle et la bête, L’Eternel Retour et Le Baron fantôme), l’ « essai d’amateur » et les « besognes » accomplies pour d’autres.

[3] Sur les adaptations cinématographiques de l’œuvre de Hugo, je renvoie aux travaux d’Arnaud Laster, sans pouvoir les citer tous. Pour un panorama général, voir son chapitre « Victor Hugo et le cinéma » dans  Pleins feux sur Victor Hugo, Comédie-Française, 1981 ; et sa contribution à La Gloire de Victor Hugo, sous la dir. de Pierre Georgel, Editions de la Réunion des Musées Nationaux, 1985. Signalons la thèse en cours de Mireille Gamel, sous la dir. de Guy Rosa, à Paris 7. Sur le Ruy Blas de Cocteau, voir la contribution d’Elisabeth Janer dans les actes du séminaire de l’équipe LIRE (Lyon II) sur Hugo et ses adaptations cinématographiques, sous la dir. de Delphine Gleizes, à paraître.

[4] Après avoir terminé le scénario, en août 1946, il écrit à Jean Marais : « Je ne crois pas que ma santé me permette d’entreprendre un travail de mise en scène aussi énorme. » (Lettres à Jean Marais, Albin Michel, 1987, p. 227).

[5] Lettre à Jean Marais datée d’août 1946, Ibid., pp.227-228.

[6] Texte de la lettre recommandée, conservée à la BHVP :

« A Monsieur le Président-Directeur Général des Editions Georges Legrand, de Me Julien Trumeau, Avocat-Docteur en Droit, Mandataire des Héritiers de V. Hugo,

Monsieur le Président,

Je suis avisé que Monsieur Jean Cocteau a (sic) l’occasion d’une émission sur la Chaîne Nationale du 22 février 1947 à 19h30 se serait exprimé de la façon suivante :

« je veux donner une crédibilité à l’abracadabrance de “Ruy Blas”

« quand vous regardez de près Ruy Blas, vous voyez que « rien ne tient debout .»

Le contrat que nous avons passé à la date du 2 septembre 1946 précise votre engagement de respecter l’esprit de l’œuvre originale de Victor Hugo.

Dans ces conditions et pour éviter tout nouveau malentendu, je vous prie de bien vouloir me communiquer dès que possible le scénario du film.

A vous lire, veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments distingués. »

[7] Jean Cocteau, Ruy Blas, Paul Morihien, 1947, pp.79-80.

[8] Réduit à une rime dans le texte de Hugo, ce gueux que l’on retrouve dans les Fragments dramatiques devient ici un personnage à part entière.

[9] Puisque Cocteau a supprimé les scènes  de la chute fortuite de César par la cheminée, du laquais ivre et de la duègne entremetteuse, rendues inutiles par le retardement du retour de Salluste : Ruy Blas n’ayant pas le temps de se prémunir contre le piège tendu par Salluste, l’acte IV n’a pratiquement plus lieu d’être.

[10] Scénario, éd. citée, p. 55.

[11] Ibid., p.86. Le texte du scénario dit « quatre cent huit », mais dans le film, Ruy Blas dit bien, comme dans le texte de Hugo, « quatre cent trente »

[12] Jean Vilar, lui, emploiera le terme de « maigrir » le texte pour désigner l’espèce de dégraissage qu’il fait subir au dialogue dans sa mise en scène de Marie Tudor.

[13] Scénario, p.11.

[14] Ibid., p.124.

[15] Ibid., p. 23.

[16] Ibid., p. 41.

[17] Jean Cocteau, entretien avec André Fraigneau (1951), dans Entretiens sur le cinématographe, Belfond, 1973, pp. 53-54.

[18] Christian Rolot et Francis Ramirez, ouvrage cité, p. 242.

[19] Jean Cocteau, La Revue du Cinéma, n° 7, été 1947. Cité dans Du cinématographe, Belfond, 1988, p. 247.

[20] On retrouve ici une caractéristique de l’adaptation mise au jour par Delphine Gleizes dans sa thèse : l’adaptateur peut repasser, consciemment ou non, par des phases de la genèse de l’œuvre première. Sur cette source de Ruy Blas, voir l’édition critique de Anne Ubersfeld, Les Belles Lettres, 1971, t. I, pp. 21-22.

[21] Scénario, p.39. La réciproque de cette antithèse est particulièrement développée dans Châtiments.

[22] Ibid., p.12.

[23] Ibid., p.10.

[24]Discours reproduit dans le n° spécial de la revue Europe « Hugo vivant », février-mars 1952, pp. 240-245.