Françoise Chenet : Du champ de lAlouette au champ de lEtoile : toponymie et métaphore
Communication au Groupe Hugo du 12
fevrier 2005
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Pour Jacques Seebacher et Jean-Marc Hovasse
qui, avant
moi, ont piétiné [
] dans les toponymes
et mesuré lexactitude perverse de la géographie
hugolienne [1].
Car rien nest vrai que le concret. Cest en poussant le particulier jusquau bout quon atteint au général, et par le maximum de subjectivité quon touche à lobjectivité[2].
Personne nest plus intimement lié aux quartier des Feuillantines que Hugo. Au point quon en oublie que dautres avant et après lui ont logé dans le couvent et ses dépendances[3]. Doù ce phénomène étrange de possession dont témoigne Patrick Modiano :
Aujourdhui, 26 mai 2001, au début de laprès-midi [ ]. Je marchais rue du Val-de-Grâce et rue Pierre Nicole. Quartier calme des Feuillantines. On dirait que lair y est léger et garde lécho des années révolues.
Le jardin était grand, profond , mystérieux [4]
Javais perdu tous les minuscules points de repères de ma vie. Des lambeaux de souvenirs me traversaient qui nétaient plus les miens, mais ceux dinconnus et je ne pouvais pas leur donner une forme précise. Il me semblait que javais habité par ici dans une vie antérieure. Jy avais laissé quelquun. [5]
Cest lécho des années révolues que jaimerais faire entendre : celui de la cloche de léglise de Saint-Jacques-du-Haut-Pas qui aura sonné le branle de cette recherche, celui des croassements des corbeaux qui, venant du jardin du Luxembourg tout proche, continuent de se percher sur la croix du dôme du Val-de-Grâce. Non par nostalgie fétichiste mais parce que je suis persuadée, comme P. Modiano, quil reste dans lair du quartier léger seulement les jours enluminés quelque chose de latmosphère que non seulement Hugo a pu respirer, mais avant lui ceux qui lont seulement traversé. Je rappellerai que pour Hugo et ses contemporains tout se joue, la civilisation[6] entre autres, dans latmosphère[7] que nous respirons et qui nous unit. Le souvenir, le rêve en arrière , ne se maintient et transmet que par lair :
Ce rêve en arrière, auquel sopiniâtre la mémoire, est flottant comme le nuage, mais plus tenace. Lespace nen fait pas ce quil veut. Le vent en marche jour et nuit, les quatre ouragans qui alternent à jamais, les bises, les bourrasques, les rafales, nemportent pas la silhouette des deux tours jumelles, et ne dispersent pas larc de triomphe, le gothique beffroi aux tocsins, et la haute colonnade roulée autour du dôme souverain ; et derrière les derniers lointains de labîme, au-dessus du bouleversement des écumes et des navires, au milieu des rayons, des nuées et des souffles, sébauche au fond des brumes limmense fantôme de la cité immobile. [ ] Paris est respirable [ ].Lévocation se fait delle-même, les toits semblent surgir parmi les flots, la ville se recompose dans toute cette onde, et ce tremblement infini sy ajoute. Dans la cohue des houles on croit entendre bruire la fourmilière des rues. Charme farouche. On regarde la mer et on voit Paris [ ]. Il se mêle, indistinct, aux diffusions muettes de la méditation. Lapaisement sublime du ciel constellé ne suffit pas à dissoudre au fond dun esprit cette grande figure de la cité suprême. [ ] tout cela est présent à labsent ; et Paris reste inoubliable, et Paris demeure ineffaçable et insubmersible, même pour lhomme abîmé dans lombre qui passe ses nuits en contemplation devant la sérénité éternelle, et qui a dans lâme la stupeur profonde des étoiles[8].
Paris est respirable , dit-il. A quelles conditions, un lieu est-il ou non respirable ? Lexil, le point de vue de lexil, le point de vue que lexil intérieur donne sur le monde et sur lhistoire permet de poser cette question quon ne se pose pas tant quon respire, tant quon na pas été chassé, balayé dehors . Linfluence pour Hugo étant toute matérielle, il ny a de diffusion que par le souffle et lair qui, du reste, permet à lodorat de jouer son rôle d aide-mémoire[9] . De là cette conjonction harmonieuse entre les vents de locéan auxquels lexil le condamne et une ville-océan rendue encore plus fluide par le souvenir dont résulte lévocation des toits de Paris surgissant parmi les flots.
Laide-mémoire de la toponymie
Littéralement inspirée parce que respirée, la description semble y perdre en exactitude, comme il va sen excuser au début du livre A chasse noire meute muette . Mais elle y gagne en vérité et en authenticité dêtre motivée personnellement par le rêve en arrière avec ses marges de flou et dincertitude sur la réalité présente, réalité flottante comme lair :
Par suite des démolitions et des reconstructions, le Paris de sa jeunesse, ce Paris quil a religieusement emporté dans sa mémoire, est à cette heure un Paris dautrefois. Quon lui permette de parler de ce Paris-là comme sil existait encore [ ]. Cest une douceur pour lui de rêver quil reste derrière lui quelque chose de ce quil voyait quand il était dans son pays, et que tout ne sest pas évanoui. Tant quon va et vient dans le pays natal, on simagine que ces rues vous sont indifférentes, que ces fenêtres, ces toits et ces portes ne vous sont de rien, que ces murs vous sont étrangers, que ces arbres sont les premiers arbres venus, que ces maisons où lon nentre pas vous sont inutiles, que ces pavés où lon marche sont des pierres. [ ] Tous ces lieux quon ne voit plus, quon ne reverra jamais peut-être, et dont on a gardé limage, prennent un charme douloureux, vous reviennent avec la mélancolie dune apparition, vous font la terre sainte visible, et sont pour ainsi dire, la forme même de la France ; et on les aime et on les évoque tels quils sont, tels quils étaient, et lon sy obstine, et lon ny veut rien changer, car on tient à la figure de la patrie comme au visage de sa mère [II, V, 1][10].
En fait, la distance temporelle ainsi inscrite permet de brouiller le véritable référent du couvent du Petit-Picpus, dépaysé , cest-à-dire transporté de la rue Neuve-Sainte-Geneviève au quartier Saint-Antoine[11]. Métaphore au sens premier du terme, le quartier est réel : cest le transport qui est imaginé bien plus quimaginaire. Le toponyme nest pas non plus vraiment inventé. Petit-Picpus est donné comme une déviation de Picpus formé dun Y de rues dont la petite rue Picpus serait lune des branches[12]. Il renvoie à une réalité qui le rend non seulement plausible[13] mais symbolique. Rien que le choix du nom quon fait dériver de Pique-Puce[14] devrait précisément nous mettre la puce à loreille. Il y avait, en effet, rue Picpus de nombreux couvents comme dans le quartier des Feuillantines. Le nom de picpus, devenu commun, désignait la congrégation des frères de Picpus[15]. Plus intéressant : au fond des jardins du couvent des Dames des Sacrés-Curs (n° 35), se trouve le cimetière où furent enfouies dans deux grandes fosses communes les 1306 personnes décapitées place du Trône-Renversé (pl. de la Nation) entre les 13 juin et 28 juillet 1794. Lancien couvent des chanoinesses régulières de Saint-Augustin, fut racheté par souscription en 1803 pour y installer la congrégation des Dames des Sacrés-Curs et un oratoire. Les descendants des victimes de 1794 (tout larmorial de France et André Chénier entre autres) pouvaient être enterrés dans un terrain adjacent à cet enclos. Ainsi Lafayette en 1834. Hugo ne pouvait lignorer. Le jardin dune forme oblongue , cette espèce de sépulcre au cur de Paris (p. 366) pourraient y trouver une signification. Autre particularité du quartier : cest du couvent des Pénitents réformés du Tiers-Ordre de Saint-François, dits les religieux de Picpus, que les ambassadeurs des puissances catholiques faisaient leur entrée dans Paris[16]. Ainsi sancre dans lhistoire dun quartier qui avait presque laspect monacal dune ville espagnole la correspondance intime avec le Besançon du premier poème des Feuilles dautomne et avec le quartier des Feuillantines.
Plus que les plans qui ne gardent pas la trace (le plan actuel) ou quon ne retrouve pas (celui de 1727), cest la toponymie qui donne la mesure de lexactitude scrupuleuse de Hugo et de ses enjeux :
[ ] noms de lieux, révélation historique /On peut retrouver dun bout du monde à lautre la trace des migrations des peuples et leurs stations diverses çà et là, en suivant comme une piste les traînées dhomonymies géographiques quils ont laissées derrière eux [17].
Le toponyme na pas quune simple valeur référentielle mais porte en lui un imaginaire, une histoire inscrite dans son épaisseur sémantique et permet une lecture archéologique. Dans Paris, voulant évoquer non le Paris des grandeurs royales qui ont laissé leurs marques, mais le Paris obscur et souvent tragique enfoui sous les pavés, cest à la toponymie et aux histoires anecdotiques quil fait appel :
Sous le Paris actuel, lancien Paris est distinct, comme le vieux texte dans les interlignes du nouveau.[18]
Texte-palimpseste, la ville conserve toutes ses strates. Comme le mythe, elle est la somme de ses variantes et de ses lectures. Non seulement le passé ne sefface jamais, mais fondation, et donc fondement, il est le gage de lavenir.
Dans le regret nostalgique de lancienne toponymie qui nourrit les recherches onomastiques, étymologiques ou autres et fonde les sociétés dantiquaires au XIXe siècle auxquelles Hugo est étroitement lié puisquil y puise une partie de son information, on peut certes voir une réaction contre lentreprise révolutionnaire de faire table rase du passé et de débarrasser le lieu aussi bien que lhomme de son inconscient culturel. Destruction de tous les liens (la quasi-homographie avec lieu fait sens ici) qui unissent lhomme à son environnement tant naturel que social, cette dénégation du lieu, avec son cortège de dé-, privatifs de toute espèce de qualités, entraîne-t-elle pour autant le désenchantement, la dépoétisation du monde comme lont cru les Romantiques et comme on continue à le professer ? La réponse de Hugo nest pas univoque et dépend moins de la nature du lieu et de son étendue que du regard quon veut porter sur lui, ainsi quon va le voir avec le cas exemplaire du champ de lAlouette . Dans un double mouvement, il sagit de montrer le processus de lenchantement mais aussi de le chanter autrement. Passer, en somme, du champ de lAlouette à son chant, cest-à-dire dun lieu réel, dont le toponyme est la figure et le masque, au véritable lieu de la poésie.
Approfondir le Champ de lAlouette
Cest, en effet, lune des tâches que se donne Hugo revisitant en février-mars 1862 Les Misérables avant de les livrer à son éditeur : approfondir le Champ de lAlouette il attire Marius ; ne pas nommer Cosette[19] . Comme on va le voir, lenchantement du lieu repose précisément sur lignorance où se trouve Marius de la véritable identité de Cosette dont il a perdu la trace. Il ne connaît delle que le sobriquet, lAlouette, révélé par Thénardier/Jondrette dans la masure Gorbeau au moment du guet-apens. Désespéré, il erre dans ces solitudes contiguës à nos faubourgs jusquà ce quil découvre, entre la Glacière et les Gobelins, une espèce de champ que Hugo compare à une vue de Ruysdael : Comme le lieu vaut la peine dêtre vu, personne ny vient . Si Marius est vaguement frappé du charme presque sauvage du lieu , il est bouleversé quand il apprend son nom :
Mais après ce mot : lAlouette, Marius navait plus entendu. Il y a de ces congélations subites dans létat rêveur quun mot suffit à produire. Toute la pensée se condense brusquement autour dune idée, et nest plus capable daucune autre perception. LAlouette, cétait lappellation qui, dans les profondeurs de la mélancolie de Marius, avait remplacé Ursule. Tiens, dit-il, dans lespèce de stupeur irraisonnée propre à ces apartés mystérieux, ceci est son champ. Je saurai ici où elle demeure.
Cela était absurde mais irrésistible. [IV, II, 1, p. 684]
Pour cette poétique raison, il y vient tous les jours : Sa véritable adresse était celle-ci : Boulevard de la Santé, au septième arbre après la rue Croulebarbe [20].
Cest le toponyme qui fait vibrer et réagir Marius et non le lieu. Encore que son charme agisse sur lui insidieusement. Lexpression utilisée par Hugo, congélations subites , fait écho aux paroles gelées de Rabelais[21]. On sait quelles sont la mémoire des paroles ou des bruits dune ancienne bataille, livrée lhyver dernier sur le confin de la mer glaciale . Concrétisées par la glace, elles peuvent être vues , comme lauraient été les voix entendues par Moïse sur le Sinaï et, contrairement au dicton, elles ont des couleurs, celles du blason. Dans ce champ de lAlouette (sans les traits dunion ni la majuscule à champ qui figeraient le syntagme dans la lexie unique du toponyme), cest le mot dans sa matérialité sonore ou graphique qui, non seulement donne lidentité du lieu, mais permet de le voir et le constitue en paysage digne dêtre regardé et, au-delà, de le pré-dire suivant un principe danalogie cratylienne. Le nom est la figure de la chose[22]. De là ce pouvoir de condensation ( Toute la pensée se condense brusquement autour dune idée ) qui, lisolant de son contexte, le transporte dans un autre espace réel ou mental et en fait une métaphore au plein sens du terme[23]. Et de fait, Marius est littéralement transporté et trouve sa véritable adresse dont le sens originel est aussi la bonne voie , le droit chemin , celui qui trace son destin. Nomen omen. En bref, il a trouvé son lieu. Mais par un détour qui en fait paradoxalement un alibi et inscrit la présence de lautre et de lailleurs dans le hic et nunc de toute situation singulière.
Au passage, on aura noté que, pour être presque exacte topographiquement[24] et donc référentielle, ladresse convoque aussi un imaginaire personnel, une symbolique et une mythologie jouant du chiffre 7, de cette santé sentimentale retrouvée et de la patriarcale mais vacillante (le sens de crouler) figure de lancêtre éponyme, Croulebarbe. Son champ avait été jadis celui dun affrontement avec des étudiants avinés dont les amis de Marius, ces membres de lABC qui se réunissent au cabaret de Corinthe[25], sont les descendants. Et lon sait depuis Les Burgraves quelle fascination exerce sur Hugo les barbes fleuries et autres jusquà ce quil se décide lui-même à devenir le vieux barbu de nos images dEpinal. Au temps de la fiction (on est en 1832), il existait encore un moulin sur la Bièvre à cet endroit. Doù la référence à Ruysdaël. Le tout dans la proximité des Feuillantines : à lhorizon le Panthéon, larbre des Sourds-Muets, le Val-de-Grâce, noir, trapu, fantasque, amusant, magnifique . Enfin, lalouette est allégorique : elle incarne la vieille âme de la Gaule dont Gavroche sera lémanation. Pour Marius, elle fait chanter le champ. Hugo, en faisant travailler lhomophonie entre champ et chant qui tient à la fois du calembour et de la métaphore, met en évidence le fonctionnement poétique de tout toponyme[26]. Et donne par là même le modus operandi du réenchantement du monde par le croisement de luniversel et du singulier dans le dit dun lieu anodin. Leçon comprise par Sartre qui illustrera par Florence, ville et fleur et femme , la nature du langage poétique.
Une adresse infernale
Si le travail de la métaphore décontextualise le toponyme et enferme Marius dans son rêve, lauteur, au contraire, nous invite à reprendre pied dans son environnement topographique et textuel : lhorizon du champ de lAlouette, cest le quartier des Feuillantines et, bien quelle ne soit pas nommée ici, léglise de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, tache aveugle de lépisode. Pour approfondir le Champ de lAlouette à la suite de Hugo, cest à la révélation du sobriquet de Cosette, cest-à-dire au guet-apens[27] quil faut donc revenir et sarrêter.
Rappelons : Jondrette/Thénardier a fait porter par Eponine à ladresse du monsieur bienfaisant de léglise Saint-Jacques-du-Haut-Pas une demande daide signée Fabantou, artiste dramatique. Il reconnaît dans le paroissien venu avec sa fille lui apporter un paquet de hardes neuves, le donneur de poupées et voleur denfants qui, jadis lui a ravi lenfant de la Fantine, lAlouette et décide de lui tendre un guet-apens . Doù la scène du chapitre qui porte ce titre et où il dévoile sa véritable identité : Thénardier. Marius qui assiste à la scène par le judas de la providence y découvre en même temps le sauveur de son père et le sobriquet, lAlouette, donné jadis à Montfermeil par les gens du pays à celle en qui il a reconnu son Ursule. Dans ce chapitre, Thénardier prononcera six fois son nom en alternance avec la petite sans jamais lui donner son véritable nom, Cosette[28], par
précaution dhabile homme gardant son secret devant ses complices. Dire le nom, ceût été leur livrer toute laffaire et leur en apprendre plus quils navaient besoin den savoir (p. 636).
Cette explication psychologique et tactique est la traduction dans la diégèse de la véritable raison poétique énoncée par Hugo dans ses carnets : ne pas nommer Cosette pour préparer la congélation produite par le toponyme. Dautant que par pure malice poétique, Hugo dans ce même passage la fait convoquer sur le champ par la voix de Thénardier dictant à son prisonnier la lettre quil doit adresser à sa fille pour quelle se fasse enlever et rançonner.
Et cest là que laffaire se complique et devient intéressante si lon considère que la précaution de taire le nom que Thénardier croit habile est une nécessité vitale pour le monsieur bienfaisant à sa merci mais dont il ne connaît ni le nom ni ladresse. Il ne le connaît que comme paroissien de Saint-Jacques-du-Haut-Pas et Marius que par le sobriquet de M. Leblanc jeté par Courfeyrac et gardé par commodité par le narrateur, lequel provisoirement fait semblant de croire que le lecteur na pas compris quil sagissait de Jean Valjean[29]. Ou par les initiales U.F. dun mouchoir dabord attribuées à Cosette doù Ursule puis au prisonnier. Telles sont les données de ce qui ne serait quun mélo digne des péripessies frappantes dont se vante Genflot, homme de lettres, autre rôle de Thénardier/Jondrette, si lauteur, par une époustouflante galéjade ne sétait amusé, sous prétexte de gagner du temps entendre : retarder adroitement la révélation du nom pour les raisons poétiques déjà énoncées ne sétait amusé, disais-je, à nous promener avec la Thénardier en nous donnant une vraie adresse tout en laissant croire quelle était fausse.
Reprenons : M. Leblanc donne à Thénardier une fausse adresse et un faux nom, Urbain Fabre, seulement attesté par les initiales de son mouchoir, U. F. Ladresse pour être fausse nen a pas moins une exactitude topographique : la rue Saint-Dominique-dEnfer, n° 17, est lactuelle rue Royer-Collard, nom quelle porte depuis 1846. Elle est bien dans la proximité de léglise Saint-Jacques-du-Haut-Pas, ce qui la rend crédible aux yeux de Thénardier. Le lecteur un peu futé comprend que par cette jolie conjonction de lenfer et de saint Dominique, fondateur de lordre auquel sera confiée lInquisition, Thénardier est envoyé au diable et promis à la gehenne, ou, mieux encore, que ladresse correspond exactement à la situation du prisonnier soumis à linquisition de Thénardier : un grand inquisiteur eût pu envier ce sourire (p. 635). Retour à lenvoyeur.
Mais dans ladresse, on peut, à un autre niveau de lecture, lire le nom de la rue au moment où Hugo se met à écrire Les Misères, soit Royer-Collard . Ce qui aiguille vers le doctrinaire, son collègue à lAcadémie, mort le 4 septembre 1845, à Châteauvieux[30] (Loir-et-Cher). A cette date anniversaire de la mort de Léopoldine, Hugo va faire ses repérages à Chelles et à Montfermeil pour Les Misères. On commence à se dire quil y a sans doute des rapports plus ténus et intimes entre ladresse et lauteur. Et que sans doute sinscrit en creux la véritable destinataire de la lettre, Léopoldine sous lidentité de Mlle Fabre . On fouille un peu plus. Dans le texte dabord. On constate que Royer-Collard est mentionné au chapitre Lannée 1817[31] : 17 pourrait donc renvoyer au livre troisième, En lannée 1817 dont les dernières lignes annoncent lexistence de Cosette. La biographie, quant à elle, dit que c'est l'année où Hugo le croise pour la première fois comme juge à l'épreuve de philosophie au Concours entre les quatre collèges royaux de Paris[32]. On trouve dautres références dans luvre de Hugo dont la relation dans Choses vues, en date du 16 juin 1843, dune conversation avec Royer-Collard où il lui raconte comment Charles X a reçu ladresse des deux cent vingt et un quil venait lui présenter[33]. Le VHRA[34] décrit la visite à lacadémicien lors de la première campagne de candidature en 1836 et donne ladresse de Royer-Collard : rue dEnfer 20[35]. On regarde le plan et lon constate que la demeure devait être à peu près à langle de la rue dEnfer-Saint-Michel, au niveau des numéros 73-79 actuels du bd Saint-Michel, et de la rue Saint-Dominique-dEnfer. On sy transporte pour constater que le petit hôtel particulier, demeure probable de Royer-Collard, qui se trouve derrière la façade de limmeuble haussmannien du 79, sétendait jusquau cul-de-sac Saint-Dominique (actuelle impasse Royer-Collard) et pouvait avoir une entrée rue Saint-Dominique-dEnfer au 17 bien que limmeuble actuel (fin XIXe siècle) nait pas de porte cochère : on y pénètre par le 73, bd Saint-Michel, soit approximativement le 20 de lancienne rue dEnfer. Ladresse donnée par Urbain Fabre serait donc bien celle de Royer-Collard. Reste un doute : si le 17 de la rue Saint-Dominique-dEnfer est en correspondance avec le 20 de la rue dEnfer, il ne correspond pas à la description quen fait la Thénardier[36]. Ce qui ne prouve rien mais ninfirme pas non plus lhypothèse que le chiffre 17 et le nom de la rue naient été choisis pour leur figure et leur valeur symbolique.
Mais là ne sarrête pas lexactitude proprement infernale[37] de Hugo et sa diabolique adresse. Royer-Collard est un paroissien tout à fait vraisemblable de léglise Saint-Jacques-du-Haut-Pas dont on sait quelle fut liée à Port-Royal et un actif foyer du jansénisme. Or lattachement de Royer-Collard à Port-Royal était notoire. Sainte-Beuve en témoigne ainsi que le nom de sa mère, Angélique Collard, dune vieille famille janséniste dont il revendique lhéritage spirituel. On pourrait y ajouter sa gouvernante, janséniste passionnée, qui, avec lapprobation de Royer-Collard quelle avait élevé, soumit ses filles à une rude discipline. Sans rapport, pensera-t-on, avec léducation de Cosette ou de Léopoldine. Sauf sur un point qui unit Jean Valjean, Hugo et Royer-Collard : lamour paternel. Son biographe dit que la mort de sa fille cadette, qui avait refusé de se marier pour rester avec lui, précipita sa fin[38]. On concédera que ce nest pas sans rapport intime avec la situation de Jean Valjean détournant adroitement par cette fausse adresse les Thénardier de leur proie en les envoyant chez le porteur de l adresse qui sonna le glas de la Restauration, inaugurant malgré lui une ère de troubles révolutionnaires dans laquelle sinscrit la fiction.
Le mot adresse est le véritable opérateur de ces deux chapitres ( Le guet-apens et Le champ de l'Alouette ). Il y a là tout un jeu complexe entre vraie et fausse identité (Thénardier affirmant la sienne tandis que Jean Valjean la dérobe), sobriquet, refus de nommer et donc d'adresser avec pour corollaire l'évaporation de Cosette et de Jean Valjean jusqu'à ce qu'Eponine les retrouve et donne leur adresse à Marius qui, lui, a pris pour adresse le champ de l'Alouette. Pour corser l'affaire , Fabre et Fabantou sont des variétés dhomo faber[39] et renvoient à ces forgeries qui, pour Péguy, créent ce faux toponyme imaginaire : Jérimadeth. Et, de fait, Thénardier a transformé son taudis en forge pour le guet-apens. Mais on peut aussi - ce nest pas exclusif ‑ penser que Hugo a exploré, ou plutôt retourné de fond en comble, le champ (sémantique) de lalouette dont il fait ce miroir trompeur auxquels sappâtent nos désirs tout en réjouissant notre goût du jeu et des mystifications. Le contexte du guet-apens est celui du carnaval ; la date, le 3 février, est celle de la naissance de Gargantua, lequel jouant avec les proverbes, saultoyt du coq à lasne [ ], gardoyt la lune des loups, si les nues tomboient espéroyt prandre les alouettes [40]. Il sagissait bien, en somme, pour lauteur olympien de désespérer les loups de la bande de Patron-Minette pour garder lalouette.
Saint-Jacques-du-Haut-Pas
Bien quanonyme en un sens, ladresse à laquelle est remise par Eponine la supplique de Fabantou donne des indications intéressantes. A ce point précis de la fiction, Jean Valjean pour Thénardier nexiste quen tant que paroissien de léglise Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Cette localisation précise nest pas seulement un effet de réel, ni une simple inscription autobiographique qui condenserait les souvenirs de la première maison au 250, rue Saint-Jacques (à côté ou en face ?), puis au couvent des Feuillantines, façon de rappeler que Hugo aussi a été paroissien de cette même église. Dans Le Droit et la Loi, il racontera que cest en passant devant léglise quil a vu avec son frère et sa mère laffiche placardée annonçant lexécution de Lahorie[41]. Elle donne au héros sa cohérence et à luvre sa focale ou plus exactement son axe.
Dabord, précisons que le choix de Saint-Jacques-du-Haut-Pas nest peut-être pas très rigoureux au plan du découpage paroissial : Jean Valjean habitant rue de lOuest devait dépendre de Notre-Dame-des-Champs[42], mais il détermine rigoureusement son comportement et le décryptage quen fait Thénardier qui persifle sur le bienfaisant monsieur et sur le philanthrope (p. 628). Saint-Jacques-du-Haut-Pas nétait pas une paroisse comme les autres. Elle a dabord été une Commanderie des Frères-Hospitaliers, fondée par saint Louis et premier maillon dune chaîne dhôpitaux semblables placés sur litinéraire de Paris à Saint-Jacques de Compostelle. Ce nest quen 1572, quune église paroissiale accolée au couvent des Bénédictins de Saint-Magloire (qui deviendra séminaire des Oratoriens) est construite puis agrandie et dédiée le 9 avril 1633 à saint Jacques le Mineur et à saint Philippe. La pauvreté des paroissiens empêche la réalisation dune voûte dans le style gothique et les maîtres carriers et ouvriers offrent une journée de travail par semaine pour la construire. Je passe sur Saint-Cyran et le lien très fort avec Port-Royal (important pour Hugo cependant) et sur Cochin, curé philanthrope pour arriver à la Révolution : en 1797, sous linfluence des Théophilanthropes, adeptes du culte de la Raison, elle devient un Temple de la Bienfaisance en raison du nombre et de limportance des uvres charitables du quartier. Après le Concordat, en 1801, elle est rendue au culte mais elle reste la paroisse dun quartier déclassé, lun des plus pauvres du Paris du XIXe siècle[43], qualifié par le conseiller municipal Lanquetin de quartier ignoble en 1840. Explication : labsence de bonnes communications, à quoi remédieront Rambuteau et Haussmann dont les trouées vont le désenclaver et le dénaturer. Autre forme de dépaysement . En bref, à lépoque de la fiction, Saint-Jacques-du-Haut-Pas est la paroisse des misérables, de même que la Bourbe (lancien couvent de Port-Royal) toute proche est la maternité des filles perdues.
De cette petite monographie découlent quelques détails qui y trouvent leur raison. Par exemple, le nom de Magloire donné à la servante de Myriel. On venait, en 1835 de retrouver ses reliques sous lautel quon refaisait. Or, saint Magloire était évêque de Dol et, parti évangélisé lîle de Sercq, il y avait fondé une abbaye. Vu les liens de Hugo avec Dol et les îles anglo-normandes, Magloire fait coup triple. Pour Jean Valjean, son action dans la paroisse prolonge plus modestement luvre de M. Madeleine à Montreuil et linscrit dans la chaîne des Frères-Hospitaliers dont Saint-Jacques-du-Haut-Pas était le premier maillon. Inversion positive de la cadène. Mais plus profondément, elle en fait un pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle, dont il a, du reste, la besace et le bourdon mais pas les coquilles. Lesquelles se trouvent cependant et inexplicablement, sinon par la vertu dun calembour anglais (shell/Chelles) sur le chapeau du poète en goguette à Chelles :
Jai lair dun pèlerin ; les filles
Me parlent, gardant leur troupeau ;
Je ris, jai parfois des coquilles
Avec des fleurs, sur mon chapeau.[44]
Et, est-ce un hasard ? il se décrit,
Tâchant de prendre à lalouette
Une ou deux strophes de son chant .
Cosette, l alouette , en direction de Chelles y trouvera sa source et la main compatissante de Jean Valjean.
Le Champ de lEtoile
Le rapprochement dans ce poème entre lalouette et les coquilles du pèlerin invite à reconsidérer la puissance métaphorique du toponyme. Retour au champ de lAlouette et au quartier des Feuillantines traversé par la rue Saint-Jacques. La doyenne des rues de Paris doit son nom à Saint-Jacques de Compostelle qui en est laboutissement, au moins onomastique et symbolique. Létymologie, même controuvée, fait sens une fois de plus. Compostelle, ou Campus stellae, le champ de lEtoile . La légende veut que lermite Pélage ait reconnu le champ où étaient enterrées les reliques de lapôtre Jacques, décapité, grâce à une étoile qui laurait guidé. Il sagissait en fait dune nécropole cum-positum-ela : posé avec ou ensemble , mais quimporte ! cest aussi une définition du lien qui unit les corps comme les âmes. Quant au chemin qui y conduit, il est dit chemin détoiles , ou Voie lactée, à la suite dun songe de Charlemagne où saint Jacques lui aurait enjoint de libérer son tombeau des infidèles en suivant la Voie lactée.
Campus stellae, le champ de létoile , nest-ce pas ce que cherche obscurément Marius avant que ne se produise cette congélation subite quand il reconnaît, au sens platonicien, dans le champ de lAlouette quun passant vient de lui désigner, son champ , sa demeure et ne se remette à espérer ?
Marius descendait cette pente à pas lents, les yeux fixés sur celle quil ne voyait plus. Ce que nous venons décrire semble étrange et pourtant est vrai. Le souvenir dun être absent sallume dans les ténèbres du cur ; plus il a disparu, plus il rayonne ; lâme désespérée et obscure voit cette lumière à son horizon ; étoile de sa nuit intérieure. Elle, cétait toute la pensée de Marius. [IV, II, 1, p . 683]
Une fois de plus, Hugo revivifie un lieu commun du romantisme : la femme, étoile salvatrice et lon songe évidemment à Nerval. Déjà dans Le Rhin, il avait noté à propos de la jeune fausse anglaise rencontrée près du tombeau de linconnu :
Il y eut un instant où sa jeune sur lui dit très-bas : Vois donc, Stella ! je nai jamais mieux compris quen cet instant-là tout ce quil y avait de limpide, de lumineux et de charmant dans ce nom détoile.[45]
Ce nom deviendra dans Châtiments le titre dun poème décisif à la fois dans la mythologie hugolienne et dans la progression vers la lumière par la poésie :
Jentendis une voix qui venait de létoile.
[ ]
Je suis ce qui renaît quand un monde est détruit.
O nations ! je suis la poésie ardente.[46]
Or cest aussi la symbolique de lalouette, oiseau de laube et de la renaissance[47]. Au soir de ses errances, Marius fera lui-même de la femme aimée une étoile dans son cahier. Puis il le déposera sous une pierre, dans une enveloppe sans adresse[48], mais adroitement dans la droiture candide de son âme et de son amour pour celle qui est encore pour lui lAlouette. Cosette en sera touchée et se verra ainsi convoquée, enfin, sur le champ comme le lui intimait Thénardier. Le message subliminal que contenaient les manuvres poétiques et dilatoires du Guet-apens parvenu à sa véritable adresse, lAlouette se muera définitivement en Cosette[49].
Dans cette logique de la métaphore, lamour est une sombre transfiguration étoilée , écrit Marius (p. 739). Ainsi va-t-il de ce champ transfiguré comme le sera celui de Booz dans le regard de Ruth se demandant
Quel dieu, quel moissonneur de léternel été
Avait, en sen allant, négligemment jeté
Cette faucille dor dans le champ des étoiles.
Cet élargissement cosmique du champ se retrouvera dans le Satyre, lEtoilé et dans larchange de La trompette du jugement qui
Plongeait profondément, sous les ténébreux voiles
Du pied dans les enfers, du front dans les étoiles.
On peut y reconnaître la projection céleste et abyssale de
la topographie dun quartier balisé par le chemin des étoiles
et la rue dEnfer
Aux trois sources de la mythologie astronomique repérées et analysées par Albouy[50], on peut ajouter celle, personnelle, de linscription sidérale de la rue Saint-Jacques de son enfance, dont on remarquera quelle coïncide avec un tropisme espagnol fortement marqué et renforcé par le voyage en Espagne, précisément intercalé entre les deux séjours aux Feuillantines. Lune des premières évocations des Feuillantines dans Le Dernier jour dun condamné y introduit Pepa, lespagnole :
Je me revois enfant, écolier rieur et frais, jouant, courant, criant avec mes frères dans la grande allée verte de ce jardin sauvage où ont coulé mes premières années, ancien enclos de religieuses que domine de sa tête de plomb le sombre dôme du Val-de-Grâce. Et puis quatre ans plus tard, my voilà encore, toujours enfant, mais déjà rêveur et passionné, il y a une jeune fille dans le solitaire jardin.
La petite espagnole, avec ses grands yeux et ses grands cheveux, sa peau brune et dorée, ses lèvres rouges et ses joues roses, landalouse de quatorze ans, Pepa. [XXXIII]
Au demeurant, la rêverie sur le nom suffit et il nest nul besoin daller à Compostelle pour avoir dans lâme la stupeur profonde des étoiles et la transporter dans le paysage intérieur de lexilé. Il en va de même pour Gwynplaine qui, au moment de se laisser engloutir, peut se laisser guider dans un ciel où il ny a plus détoiles par cette étoile quil est le seul à voir[51]. Ou comme Jean Valjean habité dune lumière intérieure quand à lextérieur la nuit était sans étoiles et profondément obscure .
Si lamour se définit par ce double mouvement de réduction de lunivers à un seul être et de dilatation dun seul être jusquà Dieu [52], a fortiori la poésie, cette continue déclaration damour du poète au monde et à la vie, réduit-elle et dilate-t-elle ce quartier aimé qui fonde le poète en poésie et lui indique sa mission. Pour offrir à lhomme lapaisement sublime du ciel constellé [53], ouvrir et garder le chemin des étoiles , à limage de Roland au ravin dErnula bataillant contre les infants pour que le petit roi de Galice atteigne Compostelle :
Comme le soir tombait Compostelle apparut
Le cheval traversa le pont de granit brut
Dont saint Jacque a posé les premières assises ;
Les bons clochers sortaient des brumes indécises ;
Et lorphelin revit son paradis natal.[54]
On pourrait sarrêter sur ces brumes indécises du rêve où Compostelle est lun des topoï du paradis natal et sinscrit dans le paradigme du jardin maternel des Feuillantines. Mais puisquon est sur le chemin de Saint-Jacques[55], il ma semblé plus plaisant de conclure sur cette idée, inspirée de la préface des Burgraves : faire du quartier des Feuillantines la coquille du burgrave Hugo et dans ce rapport anagogique en conclure sinon lhabitant du moins lesprit qui lhabita :
[L'auteur] avait sous les yeux, les édifices, il essaya de se figurer les hommes. Du coquillage on peut conclure le mollusque, de la maison on peut conclure l'habitant. Et quelles maisons que les burgs du Rhin ! Et quels habitants que les burgraves ![56]
[1] Jacques Seebacher, Victor Hugo et le calcul des profondeurs, PUF, 1993, p. 9.
[2] Michel Leiris, L'Afrique fantôme, Gallimard, " Tel ", p . 265.
[3] Voir Jacques Hillairet, " Lamennais y logea en 1815, de même que G. Sand en 1866. Dans une autre dépendance s'installa l'institution Barbet où Pasteur fut élève en 1838 et de 1842 à 1843. En 1852, Victorien Sardou habita l'impasse des Feuillantines ", Connaissance du vieux Paris, Payot & Rivages, 1993, Rive gauche & les îles, p. 143.
[4] Les Rayons et les Ombres, XIX.
[5] Patrick Modiano, Ephéméride, Mercure de France, " Le petit Mercure ", p. 38.
[6] " En ce temps [le dix-septième siècle] où vivaient, respirant le même air, et par conséquent, fût-ce à leur insu, la même pensée se fécondant par l'observation des mêmes événements, Galilée, Grotius, Descartes [.], le jeune Corneille et le vieux Shakespeare, chaque roi, chaque peuple, chaque homme, par la seule pente des choses, convergeaient au même but, qui est encore aujourd'hui la fin où tendent les générations, l'amélioration générale de tous par tous, c'est-à-dire la civilisation même ", Le Rhin, Laffont, " Bouquins ", vol. Voyages, p. 376. Sauf avis contraire, les ouvres de Hugo seront citées dans la collection " Bouquins ".
[7] Lamartine, Le Civilisateur, ou les hommes illustres (1856) : " Qu'est-ce que la civilisation ? C'est l'atmosphère d'un peuple ; c'est l'ensemble de vérités, de facultés, d'idées, de religion, de législation, de morale et de vertus au milieu desquelles nous naissons et nous mourrons à telle ou telle époque du monde. "
[8] Ce que c'est que l'exil , Politique, p. 418.
[9] " L'odorat, le mystérieux aide-mémoire, venait de faire revivre en lui tout un monde. C'était bien là le papier, la façon de plier, la teinte blafarde de l'encre, c'était bien là l'écriture connue, surtout c'était là le tabac. Le galetas Jondrette lui apparaissait ", Mis.,V, IX, 4, p. 1130.
[10] Les Misérables, p. 353.
[11] "Texte non modifié, tel que je l'ai écrit dans la réalité absolue. /Aujourd'hui vu le régime et les tracasseries possibles, j'ai dû dépayser le couvent, en changer le nom et le transporter imaginairement quartier St Antoine. /25 janvier 1862 ", Dossier des Misérables, Chantiers, p. 743.
[12] Les Misérables, p. 358.
[13] Voir dans le Dossier des Misérables, les renseignements sur le quartier Picpus que lui envoie Théophile Guérin qui est allé vérifier si les terrains vagues étaient toujours dans le même état. Chantiers, p. 966.
[14] Une épidémie ravagea vers 1550 le quartier au-delà du Fg Saint-Antoine : les bras et les jambes des habitants se couvraient de boutons analogues à des piqûres de puces. Mais pour Hillairet le village de Picque-pusse, attesté au XIIe siècle, a une étymologie inconnue, Rive droite, p. 361.
[15] Voir L.-S . Mercier, Nouveau-Paris, p. 607 et note, p. 1548.
[16] Hillairet, op. cit, p. 362.
[17] Océan - Plans et projets (1856-58), vol. Océan, p. 501.
[18] Paris, vol. Politique, p. 11.
[19] Dossier des Mis., op. cit, p. 739.
[20] Mis., IV, II, 4, p. 691.
[21] Voir Quart livre, chapitre LVI.
[22] Cf. la rue Mondétour dont le nom, dit Hugo, " peint à merveille les sinuosités de toute cette voirie " encore qu'elles soient " mieux exprimées par la rue Pirouette " adjacente. Mis., IV, XII, 1, p. 856. Le toponyme fait d'une forme un sens.
[23] Pour une étude exhaustive du fonctionnement métaphorique et ludique du toponyme, voir Frank Lestringant, " Rabelais et le récit toponymique ", Poétique n° 52, avril 1982, pp. 207, sqq.
[24] Le croisement de la rue du Champ-de-l'Alouette (qui existait déjà au XIXe siècle) et de la rue Croulebarbe se faisait au niveau de la Bièvre et du boulevard des Gobelins prolongeant le boulevard Saint-Jacques et parallèle au boulevard extérieur de la Santé. Les deux boulevards étaient séparés par le mur d'octroi. La condensation symbolique suppose donc un léger glissement spatial.
[25] Véritable nom-carrefour, Corinthe est surdéterminé dans Les Misérables. Voir Françoise Chenet-Faugeras, Les Misérables ou " l'espace sans fond ", Nizet, 1995, p. 175-181. Même saturation du signifiant pour tous les toponymes des Misérables : la géographie de Hugo est toujours exacte même si elle paraît chimérique.
[26] L'origine du nom de ce champ est celui de son propriétaire, un certain Eustache Lalouette. C'est un patronyme similaire qui est aussi l'origine du surnom de Cosette. Dans l'état antérieur des Misères, elle se nommait Anna Louet. A la fin du chapitre qui s'intitule " L'Alouette " et auquel fait écho ce passage, Hugo explique l'origine du surnom par la poésie populaire : " Dans le pays on l'appelait l'Alouette. Le peuple, qui aime les figures, s'était plu à nommer de ce nom ce petit être pas plus gros qu'un oiseau, tremblant, effarouché et frissonnant, éveillé le premier chaque matin dans la maison et dans le village, toujours dans la rue ou dans les champs avant l'aube. Seulement la pauvre alouette ne chantait jamais ", I, IV, 3, , p. 126.
[27] Soit les chapitres III, VIII, 3, 8, 9, 18, 19 et surtout 20 " Le guet-apens ".
[28] Cosette, n'est d'ailleurs pas son véritable nom. Ce n'est qu'au plus fort de " l'idylle de la rue Plumet " que Marius en aura la révélation :
" - Sais-tu ? Je m'appelle Euphrasie.
- Euphrasie ? Mais non, tu t'appelles Cosette.
- Oh ! Cosette est un assez vilain nom qu'on m'a donné comme cela quand j'étais petite. Mais mon vrai nom est Euphrasie. Est-ce que tu n'aimes pas ce nom-là, Euphrasie ? ", IV, VIII, 1,,p. 795.
[29] " Dans tout ce qui a été raconté plus haut, le lecteur a sans doute moins tardé encore que Thénardier à reconnaître Jean Valjean ", IV, III, 1, p. 696.
[30] Châteauvieux est la propriété de la femme de Royer-Collard, née Augustine de Châteaubrun. Dans Les Misérables, on trouve à l'origine de l'ordre des bénédictines de l'adoration perpétuelle du saint-sacrement à Paris, une comtesse de Châteauvieux, p. 400.
[31] " Cette locution que nous venons d'employer : passer à l'état de, était dénoncée comme néologisme par M. Royer-Collard ", Mis., p. 96. Hugo prête à Myriel, revenant du Synode, les conclusions qu'il avait tirées de sa visite à Royer-Collard lors de sa candidature à l'Académie, en 1836 : " Je les gênais. L'air du dehors leur venait par moi. je leur faisais l'effet d'une porte ouverte ", I, I, 11, Mis., p. 39.
[32] Géraud Venzac, Les premiers maîtres de Victor Hugo, Bloud et Gay, 1955, pp. 279-285. Voir également la note (2) p. 316 qui résume les relations de Royer-Collard et de Hugo. Il y aurait, en effet, sinon un " essai " ou une " comédie de mours " à écrire sur leurs rapports, au moins un article. Il faudrait également mentionner le frère de Pierre-Paul, le Dr Antoine-Athanase Royer-Collard qui soigna Eugène à Charenton : voir la Correspondance familiale, t. I, Laffont, " Bouquins ".
[33] Histoire, p. 834. Royer-Collard est alors président de la Chambre. En réponse au discours du trône de Charles X, le 2 mars 1830, jugé menaçant, 221 députés votent la défiance de la Chambre à l'égard du ministère Polignac. La Chambre est ajournée puis dissoute. Les élections de juillet confirment l'opposition. Le 25 juillet, le roi signe les quatre ordonnances qui lui seront fatales.
[34] " Victor Hugo traversa une grande antichambre, une grande salle à manger d'apparence sévère. Ce logement avait un aspect puritain assez semblable à celui de M. Droz - seulement le logement de Royer Collard était celui d'un homme qui était d'un rang plus élevé dans la société. La différence qu'il y a de la bourgeoisie à la gentilhommerie. " VHRA, Plon, p. 617.
[35] Royer-Collard s'est effectivement installé en 1815 dans une maison particulière à cette adresse, disent ses biographes qui s'accordent avec Hugo sur l'austérité des lieux.
[36] En revanche elle ressemble à celle de l'immeuble de Droz " c'était une sombre porte cochère ".
[37] D'autant plus qu'on est sur l'ex-domaine de Vauvert (Val Vert) qu'on disait hanté. La Thénardier est bien expédiée au " diable Vauvert ". Ajoutons que la rue d'Enfer tire son nom de la Via Inferior des Romains qui doublait la Via Superior, actuelle rue Saint-Jacques.
[38] Roger Langeron, Un conseiller secret de Louis XVIII. Royer Collard, Hachette, 1956, p. 71.
[39] " Royer " va dans le même sens puisqu'il peut désigner le fabricant de roues, le charron. On songe alors à Champmathieu, charron, et à la magistrale leçon d'onomastique donnée par Javert : " Comment Jean peut devenir Champ ".
[40] Variation sur le proverbe : " si le ciel tombait, on pourrait prendre toutes les alouettes ", Gargantua, XI. Tout aussi pertinent serait sans doute le rapprochement avec Pantagruel, XI, où la plaidoirie de Baisecul, autre série de coq-à-l'âne, invoque : " l'arc-en-ciel fraîchement émoulu à Milan pour éclore les alouettes ".
[41] Actes et paroles, I, Politique, p. 75.
[42] La fiction donne comme raison " parce que c'était fort loin ",p. 699.
[43] Eric Hazan dans L'Invention de Paris, Seuil, 2002, signale ce quartier qu'il rattache au faubourg Saint-Marcel comme l'un des plus misérables de Paris à cette époque et cite Ferragus de Balzac (p. 194).
[44] Chansons des rues et des bois, I, IV,V.
[45] Le Rhin, Lettre XX, Voyages, p. 152.
[46] Stella, Les Châtiments, VI, XV. Voir dans l'édition du livre de poche, 1972, la note (1) de Guy Rosa, p. 426.
[47] " Quant vey la lauzeta mover / De joi sas alas contra.l ray (Quand je vois l'alouette agiter/De joie ses ailes dans un rayon) " est le poème le plus célèbre du premier de nos troubadours, Bernard de Ventadour qui inaugure la lyrique occitane. L'alouette est aussi un motif de la poésie de la Renaissance : voir Ronsard, Ode à l'alouette.
[48] " C'était une enveloppe de papier blanc. Cosette s'en saisit. Il n'y avait pas d'adresse d'un côté, pas de cachet de l'autre. Cependant l'enveloppe quoique ouverte, n'était point vide [.]. Cosette chercha un nom, il n'y en avait pas ; une signature, il n'y en avait pas. A qui cela était-il adressé ? A elle probablement [.] ", IV, V, 4, p. 736.
[49]. Mis., IV, V, 6, p. 744.
[50] Voir dans Pierre Albouy, La Création mythologique chez Victor Hugo, Corti, 1968, le chapitre " La mythologie des astres ",pp. 368 sqq.
[51] Dea, " évidemment ", femme et astre. Il faudrait reprendre Chaos vaincu et noter que le chant de Dea, en espagnol approximatif, est un chant de l'aube, " chanson d'ange " ou " hymne d'oiseau ", explicitement " chant sidéral ", identique à celui de Stella dont elle est l'avatar. L'Homme qui rit, II, II, 9. L'ourque fatale qui en est le contrepoint s'appelle ironiquement Matutina, amputation de la Stella matutina, nom attribué à la Vierge et à Vénus.
[52] Mis., cahier de Marius, p. 737.
[53] Voir supra, " Ce que c'est que l'exil ". C'est aussi la fin du Satyre : " L'azur du ciel sera l'apaisement des loups ".
[54] La Légende des siècles, XV, I, Le petit roi de Galice, v. 587-591.
[55] C'est le lieu de rappeler, à la suggestion de G. Rosa, que la rue Saint-Jacques est celle des libraires (dont le libraire Royol qui n'habitait qu'à quelques numéros de la rue Saint-Dominique d'Enfer). Le Chemin de Saint-Jacques est lui la voie royale de notre littérature dont la première de nos chansons de geste : La Chanson de Roland. On sait quelle importance a la geste de Roland au moment où Hugo commence Les Misères et les premiers poèmes de la future Légende des siècles (Aymerillot, Le mariage de Roland). Enfin on n'aura garde d'oublier cette locution de l'argot des typographes " aller à Saint-Jacques " : corriger les bourdons et les coquilles d'un texte composé. Expression tombée en désuétude dès le XIXe siècle. La coquille, quant à elle pourrait être la transposition typographique du péché originel en relation avec les pèlerins qui se rendaient à Compostelle pour se purifier de leurs péchés. Ou, donnée pour plus vraisemblable ( ?), la coquille bien connue sur coquille précisément. La coquille (Saint-Jacques) servait d'enseigne aux imprimeurs de la rue. D'après, Chier dans le cassetin aux apostrophes, de David Alliot, Horay, 2004.
[56]Préface des Burgraves, Massin, O. C., t. VI, p. 570.