Séance du 12 septembre 2015
Présents: Jordi Brahamcha-Marin, Jean-Marc Hovasse, Jean-Pierre Langellier, Arnaud Laster, Loïc Le Dauphin, Claude Millet, Yvette Parent, Guillaume Peynet, Denis Sellem.
Informations
Claude Millet a le regret d'annoncer la disparition de M. François Maille, qui était l’époux d’Anne Ubersfeld. Il a été incinéré au Père-Lachaise.
Exposition
Jean-Marc Hovasse distribue le catalogue de l’exposition Les femmes de Victor Hugo, organisée à la Maison Victor Hugo de Besançon, et dont il est le commissaire (jusqu’au 27 septembre – mais elle sera probablement prolongée, précise-t-il). L’objet de l’exposition est de présenter des femmes qui ont compté pour Hugo, ou pour qui il a compté – sa famille, sa femme, ses maîtresses, ses descendantes… Remarques et considérations diverses sur Blanche Lanvin, Valentine Hugo, Marie Hugo et quelques autres.
Claude Millet pose, à ce sujet, la question des rapports entre Hugo et les femmes intellectuelles de son temps. Arnaud Laster rappelle que la revue féministe L’avenir des femmes, dans les années 1870, faisait de Hugo une de ses références permanentes. Pourtant, souligne Claude Millet, on ne peut pas dire que les personnages féminins de l’œuvre hugolienne aient une grande force émancipatrice – cf. Déruchette…
Théâtre
Arnaud Laster apprend à une assemblée enthousiaste qu’Aurélien Recoing compte monter, en 2017, Cromwell dans son intégralité. Ce serait une authentique création, car cela n’a encore jamais été fait. La représentation durerait sept à huit heures.
Claude Millet rappelle ce que disait Nicolas Lormeaux dans une précédente séance du Groupe Hugo : quand on monte Hugo, on est sûr que cela va marcher…
Publication
Jean-Pierre Langellier signale la publication récente de Victor Hugo vient de mourir, de Judith Perrignon (éditions L’Iconoclaste), ouvrage dont il dit beaucoup de bien. C’est un récit, très bien écrit, de l’agonie de Hugo et des lendemains de sa mort, avec une bonne restitution du décor de l’époque, et une attention particulière portée à quelques uns des proches de l’écrivain, notamment Meurice et Vacquerie.
Arnaud Laster a entendu l’auteur à la radio, ainsi que dans une conférence donnée à la Maison Victor Hugo : ce qu’elle disait était très encourageant !
À la radio
Jean-Pierre Langellier a beaucoup aimé la série d’émissions Un été avec Victor Hugo, racontées par Guillaume Gallienne, diffusées cet été sur France Inter.
Arnaud Laster confirme la bonne qualité de l’ensemble, malgré quelques dérapages – l’émission sur la libido de Hugo, affligeante, puisait aux plus mauvaises sources… Mais il a scrupule à insister sur les défauts, alors que la plupart des émissions étaient bonnes – simples, directes, efficaces.
Et Jean-Pierre Langellier se réjouit qu’une émission de ce genre touche, chaque jour, des millions de personnes, qui entendent donc parler de Victor Hugo à l’heure du petit déjeuner. C’est un événement en soi !
Arnaud Laster rappelle, à ce propos, que Hugo est toujours donné, dans chaque sondage, comme l’écrivain préféré des Français, ou celui que l’on juge le plus représentatif, etc. De ce côté, sa popularité ne se dément pas.
Journées d’étude
Arnaud Laster annonce que deux journées sur Waterloo sont prévues prochainement – une, en novembre, à la maison de Balzac, et une, organisée par la Société des Études romantiques et dix-neuviémistes, début 2016. La journée à la Maison de Balzac, précise-t-il, ne sera pas exclusivement centrée sur Balzac – il sera aussi question de Hugo, de Stendhal…
À Villequier
Denis Sellem est passé récemment à Villequier, et fait part de sa satisfaction : le cimetière a été magnifiquement restauré, notamment les tombes des familles Hugo et Vacquerie. À présent, ajoute-t-il, il faudrait s’attaquer au jardinage, et remettre dans l’église du cimetière le livre d’or qui s’y trouvait.
Claude Millet recommande l’endroit à ceux qui ne le connaissent pas. On voit bien que la Seine, à cet endroit, va très vite, et que la navigation y est dangereuse.
Mais c’est un coup de vent qui a renversé la barque de Léopoldine ! précise Arnaud Laster – et pas le mascaret, trop souvent incriminé…
Communication de Yvette Parent : La défense de l'utopie et Victor Hugo (voir texte joint)
Discussion
Utopie, espace, temps
Claude Millet remercie Yvette Parent pour son bel exposé, qui confirme que la question de l’utopie, chez Hugo, ne se pense que rarement en termes spatiaux – hormis les « douces vallées » de Mgr Myriel, dans Les Misérables, qui font signe vers l’idylle. Quand l’utopie se spatialise, chez Hugo, elle prend toujours l’aspect d’un espace clos, et menace de dégénérer en caserne, qui est un repoussoir. La frontière est toujours ce qui vient enclore, arrêter le mouvement… D’où l’ambivalence de Hugo vis-à-vis des utopies.
Si l’on peut dire avec l’oratrice, poursuit Claude Millet, que beaucoup d’utopies de Hugo se sont réalisées, cela suppose une redéfinition par Hugo du mot utopie. L’utopie n’est pas une cité idéale organisée par des lois et des principes – cela, c’est précisément la caserne du communisme. L’utopie, pour Hugo, c’est plutôt de l’idéal appelé à devenir du réel – donc une espèce d’énergie qui oriente l’histoire du côté de l’avenir.
Progrès en pente douce ou révolution
Claude Millet est également frappée par le fait que l’utopie est pensée en termes de temps. Contrairement aux utopies systématiques, à la Cabet, qui bloquent le temps, celles qui, comme chez Hugo, sont germes de réel s’inscrivent dans le temps linéaire du progrès. Mais il y a aussi les utopies belliqueuses, qui brusquent le cours du temps en voulant l’accélérer, qui tournent à l’anachronisme et qui s’enferment dans une violence tragique. Vouloir le progrès en pente douce met 93 à distance.
Yvette Parent dit son désaccord avec cette lecture. Claude Millet met en garde contre la tentation de rougir Hugo, en particulier celui des Misérables : l’insurrection de 1832 est un échec sanglant, et le roman ne contient pas d’appel à la recommencer. [C'est pourtant dans Les Misérables que se trouve le fameux «Laissez la peur du rouge aux bêtes à cornes.» NDGR]
Quatrevingt-treize, 93, Babeuf et Robespierre
Dans Quatrevingt-treize, ajoute Claude Millet, la confrontation finale des utopies (Gauvain contre Cimourdain) finit par opposer l’utopie de caserne, favorable au nivellement, à une utopie émancipatrice, anti-systématique, qui est pure mobilisation de l’idéal dans le réel.
Mais tout en justifiant 93, intervient Arnaud Laster, approuvé par Yvette Parent. L’idée de Hugo, c’est qu’il fallait 93 – il ne s’agit pas de recommencer 93, mais c’est un moment nécessaire. Dans le roman Quatrevingt-treize, la Convention est présentée comme le sommet de l’histoire.
Claude Millet trouve Hugo très ambivalent sur 93, dont il refuse tout espèce de simplification. Hugo n’appelle jamais à un nouveau 93, et dit qu’il faut sortir de ce régime de production violente du progrès. Le tragique du XIXe siècle, pour Hugo, c’est que le progrès n’a pas pu faire l’économie de la violence historique… On ne peut pas assimiler la position de Hugo à celle de Babeuf.
Mais Hugo affirme tout de même, soutient Arnaud Laster, qu’il faut une révolution universelle face à la tyrannie.
Arnaud Laster souligne que d’autre part, Les Misérables n’est pas le dernier mot de Hugo sur la question. Entre Les Misérables et Quatrevingt-treize, il y a une évolution.
Mais dans Quatrevingt-treize, répond Claude Millet, il réfléchit à partir de la Commune. Cela ne marque pas une évolution vers Babeuf…
Mais Arnaud Laster souligne que Hugo, s’il regrette les moyens employés, approuve largement la Commune ! Tout en en déplorant la violence, nuance Claude Millet.
Yvette Parent estime que Hugo devient robespierriste à partir de l’exil, sous l’influence de Louis Blanc (Claude Millet n’est pas convaincue). Cela tient à ce qu’il vit dans un siècle d’une extrême violence…
Arnaud Laster ajoute que dans le poème « La révolution » (Les Quatre Vents de l’Esprit), Hugo attribue aux rois la responsabilité de la révolution. (C’est le cas de toutes les révolutions, glisse Denis Sellem).
Conclusion
Claude Millet conclut en avançant l’idée que le discours utopique de Hugo constitue un discours polémique par rapport aux utopistes patentés du temps – il s’oppose aux casernes socialistes (et bonapartistes, glisse Arnaud Laster, en mentionnant L’extinction du paupérisme où le socialisme prôné par Bonaparte est un socialisme de caserne). Il s’agit pour lui de s’opposer à la fois aux discours réactionnaires et aux discours des socialistes.
Puis la séance est levée – le Groupe Hugo se réunira à nouveau le 3 octobre, pour une séance sur Waterloo qui sera assurée par Nicole Savy et Jean-Marc Hovasse, ainsi que, nous l’espérons, par Damien Zanone, récent organisateur d’un colloque sur la question
Jordi Brahamcha-Marin