Françoise Chenet : Les Misérables ou La recherche infinie
Communication au Groupe Hugo du 18 mars 1995
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Pour Jacques Seebacher
Ainsi Les Guillons [1] seraient bien un toponyme. Jacques Seebacher furetant à son tour lespace des Misérables a découvert, en effet, que Les Guillons appartenaient à la Commune de Grande-Rivière, dans le Jura, près du lac de Grand-Vaux. Or Abel Hugo dans La France pittoresque, au chapitre Jura, a décrit les murs patriarcales des habitants encore serfs du chapitre de Saint-Claude à la veille de la Révolution. Leur condition avait ému Voltaire qui avait protesté dans un mémoire juste et courageux. Comme on sait que Myriel à la Révolution sest réfugié en Franche-Comté, quil y a travaillé de ses bras dans lune des industries locales quil évoque avec les fameuses fruitières de Pontarlier, détails tirés en fait de La France pittoresque [2] , il est effectivement tentant de penser que le cochléaria des Guillons renvoie à lespace et au passé comtois de Myriel. De là son soupir (nostalgique ?) devant ce plant de cochléaria des Guillons, brisé par le panier qua jeté Jean Valjean.
A regarder la carte de près, cependant, on constate que la Commune de Grande-Rivière est constituée de hameaux qui sont tous des patronymes transformés par la voix populaire en toponymes : Les Mussillons, Les Richards, les Channez, Les Chauvins, etc. Ils correspondent à une ou des maisons habitées par des Guillon, des Richard, des Chauvin Phénomène connu qui, ici, prend un certain relief si on le rattache à ce qu'explique Abel de la dimension imposante des maisons de cette vallée, destinées à abriter "un arbre généalogique dont les branches ne se séparent qu'à la longue". Ce qui non seulement nous ramène au nom de famille, Guillon, mais permet de supposer que Hugo avait le choix entre plusieurs patronymes/toponymes et que sil a choisi Guillons, cest que ce nom avait une double référentialité : labbé (ou les abbés) dun côté et la vallée de Grand-Vaux de lautre. A cela sajoute un autre problème : Hugo (Victor) connaissait-il ces hameaux et comment ? Abel, qui recopie textuellement un extrait du Voyage pittoresque et physico-économique dans le Jura de J.-M. Lequinio [3] , ne mentionne, pas plus que sa source, aucun de ces hameaux. Aucune allusion non plus dans le volume Franche-Comté (1825) des Voyages pittoresques et romantiques dans lancienne France dont on sait quil est de Nodier, fils du pays.
Il faut donc penser que Hugo a consulté une carte. La plus évidente est la carte Cassini [4] . Hugo lutilise entre Villers-Cotterets et Soissons [5] mais rien ne dit quil avait la totalité des feuilles qui couvrent la France et en particulier celles de cette région où il nest jamais allé. Nonobstant, la carte Cassini indique bien Les Guillons à louest du lac de Grand-Vaux mais en caractères nettement plus petits que Les Chauvins ou Les Guys ou Les Richards. Pour les trouver, il faut les chercher. Ils napparaissent pas sur la carte de latlas national de France qui nindique que Les Chauvins.. Si Saint-Laurent-en-Grandvaux était, au XIXe siècle, un carrefour de routes très important et si ses habitants avaient une spécialité connue de tous : les transports à longue distance, le roulage [6] , la région est à 65 km de Pontarlier, dans le Jura et non dans le Doubs. Myriel avait de la famille à Pontarlier mais il ne dit pas en avoir dans la Vallée de Grand-Vaux. Quant à Hugo, il pille le chapitre Doubs, inspiré du Mémoire statistique du département du Doubs de Jean de Bry, préfet du Doubs, ami et protecteur de Nodier et non le chapitre Jura, du moins en apparence.
Question subsidiaire : pourquoi envoie-t-il Jean Valjean à Pontarlier ? Pour permettre à Myriel de parler des fruitières dassociation ? Mais cette industrie toute patriarcale et toute charmante est répandue dans toute la Franche-Comté et Lequinio en fait une spécialité de la région de Grand-Vaux dont cest la principale richesse [7] . Le détour par Les Guillons de Grand-Vaux pose plus de problèmes quil nen résout tout en ouvrant de vastes perspectives. Après tout - ou avant tout - la Franche-Comté est le pays natal de Hugo. Sa naissance dans ce lieu est contingente mais ni plus ni moins que la fiction qui y conduit Myriel et que celle de litinéraire obligé de Jean Valjean. Leffet le plus immédiat du cochléaria des Guillons, brisé, est de le détourner de ces Guillons qui se trouvent sur la route de Pontarlier, cest-à-dire sur litinéraire obligé. Et dans tous les cas de figure puisque le vol reconnu, il aurait été renvoyé au bagne (à perpétuité). Non reconnu et transformé par la grâce de Myriel en don (et en rachat), ce vol lui aura permis de bifurquer vers Montreuil et le destin choisi de lhonorable M. Madeleine. Avec cependant une lacune dans litinéraire qui a gagné de ne plus être obligé et donc repérable. Le récit, sil donne la date (vers la fin de 1815) - ne dit pas comment il est arrivé à Montreuil, ni ce quil a fait durant les trois mois qui le séparent du moment où le voiturier qui fait le service de Grenoble le voit se prosterner devant la porte de monseigneur Bienvenu, suite à peine différée de lépisode du cochléaria.
Et sil était réellement passé par Les Guillons ou, du moins, tout à côté ? Roman dans le roman, fiction esquissée, entrevue dans les insterstices de lhistoire [8] , ces toponymes et ces lieux-dits du dossier des Misérables [9] : le coteau désert de Contenverse, près Montluel, Bois de Ste Croix (Ain), Châtaigneraie des Allées sur la terre de Bussiges près St Trivier, Forêt de Montaverne, commune de Trannoye (Ain), Bois de Polleins commune de Mionnay, interférant avec des lieux-dits des environs de Paris [10] et lhistoire dun assassin :
Bois de Montmain - (il avait tué une fille ; il était rentré et avait dit à sa femme : je viens de tuer une fille au bois de Montmain. Il fait un joli clair de lune. Je vais en profiter pour lenterrer. Et il était reparti avec une pioche) [11] .
Cet assassin ne peut être Jean Valjean. Mais le voleur quinterroge un président de cours dassise [12] ? Il est difficile de rattacher ces notes à lhistoire sinon à constater que Jean Valjean lors de son évasion, en 1823, passe par le territoire de Civrieux, dans lAin. Mais outre le fait que Civrieux nest pas mentionné dans ces notes, rien ne prouve quelles ont un rapport avec ce chapitre (II, III,11).
En revanche, une chose est certaine : Hugo avait une carte détaillée du département de lAin, ou plus exactement, étant donné lhistoire de la cartographie, de la région qui est celle des Pays de Bresse, Bugey et Gex, carte levée en 1766 par Jean Seguin à partir de la carte Cassini dont elle rectifie les erreurs. Or parmi ces imprécisions corrigées, un hameau Les Guillons à une lieue au nord de Rigneux. Sur la carte Seguin, le hameau est au singulier Guillon [13] , mais il est environné par des toponymes qui auraient pu intéresser, voire amuser Hugo : Biard, Michelet, Berlioz, Orme, Château-Gaillard, Alouette. Guillon est à lévidence un nom de la région et se rencontre dans ses dérivés : Guillonne, Guillet, Guillot, Guillermet, etc., un peu partout. Rappelons que le deuxième abbé Guillon, dit de Montléon, est né à Lyon. Tous ces lieux-dits se trouvent dans la banlieue de Lyon et dessinent une sorte ditinéraire à travers les champs et les bois qui aurait permis de contourner Lyon, par lest [14] , sur la route de Pontarlier ou de Paris, la bifurcation ayant pu se faire à Trévoux [15] dont le canton contient le plus grand nombre de ces lieux. Si les deux cartes donnent la plupart des hameaux et des lieux-dits notés par Hugo, elles ne permettent pas les localisations précises que supposent Châtaigneraie des Allées, le lieu dit la ferme des Sarrazinsou le taillis situé au-dessus de lEtang-des-Planches. Rien ne prouve que ces indications topographiques soient exactement référentielles. Elles peuvent résulter dune interprétation de la carte ou être inventées. On ne voit pas de pont sur le Rhône près de Neyron. Barri et Contenverse sont inconnus du Dictionnaire du Département de lAin (1907) et ne figurent pas sur les cartes Cassini et Seguin. Lorthographe aussi diffère non seulement entre les deux cartes mais avec les notes de Hugo : Neyrons (Neyron, orthographe moderne) pour Néron, Civrieux (orthographe moderne) pour Syvrieux (mais la carte donne un Civrieux de lautre côté de la Saône), Trannoyes pour Tramoyes. Ce périmètre comprenant les cantons de Trévoux et de Montluel semble bien être le cadre dun épisode envisagé par Hugo et auquel il na pas donné suite. Comme pour Les Guillons (Jura), le problème de ses sources dinformation reste entier. La carte est plus probable pour lAin, mais elle nest pas suffisante pour expliquer ces précisions et cette ébauche. Par ailleurs, si lon voit clairement que Les Guillons (Jura) appartiennent à lisotopie de Myriel, et donc de son cochléaria, ceux de lAin sont hétérotopiques.
A moins quil ny ait un lien entre la Franche-Comté et lAin. Outre le fait que les deux régions sont limitrophes et jouxtent la Suisse [16] , il se trouve que Hugo en famille a traversé le département avec la famille Nodier lors du voyage aux Alpes, en 1825. Et ils se sont arrêtés pour déjeuner à Lucenay-lEvêque, près dAutun., le 7 août. Affamés, ils ont dû se contenter dune méchante omelette [17] . Certes, Lucenay nest pas dans lAin, mais cest sur la route qui les conduira à Pont-dAin où ils couchent le 11 août 1825 après avoir rendu visite à Lamartine, à Saint-Point. Au retour de Genève, ils passent pour aller à Lyon au sud du Rhône et sarrêtent à La Verpillère qui est sur la même feuille de la carte Cassini que Rigneux et Montluel. Si lon considère que Nodier pour ce voyage a servi de cicerone [18] , quil connaissait non seulement la région mais la Franche-Comté, quils ont bien dû consulter quelque carte et peut-être repérer lhomonymie des Guillons, on peut imaginer que non content dinitier son jeune ami aux joies de la botanique, de lentomologie ou de la minéralogie, il lui aura raconté aussi sa province et ses traditions. Dautant quil vient décrire le volume Franche-Comté des Voyages romantiques et pittoresques et que Hugo retrouve en Suisse des souvenirs denfance qui ont pu réveiller ses propres souvenirs.
Plus troublant, les éditeurs du Victor Hugo raconté par Adèle Hugo suggèrent que le parent de Myriel, M. de Lucenet, « capitaine des portes à Pontarlier », pourrait devoir son nom à Lucenay où les voyageurs firent lexpérience de la faim [19] . Or, insistons, il sagit de Lucenay-lEvêque. Si lon ajoute quils ont réclamé du fromage et nont eu que des ufs, que le cochléaria guérissait les maladies de carence, que Saint-Point où ils sarrêtent quelques jours plus tard est aussi le nom dun lac près de Pontarlier, litinéraire obligé qui devait conduire Jean Valjean à Pontarlier nous conduirait, nous, vers Nodier et ce voyage de 1825, lequel fait suite au voyage à Reims pour le Sacre. Et au premier des voyages qui donneront lieu à des récits plus ou moins élaborés. Voyage fondateur pour le goût du pittoresque (au sens étymologique), la connaissance de la nature et la révélation du sublime. Le premier éblouissement :
On traversa le Fort lEvêque, point de démarcation qui sépare la France de la Suisse. Le temps qui était couvert masquait le soleil levant ; la brume se dissipa et, à travers les éclaircies, on aperçut Genève, le mont Blanc et les Alpes. Cette nature déchirant son voile et montrant un de ses plus majestueux aspects fut pour nos voyageurs un éblouissement. [20]
Et ce qui sera le credo qui lie la poétique de Hugo à sa métaphysique :
Ici, tout se transforme, rien ne meurt. Une ruine de montagne est encore une montagne. Le colosse a changé dattitude, voilà tout. Cest quil y a dans toutes les parties de la création un souffle qui les anime. Les ouvrages de Dieu vivent, ceux de lhomme durent ; et que durent-ils ! [21]
Le voyage de 1839 est lécho explicite de celui de 1825, à Lausanne et Genève où les deux itinéraires se croisent :
Jai passé à Lausanne avant-hier mon Adèle, et jai bien songé à toi. Nous navons quentrevu Lausanne, tu ten souviens, par un beau clair de lune, en 1825. Léglise, quoique belle, est au-dessous de lidée qui men était restée. Le soir, par un hasard étrange, précisément le même clair de lune est revenu et jai revu léglise aussi belle quen 1825.[ ]
Je me promenais solitairement dans cette ville où je métais promené avec toi il y a quatorze ans. Jétais triste et plein de pensées bonnes et tendres dont tu aurais peut-être été heureuse. [22]
Cette lettre, datée dAix-les Bains, 24 septembre, annonce la suite de la promenade au Rigi. Au milieu de la promenade et au sommet du Rigi, Hugo interrompt sa description pour sadresser à Adèle et à Didine :
Jai cueilli, au bord dun précipice de quatre mille pieds, en pensant à toi, chère amie, et à toi ma Didine, cette jolie petite fleur, je vous lenvoie. [23]
Or Hugo note dans son carnet [24] :
[Le mont Rigi]
Euphrasia officinalis.
Sommet du Rigi
4h. 12 7bre
Il est donc probable que la petite fleur envoyée à Adèle et à Didine est cette euphrasia [25] qui donnera son vrai nom à Cosette.
Ce nest pas tout : le feuillet de lalbum qui précède chronologiquement la lettre dAix-les-Bains et suit celle du Rigi, est celle de lalphabet-monde procédant du constat que lY est une lettre pittoresque et du paysage dessiné par les croupes âpres et vertes du Jura. Encore un écho du voyage avec Nodier et un clin dil à ses fantaisies typographiques qui auraient pu trouver place dans Le Voyage poétique et pittoresque au Mont-Blanc et à la vallée de Chamouny quils avaient en projet et dont on trouvera la trace dans lHistoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux.
Mais à suivre la piste Nodier, on fait dautres découvertes non moins étranges. Il se pourrait bien que le B raturé sous le M de Mabeuf dont on sait ce quil doit à Nodier [26] désigne également le petit-fils de Gracchus et le fils de Robert, dit Emile, libraire lui aussi avant de devenir préfet en 1848. En 1836-1837, il est en cheville avec Nodier pour une importante entreprise de librairie qui avortera. Le nom de Babeuf apparaît, en effet, dans une lettre à Charles Weiss, du 6 novembre 1838, où il explique à son correspondant comment il a obtenu cinq cents francs dun prospectus signé pour la Librairie catholique, demandé par Alfred M. pour lui permettre de se dégager dune dette :
Cinq cents francs sont le prix dun Prospectus signé dans la région de la littérature où je gravite. Ceux de Jules Janin en coûtent mille, quand ils ne coûtent pas le double. Non licet omnibus, etc. [27]
Et comme il sagit de se justifier davoir touché cette somme pour une entreprise qui a entraîné Alfred dans des pertes considérables, il donne ces exemples :
Jai cependant tiré cinq cents francs du casino Paganini qui na pas ouvert, cinq cents francs de la Biographie de Babeuf dont la souscription ne sest pas fermée, cinq cents francs du Moniteur des familles qui na eu quun numéro, et tout cela payé davance au comptant sans marchander, le tarif de cette honorable besogne étant inviolablement établi dans la gent prospectite que celui des glaces de Venise et des petits pâtés du vieux Perrotte.
Il fallait donc partir à la recherche de cette Biographie. Voici le résultat :
Nouvelle publication de Louis Babeuf et Cie/ 1837/ rue de Vaugirard, 17
Biographie contemporaine ou histoire de la vie publique et privée de tous les hommes morts ou vivants qui ont acquis de la célébrité depuis la Révolution française jusquà nos jours , par une réunion de savants. Paris, imprimerie Everat.
Et un prospectus de seize pages dont les sept premières sont de Charles Nodier. Cette publication sans lendemain consultée, on apprend quil sagit dune
« société et commandite sous la raison de Louis Babeuf et Cie, au capital de 250 000 fr, action de 250 fr.
Acte de la Société déposé aux minutes de Me Corbin, notaire à Paris, le 20 octobre 1836.
Les soussignés M. Louis-Pierre BABEUF, libraire éditeur, demeurant à Paris, rue de Vaugirard, 17, dune part, et
1° M. Charles NODIER, membre de lAcadémie française, demeurant à Paris, à lArsenal ;
2° M. Charles-Augustin de SAINTE-BEUVE, homme de lettres, demeurant à Paris, rue du Montparnasse, 1er ter ;
3° M. Jules FAVRE, avocat à la cour royale de Paris, demeurant rue Saint-Joseph, 5 ;
4° M. Adolphe EVERAT, imprimeur, rue du Cadran, 16 ;
5° M. le baron de CHAPUYS-MONTLAVILLE, membre de la chambre des Députés, demeurant à Paris, place Rivoli, 1, représenté par M. Babeuf, son fondé de pouvoir spécial à leffet de stipuler au présent acte ; Tous dautre part ont arrêté ainsi quil suit les statuts dune société en commandite, par actions, pour la publication dun ouvrage qui sera ci-après indiqué et pour lequel M. Babeuf a déjà rassemblé des matériaux considérables. »
Suivent les statuts. Le fascicule comprend la première livraison avec lintroduction de Charles Nodier et les notices de la lettre A/Ab, dont celle dAbd el Kader signée Jules Favre.
Cette correspondance fait deux fois état de labbé Guillon. La première vers 1815 : Nodier demande à Charles Weiss de vérifier si lexégète des Fables de La Fontaine et labbé Guillon qui figure maintenant aux premiers rangs de lUniversité sont la même personne. Il ne veut pas être ridicule en louant une rapsodie qui serait méprisée et dont il ne pense pas de bien [28] En 1827, il na plus de doute sur lidentité de labbé Guillon devenu son rival pour lAcadémie française :
Cest que je me serai mis, par leffet de ma propre volonté, au-dessous de la valeur arithmétique du docteur Parizet, de labbé Guillon ou de tel oison de cette volée, avec qui mes ennemis noseraient pas me comparer dans un accès de colère. [29]
Que savait Hugo de tout cela ? Beaucoup de choses sans doute. Les liens avec Nodier nont jamais été rompus sils se sont distendus. Au demeurant chercher les sources écrites et repérer les actes de piratage ou de joyeux brigandage qui ne sont, comme la judicieusement remarqué Jean Gaudon, que des formes de collage, de parodie, dintertextualité plus ou moins déclarée et dhypertextualité, cest passer à côté du vrai problème des sources qui sont celles de linformation. Et le mot de source apparaît singulièrement impropre pour désigner un flux continu qui court la poste et les salons. Nest-ce pas le sens de lincipit des Misérables que lorigine insaisissable des bruits et propos, de ces on-dit qui, vrais ou faux, font lhistoire et constituent lopinion dont le quatrième pouvoir va semparer ?
En tout cas, la logique associative, qui fait cohabiter dans une même plante la Franche-Comté, les Alpes, lAin [30] , un ou plusieurs abbés et peut-être le duc de Rohan-Chabot, futur êvêque de Besançon et châtelain de La Roche-Guyon qui faillit être le théâtre dune conversion [31] , est celle des fruitières dassociation. Il sagit toujours, en somme, de mettre en commun le lait de vaches appartenant à de pauvres cultivateurs pour en faire du fromage, chacun à proportion du lait quil fournit. Si lon file la métaphore (et le fromage), Hugo (Victor) ne serait que le grurin. [32] Il aurait seulement oublié de marquer les quantités reçues et dindiquer la provenance du lait. Il reste à souhaiter que les vaches qui en sont friandes ne broutent pas de cochléaria : il rend leur lait aigre et E.Collot [33] déconseille les crucifères en fleur dans la nourriture à donner aux bonnes laitières. A réserver à la rigueur aux veaux ou aux bufs destinés à la boucherie.
[1] . - Voir Françoise Chenet-Faugeras, « Ce coin de terre », Victor Hugo, Les Misérables, Romantisme/Colloques, 1994, pp. 65, sqq. , texte repris et complété dans Les Misérables ou « Lespace sans fond », Nizet, 1995, pp. 233 sqq.
[2] . - Voir Jean Gaudon, « Collages : La France pittoresque dans Les Misérables », Romantisme/Colloques, op. cit., pp. 23 sqq.
[3] . - Paris, 15 Frimaire, An IX. Louvrage est célèbre et Hugo pouvait le connaître. Lucien Febvre en fait un résumé élogieux dans son Histoire de Franche-Comté.
[4] . - N° 147, 12 M. En fait, la carte la plus précise et la plus utilisée pour cette région est celle de Querret, plus ancienne.
[5] . - Jai pu déployer à mon aise mes feuilles de Cassini Le Rhin, lettre IV, « Bouquins », O.C/ Voyages, p. 32.
[6] . - Ils ont assuré pour une large part les transports des armées républicaines et napoléoniennes. De même quils approvisionnaient les chantiers maritimes en fûts de sapin et d'épicéa, autre richesse de la région. LOrion, navire malade certes, est fait comme les autres vaisseaux de trois mille stères et cette forêt qui flotte est pour lessentiel celle du Jura.
[7] . - Avec le travail du bois qui donne entre autres choses des seaux à eau et des cuillers dans les environs de Saint-Claude.
[8] . - Cf. Les fables végètent, croissent, sentremêlent et fleurissent dans les lacunes de lhistoire écroulée comme les aubépines et les gentianes dans les crevassent dun palais en ruine. (Rhin, lettre XIV, O.C/ Voyages, p. 102.
[9] . - Dossier des Misérables, O.C/ Chantiers, pp. 771-772.
[10] . - bois de Trappes près Saint-Cyr/ cépée de Montfort-lAmaury. Rappelons que Hugo séjourne à Montfort-lAmaury, en août 1821, chez son ami Adolphe de Saint-Valry.
[11] . - Ibid., p. 772.
[12] . -Ibid., p. 771.
[13] . - En fait, Le Guillon quon retrouve en petits caractères sur la feuille Cassini 117/13 L.
[14] . - Cest dailleurs la zone que traverse le TGV Sud-Est pour contourner Lyon.
[15] . - Le lieu nest pas anodin associé quil est au Journal de Trévoux et aux Jésuites
[16] . - Il serait peut-être décisif de retrouver la carte de Suisse que Hugo achète en 1839 pour son voyage (voir Massin, t. VI, p. 696).
[17] . - Quand depuis, on servait chez Nodier ou chez Victor Hugo une omelette dont lexiguïté inquiétait lestomac des mangeurs, on ne manquait jamais de la comparer à celle de Lucenay. (Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, Plon, 1985, p. 398.
[18] . - Voir Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, op. cit., p. 399.
[19] . - Ibid., p. 767.
[20] . - Ibid., p. 399.
[21] . - Fragment dun Voyage aux Alpes, O.C/Voyages, pp. 511-512.
[22] . - O.C/Voyages, pp. 685-686.
[23] . - O.C/Voyages, pp. 677.
[24] . - Ibid., p. 743.
[25] . - Dans quelle mesure le calembour « Euphrasie - uf-phrase-scie » ne pourrait-il pas être aussi une allusion à la scie que devait être lomelette de Lucenay ? (Dossier des Misérables, O.C/Chantiers, p. 816).
Par ailleurs, lEssai sur la géographie physique, le climat et lhistoire naturelle du Département du Doubs, de Girod-Chantrans, maître de Nodier, indique que lEuphrasia officinalis pousse dans les pâturages et ajoute en note : on la crue ophtalmique ; mais cette propriété lui est bien contestée au jourdhui. Le cochléaria officinalis pousse bien dans le Jura et se resème et croît spontanément autour de plusieurs habitations.
[26] . - Voir Vincent Laisney, « Le père Nodier », Les Misérables - Nommer linnommable, sous la direction de Gabrielle Chamarat, Paradigme, 1994, pp. 105 sqq.
[27] . - Lettres de Charles Nodier (1796-1844), Paris 1876, pp. 278-279.
[28] . - Ibid., pp. 150-151.
[29] . - Ibid., p. 197 (18 mars 1827).
[30] . - Le Dictionnaire des Postes (1845) qua pu également consulter Hugo recense des Guillons en Charente, dans la Drôme et dans lIsère . Au singulier, le toponyme est plus répandu encore. Cest lIsère qui en a le plus grand nombre.
[31] . - Le rapprochement est de Jacques Seebacher. Voir Victor Hugo raconté par Adèle, op. cit., pp. 341 sqq.
[32] . - Cf. Quant au fruitier (le grurin dans les textes dAbel Hugo et de Jean de Bry), cest le docteur du canton ; la richesse publique est dans ses mains ; il peut à volonté faire avorter les fromages, et faire, même avec impunité, supporter aux éléments laccusation de son délit : son autorité suffit pour ouvrir ou fermer en ce pays les sources du pactole. On sent quelle considération ce pouvoir doit lui donner, et quels ménagements on doit avoir pour lui. Si vous ajoutez à cela quil est nourri dans labondance, et quune moitié du jour il na rien à faire quà songer aux moyens daccaparer encore la confiance davantage ; quil voit, tour-à-tour en particulier les personnes de chaque maison qui viennent faire le beurre à la fruiterie ; quil passe avec elle une matinée toute entière ; quil peut les faire jaser sans peine, et par elles apprendre, sans même quelles sen doutent, les plus intimes secrets de leurs familles ou de leurs voisins. Si vous pesez bien toutes ces circonstances, vous ne serez point étonné dapprendre quil est presque toujours sorcier, au plus bas mot devin ; quil prédit lavenir ; quil jouit enfin, dans le canton, dun crédit très-grand, et que cest lhomme quon appréhende le plus doffenser. (Lequinio, op. cit., n° 530, t. 2, pp. 365-366).
[33] . - Traité spécial de la vache laitière, Paris, 1851.