Jordi Brahamcha-Marin : Alain lecteur de Victor Hugo
Communication au Groupe Hugo du 15 septembre 2018
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Le philosophe Alain[1] a consacré plusieurs textes importants à des questions d’esthétique, surtout après la Première Guerre mondiale, et alors même que cette discipline n’était guère en faveur parmi les universitaires de son temps[2]. Sur l’esthétique en général, il a publié notamment un Système des beaux-arts en 1920, Vingt propos sur les beaux-arts en 1931 et des Entretiens chez le sculpteur en 1937. Sur la littérature en particulier, outre les remarques contenues dans ces ouvrages, il a donné des commentaires à Charmes et à La Jeune Parque de Valéry respectivement en 1929 et en 1936 ; il a rassemblé en 1933 ses Propos de littérature et publié en 1935 deux études, Avec Balzac et Stendhal. En 1945, enfin, il a fait paraître En lisant Dickens. Alain n’a pas écrit de livre sur Hugo (et la question de ses rapports à Hugo ne semble pas encore avoir fait l’objet d’une étude), mais Hugo est bien un auteur qui compte pour lui. Le nom de Hugo figure à d’assez nombreuses reprises dans les index des deux volumes de « propos » en Pléiade (parus en 1958 et 1970)[3] ; surtout, Alain est l’auteur d’un article intitulé « Hommage à Victor Hugo », paru en 1935 dans la revue Europe. Nous reviendrons longuement sur ce texte.
La question des lectures de Hugo par Alain est liée à la question de la conception alinienne de la poésie – de la « poésie », pas seulement de la littérature en général, car l’esthétique d’Alain est adossée à une théorie des genres littéraires, ou plutôt, comme l’écrit Guillaume Artous-Bouvet, des modes ou des régimes discursifs[4] (en effet, Alain cherche à penser la « prose » et la « poésie » comme des registres de discours pouvant circulant entre les genres littéraires stricto sensu). Hugo est même l’une des figures, avec Valéry et parfois en concurrence avec lui, à partir desquelles Alain cherche à définir les caractéristiques de la poésie. Notre plan sera donc chronologique et s’inspirera des scansions identifiées par François Foulatier dans son article « La priorité du poète », consacré à la théorie alinienne de la poésie[5]. Le premier temps, caractérisé par une certaine aversion d’Alain à l’égard de la poésie (et de Hugo), dure jusqu’en 1923. Le second temps, marqué par la découverte de la poésie de Valéry, correspond à une réhabilitation de la poésie dans le système alinien ; dans cette nouvelle configuration, Hugo occupe une place ambiguë. Le troisième temps, qui commence au début des années trente, est celui dans lequel Alain va partiellement fonder sa conception de la poésie, et son éloge de la poésie, sur l’exemple hugolien lui-même.
Alain contre la poésie
Jusqu’en 1923, le rapport d’Alain à Hugo doit s’interpréter au prisme des conceptions esthétiques du premier, et notamment de ses réflexions sur la « poésie », l’« éloquence » et la « prose », telles qu’elles s’exposent notamment dans le Système des beaux-arts (1920). Prose, éloquence et poésie représentent trois domaines distincts de la littérature et les deux dernières ont ceci en commun que, par leurs moyens propres, elles entraînent le lecteur et le soumettent au mouvement du texte. La poésie accomplit cet effet par des ressources techniques comme le rythme et la rime, tandis que l’éloquence se fie aux enchaînements implacables de l’argumentation rationnelle. Ces deux arts sont volontiers comparés par Alain à la musique : ce sont des arts pour l’oreille, des arts du temps qui ne ménagent pas de place pour l’arrêt, la pause, le retour sur soi. La prose, au contraire, est un art pour l’œil, comparable à la peinture. Elle doit être capable d’arrêter son lecteur, de l’inviter à un retour permanent sur ses pas, de le porter à la méditation, terme important du lexique esthétique alinien[6].
Cette distinction implique une axiologie. La prose est supérieure d’un point de vue épistémique, parce qu’elle favorise la méditation, mais aussi parce qu’elle laisse le soin au lecteur de reconstruire ou d’inventer lui-même les articulations du discours, d’inverser éventuellement les causes et les conséquences, les principes et les conclusions : « Mais la vraie pensée suppose et essaie, sans se lier jamais ; ainsi la prose propose et expose, en sorte qu’on ne peut plus dire si c’est le principe qui prouve la conclusion ou la conclusion qui prouve le principe[7]. » Ensuite, la supériorité de la prose sur la poésie se situe au niveau éthique, car la poésie et l’éloquence sont des « puissances de séduction[8] » – ce mot, utilisé par Guillaume Artous-Bouvet, est à prendre dans son sens étymologique, et avec ses connotations négatives. En particulier, si l’on n’y prend pas garde, la poésie peut être un instrument d’asservissement. Dans un texte posthume intitulé Des causes réelles de la guerre entre nations civilisées, écrit en 1916, le pacifiste Alain note :
Une chanson de marche, même sans parole, dispose déjà notre corps à des actions vives et décidées, et en même temps nous donne des sentiments audacieux et des pensées conquérantes. Je résiste pour ma part à ces effets autant que je le puis, tant qu’ils ne secondent pas une action délibérée ; mais je sens pourtant leur puissance. Jugeons par-là de la puissance des refrains guerriers sur des hommes naïfs et qui croient toujours que leurs sentiments résultent de leurs opinions. Ces effets bien connus et assez grossiers nous font connaître le secret de la poésie[9].
Et, plus loin :
Si un avenir meilleur est possible, il sera œuvre de prose, mais non point plate et vile comme on veut dire. Car la prose a sa beauté et sa force, comme on voit déjà dans Montaigne, La Bruyère, Montesquieu, Stendhal ; je ne compte point comme prose l’éloquence et tout ce qui y ressemble ; non, mais le trait, et la marche boiteuse, la cadence volontairement rompue, le heurt, l’arrêt, signe qu’il faut relire, ou bien méditer[10].
Dans ce partage, Hugo est un poète. En le qualifiant ainsi, Alain ne vise pas seulement son œuvre strictement versifiée : les trois pôles de l’éloquence, de la poésie et de la prose peuvent circuler entre les genres. Ainsi, Balzac pour Alain écrit ses romans en poète (et c’est un tort), contrairement à Stendhal qui est un vrai prosateur[11]. Hugo est défavorablement comparé à Stendhal dans un propos de 1923 : il « n’est que mouvement, rythme, éloquence[12] ». L’association entre poésie et élan guerrier ressurgit ici sous la plume d’Alain. Ainsi :
Ce genre de style [celui de Stendhal] veut qu’on s’arrête et que l’on pense pour soi ; et c’est ce que le poète et l’orateur ne peuvent guère comprendre. Encore moins le politique qui bat du tambour. Tous ces hommes sont des entraîneurs ; ils nous mettent au pas de charge ; et avec défense de regarder derrière soi ; le bruit des pas recouvre les pensées[13].
Alain lecteur de Valéry
L’année 1923 marque un tournant dans les rapports d’Alain à la poésie. Cette année-là, le philosophe publie un propos dont le début sonne comme une autocritique :
Mon esprit, je veux parler à vous, et tenez-vous sage. Avez-vous assez honoré les Muses ? Non pas, à ce que je crois. Mais plutôt, dans le feu de la jeunesse, et vous livrant à cette facilité qui est de vous, vous avez fait sonner ces clefs abstraites du savoir […]. Vous avez donc choisi de philosopher quand c’était le temps de chanter. […] D’où ce mépris pour les poètes[14].
Ce changement d’attitude est contemporain de la découverte de l’œuvre de Valéry, qui enchante le philosophe. L’« Hommage à la poésie » qu’il publiera en 1947 est en fait un hommage à Valéry, mort deux ans plus tôt ; Alain y affirme que Valéry est « le plus grand poète de tous les temps[15] ». Les commentaires qu’il donnera de Charmes et de La Jeune Parque sont d’un lecteur admiratif. Au nom de quoi s’opère cette conversion ?
Premièrement, comme le suggère François Foulatier[16], Alain trouve dans la poésie de Valéry (et dans celle de Mallarmé) des éléments qui jusqu’alors caractérisaient pour lui la prose. Alain accorde ainsi à l’obscurité mallarméenne ou valéryenne le mérite d’arrêter le lecteur. À cet égard Mallarmé est l’anti-Hugo, le poète qui déjoue les pièges et les séductions de l’ampleur rhétorique. Mais il s’agit d’une obscurité particulière, faite pour être vaincue : l’idéal, dit Alain dans un propos de 1927, est la « clarté conquise[17] ». Il faut s’arrêter, prendre son temps, et déchiffrer l’énigme. Cette obscurité fructueuse s’oppose à celle, factice, de certains poèmes de Hugo, et notamment « Ce que dit la Bouche d’ombre » (Les Contemplations) :
Il est ordinaire que l’on pense d’après les poètes. Or [Musset, Hugo, Vigny] ne réveillaient guère. Les nuages de Hugo sont réellement des nuages ; cela est obscur de loin ; quand on est dedans, on n’y voit pas plus clair. […] La bouche d’ombre parle toujours du milieu de l’ancien nuage, marquant les limites du connaître et se repliant en ses volutes de brouillard[18] […].
Autrement dit la poésie valéryenne, comme la prose alinienne, relèvent d’une écriture qui sollicite l’effort du lecteur et qui organise à cette fin sa propre difficulté. L’écriture hugolienne en revanche, et en particulier la poésie hugolienne, ne fait qu’organiser une paresseuse facilité de lecture, mal compensée par des obscurités factices et sans profondeur.
Mais alors on pourrait se contenter de conclure que Valéry et Mallarmé sont en fait des prosateurs déguisés en poète, que leur art relève essentiellement de la prose, de même que Balzac est un poète déguisé en romancier. Or telle n’est pas la position d’Alain. À cette époque, le philosophe mène une réflexion épistémologique sur la nature du savoir poétique, et ce sont Mallarmé et Valéry, là encore, qui lui fournissent l’exemple d’une poésie capable de dire le vrai par la simple exhibition de rapports présents dans les choses et donc, en fin de compte, par la seule monstration du monde. Et c’est à nouveau Hugo qui sert de repoussoir à cause du caractère trop argumentatif de son écriture :
Nous voyons les choses presque toujours selon la logique du prétoire. Dans Hugo elles plaident le oui et le non ; la nature se tient par les raisons. [Mallarmé] est ramené au rapport immédiat ; il n’abrège plus ses comparaisons en métaphores ; mais il faut que la métaphore soit en elle-même idée. Entendez qu’il faut, par la seule juxtaposition, et de hasard, exprimer quelque chose qui soit vrai. Or il n’y a que la nature des choses qui soit vérité par la seule existence. D’où il arrive que ce jeu substantiel cherche le monde et se borne là. L’objet est directement pensé[19].
De ces rapports « sans intermédiaire[20] » que la poésie a pour tâche de dire, Alain ne donne ici pas d’exemples. Dans un texte ultérieur, revenant sur la même idée, il s’appuie sur Valéry, mais aussi sur Hugo :
La vraie poésie décrit peu, et indirectement, souvent par de hardies métaphores qui sont très loin de la chose, comme « le pâtre promontoire » ou « ce toit tranquille » ; mais la vraie poésie fait aussitôt paraître quelque chose. Non pas que l’on voie, car ce ne sont que des éclairs, ce ne sont que des couleurs et des formes non encore rangées ; seulement nous sentons la présence de cet univers[21].
« Ce toit tranquille » vient du premier vers du « Cimetière marin » ; le « pâtre promontoire », lui, se trouve dans « Pasteurs et troupeaux » (Les Contemplations). Il est très significatif que ce soit un stylème typiquement hugolien, qu’Henri Meschonnic appellera plus tard la « métaphore apposition »[22], qui serve à décrire ce pouvoir qu’a la poésie, selon Alain, d’exprimer une vérité sur les choses. À la lumière de l’exemple hugolien, on saisit assez bien ce qu’il veut dire : la métaphore apposition, linguistiquement, combine la désignation (elle désigne l’objet « pâtre promontoire », elle nomme une chose dont l’existence est supposée a priori et n’a pas besoin d’être démontrée) et la prédication (elle affirme que ce promontoire est un pâtre). De même, chez Valéry, la métaphore ce toit tranquille affirme que la mer est un toit, tout en suppléant à la nécessité de le prouver par l’évidence du geste démonstratif du locuteur-poète, et par ce déterminant démonstratif qui porte bien son nom.
Mais Valéry ne se borne pas à fournir des exemples poétiques à Alain ; il influence aussi ses théories. Or Valéry, s’il a comme Alain une conception très essentialiste des régimes discursifs (prose et poésie), propose en revanche une axiologie toute différente puisque chez lui c’est bien la poésie, et la poésie « pure » de préférence, qui exprime le mieux l’essence de la littérature et qui constitue le plus accompli et le plus noble des discours[23]. En s’inspirant visiblement du « Propos sur la poésie » de Valéry (1928), où l’auteur du « Cimetière marin » analyse les effets physiologiques respectifs de la lecture de poésie et de la lecture de roman[24], Alain en vient désormais à saluer, en 1929, « ce chant [poétique] [qui] exprime […] la forme humaine, animée, redressée, heureuse d’une certaine façon[25] ». « Ce chant, poursuit-il, dispose notre corps selon un pas, une allure, une conquête, un départ, un voyage, un retour. Où l’on reconnaît aussitôt la purification musicale[26] […]. » Le rythme et surtout la rime sont les instruments de ces effets. Dans les pages suivantes, le philosophe accorde au « langage poétique » qu’il « communique une majesté à celui qui récite, une retenue, une puissance sur soi, c’est-à-dire une sorte de bonheur ». La poésie prémunit donc contre le malheur, et à ce titre elle est « le seul langage qui convient pour exprimer le malheur », car elle dispose le lecteur ou l’auditeur à refuser de le subir. Elle parvient donc à combiner « l’expression la plus précise de nos malheurs » avec leur neutralisation physiologique : ici, Alain emprunte ses exemples à un poème de Charmes (« Le Narcisse », c’est-à-dire les « Fragments du Narcisse ») et à un corpus romantique très banal, composé du « Lac » de Lamartine, des « Nuits » de Musset et de la « Tristesse d’Olympio » de Hugo[27]. Les effets physiologiques de la poésie ne relèvent plus de l’asservissement, mais au contraire de la libération, de la maîtrise de soi, de l’autonomie.
Or, et c’est un autre point important, Alain suggère que cette capacité d’entraînement physique propre à la poésie, qu’il nomme sa « puissance épique[28] », a elle-même des vertus épistémiques. Le philosophe écrit en parlant de la poésie : « Ici, par la résonance du temps, le monde nous est rendu. Car, par cette marche cadencée du temps unique, tous les événements vont du même pas et nous accompagnent[29]. » Le passage est difficile, mais le philosophe semble vouloir dire que le rythme du poème nous impose une certaine saisie de l’évidence du monde, donc nous communique une forme de vérité qui se confond avec la simple existence des choses (de même que la vérité du « pâtre promontoire », par la magie de la métaphore apposition, se confond avec son existence). C’est Homère, ici, qui fournit les exemples :
Le poète parle : « C’était l’heure où le bûcheron prépare son repas dans la haute montagne… » […] Ces images, innombrables dans Homère, sont à proprement parler les fruits du temps, les pailles au vent, la neige, les flots, ce qui ne peut pas être autre, ce qu’on ne voudrait pas autre. Ces comparaisons sont bien des ornements, mais qui concourent à régler nos pensées et nos sentiments selon la loi universelle. […] La comparaison homérique est comme une vue du monde des forces aveugles un moment suivie, ce qui nous invite à mieux juger les passions[30].
Voilà donc que ce qui était naguère un argument contre la poésie est désormais porté à son crédit. En même temps qu’il souligne la puissance d’entraînement épique et d’excitation corporelle de la poésie, Alain accorde, comme on l’a vu, une valeur épistémique à l’obscurité mallarméo-valéryenne, qui impose l’arrêt du lecteur et sa méditation. C’est pourquoi François Foulatier résume la pensée alinienne de cette époque comme une pensée du compromis, qui semble hésiter entre éloge et condamnation de la poésie[31].
Pour le moment, nous n’avons parlé de Hugo qu’en passant. Alain trouve certains exemples chez lui, le cite parfois comme modèle ou comme contre-modèle, mais ce n’est pas sur Hugo qu’il s’appuie pour élaborer une théorie de la poésie. Cette situation va changer dans les années trente, et notamment en 1935, au moment du cinquantenaire de la mort du poète. Car Alain est sensible aux logiques de commémoration, comme en témoignent non seulement son « Hommage à Victor Hugo » dans Europe mais aussi le grand nombre de propos où il est question de Hugo cette année-là.
Autour de l’« Hommage à Victor Hugo »
L’« Hommage à Victor Hugo » est un texte sinueux, dense, allusif, à peu près impossible à résumer, et dont il serait très périlleux de chercher à proposer un plan. En cela, il est d’ailleurs très conforme à l’idéal de la prose alinienne tel que nous l’avons rappelé plus haut. Notre lecture de ce texte, par conséquent, ne saurait prétendre à un trop haut degré de systématicité. Elle repèrera des thèses et des thèmes saillants, les organisera, les glosera, proposera des interprétations de certains passages, mais laissera nécessairement de côté beaucoup d’aspects et sans doute beaucoup de nuances. D’autres lectures seraient sans doute possibles, qui seraient sensibles à d’autres zones de force de ce texte à la fois beau et difficile.
Dans l’« Hommage à Victor Hugo », l’éloge de la poésie se fonde clairement cette fois sur ses vertus d’entraînement et non sur sa capacité à arrêter le lecteur : le compromis précédent a cédé au profit d’un des deux termes. Le mouvement du poème, explique Alain, « force sur l’idée, et ainsi la prend à la racine » : il donne comme exemple « Ils sont toujours là » (Les Quatre Vents de l’Esprit). Une petite analyse des rythmes, des mètres et des strophes lui permet de conclure que « la forme poétique est par elle-même violente », et qu’elle soutient donc parfaitement le propos politique du poète[32]. Le commentaire stylistique de ce poème est rapide, mais parfois assez technique : Alain note ainsi que les vers à rimes embrassées qui concluent chaque dizain semblent appeler « quelque image énorme »[33].
La difficulté est de comprendre au nom de quoi Alain accepte ici cette séduction exercée par la poésie hugolienne. Car le Hugo dont il parle surtout est le Hugo républicain de l’exil, celui qui tonne contre le mal et contre les tyrans. Il s’agit de vers fortement assertifs, militants, explicitement discursifs qui ne peuvent pas simplement prétendre exhiber des rapports vrais présents dans les choses, comme le « pâtre promontoire » ou « ce toit tranquille », ni nous communiquer l’évidence du monde, comme chez Homère. En fait, le raisonnement d’Alain réconcilie élégamment la double perspective éthique et épistémologique qui animait ses réflexions précédentes : le philosophe semble supposer qu’il y a une évidence des vérités morales, comme il y a une évidence des choses et des rapports d’analogie entre les choses. C’est pourquoi certaines assertions fondamentales du poète n’ont pas besoin de se soumettre au régime de la preuve : il suffit qu’elles soient dites, et soutenues par un rythme poétique, pour qu’elles rencontrent l’adhésion du lecteur. En particulier, Hugo exploite et répète cette vérité morale improuvable et indiscutable qui est que toute tyrannie est inadmissible, que « nul esclavage n’est juste et bon[34] » et qu’il n’y a rien de respectable en soi dans les grandeurs d’établissement et les « valeurs d’apparence[35] ». Ainsi, explique Alain dans un propos de 1935, Homère et Hugo sont poètes parce qu’ils égalisent tous les sujets et toutes les dignités dans leurs vers : « Tous sont égaux devant le poète. » Hugo parle identiquement, dans ses strophes, des rois, des pauvres et des dieux ; flatter le puissant, ce serait mettre en vers ce que le poète a d’abord pensé en prose, ce serait « fléchir le rythme », bref, ce serait n’être plus poète[36]. Mais tout cela, peut-on compléter, repose sur un postulat fondamental, improuvable et indiscutable, et donc bien fait pour la poésie, qui est celui de l’égalité des êtres humains.
Les théories esthétiques d’Alain et son rapport à Hugo s’éclairent donc à la lumière de ce que l’on peut appeler son intuitionnisme moral, peut-être tiré de Rousseau, et poussé jusqu’à des conséquences paradoxales : « C’est le lieu commun qui est le vrai, comme tout poème nous le rappelle[37] », écrit-il. Du reste Alain a visiblement fait lui-même l’expérience de cette rencontre intuitive et affective avec la poésie de Hugo et il n’est pas anodin qu’il le lise très largement au prisme de sa propre philosophie politique, qu’on peut qualifier de libérale : « Hugo est un de ces hommes rares qui remontent toujours à la liberté comme à la source de tout bien. Qu’il s’agisse de l’enseignement, du suffrage, de la presse, du livre, du théâtre, c’est la liberté qui retentit et qui se fait à elle-même écho dans les discours politiques du poète[38]. » Et il ne s’agit surtout pas de justifier par des critères externes cette primauté de la liberté, ce qui relèverait de l’argumentation, donc de l’éloquence ou de la prose, et pas de la poésie.
Un corollaire de cette puissance de la poésie, c’est qu’elle n’admet pas la demi-mesure. En matière de morale, ainsi :
Il fa[ut], par l’humanité même, par l’amour même, supposer […] que tout ce que le prêtre enseigne est vrai. […] Or la prose ne va pas aisément jusque-là. La prose, c’est Voltaire, soucieux de ne pas se nuire à lui-même. Cette prudente morale est faible. Et chacun sait que le miracle des vers est hors des puissances de Voltaire. Le vers, le beau vers, est religieux par lui-même ; il est expérience religieuse. Il nous transporte, et voilà sa preuve[39].
Ce passage aide à comprendre un propos daté du 2 mars 1935, et qui pose :
Hugo doit être tout condamné par un parti, tout sauvé par l’autre. […] En cette année de célébration, il n’arrivera pas une fois qu’un fasciste reconnaisse une belle strophe dans toute l’œuvre ; il n’arrivera pas une fois qu’un ami de l’égalité se moque de quelques vers faibles ; il l’essaiera, il s’en repentira[40].
Alain, assurément, médite à la lumière des événements : il est bien forcé de constater les passions que Hugo déchaîne et les fortes polarisations politiques qu’il suscite. Mais ici, le philosophe amorce également une réflexion sur ce que l’on peut appeler l’intégrité du poète, le terme étant à prendre à la fois dans son sens moral et comme synonyme d’« entièreté ». Contrairement à la prose – voltairienne par exemple – qui raisonne et qui n’est pas loin d’avoir ici le mauvais rôle, ou contrairement à l’éloquence, la poésie ne sait pas s’accommoder du compromis. C’est pourquoi la certitude poétique vaut mieux que l’intelligence raisonneuse de la prose : c’est la leçon qu’Alain tire du poème L’Âne[41].
Mais pourquoi le beau vers est-il « expérience religieuse » ? On peut reconstituer le raisonnement d’Alain à cet égard. La morale est affaire d’absolu, c’est-à-dire d’impératif catégorique : un acte n’est pas authentiquement moral s’il dépend d’une crainte d’un châtiment, celui-ci fût-il divin. Plus particulièrement, cette absoluité de la morale repose, comme dans le fait d’égaliser le rang des petits et des grands, sur une mise à bas des « puissances », et en l’occurrence des puissances capables de châtier, c’est-à-dire de Dieu. « Elles sont précipitées assez bas, en dit Alain, pour qu’on n’ait plus à les craindre, ni même à les prier[42]. » C’est une des grandes leçons que le philosophe tire des Misérables : les dilemmes moraux de Jean Valjean, en effet, ne se font pas sous le regard de Dieu mais sous celui de sa conscience seule ; c’est une idée qui était déjà développée dans un propos de 1932, où il était en outre affirmé que l’incertitude de l’existence de Dieu était la condition d’une conduite authentiquement morale[43]. Cette nécessité morale de l’agnosticisme n’est qu’apparemment contradictoire avec le passage, cité plus haut, selon lequel « il fa[ut] […] supposer […] que tout ce que le prêtre enseigne est vrai ». Alain écrit, dans un propos célèbre, que « toute religion est vraie[44] », non au sens où la lettre de son dogme serait nécessairement vraie, mais au sens où ses dogmes, ses rites, ses pratiques, expriment sous une forme religieuse des vérités plus fondamentales, par exemple de nature morale. Autrement dit, toute religion est vraie dans la mesure où elle est laïcisée. Et pour Alain, Hugo est le poète qui mène à bien cette laïcisation de Dieu, qui ne fait pas de Dieu le principe de la morale mais seulement sa projection (voire sa métaphore). Dans un commentaire implicite sur le poème « La conscience » de La Légende des siècles, le philosophe écrit ainsi : « Ce n’est pas Dieu qui voit Caïn, c’est Caïn qui voit l’œil de Dieu. La religion est un fait de l’homme ; et elle finit par le dire ; car c’est l’homme divin qui est Dieu[45]. » Et c’est même ainsi qu’Alain lit le poème Dieu : « Du paganisme au judaïsme, jusqu’à la conscience de l’homme c’est le chemin de toute métaphore[46] […]. » Cette lecture, contestable autant que stimulante, autorise à penser la poésie selon un paradigme religieux, puisque le poète assume à la place de Dieu la fonction de dire le bien et le mal : c’est le cas chez Hugo (« ce qui retentit dans ces strophes, c’est une sorte de jugement dernier[47] »), mais aussi dans toute poésie authentique en général, car « l’Épique est un jugement dernier[48] ». Ainsi, « la majesté divine [est] remplacée par la majesté du vers[49] ».
Il y a donc aussi un rapport intime entre poésie et « foi », ce dernier terme étant polysémique, et Alain jouant de cette polysémie. Le mot a-t-il chez Alain son sens religieux ? Oui et non : « Je donne à ce mot, dit-il, le sens que le prêtre ne peut pas ne pas lui donner[50]. » Autrement dit, le philosophe laïcise la foi comme il laïcise Dieu, et prétend découvrir dans les acceptions profanes du mot celles que recouvre et contient implicitement l’acception religieuse. Ainsi, le poète est celui qui a « foi » dans les valeurs, mais aussi celui qui a confiance dans l’avenir : cette foi est celle de Hugo parlementaire qui, en 1871, prophétise en poète la future fraternité franco-allemande. Cette foi est bien affaire de poète, car la prose – c’est-à-dire l’intelligence – mégote, discute, s’intéresse aux détails, se cantonne au possible et se défie de l’improbable[51]. Elle est aussi celle qui apparaît dans Dieu et La Fin de Satan : si « l’action pend à l’âme » (Dieu)[52], si « le poids du monde n’est que le poids des fautes » et si « toujours un crime s’autorise d’un crime » [53], alors il faut rompre cette pesanteur de la nécessité par un acte de foi, c’est-à-dire un pardon, à l’instar de Mgr Bienvenu – c’est aussi une leçon des Propos[54] – qui pardonne à Jean Valjean au nom d’une foi dans l’homme. L’attitude de Hugo poète permet donc à Alain de travailler à l’unification des deux sens du mot foi, « croyance » dans quelque chose (dans la vérité des principes moraux, en l’occurrence) et « pari » sur l’avenir.
On peut à présent examiner le statut des différents genres pratiqués par Hugo, et la façon dont tous relèvent à leur manière de ce qu’Alain nomme poésie. Car l’un des objets de l’« Hommage à Victor Hugo » est de définir Hugo comme poète, mais ce terme a un contenu avant tout éthique et psychologique et ne renvoie pas spécifiquement à la pratique d’un genre déterminé. Cette mentalité de poète implique entre autres ce que nous avons plus haut appelé une intégrité, qui rendait Hugo maladroit dans le jeu politique – où règne, selon Alain, l’esprit de compromis et de conciliation. Il arrive que Hugo, à la Chambre, parle en poète ; mais alors il est hué[55]. L’échec parlementaire de Gwynplaine, dans L’Homme qui rit, est lu comme une illustration de ce malaise du poète en politique[56], comme un signe des « échecs remarquables de Victor Hugo en ce monde-là[57] ». Bien loin d’être apparentée comme elles l’étaient dans les années dix et au début des années vingt, la poésie et l’éloquence politique sont désormais perçues comme contradictoires, antinomiques. De là l’échec de Hugo politique, mais cet échec est tout à sa gloire.
Le cas du roman est plus délicat. Depuis les années vingt, beaucoup de propos d’Alain évoquent Les Misérables et en particulier le personnage de Jean Valjean, qui sert de support à des réflexions relevant de la philosophie morale. Ainsi, en 1928, Alain réfléchit sur l’opposition possible entre devoirs privés et devoirs publics à partir de la non-dénonciation de Jean Valjean par l’évêque[58]. Et en 1934, Jean Valjean et Mgr Bienvenu donnent l’occasion à Alain d’examiner la notion de fraternité[59]. On pourrait penser qu’Alain trouve simplement, dans ces deux cas, des exemples réussis d’une prose romanesque capable de suggérer une vérité soustraite au régime de la preuve, donc d’une prose qui tendrait vers la poésie. Mais il est trop simple de s’en tenir là. La partie centrale de l’« Hommage à Victor Hugo » est consacrée aux Misérables et suggère que le roman autorise quelque chose que la poésie ne permet pas, à savoir la prise en compte de l’homme – notamment dans sa dimension psychologique –, l’attention au « moment où l’homme choisit d’être le pire ou d’être le meilleur[60] ». Alain poursuit :
Ici la prose convient ; mais encore faut-il qu’elle garde quelque chose de la hauteur épique. D’où cette prose surabondante, qui cherche encore la strophe, l’écho, la rumeur qui deviendra verbe. Mais toutefois, dans le procès de l’homme, sobre et serrée, comme avare du bien. Et voilà Jean Valjean ; et voilà Les Misérables[61].
Qu’y a-t-il donc de poésie, dans la prose des Misérables ? À quoi tient cette « hauteur épique » ? Précisément, semble-t-il, au caractère absolu de la morale hugolienne telle que l’incarnent Mgr Bienvenu puis Jean Valjean. Les Misérables utilisent donc apparemment les ressources de la prose, mais c’est au service d’un discours moral qui, lui, ne peut être réellement assumé qu’en poète – et en retour cette dimension épique et poétique du roman infléchit son écriture, puisqu’il reste dans le roman quelque chose de la « strophe » poétique. Hugo orateur politique et Hugo romancier sont donc encore des poètes (pour le pire et pour le meilleur, respectivement) : être poète désigne donc davantage qu’une simple pratique des vers, mais bien aussi une dignité, une majesté, une hauteur morale particulières, qui donne le pouvoir d’écrire sous le régime de l’absolu.
Conclusion
Comme nous l’avons suggéré plus haut, l’une des questions essentielles est peut-être de savoir qui représente aux yeux d’Alain la figure par excellence du poète, entre Hugo et Valéry. La réponse paraît claire : la découverte de Valéry a été pour lui, de toute évidence, un événement majeur. L’hommage à Valéry paru en 1947 dans le Mercure de France s’intitule « Hommage à la poésie », ce qui est significatif. Il n’empêche : bien que son titre ne l’indique pas, l’« Hommage à Victor Hugo » de 1935 est aussi, très largement, un hommage à la poésie – mais à une poésie qui, dans ce cas, n’est que rarement superposable à celle dont il avait cru pouvoir dégager l’essence à partir de sa lecture de Valéry. L’« Hommage à Victor Hugo » de 1935 est un éloge sans réserve ; un propos, comme on l’a vu, l’en avait justifié en indiquant que « Hugo doit être tout condamné par un parti, tout sauvé par l’autre ». Alain, homme de gauche, antifasciste, est évidemment de ceux qui le sauvent. Or l’éloge d’Alain, assez largement, se passe de Valéry[62] : il n’y est pas question de l’obscurité féconde de la poésie, ni de l’intérêt d’arrêter la marche du lecteur ; l’influence physique du poème sur le lecteur n’est plus pensée selon le paradigme du « chant » (lyrique) mais bien selon le paradigme du mouvement vers l’avant (épique, selon l’emploi qu’Alain fait de cet adjectif). Alain, quand il se penche sur Hugo, parle essentiellement de son œuvre de l’exil et d’après, en allant des textes les plus connus (Les Misérables) aux plus confidentiels (L’Âne, certains poèmes des Quatre Vents), en passant par les grands poèmes posthumes. C’est ce Hugo-là qui est au cœur de sa réflexion sur la poésie, parce que c’est, en fait, avec lui qu’il a des affinités idéologiques (politiques et philosophiques), bien davantage qu’avec un auteur conservateur comme Valéry. Alain est sensible au libéralisme de Hugo, à sa morale déontologique, à sa foi dans l’homme, à son refus farouche de toute oppression ; la lecture qu’il en donne n’est peut-être pas absolument convaincante sur tous les points (il va peut-être un peu loin dans sa laïcisation de l’idée de Dieu), mais elle l’est assez largement et elle porte témoignage d’une compréhension intime du poète par le philosophe. À ce titre, Alain est l’une des grandes victimes ou l’un des grands bénéficiaires de cette séduction poétique qu’il a fini par admettre et par admirer.
[1] Émile Chartier, dit Alain (1868-1951) devient professeur de philosophie 1892 ; à partir de 1909, il officie dans la khâgne du lycée Henri-IV, où il marquera plusieurs générations d’élèves. En 1906 (et jusqu’en 1936), il commence à publier en revue de nombreux Propos qui constituent une part importante de son œuvre. Sa philosophie consiste en « un robuste rationalisme, un kantisme étrangement promené à travers d’infatigables observations de choses et de gens » (Michel Mourre, « ALAIN Émile-Auguste », in Laffont-Bompiani, Le nouveau dictionnaire des auteurs de tous les temps et de tous les pays, vol. 1, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1994, p. 35). À cela s’ajoute, en politique, un parti pris de l’individu contre les pouvoirs et les tyrannies (ibid., p. 36). Compagnon de route du Parti radical, dont il est le philosophe quasi-officiel, il participe également, en 1934, à la création du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes.
[2] Thierry Leterre, « Alain critique philosophe », Mil neuf cent, no 26, janvier 2008, p. 96.
[3] alain, Propos, vol. 1 (éd. Maurice Savin), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1956 ; Alain, Propos, vol. 2 (éd. Samuel Silvestre de Sacy), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1970.
[4] Guillaume Artous-Bouvet, « La prose comme pensée en discours », in Michel Murat, Frédéric Worms (dir.), Alain, littérature et philosophie mêlées, Paris, Éditions Rue d’Ulm, coll. « Figures normaliennes », 2012, p. 66.
[5] François Foulatier, « La priorité du poète », Le site Alain, http://alinalia.free.fr/spip.php?article82, consulté le 3 octobre 2018.
[6] Alain, Système des beaux-arts [1920], in Alain, Les arts et les dieux (éd. Georges Bénézé), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1958, notamment p. 270 sqq. et p. 438-446.
[7] Ibid., p. 445.
[8] Guillaume Artous-Bouvet, « La prose comme pensée en discours », art. cit., p. 60.
[9] Alain, De quelques-unes des causes réelles de la guerre entre nations civilisées (éd. François Foulatier, R. Foulatier et al.), Le Vésinet, Institut Alain, 1988, p. 106.
[10] Ibid., p. 108.
[11] Judith Robinson, Alain lecteur de Balzac et de Stendhal, Paris, José Corti, 1958, p. 211-212.
[12] Alain, propos n° 380 [1923], in Alain, Propos, vol. 2, op. cit., p. 587.
[13] Id.
[14] Alain, « Mon esprit, je veux parler à vous... » [1923], in Alain, Propos, vol. 1, op. cit. p. 500.
[15] Alain, « Hommage à la poésie » [1947], in Alain, Humanités, Paris, Presses universitaires de France, 1960, p. 153.
[16] François Foulatier, « La priorité du poète », art. cit.
[17] Alain, « Pensée, fille de poésie » [1927], in Alain, Propos, vol. 1, op. cit., p. 743.
[18] Ibid., p. 742.
[19] Alain, propos n° 407 [1924], in Alain, Propos, vol. 2, op. cit., p. 633.
[20] Id.
[21] Alain, propos n° 437 [1927], in Alain, Propos, vol. 2, op. cit., p. 687.
[22] Henri Meschonnic, Pour la poétique, t. 4 : « Écrire Hugo », vol. 1, Paris, Gallimard, coll. « Le chemin », 1977, p. 256-286.
[23] Voir par exemple Paul Valéry, « Avant-propos », in Paul Valéry, Œuvres, vol. 1 (éd. Michel Jarrety), Paris, Librairie générale française, coll. « Le Livre de poche – La Pochothèque », 2016, p. 756-757. Dans ce texte, Valéry parle de « poésie à l’état pur » plutôt que de « poésie pure ».
[24] Paul Valéry, « Propos sur la poésie », in Paul Valéry, Œuvres, vol. 1, op. cit., p. 1738-1739.
[25] Alain, « Septième leçon » [1929], in Alain, Les arts et les dieux, op. cit., p. 514-515. François Foulatier souligne l’influence valéryenne dans la mobilisation par Alain de la catégorie critique du « chant » (François Foulatier, « La priorité du poète », art. cit.).
[26] Alain, « Septième leçon », texte cité, p. 515. Alain parle de « purification » ; le vocabulaire de la pureté, et notamment l’adjectif pur, se trouve très fréquemment chez Valéry (notamment dans sa poésie).
[27] Ibid., p. 516.
[28] Ibid., p. 519.
[29] Ibid., p. 518.
[30]Id.
[31] François Foulatier, « La priorité du poète », art. cit.
[32] Alain, « Hommage à Victor Hugo » [1935], in Alain, Humanités, op. cit., p. 123.
[33] Id.
[34] Ibid., p. 118.
[35] Ibid., p. 127.
[36] Alain, « La position du poète » [1935], in Alain, Propos, vol. 1, op. cit. p. 1259.
[37] Alain, « Hommage à Victor Hugo », art. cit., p. 116. Sur l’origine rousseauiste de cet intuitionnisme alinien, voir Alain, Histoire de mes pensées [1936], in Alain, Les arts et les dieux, op. cit., p. 42 sqq., et Alain, Définitions [1953], in Alain, Les arts et les dieux, op. cit., p. 1045 ; voir aussi le commentaire d’A. Carnec (dont le prénom complet n’est pas indiqué) dans A. Carnec, « Alain et Jean-Jacques Rousseau », bulletin de l’Association des amis d’Alain, n° 29, novembre 1969, p. 35.
[38] Alain, « Hommage à Victor Hugo », art. cit., p. 118. Les nombreux points par lesquels Alain se rattache à la tradition du libéralisme ont été examinés dans Thierry Leterre, « Alain et le libéralisme », bulletin de l’Association des amis d’Alain, no 79, juin 1995, p. 64-74.
[39] Alain, « Hommage à Victor Hugo », art. cit., p. 137-138.
[40] Alain, propos n° 615 [1935], in Alain, Propos, vol. 2, op. cit., p. 1048-1049.
[41] Alain, « Hommage à Victor Hugo », art. cit., p. 118-119.
[42] Ibid., p. 130.
[43] Alain, « Dieu incertain » [1932], in Alain, Propos, vol. 1, op. cit., p. 1097.
[44] Alain, « L’homme devant l’apparence » [1924], in Alain, Propos sur la religion, Paris, Rieder, 1938, p. 204.
[45] Alain, « Hommage à Victor Hugo », art. cit., p. 132-133.
[46] Ibid., p. 133.
[47] Alain, propos n° 615, texte cité, p. 1049.
[48] Alain, « Hommage à Victor Hugo », art. cit., p. 120.
[49] Ibid., p. 124.
[50] Ibid., p. 135.
[51] Alain, « Hommage à Victor Hugo », art. cit., p. 134.
[52] Cité ibid., p. 139. Voir Victor Hugo, Dieu, in Victor Hugo, Œuvres complètes : poésie IV (éd. Jacques Seebacher, Guy Rosa et al.), Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », p. 698.
[53] Alain, « Hommage à Victor Hugo », art. cit., p. 140.
[54] Alain, « L’humeur et le caractère » [1924], in Alain, Propos, vol. 1, op. cit., p. 590.
[55] Alain, « Hommage à Victor Hugo », art. cit., p. 134-135.
[56] Ibid., p. 121-122.
[57] Ibid., p. 117.
[58] Alain, propos n° 474 [1928], in Alain, Propos, vol. 2, op. cit., p. 757.
[59] Alain, « Fraternité difficile » [1934], in Alain, Propos, vol. 1, op. cit., p. 1236.
[60] Alain, « Hommage à Victor Hugo », art. cit., p. 128.
[61] Id. Cette idée d’un Hugo poète dans Les Misérables était déjà allusivement exprimée dans un propos de 1928 (Alain, « Le gobe-mouches » [1928], in Alain, Propos, vol. 1, op. cit., p. 779). L’annexion des Misérables à la poésie est plus généralement un topos critique, beaucoup d’auteurs étant désemparés face à ce roman-monstre qui correspond si mal au paradigme balzacien et que l’on cherche du coup à tirer vers un autre genre. Rimbaud déjà, dans la « Lettre du voyant », écrivait que « Les Misérables sont un vrai poème » (c’est lui qui souligne) (Arthur Rimbaud, lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871, in Arthur Rimbaud, Œuvres complètes – Correspondance (éd. Louis Forestier), Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1992, p. 236).
[62] Signalons pour être complet qu’il y a bien encore, dans les années trente, quelques textes où Alain semble tenter une lecture valéryenne de Hugo et cherche à utiliser l’exemple hugolien en vue d’une approche techniciste de la poésie – dans ce cas, le philosophe évoque les « Djinns », dans Les Orientales, ou bien tels jeux d’écolier relevant de l’écriture à contrainte, et non de l’œuvre ultérieure (voir par exemple Alain, propos n° 620 [1935], in Alain, Propos, vol. 2, op. cit., p. 1060-1061, et Alain, « Le poète et son roi » [1938], in Alain, Humanités, op. cit., p. 41). Mais là n’est pas le cœur des lectures aliniennes de Hugo à cette époque.