Le tableau ci-dessus indique qu’au
  commencement de l’introduction de Hugo en Chine, les traducteurs font preuve
  d’un intérêt notable pour les histoires d’amour de l’écrivain, y compris à
  travers des photos de Victor et d’Adèle, des anecdotes sur Hugo et ses
  amoureuses, et surtout au travers de la correspondance entre Hugo et Adèle
  Foucher ou Juliette Drouet, ce qui conduit les lecteurs d’alors à concevoir cet
  écrivain français comme un grand amant. Par rapport aux traductions non
  systématiques des œuvres hugoliennes au début du XXe siècle, c’est
  plutôt cette série d’articles et de traductions sur les histoires d’amour qui
  fait naître la première impression sur Hugo chez les lecteurs chinois. Il est à
  noter que pendant cette période d’introduction, les termes romantisme (langman zhuyi), romantique (langmande) et amour (qingshi)
  sont très présents et qu’ils coexistent souvent dans les discours des critiques
  chinois. Par exemple, dans son article intitulé « L’histoire d’amour de V.
  Hugo », Yang Changxi souligne qu’« [i]l paraît que ce géant du
  romantisme préfère entretenir des relations avec des femmes romantiques »[3].
  Évidemment, l’adjectif romantique ici employé pour qualifier les
  amoureuses de Hugo n’a rien à voir avec le romantisme littéraire dont
  font partie les œuvres hugoliennes. Mais la juxtaposition des deux mots nous
  révèle en réalité une banalisation du romantisme au début de
  l’introduction de Hugo en Chine, donnant une dimension sentimentale et
  amoureuse à la traduction chinoise de ce terme littéraire. Bien que cette
  banalisation sémantique soit provisoire et partielle dans l’histoire de la
  réception de Hugo en Chine, cela n’empêche que cette image d’un « grand
  amant » constitue une phase importante de la compréhension du romantisme
  hugolien par le lectorat chinois. 
Mais pourquoi cet intérêt pour
  les histoires d’amour de l’écrivain ? En fait, cette banalisation n’est
  pas une singularité chinoise. Dans son introduction du Dictionnaire du
    romantisme, Alain Vaillant a consacré un sous-chapitre à
  l’ « Amour », en soulignant que « (s)elon un cliché banal,
  tous les grands amoureux sont romantiques – et réciproquement, à en croire les
  biographies des écrivains célèbres du XIXe siècle.[4] »
  Au lieu de rejeter ce « cliché banal », il justifie sa légitimité par
  l’un des idéaux romantiques : la synthèse du physique et du métaphysique,
  du corporel et du spirituel. D’où l’auteur déduit que « [s]i le romantisme
  est la fusion harmonieuse du spirituel et du corporel, l’amour réalisé dans sa
  plénitude, qui implique communion non d’un, mais de deux corps et de deux
  esprits, est un romantisme au carré. En ce sens, il n’est pas de but plus
  élevé que puisse se fixer un vrai romantique qu’un amour idéal.[5] »
  Jusqu’ici, notre question semble être en partie expliquée. Mais à part ce
  cliché répandu, motivé par le désir profond du romantisme lui-même, nous
  voudrions questionner les raisons spécifiques de cette banalisation en Chine,
  car pour la Chine d’alors, qui n’a pas connu toute l’histoire du romantisme
  occidental, l’explication ci-dessus n’est pas complètement convaincante. Selon
  nous, ce phénomène résulte de deux raisons plus précises : l’influence du
  courant littéraire de l’époque et la façon dont on interprétait le romantisme
  occidental. 
D’abord, comme tout le monde le
  sait, depuis le début du XXe siècle, nombreux sont ceux qui
  pratiquent à la fois l’écriture et la traduction en Chine. De grands écrivains
  chinois de l’époque, comme Lu Xun et Guo Moruo, sont aussi de bons traducteurs.
  Ainsi peut-on supposer que les points de vue de ces traducteurs-auteurs ont
  sans doute influencé leur choix de traduction. Dans cette hypothèse, deux noms
  parmi les traducteurs-critiques affichés dans le tableau ci-dessus attirent
  notre attention : Jing Jisen et Zhou Shoujuan. Tous les deux partagent une
  même identité : ce sont des écrivains de la fameuse « École des canards
  mandarins et des papillons » (Yuanyang hudie pai). Bien qu’à
  l’époque cette école soit censée être un « contre-courant » par
  rapport à la modernisation et l’occidentalisation de la littérature chinoise,
  elle exerce toutefois, avec la « Révolution du roman » initiée par
  Liang Qichao, une influence importante sur le goût et la création littéraires
  depuis la fin de la dynastie des Qing jusqu’au début de la République de Chine.
  Si cette école est ainsi nommée, c’est parce qu’elle « prend pour thème
  majeur l’amour et le mariage entre hommes et femmes, le contenu essentiel des
  romans de ce genre étant l’histoire d’amour entre jeunes lettrés et belles femmes.
  Ce nom vient justement de la popularité de ces romans d’amour et surtout de
  ceux qui racontent des histoires d’amour tragiques[6]».
  Rien d’étonnant donc à ce que des traducteurs comme Jing Jisen et Zhou
  Shoujuan, influencés par cette tendance littéraire, aient privilégié le sujet amoureux
  en introduisant celui qu’ils nomment le « géant du romantisme ».
Ensuite, cet engouement
  spécifique des traducteurs d’alors n’est pas sans rapport avec la réception
  générale du romantisme occidental en Chine au début du XXe siècle.
  Selon Ou Fan Leo Lee, professeur à l’Université chinoise de Hongkong :
  « On peut dire que pendant dix ans (1920-1930), la Chine se remplit d’un
  siècle de romantisme européen. Au cours de cette décennie, le milieu littéraire
  chinois peut être défini, si j’ose le dire, comme celui d’une
  époque romantique. » [7] Cette explosion du romantisme en Chine a connu, inévitablement, une
  interprétation déformée et banalisée. En 1926, le grand intellectuel chinois
  Liang Shiqiu a déjà souligné cette « localisation » du terme dans son
  article intitulé « La tendance romantique de la littérature chinoise
  moderne », en disant que cette tendance romantique dans la Chine d’alors
  est en fait un lyrisme. La preuve : « Ces dernières années, on
  compte une quantité innombrable de poèmes d’amour. Il n’y a aucun journal ni
  magazine qui ne publie de poèmes d’amour. »[8] Dans ce contexte socio-historique, ce goût du lyrisme dans le milieu
  littéraire a certainement influencé les choix des traducteurs de l’époque,
  conduisant au penchant indéniable pour les histoires d’amour de Hugo dans sa
  traduction en Chine.
Ainsi peut-on voir que le lyrisme sous forme de lettres d’amour constitue un aspect essentiel de la réception
  chinoise de Victor Hugo au cours des vingt voire trente premières années du XXe 
  siècle. Cela se traduit non seulement par le choix des traductions, mais aussi
  par la critique hugolienne de l’époque. Dans son recueil d’essais De Victor
    Hugo à Lu Xun publié en 1931, Zhang Ruogu consacre un article à Hugo et Hernani,
  dans lequel il critique le romantisme et la création romantique de l’auteur. Selon lui, la littérature romantique est « une pure écriture de
  sentiments et l’expression de passions [9]».
  Afin de soutenir ce caractère « passionné » du romantisme, il
  analyse ainsi les personnages dans Hernani :
   
Voyons
  ces quatre personnages de caractères différents, s’ils se comportent
  anormalement, contre leur nature, c’est simplement dû à l’amour, rien de plus.
  Trois hommes et une femme, en se disputant un amour insatisfaisant, éveillent
  en eux une passion frénétique, et cette passion qui brûle transforme inconsciemment
  leur caractère habituel. D’où nous pouvons conclure qu’il est incontestable que
  la « passion » est la particularité du romantisme[10].
 
Dans son analyse d’Hernani,
  Zhang Ruogu évoque l’opposition entre le romantisme et le classicisme et la préface de Cromwell, considérée comme le manifeste du drame romantique,
  mais il met l’accent sur la « passion » qui est pour lui la véritable
  essence du romantisme. Par conséquent, bien qu’il connaisse déjà en
  partie la définition plus ou moins interne du terme romantisme, son
  interprétation d’Hernani porte toujours sur l’amour et la passion des
  personnages. C’est justement cette perspective qui caractérise la réception
  hugolienne d’alors et constitue ainsi la première image romantique de
  l’écrivain en Chine. Et, de surcroît, cette image attire encore davantage l’attention
  des traducteurs sur les amours de Hugo. En 1935, The Commercial Press (Shangwu
    yinshuguan) a publié Lettres d’amour de Victor Hugo. Lettres à la
      fiancée (Xiao’e de qingshu), traduit par Gu Weixiong, regroupant des
  lettres d’amour à Adèle entre 1820 et 1822. Dans la préface du livre, le
  traducteur estime aussi que ces lettres sont « passionnantes » parce
  qu’on y reconnaît « une passion vibrante »[11].
  Cette idée fait exactement écho à l’interprétation de Zhang Ruogu. À la fin de
  cette préface, le traducteur conclut qu’à travers ces grandes lettres d’amour,
  les lecteurs peuvent « entrevoir toute la vie »[12] de l’écrivain français, ce qui étaye notre hypothèse.
En réalité, cette compréhension
  du romantisme hugolien ne se limite pas au début du XXe siècle. À mesure que l’introduction de Hugo est plus complète et approfondie,
  le thème de l’amour n’est certes plus la préoccupation la plus importante des
  traducteurs, mais ce sujet reste quand même une voie accessible au lectorat
  chinois pour comprendre l’écrivain français. Même de nos jours, nous constatons
  toujours des œuvres traduites de ce genre. En 1988, par exemple, les éditions Huayue
    wenyi chubanshe (华岳文艺出版社)
  ont réédité Lettres d’amour de Victor Hugo. Lettres à la fiancée, traduit
  par Gu Weixiong (《雨果的情书——寄给未婚妻的信札》).
  La même année, les éditions Hunan wenyi chubanshe (湖南文艺出版社)
  ont publié Anthologie des lettres d’amour de Victor Hugo (《雨果情书选》),
  traduit par Baiding. Ensuite en 2005, les éditions Zhongguo zhigong chubanshe (中国致公出版社)
  ont fait paraître un livre intitulé Les amoureuses de Victor Hugo : un
    monde d’émotions (《雨果的女性情感世界》)…
  Ce penchant particulier du milieu éditorial nous amène alors à supposer qu’en
  Chine, le thème de l’amour est sans doute essentiel pour comprendre le romantisme de Victor Hugo, ou le romantisme tout court. Comme l’atteste le
  sinologue français Joël Bellassen, « ce concept (le romantisme) est
  emprunté en Chine par l’imitation de la prononciation, mais les caractères
  chinois qu’on emploie pour la transcription phonétique gardent toujours leurs
  sens originaux ». Et ce qui est plus essentiel et plus fatal, selon Bellassen,
  c’est qu’au début du XXe siècle, lors de l’introduction de ce terme
  en Chine, « on n’a pas tenu compte du contexte historique, idéologique et
  culturel de ce mot, on ne connaissait pas cette époque depuis Lamartine jusqu’à
  Victor Hugo »[13].
 
 
2.       Le romantisme de Hugo : l’approfondissement de la compréhension et
  l’influence politico-idéologique
À travers les analyses faites
  plus haut, il nous paraît juste de croire que « l’image de l’étranger est
  un puissant révélateur des options et des opinions de la culture regardante [14]».
  Depuis les années 1930, la traduction de Hugo en Chine connaît un essor. En
  tant que sujet « regardant », le lectorat chinois acquiert
  ainsi une connaissance plus approfondie sur l’auteur français, et notamment sur
  son romantisme, cette fois-ci au sens stricte du terme.
En effet, à partir des années
  1930, on constate une augmentation remarquable de la quantité des traductions
  et des critiques littéraires au sujet des œuvres hugoliennes. D’une part, les
  œuvres principales dans les différents genres sont successivement traduites et
  publiées sous forme de livre : on recense des romans tels que Les Misérables, Notre-Dame de Paris, Quatrevingt-treize et Le Dernier Jour
    d’un condamné, des pièces de théâtre telles que Hernani, L’épée et Angelo, des recueils des poèmes tel que Recueil de poèmes de Victor
      Hugo (traduit par Wen Jiasi, publié en 1954 aux Éditions Zuojia chubanshe),
  etc. En même temps, il est à noter que pour certaines œuvres, en particulier
  pour les romans, on trouve plusieurs traductions[15].
  Par rapport aux textes d’introduction et aux textes sur la vie privée de Hugo,
  cette abondance des traductions offre aux lecteurs chinois la possibilité de
  comprendre vraiment l’écrivain et son romantisme. D’autre part, la
  critique littéraire sur Hugo de cette époque-là s’avère plus riche et plus
  subtile, prenant le romantisme (en un sens plus strict) comme un point
  important dans la compréhension de la création littéraire hugolienne. En 1935,
  notamment, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort de Hugo,
  plusieurs revues littéraires chinoises ne tardent pas à publier un numéro spécial
  pour la commémoration de l’écrivain, dont Wenyi yuekan (Revue des
    arts et des lettres) et Zhongfa daxue yuekan (Revue de
      l’université franco-chinoise). Ces deux revues cherchent à présenter une
  image globale de Hugo à travers des textes et des photos. Après avoir parcouru
  leurs articles, nous constatons que plusieurs d’entre eux parlent de la Préface
  de Cromwell et d’Hernani, tout en attribuant à Hugo le titre du « chef
  de fil du romantisme ». Xu Zhongnian, par exemple, avance ainsi son point
  de vue dans un article intitulé « De Hugo », publié dans la Revue
    des arts et des lettres :
     
La Préface
  de Cromwell de 1827 est en fait un coup de foudre secouant tout le
  milieu littéraire. Dès lors, Hugo n’est plus simplement un bon écrivain
  romantique, mais est promu son leader ! […] Si la Préface de Cromwell n’est
  que le canon théorique, c’est Hernani qui joue le rôle de canon sur
  scène […] [16]
 
Xu Jiqing reprend le même sujet
  dans son article intitulé « Le caractère et la pensée de Hugo »,
  publié dans la Revue de l’université franco-chinoise : 
   
Dans
  la Préface de Cromwell, il prétend que le classicisme est trop solennel,
  trop rigide, faisant de la littérature un corps sans âme, un portemanteau qui
  n’a qu’un manteau ; par conséquent, il préconise l’abolition des
  « règles des trois unités » et l’ajout du grotesque.[17]
 
Grâce à la lecture de la Préface
  de Cromwell et d’Hernani, les lecteurs chinois ont pu approfondir
  leur compréhension du romantisme de Victor Hugo tant sur le plan théorique que
  sur le plan pratique. Mais malgré ce progrès qui précise l’image romantique de l’écrivain qu’ont les lecteurs chinois, l’interprétation en cours à cette
  époque n’a pas pu échapper à l’influence d’un contexte socio-historique
  singulier. Par rapport à la création littéraire elle-même, les
  traducteurs-critiques s’intéressent davantage à la position de classe de Hugo.
  Ainsi les interprétations de l’époque sont-elles fortement influencées par le
  facteur idéologique. Les critiques emploient donc le marxisme dans leur
  critique littéraire.
En 1935, Mao Dun, grand écrivain
  et futur ministre de la culture de la Nouvelle Chine, a publié un article
  intitulé « Hugo et Les Misérables », en mettant aussi l’accent
  sur le romantisme de l’auteur en question. Mais ce qui le distingue des textes
  critiques des vingt premières années du siècle, c’est qu’il est imprégné de la
  théorie des classes sociales de Karl Marx. Ainsi l’auteur explique-t-il la conversion
  de Hugo au romantisme : « L’évolution de la pensée de Hugo ne trouve
  pas sa racine dans l’individu même de l’auteur. Ce n’est pas parce
  qu’ “ il a reçu une formation classicisante et était pourtant
  habité par un instinct romantique”, mais parce qu’il est né au moment où la
  conscience de la bourgeoisie se réveillait et qu’il a su exprimer cette
  conscience finement et fidèlement. [18]»
  Selon Mao Dun, Hugo révèle « les caractéristiques d’un
  petit-bourgeois », alors que le romantisme mené par Hugo est aussi
  « un mouvement littéraire de la bourgeoisie (industrielle)»[19].
  Quant aux personnages sous la plume de l’écrivain, il continue sa démonstration
  : « En tant que romantique, il a besoin des personnages et des choses singuliers
  et exceptionnels ; c’est pourquoi la vie des petits bourgeois ordinaires
  ne l’intéresse pas. Par conséquent, il n’a pu que choisir comme personnages des
  nobles devenus traîtres à cause du déclin, ainsi que des prostituées, des
  bâtards et tous les marginaux »[20] On peut voir que l’auteur emploie ici la même perspective, qui est celle
  de la théorie des classes sociales. Par la suite, il développe cette idée en
  expliquant la relation entre l’évolution des classes sociales et les écoles
  littéraires, surtout celle entre le romantisme et le réalisme : 
   
Pour
  que la bourgeoisie devienne l’héroïne des œuvres littéraires et artistiques, ou
  autrement dit, pour que la littérature et l’art reflètent le monde entier de la
  bourgeoisie, il faut attendre plus tard (mais pas longtemps), au moment où la
  bourgeoisie a pu établir sa domination et créer sa propre culture, et qu’elle a
  créé enfin l’art réaliste. La forme artistique propre à la bourgeoisie, c’est
  le réalisme. Le romantisme n’est qu’une transition entre le classicisme et le
  réalisme ; sa vocation principale est de déblayer le chemin pour le
  réalisme à venir. Dans l’histoire littéraire française, Hugo a accompli cette
  vocation. Pourtant, puisque le romantisme est la négation du classicisme, il
  peut être ainsi appelé la première phase du développement de la littérature de
  la bourgeoisie. [21]
   
Ce commentaire de Mao Dun exprime
  une compréhension marxiste de la littérature et de son évolution historique. La
  singularité de cette interprétation est en fait étroitement liée à la diffusion
  du marxisme en Chine au XXe siècle. En tant qu’écrivain profondément
  influencé par ce courant idéologique, Mao Dun ne tarde pas à prendre la théorie
  des classes sociales comme l’outil prépondérant pour connaître le romantisme de Hugo. En fait, parmi les contemporains de Mao Dun, nombreux sont ceux qui
  partagent ce point de vue. En 1942, un article intitulé « Biographie critique
  du grand écrivain français Victor Hugo », signée Ti Er, emploie la même
  perspective que Mao Dun :
   
Victor
  Hugo est un grand maître du mouvement romantique. Après la Révolution française,
  toutes les organisations sociales, politiques et économiques se sont engagées
  sur la voie du capitalisme. Dans cette circonstance, la naissance du réalisme
  est une nécessité. Mais avant que le réalisme ne voie le jour, il lui manque un
  pont convenable, et c’est ainsi qu’est née le romantisme. Le romantisme est à
  la fois l’arme acérée pour balayer le classicisme et le précurseur de la
  construction du réalisme […] [22]
 
L’analogie entre ces deux
  critiques manifeste l’existence d’un consensus dans les années 1930-1940 sur la
  compréhension du romantisme hugolien. Après la fondation de la Nouvelle
  Chine, c’est-à-dire dans les années 1950, cette tendance d’interprétation devient
  de plus en plus notable chez les critiques. Comme Shen Dali le souligne :
  « après la Libération en 1949, répondant à l’appel de Mao de se ranger du
  côté de l’Union soviétique, la critique chinoise a adopté les thèses de Marx
  sur la littérature. […] certains critiques orthodoxes ont tenu Victor Hugo pour
  un “écrivain bourgeois”.[23] »
En 1952, à l’occasion du
  cent-cinquantième anniversaire de Hugo, la Chine a déclenché une nouvelle vague
  de commémorations. Le 4 mai 1952, à cette date bien significative,
  l’écrivain-traducteur Wen Jiasi, ancien élève de l’Université de Paris, a
  publié dans le Guangming Daily, l’un des journaux officiels du Comité
  central du PCC, un article intitulé justement « Victor Hugo » dans
  lequel l’auteur a réaffirmé l’importance de la Préface de Cromwell contre le classicisme, et a mis encore une fois l’accent sur la relation entre
  les trois courants littéraires successif : « La fameuse Préface de Cromwell de Hugo est non seulement le manifeste du romantisme français, mais aussi un phare
  pour le réalisme français. La position de Hugo correspond totalement au
  processus principal du développement de l’art français qui passe du classicisme
  au réalisme, et ses œuvres sont justement la pratique de sa théorie
  littéraire. [24]»
  Dans ce passage, nous reconnaissons la même idée que les deux critiques
  mentionnées plus haut. 
La même année, Li Jianwu, lui
  aussi ancien élève de l’Université de Paris, a publié sa traduction de L’Épée[25].
  Dans sa longue préface de traducteur, Li résume la vie, la pensée et la
  création littéraire de Hugo, tout en adoptant un langage révolutionnaire et une
  vision littéraire toujours marxiste. Il considère Hugo comme un
  « combattant ». D’après lui, tout ce que fait Hugo, y compris dans le
  mouvement romantique, est au service de la lutte et du
  peuple : « Pour Hugo, un poète est aussi un combattant, ils
  partagent la même vocation. Ce n’est que dans le courant torrentueux de
  l’époque que le romantisme et la lutte peuvent s’élever d’un sentiment privé passif
  à un résultat glorieux. [26]»
  Quant au romantisme de l’écrivain, Li se réfère aussi à la Préface de Cromwell et souligne que Hugo « a proposé une définition fiable pour le romantisme »
  qui est « la libération de la littérature. Un nouveau peuple. Un nouvel
  art. » Dans cette libération romantique, le poète a trouvé donc
  « une forme libre, une arme pratique ». Ainsi le poète Hugo devient-il
  « le propagandiste, l’éducateur qui doit être utile au peuple »[27].
  Mais en même temps, Li indique la limite qu’impose à Hugo son appartenance de classe : 
   
Hugo
  est progressiste ; par plusieurs aspects, il montre une tendance à se
  détacher de la bourgeoisie corrompue. Mais l’Histoire lui impose des
  restrictions, ses habitudes lui en imposent aussi ; de plus, et plus
  gravement, les pensées et les sentiments de sa classe sociale le restreignent.
  Par conséquent, bien qu’il soit révolutionnaire à l’époque et qu’il soit
  considéré comme traître par sa classe, le chemin de sa pensée est toujours
  limité par l’idéologie de sa classe. Ses réalisations appartiennent à l’horizon
  du réformisme.[28]
 
Dans cette préface, le
  traducteur fait l’éloge, nous l’avons vu, de la qualité révolutionnaire et
  combattante du romantisme hugolien, mais aussi de son choix de prendre
  le parti du peuple. Cependant, du point de vue de la lutte des classes, Li
  critique le fait que l’écrivain français est emprisonné dans sa classe
  bourgeoise, rétrograde par rapport à un prolétariat considéré dans la Chine de
  l’époque comme la classe sociale la plus avancée. C’est en ce sens que Li conclut :
  « Qu’on laisse juger l’Histoire son horizon borné, dû à sa classe »[29].
L’étude de la réception de Hugo
  en Chine pendant les années 1930-1950 nous révèle une singularité sans pareil
  de l’époque, qui fait grandement évoluer l’image romantique de
  l’écrivain. Sous l’influence radicale du marxisme, presque tous les
  traducteurs-critiques chinois proposent donc, volontairement ou non, une
  interprétation politico-idéologique du romantisme de l’auteur en question.
 
 
3.       Après
  la révolution culturelle : diversité des romantismes de Hugo
Pendant les années 1960-1970,
  l’introduction des littératures étrangères (surtout des littératures européenne
  et américaine) reste généralement dans un état de stagnation. Mais après la révolution
  culturelle, Hugo attire de nouveau l’attention des lecteurs et des chercheurs
  chinois. Cette nouvelle époque pourrait être divisée en deux parties, ayant
  comme ligne de démarcation l’année 1990. L’étude littéraire de Victor Hugo dans
  cette première période montre une continuité idéologique avec la révolution
  mais témoigne aussi des efforts des chercheurs pour s’échapper aux approches
  antérieures. Ils cherchent à comprendre les œuvres hugoliennes d’une manière
  plus objective. En mai 1981, un colloque sur Pouchkine et Hugo a eu lieu dans
  la province du Hunan, donnant naissance à la publication des actes du colloque,
  intitulés Recueil des critiques sur la création de Victor Hugo. Ce
  recueil regroupe vingt articles issus des communications, jetant une base
  solide pour les recherches hugoliennes à venir. 
Dans la préface, le coordinateur
  en chef Cao Rangting a indiqué quatre problèmes principaux rencontrés dans les
  études hugoliennes, dont le premier est « comment traiter les jugements de
  Marx et d’Engels sur Hugo ». Ce problème mis en exergue manifeste le vœu
  des chercheurs d’écarter le dogmatisme qui règne depuis longtemps sur le
  discours de la critique littéraire et d’abandonner le simple jugement
  idéologique sur Hugo. Cao souligne que « si l’on renonce à étudier en
  détail le contenu social et la pensée dans ses œuvres, si l’on n’ose pas
  résumer scientifiquement ses expériences artistiques du simple fait que Marx et
  Engels ont critiqué les défauts politiques d’une certaine période de sa
  création, ce n’est pas la bonne attitude, ce n’est pas ce qu’on appelle
  “Rechercher la vérité à partir des faits”. [30]»
  Ce passage détermine en fait le ton du discours critique hugolien dans la
  « nouvelle époque ». À partir de cette idée de base, l’auteur a
  avancé une autre question fondamentale, à savoir comment ouvrir une nouvelle
  perspective sur le romantisme de Hugo. Selon lui, « il y a bien eu des
  théoriciens littéraires qui, en définissant le romantisme, mettaient
  respectivement l’accent sur les caractéristiques du contenu social, du style,
  des thèmes et des compétences artistiques, au lieu de considérer le romantisme
  comme une approche unique de la création littéraire » ; par
  conséquent, il propose de « parvenir à un consensus » sur la création
  romantique de Hugo « à travers des études approfondies des œuvres
  hugoliennes ». Ensuite, la troisième préoccupation pour l’auteur est de
  déterminer l’école littéraire dont fait partie la création de Hugo. Si une
  bonne partie de critiques qualifient les dernières œuvres de Hugo de réalistes,
  c’est, d’après Cao, c’est en pensant qu’« à l’égard de la fonction de
  refléter la vie, le romantisme est inférieur au réalisme ». Du coup, il confirme
  l’identité romantique de Hugo en concluant que tout au long de sa
  création littéraire, l’écrivain en question est très éloigné du réalisme.
  Enfin, la quatrième question qu’il pose est celle de son humanisme. Cao déclare
  que « l’étude détaillée et fondée sur des faits de l’humanisme du XIXe siècle et de la pensée humaniste que montrent les œuvres hugoliennes, ainsi que
  l’élaboration d’une évaluation historique que méritent ses œuvres, constituent
  deux composantes importantes des études hugoliennes. [31]»
La préface de Cao dévoile que la
  note dominante d’alors est de modérer voire d’éviter une interprétation trop
  politico-idéologique des œuvres hugoliennes. Ainsi, l’image romantique de
  l’écrivain a pu être rétablie d’une façon plus objective. Les critiques mettent
  alors l’accent sur deux aspects du romantisme hugolien : d’abord, il
  s’agit d’étudier la relation entre le romantisme et le réalisme chez Hugo ; ensuite, d’analyser la représentation des principes romantiques dans telle ou telle œuvre. Par exemple, dans son article intitulé
  « Attribuez au romantisme le statut historique qu’il mérite », Zhou Junzhang
  défend l’idée d’une identité romantique de Hugo tout en admettant les
  éléments réalistes que comprennent ses œuvres. Il s’oppose à l’emploi
  des critères réalistes dans la critique de Hugo, parce que cela « effacera
  les caractéristiques romantiques chez lui »[32].
  Dans le même temps, « La conception littéraire romantique de Hugo à
  l’épreuve de Notre-Dame de Paris » de Jin Yi et « Une chanson
  d’illusions pour distinguer le beau du laid : les techniques romantiques
  dans Notre-Dame de Paris » de Bian Zhaoci cherchent à confronter la
  théorie et la pratique romantiques de Hugo à travers la micro-lecture du
  texte. En un mot, ce colloque tenu au début des années 1980 nous donne le
  panorama de l’image ro mantique hugolienne d’alors. En 1985, à
  l’occasion du centième anniversaire de la mort de Hugo, l’Université de Wuhan a
  organisé un autre colloque, au cours duquel le romantisme a occupé
  toujours une place importante. Mais nous n’y avons pas noté de nouveautés par
  rapport au colloque précédent. 
Grâce aux efforts des chercheurs
  dans les années 1980, l’image de Hugo comme romantique est rétablie en
  Chine. Mais ce rétablissement n’est pas une simple répétition des recherches
  existantes ; il est une reconsidération de la création hugolienne dans une
  nouvelle période historique, dans de nouvelles perspectives. Depuis les années
  90, cette tendance à la diversification est de plus en plus marquante.
Toujours avec les deux
  mots-clés, « Victor Hugo » et « romantisme », dans la base
  des données de CNKI (China National Knowledge Infrastructure, 中国知网), on recense
  depuis 1990 jusqu’en 2015 184 articles académiques concernés, ce qui représente
  deux tiers du chiffre total (268). Parmi ces publications, certaines traitent
  de la théorie romantique de l’écrivain, tel que « Victor Hugo en
  tant que critique : la contribution théorique de Hugo à la littérature
  romantique [33]»
  de Chen Xu qui résume en quatre points l’apport hugolien, à savoir : l’art
  comme quête du vrai, le principe du contraste du beau et du laid, la liberté de
  la création et la fonction éducative de la littérature ; certains
  discutent du romantisme hugolien dans le cadre d’un genre littéraire,
  tel que « Hugo et l’esthétique du théâtre romantique français »[34] de Sheng Xuemei ; d’autres restreignent leurs études à une œuvre donnée,
  tel que « La pensée humaniste et le style romantique dans Les
    Misérables »[35] de Fu Shouxiang.
Quant aux colloques dédiés à
  Hugo, l’année 2002 en connaît un, intitulé justement « Victor Hugo et
  le romantisme », organisé par l’Association chinoise de la littérature
  française (中国法国文学研究会)
  et le GuangXi University for Nationalities (广西民族大学). Avec un
  esprit plus ouvert, les participants ont discuté respectivement
  de « la vie, la pensée démocratique, l’esthétique romantique, les
  caractéristiques de la poésie et des romans, et les études de Victor Hugo en
  Chine »[36],
  enrichissant et diversifiant l’image romantique de l’écrivain en Chine. 
 
Conclusion
Si l’on considère la traduction
  de l’« Origine de “Fantine” » par Lu Xun, parue en mai 1903 dans la revue Zhejiang
    Chao (Vagues du Zhejiang), comme la première rencontre officielle de
  l’œuvre hugolienne avec le public chinois, cet « homme océan » a vécu jusqu’à
  nos jours plus de cent ans de vie littéraire en Chine. Au cours de la longue
  période de traduction et de réception, l’image romantique de cet
  écrivain français ne s’est pas établie d’un seul coup dans le lectorat chinois.
  Depuis la première interprétation, anecdotique, jusqu’à la compréhension
  diversifiée d’aujourd’hui, en passant par la période où règne la lecture
  politico-idéologique, nous avons pu voir la richesse de l’image romantique hugolienne dans le contexte socio-historique chinois. Il ne s’agit pas d’une
  seule image identique, mais plutôt de plusieurs images qui pour une part coexistent
  et qui parfois s’opposent. De plus, cette enquête révèle les différentes phases
  des recherches chinoises sur les littératures étrangères depuis le XXe siècle, ainsi que le parcours de la modernisation de la littérature chinoise. Comme
  le dit D.-H. Pageaux : « Je regarde l’Autre et l’image de l’Autre
  véhicule aussi une certaine image de ce Je qui regarde, parle, écrit. »[37]
[1] Zhou Xiaoping, « Victor Hugo est le mieux reçu en Chine.
    Entretien avec Liu Mingjiu, président de l’Association chinoise de la
    littérature française », in Revue des sciences (Keji Wencui), n° 3,
    1989, p. 1.
[2] Daniel-Henri Pageaux, La littérature générale et comparée,
  Paris : Armand Colin, 1994, p. 60.
[3] Yang Changxi, « L’histoire d’amour de V. Hugo », Critique de la littérature moderne, vol.1, n° 2,1931, pp.2-4.
[4] Alain Vaillant (dir.), Dictionnaire du romantisme, Paris
  : CNRS Éditions, 2012, p. XLVII.
[5] Ibid.
[6] Xiu Wenqiao, « École des canards mandarins et des
  papillons et la traduction du roman populaire du début de la République de
  Chine », Chinese Translators Journal, vol. 5, 2014, p. 30-34.
[7] Ou Fan Leo Lee, Réflexions sur les littératures chinoise
  et occidentale, Nanjing : Jiangsu jiaoyu chubanshe, 2005, p. 15.
[8] Cité d’après Ding Fan & Liu Jun (dir.), Introduction
  aux études de la littérature chinoise moderne et contemporaine,
  Nanjing : Presse universitaire de l’Université de Nanjing, 2006, p. 235.
[9] Zhang Ruogu, De Victor Hugo à Lu Xun, Éditions Nouvelle
  Ère (Xinshidai Shuju), 1931, p. 2.
[10] Ibid., p. 5-6.
[11] « Préface », in Victor Hugo, Lettres d’amour de
  Victor Hugo (Xiao’e de qingshu), traduit par Gu Weixiong, The Commercial
  Press (Shangwu yinshuguan), 1935, p. 2.
[12] Ibid.
[13] Joël Bellassen, Empreintes chinoises (Wo de qiling yinji),
  Zhengzhou : Daxiang chubanshe, 2014, p. 70.
[14] Daniel-Henri Pageaux, « Recherche sur l’imagologie : de
  l’histoire culturelle à la poétique », article en ligne. URL : http://www.ucm.es/BUCM/revistas/fll/11399368/articulos/THEL9595330135A.PDF
[15] Pour consulter la bibliographie (non intégrale) des traductions
  de Victor Hugo en Chine, voir : Catalogue des livres traduits du
    français en chinois (Lettres, sciences humaines, sciences sociales), sous
  la direction du Centre de recherche des relations culturelles sino-françaises
  (Centre Étiemble) de l’Université de Pékin, en collaboration avec le Centre de
  sinologie de la Bibliothèque nationale de Beijing, World Publishing Corporation,
  1996, p. 77-85.
[16] Xu Zhongnian, « De Hugo », Revue des arts et
  des lettres, n° 5, 1935, p. 141-142.
[17] Xu Jiqing, « Le caractère et la pensée de Hugo », Revue
  de l’université franco-chinoise, vol. 8, n° 2, 1935, p. 81.
[18] Mao Dun, « Hugo et Les Misérables », Collégiens
  & Lycéens (Zhongxuesheng), n° 54, p. 70.
[19] Ibid., p. 71.
[20] Ibid.
[21] Ibid., p. 72.
[22] Ti Er, « Biographie critique du grand écrivain français
  Victor Hugo », Mensuel de la politique (Jinglun yuekan), vol. 2, n°
  6, 1942, p. 104.
[23] Shen Dali, « Hugo lu par les Chinois », in Naoki
  Inagaki, Shen Dali, Dang Thi Hanh, Dang Anh Dao, Victor Hugo en
    Extrême-Orient, Paris : Maisonneuve et Larose, 2001, p. 53-54.
[24] Cité d’après Luo Guoxiang, Étude sur l’histoire des études de Hugo,
  Éditions Yilin, 2013, p. 216.
[25] Victor Hugo, L’Épée (Baojian), traduit par Li Jianwu, Éditions Pingming,
  1952.
[26] « Préface de Baojian », in Li Jianwu, Anthologie
  des critiques littéraires de Li Jianwu, Editions du peuple du Ningxia
  (Ningxia renmin chubanshe), 1983, p. 296-297.
[27] Ibid., p. 297.
[28] Ibid., p. 312-313.
[29] Ibid., p. 317.
[30] Cao Rangting (dir.), Recueil des critiques sur la création de Victor Hugo,
  Éditions Lijiang, 1983, p. 4.
[31] Ibid., p. 6.
[32] Zhou Junzhang, « Attribuez au romantisme le statut
  historique qu’il mérite », in Cao Rangting (dir.), Recueil des
    critiques sur la création de Victor Hugo, op. cit., p. 63.
[33] Chen Xu, « Victor Hugo en tant que critique : la
  contribution théorique de Hugo à la littérature romantique », Journal
    of Shanghai Normal University (Philosophy & Social Sciences Edition),
  vol. 4, 2003, p. 94-99.
[34] Sheng Xuemei, « Hugo et l’esthétique du théâtre
  romantique français », Hundred Schools in Arts, vol. 1, 2007, p.
  40-43.
[35] Fu Shouxiang, « La pensée humaniste et le style
  romantique dans Les Misérables », Journal of Guizhou University
    of Technology (Social Science Edition), vol. 2, 2004, p. 73-77.
[36] Yue, « Le colloque “Hugo et le romantisme” s’est tenu à
  Nanning », World Literature (Shijie Wenxue), vol. 3, 2002, p. 294.
[37] Daniel-Henri Pageaux, La littérature générale et comparée,
  Paris : Armand Colin, 1994, p. 61.