Claire Montanari : Du rapport entre la construction du recueil des Chansons des rues et des bois et les titres des poèmes

Communication au Groupe Hugo du 6 avril 2013
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Les titres constituent souvent l’un des derniers gestes de Hugo dans la poésie lyrique. Si le poète trouve régulièrement ses titres après avoir composé ses poèmes, c’est d’abord parce que le titre naît d’un regard distancié sur la pièce poétique, et qu’il instaure avec elle un dialogue, parfois même une forme de jeu. Le titre ne sert cependant pas seulement à distinguer et à singulariser une pièce autonome : il souligne aussi son rapport à l’ensemble des poèmes du recueil et contribue à en dessiner plus nettement les contours, l’architecture, l’atmosphère générale. Le titre ouvre par ailleurs le poème sur le recueil et ne se conçoit pleinement que dans son rapport aux autres titres.

L’un des recueils dans lequel la question de la genèse des titres se pose de façon très évidente est sans doute le volume des Chansons des Rues et des Bois. On a en effet conservé la copie intégrale du volume tel que Hugo l’avait conçu six ans avant de le publier en 1865 : on peut ainsi observer l’évolution qui va de la première version du recueil à sa version définitive. Hugo a modifié de nombreux titres entre les deux versions, comme si leur essence dépendait vraiment de la structuration du recueil.

 

Revenons rapidement, avant d’entrer dans le développement de notre propos, sur l’histoire de ces deux versions.

Sur les 78 poèmes du recueil définitif, 53 ont été composés en 1859, pour la plupart dans une période qu’on qualifie parfois de « délassement », après l’écriture acharnée de La Légende des Siècles. Hugo se rend, à la fin du mois de mai 1859, à l’île de Serk, avec son fils Charles et Juliette, pour se reposer. Il emporte les épreuves de La Légende des Siècles, et se met à composer des poèmes d’inspiration plus légère et champêtre, poèmes qui figureront dans les Chansons des rues et des bois. Il en écrit un grand nombre du mois de juin au mois d’octobre puis il se replonge finalement dans La Fin de Satan et surtout dans l’écriture des Misérables (puis de William Shakespeare et des Travailleurs de la Mer) ce qui l’éloigne du recueil qu’il avait pourtant visiblement prévu et dont il avait déjà le titre.

Hugo avait en effet demandé à Juliette Drouet de faire une copie des poèmes des Chansons des rues et des bois en octobre 1859. Cette copie n’a pas été effectuée, mais Hugo la confie, trois ans plus tard, à une femme de Guernesey, Victoire Étasse, en 1862[1]. Dans cette copie, on ne trouve aucun poème composé depuis octobre 1859. On peut donc imaginer que la copie de Victoire Etasse de 1862 est très proche de celle que Juliette aurait dû faire en 1859.

 

Hugo, malgré cette copie, relègue à plus tard l’édition du recueil. Plusieurs raisons expliquent sans doute cette décision. Les ébauches de la préface du recueil, écrites à différentes dates, montrent qu’il est un peu gêné de publier un recueil léger – qui contraste avec sa grave condition d’exilé politique. Par ailleurs, lorsque l’éditeur Lacroix, qui cherche à emporter la publication du recueil devant Hetzel, le presse, et plusieurs fois, Hugo répond qu’il n’a pas le courage ni le temps de relire les épreuves. Il écrit à Paul Meurice, sur le même sujet, le 9 juin 1865 :

 

Je travaille, - je travaille, - je travaille. Je ne suis pas le rossignol, mais il chante en cage et moi en exil. J’ai un volume de vers fini et un roman fini [Les Travailleurs de la mer], mais je ne veux rien publier. Lacroix me presse. J’élude. Publier un livre, cela me prend autant de temps que d’en faire un. Les épreuves, etc., etc… J’aime mieux en faire un autre[2].

 

Très vite cependant, malgré ces réticences, le 23 juillet 1865, Hugo signe un contrat avec Lacroix, Verboeckhoven et Cie, pour les Chansons des rues et des bois. Pour simplifier la lourdeur des démarches de correction, le traité stipule que l’auteur doit rester sur place, à Bruxelles – où il se trouve, en particulier pour assister au mariage de son fils.

 

Comme souvent, à partir du moment où le traité est signé, Hugo se remet au travail sur son recueil[3]. Il relit les poèmes composés durant l’été 1859, en complète certains, en écrit de nouveaux, et surtout organise ses pièces en différentes sections, auxquelles il trouve des titres qui donnent une cohérence à l’ensemble (« Jeunesse » / « Sagesse »…). La copie de Victoire Étasse ne comportait aucune grande partie : le recueil ressemblait aux volumes d’avant l’exil, dont l’architecture, secrète, était avant tout faite pour être devinée par le lecteur. Hugo en souligne, cette fois-ci, très nettement l’architecture – comme dans Les Contemplations – et rend son manuscrit à Lacroix à la fin du mois de septembre 1865.

 

On s’attachera, dans cette étude, aux titres des poèmes de 1859 qui ont été corrigés en 1865 : il y en a 18 sur 53 (ou sur 44, sachant que 9 par ailleurs n’ont jamais eu de titre), soit plus d’un tiers, mais aussi à ceux qui ont été visiblement, même si l’on ne sait pas exactement quand, écrits ou corrigés d’une autre encre que celle du corps du poème, et donc conçus a posteriori (29 sur 70) de façon certaine.

 

On observera d’abord les titres qui dessinent un rapport de complicité avec le lecteur. Les allusions au support écrit de la lettre ou de la conversation intime se font plus nombreuses lorsque le recueil commence à s’organiser.

D’autres titres, on le verra ensuite, et c’est surtout le cas en 1865, cherchent à multiplier les références à l’égard de l’antiquité. La langue latine permet d’inscrire nettement les titres du recueil dans la tradition virgilienne. La table des matières, d’emblée, rend compte de cette filiation. Enfin on montrera que les échos entre les titres des poèmes et ceux des sections du recueil donnent, en 1865, une grande cohérence à l’œuvre et contribuent à en orienter la signification générale. Faisant souvent référence aux parties dans lesquelles ils s’insèrent, les titres permettent de ne pas seulement lire les poèmes comme des pièces indépendantes, mais ils les inscrivent directement dans la dynamique de l’œuvre poétique.

 

Instaurer une complicité avec le lecteur

Marie-Hélène Prat-Servet, dans un bel article intitulé « Le Monde des titres dans les Contemplations », note à propos des titres des poèmes présents dans le recueil :

 

Le métadiscours des titres génériques tend à occulter l’aspect proprement poétique [du recueil] et s’organise autour d’une part de l’oralité, solennelle […] ou familière […], d’autre part de l’écrit, léger […] ou grave […][4].

 

Cette remarque convient bien pour décrire ce qu’il en est dans Les Chansons des rues et des bois (si l’on excepte la tonalité grave ou solennelle, évidemment plus présente dans Les Contemplations). Alors que le titre général du recueil fait référence à un genre à la fois poétique et populaire, celui de la « chanson », les titres des poèmes ne sont presque jamais métapoétiques[5] et ils ne font plus mention de ce genre au cœur du volume. Les rares références à l’écrit concernent alors plutôt, dans les titres du recueil, le genre de la lettre, et ce dès la copie de 1862.

Le manuscrit de l’actuel poème I, VI, 20 montre que le titre, « Lettre » - qui figure dans la copie de Victoire Etasse – n’a cependant pas été trouvé immédiatement : sa graphie est en effet différente de celle du poème en lui-même. Une fois le poème écrit, Hugo a choisi de le faire basculer du genre lyrique au genre épistolaire.

De la même manière, les sous-titres du poème I, II, 3 (« En sortant du collège »), présents eux aussi dans la copie de 1862, ont été ajoutés a posteriori. Ils font eux aussi référence à la lettre : « Première lettre », « Deuxième lettre »[6].

Dans ce cas comme dans celui de « Lettre », la mention générique permet de lire différemment les poèmes : la lettre met à distance la conversation mais elle en conserve la familiarité. Elle rappelle qu’elle est tout entière écriture, mais que cette écriture est adressée à un destinataire. Elle fait du lecteur un autre confident : il a en effet sous les yeux le même texte que celui qui est censé être lu par son destinataire fictif.  En un sens, elle « dépoétise » le discours qui, sans le titre, s’inscrirait dans la droite lignée du lyrisme traditionnel :

 

Vivre c’est aimer. Apprends                                   

                                         nos sens

Que dans l'ombre où nos cœurs rêvent,              

J’ai vu deux yeux bleus, si grands                   

Que tous les astres s’y lèvent[7].                

 

Le poète, loin de s’adresser à un confident anonyme, parle à un jeune homme de seize ans qu’il appelle son « vieux camarade ». La lettre permet d’inscrire le poème dans un contexte concret, rattaché au réel. Le support rend palpable et vivante la voix du poète.

 

Plus tard, en 1865, Hugo, relisant sans doute l’ensemble de ses pièces pour donner forme à son recueil, réutilise le thème de la lettre. La pièce I, IV, 11, qui figurait sans titre au début de la copie de Victoire Étasse[8], sans doute parce que le poète y évoquait sa première jeunesse (« C’était du temps que j’étais jeune »), est déplacée en 1865 à la fin de la section IV du premier livre. Hugo lui donne ce titre : « Post-scriptum des rêves ». Le complément du nom « des rêves » rend la formule concrète, « post-scriptum », plus poétique dans la mesure où sa lecture appelle de multiples interprétations : l’on ne sait si ce sont les rêves qui ajoutent eux-mêmes un « post-scriptum » ou si le « post-scriptum » est un ajout du poète qui avait, auparavant, parlé de « rêves » ou si le « post-scriptum » sera constitué de « rêves ». Le rapport même entre le titre et le poème pose question. Constituant la dernière pièce de la section I, IV, le poème peut se lire comme un élément ajouté a posteriori, un « post-scriptum ». Néanmoins, il n’apporte pas de nuance radicalement nouvelle aux poèmes qui précèdent, puisqu’il évoque, comme auparavant, le plaisir qu’éprouve le poète en contemplant – ou en entendant – une jeune passante. Le titre prend alors sens en lui-même – il suffit de ne pas prendre le mot « post-scriptum » comme une expression lexicalisée, mais de lui redonner son sens premier : « post-scriptum » signifie « après ce qui est écrit ». Le poète, après avoir écrit, rêve en songeant aux jeunes filles :

 

O ciel bleu, je suis indulgent                                   

Quand j’entends, dans le vague espace              

Où toujours ma pensée erra,                                 

Une belle fille qui passe                                          

En chantant Traderidera[9].                

                

C’est la contemplation en elle-même qui est « post-scriptum » au sens propre. Le chant de la jeune fille vaut bien les songeries du poète. Le poète, tout en faisant référence à un type d’écrit – la lettre –, joue avec la tradition littéraire et installe paradoxalement la poésie dans les marges de l’écriture.

 

La pratique même de la dédicace dans les titres des poèmes montre bien que Hugo cherche à instaurer dans son recueil un léger décalage avec le grand genre lyrique. Plusieurs poèmes se verront ajouter, en 1865, un titre en forme de dédicace : certaines pièces, sans titre en 1862, s’intitulent désormais « À Jeanne », « À doña Rosita Rosa », et à « À Rosita ». Curieusement, les titres des sections du recueil qui prennent elles aussi la forme de la dédicace sont construits différemment, et Hugo y préfère la préposition « pour » à la préposition « à » : « Pour Jeanne seule » (I, IV), « Pour d’autres » (I, V). Les envois des poèmes sont habituellement introduits par la préposition « à » ; Hugo l’a toujours utilisée, et ce dès ses premiers recueils, qui usaient abondamment de ce type de titre[10]. Ici, les sections du recueil, introduites par la préposition « pour », se transforment alors en albums : la dédicace ne semble plus abstraite, mais elle paraît désigner le volume dans sa matérialité même. Les poèmes ne se lisent plus comme des hommages conventionnels, récurrents dans la tradition lyrique, mais comme des cadeaux intimes et concrets.

Les poèmes ne se présentent pas comme des œuvres littéraires. Le titre du poème I, IV, 7, d’abord « À Créteil », a été modifié sans doute au moment où Hugo organisait son recueil en 1859. Il est devenu « Chose écrite à Créteil[11] ». Ce titre – insistant sur l’indétermination de ce qui est écrit – demeurera dans la liste prévue pour l’imprimeur en 1865. Ce n’est qu’in extremis que le titre sera mis au pluriel – « Choses écrites à Créteil »  – ce qui donne l’impression que ce qui a été écrit est décousu, sous forme de notes, phénomène qui fait basculer le « texte vers sa production[12] ».

On trouve le même procédé dans le poème I, II, 8, « Bas à l’oreille du lecteur », dont le titre a été trouvé après le texte dans son ensemble et surtout, semble-t-il, après que le poète a décidé de sa position au sein du recueil[13]. Cette fois-ci, le dédicataire est explicitement le lecteur. La lettre s’est transformée en véritable conversation. Le titre introduit une relation de complicité entre l’auteur et le lecteur. Le poème aurait pu se lire, s’il n’y avait ce titre ajouté, comme le conseil d’un ami au poète[14] – qui est souvent présenté comme un imbécile amoureux[15]. Le titre en transforme la lecture et choisit d’insister sur les relations du poète avec le lecteur.

Cette évolution du choix de l’interlocuteur auquel le poète s’adresse est d’ailleurs sensible si l’on compare la copie de Victoire Étasse au manuscrit du recueil définitif. Quatre poèmes, dans la copie de 1862, s’intitulaient « À un ami » ou « À mon ami[16] ». Un seul conservera ce titre un peu conventionnel chez Hugo dans le recueil définitif. C’est que le dialogue doit surtout se nouer avec le lecteur. Le titre « Bas à l’oreille du lecteur », ajouté in extremis, instaure une complicité particulière. Si le poète parle « bas », c’est pour qu’on ne l’entende pas. Mais qui l’entendrait à part d’autres lecteurs ? Les critiques hostiles, peut-être, à l’extérieur du recueil ? ou les belles au sein du recueil ? Le lecteur, par le jeu acrobatique du titre, semble soudain exister au sein du livre comme n’importe quel autre personnage du recueil ou, à l’inverse, les personnages féminins du volume paraissent d’un seul coup si réels qu’ils risquent de saisir ce que le lecteur entend murmurer à son oreille.

Le travail sur les titres que Hugo effectue en 1862, et surtout en 1865, va ainsi dans le sens d’une plus grande complicité avec le lecteur. Il suffit d’un titre pour qu’un poème devienne soudain lettre, dédicace d’album ou conversation intime.

 

Souligner la référence à la tradition antique

Certains titres cherchent, quant à eux, à inscrire le recueil dans une tradition littéraire. L’usage du latin en particulier fait référence à la poésie antique, à la poésie de Virgile.

L’étude des manuscrits permet de constater que Hugo a hésité sur le poème qui devait porter le titre « Paulo minora canamus » (« chantons des sujets plus humbles »). La formule latine, qui parodie un vers de Virgile[17], est en effet présente sur le manuscrit des poèmes I, I, 4 (intitulé finalement « Aux champs ») et I, II, 1. Cette hésitation a vraisemblablement eu lieu en 1865, au moment où Hugo organisait son recueil. La pièce I, I, 4 ne comportait pas de titre dans la copie de Victoire Étasse. Le poème I, II, 1, quant à lui, s’intitulait « À un ami[18] ». Les deux poèmes pouvant se lire comme des arts poétiques, le titre virgilien pouvait aussi bien s’appliquer à l’un qu’à l’autre. L’important était au fond qu’il soit présent dans le recueil. Le titre a en tout cas existé avant d’être fixé sur un poème en particulier. Résumant à lui seul toute la démarche du poète dans son recueil, il était cependant essentiel de lui trouver un emplacement stratégique : le choix final résulte sans doute en partie de la position du poème dans le recueil. La première pièce du livre II, « Paulo minora canamus », en latin, fait écho à la dernière du livre I, « Genio libri ». Elle atténue le retentissement d’un titre qui pourrait sembler grandiloquent.

À un recueil qui fait plus que jamais allusion à la littérature et à la mythologie antiques, Hugo décide, en 1865, d’ajouter des titres en latin, voire en grec. C’est ainsi que, pour la première fois dans son œuvre lyrique, il utilise des caractères grecs, « ΨΥXH », pour intituler un poème[19] (I, I, 3), qui ne comportait pas de titre dans la copie de 1862. Les difficultés qu’a Hugo à graphier le mot « psyché » – qui devrait d’ailleurs s’écrire « psychè » en français – montrent qu’il est très mal à l’aise avec la langue grecque[20], mais qu’il accorde de l’importance à l’effet qu’elle produira. Il fait figurer dans son recueil un titre qui rompt immédiatement, ne serait-ce que visuellement, avec tous les autres. La référence à l’antiquité grecque voisine les poèmes dédiés à Lisbeth, à Jeanne ou à Rosa. Les titres, à leur échelle, soulignent ce qui est sans cesse répété dans le recueil, la profonde égalité entre tous les sujets en poésie :

 

Rien n’est haut ni bas ; les fontaines

Lavent la pourpre et le sayon ;

L’aube d’Ivry, l’aube d’Athènes,

Sont faites du même rayon[21].

 

Le titre grec, par ailleurs, se présente pour le lecteur non helléniste – comme c’était le cas de Hugo – comme une énigme qui est d’autant plus bienvenue que le poème qu’il désigne fonctionne lui-même à la manière d’une devinette dont le personnage de Psyché donne in fine la réponse.

Les titres latins, dont Hugo parsemait déjà ses recueils antérieurs, sont évidemment un peu plus nombreux, même s’ils sont avant tout répartis dans les deux premières sections du premier livre. Il s’agit pour Hugo, au début de son recueil, de légitimer par la présence du latin le genre de l’idylle – comme le souligne le titre à valeur d’art poétique, « Paulo minora canamus ». Les références à l’antiquité disparaissent ensuite, du moins dans les titres des poèmes.

Le premier poème au titre latin du recueil s’intitule « Genio libri ». Même si son titre était déjà présent dans la copie de 1862, le manuscrit de Hugo montre que le poète a hésité avant de le lui attribuer véritablement. On trouve d’abord un premier titre, suivi d’une barre verticale et d’un point d’interrogation, « À mon esprit », puis un deuxième, « Au lutin de ce livre ». Ces deux titres ont été barrés et remplacés par « Genio libri ». Le passage d’un titre à l’autre est assez significatif. Au fond, le titre « Genio libri » ne constitue que la traduction des deux titres français précédents. « À mon esprit » risquait sans doute de passer pour une autocélébration – le poète vantant un « esprit » dont le double sens (« inspiration » ou « aisance pour s’exprimer ») aurait pu être ambigu. « Au lutin de ce livre », proche de « Genio libri », avait pour avantage de faire référence à la culture populaire : le lutin faisait songer à la mythologie propre aux contes traditionnels. « Genio libri », cependant, par le seul usage du latin, offre plus de grandeur au titre du poème.

Plus loin, dans la deuxième section du premier livre, Hugo fera suivre le poème « Paupertas » (I, II, 4), dont le titre était déjà inventé en 1862, par « Hilaritas » (I, II, 6). Cette fois-ci, le poète ajoute ce titre in extremis sur épreuve, en 1865 : il n’est présent ni sur la copie de Victoire Étasse[22], ni sur le manuscrit de Hugo[23] en lui-même. Le choix de ce titre n’est pas anodin : Hugo fait se succéder, à deux poèmes d’intervalle, des titres latins qui se font écho et qui dessinent presque à eux deux une des devises latines dont Hugo a le secret : « Paupertas – Hilaritas ». La formule a du sens dans la mesure où, dans « Paupertas », Hugo insiste sur le fait que le véritable bonheur ne tient pas à la possession des choses, et que la pauvreté peut susciter plus de joie, lorsqu’elle est mêlée d’amour, que la richesse :

 

être riche n’est pas l’affaire ;                  

toute l’affaire est de charmer ;              

                      bouge

du palais le grenier diffère                      

                       grenier

en ce qu’on y sait mieux aimer[24].   

 

De même, dans Hilaritas, la pauvreté n’est pas présentée comme la condition du malheur et n’est en rien un obstacle à la joie :

 

chantez, l’ardent refrain flamboie ;    

jurez même, noble ou vilain !               

le chant est un verre de joie                 

dont le juron est le trop-plein[25].    

 

Sans doute y a-t-il, dans le contexte particulier des Chansons des rues et des bois, une sorte de distance amusée de la part de Hugo à l’égard de certains titres latins qu’il employait dans Les Contemplations. Aux poèmes « Horror », « Dolor », « Cadaver » ou « Religio » du recueil lyrique précédent, succède soudain « Hilaritas ». La langue demeure la même et conserve une dimension sacrée, mais elle n’est pas loin, au même moment, de se parodier elle-même. Elle signale en tout cas le renouvellement de son inspiration.

Les titres du recueil sont ainsi conçus pour que le lecteur puisse, d’un regard, saisir l’atmosphère du volume dans son ensemble. Ils ont valeur de résumé, et leur succession dessine déjà une image qu’il appartiendra au lecteur de vérifier.

 

Articuler le recueil

Lorsqu’on observe d’un peu plus près les changements introduits dans les titres entre 1862 et 1865, de grandes tendances sont aisément décelables. Les choix concertés du poète ne se contentent pas de faire référence à l’atmosphère générale du recueil, mais ils permettent de relier très étroitement les pièces entre elles et d’unifier le recueil. Hugo ne perd pas de vue la nécessité de faire œuvre[26]. Un grand nombre de titres de poèmes sont modifiés ou composés pour faire écho aux grandes sections dans lesquelles ces derniers doivent s’insérer[27]. Hugo réfléchit de façon transversale sur les titres de certains poèmes, qui se font manifestement écho.

C’est le cas pour quelques pièces de la section I, VI, « L’éternel petit roman ». C’est sans doute la partie la plus narrative du recueil – et du même coup la plus travaillée du point de vue des titres.

Les titres « À doña Rosita Rosa » (I, VI, 4), « À Rosita » (I, VI, 5) (ajoutés en 1862), « À la belle impérieuse » (I, VI, 7), de même écriture, ont vraisemblablement été travaillés en même temps pour offrir une cohérence au livre dans lequel ils s’insèrent. Ces titres ajoutés sont, d’après René Journet et Guy Robert, de même écriture que toute la pièce I, VI, 14, « Rosa fâchée », composée le 18 août. Ils auraient donc tous été ajoutés ce jour-là, la veille du dépôt par Hugo de son plan à l’imprimeur.

Les variations sur le prénom de la femme aimée amorcent déjà une suite narrative : la jeune femme désignée avec cérémonie – ou ironie – par la mention « doňa Rosita Rosa » n’est plus appelée ensuite que « Rosita », dans une pièce qui montre la colère du poète, triste de ne pas se faire aimer par la « belle impérieuse ». Elle n’est plus à la fin que « Rosa » lorsqu’elle s’éloigne du poète et le trompe avec son meilleur ami.

 

Intimement liés, les titres dessinent une progression narrative évidente dans le recueil. Ils ne doivent cependant pas être trop explicites pour continuer à susciter une lecture active de la part du lecteur. C’est ainsi que Hugo corrige les titres de ses poèmes I, VI, 18 et I, VI, 19, en en barrant une partie :

 

  Dénonciation

Avertissement de l’Esprit des Bois

à l’amoureux[28]

Réponse à l’esprit des bois qui avait dénoncé

                       à l’amoureux

                   son ami et son amie[29].

 

S’il y avait une forme d’humour à énoncer ainsi un si long titre, Hugo choisit finalement l’efficacité et préfère conserver, en poésie, une forme de mystère[30]. Le titre ne doit pas être un résumé de ce qui précède. Chaque pièce poétique ayant une part d’autonomie, le titre doit à la fois pouvoir se lire dans la continuité des précédents et dans sa propre singularité[31].

 

L’ajustement entre les grandes sections et les titres des poèmes qui y sont répartis est visible ailleurs, en particulier dans une des dernières parties du recueil, le livre II, III, « Liberté, Egalité, Fraternité ». Ce titre n’est pas anodin dans un volume majoritairement composé de poèmes légers : il s’agit pour Hugo de rappeler nettement les convictions républicaines qui sont les siennes.

Les titres des poèmes de ce livre vont dans le sens du sérieux et de la gravité. C’est ainsi, par exemple, que Hugo ajoute, en 1865, un titre à un poème déjà présent dans la copie de Victoire Étasse, II, III, 7 : « Égalité »[32]. Le titre, grave et digne, résume une pièce qui proclame l’équivalence entre la reine des fleurs, la rose, et les simples fleurs des champs. Il se charge de rappeler le sens politique de la fable et évoque l’un des termes essentiels de la devise révolutionnaire – qui ne sera définitivement adoptée que par la IIIe République. Le poème II, III, 5, quant à lui, s’intitulait dans la copie de 1862 « Causerie sous les arbres ». Le titre avait par ailleurs été rajouté d’une encre plus claire que le poème sur le manuscrit de Hugo lui-même. Le poète n’en était cependant pas complètement satisfait puisqu’il avait pris soin de le mettre entre deux barres parallèles et de le faire suivre d’un point d’interrogation. En 1865, Hugo change le titre et décide d’intituler son poème « L’ascension humaine[33] ». Le premier titre insistait sur le contexte de la discussion, et non sur son contenu. Il dessinait le lieu d’où sortaient les paroles qui s’affrontaient dans le poème et atténuait, par sa douceur, la radicale opposition des propos tenus. Le poème retranscrivait une simple conversation philosophique entre deux amis, l’un célébrant la toute-puissance de Dieu, l’autre mettant en avant sa foi profonde en l’humanité :

 

L’homme est l’appareil austère                   

Du progrès mystérieux ;                               

Dieu fait par l’homme sur terre                   

Ce qu’il fait par l’ange aux cieux[34]        

 

Le titre « L’ascension humaine » met en revanche en valeur le seul point de vue, très optimiste, du poète, dont le discours s’achève dans un présent prophétique qui fait songer aux Châtiments :

 

L’erreur tombe ; on l’évacue ;                               

Les dogmes sont muselés ;                                   

La guerre est une vaincue ;                                   

Joie aux fleurs et paix aux blés[35] !     

              

Les titres de la section « Liberté, Égalité, Fraternité » expriment ainsi clairement, au milieu de poèmes plus légers, la pensée politique de Victor Hugo.

Sa conception de la guerre transparaît dans la façon dont il remodèle le titre de la pièce II, III, IV. Dans la copie de 1862, Victoire Étasse conserve plusieurs variantes du titre :

 

           Des guerres

Souvenirs de soldat

                             Mon oncle[36]

 

Dans le manuscrit, outre ces trois propositions, on trouve, d’une autre écriture, le titre « Conté par mon oncle », et enfin, sous tous les titres finalement barrés, « Souvenir des vieilles guerres » précédé du numéro du poème. Là encore, le titre du poème n’est pas anodin : il a pris sens dans la structure plus vaste de la section « Liberté, Égalité, Fraternité ». Il s’agit pour le poète de se remémorer les guerres de ses pères avant de rêver, dans le poème suivant, « L’ascension humaine », d’une « guerre […] vaincue ». C’est ce que montre très bien Claude Millet lorsqu’elle écrit :

 

Il faut au poète garder la mémoire des héros guerriers, quand le temps présent les oublie, et tirer du souvenir de cette gloire l’énergie, la grandeur de son chant – « pour le culte et le blâme », comme indifféremment. […] La poésie du XIXe siècle, telle que Hugo la programme et la réalise, est ainsi transitoire comme le monde qu’elle exprime, entre l’ancien horizon et le nouveau, entre la guerre et la paix, entre les Iliade et la grande épopée à venir, dont l’idylle est l’anticipation[37].

 

En ajoutant l’adjectif « vieilles » devant le mot « guerres », Hugo rappelle l’importance de la mémoire tout en reléguant au passé l’héroïsme napoléonien. Le souvenir précède la vision optimiste du progrès. L’enchaînement des poèmes, très différent dans la copie de Victoire Étasse[38], ne pouvait produire un tel effet de sens.

La position des poèmes dans la structure plus vaste du recueil leur donne ainsi une dimension supérieure. Les titres rendent nécessairement compte de leur situation au sein du volume, à l’image de la dernière pièce du deuxième livre qui, ayant pour titre « À mon ami *** » dans la copie de Victoire Étasse (où il portait le numéro 61, tandis que le dernier était numéroté 65), s’intitulera en 1865 « Clôture[39] » : titre habile s’il en est puisqu’il rend compte à la fois de sa fonction particulière au sein du recueil et de la signification profonde de la pièce (qui décrit l’arrivée de l’hiver et la fermeture de l’église que constitue la Nature).

Notons que, dans le manuscrit, Hugo insiste tout particulièrement sur le fait qu’il faut noter « Fin des CRB » après ce poème. D’après cette indication, également présente sur le plan qu’il établit en août 1865 à destination de l’imprimeur, le poème « Au Cheval » est ainsi relégué à l’extérieur de recueil : il ne fait plus partie du volume poétique. De même que Pégase brise son joug et s’évade dans « l’inconnu sans fond », de même le poème qui lui est consacré déborde du cadre normé du recueil pour s’ouvrir vers de futures œuvres et les combats de l’avenir[40]. Le titre « Au cheval », par ailleurs, doit figurer sur une page à part – tout comme les autres sections du recueil. Il ne s’agit pas tant d’un poème que d’une partie en soi. L’attention extrême que Hugo accorde à la disposition des poèmes et à celle de leurs titres mériterait que les éditions suivent davantage ses instructions, car elles sont, en elles-mêmes extrêmement signifiantes.

 

 

Dans son introduction aux Chansons des rues et des bois, Pierre Albouy explique que :

 

[…] les Chansons répondent à une exigence essentiellement hugolienne. En témoigne, dès l’abord, ce souci très hugolien de la composition, qui fait du livre une forme-sens et de sa lecture un itinéraire poétique. L’ouvrage se divise en deux livres dont les titres font rimer Jeunesse avec Sagesse. […] on s’achemine […] d’avril à novembre, sans que la suite chronologique soit bien marquée à l’intérieur du recueil : c’est que, s’il y a succession et contraste il y a, en même temps, unité. Telle est la loi que manifeste cet ouvrage où tout, en différant, se répète, se répond et correspond[41].

 

Le rôle des titres dans l’architecture d’un tel volume poétique est immédiatement perceptible lorsqu’on en consulte la table des matières – qui, en particulier chez le Hugo de l’exil, peut se lire comme un poème en soi[42] – dans la mesure où elle permet au lecteur de saisir, d’un seul regard, toutes les nuances de sa pensée. C’est ce que disait Marie-Hélène Prat à propos des Contemplations :

 

La table des matières […] est un texte en soi, en décalage par rapport aux poèmes ; la succession et l’architecture des titres y rend lisible une image à la fois plus nette et plus progressive de l’évolution des tonalités : elle participe donc à la construction du sens de l’œuvre[43]

 

Plus que dans d’autres recueils, on perçoit, lorsqu’on observe la genèse des Chansons des rues et des bois, à quel point la question des titres est étroitement liée à celle de la constitution du recueil.

Le moment de la structuration du recueil, chez Hugo, est essentielle. Elle est bien loin de coïncider avec l’écriture du dernier poème. La fin de l’écriture ne s’incarne pas dans un espace délimité du recueil, mais constitue avant tout le moment où l’ensemble du volume est remodelé. Hugo, lorsque la date d’édition approche, relit, réorganise, rajoute des pièces, modifie les titres pour donner une couleur particulière à sa future œuvre.

Les derniers gestes autour du volume poétique sont essentiels car ils influencent nécessairement la lecture et modifient la réception de chaque poème.

Le choix du poète de proposer, pour Les Contemplations comme pour Les Chansons des rues et des bois, de très courtes préfaces, provient sans doute en partie du fait que le sens même de ses recueils s’affirme beaucoup plus nettement, à travers les titres des sections qui les constituent, que dans les volumes d’avant l’exil. L’interprétation des recueils s’affiche désormais au cœur même de l’œuvre : les textes préfaciels se font alors plus brefs et plus poétiques.

 


[1] Cette copie est intégrée au manuscrit « reliquat des Chansons des rues et des bois » inscrit à la BNF (ms NAF 24 738). On peut le consulter directement sur le site de la BNF en version numérique.

[2] Victor Hugo, Correspondance, dans Oeuvres complètes, éd. Massin, Paris, « Club français du livre », t. XIII,

1969, p. 719.

[3] « L’histoire des œuvres est inséparable de leur publication. Les intentions déclarées de Victor Hugo, sa détermination d’auteur réputé maître de son œuvre paraît souvent dépendre à cet égard de sollicitations extérieures », note Bernard Leuilliot (Victor Hugo publie Les Misérables, Paris, Klincksieck, 1970, p. 15).

[4] Marie-Hélène Prat, « Le monde des titres dans Les Contemplations de Victor Hugo », dans C. Lachet (dir.), À plus d’un titre, les titres des oeuvres dans la littérature française du Moyen Age au XXè siècle, Lyon, C.E.D.I.C.,2000, p. 191.

[5] Seul le titre du poème I, IV, VI, « Dizain de femmes », utilise un vocabulaire explicitement poétique, mais il s’agit surtout, dans ce cas, de préparer un jeu de mots final.

[6] La « Première lettre » a constitué un poème autonome initialement. Elle est en effet suivie d’un court trait horizontal – qui signale la fin d’un poème chez Hugo – et d’une date (« 8 août).

[7] Ms 24 737, f° 36.

[8] Elle occupait la cinquième position dans la copie (Ms 24 738, f° 128).

[9] Ms 24 737, f° 108.

[10] Ludmila Charles-Wurtz montre que l’usage de la dédicace est de moins en moins important dans l’œuvre lyrique de Hugo : « La dédicace, que l’on peut, dans un premier temps, définir comme un geste scriptural par lequel un auteur désigne le destinataire de son œuvre, se caractérise dans la poésie hugolienne par son progressif effacement. Si l’on exclut des dédicataires les objets personnifiés, tels "la colonne" Vendôme, "l’Arc de Triomphe" ou  le "canon le V.H.", et que l’on exclut également les dédicataires naturels, comme "les arbres", ou abstraits, comme la "France", pour ne retenir que les dédicataires humains, on constate que le nombre en diminue de recueil en recueil »  (Poétique du sujet lyrique dans l’œuvre de Victor Hugo, Paris, Champion, 1998, p. 277).

[11] On voit en effet que le poète a d’abord écrit « à Créteil », puis a ajouté, d’une autre écriture, « chose écrite » (Ms 24 737, f° 94).

[12] Marie-Hélène Prat, « Le monde des titres dans Les Contemplations de Victor Hugo », art. cit., p. 190.

[13] Le poème, sur le manuscrit, commençait initialement au vers 5. Au-dessus, Hugo a ajouté à l’encre rouge le chiffre huit – qui indique son classement au sein du livre. Puis, par-dessus ce chiffre, il a composé les quatre actuels premiers vers du poème. Il a ensuite indiqué à nouveau le chiffre du poème, « VIII », à l’encre noire, et l’a fait suivre du titre, « Bas à l’oreille du lecteur » (Ms 24 737, f° 49).

[14] De nombreux poèmes se fondent en effet sur une conversation entre le poète et un ou plusieurs amis. C’est le cas, par exemple, dans les poèmes I, I, 1, « Ordre du jour de Floréal » (« Victoire, amis ! »), I, I, 4, « Le poète bat aux champs » (« Aux champs, compagnons et compagnes ! »), ou I, III, 5 (« Ami, j’ai quitté vos fêtes »), I, IV, 9 (« Fuis l’éden des anges déchus ; / Ami, prends garde aux belles filles […] »).

[15] La raison du poète est, dans le recueil, sans cesse troublée par l’amour : « J’étais ivre d’une femme ; / Mal charmant qui fait mourir. / Hélas ! je me sentais l’âme / Touchée et prête à s’ouvrir ; // Car pour qu’un cerveau se fêle / Et s’échappe en songes vains, / Il suffit du bout de l’aile / D’un de ces oiseaux divins » (I, III, 3).

[16] Le poèmes I, IV, 9 aurait dû s’intituler « À un ami ». I, II, I (« Paulo minora canamus ») et « Clôture » (II, IV, 4), avaient respectivement pour « À un ami » et « À mon ami *** ». Ces derniers sont devenus de simples sous-titres. Seul le poème II, IV, 3 a conservé son titre, « À un ami », dans le recueil publié. Par ailleurs, le sous-titre « À un ami » a été ajouté sur épreuve au poème I, III, 3, « Duel en juin ».

[17] « Le titre est la contrepartie du début de la IVe Bucolique de Virgile : "Sicelides Musae, paulo maiora canamus" », indiquent René Journet et Guy Robert (Notes sur les Chansons des rues et des bois, Paris, Les Belles Lettres, 1973, p. 93).

[18] Ms 24 737, f° 134.

[19] Dans Notre-Dame de Paris, Hugo avait en revanche déjà utilisé l’alphabet grec : l’archidiacre Frollo avait gravé sur la muraille le célèbre : « ’ANÁΓKH », ce qui avait fait dire à son frère Jehan : « Mon frère est fou […] ; il eût été bien plus simple d’écrire : Fatum ; tout le monde n’est pas obligé de savoir le grec. » (Victor Hugo, Œuvres complètes, Roman I, dir. Jacques Seebacher et Guy Rosa, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1985, p. 687).

[20] Ms 24 737, f° 15. Hugo note d’abord, en minuscules, « πρυχε », ce qui est incorrect, même d’un point de vue phonétique : il cherche en effet à produire le son rendu en grec par la lettre psi (« ψ ») en faisant se succéder un pi (« π »), et chose incohérente, un rhô (« ρ »), ce qui produit le son [pR]. Par ailleurs, l’epsilon final (« ε »), produisant un son [e], aurait dû être remplacé par un hêta (« ή ») pour faire entendre le son [ε]. Le titre est ensuite corrigé par une encre plus noire. Le rhô est rayé, et l’epsilon est remplacé par un hêta curieusement en majuscules : « πρυχε » devient alors « πυχH ». Cette correction partielle n’a dû se faire que tardivement car, d’après René Journet et Guy Robert, le plan pour l’imprimeur de 1865 et les épreuves donnent encore « πρυχε ».

[21] I, I, 4, « Le poète bat aux champs ». Un « sayon » est une casaque d’étoffe grossière portée par des bergers.

[22] Ms 24 738, f° 184.

[23] Ms 24 737, f° 43.

[24] Paupertas, I, II, 4.

[25] Ms 24 737, f° 43.

[26] Sans doute peut-on dire que Hugo s’inspire, dans ses recueils poétiques de l’exil, de l’organisation par livres et par chapitres des romans pour ordonner ses recueils. Il a en tout cas commencé à soigner les titres des sections de son œuvre romanesque (par exemple dans Notre-Dame de Paris) avant de le faire en poésie.

[27] Il est possible également que les titres de certains poèmes, déjà trouvés en 1859 ou présents dans la copie de 1862, ait inspiré Hugo lorsqu’il s’agissait pour lui d’intituler les grandes sections de son recueil. Le titre « Ordre du jour de floréal » (I, I, I) existait déjà dans la copie de 1862. On peut donc supposer que le titre de la première partie du livre I, donné en 1865, « Floréal », en découle directement, ainsi que la section finale, « Nivôse ».

[28] Ms 24 737, f°171.

[29] Ms 24 737, f° 172.

[30] On songe, à la lecture d’un tel titre, aux intitulés savoureux de certains chapitres des romans hugoliens. Nombre d’entre eux fonctionnent comme des résumés : « Les inconvénients de suivre une jolie femme le soir dans les rues » (Notre-Dame de Paris, II, 4), « Mademoiselle Gillenormand finit par ne plus trouver mauvais que M. Fauchelevent soit entré avec quelque chose sous le bras » (Les Misérables, V, IV, 4), « Où l’on voit le visage de celui dont on n’a encore vu que les actions » (L’Homme qui rit, II, II, 1). Les titres en forme de résumé sont beaucoup plus rares dans la poésie de Hugo. C’est qu’il ne s’agit pas tant de jouer avec le lecteur et avec le suspens produit par le titre, que de laisser ouvertes les significations du texte.

[31] En réduisant la longueur du titre, Hugo met aussi plus en valeur l’énonciateur fictif du poème, « l’esprit des bois ». L’homophonie avec l’expression « esprit des lois » est rendue plus visible.

[32] Ms 24 737, f° 232. Le titre est d’une écriture plus grisée et plus large que celle du corps du poème. La copie de Victoire Étasse ne comportait pas de titre (Ms 24 738, f° 250).

[33] Ms 24 737, f° 214.

[34] Ms 24 737, f° 227.

[35] Ms 24 737, f° 228.

[36] Ms 24 738, f° 239. Les majuscules devant « Des guerres » et « Mon oncle » laissent à penser que Victoire Étasse n’avait pas compris que ces groupes de mots constituaient, dans le manuscrit de Hugo, des variantes au complément du nom « de soldat ». Hugo hésitait entre « Souvenirs des guerres », « Souvenirs de soldat » ou « Souvenir de mon oncle ». La disposition de ces termes dans le manuscrit de Hugo (Ms 24 737, f° 212) va pourtant très nettement dans le sens de cette lecture.

[37] « La dernière fanfare », dans Hugo et la guerre, dir. Claude Millet, Paris, Maisonneuve & Larose, 2002, p. 425-432.

[38] L’actuel poème « Souvenir des vieilles guerres » était situé en quarante-et-unième position dans la copie, tandis que la pièce désormais intitulée « L’ascension humaine », portait le numéro soixante.

[39] René Journet et Guy Robert indiquent que le titre a vraisemblablement été rajouté sur épreuve (Notes sur les Chansons des rues et des bois, op. cit., p. 259). Il n’est, de fait, pas présent dans le manuscrit, qui conserve le titre « À mon ami *** » (Ms 24 737, f° 242).

[40] Claude Millet nuance ainsi l’idée selon laquelle Hugo serait devenu, pendant l’exil, le « poète de la paix » : « Tout est évidemment plus compliqué d’abord parce que la poésie de la muse guerrière est bien, par plus d’un trait, homérique, mais c’est aussi, et comme du même coup, une sorte de concentré de la manière hugolienne. […] Plus globalement, le « changement d’horizon » ne se réalise pas dans l’ensemble de l’œuvre hugolien pour deux raisons, dont l’une est politique – Hugo n’est jamais passé d’un bellicisme ardent à un pacifisme inconditionnel – et l’autre poétique : jamais la poésie hugolienne ne s’arrachera totalement à la fascination qu’exerce sur elle le monde de la guerre : « pour le culte ou le blâme, la guerre aux yeux de Hugo est poésie. […]

                C’est que le monde de la guerre est un monde de la grandeur, le monde même de la grandeur que « remue » le poète, et qui le remue, l’inspire [...].

                C’est que la condamnation de la guerre et sa célébration, l’imprécation et l’acclamation procèdent le plus souvent de la même fascination : "l’horreur et le désir, selon le mot d’Alain, se tirent souvent par la main". C’est aussi que la parole poétique est, non exclusivement, mais cependant par nature, polémique – combattante, guerrière […] » (« La dernière fanfare », dans C. Millet [dir.], Hugo et la guerre, Paris, Maisonneuve & Larose, 2002, p. 422-425).

[41] Pierre Albouy, « Introduction », Œuvres poétiques , Paris, Gallimard, vol. III, 1974, p. XV-XVI.

[42] Gérard Genette explique que les poètes, de l’antiquité jusqu’au XIXe siècle, n’ont pas jugé bon de donner de véritables titres aux pièces de leurs recueils. Il évoque l’importance que prennent, au XIXe siècle, les titres des poèmes dans les recueils lyriques, et donne l’exemple de Jules Laforgue : « Son registre, on le sait, est l’humour cocasse et désolé. Son meilleur poème (et ce n’est pas peu dire) pourrait être la table des Complaintes : "Préludes autobiographiques" […], "Complainte propitiatoire à l’Inconscient", "Complainte-placet de Faust-fils", "Complainte à Notre-Dame des Soirs", "Complainte des voix sous le figuier bouddhique", "Complainte de cette bonne lune", "Complainte des pianos qu’on entend dans les quartiers aisés"… » (Seuils, Paris, Seuil, 1987, p. 290).

[43] Marie-Hélène Prat, « Le monde des titres dans Les Contemplations de Victor Hugo », art. cit., p. 195.