Caroline Raulet-Marcel : Le Bug Jargal de 1826: les enjeux d'un dispositif d'énigme caduc
Communication au Groupe Hugo du 26 septembre 2009
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Le 30 janvier 1826, Victor Hugo publie Bug-Jargal chez l’éditeur Gosselin. Ce roman, alors attribué à « l’auteur de Han d’Islande » sur sa page de titre, est la deuxième version remaniée, enrichie, d’un premier récit du même nom, paru en cinq livraisons de mai à juin 1820 dans Le Conservateur littéraire[1]. Dans les deux cas, le récit est en grande partie délégué à un capitaine – Delmar dans la première version, Léopold d’Auverney dans la deuxième – qui narre une partie de son passé à ses compagnons d’armes afin de rendre une nuit de bivouac moins longue. Le personnage raconte de quelle manière sa vie a été bouleversée par la révolte des Noirs à Saint-Domingue en 1791. Neveu d’un riche colon, très cruel avec ses esclaves, le personnage, alors tout jeune homme[2], est fasciné par Pierrot, un jeune noir jeté en prison pour avoir sauvé un esclave endormi de la fureur de son maître. Delmar / D’Auverney lui rend visite en prison et se lie peu à peu d’amitié avec lui. Figure mystérieuse, Pierrot éveille sa curiosité – il inspire un profond mais inexplicable respect à tous ses camarades, il parle plusieurs langues… – mais refuse de lui raconter son passé. C’est alors que la révolte des esclaves éclate et Delmar / D’Auverney soupçonne Pierrot, qui s’est évadé, d’avoir assassiné son oncle. Ce n’est que bien plus tard qu’il comprend que Pierrot est innocent et de surcroît qu’il est en réalité Bug-Jargal, un roi africain à la tête des révoltés du Morne-Rouge.
En 1826, Victor Hugo étoffe l’intrigue en y ajoutant une histoire d’amour entre Léopold d’Auverney et Marie, sa cousine, et aussi – c’est ce qui nous intéressera davantage ici – en inventant un deuxième personnage qui dissimule son identité : le nain Habibrah, esclave et bouffon de son oncle, que Léopold retrouve sous l’habit – et le voile – d’un mystérieux obi (nom créole pour désigner un sorcier), lorsqu’il est fait prisonnier par Biassou, et dont il finit par découvrir qu’il a assassiné son oncle, alors qu’il témoignait à celui-ci de nombreuses marques d’attachement.
Le 5 février 1826, ce mystère autour l’identité de l’obi inspire la remarque suivante à Abel François Villemain, académicien et professeur à la Sorbonne :
Il y a des choses très originales dans vos caractères. Surtout ce nain bouffon qui se réhabilite de son avilissement par un meurtre ; mais croyez-vous pas que Léopold devrait deviner plus vite ce petit monstre sous son voile et son étole ? Le lecteur le reconnaît tout de suite.[3]
Villemain reproche ici à Hugo de faire attendre trop longtemps une révélation – la scène où Habibrah se dévoile – qui, en définitive, n’est susceptible de provoquer de surprise que chez un personnage peu clairvoyant, persuadé que le nain est mort en voulant défendre son maître. Selon Villemain, la peinture de Léopold d’Auverney manque donc de vraisemblance et il en veut pour preuve le fait que le lecteur ne manque pas d’identifier rapidement Habibrah sous le voile de cet obi si souvent hostile à l’égard de Léopold. Il est vrai que les indices s’accumulent qui confortent cette hypothèse : la première description du sorcier rappelle celle du bouffon[4] et sa petite taille est mentionnée à plusieurs reprises[5]. L’impression de « déjà-entendu » de Léopold d’Auverney[6] invite à chercher l’identité de cet « être impénétrable » (BJ, 381) parmi les personnages déjà rencontrés ; or, déjà présenté plusieurs fois comme un être antipathique[7], Habibrah, a, de surcroît, disparu dans des circonstances troublantes (d’Auverney conclut que le nain est mort en voulant protéger son maître, mais son corps a disparu, seule sa veste tachée de sang est retrouvée). Le lecteur est ainsi rapidement à même de percevoir l’aveuglement de Léopold et, du même coup, de pressentir que ce dernier se trompe tout autant sur Habibrah que sur Pierrot qu’il accuse de toutes les perfidies[8].
Faut-il, comme Villemain, considérer cette caractéristique de l’œuvre comme une maladresse d’écriture ? Il semble que non. L’aveuglement du capitaine d’Auverney, dont Yvette Parent souligne qu’il constitue l’un des principaux thèmes du roman[9], nécessite, en effet, un lecteur clairvoyant pour être apprécié à sa juste mesure. Surtout, le caractère factice de l’énigme sur laquelle repose en grande partie l’intrigue est plus marqué encore que ce que laisse entendre Villemain dans son commentaire, et paraît essentiel dans la poétique de l’œuvre.
Il serait inexact d’affirmer que le manque de pénétration du capitaine permet à l’auteur d’instaurer un lien de connivence avec un lecteur plus habile que le narrateur intradiégétique à déchiffrer les signes qui s’offrent à lui. Le point de vue rétrospectif adopté par le capitaine d’Auverney vient modifier cette perspective. De fait, lorsqu’il raconte son histoire, le narrateur-personnage connaît la véritable identité de l’obi. Si ironie il y a, il s’agit, amère et désabusée, de la sienne. Elle reste toutefois discrète tout au long du récit. Si Léopold d’Auverney ne se livre à aucun commentaire explicite sur son aveuglement passé, c’est sans doute pour respecter le contrat passé avec ses compagnons d’armes : « fixer leur attention » (BJ, 279) afin de rendre la nuit de bivouac moins longue[10]. L’instauration d’un double suspens – lié, d’une part à la marche vers le dénouement dramatique, d’autre part à l’énigme pesant sur l’identité de Bug-Jargal et Habibrah – semble en être le principal moyen. La rétention d’informations opérée par d’Auverney au sujet des deux personnages mystérieux n’obéit pas uniquement, en effet, à la volonté de restituer le plus fidèlement possible les souvenirs du passé : Léopold annonce à deux reprises la dimension funeste du dénouement[11] ; par contraste, l’absence de prolepse concernant la révélation de l’identité de Pierrot et de Habibrah apparaît donc comme la preuve d’une restriction de champ délibérée, elle manifeste une volonté concertée de « mettre en intrigue »[12] le passé afin de capter l’attention de l’auditoire. En tout cas, c’est ainsi que l’entend Thadée, lorsqu’il raconte la bataille de la Grande-Rivière :
Au milieu de la bagarre, je vis un grand nègre qui se défendait comme un Belzébuth contre huit ou dix de mes camarades ; je nageai là, et je reconnus Pierrot, autrement dit Bug… Mais cela ne doit se découvrir, n’est-ce pas, mon capitaine ? Je reconnus Pierrot. (BJ, 320)
Ce commentaire du sergent est maladroit, en ce qu’il menace le suspens entretenu par le capitaine d’Auverney. Dans le même temps, il constitue un amusant procédé de dénudation, puisqu’il attire l’attention du lecteur sur la dimension factice du mystère concernant Pierrot plus qu’il ne lève celui-ci par avance. En effet, contrairement à ce que l’on observe dans d’autres romans à énigme de l’époque[13], notamment pour Hugo, dans Han d’Islande, le dispositif d’énigme construit par Bug-Jargal est caduc dès l’ouverture du roman[14] – et ce dès la version de 1820. Dans le récit de d’Auverney, il n’y a de mystère que pour le lecteur inattentif ou pour celui qui « fai[t] la sourde oreille »[15]. Dès le dialogue initial entre le capitaine et Thadée, la double identité de Pierrot/Bug-Jargal est révélée, tout comme l’issue tragique du personnage. Le vieux sergent déclare :
Non, mon capitaine, si le sergent Thadée a pu pleurer, ce n’a pu être, et vous en conviendrez, que le jour où il a crié feu sur Bug-Jargal, autrement dit Pierrot.(BJ, 280).
Il se laisse ensuite aller au plaisir paradoxal de raconter le douloureux souvenir de l’exécution du Noir. L’anticipation du dénouement cesse lorsque Léopold prend conscience de la blessure à la main de Thadée, mais le récit que le vieux sergent fait alors du sauvetage du chien Rask (« ce pauvre Rask, le dogue de Bug… ; Pour Rask, le dogue de Bug… » (BJ, 281 et 282) lui permet à nouveau de mentionner Bug-Jargal. D’Auverney voulant changer de sujet, on n’en saura toutefois pas plus sur le personnage, dont le nom est de surcroît tronqué à deux reprises par des points de suspension. Reste que l’identité Pierrot/Bug-Jargal a été formellement établie.
L’ouverture du roman comporte une part de mystère : la remémoration à deux voix de la mort de Bug-Jargal contient des éléments que les autres personnages ne peuvent comprendre[16]. Lacunaire, elle suscite la curiosité et fera fonctionner le récit qui suit sur le mode – explicatif – de l’analepse. Toutefois, si la double identité de « Bug-Jargal, autrement dit Pierrot » (BJ, 280) peut susciter des interrogations légitimes, le fait que les deux noms désignent le même personnage est énoncé clairement. Plus loin, l’information est d’ailleurs répétée à deux reprises par Henri, désireux d’en savoir plus :
[…] ce Bug…, autrement dit Pierrot, pique singulièrement ma curiosité… (BJ 284) ; […] j’espère mon cher ami, que vous voudrez bien remplir votre engagement, en nous disant l’histoire de votre chien boiteux et de Bug… je ne sais comment, autrement dit Pierrot, ce vrai Gibraltar ! (BJ, 284-285)
Ce discours où l’officier s’amuse à reprendre les expressions de Thadée rappelle une nouvelle fois que Pierrot et Bug-Jargal ne forment qu’un. Cette insistance sur la double identité de Pierrot dès le début du roman contraste avec le suspens que prend soin de ménager d’Auverney dans son propre récit, et vient déplacer une partie des enjeux de la lecture du récit à énigme. Le récit central fonctionne en effet sur un double mécanisme de dénégation : quand bien même l’une des clés du récit a déjà été fournie par Thadée, d’Auverney semble supposer chez ses auditeurs le même aveuglement que celui qui fut jadis le sien. Si le texte ne nous dit rien des réactions de l’auditoire sur ce point, c’est sans doute que les autres soldats ne se montrent pas critiques à cet égard. Le lecteur n’est toutefois dupe que s’il le veut bien. Il ne peut ignorer ni le manque de lucidité du jeune d’Auverney qui ne parvient pas à deviner le mystère de Pierrot (Léopold n’admet pas qu’il puisse s’agir de l’inconnu qui a chanté la romance à Marie, et il ne songe jamais à le mettre en relation avec Bug-Jargal, le chef des Noirs du Morne-rouge[17]) ni la volonté du narrateur-personnage de dérober une partie de ce qu’il sait afin de se plier aux attentes d’un auditoire en quête d’un récit captivant, auditoire qui pourtant sait déjà.
À quoi sert l’anticipation de la révélation de l’identité de Pierrot/Bug Jargal au début du roman ? À quoi sert le mystère grossier pesant sur l’identité d’Habibrah ? Ces deux éléments nous semblent déterminants pour comprendre la construction du lecteur exigé par le texte. Qui dit récit à énigme dit activité herméneutique proposée au destinataire de l’œuvre. Or, la dimension caduque des mystères au cœur de l’intrigue de Bug-Jargal vient déplacer une partie des enjeux de la communication littéraire et nous conduira tout d’abord à examiner la représentation du lecteur offerte par un texte qui problématise ouvertement la question de sa réception. Dans un deuxième temps, il s’agira de se demander si la véritable énigme de Bug-Jargal – roman initialement attribué à « l’auteur de Han d’Islande », nous l’avons vu – n’est pas celle de l’identité d’un auteur qui ne cesse de se dérober à ses lecteurs.
I. La construction d’un espace de liberté critique pour le lecteur
La question de la communication littéraire, de sa nature, de ses enjeux est explicitement soulevée par Bug-Jargal. Dans ce roman, le capitaine d’Auverney raconte un épisode marquant de sa jeunesse aux officiers rassemblés autour de lui. Sa douloureuse histoire occupe la majeure partie du roman, mais elle est enchâssée dans un récit où sont rapportés à plusieurs reprises les commentaires de ses auditeurs. La place occupée par ces réactions – souvent peu amènes, nous allons le voir – montre que la double narration adoptée par Hugo n’est pas destinée à naturaliser la profération et l’écoute du récit, comme c’est le cas dans d’autres romans qui adoptent une structure énonciative similaire[18], mais a pour principal objet la mise en scène d’une communication difficile entre le devisant et des auditeurs qu’il n’a pas véritablement choisis[19].
Le dialogue initial au cours duquel Thadée et d’Auverney se remémorent par bribes la mort de Bug-Jargal déclenche l’intérêt des officiers présents à leur côté. Un contraste apparaît cependant d’emblée entre la tristesse de Thadée et d’Auverney, émus par le souvenir de Bug-Jargal, et l’humeur joviale de leurs compagnons. C’est en riant qu’Henri interroge Thadée sur les circonstances énigmatiques de ses premières larmes, et plus loin, les auditeurs sont qualifiés de « joyeux conteurs » (BJ, 282).
Or, la suite du récit montre l’incapacité de d’Auverney à atténuer cet écart initial entre ses camarades et lui. De fait, leur attention est fluctuante, oscillant entre la curiosité et un désintérêt où la critique le dispute au rire. Peu après le début du roman, en l’absence de d’Auverney sorti accompagner Thadée à l’ambulance, Henri et Alfred manifestent leur intérêt pour l’histoire du capitaine, mais le ton général de l’échange est à la plaisanterie : seul Alfred est véritablement touché par ce qui s’est passé entre d’Auverney et son vieux sergent[20] ; Henri atténue la charge pathétique de la scène qui vient de se produire, lorsqu’il se demande si le capitaine consentirait à échanger son récit contre des bouteilles de vin. Quant à Paschal, il tourne en dérision l’intérêt manifesté par Alfred pour d’Auverney et Thadée : « Cette scène est très-sentimentale. Comment donc ! un chien retrouvé et un bras cassé ! » (BJ, 285).
Ce phénomène se répète à plusieurs reprises, lorsque le récit est véritablement entamé. D’Auverney, qui commence par évoquer le triste sort des esclaves de son oncle, doit très vite s’interrompre pour répondre aux sarcasmes d’Henri sur ce discours qu’il estime rebattu[21]. Plus loin, au beau milieu du récit du combat entre l’armée coloniale et les rebelles noirs, les auditeurs s’amusent des réactions de Thadée, revenu sous la tente malgré sa blessure. Ils pressent malgré tout d’Auverney de reprendre le fil de son récit[22], mais peu de temps avant le dénouement, alors que celui-ci, très ému par le souvenir de sa vie passée, s’absente un instant, de nouveaux commentaires fusent, montrant le manque d’empathie des auditeurs avec le conteur. Alfred et Paschal manifestent leur ennui face à un récit qu’ils jugent trop long, peu vraisemblable[23] ; les officiers ne semblent pas prendre la mesure du tragique de l’histoire et s’intéressent essentiellement à la dimension pittoresque de celle-ci[24]. Au début du passage, Henri, avait montré son intérêt pour Bug-Jargal, mais son commentaire final donne, lui aussi, une couleur comique à l’histoire de d’Auverney – en tout cas aux conditions de son énonciation :
Quant à moi, ce qui m’amusait le plus pendant le récit d’Auverney, c’était de voir son chien boiteux lever la tête chaque fois qu’il prononçait le nom de Bug-Jargal. (BJ, 391)
Au moment où d’Auverney revient, les officiers sont même sur le point de changer de sujet, et Paschal s’apprête à relater une anecdote de son cru…
Comment interpréter cette mise en scène de l’écoute du récit d’Auverney ? Les auditeurs jugent l’histoire du capitaine à l’aune de critères littéraires : Henri met en avant la structure dramatique de l’histoire lorsqu’il évoque la « catastrophe » (BJ, 390) finale, Paschal stigmatise, nous l’avons vu, le manque de vraisemblance de l’histoire, les auditeurs exigent une narration sans longueurs. Ces éléments signaleraient-t-ils une prise de distance de Hugo par rapport à son roman ? L’ironie est ici perceptible, mais elle s’exerce autant – sinon plus – à l’égard des auditeurs. Ces derniers se contredisent[25]. Les constantes allusions de Paschal à la Dive bouteille en font un personnage comique[26]. La posture désinvolte des auditeurs décrédibilise ainsi leur jugement ; de plus, le narrateur ne livre pas la réaction des officiers à la toute fin du récit de d’Auverney : le roman s’achève sur le douloureux récit à deux voix de la mort de Bug-Jargal exécuté par Thadée, la solennité du dénouement ne fait pas l’objet de moqueries, la gravité du propos est même accentuée par la note finale qui raconte de quelle manière d’Auverney, mort en héros, a fait l’objet de la malveillance d’un révolutionnaire borné. Bref, l’image d’un public récalcitrant fait ici office de repoussoir pour le lecteur construit par Hugo.
Hugo met en scène l’hétérogénéité du public et explore les incertitudes de la communication littéraire. L’écart entre Léopold et son auditoire annonce les discours peu amènes proférés sur Le Dernier Jour d’un condamné par les personnages d’« Une comédie à propos d’une tragédie » : toute œuvre court le risque d’être lue par des lecteurs incapables de la comprendre. Néanmoins, la satire d’un public peu accueillant doit pallier en partie ce danger. En tout cas, elle impose presque explicitement une autre lecture de l’histoire de d’Auverney, celle d’un lecteur bénévole. En effet, les commentaires des officiers font gagner le récit de d’Auverney en intensité dramatique, d’une part parce que leur point de vue apparaît peu fiable, d’autre part parce que leurs interventions permettent de ménager des pauses dans le récit, de faire varier la charge pathétique de celui-ci. Alliant le sublime au grotesque, le procédé permet d’éviter une surenchère mélodramatique et de mobiliser ainsi plus efficacement les affects du lecteur.
Il faut toutefois nuancer l’idée selon laquelle l’auditoire de d’Auverney constituerait l’exacte antithèse du lecteur idéal construit par le roman. L’œuvre de Hugo n’exige nullement, en effet, un lecteur en empathie complète avec Léopold. Preuve en est le traitement réservé au personnage de Thadée : l’émotion de ce dernier contraste avec l’attitude souvent sarcastique des autres officiers. Néanmoins, il ne constitue pas, lui non plus, un support d’identification adéquat pour le lecteur : au début du chapitre 23, son chagrin et son obstination à servir le capitaine malgré sa blessure, le rendent attachant mais lui confèrent aussi une dimension comique. Parfois, son discours offre ainsi un contrepoint burlesque à celui de d’Auverney et le rire qu’il déclenche alors chez ses camarades apparaît fondé. Ces intermèdes ménagent, eux aussi, des moments de détente pour le lecteur, et permettent ensuite de relancer le drame avec plus d’intensité.
Ainsi, la poétique du roman se fonde sur la discontinuité et le lecteur de Bug-Jargal se construit dans le jeu avec des figures d’auditeurs fictionnels contrastés. Le roman exige un lecteur qui soit à la fois touché par le drame conté par d’Auverney et capable d’exercer une vigilance critique à l’égard du roman. La représentation des auditeurs du capitaine n’est jamais univoque. Certes certaines tournures employées par Thadée peuvent faire naître le sourire, mais c’est à lui qu’il revient de raconter le dénouement tragique de l’histoire. Certes, les railleries des officiers manquent de pertinence, mais elles ouvrent, au sein du texte romanesque, un espace de liberté critique que Hugo ne renie pas. Lorsque Henri tourne en dérision le discours « négrophile » de Léopold d’Auverney, une note infrapaginale indique en effet :
On pourra s’étonner aussi de la légèreté un peu hardie avec laquelle le jeune lieutenant raille des philanthropes qui régnaient encore à cette époque par la grâce du bourreau. Mais il faut se rappeler qu’avant, pendant et après la terreur, la liberté de penser et de parler s’était réfugiée dans les camps. Ce noble privilège coûtait de temps en temps la tête à un général ; mais il absout de tout reproche la gloire si éclatante de ces soldats que les dénonciateurs de la convention appelaient les « messieurs de l’armée du Rhin. » (BJ, 286)
Myriam Roman met en relation cet hommage rendu à la liberté de parole des soldats du Rhin avec la critique du « règne de l’opinion et de la démagogie »[27], formulée dans le roman. Il est significatif que d’Auverney s’interdise de « parler au nom d’un collectif » en refusant de corriger la lettre de Jean-François :
Dans Bug-Jargal, l’insurrection populaire ne trouve pas de légitimité ; la seule rébellion juste est celle de Bug-Jargal, parce qu’elle répond à une offense personnelle faite aux siens et à la fonction du Roi.[28]
Dans un roman qui valorise ainsi l’indépendance de ses personnages principaux vis-à-vis d’un « collectif », la représentation d’un auditoire peu bienveillant, certes, mais rassemblant diverses opinions n’est pas investie d’un sens complètement négatif. En mettant en scène un tel public, Bug-Jargal donne naissance à un lecteur capable de négocier la juste distance par rapport à un texte donné, par rapport à la représentation d’un public donné, et donc capable de s’éprouver dans sa singularité. C’est à ce destinataire que Bug-Jargal propose une activité herméneutique centrée non pas tant, en définitive, sur la reconnaissance de la double identité de Pierrot/Bug-Jargal et Habibrah/l’obi que sur la figure de l’auteur qui se dissimule derrière eux.
II. De Han d’Islande à Bug-Jargal : le mystère de l’auteur
Revenons à la mention « par l’auteur de Han d’Islande » que l’on trouve sur la page de titre du roman de 1826. Cette attribution est significative en ce qu’elle instaure un lien entre Bug-Jargal et un premier roman dont la poétique était largement fondée sur la mise en place d’un jeu de piste avec la figure de l’auteur. Dans les premières préfaces de Han d’Islande, Hugo se plaît à souligner son anonymat et se moque des « jolies lectrices » qui l’ont confondu avec son personnage principal[29]. Or, dans le récit, le sanguinaire Han qui ne cesse de s’offrir sous de multiples déguisements au lecteur sagace, seul apte à l’identifier (le narrateur est presque toujours réticent à le nommer), apparaît bien malgré tout comme un double grotesque de cet auteur si soucieux de son incognito dans les marges de son œuvre[30].
Dans Bug-Jargal, Hugo joue à nouveau avec les attributs de l’auctorialité. Derrière les « fausses » énigmes de Bug-Jargal et Habibrah, derrière la construction problématique de leur identité, se dessine une interrogation persistante sur la figure de l’écrivain, sur ses pouvoirs et sur ses modes d’apparition dans le texte romanesque.
Tout d’abord l’énonciation éclatée de Bug-Jargal empêche la prise en charge du texte par un seul narrateur-auteur et pose la question de la voix à l’origine du texte. Dans le roman de 1826, un lien étroit unit l’auteur à son personnage de conteur. Jacques Seebacher explique que Léopold d’Auverney doit beaucoup aux parents de Victor Hugo : il emprunte son prénom au père, et son nom à la région d’origine de la mère[31]. « D’Auverney » est également le pseudonyme utilisé par Hugo pour signer plusieurs de ses textes – essentiellement des traductions – publiés dans Le Conservateur littéraire[32]. Ces indices qui font du capitaine d’Auverney l’un des avatars de l’auteur, sinon l’un de ses doubles, ne sont pas compréhensibles par la majorité des lecteurs : ils participent à la constitution d’un « espace autobiographique »[33] destiné à rester confidentiel. La proximité du capitaine d’Auverney avec l’auteur est néanmoins suggérée par la mise en abyme de la réception du récit ainsi que par certains passages plus circonscrits de l’œuvre. Le chapitre 39[34] confère ainsi à d’Auverney une position d’analyste du sentiment intérieur qui est généralement l’apanage des narrateurs-auteurs des romans de la même période. Dépeignant les effets de l’adversité sur l’âme, le capitaine explique :
Quand les événements extraordinaires, les angoisses et les catastrophes viennent fondre tout à coup au milieu d’une vie heureuse et délicieusement uniforme, ces émotions inattendues, ces coups du sort, interrompent brusquement le sommeil de l’âme, qui se reposait dans la monotonie de la prospérité. Cependant le malheur qui arrive de cette manière se semble pas un réveil, mais seulement un songe. […] Les hommes, les choses, les faits, passent alors devant nous avec une physionomie en quelque sorte fantastique, et se meuvent comme dans un rêve. […] Alors tout ce qui est nous paraît impossible et absurde : nous croyons à peine à notre propre existence, parce que, ne trouvant rien autour de nous de ce qui composait notre être, nous ne comprenons pas comment tout cela aurait disparu sans nous entraîner, et pourquoi de notre vie il ne serait resté que nous. Si cette position violente de l’âme se prolonge, elle dérange l’équilibre de la pensée et devient folie, état peut-être heureux, dans lequel la vie n’est plus pour l’infortuné qu’une vision dont il est lui-même le fantôme. (BJ, 358-359)
Il n’est plus ici question de l’histoire de d’Auverney. L’usage du présent et d’un « nous » génériques associent non plus (ou non plus seulement) le personnage et son auditoire, mais l’auteur et le lecteur dans une méditation sensible. Le capitaine conclut d’ailleurs son discours par un commentaire qui manifeste la conscience du léger décrochement énonciatif auquel la digression a donné lieu :
J’ignore messieurs, pourquoi je vous expose ces idées. Ce ne sont point de celles que l’on comprend et que l’on fait comprendre. Il faut les avoir senties. (BJ, 359)
Si le capitaine ignore pourquoi il a prononcé ces paroles, ce n’est peut-être pas uniquement parce que celles-ci ne peuvent être comprises de son auditoire : c’est sans doute aussi parce qu’il a eu un bref instant le sentiment d’être dépossédé de ses choix narratifs, porté par une voix transcendante, celle de l’auteur. Dans le même temps, l’autorité quasi auctoriale dont le personnage semble le dépositaire est en partie minée par le rapport problématique qu’il entretient avec le savoir délivré à ses auditeurs. De naïf et ignorant qu’il était au moment de la révolte des esclaves, le capitaine est devenu en quelque sorte omniscient (même s’il privilégie le point de vue de celui qu’il a été). Néanmoins, la maîtrise du savoir sur son passé lui échappe en partie, puisqu’une bonne part de ses secrets sont divulgués avant qu’il prenne la parole. Il serait excessif de dire que d’Auverney est tourné en dérision par Hugo – l’élogieux portrait moral que fait de lui le narrateur-premier (BJ, 282-283) interdit cette hypothèse –, mais il semble bien qu’une discrète ironie s’exerce à son égard en tant qu’il est le narrateur d’un récit à énigme agencé assez maladroitement. Comme la mise en scène d’un auditoire peu indulgent, le déplacement de la structure d’énigme introduit une distance critique dans l’espace romanesque, distance paradoxalement sentie comme nécessaire pour que le lecteur s’implique affectivement dans un récit qui sans cela aurait peut-être été considéré comme une forme trop familière pour ne pas être usée[35]. Dans le même temps, elle signale un discret procédé d’autodérision vis-à-vis de la figure de l’auteur.
Outre Léopold d’Auverney, le lecteur rencontre deux autres – peut-être même trois – figures d’énonciateur distinctes. À celle de « l’auteur » construite par la préface, succède celle d’un narrateur prenant en charge le récit de la scène entre les officiers, qui enchâsse ensuite l’histoire contée par le capitaine. Ce narrateur émet quelques jugements sur les personnages : pour dresser le portrait de d’Auverney, il mêle des remarques tirées de l’observation du physique du personnage à la convocation d’un point de vue anonyme, – « on savait » – qui semble renvoyer aux « camarades » de combat du capitaine. Cette voix relativement discrète resurgit à chaque fois que le récit de d’Auverney s’interrompt. C’est elle qui vient rappeler la scénographie du récit central en décrivant le capitaine ou en distribuant la parole à son auditoire. En revanche, elle ne s’adresse jamais directement au lecteur du roman.
Une deuxième scène d’énonciation, faisant explicitement mention des « lecteurs »[36], est présente dans l’appareil de notes infrapaginales. Une voix s’y élève qui prend en charge certaines explications historiques et/ou idéologiques nécessaires à la compréhension de l’histoire. L’objectif principal est ici d’éclairer les éléments de l’intrigue que le décalage temporel et historique entre Saint-Domingue de 1791 et la France de la Restauration pourrait rendre obscurs aux yeux du public français de 1826 : la vigueur des « associations négrophiles » durant la période révolutionnaire[37] ou le système raciste de classement des populations de couleur adopté par M. Moreau de Saint-Méry. Très régulièrement, le lecteur se voit également proposer la traduction d’expressions créoles ou espagnoles utilisées par d’Auverney. Enfin, quelques commentaires métadiscursifs figurent aussi dans les notes[38]. La voix qui se fait entendre dans cet espace textuel n’est pas explicitement identifiée comme celle de « l’auteur », mais à la manière de ce qu’on observe dans la préface, elle permet une mise en perspective historique du récit, notamment grâce à la référence à Toussaint-Louverture, qui ne joue encore qu’un rôle mineur au moment des événements racontés, mais dont la figure va devenir rapidement célèbre[39].
Enfin, la voix qui s’élève dans la longue « Note » finale est distincte de la voix de « l’auteur » de la préface, bien qu’elle bénéficie d’un recul historique similaire. Elle mentionne les « lecteurs » – sur un ton d’ailleurs assez sarcastique qui rappelle certaines des remarques de d’Auverney à l’adresse de son auditoire récalcitrant –, mais elle accrédite l’idée que le capitaine a bel et bien existé, puisqu’elle évoque des « recherches » effectuées à son sujet pour satisfaire les exigences du public :
Comme les lecteurs ont en général l’habitude d’exiger des éclaircissements définitifs sur le sort de chacun des personnages auxquels on a tenté de les intéresser, il a été fait des recherches, dans l’intention de satisfaire à cette habitude, sur la destinée ultérieure du capitaine Léopold d’Auverney, de son sergent et de son chien. (BJ, 395)
La « Note » met donc en place la figure d’un éditeur-historien fictif s’adressant au lecteur pour lui présenter les documents qu’il a collectés. Néanmoins, cet énonciateur est dessiné très fugitivement. Sa voix, très forte lorsqu’il s’agit de dénoncer « l’idole sanglante » de la Terreur (BJ, 395), se fait plus discrète dans la suite, et finit par disparaître[40]. Par ailleurs, on ignore s’il a lui-même rassemblé les documents dont il fait état, la tournure impersonnelle « il a été fait des recherches » empêchant de l’identifier formellement comme l’acteur des susdites « recherches ».
On observe un effacement similaire des figures d’énonciation dans la suite de la « Note ». Le texte décrit la confrontation, pendant la Terreur, entre un commissaire du peuple venu arrêter d’Auverney, suspect de conspiration contre-révolutionnaire, et le général M*** défendant la mémoire de celui-ci, mort héroïquement au combat. Chacun s’appuie sur un rapport pour étayer son point de vue. Or, si le général évoque l’auteur de celui dont il lit un extrait[41], il n’en va pas de même pour le commissaire : « […] je veux, par condescendance pour vos succès, vous lire la note qui m’a été donnée sur ce d’Auverney […]. » (BJ, 396). On ignore qui a rendu compte du « conciliabule de conspirateurs » au cours duquel « Léopold Auverney (ci-devant De) » (BJ, 396) aurait bafoué les valeurs de la révolution, autrement dit quel est le personnage qui a réécrit le récit que le lecteur vient de lire, en tout cas qui l’a réinterprété à la lumière des événements révolutionnaires. En effet, on reconnaît dans le compte rendu du commissaire une version déformée de l’histoire de Bug-Jargal contée par le capitaine[42]. Qui est l’auteur de cette version malveillante ? S’agit-il d’un auditeur du récit initial ou bien l’histoire de Bug-Jargal a-t-elle été colportée par des on-dit ? En multipliant les figures d’énonciation à l’origine du récit, le roman efface la figure de l’auteur, mais est dans le même temps susceptible d’attirer également l’attention du lecteur sur elle.
Dans la ligne de Han d’Islande, l’emploi d’un dispositif d’énigme conduit aussi le lecteur à chercher des images d’auctorialité dans la diégèse de Bug-Jargal. On insiste souvent sur les rapports d’antagonisme ou de proximité qu’entretiennent d’Auverney, Bug-Jargal et Habibrah d’un point de vue symbolique[43], mais il faut aussi les comparer dans le rapport qu’ils entretiennent avec l’auteur : non pas directement avec le jeune Hugo, mais avec « l’auteur de Han d’Islande » tel que Bug-Jargal le construit dans les détours du texte. Or, comme Han d’Islande, Bug-Jargal et Habibrah possèdent des pouvoirs auctoriaux.
Tout d’abord, ces deux personnages possèdent le savoir qui fait défaut à Léopold. Leurs yeux, « ardents » (BJ, 290) ou « flamboyants » (BJ, 328), manifestent une pénétration qui manque au jeune homme. Ce dernier ne peut déchiffrer ni les messages en « caractères inconnus » (BJ, 302) que reçoit Pierrot dans sa cellule ni les hiéroglyphes mêlés de sang que Habibrah porte sur sa gorra, une fois le meurtre de son maître accompli[44]. À l’inverse, Habibrah découvre la retraite de Marie (BJ, 383) et la scène où il lit les lignes de la main de Léopold montre également son omniscience.
Les types de discours utilisés par Bug-Jargal et Habibrah pour dévoiler tout ou partie de la vérité rapprochent également ces personnages de l’auteur, en ce qu’ils s’apparentent ou empruntent à des formes littéraires. Bug-Jargal possède le don de l’éloquence[45] et révèle son goût de la poésie lorsqu’il chante une romance amoureuse à Marie en s’accompagnant de sa guitare. Le chant lui permet plusieurs fois d’exprimer sa « noire mélancolie » (BJ, 299). Parmi les airs qu’il interprète « avec expression » (BJ, 302), selon d’Auverney, l’un d’entre eux Yo que soy contrabandista (Moi qui suis contrebandier) est emblématique de son destin. Le couplet par lequel il se fait reconnaître d’Auverney, prisonnier, révèle en effet son identité, aussi bien grâce à son contenu – Bug-Jargal rapporte qu’il a été fait prisonnier et clame son malheur[46] – que grâce à sa forme – l’emploi d’une langue poétique[47].
Quant à Habibrah, son usage de la parole prophétique le rapproche du poète tel qu’il est représenté sous la Restauration[48]. Certes, les horoscopes de pacotille qu’il délivre à ses compagnons manifestent plus sa cupidité[49] et sa malice que son art de la divination. Il n’empêche, à plusieurs reprises, ils indiquent la possession d’un savoir caché aux autres hommes : c’est le cas à propos de la mort de Bouckmann. De plus, grâce à ses discours, le sorcier exerce sur l’imagination de ses camarades un pouvoir qui n’est pas sans rappeler celui du roman sur ses lecteurs[50]. Léopold d’Auverney dénonce à plusieurs reprises le « charlatanisme » (BJ, 333) de l’obi, mais finit lui-même par accorder foi à son discours, lorsque c’est son tour de se faire lire les lignes de la main. Notons d’ailleurs que la prédiction de sa mort, qu’il écoute avec mépris, finira effectivement par se réaliser : il succombera bien de « mort violente », même si ce n’est pas de la main d’Habibrah. Le discours de l’obi est ici pleinement prophétique[51].
Le texte romanesque tisse des liens étroits entre Bug-Jargal et Habibrah, à la fois figures du même et figures d’une inversion absolue[52]. Certes, c’est dans le dessein d’attirer d’Auverney vers l’abîme, non de le sauver, que le nain utilise quasiment les mêmes paroles que Bug-Jargal : Ay desdichado (BJ, 387). Néanmoins, ces mots contiennent également leur part de vérité : Habibrah est bien un être marqué par le malheur comme Bug-Jargal. Les mots prononcés au bord du gouffre sont également significatifs du fonctionnement particulier du discours du bouffon : vrai et faux à la fois[53] – comme le discours littéraire en quelque sorte. C’est le cas des horoscopes précédemment analysés ; c’est aussi le cas du long discours où le nain fait espérer à d’Auverney qu’il va lui révéler l’identité du mystérieux chanteur. Après de nombreuses circonlocutions, il conclut :
Il est évident que "el hombre" qui a pu chanter de telles "extravagances", comme vous les appelez, ne peut être et n’est qu’un fou pareil à moi ! » (BJ, 295)
Cette réponse fâche Léopold qui espérait un renseignement plus précis. Elle est toutefois exacte, en ce qu’elle établit une homologie entre le nain-bouffon et Bug-Jargal. Contraint au secret, ce dernier a beau être roi, il doit utiliser un langage qui s’apparente à celui des fous, en ce qu’il ne peut révéler la vérité que par un détour : détour d’un langage en apparence abscons chez le fou, détour du je poétique chez le roi réduit en esclavage. D’Auverney établit lui-même un lien entre le langage de la folie et celui de la poésie lorsqu’il évoque les griots :
Vous ignorez peut être qu’il existe parmi les noirs de diverses contrées de l’Afrique des nègres doués de je ne sais quel grossier talent de poésie et d’improvisation qui ressemble à la folie. Ces nègres, errant de royaume en royaume, sont, dans ces pays barbares, ce qu’étaient les rapsodes antiques ; et dans le moyen âge les "minstrels" d’Angleterre, les "misinger" d’Allemagne et les "trouverres" de France. On les appelle "griots". (BJ, 323)
Après que Bug-Jargal a adressé une romance à Marie, Habibrah répond ironiquement à Léopold qui lui demande s’il a « entendu une voix » :
"Que quiere decir usted" [Que voulez-vous dire] par une voix, maître ? il y a des voix partout et pour tout ; il y la voix des oiseaux, il y a la voix de l’eau, il y a la voix du vent dans les feuilles… (BJ, 294)
Ainsi, sous la bouffonnerie et le sarcasme, une vérité essentielle sur le fonctionnement de la parole romanesque se fait une nouvelle fois entendre : le texte est tissé de multiples voix et non pas porté par une seule instance discursive. Les traces de l’énonciation auctoriale sont à chercher dans les échos de ces voix mêlées, non dans l’unité factice d’une seule parole[54]. Hugo fait de Habibrah le dépositaire de ce constat.
Dans Bug-Jargal, la parole poétique et la parole prophétique par lesquelles peut se dire une vérité voilée sont l’apanage des seuls Noirs. Incapable de deviner les identités dissimulées, Léopold d’Auverney se révèle également un piètre lecteur lorsqu’il s’agit de comprendre les détours du langage. Le lecteur du roman est invité à davantage de clairvoyance face à un texte qui démultiplie les « voix partout et pour tout » ainsi que les images d’auctorialité.
La démultiplication de ces images s’opère également d’un roman à l’autre, nous l’avons vu. De ce point de vue, c’est certainement Habibrah qui entretient les liens les plus étroits avec Han d’Islande. Le nain-bouffon emprunte au descendant d’Ingolphe l’exterminateur, non seulement les deux premières lettres de son nom – les deux personnages partagent aussi leur initiale avec Hugo –, mais également sa petite taille, ses yeux perçants et l’exercice d’une force malfaisante certes mais qui permet de révéler le « visage » au lieu du « masque », d’asseoir une identité reconquise ou de bouleverser un ordre social caduc[55]. Lors du combat au bord du gouffre entre Léopold et Habibrah, plusieurs des qualificatifs employés pour décrire le nain rappellent la lutte entre Ordener et Han dans la grotte de Walderhog : quand Han était comparé à une panthère (H, 167), Habibrah l’est à un tigre. « L’atroce immobilité » (H, 167) des traits de Han contraste avec « la bizarre mobilité (BJ, 287)» de ceux de Habibrah[56], la rage du brigand islandais s’oppose au « rire épouvantable » (BJ, 387) du bouffon, mais les deux « démons »[57] révèlent leur caractère monstrueux. Ainsi placés aux confins de l’humanité, « dans son voisinage avec l’animalité »[58], ils révèlent pourtant le mal présent au cœur de la condition humaine.
Han d’Islande était doté d’un faux frère jumeau – le géant que le chancelier d’Ahlefeld et Musdœmon faisaient passer pour lui : il trouve dans Bug-Jargal le double qui lui manquait. Dans son deuxième roman, Hugo complique cependant le schéma de Han d’Islande, puisque Habibrah possède lui-même un double inversé en la personne de Bug-Jargal, figure aussi magnanime qu’il est malfaisant. Hugo a distribué les pouvoirs et la force surhumaine de Han chez Bug-Jargal et Habibrah. Ces derniers se disputent d’Auverney qui est sans grand pouvoir sur l’action[59]. Ce roman est cependant, comme Han d’Islande, le roman d’une auctorialité qui manifeste son pouvoir pour mieux l’anéantir. Bug-Jargal et Habibrah clament leur identité mais finissent par mourir. Il ne reste à Léopold que l’exercice maladroit d’une omniscience acquise après-coup, et il finit lui aussi par être mis à mort dans une « Note » énoncée par une voix inconnue.
En choisissant d’inscrire sur la page de titre de Bug-Jargal, non pas son nom, mais « l’auteur de Han d’Islande », Victor Hugo obéit certes aux usages marchands de la librairie de la Restauration, mais il prolonge aussi très ouvertement le jeu de piste proposé au lecteur dans son premier roman. Le jeu de caché/montré instauré autour de Han d’Islande est mené de manière moins systématique dans Bug-Jargal, mais on observe un désir similaire de jouer avec la forme de l’énigme pour suggérer la présence d’une instance auctoriale dénuée d’identité propre, et dont l’étrange pouvoir ne peut s’exercer que dans la multiplication d’images d’auctorialité incomplètes.
Han d’Islande n’était, à bien des égards, qu’une machine à produire des mythes le concernant. Ici, on n’observe rien de tel dans l’histoire racontée par d’Auverney. Celui-ci rapporte quelques on-dit concernant Bug-Jargal et Habibrah, mais ils ressemblent peu aux légendes circulant à propos du « démon » de la caverne de Walderhog[60]. De fait, c’est plus certainement dans le récit – sans cesse répété – de Thadée, dans le secret enfin avoué de Léopold que se donne à lire la constitution d’un mythe : le mythe de deux figures d’exception, l’une dans l’exercice du mal, l’autre dans celui du sacrifice. À plusieurs reprises, d’Auverney insiste sur les pouvoirs surhumains de Bug-Jargal et Habibrah : selon lui, le nain est doté d’une « vigueur surnaturelle » (BJ, 388), tandis qu’une « empreinte extraordinaire » marque toutes les paroles et toutes les actions de Pierrot (BJ, 367) dont il subit le « prestige impérieux » (BJ, 361), « l’ascendant secret » (BJ, 369). Une fois morts, Bug-Jargal et Habibrah acquièrent une force renouvelée, leur destin peut s’écrire.
L’envers du « génie-prophète » ?[61]
Dans les deux premiers romans de Victor Hugo, l’emploi de l’anonymat, associé à un éclatement de l’énonciation et à une fiction peuplée d’images d’auctorialité monstrueuses et/ou grotesques, s’avère déterminant dans la mise en place d’un dispositif d’énigme proposant au lecteur un jeu de piste avec la figure de l’auteur. L’absence de nom d’auteur – surtout dans le premier roman – est un élément essentiel de la poétique romanesque. Victor Brombert considère Le Dernier Jour d’un condamné comme le seuil où se donne à lire l’effacement de l’auteur-homme dans son œuvre, sa transformation dans et par l’écriture en « auteur-plume » ou « mythopoète »[62] – transformation à la fois inévitable et nécessaire. Cependant, cette problématique est déjà présente dans les deux romans précédents, et s’y donne à lire comme l’un des enjeux essentiels de la relation construite avec le lecteur. La quête identitaire qui anime les personnages romanesques est aussi celle de l’auteur, et le lecteur en est rendu à la fois témoin et acteur.
Abordant la question de l’identité politique de Victor Hugo dans ses deux premiers romans, Pierre Laforgue montre comment les contradictions idéologiques du jeune écrivain s’exacerbent de Han d’Islande à Bug-Jargal. Dans son premier roman, l’auteur de plusieurs Odes à la gloire du pouvoir royal[63] offre la peinture d’un régime monarchique à la dérive : certes, in fine, la royauté de Norvège est rétablie dans ses prérogatives spirituelles, mais pendant la majeure partie de l’intrigue, le roi et le vice-roi sont constamment absents, représentés par d’« indignes serviteurs»[64], et la grotte de Walderhog abrite à la fois le tombeau du roi Walder et le brigand islandais, favorisant la confusion du sacré et du monstrueux. Dans le Bug-Jargal de 1826, Biassou est un « roi de carnaval », tandis que le destin tragique de Bug-Jargal indique l’impossibilité pour une « royauté parfaite, pure, sans mélange »[65] d’être autre chose qu’un mythe.
Dans Han d’Islande, la profusion d’épigraphes ludiques atténue la charge portée contre le pouvoir royal. On n’observe rien de tel dans le Bug-Jargal de 1826, où le fait de terminer le récit sur « l’image sinistre d’une guillotine révolutionnaire »[66] ne suffit pas à amoindrir la charge carnavalesque portée contre la royauté et manifeste l’inconfort politique grandissant de l’auteur. De fait, la déception suscitée par le sacre de Charles X à Reims se fait sentir[67], et rend plus sévère l’examen auquel Hugo soumettait déjà le pouvoir monarchique de la Restauration dans Han d’Islande. L’écriture romanesque permet ainsi de formuler des interrogations et des doutes que l’écriture poétique ne laisse pas encore entendre aussi nettement, et elle donne naissance à des images d’auctorialité paradoxales qui semblent avoir peu à voir avec la figure de poète royal que construisent les poèmes de la même période.
Or, la tension entre les images d’auctorialité auxquelles donnent naissance concurremment la poésie et le roman ne doit pas être uniquement envisagée dans une perspective idéologique. Elle vient également problématiser la question de l’auctorialité ainsi que celle de ses modes de représentation dans l’œuvre, indépendamment de toute considération politique, et manifeste très certainement la conscience qu’a déjà Victor Hugo du mythe en train de s’élaborer autour de sa figure de poète.
On peut parler de mythe naissant, en effet, tant sont nombreuses les images qui circulent sur Victor Hugo dès la Restauration, images d’« enfant sublime »[68], de « génie-prophète »[69] issues aussi bien de la poésie hugolienne que du discours critique[70]. Or, il est à noter que les premiers romans, s’ils mettent ces images en perspective sur un mode railleur, ne viennent pas les contredire totalement. Han et Habibrah ne sont pas radicalement différents de la figure du poète construite dans les Odes. Ils n’en constituent pas non plus l’antithèse, l’exact envers ; au contraire, ils apparaissent bien plutôt comme des doubles frénétiques du poète royal dessiné dans les premiers recueils. La solitude, le malheur, et le don de prophétie ne sont nullement l’apanage du seul « Poète dans les révolutions », mais caractérisent aussi Han ou Habibrah, chez qui ils se trouvent portés à leur comble ou subissent une déformation grotesque – ainsi de l’exercice de prophétie par Habibrah, comme nous l’avons vu plus haut. Même le génie du mal manifesté par les deux petits hommes monstrueux ne les distingue pas foncièrement du « génie-prophète » qui met la parole poétique au service de la société. Nous avons vu, en effet, combien l’exercice du mal peut se révéler bénéfique. Il semble exister une malfaisance « bonne » dans certains de ses effets.
Les inquiétantes images d’auctorialité présentes dans Han d’Islande et Bug-Jargal constituent sans doute l’une des premières manifestations de la figure du « poète sinistre » dont Victor Brombert analyse l’importance dans les œuvres ultérieures de Hugo : « poète noir » tout aussi proche de l’abîme que de la lumière, figure fascinée par le « Mal mystérieux », mais relevant de la « théologie de l’auteur » au même titre que « les figures glorifiant l’artiste, le poète, le génie »[71]. Néanmoins, sous la Restauration, ces figures ironiques nous semblent surtout destinés à déconstruire les scénarios auctoriaux dans lesquels Hugo se voit peu à peu enfermé. L’autodérision dont le romancier fait preuve en invitant à considérer l’ogre islandais ou le bouffon noir comme ses doubles, tout en montrant la distance qui sépare Han, par exemple, des légendes qui circulent à son sujet[72], ne vise pas simplement à contester l’image du sublime « poète-prophète »[73] véhiculée par les Odes. La forme romanesque permet à Hugo d’explorer le mélange de distance et de proximité qui unit un écrivain aux figures de son texte[74]. Surtout, l’insertion d’images d’auctorialité paradoxales dans un dispositif d’énigme ludique lui permet d’associer le lecteur à cette découverte. Le texte romanesque met en scène la fuite d’un auteur qui ne peut se saisir que dans le croisement de figures auctoriales contradictoires, incomplètes : la voix narrative, Ordener, Spiagudry, Han, d’Auverney, Habibrah et Bug-Jargal sont et ne sont pas des images de l’écrivain. Encore une fois, l’auteur apparaît dénué d’identité propre.
Fin 1819, Victor Hugo écrivait à propos du goût pour l’anonymat de Walter Scott :
L’homme de mérite, dès qu’il est arrivé à la gloire, évite de décorer de son nom les nouveaux écrits qu’il livre au public. Il a assez d’orgueil pour savoir que son nom influerait sur l’opinion, et assez de modestie pour ne le pas vouloir. Il aime à redevenir ignoré, pour se ménager, en quelque sorte, une nouvelle gloire.[75]
Toutefois, dans Han d’Islande et Bug-Jargal, il semble que la probable ambition de Hugo d’accéder lui aussi à une « nouvelle gloire » au moyen d’un roman anonyme se double de la volonté de mette à nu les processus discursifs qui donnent naissance à cette « gloire » dans l’œuvre et hors de l’œuvre, parfois au prix d’une distorsion de l’identité de l’auteur.
[1] On trouve la version de 1820 en annexe de Bug-Jargal, [1826], in Œuvres complètes, Roman I, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1985, p. 883-904. C’est cette dernière édition que l’on mentionnera entre parenthèses dans le corps du texte : (BJ, pagination). Sur les changements effectués de l’un à l’autre récit, voir Georges Piroué, « Les deux Bug-Jargal », in Victor Hugo, Œuvres complètes, Édition chronologique publiée sous la direction de Jean Massin, Paris, Club français du livre, tome I, 1967, p. I-VIII ; Pierre Laforgue, « Bug-Jargal, ou de la difficulté d’écrire ‘‘en style blanc’’ », Communication au Groupe Hugo du 17 juin 1989, URL : http://www.groupugo.univ-paris-diderot.fr/Groupugo/89-06-17laforgue.htm (texte également publié dans la revue Romantisme, n° 69, 3e trimestre 1990, p. 29-42) ; Marie-Laure Prévost, « La naissance d’un écrivain : du premier au second Bug-Jargal », Revue de la Bibliothèque Nationale, n° 47, « L’enfant prodige », Paris, Armand Colin, printemps 1993, p. 29-32.
[2] L’écart chronologique entre le temps de la narration et les événements narrés se réduit toutefois singulièrement entre les deux récits : de 15 ans en 1820, on passe à 2 ans en 1826. Voir Pierre Laforgue, « Bug-Jargal, ou de la difficulté d’écrire ‘‘en style blanc’’ », art. cit.
[3] Yvette Parent, « Lettre de Villemain à Victor Hugo du 5 février 1826 à propos de Bug-Jargal », communication au Groupe Hugo du 21 octobre 2006, URL : http://www.groupugo.univ-paris-diderot.fr/Groupugo/06-10-21Parent.htm. Le site du groupe Hugo propose deux versions de la lettre, l’une respectant l’orthographe d’origine, l’autre la normalisant. Nous avons tenu compte de la version « normalisée ».
[4] « C’était un homme très-gros et très-petit, une sorte de nain, dont le visage était caché par un voile blanc […]. Ce voile qui tombait sur son cou et ses épaules, laissait nue sa poitrine velue, dont la couleur me parut être celle des griffes […]. » (BJ, 325). La corpulence et la taille du sorcier rappellent celles du bouffon (voir le portrait de celui-ci, BJ, 286-287). L’obi n’est pas présenté comme un nain, mais comme « une sorte de nain ». Malgré la nuance, le qualificatif vient lui aussi rappeler Habibrah. Il en va de même pour la couleur de la peau : l’usage d’un modalisateur (« me parut être celle des griffes) ne met pas en doute la ressemblance entre les deux hommes, il montre surtout le manque de clairvoyance de d’Auverney. Dernier indice : un peu plus loin, le jeune homme remarque que l’obi porte la gorra d’Habibrah.
[5] Il est question du « petit obi » p. 338 et 381.
[6] Voir BJ, 334, 338, 339, 340, 356.
[7] Voir BJ, 287 et 294, par exemple.
[8] L’aveuglement de d’Auverney est à son comble lorsque l’obi procède à la lecture des lignes de sa main : « Le sens de ces paroles semblait concerner ce perfide Pierrot, que j’aimais et qui m’avait trahi, ce fidèle Habibrah, que je haïssais, et dont les vêtements ensanglantés attestaient la mort courageuse et dévouée. » (BJ, 340).
[9] Yvette Parent, « Lettre de Villemain à Victor Hugo du 5 février 1826 à propos de Bug-Jargal », art. cit.
[10] D’Auverney est réticent au début, arguant qu’il n’a rien d’intéressant à raconter, mais on peut supposer que le récit une fois commencé, il s’applique à y instaurer du suspens.
[11] « Cette malheureuse position [des plantations de son oncle], dont le détail vous semble sans doute offrir peu d’intérêt, a été l’une des premières causes des désastres et de la ruine totale de ma famille. » (BJ, 285) ; « Qu’elle fut heureuse cette journée de laquelle allaient dater tous mes malheurs ! j’étais enivré d’une joie qu’on ne saurait faire comprendre à qui ne l’a point éprouvée. J’avais complètement oublié Pierrot et ses sinistres avis. » (BJ, 305).
[12] Raphaël Baroni, « La coopération littéraire : le pacte de lecture des récits configurés par une intrigue », Fabula : l’Atelier de théorie littéraire, 2004, URL :
http://www.fabula.org/atelier.php?Coop%26eacute%3Bration_litt%26eacute%3Brair., p. 14.
[13] Sur l’émergence du récit à énigme, voir Chantal Massol, Une Poétique de l’énigme. Le Récit herméneutique balzacien, Genève, Droz, coll. « Histoire des idées et critique littéraire », 2006, p. 13-27.
[14] D’ailleurs le commentaire de Thadée que nous venons de mentionner fait directement écho aux premières pages du roman où la formule « Pierrot autrement dit Bug… » revient à plusieurs reprises.
[15] Charles Grivel présente la « suspension du savoir » comme l’une des dimensions constitutives de l’activité de lecture : « Le lecteur est un être de la contradiction. C’est – autant et avec autant d’opiniâtreté – une « machine à faire la sourde oreille »[*] qu’un « appareil à comprendre », assimilateur, applicateur, appropriateur. » (« L’hypocrite, ou le non-dit de lire », Versants, n° II, « Littérature et secret », hiver 1981, p. 132) [* : D. Hollier, « Why are we in America ? », Critique, n° 391, déc. 1979, p. 1040].
[16] On ignore qui est « Bug-Jargal, autrement dit Pierrot » (BJ, 280), pour quelles raisons Thadée a fait ouvrir le feu sur lui, etc.
[17] À chaque fois, les préjugés de Léopold sont trop forts. Sans même parler de l’identité entre Bug-Jargal et Pierrot, il ne parvient pas à admettre que l’inconnu ayant chanté une romance à Marie puisse être l’esclave l’ayant sauvée du crocodile. Il a conscience des points communs entre les deux hommes, mais conclut : « « Et parce que cet esclave m’avait adressé quelques mots en espagnol, était-ce une raison pour le supposer auteur d’une romance en cette langue, qui annonçait nécessairement un degré de culture d’esprit, selon mes idées, tout à fait inconnu aux nègres ? » (BJ, 297)
[18] Voir Manon Lescaut, par exemple.
[19] D’Auverney hésite avant de livrer son récit aux officiers. Il leur déclare, par exemple : « Si l’attachement qui existe entre Thadée, Rask et moi, vous a fait espérer quelque chose d’extraordinaire, je vous préviens que vous vous trompez. » (BJ, 285)
[20] « Je ne vois pas messieurs, ce qui peut prêter à la raillerie dans ce qui vient de se passer. Ce chien et ce sergent que j’ai toujours vus auprès d’Auverney depuis que je le connais, me semblent susceptibles de faire naître quelque intérêt. » (BJ, 284)
[21] « Comment ! mais voilà des phrases, dit Henri à demi-voix, en se penchant vers son voisin. Allons, j’espère que le capitaine ne laissera pas passer les malheurs des ci-devants noirs, sans quelque petite dissertation sur les devoirs qu’impose l’humanité, et cœtera. On n’en eût pas été quitte à moins au club Massiac. – Je vous remercie, Henri, de m’épargner un ridicule, dit froidement d’Auverney, qui l’avait entendu. » (BJ, 285-286)
[22] « [D’Auverney] serait tombé dans une de ces profondes rêveries qui lui étaient habituelles, si l’assemblée ne l’eût vivement pressé de continuer. » (BJ, 320) Lorsqu’ils devinent le nom de Thadée (BJ, 310), on voit aussi qu’ils suivent parfois très attentivement le récit du capitaine.
[23] « Ma foi, dit Alfred, je n’ai pas écouté fort attentivement, mais je vous avoue que j’aurais espéré quelque chose de plus intéressant de la bouche du rêveur d’Auverney. […] En somme, l’histoire de Bug-Jargal m’ennuie ; c’est trop long. – Vous avez raison, dit l’aide-de-camp Paschal ; c’est trop long. Si je n’avais pas eu ma pipe et mon flacon, j’aurais passé une méchante nuit. Remarquez en outre qu’il y a beaucoup de choses absurdes. Comment croire, par exemple que ce petit magot de sorcier,… comment l’appelle-t-il déjà ?… Habitbas ? Comment croire qu’il veuille, pour noyer son ennemi, se noyer lui-même ?… » (BJ, 390)
[24] Paschal a surtout été frappé par la capacité de Bug-Jargal à vider d’un trait une noix de coco… Alfred, lorsqu’il manifeste un semblant d’intérêt pour le récit, attache surtout de l’importance aux connaissances musicales du héros : « Ce nègre m’intéresse beaucoup. Seulement je n’ai pas encore osé demander à d’Auverney s’il savait aussi l’air de : la hermosa Padilla. » (BJ, 390).
[25] Voir les discours d’Alfred rapportés dans les notes précédentes.
[26] Voir BJ, 285, 319 et 390. Henri tourne lui-même en dérision le personnage lorsqu’il répond à Paschal qui vient de critiquer le manque de vraisemblance de la scène où Habibrah veut noyer Léopold d’Auverney dans la cascade : « Henri l’interrompit en souriant : – Dans de l’eau, surtout ! n’est-ce pas capitaine Paschal ? » (BJ, 390).
[27] Myriam Roman, Victor Hugo et le roman philosophique. Du « drame dans les faits » au « drame dans les idées », Paris, Honoré Champion, coll. « Romantisme et modernités », 1999, p. 349.
[28] Ibid., p. 350.
[29] [...] il témoigne également toute sa gratitude à celles de ses jolies lectrices qui, lui assure-t-on ont bien voulu se faire d’après son livre un certain idéal de l’auteur de Han d’Islande ; il est infiniment flatté qu’elles veuillent bien lui accorder des cheveux rouges, une barbe crépue et des yeux hagards ; il est confus qu’elles daignent lui faire l’honneur de croire qu’il ne coupe jamais ses ongles ; mais il les supplie à genoux d’être bien convaincues qu’il ne pousse pas encore la férocité jusqu’à dévorer de petits enfants vivants [...] (Victor Hugo, Han d’Islande, in Œuvres complètes, Roman I, op. cit., p. 10)
[30] Sur cette question, voir notre précédente communication au groupe Hugo : Caroline Raulet, « Hugo ogre de son lecteur : Han d’Islande », 22 novembre 2003, URL : http://www.groupugo.univ-paris-diderot.fr/Groupugo/03-11-22Raulet.htm.
[31] Voir notice, BJ,. 921, Auverné est une ville au sud de Châteaubriant, entre l’abbaye de la Meilleraie et Saint-Julien de Vouvantes.
[32] « L’avarice et l’envie » (25 décembre 1819), « Cacus » (29 janvier 1820), « Achéménide » (1er avril 1820), « César passe le Rubicon » (15 avril 1820), « Ce que j’aime, vers faits à un dessert » (17 juin 1820), « Le vieillard du Galèse » (19 août 1820) (voir Victor Hugo, Œuvres complètes, CFDL, tome I).
[33] Philippe Lejeune, « Biographie, témoignage, autobiographie : le cas de Victor Hugo raconté », Je est un autre, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1980, p. 69.
[34] Nous indiquons ce numéro par commodité. Le découpage en chapitre ne date toutefois pas de la première édition, il apparaît en 1829 dans les 3ème et 4ème éditions de l’œuvre.
[35] Tous les romans de Hugo « procède[nt] de la reprise biaisée d’une forme familière » (Guy Rosa et Anne Ubersfeld, « Hugo », Dictionnaire des littératures de langue française, sous la direction de J.-P. Beaumarchais, Daniel Couty et Alain Rey, Paris, Bordas, 1984, p. 1122).
[36] Voir BJ, 286 et 293.
[37] « Nos lecteurs ont sans doute oublié que le club Massiac, dont parle le lieutenant Henri, était une association de négrophiles. Ce club, formé à Paris au commencement de la révolution, avait provoqué la plupart des insurrections qui éclatèrent alors dans les colonies. » (BJ, 286)
[38] « Nous avons déjà dit que Jean-François prenait ce titre. » (BJ, 356) Cette note vient expliquer le sens de l’expression « grand-amiral de France » utilisée par Biassou.
[39] Toussaint-Louverture fait partie des « commissaires » qui ont signé la lettre lue envoyée par Jean-François et Biassou à l’assemblée coloniale : « Signé Jean-François, général ; Biassou, maréchal-de-champ ; Desprez, Manzeau, Toussaint, Aubert, commissaires ad hoc » (BJ, 357). En 1791, à l’époque des événements racontés par d’Auverney, il ne s’est pas encore rendu célèbre. Sa figure devient plus connue à partir de 1793 lorsqu’il rallie les anciens esclaves à l’armée d’Espagne et remporte plusieurs victoires contre les Français. Or deux notes donnent plus d’envergure à ce personnage qu’il n’en a dans la fiction en comparant ses futures pratiques avec celles de Biassou (BJ, 330, 352 et 354).
[40] La Note s’achève sur le discours du général.
[41] « Je lisais précisément un rapport de l’adjudant-général, chef de la 32e brigade […]. » (BJ, 396).
[42] Cette nouvelle version du récit du capitaine d’Auverney permet implicitement de faire la satire de l’étroitesse de vue et de l’extrémisme des sans-culottes. Léopold y est en effet « convaincu, primo, d’avoir raconté dans un conciliabule de conspirateurs une prétendue histoire contre-révolutionnaire, tendant à ridiculiser les principes de l’égalité et de la liberté, et à exalter les anciennes superstitions connues sous les noms de royauté et de religion ; convaincu secundo, de s’être servi d’expressions réprouvées par tous les bons sans-culottes pour caractériser divers événements mémorables, notamment l’affranchissement des ci-devant noirs de Saint-Domingue ; convaincu, tertio, de s’être toujours servi du mot monsieur dans son récit, et jamais du mot citoyen ; enfin quarto d’avoir, par ledit récit, conspiré ouvertement le renversement de la république au profit de la faction des girondins et brissotistes. Il mérite la mort. » (BJ, 396)
[43] Voir, par exemple, Pierre Laforgue, « Bug-Jargal, ou de la difficulté d’écrire ‘‘en style blanc’’», art. cit.
[44] Ajoutons qu’à l’inverse Pierre Laforgue interprète le refus de Léopold de corriger la lettre de Biassou (voir BJ, 357-358) comme l’une des manifestations de son opposition avec l’auteur : « La réécriture proposée à d'Auverney, au prix d'une compromission, a pour but d'établir un compromis entre blancs et noirs, même si elle présuppose une opposition radicale entre blancs et noirs. Écrire dans Bug-Jargal consiste donc à forcener les contradictions que l'écriture justement suscite. Ensuite, et selon un point de vue complémentaire, ce passage constitue in nuce une fable génétique où est évoquée la réécriture de Bug-Jargal. Une première opposition surgit entre le narrateur-personnage et l'auteur : l'un refuse de réécrire et l'autre réécrit, et le refus de la réécriture est un élément déterminant de la réécriture : ces significatives antithèses textuelles sont à imputer à la crise d'identité romanesque de Hugo et à l'exacerbation du conflit entre un discours idéologique à peu près univoque, celui de d'Auverney, et une écriture polyphonique. » (« Bug-Jargal, ou de la difficulté d’écrire ‘‘en style blanc’’», art. cit., p. 36)
[45] Ses discours (tout comme son chant d’ailleurs) produisent une forte impression sur Léopold : « L’éclat de son regard, l’accent de sa voix donnaient à ses paroles une force de conviction et d’autorité impossible à reproduire. » (BJ, 365) ; « Son accent avait une expression ineffable de persuasion et de douleur. » (BJ, 369)
[46] « En los campos de Ocaña, [Dans les champs d’Ocaña] / Prisionero caì [Je tombai prisonnier :] / Me llevan à Codilla : [Ils m’emmenèrent à Cotadilla ;] / Desdichado fui [Je fus malheureux !] » (BJ, 360) Hugo fournit cette traduction en note.
[47] Pierre Laforgue indique au sujet de l’espagnol employé par Bug-Jargal : « Bug, logiquement, ironiquement aussi, se désigne à d'Auverney comme un contrebandier; Yo que soy contrabandista, en espagnol, langue de l'amour impossible et langue de la subversion, comme si l'identité véritable ne pouvait pas se dire en français à un blanc, comme si elle ne pouvait être elle-même identité que dans le déguisement et la contrebande. » (« Bug-Jargal, ou de la difficulté d’écrire ‘‘en style blanc’’», art. cit., p. 33) La référence au « déguisement » rapproche une nouvelle fois Bug-Jargal de l’auteur multipliant les images de lui pour mieux se dissimuler dans les détours du texte.
[48] Au sujet de Lamartine, voir Paul Bénichou, « Contre-révolution et littérature », in Le Sacre de l’écrivain 1750-1830. Essai sur l’avènement d’un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Paris, José Corti, coll. « Bibliothèque des idées », 1973, p. 171-192, ou Paul Viallaneix, « La tentation prophétique de Lamartine », in Le Prophétisme et le messianisme dans les lettres polonaises et françaises à l’époque romantique, Actes du colloque organisé par l’Institut de philologie romane et le Centre d’études françaises de l’Université de Varsovie en septembre 1982, Cahiers de Varsovie, n° 13, Varsovie, Éditions de l’Université de Varsovie, 1986, p. 13-25.
[49] D’Auverney remarque que l’obi distribue « plus ou moins de bonheur à venir, suivant le son, la couleur et la grosseur de la pièce de monnaie jetée par chaque nègre […]. » (BJ, 335)
[50] Au cours de la scène des horoscopes, les noirs ressentent un « effroi merveilleux » (BJ, 337) en écoutant l’obi.
[51] C’est la même chose lorsque Habibrah meurt. D’Auverney fait remarquer : « En sortant de dessous la voûte humide et noire je me rappelai la prédiction du nain, au moment où nous y étions entrés : - « L’un de nous deux seulement repassera par ce chemin. » Son attente avait été trompée, mais sa prophétie s’était réalisée. » (BJ, 389)
[52] Voir l’analyse de Pierre Laforgue : « Le lieu de leur conflit est d’Auverney: alors que l’un s’acharne à le perdre, l’autre s’acharne à le sauver, alors que l’un tue l’oncle, l’autre sauve le neveu et sa fiancée, et comme ils s’engagent l’un et l’autre tout entiers dans leur entreprise de sauvetage ou de perte, ils acceptent d’y sacrifier leur vie, que d’ailleurs ils sacrifient. Figures tous deux de l’absolu dans la négritude et le métissage, de l’absolu dans le bien et le mal, ils constituent le premier exemple de l’alliance esthétique du sublime et du grotesque. Et pourtant, Habibrah n’est pas le bouffon de Bug-Jargal. Sans doute parce qu’il est son envers, et non son double parodique. » (« Bug-Jargal, ou de la difficulté d’écrire ‘‘en style blanc’’», art. cit., p. 32-33)
[53] Dans Éloge de la folie Érasme indique que les fous du roi sont « les seuls de tous les hommes qui soient sincères et véridiques » (Paris, Fayard, coll. « mille.et.une.nuits », 2006, traduction du latin par Jean-Charles Thibault de Laveaux, Bâle, 1782).
[54] Ce passage entre en résonance avec la poésie hugolienne, où les figures de la nature font partie des instances de l’interlocution et contribuent à dessiner un « Moi » élargi (voir Ludmila Charles-Wurtz, « Les figures de la nature », Poétique du sujet lyrique dans l’œuvre de Victor Hugo, Paris, Honoré Champion, coll. « Romantisme et modernités », 1998, p. 129-209). Le discours de Habibrah annonce le thème de « l’écho sonore » qui apparaît dans Les Feuilles d’automne, puis celui des « voix intérieures » qui apparaît dans le recueil du même nom. Ainsi la question du « je » auctorial dans les romans de jeunesse recoupe-t-elle, sur un mode qui lui est propre, la question du sujet telle que la pose la poésie lyrique de Hugo.
[55] Pierre Laforgue précise que Han n’est pas une figure exemplaire du mal. À l’image de la Révolution française, il transcende les catégories du bien et du mal, les fait se confondre (« Han d’Islande, roman ultra, ou littérature, idéologie et romantisme », Communication au Groupe Hugo du 22 janvier 2000, URL : http://www.groupugo.univ-paris-diderot.fr/groupugo/00-01-22laforgue.htm ») Bernard Degout explique que contrairement au bourreau qui, selon le modèle maistrien, incarne « cette part de mal qui est à la souveraineté et à l’ordre social une base » (Le Sablier retourné, Paris, Honoré Champion, coll. « Romantisme et modernités », 1998, p. 270), le mal commis par Han vient « déborder l’organisation sociale et historique décrite par Maistre » (ibid., p. 271). Le mal accompli par Han contribue davantage que les actes d’Ordener à bouleverser une monarchie malade, où « l’or en échange du sang versé est […] la forme que revêt le lien social » (Myriam Roman, Victor Hugo et le roman philosophique, op. cit., p. 335).
[56] Lorsqu’il fait le portrait du bouffon de son oncle, Léopold d’Auverney insiste sur l’aspect changeant du visage du nain : « Son visage était toujours une grimace, et n’était jamais la même […]. » (BJ, 287).
[57] Dans Han d’Islande, les paysans parlent à Ordener du « démon d’Islande » qui habite dans la caverne de Walderhog (H, 155). Dans Bug-Jargal, d’Auveney déclare à propos de Habibrah : « On eût dit l’horrible démon de cette caverne cherchant à attirer une proie dans son palais d’abîmes et de ténèbres. » (BJ, 388)
[58] Pierre Albouy, La Création mythologique, [1963], Paris, José Corti, 1985, p. 198.
[59] Léopold reste prisonnier alors que Bug-Jargal s’échappe à deux reprises. Lors de son combat avec Habibrah, il succomberait si Bug-Jargal et Rask ne venaient le sauver.
[60] D’Auverney rapporte un discours circulant au sujet de Habibrah : « ils se disaient entre eux à voix basse : C’est un obi ! » (BJ, 287). Il se renseigne sur le compte de Pierrot auprès d’informateurs inconnus : « On me révéla […] », « On m’apprit », « reprenait-on » (BJ, 299). Le portrait dont il se fait l’écho montre la fascination ressentie par ceux qui approchent cet esclave doté d’une « force extraordinaire » et d’une « adresse merveilleuse » (BJ, 299), mais il n’est pas contredit par d’autres paroles anonymes comme c’était le cas pour Han d’Islande. Il en va de même pour les on-dit au sujet de Bug-Jargal : « Le caractère de ce dernier, si l’on en croyait les relations, contrastait d’une manière singulière avec la férocité des autres. […] On citait de lui mille autres traits de générosité qu’il serait trop long de vous rapporter. » (BJ, 316). Le récit confirme la véracité de ces rumeurs.
[61] Nous empruntons cette expression à l’article de Nicolas Bonhôte, « Victor Hugo, le génie-prophète : sens et fonction conjoncturels de la promotion de l’écrivain vers 1820 », in Écrire en France au xixe siècle, sous la direction de Graziella Pogliano et Antonio Gómez-Moriana, Longueil (Montréal), Éditions du Préambule, coll. « L’univers des discours », 1989, p. 79-97.
[62] Victor Brombert, « V.H. : l’auteur effacé ou le moi de l’infini », Poétique, n° 52, 1982, p. 418 et 417.
[63] En juin 1822, il met sa poésie au service des « idées monarchiques et des croyances religieuses » (Préface de la première édition des Odes, in Œuvres complètes, Poésie I, coll. « Bouquins », p. 54).
[64] Pierre Laforgue, « Han d’Islande, roman ultra… », art. cit.
[65] Pierre Laforgue, « Bug-Jargal, ou de la difficulté d’écrire ‘‘en style blanc’’», art. cit., p. 33.
[66] Ibid., p. 38.
[67] Voir ibid., p. 34-35 ; voir aussi Guy Rosa, « Entre Cromwell et sa Préface. Du grand homme au génie », Revue d’histoire littéraire de la France, n° 81, nov.-déc. 1981, p. 908.
[68] Cette expression, que s’emploie à répandre Victor Hugo, est attribuée à Chateaubriand et en 1824, chacun s’y réfère comme à une parole historique. Voir Roger Fayolle et Marie-Christine Bellosta, « La critique et le rayonnement littéraire », in La Gloire de Victor Hugo, Le Grand Palais, Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1985, p. 394.
[69] Voir supra, note 61.
[70] « Dans les années 1820, le jeune poète semble déjà bénéficier d’une gloire à laquelle aucun des écrivains de sa génération ne saurait prétendre […]. » (id.)
[71] Victor Brombert, « V.H. : l’auteur effacé ou le moi de l’infini », art. cit., p. 424, 429 et 422.
[72] Il n’a aucun pouvoir magique, il est petit et non grand, par exemple. Voir infra, épilogue, p. 443-444.
[73] José-Luis Diaz, L’Écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris Honoré Champion, coll. « Romantisme et modernités », 2007, p. 79.
[74] Dans le poème « À Trilby, le lutin d’Argail » les figures de la féerie sont à la fois des figures du poète et des figures de la muse. On peut aussi faire observer que dans ce poème, le locuteur semble établir un lien d’équivalence entre la relation nouée entre Nodier et Trilby et celle que lui-même a nouée avec ses « nains » aux « voix badines » : « Viens-tu pas voir mes Ondines / Ceintes d’algues et de glayeul ? / Mes Nains, dont les voix badines / N’osent parler qu’à moi seul ? / Viens-tu réveiller mes Gnômes ? / Poursuivre en l’air les atomes, / Et lutiner mes Fantômes / En jouant dans leur linceul ? » (« À Trilby, le lutin d’Argail », in Odes et Ballades [novembre 1826], Œuvres complètes, CFDL, tome 2, p. 748) Hugo ne fait-il pas référence par-là à l’étrange lien qui le lie à ses grotesques doubles ?
[75] Victor Hugo, « Walter Scott, L’Officier de fortune, La Fiancée de Lammermoor », Le Conservateur littéraire, 2e livraison, 25 décembre 1819, in Œuvres complètes, CFDL, p. 479.