Victoria Tébar : Image intériorisée et quête picturale chez Victor Hugo
Communication au Groupe Hugo du 12 décembre 2008
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A la lumière des Principes fondamentaux de l’histoire de l’art de Heinrich Wölfflin[1], nous analyserons la transformation qui se produit dans les dessins de paysages de Victor Hugo, entre 1843 et 1849, du style linéaire au style pictural.
Quelques exemples montreront ensuite la volonté qu'a eue Victor Hugo de se dépasser sur le terrain pictural.
La perte de Léopoldine. Le mystère de la profondeur.
La perte de sa fille Léopoldine, en 1843, entraîne l’arrêt des voyages annuels et ouvre, pour Hugo, un espace suggérant la méditation au-delà de la réalité physique, allant jusqu’aux grandes énigmes existentielles. Un espace qui correspond à ce que le poète appellera, quelques années plus tard, la contemplation.
À travers la contemplation, son esprit dépasse l’apparence externe des choses, et accède à une plus grande profondeur. Pour reprendre l'expression de Jean Gaudon, en s’éloignant « des objets dont la vue est charmée, le poète est passé du rêve pittoresque à la rêverie contemplative»[2].
Centrées sur les mystères essentiels, les conceptions du poète renoncent au goût du pittoresque et de l’exotisme qui, au préalable, se manifestaient dans son œuvre d'imagination. Commence alors à se concrétiser une vision hugolienne qui tend essentiellement vers la substantialité des choses.
Avec l’arrêt des voyages annuels, Hugo se libérera de l’image réelle et du dessin d'après nature qui durant une décade lui avaient été tellement précieux pour acquérir un bagage de connaissances et d’expériences, bagage qui va maintenant lui permettre d’exprimer, sa vision intériorisée des choses.
Il est significatif que la tache et le clair-obscur seront les véhicules fondamentaux qui permettront à Hugo d’exprimer avec plus de fidélité non seulement ce qu’il voit, mais ce qu’il ressent, imagine et pense. Ses dessins manifesteront, à partir de 1845, une volonté constante d’évoquer le mystère de la profondeur, en développant les moyens techniques qui renforcent le contraste entre le proche et le lointain, entre le vague et le concret, entre le précis et l’imprécis, entre la lumière et les ténèbres.
L'instant fugitif et sa résonance sur l'état d'âme (1845-1849)
Dans les petits paysages réalistes composés lors de son voyage dans les Pyrénées et en Espagne, Hugo fait un premier pas vers le dessin de «formes ouvertes» à travers lequel il va s'exprimer pendant toute son œuvre interprétative à venir : il applique l'encre sur le support humide pour obtenir les taches à contours flous qui lui permettent de suggérer des qualités évanescentes pouvant évoquer la sensation d'atmosphère et d'absence de limites (fig. 1,2,3).[NDLR Les images sont données dans un unique fichier au format .pdf, auquel renvoient tous les liens; il sera donc plus pratique de laisser ce fichier ouvert et l'emploi des vignettes permettra d'aller aisément à la bonne page.]
À partir de ces premières expériences, Hugo découvrira au fur et à mesure les possibilités techniques du lavis qui ouvriront une voie lui permettant d’exprimer les aspects intangibles des choses, en accord avec ses méditations et ses expériences des dernières années.
Les qualités apportées par le lavis sont idéales pour évoquer les effets atmosphériques et lumineux les plus divers du paysage. Le dessin «Souvenir de l’étang du bois de Bellevue» (fig. 4) a été peint directement par des taches au lavis d'encre brune car l’on n’observe aucun contour dessiné sur l'ensemble. La sensation d’atmosphère et de profondeur provient du traitement différencié des plans successifs par le lavis : sur les plans du fond, les taches sont moins obscures et d’aspect évanescent parce qu'elles ont été appliquées en demi-teinte sur le support humide (de cette manière, Hugo suggère des arbres lointains vus à travers l’atmosphère et la brume), alors que, sur les premiers plans, les taches sont plus obscures et restent plus concrètes parce qu'elles ont été peintes sur le support sec du papier, suggérant la proximité des premiers arbres.
Résolution technique dans les paysages de la période 1845 – 1849
En comparant les compositions des périodes antérieures avec celles de cette nouvelle étape, on apprécie clairement la transformation qui a lieu dans le dessin hugolien.
Dans sa nouvelle œuvre interprétative, Hugo dissout le dessin en faisant prédominer les taches et une incidence réduite de la ligne, et ceci en se passant presque complètement de « l’écriture » typique qui permet à sa plume de mettre en évidence, entre 1837 et 1844 (fig. 5A, 6A et 7A), les textures du paysage. Ces textures, désormais, s’expriment par des moyens plus picturaux (fig. 5B, 6B et 7B).
Selon Wölflin:
Le style de la forme fermée est un style d’architecture (...). Son besoin de formes élémentaires, telles que la verticale et l’horizontale, se rattache au besoin de limite, d’ordre, de règle [...]. Dans le style atectonique (ou pictural), l’intérêt va décroissant pour les choses construites et fermées dans elles-mêmes. L’image cesse d’être une architecture. Les motifs architecturaux sont rejetés dans l’ombre. L’essentiel d’une forme cesse d’être sa charpente, il réside dans le souffle qui entraîne l’immobile dans le flux du mouvement. Aux valeurs de l’être se sont substituées celles du devenir. La beauté n'est plus en ce qui est limité, elle est dans ce qui est sans limite[3].
Et encore:
Pour spécifier davantage ces différences de style, disons que la vision linéaire sépare toujours une forme d'une autre forme, alors que la vision picturale cède au contraire à tout mouvement se propageant à l'ensemble des choses. D'une part des lignes d'une netteté singulière dont la fonction est de diviser, d'autre part des frontières estompées, ce qui favorise la liaison des formes entre elles[4].
Sur les exemples montrés, on constate que les dessins réalisés par Hugo avant 1843 (fig. 5A, 6A et 7A) présentent les caracteristiques du style linéaire indiquées par Wölfflin, et que les dessins réalisés entre 1845 et 1849 (fig. 5B, 6B et 7B) présentent les caractéristiques du style pictural, où il n’y a pas de formes descriptives, pas de formes explicitées par leur contour, ni de formes narratives: l’intention est de suggérer, de donner à comprendre les proprietés subjectives et le sens profond ressenti.
Vers 1847, Hugo s’exprime avec une grande maîtrise par le lavis d'encre (brune généralement), en réalisant des œuvres qui s’inscrivent pleinement dans le cadre des aspirations expressives et des moyens techniques des paysagistes romantiques. La Tour des rats en est un bon exemple (fig. 8).
Auparavant, le dessin de Hugo n’avait jamais reflété comme à partir de ce moment-là les qualités sensitives du paysage et la projection de son état d’âme dans la nature. La grande ambition de ses paysages sera désormais d’exprimer l’instant fugitif et son influence mystérieuse sur la sensibilité.
L’inclinaison vers la mélancolie et le mysticisme s’exprime à travers les lumières du crépuscule et des contre-jours souvent reflétés sur les eaux dans des paysages formés par des taches à contours plus ou moins amortis et imprécis. Sur ce point, deux remarques:
1. Le lavis d'encre est particulièrement efficace pour exprimer la grande gamme des qualités subtiles et changeantes de la lumière et des phénomènes atmosphériques dans la nature.
2. A partir de 1845 Hugo travaille les nuances au lavis d'encre (fig. 5B): conformément à ce qu'il observe dans la nature, il évite l'uniformité dans l'intensité des lumières et dans l'intensité des ombres. L'intensité fluctuante sera alors une caractéristique remarquable et suggestive dans ces paysages. Sa sensibilité picturale lui permettra de créer ainsi des modulations et des effets suggestifs d'atmosphère et de profondeur, qui trouvent un écho dans son moi intérieur.
Le clair-obscur dans les dessins de cette période est très caractéristique : les ombres couvrent la plus grande partie de la composition (fig. 9) et son mises en relief par un ou plusieurs points de lumière plus intense. De cette manière Hugo met en valeur certaines zones ou éléments principaux par rapport à l’ensemble. Souvent, il a recours aux ombres pour cacher ou envelopper l’élément principal (fig. 6B) dont les formes restent à moitié voilées, sans lignes de contour pour le dessiner. Celui qui contemple l'oeuvre doit ainsi parfois chercher son élément principal, camouflé.
Sur l’ensemble des compositions étudiées de la période 1845-1849, une manière technique prédomine : le dessin au lavis avec des grattages et des pigments secs (fig. 7B). On observe des variations de cette technique : les plus significatives sont celles qui vont introduire les procédés caractéristiques des étapes suivantes:
1. Le dessin au lavis avec des grattages et pigments secs.
Son procédé suit les étapes suivantes :
a) En premier lieu, Hugo établit, au lavis d'encre brune, une première distribution de tons obscurs qui configurent les formes et les ombres sur le fond blanc du papier. Il est très significatif que la majorité des dessins de cette période que j'ai eu l'occasion d'étudier ne présentent pas de contour, que ce soit au crayon ou à la plume.
b) Dans un stade intermédiaire, Hugo obtient des lumières sur les lavis. Dans les compositions de 1845-1849 et dans certaines de 1850 en dimensions réduites, on voit comment, une fois les ombres au lavis posées, il introduit sur celles-ci de petites aires de lumières en grattant l’encre sèche sur le papier (fig. 5B et 7B).
Sur plusieurs de ses dessins, on observe des superpositions successives de lavis et de grattages, ce qui démontre qu’après avoir obtenu les premières taches blanches par grattage, Hugo reconsidère le dessin dans son ensemble, et module l'éclairage en incorporant de nouvelles ombres au lavis, sur les lumières qui auraient pu entraver l’équilibre de la composition et l’effet lumineux recherché.
Par ces petites lumières grattées, disséminées sur différentes aires Hugo suggère une magie lumineuse qui vient du ciel et se propage sur les eaux, présentes dans la plus grande partie des compositions de cette période.
Moyennant ces effets, il exprime son idée du sublime et du surnaturel, du mystère harmonieux qui a été soouligné par Pierre Georgel[5],en suggérant, dans l’espace réduit du papier, l’idée d'un grand continuum.
c) En dernier lieu, il utilise les pigments noirs secs, qui d’habitude complètent l’élaboration du dessin. Sur les originaux, on différencie fondamentalement deux types de noirs utilisés très fréquemment :
– celui produit par la barre ou par le crayon lithographique noir : généralement, il est facile à distinguer dans le dessin grâce aux qualités propres de la cire (une brillance douce et une couche plus épaisse). Bien que ce noir soit très intense, il est d'habitude intégré par Hugo avec délicatesse dans la modulation des ombres.
– celui produit par un autre crayon noir intense et de consistance tendre, très similaire au pastel par son aspect mate velouté sur le dessin et par son aptitude particulière à être estompé. Il s’agit probablement du célèbre « crayon sauce » évoqué par Hugo dans sa correspondance.
Ces noirs en technique sèche sont superposés au lavis brun pour assombrir des aires du dessins trop claires, renforcer certaines masses obscures, adoucir des contrastes trop brusques entre la lumière et l’ombre ou incorporer dans la composition un premier plan qui accentue la sensation de profondeur.
À partir de cette étape on observe souvent des ombres intenses produites par des pigments secs qui donnent un effet enveloppant et atmosphérique à l’ensemble.
Conclusion : l'évolution qui conduit Hugo de la forme fermée à la forme ouverte et du style linéaire au style pictural est très similaire à celle qui fait passer, au XIXème siècle, certains artistes topographiques comme William Turner, John Constable et William Guilpin de ce qu'on appelle aujourd'hui le paysage-portrait au paysage d'interprétation personnelle[6]. Pour les peintres topographiques, de sensibilité romantique, l'utilisation du lavis et de l'aquarelle s'était révélée très utile du fait de son aptitude à évoquer les nuances subtiles et changeantes de la lumière et de l'atmosphère dans la nature.
2. Introduction de nouveaux procédés techniques
Dans les changements de la manière technique générale qu'on peut observer, l’introduction, dans certains dessins, de la réserve soluble est particulièrement importante. Pendant ces années, le dessin hugolien présente trois modalités différentes : la réserve incolore avec superposition de pigments secs, la réserve lépreuse et les composés noirs solubles[7] (fig. 9).
Volonté de dépassement de soi sur le terrain pictural
Les reprises d’un même sujet réalisées dans l'île de Jersey montrent l'opiniâtreté de Hugo dans la recherche d'un résultat optimal dans son œuvre artistique.
Il s’agit, dans leur majorité, de sujets concrets de l’île de Jersey qui ont attiré vivement son attention et lui ont inspiré des images mentales très puissantes : la Pêcherie de la BN et le Mirador du Louvre (fig. 10 et 11), le Dick de Jersey, le frontispice pour Torquemada de la MVH (fig. 12 et 13), le Souvenir de Suisse et l'Ermitage de la MVH (fig. 14 et 15 ), la Vue de Marine-Terrace (fig. 16) et un état antérieur découvert il y a quelques semaines, caché qu'il était, camouflé, sous les ombres d'un autre dessin (fig. 17, 18, 19, 20 et 21).
Les différents dessins de Hugo réalisés à partir de ces sujets révèlent sa volonté de dépasser les premiers résultats jusqu’à réussir l’expression simple, poignante, directe et lumineuse, fidèle à sa vision intérieure.
Dans tous ces cas, Hugo travaille sur les aspects qu’il veut dépasser et sur les qualités subjectives qu'il veut exprimer, en pensant sans doute que ces qualités à exprimer par les moyens picturaux sont celles qui lui permettront de suggérer dans son dessin le sublime. Dans les œuvres les plus réussies de ce groupe, on observe comment Hugo confère au dessin, d'une manière efficace et personnelle, une série de qualités esthétiquement sublimes, auxquelles il donne une cohérence technique et esthétique remarquable. L’expressivité de ces œuvres, poignante et subtile en même temps, a été obtenue par l’unité du clair-obscur, la composition et les moyens techniques, pour constituer des images très représentatives de sa pensée à ce moment de sa vie.
Résolution technique dans les paysages de Jersey (1852‑1855)
Le processus d’élaboration des dessins de cette période que j'ai étudiés est très similaire : à l’exception de la vue de Marine Terrace (fig. 16), il s’agit, dans tous les cas, de réserve lépreuse avec superposition de pigments secs.
Pour le reste, les seules différences notables qu’on observe entre eux s'expliquent par la transformation d'un dessin antérieur, transformation qui suit un certain nombre d'étapes techniques dans l'ordre suivant :
a) Dans plusieurs de ces compositions, –le Mirador, Torquemada et Marine-Terrace (fig. 11, 13 et 16)– on observe clairement les contours d’un dessin préalable au crayon graphite .
b) Dans de nombreuses compositions, on observe un contour à la plume et à l’encre noire, encre avec laquelle Hugo renforce les formes à l’avance, en évitant d’avoir à introduire des retouches sur celles qui auraient pu s’effacer dans le processus de lavage: la Pêcherie (fig. 10), l'Ermitage (fig. 15), le Mirador (fig. 11) et Torquemada (fig. 13). Souvent, il incorpore des hachures qui soulignent les textures : le relief du terrain, les veines du bois etc…
c) Dans tous les cas, on observe une première distribution d’ombres au lavis et à l’encre noire.
d) Dans tous les cas, on observe l’application de la réserve soluble sur les zones où il veut obtenir des lumières sur le fond obscur.
e) Dans tous les cas, on observe la superposition d'une encre ou d'un composé indélébile couvrant toute l’aire où a été appliquée la réserve soluble.
f) Dans tous les cas sauf un (Marine Terrace, fig. 16), on observe l’application des ombres sur l’aire du fond, par frottement de divers pigments secs, plus ou moins noirs, qui traversent tout le motif représenté. Ces pigments noirs, parfois appliqués en forme de stèles, apportent le champ de contraste qui met en évidence la silhouette après le lavage (Mirador: fig. 11). Ces tonalités vont des gris du charbon de bois et du graphite aux noirs les plus intenses (certains correspondent à la barre lithographique et d’autres ont un aspect similaires au pastel).
Le seul, parmi les dessins étudiés dans ce groupe, qui sorte de ces procédés techniques concrets, est Jersey. Marine-Terrace, pour lequel la technique lépreuse n'a pas été utilisée comme réserve. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas de silhouette, mais seulement des effets de texture et un effet très singulier de pénombre lumineuse.
g) Dans tous les cas, on observe enfin les indices d’un lavage général qui a été appliqué en vue de craqueler la pellicule indélébile noire (encre de chine) ou marron (bitumé de Judée) et de retirer une partie des écailles produites (Mirador et détail: fig. 11 et 22). Cette opération fait ressortir les lumières et les formes en silhouette, en créant, en même temps, les effets de texture. Pour retirer la pellicule indélébile, Hugo s’aide, dans certains cas, d’un grattoir multiple qui laisse des traces caractéristiques, parallèles et extrêmement fines. Cet instrument ne laisse pas d’érosion sur le support comme c’est parfois le cas avec les instruments de grattage que Hugo utilise fréquemment jusqu’à 1847 (poinçon et autres types possibles de grattoirs).
Dans les dessins étudiés dans ce groupe, Hugo réussit, grâce à la conjonction de plusieurs techniques, un contraste significatif entre l’intensité des noirs en technique lépreuse et la délicatesse des lavis bruns et des tracés à la plume.
Il convient de souligner l’accord fondamental entre ce type de contraste –contraste des qualités subjectives picturales– et les idées esthétiques que Hugo exprime dans la Préface de Cromwell et dans William Shakespeare, en constituant, sur le plan symbolique, une dramatisation poétique entre l’empreinte fragile et laborieuse de l’homme (représentée par l'encre brune demi effacée par le lavage) et l'empreinte du destin (représenté par les noirs intenses et les qualités lépreuses) qui imprime sur lui sa présence insensible et qui parfois le frappe.
Dans ces occurrences, Hugo évoque à nouveau, grâce à des options techniques, certaines qualités déterminées et opposées (férocité et fragilité), qui en même temps suggèrent une vérité universelle : l’homme est sans défense devant les causes de son destin. Le contraste entre les différents effets techniques obtenus est le véhicule du contraste entre les qualités représentées, et celles que lui prête la pensée créatrice. Elles sont d'une importance primordiale dans la traduction de ce que Hugo souhaite réussir sur le terrain pictural.
Ce même type d’élaboration, de répétition non conformiste en fonction du contenu à exprimer, s’observe dans la série de quatre dessins connue sous le titre les Pendus[8], également réalisée à Jersey, dont le message constitue une dénonciation contre la peine de mort. Bien que cette série ne comporte pas de références précises à la chronologie de sa réalisation, et bien que seuls deux dessins soient datés, on peut déduire l'ordre de sa composition en comparant les résultats techniques et la suppression progressive de tous les détails qui entravaient la clarté du message à transmettre. Hugo à probablement réalisé ces quatre dessins dans l'ordre suivant : fig. 23, 24, 25, et 26.
L’image du premier pendu (fig. 23) ne suggère aucune qualité de noblesse, alors que le dernier (fig. 26) atteint une mystérieuse majesté et acquière un lien avec l’au-delà qui s'exprime par la lumière venue d'en haut. Le même processus de sublimation s’observe dans la série des dessins à caractère allégorique sur les sujets de l’île de Jersey.
Tout au long du processus de dépassement que Hugo nous montre dans ces quatre variantes, il va réussir l'épuration formelle, l’élimination progressive de tout ce qui est superflu, jusqu’à obtenir la synthèse, simple et éloquente, d’une vision subjective qui lutte pour sortir à la lumière du jour et pour résoudre l’ambiguïté du sens à travers la résolution des difficultés techniques.
[1]Heinrich WÖLFFLIN, Principes fondamentaux de l’histoire de l’art, Paris, Gallimard, 1952.
[2]Jean GAUDON, Le Temps de la contemplation,. Paris, Flammarion, 1985, page 46.
[3]WÖLFLIN, op. cit. , page 148.
[4]WÖLFLIN, op. cit. , page 26.
[5]Pierre GEORGEL. Dessins de Victor Hugo, Rouen, Lecerf, 1971, page 75.
[6]Paysage portrait : dessin ou
peinture, réalisé(e) sur commande, qui exigeait la représentation très fidèle des
paysages d'intérêt géologique ou scientifique ou des bâtiments ou monuments à
valeur historique.
Paysage d'interprétation personnelle : peinture ou dessin où les aspects sensitifs et
changeants de la nature prenaient une importance décisive.
[7]Voir Victoria TÉBAR. La création artistique hugolienne. Ses apports dans le domaine des procédés techniques, communication au Groupe Hugo du 24 janvier 2004, http://www.groupugo.univ-paris-diderot.fr/Groupugo/04-01-24tebar.htm.
[8]Voir P. GEORGEL, op. cit. , pages 119-122.