Sylvie Brodziak : Clemenceau lecteur de Hugo

Communication au Groupe Hugo du 5 avril 2008
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Je suis très honorée et  heureuse d’intervenir aujourd’hui devant vous. En effet, non seulement vous rencontrer est important mais aussi parce que Victor Hugo , comme vous le découvrirez  dans quelques instants, appartient à l’histoire familiale des Clemenceau.

Ainsi, dans un premier temps , je souhaite rappeler l’importance du legs hugolien  fait par son père à Georges Clemenceau, dans un second temps j’étudierai l’appropriation de celui-ci par l’homme politique et l’écrivain qu’il fut , enfin, en  guise de  rapide conclusion,  je verrai quelles sont les traces profondes de Hugo qui demeurent aujourd’hui dans la mémoire et les lieux des descendants de Clemenceau.

 

 

I) Hugo en héritage

Clemenceau,  né en 1841,  fut élevé comme tout petit garçon du milieu du XIXe siècle.

Jusqu’à l’âge de 10 ans, il est  éduqué dans la maison familiale puis, à partir du collège, à la différence de ses sœurs Emma, Adrienne et Sophie  qui, elles, sont toutes instruites à la maison par leur mère, il va connaître, à Nantes, la pension  et  le Lycée Impérial.  Sa prime éducation est  toutefois strictement maternelle : le petit Georges entouré de toute l’affection et attention de sa mère évolue dans un univers clos où, son père étant peu présent dans la journée, Sophie est au quotidien souveraine : « Dans le courant de la journée, je ne voyais pas beaucoup mon père, qui ne fichait rien et qui, comme tous les hommes qui ne fichent rien, était assez occupé [...] » [1] .

Mais son rôle ne se borne pas à la simple phase de maternage. Sophie Gautreau  est une femme moderne qui  non seulement éduque  mais instruit son fils et ses filles. Sophie est cette « mère institutrice » qui veut  inculquer des valeurs autant intellectuelles que morales à ces jeunes enfants. Georges Clemenceau, même très âgé, reconnaît avec tendresse cette empreinte maternelle. Lors d’un entretien avec Jean Martet , le 26 juin 1928 alors que ce dernier lui demande : « Et vos études ? Avant d’aller au collège ? » Clemenceau répond : « C’est d’abord ma mère qui s’est occupée de ça [...] Ma mère était une femme admirable. Elle a appris le latin pour pouvoir me l’enseigner[...] » [2] .

La langue des humanités n’est  pas le seul enseignement que Sophie donne à son fils aîné. Issue d’une famille de tradition républicaine, aux côtés de son mari Benjamin , elle fait définitivement entrer Georges en république [3] . Benjamin  Clemenceau, le père, constitue un phénomène dans la mémoire familiale des Clemenceau. Lorsque Jean Martet  demande le 26 juin 1928 quelles ont été les influences qui ont agi sur lui, Georges Clemenceau « commence par ouvrir de grands yeux » puis répond : « Ah ! bien, je crois que la seule influence qui ait eu quelque effet sur moi, c’est... oui, celle de mon père. » 

Georges, fils aîné, avoue  avoir été très  impressionné par ses idées et ses audaces. « Celui à qui je dois tout » proclame-t-il au banquet de Montaigu en 1906. Cette affirmation de l’empreinte indélébile laissée par le père est commune dans ce dix-neuvième siècle où « le père est la figure de proue de la famille comme de la société civile » [4] . Comme tout chef de famille, Benjamin est le maître de l’argent du ménage : « Avec l’argent de mon oncle, comme mon père était ordonné, qu’il faisait attention, dépensait très peu, il s’en est tiré » et c’est lui qui prend les décisions fondamentales.

Que ce soit le soir à table ou pendant les grandes vacances, il joue son rôle de père transmettant la masculinité et ouvrant l’esprit de ses enfants à la réflexion et au savoir. Benjamin  chasse avec son fils, « élève ses garçons à cheval [5] » et parcourt avec lui la Vendée :

 

« Avec son père, écrit Geffroy , il visita les villes, les villages, les campagnes, il apprit sur place l’histoire de la Révolution dans l’Ouest, les péripéties violentes des guerres de la Chouannerie à travers les chemins creux, les fossés et les haies du Bocage [...]. » « A table, il parlait beaucoup de ses lectures, il lâchait sa philosophie en boutades, et peu à peu ça entrait en moi. » [6]

 

Plus attentif à l’éducation des garçons, il s’occupe particulièrement de l’instruction de Georges : « Il me disait donc à dîner : “Qu’est-ce que tu as appris aujourd’hui ?” Je le lui disais. Je lui racontais les théories cléricales qu’on m’avait servies dans la journée sur l’âme [...] ». Lorsque Benjamin  est arrêté en 1858, il écrit quelques recommandations à sa femme, nombreuses sont celles qui intéressent le petit Georges :

 

« Je désirerai qu’après Pâques Georges reprit ses leçons d’armes avec Moreau.[…] Tu diras à Georges de monter ma jument [...]. Dans quelque temps d’ici, il faudra t’enquérir auprès de M. Desprez  s’il est nécessaire qu’il donne quelques répétitions à ton fils.[...] J’engage Georges à lire l’article sur Rome qui est dans la revue qu’il a emportée et à garder en note le numéro de cette revue. [7]  »

 

Parmi tout ce que Benjamin  a pu transmettre à son fils – choix et  fidélité à la République, athéisme, viscérale insolence – deux passions nous intéressent aujourd’hui plus particulièrement : celles des livres et celle de Victor Hugo.

 

Au XIXe siècle, les livres et la bibliophilie sont affaires d’hommes et Benjamin est celui qui initie Georges à la fréquentation des livres, ceux de sa bibliothèque personnelle [8] ou ceux du cabinet de lecture Plançon . La nouvelle « Justin Cagnard », armateur, extraite de Aux embuscades de la vie, décrit ce lieu, sis au coin de la place Graslin et de la rue Jean-Jacques Rousseau à Nantes :

 

" Ce cabinet consistait en un grand couloir aux murailles garnies de livres, aboutissant à deux fenêtres sur la place Graslin. Le maître du lieu trônait là derrière un grand pupitre, recevant et rendant des volumes crasseux, romans, livres d'histoire dont une importante clientèle d'employés et de petits bourgeois faisait son ordinaire pâture [...] "

 

C’est donc là que le jeune Georges emprunte les livres, mais ce cabinet n’est pas uniquement une sorte de bibliothèque municipale, c’est l’espace d’expression du « parti libéral » [9] et « le centre de toutes les informations sur les affaires publiques et les choses de la cité.» Georges y trouve lectures, débats et rumeurs : « Il paraît “qu’on a dit cela chez Plançon ” était un argument de poids dans les discussions nantaises. » Dans la bibliothèque de Clemenceau, actuellement rue Franklin au musée, certains ouvrages proviennent de celle de Benjamin  et permettent de confirmer la marginalité idéologique dans laquelle baigne Clemenceau enfant et adolescent. Benjamin, homme de réflexion, s’intéresse aux idées nouvelles dont celles de Louis Blanc , Blanqui , Buonarroti [10] , Proudhon  et autres, moins connus, aux pensées dérangeantes voire « dangereuses ».

 

L’œuvre  de Victor Hugo fait également  partie de cette bibliothèque paternelle  par  la présence de deux livres : Le Beau Pécopin, (Hachette, 1857) et Quatorze Discours, (Librairie Nouvelle 1851). Ces deux uniques ouvrages ne reflètent qu’imparfaitement l’admiration sans bornes que Benjamin éprouve pour Victor Hugo, et ceci depuis 1830.

Arrivé à pieds  à Paris, Benjamin Clemenceau assiste à la bataille d’Hernani [11] , puis en juillet participe à la Révolution. Ce haut moment de l’histoire du théâtre est un événement fondateur pour Benjamin. L’initiant  de façon concrète à la contestation et à la subversion, il  reste  gravé à jamais dans sa mémoire. Ainsi, Benjamin Clemenceau élève son fils dans l’admiration de Hugo, placé au sommet de son Panthéon littéraire : « Mon père, au fond, était un romantique, qui avait transporté dans la politique, dans la sociologie, les idées littéraires de Victor Hugo et de ces gens-là. » [12]

Clemenceau , qui jouit d’une personnalité  tout aussi forte que son père,  s’approprie  à sa façon ce don de Hugo.  Et si tout au long de sa vie, par certains de ses combats et de ses écrits  il revendique tacitement la filiation, il ne cesse de l’aménager, de  la transformer pour finalement se  démarquer  du romantique que fut Hugo.

 

II) Clemenceau , fils  du romantisme  ?  

 

L’homme d’état que devient Clemenceau est incontestablement  le plus inspiré  par Victor Hugo.

Clemenceau provincial devenu parisien s’est formé politiquement dans le cercle  républicain des proscrits du 2 décembre.

En octobre 1861, Clemenceau arrive à l’embarcadère, 44 boulevard du Montparnasse, accompagné par son père. Fort de son expérience d’étudiant en médecine dans les années 30, Benjamin  veut chaperonner et introduire son fils dans la capitale. Cette initiation à la vie parisienne se fait essentiellement par le biais de visites. Par celles-ci, le jeune homme pénètre des réseaux de sociabilité où il va  pouvoir se reconnaître et être reconnu. L’appartenance à l’opposition républicaine est le premier signe distinctif. Identifié en province par ses opinions politiques, Benjamin d’emblée présente son fils à l’opposition parisienne.

La première visite au « grand homme » est pour Etienne Arago , frère du grand physicien François Arago , rentré en France en 1859, contrairement à Hugo. 

Chez lui,  Clemenceau connaît Ranc , Eugène Pelletan , Henri Lefort , Henri Rochefort , Prolo , François Lacour , Jules Méline , Eugène Protot , [13] tous opposants, tous républicains, tous ayant connu Hugo.

Georges Clemenceau, au soir de sa vie, approuve cette stratégie paternelle lorsqu’il confie à Martet  : « Mon père tenait plus à me voir fréquenter Lefort que la Faculté : car, par Lefort, qui avait connu Hugo (exilé comme lui après le 2 décembre), recueilli son verbe, toutes les portes s’ouvraient. » Ainsi,  l’obéissance filiale caractérise les rapports entre Benjamin et Georges ; ce dernier ne se construit pas « contre » son père ; il ne rejette pas la philosophie et l’engouement  paternels, au contraire tout au long de son parcours,  il va saisir les occasions de les cultiver de façon toute personnelle.

En conséquence, par éducation et par choix, Clemenceau , dès le début de sa vie politique, vit sous les auspices de Hugo et ceci  se matérialise concrètement dans trois grands combats communs aux deux hommes :

-         la lutte contre le Second Empire mère de  la haine contre Napoléon III, 

-         la lutte pour l’amnistie.

-         le combat  contre la peine de mort

 

La lutte contre le Second Empire est le tout premier combat de Clemenceau, étudiant en médecine, journaliste dans ces  feuilles éphémères du quartier latin.

Arrêté le 23 février 1862 pour avoir apposé à la Bastille des affiches appelant à une grande manifestation  à l’occasion du quatorzième anniversaire de la II République,  il reste 77 jours à Mazas et ainsi, comme son père interné en  1851 et 1858 pour opposition à l’Empire, connaît, à son tour, l’univers carcéral. L’épreuve est rude. Clemenceau enfermé est profondément malheureux. Sa seule consolation est livresque et voici les ouvrages qu’il réclame  le 2 mars 1862 à une libraire :

 

Dimanche 2 mars 1862

Madame

Je suis détenu à Mazas* pour affaire politique [14] . Selon toute apparence on ne me gardera pas bien longtemps, mais comme j’ai besoin de livres pour me distraire je vous prie de m’envoyer par le commissionnaire qui vous remettra cette lettre les volumes suivants.

 

Shakespeare – traduction française

Victor Hugo* tous les volumes moins les trois premiers.

Le fou Yégoff [15] - Erckman-Chatrian

Comédies et proverbes [16] - Alfred de Musset :  

Histoire des Treize, le Père Goriot, la Peau de chagrin [17] Balzac -

Valvèdre-la famille de Germandre [18] - G. Sand -

La Légende des Siècles [19] - Victor Hugo-* Le Rhin [20] .

 

Tout cela fait une somme que je ne vous paie pas de suite parce qu’en prison on n’a jamais trop d’argent. Si contre mon attente je ne sortais pas d’ici peu, écrivez-moi l’époque où vous désirez être payée et je vous ferai toucher le montant de la note.

Si du reste j’ai besoin de quelques autres ouvrages je vous en ferai la demande.

 

J’ai l’honneur de vous saluer.

G. Clemenceau

Mazas- 3ème division n°97 [21]

 

Une fois libéré,  en allant voir  son ami Ferdinand Taule, encore emprisonné à Sainte Pélagie, il rencontre Blanqui et Auguste Scheurer-Kestner avec lequel il entame une forte et longue amitié.  Amoureux de la belle-sœur de  Scheurer, ce dernier  le fait  fréquenter et s’entretenir longuement avec  son beau-frère Charras, proche de Hugo comme l’indique Jean-Marc Charlot dans sa  thèse sur Charras intitulée "Waterloo dans la mémoire française –1815-1914".

La lutte contre  l’Empire est  le moteur originel de l’action politique de Clemenceau et, à l’instar de  Victor Hugo  il hait Napoléon le Petit  qu’il nomme, pour sa part,  l’insecte ou le crapaud  dans une de ses lettres adressées à Scheurer le 1er mars 1864.

 

Élément plus original de ce combat anti-impérial  est la thèse de médecine  (scientifiquement fausse) qu’il soutient en 1865. Tenir pour la génération spontanée, c’était aussi  manifester son  opposition à  l’Église, soutien du pouvoir impérial. C’était - dit-il en 1928,  dans un de ses entretiens avec Jean Martet au moment de la parution de son œuvre philosophique « Au soir de la Pensée » - un acte politique et ne pas être dans les « idées de Napoléon  III » [22] .

De la génération des éléments anatomiques est indiscutablement une thèse fausse sur le plan scientifique, mais son intérêt est ailleurs. Il est d’ordre politique, philosophique et éthique. Clemenceau en s’interrogeant sur l’origine de la matière et de l’homme nie une intervention extérieure, divine.

Ce tout premier  combat est relayé par la lutte pour l’amnistie dans laquelle,  devenu député de Paris (quartier Clignancourt) le 20 février 1876  il s’engage  avec ferveur.  Il intervient à la tribune de la Chambre le 16 mai 1876, dans la ligne de la campagne que viennent de lancer Victor Hugo au Sénat et François Raspail pour les députés.

Lorsqu’en  février 1879, le débat est relancé,  ses interventions à la Chambre  le  propulsent sur le devant de la scène politique.  Non signataire du texte [23] présenté par Victor Hugo au Sénat et Louis Blanc à la Chambre, il n’en défend pas moins l’amnistie plénière. Il voit ses vœux exaucés par la loi du 21 juin 1880 complété par  le décret du 10 juillet qui gracie les derniers condamnés de La Commune. Ce combat pour l’amnistie se déroule avant tout à la tribune et  l’art oratoire est également partagé par Hugo et Clemenceau. Contrairement à Hugo, Clemenceau n’est pas un familier des  barricades mais l’un et l’autre, par leurs discours et leur posture, construisent la même  image du héros- orateur, défendant avec fougue les principes et idéaux de la République. 

Hugo et Clemenceau  mettent en scène volontairement leurs discours.  Le ton  est haut, les formules  cinglantes et la dramatisation voulue -à laquelle réagit volontiers le public-  n’altère pas la clarté et la force du propos. Les procédés utilisés sont souvent les mêmes : répétitions, prises à  témoin du public, phrases courtes , sobres et efficaces, interrogations multiples, images frappantes. Ceci est particulièrement perceptible lorsque l’on rapproche deux de leurs  grands discours sur l’Amnistie.  Celui du 16 mai 1876  pour Georges Clemenceau, celui du 28 février 1879 pour Victor Hugo. Séparé  par trois années,  l’argumentaire  paraît commun et s’ordonne autour de trois  points :

-         Condamnation de la guerre civile

-         Le partage des responsabilités

-         Célébration de la République juste  et indivisible, artisane de la paix sociale.

Pourtant, l’examen plus attentif des deux discours,  tout en confortant l’idée incontestable de la communauté d’esprit,  met à jour deux stratégies de persuasion fort différentes. Clemenceau,  pour convaincre,  s’attaque au problème de la responsabilité, du pourquoi de l’insurrection ?  Il pose, à travers l’Histoire de France, le thème de la  culpabilité.

De fait, si pour Clemenceau la souffrance endurée par le peuple de Paris ignoré sous le Second Empire est  une des causes fondamentales  de l’égarement du peuple : 

 

Et d’abord, quelle a été la situation de la population de Paris sous l’empire , Paris assurément n’était pas responsable de l’Empire ; il n’en était pas responsable puisqu’il avait fallu le mitrailler pour commettre l’attentat qu’on avait médité contre la France. (Très bien ! très bien ! sur les mêmes bancs. ) Il n’en était pas responsable puisqu’il n’avait cessé de protester par ses votes, de la façon la plus énergique, contre le régime impérial. Et cependant, il faut dire que Paris a été la première victime de l’Empire, et que c’est sur lui que s’est exercé tout d’abord l’action délétère de ce gouvernement, car c’est cette ville qu’on a cherché  particulièrement à séduire, à corrompre, à pervertir, dont on a voulu faire une ville de luxe et de plaisir, au lieu d’une ville de travail et de lumières ( Nouvelle approbation sur les mêmes bancs). [24]  

 

Il n’en n’est pas moins vrai qu’en faisant le choix d’organiser toute sa plaidoirie  sur  les paroles de Jules Favre et de Thiers – acteurs essentiels de la guerre civile évoquée – il énonce et légitime l’idée de la responsabilité fondamentale du gouvernement de Versailles dans le déclenchement de l’insurrection :

 

Écoutez ce que disent  M. Thiers et M.  J. Favre des causes générales de l’insurrection :

«  L’origine du mouvement, dit M. Thiers, est facile à discerner. Il  y avait dans Paris 200, 000 hommes qui s’étaient nourris de ce sentiment que c’était lâcheté et trahison que de traiter avec les prussiens. »  Et plus loin : « Paris avait été abandonné par les gens d’ordre : il n’y restait que les mauvais bataillons qui faisaient un service de garde nationale, et ces bataillons se composaient pour la plupart d’hommes qui croyions que nous voulions détruire la république.

De son côté, M. Jules Favre porte le jugement suivant : « Il est certain qu’attribuer le 18 mars à une conspiration serait tout à fait se tromper. La conspiration a existé beaucoup plus que je ne le croyais, car je n’y avais jamais cru. Je me suis trompé, mais je crois qu’elle a été pour une part extrêmement faible dans l’insurrection ; c’est une grande sédition qui est née de circonstances que n’avaient pas prévu ceux qui en ont profité, qui les ont étonnées eux-mêmes. Quand nous avons quitté Paris, les chefs de ce mouvement ne se doutaient pas de leur succès. Ils ont éprouvé pendant quelques jours une certaine stupeur qui prouve qu’il n’y avait pas chez eux l’espérance d’un succès aussi complet ni le parti de réaliser un système politique. »

Et enfin Jules Favre donne sa conclusion définitive dans les termes suivants : «  Telle est la chimère – le rétablissement  de la monarchie à laquelle les députés de la majorité de l’assemblée ont sacrifié la paix publique ; Qui peut douter aujourd’hui que s’ils avaient, à Bordeaux, reconnu et sanctionné les institutions républicaines, ils n’eussent, à l’avance, désarmer une insurrection qui n’a eu d’autre mot d’ordre que la défense de la République ? Donner à la France, dans ce moment suprême, le gouvernement qui avait soutenu en elle l’esprit de résistance à l’étranger, qui avait relevé son honneur, qui lui rendait la liberté , était un acte de haute sagesse et de saine politique. Si le pouvoir exécutif et l’Assemblée avaient eu assez de clairvoyance et de fermeté pour l’accomplir, ils auraient eu dans l’histoire une grandeur incomparable, et, tôt ou tard, la reconnaissance de la nation aurait entouré leur mémoire d’une vénération légitime.  Cette fortune nous a été refusée. Les justes défiances soulevées par les réticences de l’Assemblée ont été l’une des causes les plus directes de l’insurrection de la Commune ; - la fatalité de la situation le voulait ainsi-, mais en la constatant, nous avons le droit de rétablir les responsabilités et de ne point imputer exclusivement à la population de Paris un égarement funeste dans lequel beaucoup d’autre ont eu leur part. » [25]

 

Ce   besoin de chercher «  la vérité », de nommer les responsables, après avoir lu l’analyse de Franck Laurent  dans son article «  Victor Hugo, «  Le Rappel  et la Commune », inscrit, me semble t-il,  Clemenceau plutôt dans la lignée des positions du « Rappel » du 19 mars 1871 que de celles de Hugo alors abstentionniste :

 

 Le gouvernement  après de longs tâtonnements s’est décidé au coup de force que lui conseillaient les journaux de la réaction et auquel ne voulaient pas croire les journaux républicains […].

La responsabilité de la grave situation où nous sommes doit peser toute entière sur le gouvernement qui l’a amenée, qui l’a peut-être voulue. Il a éveillé la guerre civile, croyant pouvoir aisément  s’en rendre maître. Mais la preuve qu’il n’y avait à la guerre civile, ni raison, ni prétexte, c’est que la guerre civile n’est pas venue : l’armée envoyée pour combattre la garde nationale l’a simplement embrassée !

Et si nous n’avions pas encore à nos portes la guerre étrangère, - danger dont le pouvoir absolu a voulu se faire un moyen- la «  guerre civile » de la journée d’hier n’aurait abouti qu’à la plus admirable et à la plus pacifique consolidation de la République et de la République la plus sincère et la plus forte. [26]

 

Quant au discours de Hugo, qui vient au Sénat, il est vrai,  après de nombreuses  interventions, il s’articule essentiellement autour de  l’oubli comme remède à la souffrance politique et sociale.  La notion de responsabilité est peu évoquée et  de «  l’affrontement des forces obscures [doit jaillir] la lumière  de la République souveraine. »

 

Si au contraire, vous acceptez la grande solution, la solution vraie, l’amnistie totale, générale, sans réserve, sans condition, sans restriction, l’amnistie pleine et entière, alors la paix naîtra, et vous n’entendrez plus rien que le bruit immense et profond de la guerre civile qui se ferme (applaudissements). Les guerres civiles ne sont finies qu’apaisées. En politique, oublier c’est la grande loi. Un vent fatal a soufflé : des malheureux ont été entraînés, vous les avez saisis, vous les avez punis, il y a de cela huit ans.

La guerre civile est une faute. Qui l’a commise. Tout le monde et personne.

(Bruits à droite). Sur une vaste faute, il faut un vaste oubli. L’amnistie, c’est l’oubli. [27]

 

Non spécialiste de Hugo, je ne peux répondre sur le choix du poète  mais pour ce qui  est de Clemenceau, il me semble, au-delà du contexte politique (rupture prochaine  avec Gambetta entre autres) particulièrement révélateur de l’homme qu’il est en 1876. D’une part, appartenant toujours  à la mouvance blanquiste - il le démontrera notamment en 1879 en soutenant l’élection de Blanqui aux législatives à Bordeaux – Clemenceau est un homme qui en 1876 peut comprendre l’insurrection, malgré son désir d’ordre dans la République. D’autre part, cette lancinante interrogation sur la responsabilité  l’affirme comme enfermé définitivement dans le souvenir du 18 mars.

En effet, depuis les assassinats des généraux Lecomte et Thomas auxquels il assiste impuissant, Clemenceau se  sent coupable et, comme je l’ai analysé dans un précédent  article, le silence sur cette « triste journée» le fige durablement dans l’esprit et le cœur de Clemenceau. La  tentative d’expulsion du traumatisme  par l’écriture commencée en 1872 est demeurée inachevée et secrète. L’absence de publication, donc la non-reconnaissance par les autres  engendre une blessure que le temps et l’expérience politique ne pourront soulager.

Jean Martet, dans le Silence de M. Clemenceau, note :

 

M. Clemenceau a eu une vie longue et traversé des heures cruelles : aucun souvenir, pourtant ne l’a hanté avec une telle persistance que le souvenir de ces temps d’horreur et de folie, où , jeune maire de trente ans, il apprit ce qu’était l’émeute et où il eut tant de fois à se demander si son aventure n’allait pas se terminer là, stupidement. [28]  

 

De fait, au seuil même de la mort, Clemenceau revient sur ce qu’il nomme lui-même son

« crime » :

 

Le premier crime que l’on me reproche est d’avoir fait assassiner Lecomte et Clément Thomas. C’est l’affaire du 18 mars 1871. J’ai, de l’autre côté, tout un dossier  là-dessus, que je vous passerai ; vous en ferez ce que vous voudrez. En 72, je m’étais livré à une enquête à ce sujet pour essayer de réunir le plus de témoignages. Vous verrez qu’il y a une centaine de lettres parmi lesquelles des lettres de Méline, de Schoelcher. En outre, j’avais commencé à écrire l’histoire de tous ces faits-là, de tout ce qui a précédé le 18 mars et de ce qui l’a suivi […]. J’avais écrit minute par minute mon emploi du temps pendant la journée du 18 mars…

 

Répondre à L’Enquête du 18 Mars ouverte en 1872 par la justice aurait dû assouvir le besoin urgent de la narration après la fin tragique de La Commune. Ce rapport aurait pu devenir la phase première d’un protocole thérapeutique, permettant de soigner la profonde souffrance de Clemenceau, engendrée à la fois par l’horreur du spectacle mais aussi par le sentiment de culpabilité de notre auteur-acteur, qui n’a pu éviter la tragédie. Il n’en fut rien.

Ainsi, si ce récit, que nous pouvons en partie parcourir grâce à Jean Martet, relate les évènements minute par minute et, à l’évidence, a pour but premier de mettre un baume sur une plaie ouverte,  l’efficacité de cet onguent fut médiocre  parce que le traitement fut interrompu.

Pourtant, la démarche du narrateur se veut dès le départ scientifique et médicale. Rapport d’expert, il conjugue le diagnostic du médecin et l’objectivité du journaliste. Phrases courtes, précises, absence de digressions, style sobre du compte-rendu :

 

 Je me rendis immédiatement sur les Buttes. J’eus à parlementer à plusieurs reprises avec les soldats qui barraient le passage. Le boulevard extérieur et les rues que je parcourus étaient déserts, ou à peu près. La nouvelle de l’entreprise commençait seulement à se répandre.(…) A mesure que je gravissais la Butte, l’attitude des soldats me parut relâchée. Il y avait là un plus grand nombre de personnes dans la rue. […]. 

 

Ce récit rigoureux veut donner la preuve de l’irresponsabilité de Clemenceau dans le meurtre de Lecomte et Thomas et décrit ses multiples tentatives pour ramener le calme :

 

Vers 4h et demie, je vis arriver dans mon cabinet le capitaine Mayer, suivi du capitaine Garcin. Mayer me raconta dans un grand trouble que si je n’accourais pas au plus vite, on allait fusiller les généraux Lecomte et Clément Thomas.

Je fis observer que cela ne pouvait être ; les journaux avaient annoncé que Clément Thomas était parti,, peu de temps auparavant, pour l’Amérique.

Mayer me répondit :

-          Si ce n’est pas Clément Thomas, c’est quelqu’un d’autre qu’on prend pour lui. En tout cas, accourez vite, car on parle de le fusiller.

-          Les termes dont se servait Mayer, bien qu’indiquant une situation grave, permettaient de supposer que la crise n’avait pas encore atteint l’état aigu qu’on pouvait redouter.

-          Je pris mon écharpe dans mon tiroir et je m’élançais dans la rue, suivi des deux capitaines et de M ; Sabourdy (….) Nous courûmes et marchâmes du plus vite que nous pûmes, presque sans mot dire. (…)°Les Buttes étaient couvertes de gardes nationaux en armes. Nous nous engageâmes dans cette foule. Mon écharpe me désignant aux regards de tous, je ne tardai pas à devenir l’objet des démonstrations les plus malveillantes. On me reprochait de m’être entendu avec Le Gouvernement pour faire enlever les canons, on m’accusait d’avoir trahi la garde nationale, on m’insultait. (…)

-          A mesure que nous avancions, j’entendais répéter :

-          C’est fini ! Justice est faite ! Les traîtres sont punis ! Si quelqu’un n’est pas content, on lui en fera autant ! Il est trop tard ! (…) [29]

 

En conséquence, dans les deux discours que nous avons rapprochés, le point de vue  de Victor Hugo et de Clemenceau ne peut être le même. Le 18 mars, jour de l’insurrection parisienne, Victor Hugo suit lentement le cercueil de son fils jusqu’au Père –Lachaise  et , très vite, le 20  part pour Bruxelles.  Clemenceau, lui, dévale la butte Montmartre  et arrive trop tard.

Plus généralement, Clemenceau est identique à ces orateurs décrit par Tocqueville  dans De la démocratie en Amérique : « Nos orateurs parlent souvent à tous les hommes, alors même qu’ils ne s’adressent qu’à leurs concitoyens » [30] . Ses discours sont à vivre et prononcés au nom de tous, de l’Humain en général. Les thèmes de ces discours ont, bien souvent, cette dimension universelle : l’amnistie, les libertés, la démocratie, l’action sociale, la République, les calomnies…faisant [31]    (je me réfère aux travaux de Marieke Stein) de  l’activité oratoire , comme Victor Hugo l’écrit dans Sur Mirabeau en 1834,  l’activité reine de l’Homme- Événement et de l’Homme- Peuple. Cette fidélité  à Victor Hugo, initiée durablement  par Les Quatorze discours lu dans la bibliothèque paternelle, Clemenceau la manifeste enfin  dans la lutte qu’il va mener pour l’ abolition de la peine de mort. Même si, jeune  journaliste pour le Temps à New York , il se démarque et ne suit pas le poète lorsque celui-ci intervient au Mexique auprès du président Juarez pour demander la grâce de l’empereur Maximilien, le 20 juin 1867 [32] . Bien au contraire, avec la fougue de la jeunesse et son enthousiasme viscéral pour la Révolution Française, il justifie avec violence le châtiment dans une lettre du  6 septembre 1867 adressée à Madame Jourdan :

 Nous avons une querelle à vider cependant. Que diable allez-vous vous imaginer des Maximilien* ., et des Charlotte [33] . .. Mon Dieu, oui, je le sais, ces gens-là sont toujours charmants. Cela était convenu d’avance : il y a cinq ou six mille ans qu’ils sont comme cela. Ils ont la recette de toutes les vertus et le secret de toutes les grâces. Sourient-ils : c’est délicieux. Pleurent-ils : c’est touchant. Vous laissent-ils vivre : quelle exquise bonté. Vous écrasent-ils : c’est le malheur de leur situation. Eh bien, je m’en vais vous dire une chose. Tous ces empereurs, rois, archiducs et princes sont grands, sublimes, généreux et superbes, leurs princesses sont tout ce qu’il vous plaira, mais je les hais d’une haine sans merci, comme on haïssait autrefois en 93 [34] , alors qu’on appelait cet imbécile de Louis XVI l’exécrable tyran. Entre nous et ces gens-là,  il y a une guerre à mort. Ils ont tué dans des tortures de toute espèce des millions d’entre nous, et je ne parierais pas que nous en ayons tué deux douzaines. Il est vrai grande est la classe des exploiteurs de l’imbécillité  humaine, mais ils sont à leur tête et comme tels c’est eux qu’il faut viser. Je n’ai point de pitié pour ces gens-là. Plaindre le loup, c’est commettre un crime envers les moutons. Celui-là voulait commettre un vrai crime : ceux qu’il voulait tuer l’ont tué. J’en suis ravi. Sa femme est folle : rien de plus juste : cela me ferait presque croire à une Providence. C’est l’ambition de cette femme qui avait poussé cet imbécile. On a tué bien des hommes pour que votre Charlotte fut saluée du nom d’impératrice. Il paraît cependant qu’on en a pas tué assez. Tenez, je regrette qu’elle soit folle et ne puisse pas comprendre que son mari est mort par elle et que c’est un peuple qui se venge- d’ailleurs ne rejetez pas la responsabilité sur autrui.  Si Maximilien n’a été qu’un instrument, son rôle est plus vil (car il y a de la grandeur dans un beau crime bien prémédité) mais n’en est pas moins coupable.

Vous croyez que je suis féroce. Ce qu’il y a de pire c’est que je suis intraitable et que sur cet article-là  je ne changerai jamais. » [35]

 

Les années, l’expérience brute de la violence en mars 1871, l’engagent définitivement à œuvrer pour l’abolition de la peine de mort.  Parce que,  comme il l’écrit dans un texte célèbre de la Mêlée sociale en 1895 consacré à  l’exécution publique de l’anarchiste Emile Henry   :

 

Voici ce que je rapporte de la place de la Roquette. J’ai raconté ce que j’ai vu, sans rien dramatiser, le simple récit des faits me paraissant supérieur en émotion vraie à tout artifice d’art. Que les partisans de la peine de mort aillent, s’ils osent, renifler le sang de la Roquette. Nous causerons après. 

 

Ainsi,  l’ombre de Victor Hugo plane  très souvent là où agit Clemenceau . L’épisode  de la censure de Thermidor ,pièce de victorien Sardou, en 1891, en est un autre exemple.  Il reprend  à la fois l’article les Martyrs de l’Histoire  publié   le 22 février 1862  dans le Travail   mais aussi  l’esprit qui anime Victor Hugo  premier à oser célébrer la Convention dans son discours de réception à l’Académie en 1851 [36] et  lors de la publication, en 1873, de Quatrevingt-treize, aboutissement du roman historique romantique où la « Révolution en bloc » est justifiée.

 

Cette proximité est-elle la même entre les deux écrivains qu’ils furent ?  Certes, il n’est pas dans mon intention d’esquisser une comparaison entre les deux œuvres : l’une appartient  au patrimoine littéraire universel , l’autre est celle d’un écrivain demeuré obscur.

Il est toutefois intéressant de  voir comment  Clemenceau, par son écriture, s’installe jusqu’à un certain point  dans le sillage de Hugo, en tant qu’auteur romantique.

La première grande référence  à Victor Hugo est faite par le critique littéraire qu’est un temps l’étudiant Clemenceau. En 1861, il fonde avec Germain Casse, Ferdinand Taule, Eugène Carré, Laurent -Pichat, Le Travail, à 20 centimes le numéro  qui vient s’ajouter à ces feuilles et journaux créés pour critiquer l’Empire « autoritaire ». Le premier numéro paraît le dimanche 22 décembre 1861, le bureau du journal est rue Sainte Hyacinthe- Saint-Michel. Georges Clemenceau y tient  le plus souvent la chronique dramatique et littéraire. Sa première publication consiste donc en une réflexion sur l’écriture des autres. Le 22 décembre 1861, son premier article est une critique du roman feuilleton d’Edmond About  L’Homme à l’oreille cassée. Clemenceau dit ne pas comprendre le succès de ce « roman chéri de son auteur. » Le 5 janvier 1862, il éreinte Les Mariages d’aujourd’hui, comédie de Bourgeois et Decourcelles  donnée au Gymnase, boulevard Bonne Nouvelle. Il note la fadeur et l’absence d’originalité de l’intrigue : « N’est-elle pas toujours en effet la même cette histoire du mari trompé toujours, si prévenant, si bon, qui jamais ne sait rien et jamais ne doit rien savoir [...] Ceci est une vieillerie [...] ». Il est, quelques lignes plus loin, beaucoup plus conciliant en présentant une petite comédie en vers de Edmond Pailleron , Le Mur mitoyen, jouée à l’Odéon. Pièce sans prétention (deux plaideurs veulent marier leurs enfants pour terminer un procès que chacun a peur de perdre), elle distrait agréablement le public : « On le voit cela est simple et sans aucune prétention, mais cela amuse, cela fait rire et le public n’en demande pas davantage. Des scènes vraiment comiques, des saillies, de forts jolis vers assurent un succès durable à cette petite comédie […] ».L’amateur de théâtre qu’est Clemenceau se retrouve mieux dans le répertoire plus classique et mieux écrit de l’Odéon que dans la légèreté du théâtre populaire du Xe arrondissement. Ainsi, à la fin de l’article, pour mieux manifester sa nostalgie d’un théâtre de qualité, il s’engage dans une longue dissertation admirative sur celui de Victor Hugo  :

 

Certes, il y a longtemps que nous n’avons vu le nom de Victor Hugo  sur l’affiche de nos théâtres, et c’est pourtant une mine inépuisable et surtout inépuisée qui renferme la fortune de plus d’un directeur. On nous annonce qu’il va bientôt y reparaître, l’Ambigu se mettant en mesure de monter prochainement un grand drame tiré des Misérables. A défaut de ces drames que la jeunesse qui s’élève ne connaît que pour avoir lus, nous applaudissons à cette pensée, car le théâtre en donnant la vie aux personnages conçus par le poète, en réalisant ses fictions, en les faisant toucher du doigt, pour ainsi dire les présente à l’esprit sous une forme saisissante et les imprime plus fortement dans le cerveau des masses. Les détails seront sacrifiés, je le sais, tel ou tel personnage perdra sans doute à cette mise en scène ou disparaîtra même complètement. Qu’importe ! l’ensemble de l’œuvre, c’est à dire ce qui s’adresse surtout à la multitude, gagnera en clarté, en rapidité d’action et c’est là le point essentiel.

 

Clemenceau dénonce la vacuité des thèmes traités, la banalité du  mélodrame ou du vaudeville d’un Emile Augier, Dumas fils , Victorien Sardou , Octave Feuillet , Labiche ,  auteurs à la mode et à succès. Il préfère les pièces de Victor Hugo  moins engluées dans le réel petit bourgeois, aux personnages plus consistants et plus surprenants. Clemenceau exalte la qualité des fictions hugoliennes rendues plus accessibles au peuple par la mise en scène. Le théâtre est présenté comme un moyen de vulgarisation, un medium pédagogique et non plus comme un simple divertissement. Le critique littéraire se fait militant d’un théâtre populaire de qualité, où le peuple comme dans les Misérables peut devenir objet d’écriture. Cette position n’est pas en soi nouvelle : dès le début du siècle, la conception élitiste du théâtre fut mise en cause. Guizot  dans son Essai sur la vie et les œuvres de Shakespeare en 1821 revendique la scène comme un lieu d’enseignement pour adultes. Quelques années plus tard, en 1827, Hugo réaffirme cela dans la préface de Cromwell. Tout en reprenant ces positions, Clemenceau est, à son époque, quelque peu iconoclaste puisqu’il demande une complexification des sujets. Il veut un théâtre plus intelligent pour un public populaire, accusant le genre-roi du vaudeville de faire circuler des idées trop souvent simplistes.

 

L’abandon de la critique littéraire pour la littérature sous la forme de nouvelles, d’un roman et d’une pièce de théâtre [37] permet de tenter la comparaison raisonnée des deux œuvres. 

Vue l’ampleur de la tâche, je ne présenterai que deux grands mythes présents chez Hugo mais emblématiques de l’œuvre littéraire et de la philosophie politique de Clemenceau : le mythe du peuple et le mythe de Prométhée.

Le  peuple «  clemenciste »  est celui de la «  mêlée sociale »  née de la Révolution Française.  Composé de « types » [38] qui défilent sous nos yeux, divisé en Forts et en Faibles, il  est  issu en ligne directe du populisme d’avant 1870 de Hugo, Quinet et Michelet . Cependant, si dans l’épopée humanitaire [39] , la définition du peuple est surtout affaire d’images, dans celle de Clemenceau elle est affaire d’idées. Clemenceau, écrivain et homme politique, loin du socialisme, tout en s’inscrivant dans la tradition romantique construit son propre mythe du peuple.

Le peuple est  avant tout divisé.  

L’opposition riches-pauvres traverse l’ensemble de l’œuvre. Son traitement s’effectue presque toujours en deux temps. Tout d’abord, le tableau qui reprend en grande partie les mythes romantiques, puis, la proposition qui doit déboucher sur l’action immédiate. Cette dernière n’est jamais abordée sous l’angle particulier de l’opprimé ou du misérable, elle est toujours envisagée du point de vue de l’Universel et des Droits de l’Homme. Clemenceau ne fonctionne pas selon une solidarité de classe mais dans une perspective d’affranchissement et de progrès de l’Humanité. Le mythe est alors relayé par l’action qui doit réaliser le droit à l’existence, à la santé, aux libertés, à la sécurité, à l’assistance, à l’éducation, au travail. Clemenceau, tout au long de son œuvre, décline à la fois la Constitution de 1793 et celle de 1848. Les plus faibles sont majoritaires dans le peuple. Celui-ci est avant tout misérable.

Ainsi, le thème de la faim ouvre La Mêlée Sociale. Il est traité à plusieurs reprises pour affirmer le « droit économique à la vie. Les affamés sont également décrits dans « A la Maison du Peuple », ou soupe populaire du Grand Pan. Ne plus avoir faim est le premier droit de l’homme à satisfaire. Là est le premier devoir de toute société.

Le peuple est également  travailleur.

Clemenceau véhicule la mystique du labeur. Comme chez le paysan, l’homme trouve son identité et sa valeur sociales par son travail. Une nouvelle dans Au fil des jours narre cette nécessité du travail non seulement pour vivre mais surtout pour exister parmi les autres. Dans « Cheval de retour », un forçat gracié par Carnot pour conduite exemplaire revient de Nouvelle Calédonie. Arrivé à Paris, sur les conseils de son ancien avocat qui lui écrit : « J’apprends avec plaisir que vous êtes libéré. Tâchez de vous réhabiliter par le travail. Renoncez à l’idée de redevenir clerc de notaire, comme autrefois. Faites n’importe quoi. En vous conduisant bien, peu à peu vous vous réhabiliterez », il s’inscrit dans les mairies « pour les jours où la ville prend des ouvriers supplémentaires. Je me fais inscrire dans quatre mairies quand il tombera de la neige. ». Peine perdue, il ne neige pas. Le pauvre homme essaie de trouver du travail, n’y arrive pas, couche dans la rue, puis, va prendre conseil chez un ami de Clemenceau qui constate que, contrairement à l’Amérique, rien n’est fait pour faciliter la rentrée de ces prisonniers dans « la vie d’ordre et de travail ». Finalement, il reprend ses « pérégrinations douloureuses ». La nouvelle s’achève sur le post-scriptum suivant :

 

 Je lis dans les journaux qu’on a trouvé la nuit dernière un homme mort de froid dans les fortifications. C’est peut-être mon clerc de notaire. Pauvre cheval de retour !  [40]  

 

Le peuple travailleur est souvent présenté comme le peuple esclave des plus forts, un peuple bafoué, un peuple maltraité. L’expression de cette humiliation est permanente dans de nombreuses nouvelles. La négation de l’humanité du peuple par la bourgeoisie est un des grands thèmes, traité à la fois par le journaliste reporter de La Mêlée sociale et par l’écrivain. Ainsi, dans les Plus Forts, la visite à l’usine de Harlé est un épisode de la violence de l’industriel capitaliste :

 

C’est le blanchissage des chiffons, répondit Harlé. Le blanchissage au chlore. L’odeur en est insupportable, et le gaz vous ferait tousser.

Comme il parlait, la porte s’ouvrit violemment, et, parmi les spirales de fumée jaunâtre, un homme s’élança, secoué d’une toux déchirante. Dans ses chiffons rongés de chlore, effilochés en pâte verdâtre, on le vit appuyer la tête à la muraille, convulsé, les deux bras contractés sur la face. Et, comme il reprenait l’aplomb de ses jambes, après l’accès passé, un éclaboussement de pourpre vive sur le crépissage révéla l’habituel crachement de sang des ouvriers du chlore. […]

On va lui donner du lait à l’infirmerie, dit Harlé. Mes hommes ne restent jamais plus de quatre heures à respirer le gaz. A condition de ne pas épargner le lait, et je leur donne en abondance, j’en ai qui durent longtemps, des années.  [41]  

 

Par conséquent, face à la misère, aux mauvaises conditions de travail, à la torture physique ou mentale, le peuple a le droit de « résister à l’oppression » et peut se révolter. Sauf que, dans l’œuvre de notre auteur, cela est rarement montré. Chez Clemenceau, le peuple n’est pas émeutier : nulle barricade comme chez Hugo.

Le peuple est  volontairement  présenté pacifique.

La lutte sociale n’est pas, contrairement à Hugo, matière à littérature. La morgue, l’amphithéâtre ou la prison sont souvent les lieux emblématiques du peuple désespéré. La morgue parce que le peuple se suicide, l’amphithéâtre de l’école de médecine parce que le peuple meurt à l’hospice, la prison ou le bagne parce que le peuple devient délinquant. L’image dominante du peuple est celui de la victime paisible. Ce refus de la lutte sociale n’est pas idéologique. Clemenceau, démocrate, croit en la légitimité du combat social et le réclame. La grève, l’agitation sont expression de la démocratie et évitent la révolution. Ceci est clairement exprimé dans La Mêlée sociale :

 

J’avoue, quant à moi, que cette agitation pacifique, si fort redoutée de notre bourgeoisie parlementaire, me paraît une chose infiniment désirable, la condition même d’existence d’un gouvernement démocratique, la meilleure garantie contre les mouvements révolutionnaires.  [42]  

 

Malgré cette reconnaissance, l’expérience sur le terrain, narrée longuement dans La Mêlée sociale, installe  durablement en lui une crainte de la violence qui aboutit à son occultation dans l’œuvre littéraire.  Les Révolutions, les luttes passées ou à venir ne sont pas mises en scène dans la production littéraire de notre auteur.

 

Seul est montré  le peuple vertueux [43]

Bon nombre de nouvelles servent à dénoncer les inégalités devant la naissance, la maladie et la mort. Parmi celles-ci, les récits dont les acteurs sont des enfants sont particulièrement émouvantes. « Le Colibri » est certainement une des nouvelles «  les plus romantiques »  de Clemenceau.  Histoire vraie, elle  commence à la manière du conte : « C’était aux temps anciens où j’avais un dispensaire à Montmartre ». L’intrigue est simple, presque banale : Clemenceau, médecin des pauvres, sauve l’enfant unique d’un ménage modeste mais heureux. Quelque temps après, l’enfant tant aimé meurt et les parents sombrent dans une infinie douleur. Il s’agit à la fois de dénoncer une terrible réalité et d’émouvoir le lecteur ou l’auditeur susceptible de s’engager dans le combat social. Le récit est strictement encadré. Au début, une seule phrase plante le décor : « Un cabinet de consultation, une salle d’attente, voilà l’installation rudimentaire que je mettais à la disposition du public ». Cette exposition minimale est suivie de la définition du contexte ou plus exactement de l’ambiance de ce cabinet où malades et solliciteurs défilaient. Clemenceau décrit avec humour l’arrivée de ce solliciteur qui, voyant deux malades se déshabiller, se dévêt à son tour et, nu, demande une place dans les Postes. Puis, il poursuit par un tableau plus large de la misère ouvrière à Montmartre. Ces deux paragraphes lui permettent de mesurer la distance entre dominants et dominés. Le ton est polémique :

 

 Les riches compatiraient s’ils avaient l’émotion de la misère vue, touchée du doigt. Mais ils vivent entre eux, et Rothschild, qui croit naïvement faire acte de bonté quand il envoie vingt mille francs à l’Assistance publique, ne sait pas qu’avec quelques louis donnés à propos, de sa main, il mettrait plus de joie dans son cœur, et dans celui des frères vaincus dont la défaite condamne son triomphe. 

 

Ce préambule a pour vocation de capter l’attention du lecteur-auditeur et de le « mettre en oreille ». L’histoire proprement dite du « Colibri » constitue de fait les deux- tiers de la nouvelle. Le sujet est restreint : une seule anecdote est contée. Elle est ténue : un enfant meurt et demande à ses parents de chanter le petit Colibri, chanson fétiche du bonheur passé. Seule, la mère a suffisamment de forces pour la chanter et accompagner la fin de son jeune enfant. Toutefois, malgré cette matière narrative réduite, le récit se déploie en une véritable histoire. Celle-ci se déroule en deux temps. Le premier mouvement pourrait être intitulé : « le bon docteur Clemenceau ». Notre médecin subitement appelé par les parents pour une attaque de faux croup soigne et sauve l’enfant, conquérant par cet acte, la reconnaissance infinie des parents. C’est durant ces premières visites que le « bon docteur » découvre le jeu d’amour autour de la chanson Le Colibri :

 

 Une attaque de faux croup m’amena le père chez moi, une nuit de janvier. Je vis un homme décomposé, hagard, qui pour tout propos, me dit : « Vous me reconnaissez bien : nous nous sommes rencontrés l’an dernier dans la politique. Mon petit va mourir, dépêchez-vous ». Je ne le reconnaissais pas du tout, mais qu’importe ! De folles objurgations au cocher précipitèrent une course échevelée dans la nuit, et bientôt je pus dire la parole attendue. […] En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, je devins subitement pour eux le vieil ami de vingt ans. J’eus beau dire : rien n’y fit, je fus sacré dieu. […] C’était la plénitude de la vie heureuse. Au square où jouait l’enfant, dans la petite chambre d’une propreté coquette, que de parties entre la jeune maman blanche et blonde et le petit Colibri répondant par des cris aigus et des battements d’aile aux grognements du méchant loup qui, sous prétexte de le mordre, le couvrait de baisers. Le grand jeu, c’était la chanson du colibri. Il s’agissait du petit oiseau qui veut trop tôt quitter son nid, malgré les avis de ses parents, et qu’une déplorable culbute punit de son imprudence. 

 

Le deuxième temps est « l’agonie du colibri ». Il est lancé avec alacrité, et accélère le rythme du récit. Succédant à un chapitre où sont minutieusement décrits les jeux de main qui accompagnent le chant, cinq phrases lapidaires viennent interrompre la fluidité du bonheur :

 

 Un jour, je vis arriver la maman sérieuse. Elle n’était pas inquiète. Mais Le Colibri n’avait pas ri depuis deux jours. Il n’avait pas voulu quitter le lit ce matin-là. Il se plaignait vaguement. Ce ne serait rien, puisque j’étais là. 

 

Cette économie des mots rend le récit vivace et contribue à sa dramatisation. Bien que sa durée ne soit pas indiquée, le récit progresse rigoureusement et aboutit à une narration stylisée plus efficace pour raconter le véridique. En effet, l’enfant- colibri n’est pas n’importe quel enfant, il ne peut être assimilé comme dans un poème de Hugo à tous les enfants pauvres et malades, il a une histoire particulière, c’est un individu, un authentique personnage. Nous ne sommes pas dans le mythe et le temps éternel du conte, nous sommes dans l’individualité et le temps singulier de l’histoire vécue. Ce souci de l’authentique est présent dans l’écriture. Clemenceau, comme un clinicien, narre la consultation. Les termes employés sont précis et la sobriété de l’expression exprime l’intensité et l’horreur du moment :

 

Et je courus chez un de mes maîtres, grand cœur que ni la haute science ni la riche clientèle n’ont jamais pu distraire de ses devoirs de bonté. Le diagnostic fut tel que je l’avais prévu. Le pronostic : la mort… 

 

Seul, un paragraphe s’éloigne de ce travail d’épuration sentimentale. Chargé de décrire l’arrivée de la mort, il file la métaphore rompant avec la brutalité de la parole du professionnel. Ce lyrisme est, à nos yeux, la concrétisation, dans ce texte, de la rupture avec un certain savoir faire journalistique  ce qui  le rapprocherait de Hugo.

Ici, Clemenceau, en renonçant  au  ton informatif, rejoint l’esthétique de la nouvelle qui permet l’expression d’une personnalité. Ces quelques lignes où éclate la subjectivité du narrateur achèvent de faire du texte, non pas un compte-rendu, mais un moment de littérature :

 

Enfin, comme l’aube venait sur nous, la grande nuit de toujours fondit victorieusement sur sa proie. Et voilà qu’au seuil de l’éternel sommeil, l’enfant terrassé, mais lucide, fut également pris du désir de se coucher dans la tombe au rythme ami du chant qui le mettait au berceau. Une dernière lueur brilla dans les yeux glauques, et les lèvres blanches distinctement murmurèrent : « Le Colibri ».

 

Cette entrée de Clemenceau, homme sensible, est d’ailleurs explicitement confirmée et dans les mots et dans la forme à la fin de la nouvelle. Celle-ci s’achève sur les questions d’un homme impuissant, ému qui espère en la force de la vie [44]  :

 

 Ma vue devint odieuse à ce deuil. Je le compris, ne pouvant moi-même, sans souffrance aiguë, regarder ces deux suppliciés survivants. Ils me fuyaient. Je leur dis mentalement adieu.

Où sont-ils ? Pleurent-ils toujours ? La jeunesse a des baumes pour toutes les blessures. Parfois je les rêve heureux. Un autre Colibri a peut-être fait ce miracle. 

 

L’enfant incarne chez Clemenceau l’innocence et, dans son ensemble, est le symbole de la pureté. L’enfance, que ce soit dans « Refus de vivre » de La Mêlée Sociale ou « Pilons l’herbe » du Grand Pan est toujours bonne, jamais souillée. Il n’y a pas chez Clemenceau comme dans la Comtesse de Ségur de « bons » ou de « mauvais » enfants. Les enfants du peuple vont en prison parce qu’ils sont avant tout des victimes. En conséquence, la société incapable de les élever n’a pas à leur demander de comptes. Cet oubli social de l’enfance est sévèrement condamné dans l’article « Refus de vivre » :

 

Un enfant de onze ans s’est suicidé, il y a quelques jours à la Petite-Roquette, où il était arrivé de la veille. Une serviette accrochée à l’espagnolette d’une fenêtre, un nœud autour du cou, et le malheureux petit a rendu à sa famille et à la société le triste présent qu’il en avait reçu. […]

Mais l’enfant qui est là sans avoir demandé la vie, qui n’a choisi ni famille, ni milieu social, ni pays, que lui répondre, s’il était en état de se retourner contre son juge ‑ père ou magistrat ‑ et de lui demander des comptes à son tour ? […]

J’ai visité, à plusieurs reprises, la Petite Roquette. Les jeunes détenus, comme on les appelle, ne sont pas tous beaux à voir. Quelques-uns sont résignés ou paraissent tels. D'autres frémissent de révoltes, beaucoup paraissent sournois ou méchants. Tous sont lamentablement douloureux.  [45]

 

L’enfance est ainsi  comme chez Hugo, un pôle lumineux. L’enfant est la vertu et le principe d’espérance du peuple. Force d’optimisme pour les misérables,  valorisée, elle introduit systématiquement du pathos dans l’écriture. A travers l’enfant, le faible est temporairement puissant. De fait, pour Clemenceau, homme politique, l’enfant est celui pour qui prioritairement doit se développer le droit à l’assistance [46] et à l’instruction.

Si l’enfant constitue un pôle vertueux dans ce peuple malheureux et soumis, sa mère, la femme, par son irrespect des conventions et la liberté de parole que Clemenceau lui accorde construit une marche vers l’espérance. Chez Clemenceau, la femme est diseuse.

 

D’une façon générale, misérable, travailleur, pacifique, le peuple, chez Clemenceau, est toujours souffrant. Pourtant, malgré de telles images, sa représentation n’est pas figée. Un souffle d’espérance passe dans l’œuvre de Clemenceau, et, le peuple étant une composition d’individus divers, l’Homme est pris inexorablement dans un mouvement ascensionnel. Cet homme doit lutter pour que la société soit « profitable à tous, et non plus seulement à quelques-uns. 

Écho sur terre de Prométhée, l’homme, au service de tous, emprunte chez Clemenceau un seul chemin : celui de l’État et de la République toujours plus démocratique sans Dieu.  Ici,  Clemenceau se sépare définitivement de Hugo.

 

Pour notre auteur, la société est une somme d’individus qui ne peut fonctionner que dans un cadre souple et respectueux : l’État.  Dans cet État élastique, le peuple ne peut être sauvé ni par l’amour humain, ni par la religion, ni par l’idéologie.

 

            L’amour humain est présent, chez Clemenceau sous deux formes : la passion amoureuse et la charité. L’amour entre deux êtres, sauf exception, est volatile et éphémère. L’amour du prochain, lui, existe. Clemenceau le reconnaît et l’encourage. Cependant, la charité n’est pas une véritable solution. Privée ou publique, elle s’exerce de façon inefficace et Tolstoï en est le vivant témoignage :

 

Lisez, sur l’impuissance de la charité, l’admirable livre de Tolstoï[47], que je citais tout à l’heure ; vous verrez comment ce grand seigneur chrétien, ayant entrepris de faire lui-même du bien à ses semblables par la charité, n’y put réussir. Et c’est lui, un disciple du Christ, qui condamne la charité en dépit de lui-même, et proclame que s’il faut donner aux pauvres, c’est purement par politesse. Une aumône, un coup de chapeau, c’est tout un. Question de forme, non de fonds. [48] 

 

La charité privée est d’autant plus suspecte « qu’elle est viciée dans son essence, parce qu’on en a fait une des formes de la propagande religieuse ». Parmi ces propagandes, la religion chrétienne est particulièrement impuissante à sauver le peuple, puisque ceux qui se « réclament de sa parole possèdent le monde et ne donnent rien ».

Toute l’œuvre de Clemenceau dénonce la religion chrétienne comme une imposture. En premier lieu, elle est mensongère. En second lieu, les principes du christianisme « ami des humbles » sont réalisés par une Eglise « gorgée d’or et de biens ». Le christianisme, contrairement au Bouddhisme et à l’Islam, « une fois conquis par les sociétés d’Occident » est devenu une religion vénale et, exploite de tout temps la crédulité du petit peuple qui verse « son sou ».

De plus, la religion chrétienne est l’auxiliaire précieuse de l’obscurantisme et des superstitions. Clemenceau est un fervent adversaire du mysticisme incapable de soulager parce qu’il est « faux que celui qui sait, soit plus malheureux que celui qui ignore. » Positiviste et matérialiste, refusant tout dogme et la transcendance,  Clemenceau pense que le peuple a besoin de connaissances et de vérités. En dernier lieu, la religion ne peut aider le peuple puisque, tout au long de l’histoire, elle l’a envoyé à la guerre ou aux galères, l’a emprisonné, torturé ou brûlé.

Les religions sont donc synonymes d’intolérance et servent les intérêts des plus forts, comme le proclame avec conviction la fin de « La religion des peuples et des rois» :

 

 Peuples candides, apprenez à connaître vos maîtres : et ceux qui sont sortis de vous, athées agenouillés devant le Dieu qu’ils renient, et ceux qui vous gouvernent de par l’autorité du Dieu qu’ils mettent à l’encan.   [49]

 

Les idéologies sont également impuissantes à sauver le peuple. Quoique privilégiant la question sociale, Clemenceau repousse au nom de la liberté, le socialisme et le communisme, et tout régime à Etat puissant. Clemenceau reconnaît le bien fondé de l’utopie socialiste mais rejette le principe de la collectivisation, réduisant la liberté d’entreprise et la liberté individuelle. L’Etat doit réglementer mais ne peut tout gérer. Autre point de divergence avec le socialisme : la lecture économique que celui-ci donne de la société est insuffisante. Un homme n’est pas seulement un travailleur, et son bonheur passe aussi par d’autres domaines.

Clemenceau n'est cependant pas partisan du capitalisme sauvage : il s'oppose à l'accumulation des richesses et réclame le devoir de solidarité : il s’oppose à l’accumulation des richesses et réclame le devoir de solidarité :

 

Un homme qui meurt de faim à côté d’un autre qui accumule, jusqu’à être hors d’état d’en jouir, des biens qui sont faits de la privation d’autrui, paraîtra un spectacle aussi intolérable que le serait pour nous, aujourd’hui, l’institution de l’esclavage acceptée, il y a cent ans, par les âmes pourtant très hautes d’un Washington ou d’un Jefferson.  [50]

 

Enfin, Clemenceau refuse  pour  le peuple tout  guide profane tout  chef spirituel. Les idéologies sont dangereuses parce qu’elles ne servent que quelques-uns au détriment de la multitude : « La vérité est que, sous des noms divers, nous n’avons jamais été gouvernés que par des oligarchies d’intérêts décorés d’idéologie. »  [51]

Pour autant, Clemenceau ne prône pas l’anarchie ou le désengagement politique.

L’Homme, moteur du peuple, est le seul  acteur de la démocratie et de la République qui doit fonctionner dans l’intérêt  des faibles.

Une autre République, toujours plus démocratique, est à construire. Son programme, avant d’être formalisé sur papier en 1881 [52] , est énoncé dans le discours de Marseille en 1880 :

 

Délivrer l’homme des chaînes de l’ignorance, l’affranchir du despotisme religieux, politique, économique et l’ayant affranchi, régler, par la seule justice, la liberté de son initiative ; seconder par tous les moyens possibles le magnifique essor de ses facultés : accroître l’homme, en un mot, en l’élevant toujours plus haut : tel est le but que nous nous proposons.  [53]  

 

Cette République doit, si possible, se rapprocher le plus de l’originelle démocratie grecque malgré ses imperfections. Le peuple doit être au plus près du pouvoir et de la République. Parmi tous les moyens envisagés pour développer la démocratie, l’éducation est fondamentale. Par l’instruction, l’homme, donc le peuple, peut se libérer de toutes ses servitudes. Ce droit à la connaissance irradie toute l’œuvre de Georges Clemenceau. L’individu sort de la barbarie et de l’inconscience par le savoir. Dans la lignée d’Auguste Comte , l’éducation, seul lien universel, élève l’enfant à la dignité de l’homme. Une nouvelle du Grand Pan « Le maître d’école » synthétise cette foi en la mission de l’école laïque, gratuite, publique et obligatoire. L’instituteur de la République fabrique l’avenir, alors

 

Courage, toi qui ouvres péniblement le dur sillon. Tu sèmes le premier grain d’une maigre récolte, mais de là viendra la semence des grandes moissons futures. Et quand tu seras entré dans le bon repos de la terre, ton effort demeuré vivant produira ses fruits pour l’humanité.  [54]  

 

Par là-même, ces idées et ces éléments de programme servent de matière à la création littéraire. Mis bout à bout, ils construisent une République et une société idéales. Clemenceau, en dénonçant, invente une utopie sociale. Ses écrits ont tous une fonction d’alerte ou de proposition. Et même si l’action politique est le relais indispensable de l’idée, il n’en demeure pas moins que Clemenceau sauve avant tout le peuple par le rêve. En conséquence, l’imaginaire politique de Clemenceau se sert du mythe du peuple pour interpréter et récuser le réel. Ainsi, dans « Enfants d’hospice », s’il aborde le problème des enfants abandonnés et justifie la suppression du tour [55] ‑ à laquelle il a participé ‑ au final, il réclame et rêve, pour éviter tout abandon, d’une plus grande assistance des mères désespérées. De même, dans « Théodore Charançon, homme d’Etat », son analyse magistrale et lucide du milieu parlementaire aboutit à imaginer un autre type de personnel politique, plus humain et moins égoïste.

Le mythe du peuple chez Clemenceau satisfait à une fonction ontologique  [56] . Il lui permet d’enraciner la condition humaine dans un archétype transcendant, de la réintégrer dans le temps primordial de la lutte pour l’existence, qui, au delà des vicissitudes du présent et de l’histoire, l’amène non pas à proposer un modèle formel d’utopie (il ne construit pas sa « Cité du Soleil » [57] ), mais à bâtir le rêve humaniste d’une société fondée sur le respect des libertés, d’un monde pacifique, plus juste et plus égalitaire :  

 

[…] Rêver, c’est espérer. Qui ne s’est pas construit un rêve au-dessus de ses moyens, et n’a pas tenté de le vivre, ne se sera pas montré digne d’un passage d’humanité. […] [58]

 

Reste que, chez Clemenceau, le peuple, entité collective, n’est pas à même de réaliser cette utopie. Seul l’Homme éveillé, sans religion, comptant sur ses propres forces peut la débuter.

 

En conséquence, si l’œuvre de Clemenceau a de nombreux points de convergence avec le romantisme, elle s’en sépare radicalement par son refus de toute croyance. « L’épopée romantique, nous dit Léon Cellier, est humanitaire et religieuse. Il n’y a qu’un héros épique : l’Homme ; il n’y a qu’un sujet épique : le progrès de l’Humanité. » L’Homme est le véritable héros chez Clemenceau, et son action est orientée vers le progrès de l’Humanité. Toutefois, poursuit Léon Cellier : « L’épopée romantique reste donc éminemment le récit d’une action héroïque ; mais elle prétend aussi délivrer sous une forme historico‑allégorique un message théosophique. Le merveilleux cesse d’être un ornement ; il est intériorisé, et plus exactement l’œuvre humaine laisse entrevoir en filigrane l’action providentielle : Gesta Dei per Homines ». Là est la rupture. L’œuvre de Clemenceau délivre un message anthropo-sophique. Il n’y a aucune rédemption dans l’épopée clemenciste mais un accomplissement par l’instruction et le savoir dans le strict respect du droit. C’est ce credo qui clôt le Discours pour la liberté [59] de 1903, quintessence de la pensée et de l’action de notre auteur :

 

[…] Nos pères ont fait, il y a cent ans passés, une révolution de droit dans le monde. Pour les continuer, nous ne pouvons que maintenir et développer la notion de droit qu’ils nous ont léguée ; et comment développer le droit, si ce n’est par le développement de l’homme qui en est la substance ? C’est pourquoi le mot d’ordre de cette civilisation moderne que la Révolution a fondée et que le Syllabus maudit, ne peut être, à travers toutes les incertitudes d’une si longue bataille, que de libérer, de grandir, d’accroître l’homme toujours. […] [60]

 

Sans le Dieu de Hugo,  sans la Providence de Quinet, sans l’Âme de Michelet , l’âge d’or de Clemenceau se réduit à un bonheur terrestre où l’Homme ne se rachète pas. Ne comptant que sur ses seules forces, il sort de sa brutalité et devient tout simplement lui-même.

Clemenceau , à la différence des romantiques, n’a pas le désir infini de l’inachevé, au contraire  homme de l’Histoire, son Prométhée, émancipateur,  tue définitivement le spirituel et les Dieux pour mieux construire  une République strictement humaine. L’extrait de la lettre suivante  à Marguerite Baldensperger en témoigne :

 

7 avril 1925

Mardi 11 h.

Je travaille à mon ordinaire et si quelquefois la besogne est un peu dure, je la vois avancer. Diabolicum perseverare, [61] dit l’Eglise. Faites-vous traduire cela par un de vos écoliers. Je n’ai pas lu la Bible de l’Humanité parce que tout cela, malgré de belles aspirations, c’est la partie secondaire de Michelet [62] Rien de nouveau ou des commentaires qui ont été dépassés. L’œuvre véritable c’est la construction de l’histoire, et à mon avis, c’est dans cela seul qu’il faudrait se cantonner. Le penseur lui-même avait trop profondément reçu l’empreinte romantique de son temps pour ne pas s’être embrouillé dans les violences de la Révolution Française, que nous commençons à peine à pouvoir juger sereinement. Sans doute il faut avoir lu les différents ouvrages, mais pour en dégager simplement l’esprit qui est tout en haut. Ce qui m’a fait grand plaisir, c’est que l’âme romantique vous ait paru surannée. Michelet avait besoin de ce mot pour résumer quelque chose, et non la moindre, de ses livres, comme V. Hugo du bon dieu pour chanter. […]

G.C

 

 

Conclusion :  Paul Meurice, Hugo et les Clemenceau

Hugo et Clemenceau se sont-il rencontrés ? Oui, ils se sont beaucoup fréquentés sans  vraiment devenir amis. Les Carnets de Hugo mentionnent trois entrevues en 1876-1877 [63] . Clemenceau, participant à des délégations, n’a pas de conversation particulière avec le poète. Seul le déjeuner ou dîner du 14 mai (soit deux jours avant la célèbre crise du  16 mai déclenchée par Mac Mahon ) en compagnie de Périn et de Gustave Flaubert  laisse supposer, ce jour là, une relation plus directe et personnelle. Mais, au soir de sa vie, lorsque le Général Mordacq en 1927 lui rapporte qu’il a déjeuné récemment avec de fervents admirateurs de Victor Hugo , Clemenceau se laisse volontiers aller et avoue :

 

Je l’ai beaucoup connu, beaucoup fréquenté ; autant il était exécrable dans son intérieur, autant, en général, il était charmant avec ses amis. Ce fut un très grand poète et il est bien certain que peu d’écrivains ont fait preuve d’une richesse de verbe aussi variée, aussi abondante. Je ne parle pas de ses romans qui sont de moins en moins lus, et qui, probablement, ne resteront pas. Comme homme politique, il a beaucoup souffert ; l’exil lui a été particulièrement dur et la postérité doit s’incliner devant un homme qui a tout supporté pour rester fidèle à ses convictions ; mais il n’était pas taillé – comme bon nombre d’autres grands écrivains – pour être un homme d’État. Les grands poètes (voyez Lamartine) ne sauraient être de grands hommes politiques et cela se conçoit… ou bien alors ils ne seraient pas de grands poètes. On ne saurait sortir de ce dilemme. A côté de cela, Victor Hugo avait un énorme défaut : il était d’un orgueil fou, un véritable orgueil de dément. Je me rappelle toujours un certain dîner intime, chez lui, auquel j’assistais et au cours duquel la conversation roula sur la vie future. Chacun de nous donna plus ou moins son avis, mais Victor Hugo, qui paraissait très impatient de donner le sien, se  lança tout à coup, suivant son habitude d’ailleurs, dans des développements qui n’en finissaient pas. Puis, comme l’un des convives lui posait enfin la question : « Et vous-même, après votre mort, où pensez-vous que vous irez ? »  - «  Mais, répondit vivement le poète, la question ne se pose même pas, je ne puis aller que dans le Soleil. ». – «  Et moi, dans ce cas, ajouta timidement Madame Drouet, que deviendrai-je alors ? »  - « Vous répondit froidement et brutalement Victor Hugo, c’est bien simple, vous irez tout naturellement dans la Lune. » La pauvre femme qui avait une  sainte admiration pour son amant, parut cruellement mortifiée de cette dure réponse. Nous étions tous si gênés que l’on changea aussitôt de conversation.

Je l’ai revu fréquemment dans les dernières années de sa vie mais il avait bien changé : il n’était plus l’ami charmant et aimable d’autrefois, son fol orgueil avait fini par le rendre insupportable, même à ses meilleurs amis.  [64]

 

Malgré cette  distance qui s’installe entre Clemenceau, acteur essentiel de la vie politique et le poète vieillissant, celle-ci n’est pas définitive si l’on rappelle que par son exécuteur testamentaire Meurice, Hugo est entré pour toujours dans l’histoire familiale des  Clemenceau. Il y a quelques années, Madame Devinat, petite-nièce de Clemenceau, petite-fille de son  jeune frère Albert, m’a invitée  chez elle à Meudon.

Dans la maison, sur le mur du salon, mon regard fut attiré par un dessin  qu’il me semblait reconnaître : Marine-Terrace.  Je savais déjà que depuis le mariage d’Albert en 1888 avec la fille de Paul Meurice , Georges Clemenceau avait retrouvé indirectement le cercle du grand poète.  Mais il a fallu ce dessin – et d’autres prêtés par Madame Devinat  lors d’expositions-  pour que je réalise combien dans la famille Clemenceau le souvenir de Hugo est toujours  présent. 

Clemenceau a éprouvé une grande admiration pour l’écrivain Paul Meurice, compagnon  avec Auguste Vacquerie , depuis 1836, de Victor Hugo.  Marques de respect  et demandes réciproques  de conseils  imprègnent leur correspondance :

A Paul Meurice :

 

Paris 5 février 1895

Cher Maître et ami

Vous m’avez témoigné tant d’amitié que je puis résister au désir de vous soumettre la première épreuve de la Préface de la Mêlée sociale*.

Si vous vouliez me la retourner avec vos critiques, je serais heureux de cette nouvelle preuve de vos sentiments amicaux.

À vous de tout cœur.

G. Clemenceau

 

A Paul Meurice :

 

Paris 9 septembre 1895

Mon cher Maître et ami,

Je n’avais garde d’oublier votre aimable invitation et j’espère bien qu’il me sera possible de m’y rendre. Je me promets une grande joie d’une nouvelle lecture- à nous deux- de votre admirable Struensee. [65] Mais il faut d’abord  comme je vous l’avais dit, que j’aille passer une dizaine de jours chez un de mes amis qui a depuis trois ans ma promesse. C’est dans la dernière semaine de septembre que je compte aller vous voir. Je quitte Paris ce soir même.

A bientôt, mon très cher Maître et ami.

Tous mes bons souvenirs à Marthe [66] et à ceux des vôtres qui sont autour de vous.

Ma plus affectueuse poignée de main.

G. Clemenceau. [67]

 

Ce lien amical renforcé par le mariage de Albert Clemenceau avec Marthe Meurice  l’amène en 1895 à aller en Normandie à Veules où vers 1868, Paul Meurice fait construire une propriété avec terrasse, comportant un pavillon de trois pièces sur la mer, composé d’une chambre, d’un cabinet de toilettes et d’une grande pièce avec une baie vitrée . Là, Hugo  résida à plusieurs reprises en 1879, 1880 et 1882.

Ainsi, en devenant à son tour  l’hôte de son ami Meurice, Clemenceau  non seulement  retrouve le souvenir  de Victor Hugo, mais aussi  permet, à ses descendants, jusqu’à aujourd’hui de le cultiver.

A l'amiral Maxse:

 

Aunay 13 septembre 1895

Mon cher ami

Je retourne à Paris lundi prochain pour me remettre au travail, car c’est à grand peine que j’ai pu conquérir, après un mois passé à Carlsbad, ce court loisir de Nach Kur [68] . C’est vous dire que je ne pourrai pas me rendre à votre amicale invitation. J’ai eu cette année de trop longues vacances et il faut absolument que je rattrape le temps perdu. J’ai promis à Paul Meurice* d’aller passer deux jours avec lui en Normandie pour relire, à nous deux, une admirable pièce qu’il vient de terminer et qui sera je pense un très grand succès à la Comédie Française. Ce sera ma dernière fugue.

G.C [69]

 

J’espère avoir su justifier  ma présence ici, ce matin, dans ce groupe Victor Hugo.  Je vous remercie à nouveau de m’avoir invitée  parce que ce travail je devais l’accomplir autant pour la recherche universitaire que pour la mémoire familiale des Clemenceau.

 

 

Bibliographie :

Brodziak, Sylvie,  Clemenceau écrivain, Lille, ARNT, 2004.

Brodziak Sylvie, L’impossible écriture de la violence chez Georges Clemenceau, communication en ligne,  http://www.u-cergy.fr/article5235.html -

Brodziak Sylvie et Jean-Noël Jeanneney, Correspondance de Clemenceau, Paris, Robert Laffont, collection Bouquins, octobre 2008

Duroselle, Jean-Baptiste, Clemenceau, Fayard, 1988

Laurent, Franck,  Victor Hugo, le Rappel et la Commune, communication en ligne 13 mars 2004htpp/www.groupugo.univ-paris-diderot.fr/

Mordacq, Général, Clemenceau au soir de sa vie, Paris, Plon, 1933.

Morat Yves et Pouchain Gérard, Les séjours de Victor Hugo à Veules-en –Caux chez Paul Meurice, édité par l’Association pour la sauvegarde du Patrimoine veulais, juin 2007.

Stein Marieke,  Un homme parlait au monde. Victor Hugo orateur politique. Champion 2007


[1] Jean Martet , M. Clemenceau peint par lui-même, Paris, Albin Michel, 1929, p. 181.

[2] Jean Martet , M. Clemenceau peint par lui-même, op.cit, p. 187.

[3] Sur les racines républicaines de la famille de Georges Clemenceau, voir supra et l’article de Jeanne Gilmore O’Brien dans Clemenceau et la Justice, Paris, Publications de la Sorbonne, Série France, XIXe, XXe, n°15, 1983, 184 pages.

[4] L’expression est de Michelle Perrot dans Histoire de la vie privée, sous la direction de Philippe  Ariès et Georges Duby, tome 4, « De la Révolution à la Grande Guerre », Paris, Seuil, 1987, 623 pages.

[5] Cet amour du cheval est héréditaire chez les Clemenceau. Deux ouvrages achetés à plusieurs années d’intervalle indiquent cet engouement trans-générationnel :

Cardini : Dictionnaire d’hippiatrique et d’équitation, 1845.

Dressage méthodique du cheval de selle, ed J. Rothschild, 1891.

Il y a aussi l’ouvrage de Fillis, Principes de dressage et d’équitation, dans sa version allemande de 1894, ouvrage rédigé par Clemenceau, sous les conseils de son auteur officiel.

[6] In Jean Martet , M. Clemenceau peint par lui-même, op. cit., p.181.

[7] Extraits d’une lettre de Benjamin Clemenceau  à sa femme, in Georges Wormser , La République de Clemenceau, Paris, PUF, 1961, 520 pages.

[8] « Mon père […] le moment délicieux, c’est quand il s’enfermait dans sa bibliothèque, au milieu de ses livres, et qu’il décidait d’aimer avec ivresse l’humanité, par principe. » dans René Benjamin , Clemenceau dans la retraite, Paris, Plon, 1930, p. 59

[9] Il est difficile de définir par une doctrine les libéraux. « Parti libéral » ne signifie pas parti républicain, nous reprendrons les précisions données à la fois par Pierre Sorlin  et les auteurs de l’Histoire culturelle de la France, op. cit., tome 3 : « Entre les républicains et les bourgeois existe un petit groupe d’hommes qui veut soulager la misère ouvrière. Le premier de ces philanthropes est le docteur Guépin  […] qui considère le corps social comme un ensemble organique, élément vivant qui a besoin d’une morale collective (donnée par l’enseignement). Les libéraux n’ont pas les mêmes préoccupations que Guépin. […] Ils ne croient pas indispensable d’assurer aux classes pauvres une totale indépendance, mais ils pensent que la ville gagnera à avoir plus d’ouvriers qualifiés, d’agriculteurs ou de commerçants capables. ». Les objectifs du parti libéral sont « la restauration des mœurs et la régulation de la souveraineté populaire ». Les libéraux ont une conception laïque de l’Etat, mais ils ne se rallient pas après 1830 à l’individualisme et à l’apologie du marché. Les libéraux tels que Tocqueville  choisissent de défendre la liberté d’enseignement et de se passer d’une morale d’Etat.

[10] Filippo Buonarroti  (1761-1837) : révolutionnaire français, d’origine italienne. Entré en 1796 dans la conspiration de Babeuf, il réussit à échapper à la déportation.

[11] Ceci est confirmé par une lettre de la mère de Benjamin  à son fils le dimanche 21 mars 1830 : « Parlons de Hernani […] enfin je conclus que Dieu te garde, et que Monsieur Hugo eût dû mieux faire. » La bataille ayant eu lieu le 25 février 1830.

[12] In Jean Martet , M. Clemenceau peint par lui-même, op. cit., p. 181.

[13] Ceux ci sont mentionnés par Georges Suarez dans Clemenceau, Paris, Editions de France, 1934, p.15, J.B Duroselle , Clemenceau,  op. cit., p. 43, et Geffroy  dans Georges Clemenceau, sa vie, son œuvre, Paris, Larousse, 1929 d’après Talvart et Place. Certains sont restés dans l’histoire de la République:

RANC Arthur : 1831-1908, républicain militant, déporté sous le Second Empire, rentre en France en 1859 ; membre de La Commune, amnistié, fut un des proches collaborateurs de Gambetta , journaliste, en 1905, il succéda à Clemenceau comme rédacteur en chef de l’Aurore.

PELLETAN Eugène : journaliste, écrivain, libre penseur et républicain, père de Camille Pelletan  qui rencontre à l’âge de 15 ans Clemenceau, son futur patron.

ROCHEFORT Victor Henri : 1830-1913, journaliste et homme politique français, employé modeste à l’Hôtel de Ville. En 1861, il quitte ses fonctions et devient auteur de vaudeville. Auteur à partir de 1869, d’un pamphlet hebdomadaire La Lanterne, député républicain en 1869. Condamné à la déportation après La Commune, il s’évade en 1874 de la Nouvelle Calédonie. Devenu boulangiste en 1885, il devient opposant à la Troisième république et antidreyfusard. Il finit nationaliste.

LEFORT Henri : résistant au coup d’Etat du 2 décembre, républicain, futur membre de la Première Internationale.

MELINE Félix Jules : 1838-1925; avocat parisien; il appartient à l’opposition républicaine sous le Second Empire. Homme d’Etat sous la Troisième République, spécialiste de l’agriculture, il fut aussi le chef de file des protectionnistes à la Chambre et fit instituer en 1892 le double tarif douanier.

PROLO : Jean Pausader dit Jacques Prolo , auteur du livre Les Anarchistes, tome X, de l’Histoire des partis socialistes en France sous la direction A Zévaes , Paris, Rivière éd., 1912.

[14] Georges Clemenceau et ses compagnons Ferdinand Taule  et Eugène Carré, journalistes au Travail  ont été arrêtés le 23 février : ils avaient apposé, place de la Bastille, des affiches conviant les ouvriers à célébrer l’anniversaire du 24 février 1848, chute de Louis Philippe. Eugène Carré  et Ferdinand Taule partirent pour Sainte Pélagie, Clemenceau pour Mazas.

[15] L’invasion ou le fou Yegof paru le 1er septembre 1861 dans la Revue des Deux Mondes fut publié en volume en  1862 . Ce roman appartient à un ensemble intitulé Les romans nationaux , publié par Hetzel  en édition populaire illustrée. L’invasion narre la lutte victorieuse  de montagnards vosgiens contre les envahisseurs autrichiens.  Celle-ci est dramatisée par la présence d’un traître : le fou Yegof.  

[16] Publié en 1840 par G. Charpentier , ce recueil est composé de ses principales pièces de théâtre :  les Caprices de Marianne ( 1833), Fantasio ( 1834), On  ne badine pas avec l’amour ( 1834) …

[17] Ces trois ouvrages appartiennent à la Comédie humaine,  ensemble de l’œuvre romanesque de Balzac . Histoire des Treize appartient à Scènes  de la vie parisienne et comprend trois petits textes considérés comme une trilogie : Ferragus, Ne touchez pas la hache, rebaptisé la Duchesse de Langeais et la Fille aux Yeux d’or

Le Père Goriot est le tome 22 de Scènes de la vie privéeLa Peau de chagrin constitue le tome un des études philosophiques.

[18] Valvèdre  et la famille de Germandre sont deux romans de George Sand , parus en 1861.

[19] La Légende des  Siècles est une  vaste fresque de l’histoire de l’humanité, le premier tome fut publié en 1859 alors que son auteur  est en exil  sur l’île anglo-normande de Guernesey.

[20] Le Rhin : Seul voyage de Victor Hugo  a avoir donné lieu à une publication, le Rhin , lettres à un ami, est le fruit littéraire des trois voyages réalisés en compagnie de Juliette Drouet  en 1838, 1839, 1840.

[21] Brodziak Sylvie, Jeanneney Jean-Noêl , Clemenceau correspondance, collection bouquins, Paris robert Laffont, 2008.

[22] In Jean Martet , M. Clemenceau peint par lui-même, op. cit., p. 200.

[23] D’ailleurs signé par Scheurer-Kestner

[24]   Clemenceau , Discours sur l’Amnistie, chambre des députés , séance du 16 mai 1876, Paris, p.7 et 8

[25] Ibidem.

[26] Le Rappel, 19 mars 1871.

[27] In Discours pour l’amnistie, Séance du sénat du 28 février 1879, in Actes et Paroles IV, depuis l’Exil-1879.

[28] Jean Martet, Le Silence  de M. Clemenceau, Paris, Albin Michel, 1929, p. 267

[29] Jean Martet, Le Silence de M. Clemenceau, Paris, Albin Michel, 1929, p. 293-294.

[30] In Tocqueville , De la démocratie en Amérique, tome 2, Paris, M.T Génin, 1951, p. 96.

[31] Selon les travaux de Marieke Stein.

[32] Victor Hugo, Actes et Paroles II, Pendant l’exil, 1867, III, l’empereur Maximilien.

[33] Maximilien , empereur du Mexique vient d’être exécuté  le 19 juin 1867.

[34] Sous la Terreur.

[35] In Brodziak Sylvie , Jean-Noêl Jeanneney , la correspondance de Georges Clemenceau, collection Bouquins, Paris, Robert Laffont, 2008.

[36] La Convention « sujet de contemplation sombre, lugubre, effrayant mais sublime ».Victor Hugo

[37] Le Voile du bonheur, pièce chinoise.

[38] Patrons, grands industriels, ouvriers, paysans, juifs, prostituées, bourgeoises, curés, artistes, députés, chômeurs, vieillards, enfants, vieilles anglaises. Le type condense, sous une forme individuelle, des traits caractéristiques de la nature humaine.

[39] Je reprends le titre de l’ouvrage de Léon Cellier , L’épopée humanitaire et les grands mythes romantiques, Paris, SEDES, 1971.

[40] Clemenceau, Au fil des jours, « Cheval de retour », op.cit., p. 121.

[41] Clemenceau, Les Plus Forts, Paris, Fasquelle , 1898, p. 121-122

[42] Clemenceau, La Mêlée sociale, « Etat d’esprit », op.cit., p. 288

[43] Titre emprunté à Alain Pessin , Le Mythe du Peuple et la société française du XIXème siècle, Paris, PUF, 1992, 280 pages.

[44] A la mort de Clemenceau, en décembre 1929, c’est cette nouvelle, jugée révélatrice de l’homme, que publiera la revue Chanteclair, revue artistique et littéraire, sous la direction de Carmine Lefrancq, Romainville. Cette revue était exclusivement réservée au corps médical et pharmaceutique.

[45] Clemenceau, La Mêlée Sociale, « Refus de vivre », op.cit., p. 34-37.

[46] Ce droit à l’assistance apparaît dans l’article 21 de la Constitution de 1793 ou de l’ An I.

[47] Il s’agit de Que faire ? paru chez Savine en 1887.

[48] Clemenceau, La Mêlée sociale, « La charité », Paris, Fasquelle,  p. 141.

[49] Clemenceau, Au fil des Jours, « La religion des peuples et des rois »,op.cit., p. 493.

[50] Clemenceau, La Mêlée sociale, « Après le sermon sur la montagne », op.cit., p. 99.

[51] Clemenceau, Au Soir de la Pensée, tome 2, « La civilisation », op.cit., p. 374.

[52] Voir annexe 5.

[53] Extrait du Discours de Marseille, le 28 octobre 1880.

[54] Clemenceau, Le Grand Pan, « Le maître d’école », op .cit., p. 216.

[55] Le tour était ce système qui permettait aux mères d’abandonner leur enfant sans être vues. Clemenceau a milité pour sa suppression, car si ce moyen permettait de garder l’anonymat de la mère, il empêchait de « tenter les plus grands efforts pour maintenir, s’il se peut, le lien qui rattache l’un à l’autre. » De nos jours, des tours modernes viennent d’être réinstallés dans certains pays d’Europe.

[56] Nous empruntons ce concept à J-P Sironneau, In Retour du mythe et imaginaire socio-politique, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1980, p.14-15. Sironneau dégage quatre fonctions du mythe dans l’imaginaire politique : une fonction cognitive, le mythe est une réponse, une fonction sociologue, le mythe légitime l’ordre social, une fonction psychologique, le mythe est l’expression et le dépassement des conflits inconscients de la psyché et une fonction ontologique qui permet l’enracinement de la condition humaine dans un archétype transcendant.

[57] Cet ouvrage de Campanella est présent dans sa bibliothèque dans une édition de 1840.

[58] Clemenceau, Au Soir de la Pensée, tome 1, « Rêver, penser », op.cit., p. 203.

[59] Il s’agit du discours au Sénat sur la liberté d’enseignement.

[60] In Clemenceau, Discours pour la liberté, cinquième cahier de la cinquième série, Cahiers de la Quinzaine, Paris, 8 rue de la Sorbonne, 1903, p. 56.

[61] « Errare humanum est, diabolicum persevere » : il est humain de se tromper, diabolique de persévérer.

[62] Grand admirateur de Michelet et de sa lecture de la Révolution Française, dès 1862, le jeune journaliste Clemenceau dans deux  numéros du Travail , le 2 et le 22 février, deux articles qui en revendiquaient l’héritage.

[63] Ces précisions furent heureusement apportées par M. Arnaud Laster lors de mon intervention au groupe Hugo, je me permets donc de modifier mon texte.

[64] In Général Mordacq, Clemenceau au soir de sa vie, tome 2, Paris , Plon, 1933, p. 175-176.

[65] Drame en 5 actes écrit par Paul Meurice, contant l’histoire du médecin  Struensee, amant de la reine Caroline-Mathilde épouse de Christian VII roi du Danemark qui régna de 1766 à 1784.  Le médecin Struensee gouverna , en raison de la maladie mentale de Christian VII,  le pays de 1770 à  1772, date où il  fut exécuté.

Le drame de Paul Meurice fut représenté à La Comédie Française le 11 mai 1898.

[66] Sa fille.

[67] Sylvie Brodziak et Jean-Noël Jeanneney, La correspondance de Clemenceau, collection bouquins, paris, Robert Laffont, 2008.

[68] Temps de post-cure.

[69] Sylvie Brodziak et Jean-Noël Jeanneney, La correspondance de Clemenceau, collection bouquins, paris, Robert Laffont, 2008.