Stéphane Arthur : La représentation du 16° siècle dans le théâtre romantique
Communication au Groupe Hugo du 28
avril 2007
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Dans une lettre adressée en juillet 1843 à Nerval, alors au Caire, et publiée par La Presse le 25 juillet 1843, Gautier déclare : « Si lon voulait il serait facile dassigner à chaque célébrité daujourdhui non seulement le pays, mais le siècle où aurait dû se passer son existence véritable : [ ] Hugo est espagnol-flamand du temps de Charles-Quint »[i]. Dans son article rendant compte le 5 juillet 1835 dans le n°7 du Monde dramatique de la création dAngelo de Hugo[ii], Gautier présente déjà Victor Hugo comme un personnage digne du seizième siècle :
« Ce fier génie sest trompé en naissant aujourdhui. Il aurait dû venir au seizième siècle, un peu avant lapparition du Cid. Ce nest pas quil eût été plus grand, mais il eût été plus heureux. En ce temps, il naurait vu ni le Panthéon, ni la Bourse ; il eût été peintre, sculpteur, architecte, ingénieur et poète comme le Vinci, comme Benvenuto[iii], comme Buonarotti[iv], comme tous les autres, car cest un génie essentiellement plastique, amoureux et curieux de la forme, ainsi que tout véritable jeune ».[v]
Hantés par ce que Henri Peyre nomme un véritable « tourment de lailleurs et du passé » (dans Quest-ce que le romantisme ?), pourquoi les romantiques, et Hugo en premier lieu, ont-ils été attirés par le siècle de Léonard de Vinci, de Benvenuto Cellini et de Michel-Ange, et lont-ils choisi si souvent comme cadre de leurs uvres, théâtrales en particulier ? Quelle est la part du seizième siècle dans la production dramatique romantique ? Que représente le seizième siècle pour Hugo et les autres romantiques, et de quelle manière le représentent-ils dans leurs pièces ? Ces deux dernières questions guideront mon propos.
I Un siècle souvent représenté dans le théâtre romantique
Le concept de romantisme concerne à lorigine la littérature louant le temps des chevaliers, époque où lon parlait le roman. Or le lien intime entre la notion de romantisme et celle de Moyen Age a quelque peu occulté le goût des romantiques pour le seizième siècle. Dans le domaine théâtral, le drame dont la chute est traditionnellement considérée comme marquant la fin du drame romantique, Les Burgraves de Hugo en 1843, met en scène le Moyen Age, et cela a contribué à maintenir cette illusion.
Or le seizième siècle a particulièrement inspiré les dramaturges romantiques. Les trois premiers grands succès romantiques ont pour cadre le seizième siècle : Henri III et sa cour de Dumas (1829), Le More de Venise, adaptation dOthello par Vigny (1829) et Hernani de Hugo (1830). On pourrait même remonter à 1820, et à ladaptation de la Marie Stuart de Schiller par Lebrun.
Après les premières batailles, Hugo et Dumas optent pour des stratégies différentes. Dumas fait dans Antony léloge du drame contemporain. Lauteur dAntony nen a pas moins écrit, fût-ce en collaboration, six drames mettant en scène le seizième siècle : outre Henri III et sa Cour (1829), Catherine Howard (1834), Le bourgeois de Gand (écrit en collaboration avec Hippolyte Romand, 1838), Lalchimiste (écrit en collaboration avec Gérard de Nerval, 1839), Lorenzino (1842) et, plus tardif, en collaboration avec Paul Meurice, un Benvenuto Cellini (1852). Dumas compose aussi (en collaboration avec Auguste Maquet) des adaptations théâtrales des deux premiers volets de sa trilogie sur les guerres de Religion : La Reine Margot (roman publié en 1844-1845, drame représenté en 1847) et La Dame de Monsoreau (roman publié en 1845-1846, drame représenté en 1860). En revanche, il na pas adapté à la scène Les Quarante-Cinq (roman publié en 1847). Peut-être est-ce dû à la difficulté matérielle de faire apparaître sur scène autant de personnages ?
La part du seizième siècle dans le théâtre hugolien représenté est encore plus impressionnante, avec six uvres sur neuf, soit les deux tiers : Amy Robsart (1828), Hernani (1830), Le roi samuse (1832), Lucrèce Borgia (1833), Marie Tudor (1833), Angelo, tyran de Padoue (1835). En outre, la pièce considérée comme le chef-duvre du drame romantique, Lorenzaccio, de Musset, publiée en 1834, a pour cadre Florence en 1536. Lannée précédente, en 1833, Musset a publié André del Sarto, drame sur un XVIe siècle décadent. De nombreux autres auteurs, romantiques ou pas, ont par ailleurs choisi le seizième siècle comme période à mettre en scène dans leurs uvres dramatiques, dans les années 1826-1842.
Remarquons que si dans les années 1826-1830 les auteurs de scènes historiques comme Vitet, ou dOutrepont, mettent en scène un seizième siècle national (la plupart du temps : la période des guerres de Religion), les auteurs de drames romantiques ont plutôt eu tendance, à partir de 1833, après linterdiction du Roi samuse lannée précédente, à représenter un seizième siècle européen : espagnol, italien, anglais Dans Racine et Shakspeare, Stendhal préconise pourtant de mettre en scène des sujets nationaux, empruntés en particulier au XVIe siècle. Lorsquil réclame lévocation de périodes de lhistoire nationale négligées au théâtre, Stendhal fait ainsi référence à la fin du Moyen Age et au début du XVIe siècle : « Les règnes de Charles VI, de Charles VII, du noble François Ier, doivent être féconds pour nous en tragédies nationales dun intérêt profond et durable »[vi]. Lorsquil donne des exemples précis de sujets à exploiter dans des tragédies nationales, tous concernent les guerres de religion du XVIe siècle : «lAssassinat de Montereau, les Etats de Blois, la Mort de Henri III »[vii]. Stendhal a commencé à composer un Henri III destiné à être représenté, mais seule lébauche du troisième acte nous est parvenue[viii]. Elle permet détablir dans quelle mesure Stendhal compose par rapport aux scènes historiques de Vitet, héritage qui lui sert de point de départ historique, telle une matière historique brute à retravailler pour donner au drame le sens politique voulu par Stendhal.
Une absence peut retenir notre attention : si les auteurs du XVIIIe siècle ont mis en scène le XVIe siècle américain dans leurs uvres théâtrales (songeons à Voltaire ou Piron[ix]), et si le fameux mélodramaturge Pixérécourt a connu un bref succès au début du dix-neuvième siècle avec son Christophe Colomb[x], les romantiques français nont pas exploré cette voie. Une explication possible tient sans doute à ce que Hugo et Dumas, pour citer les deux auteurs romantiques dont les uvres dominent la scène, composent un théâtre hanté par la nostalgie. Fils de généraux dEmpire, ils cherchent à renouer les fils de la tradition nationale rompus par la Révolution française et ont limaginaire imprégné par les exploits de larmée napoléonienne, dont le cadre est européen[xi] et non pas américain.
La question qui reste en suspens, maintenant que nous avons vu limportance de la part prise par la représentation du seizième siècle dans la production dramatique romantique, est la suivante : pourquoi les romantiques ont-ils autant représenté le seizième siècle ?
II Hugo et le seizième siècle
Les affinités entre le seizième siècle et le siècle de Hugo : ce sont deux périodes de crise
Un passage de La Confession dun enfant du siècle de Musset aide à comprendre pourquoi les romantiques se sont reconnu de profondes affinités avec le XVIe siècle :
« Trois éléments partageaient donc la vie qui soffrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, sagitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de labsolutisme ; devant eux laurore dun immense horizon, les premières clartés de lavenir ; et entre ces deux mondes quelque chose de semblable à lOcéan qui sépare le vieux Continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de lavenir, qui nest ni lun ni lautre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où lon ne sait, à chaque pas que lon fait, si lon marche sur une semence ou sur un débris ».[xii]
Le présent est nourri de lincertitude liée au fait que la disparition du monde de lAncien Régime mis à bas par la Révolution française de 1789 laisse attendre lémergence dun nouveau monde, en gestation. Temps de « semence », temps de « débris », lépoque romantique sapparente au seizième siècle, et en particulier à la Renaissance, période comportant des débris du Moyen Age et des germes dun monde nouveau. Le poète apparaît de ce fait comme un nouveau Christophe Colomb[xiii], en quête dinconnu dans son aventure créatrice. Le XVIe siècle est une période de grandes découvertes : de même, le théâtre romantique sannonce comme celui des grandes innovations.
Temps de mutations, de renouveau, clament les auteurs lorsquils mettent en évidence ce qui rapproche le XVIe siècle et leur propre siècle : « Aux époques de rénovation sociale comme la nôtre, au seizième siècle comme au dix-neuvième, quand un souffle nouveau vient remuer et mêler toutes les choses » proclame Hippolyte Romand dans la préface du Bourgeois de Gand.
Dans sa préface des Feuilles dautomne (datée du 24 novembre 1831), Hugo rapproche lui aussi XVIe siècle et XIXe siècle, car ce sont deux périodes de crise et despoir :
« Ce nest pas une raison, parce quaujourdhui dautres vieilleries croulent à leur tour autour de nous, et remarquons en passant que Luther est dans les vieilleries et que Michel-Ange ny est pas, ce nest pas une raison parce quà leur tour aussi dautres nouveautés surgissent dans ces décombres, pour que lart, cette chose éternelle, ne continue pas de verdoyer et de florir entre la ruine dune société qui nest plus et lébauche dune société qui nest pas encore. »
Dans cette même préface, nous voyons que lexpression « seizième siècle », présente chez les romantiques mais pas chez les hommes du seizième siècle, a un sens pour Hugo, dun point de vue historique mais aussi artistique. Il sagit de lépoque où se manifeste une véritable insurrection de lesprit, et où sépanouit une nouvelle esthétique :
« Voyez le seizième siècle. Cest une immense époque pour la société humaine, mais cest une immense époque pour lart. Cest le passage de lunité religieuse et politique à la liberté de conscience et de cité, de lorthodoxie au schisme, de la discipline à lexamen, de la grande synthèse sacerdotale qui a fait le moyen-âge à lanalyse philosophique qui va le dissoudre ; cest tout cela ; et cest aussi le tournant magnifique et éblouissant de perspectives sans nombre, de lart gothique à lart classique. »
Hugo présente le seizième siècle comme un temps dénergie (marqué par une quête de liberté), comme un temps de violence et de création :
« Ce nest partout, sur le sol de la vieille Europe, que guerres religieuses, guerres civiles, guerres pour un dogme, guerres pour un sacrement, guerres pour une idée, de peuple à peuple, de roi à roi, dhomme à homme, que cliquetis dépées toujours tirées et de docteurs toujours irrités, que commotions politiques, que chutes et écroulements des choses anciennes, que bruyant et sonore avènement des nouveautés ; en un même temps, ce nest dans lart que chefs-duvre. On convoque la diète de Worms, mais on peint la chapelle Sixtine. Il y a Luther, mais il y a Michel-Ange. »
Aussi les drames romantiques mettent-ils en scène un seizième siècle qui les fascine car il leur apparaît comme le temps davant labsolutisme politique (« tous les fossiles des siècles de labsolutisme », Musset), mais aussi le temps davant labsolutisme culturel quimposent les règles iques daprès les romantiques. Cest un temps de vie, de violence.
Le seizième siècle, temps davant labsolutisme politique
Les drames hugoliens représentent le XVIe siècle comme une période révélatrice de la fragilité de tout pouvoir monarchique. A la scène II de lacte IV dHernani, la leçon est livrée par Don Carlos lui-même, au moment où le roi dEspagne sapprête à devenir empereur du Saint Empire Romain Germanique. Les rois sont victimes dune illusion, les incitant à se considérer comme tout-puissants, sublimes. Or leur situation est dautant plus précaire quils sont situés en haut de lédifice social, et peuvent vaciller et être renversés par un mouvement populaire :
« Base de nations portant sur leurs épaules
La pyramide énorme appuyée aux deux pôles,
Flots vivants, qui toujours létreignant de leurs plis,
La balancent, branlante à leur vaste roulis,
Font tout changer de place et, sur ces hautes zones,
Comme des escabeaux font chanceler les trônes,
Si bien que tous les rois, cessant leurs vains débats,
Lèvent les yeux au ciel Roi, regardez en bas ! » (version imprimée)
La comparaison volontairement grotesque de la version imprimée ces vers étant absents de la version jouée - avec des escabeaux est à rapprocher dune didascalie de Marie Tudor, au tout début du second acte : « La couronne royale sur un escabeau ». Toute lambiguïté du pouvoir est là, comme dans la présence dans le dernier acte de deux escaliers : « lescalier qui monte » suggère la distance séparant le souverain de ses sujets, lescalier « qui descend » suggère la chute possible. Aussi la position de la reine, « couchée sur son lit de repos » au début du second acte, donne-t-elle limage spécieuse dun pouvoir stable, alors que la couronne peut vaciller. Simon Renard le fait bien comprendre à Marie Tudor : le soulèvement populaire contre Fabiani peut très vite devenir une révolte en faveur dElizabeth, la rivale de Marie.
De fait, les souverains des drames hugoliens sur le XVIe siècle sont des souverains menacés : dans Hernani, Don Carlos/Charles Quint déjoue un complot ; dans Le roi samuse, Triboulet veut tuer le roi ; dans Lucrèce Borgia, la souveraine est tuée par Gennaro, son fils ; dans Marie Tudor la reine est contrainte de sacrifier son favori pour apaiser la colère du peuple ; dans Angelo, tyran de Padoue linquisition dEtat épie le souverain et entretient sans cesse la menace de sa disparition.
En revanche, dans Ruy Blas, lhonneur intime du roi est menacé, mais pas son pouvoir. De même, dans Marion de Lorme, quoique Richelieu soit présenté comme le véritable roi, le pouvoir politique est fort : labsolutisme est en voie dédification. Pour Victor Hugo, le seizième siècle représente avant tout le temps davant labsolutisme, comme le confirme la préface de Ruy Blas (1838), drame ayant pour cadre la fin du dix-septième siècle :
« Si lauteur de ce livre a particulièrement insisté sur la signification historique de Ruy Blas, cest que dans sa pensée, par le sens historique, et, il est vrai, par le sens historique uniquement, Ruy Blas se rattache à Hernani. Le grand fait de la noblesse se montre, dans Hernani comme dans Ruy Blas, à côté du grand fait de la royauté. Seulement dans Hernani, comme la royauté absolue nest pas faite, la noblesse lutte encore contre le roi, ici avec lorgueil, là avec lépée ; à demi féodale, à demi rebelle. En 1519, le seigneur vit loin de la cour dans la montagne, en bandit comme Hernani, ou en patriarche comme Ruy Gomez. Deux cents ans plus tard, la question est retournée. Les vassaux sont devenus des courtisans. Et si le seigneur sent encore daventure le besoin de cacher son nom, ce nest pas pour échapper au roi, cest pour échapper à ses créanciers. Il ne se fait pas bandit, il se fait bohémien. On sent que la royauté absolue a passé pendant de longues années sur ces nobles têtes, courbant lune, brisant lautre. »
Concernant la France, dans la représentation quen fait Hugo, le seizième siècle se prolonge jusquà la fin du règne de Henri IV. Dans Marion de Lorme, pour obtenir la grâce de son neveu qui sest battu en duel malgré linterdiction royale, le vieux marquis de Nangis rappelle au faible Louis XIII quil a été compagnon de son père, Henri IV :
« Votre père Henri, de mémoire royale,
Neût pas ainsi livré sa noblesse loyale ;
Il ne la frappait point sans y fort regarder ;
Et bien gardé par elle, il la savait garder.
Il savait quon peut faire avec des gens dépées
Quelque chose de mieux que des têtes coupées ;
Quils sont bons à la guerre. Il ne lignorait point,
Lui dont plus dune balle a troué le pourpoint.
Ce temps était le bon. Jen fus, et je lhonore.
Un peu de seigneurie y palpitait encore. » (vers 1292-1301)
Cette perte de pouvoir et de prestige de la noblesse, désormais sous la coupe dun pouvoir royal qui veut simposer de manière absolue, est traduite à lacte III scène X par lobéissance des gardes du marquis de Nangis à Laffemas, « lieutenant-criminel du seigneur cardinal » (vers 1062), malgré lordre contraire du marquis : le vieux droit féodal de justice basse et haute que prétend encore avoir le marquis dans son château apparaît caduc, en tout cas bien dérisoire, et il ne peut empêcher larrestation de son neveu Saverny. Le temps des seigneurs est passé, avec son corollaire : « le temps des épées est passé » selon la formule dans le drame de Musset dAndré del Sarto, le héros éponyme, qui déplore dans le contexte de la fin du seizième siècle florentin la fin du temps de laventure, de lhonneur, de lexploit.
Le seizième siècle, temps davant labsolutisme culturel que sont les règles classiques selon les romantiques
La liberté de ton et de manières des personnages du XVIe siècle contrastant avec les bienséances iques est souvent relevée par les romantiques. Musset a ainsi composé le plan dun drame intitulé Le comte dEssex, dans lequel à la scène II du premier acte le héros éponyme arrive « tout botté et tout crotté » à la cour et « se jette aux pieds dElisabeth », la reine dAngleterre[xiv]. Or dans lavis au lecteur des Contes dEspagne et dItalie (1830), Musset évoque déjà lanecdote, en souhaitant sidentifier au comte dEssex : « Me permettra-t-on dimiter le comte dEssex, qui arriva dans le conseil de la Reine, crotté et éperonné ? »[xv]. En revanche, dans Ruy Blas, qui met en scène lEspagne de la fin du dix-septième siècle, la présence de létiquette à la cour étouffe la reine : cela peut nous amener à considérer que le siècle précédent, cest-à-dire le seizième siècle, est pour Hugo est un siècle où règne une certaine liberté, perdue au dix-septième siècle.
Aussi représenter cette période davant les règles iques quest le seizième siècle suppose de saffranchir de ces règles, anachroniques pour faire revivre le siècle de François Ier et de Henri IV. Dans la préface de Cromwell, Hugo note, après Stendhal que le langage ique nest pas idoine pour exprimer la réalité du seizième siècle : des expressions comme la poule au pot et ventre-saint-gris [xvi] sont des éléments indissociables du roi Henri IV, et leur absence de la tragédie de Legouvé La mort de Henri IV (1806) fait de cette représentation ique un travestissement de lhistoire. La question de la langue employée savère fondamentale : larchaïsme « encharibotté » auquel Hugo a recours dans Le roi samuse (acte I, scène II) a choqué, comme contraire aux bienséances.
Plus largement, les romantiques estiment que les événements du XVIe siècle sont souvent complexes, et quil faut évoquer sur scène, dans la même pièce, différents lieux et un temps assez long, souvent de lordre de plusieurs semaines ou mois, pour rendre compte de cette complexité. Ainsi Stendhal, dans Racine et Shakspeare, affirme :
« Pour Henri III, il faut absolument, dun côté : Paris, la duchesse de Montpensier, le cloître des Jacobins ; de lautre : Saint-Cloud, lirrésolution, la faiblesse, les voluptés, et tout à coup la mort, qui vient tout terminer.
La tragédie racinienne ne peut jamais prendre que les trente-six dernières heures dune action ; donc jamais de développements de passions. Quelle conjuration a le temps de sourdir, quel mouvement populaire peut se développer en trente-six heures ? »[xvii]
Voilà les unités de lieu et de temps qui volent en éclat. Hugo peut ainsi faire se déplacer ses personnages en des lieux incongrus : si dans le drame dArvers La mort de François Ier (1831), qui na pas été représenté, le mari cocufié par le roi se présente dans un lieu de mauvaise vie afin de contracter le poison quil va transmettre à sa femme pour quelle contamine malgré elle le roi son amant, Hugo mène François Ier chez Saltabadil. Laudace est plus importante dans le drame représenté (celui de Hugo) que dans le drame destiné à être lu (celui dArvers) car le spectateur du drame Le roi samuse voit le roi et non pas un bourgeois dans un lieu populaire, donc qui ne lui est pas destiné. Parfois, ce nest pas le lieu, mais le destinataire qui est incongru, comme le bourreau à qui la reine veut parler dans Marie Tudor (deuxième journée, scène V).
La répartition des rôles, des emplois est brouillée : les personnages ne sont pas à leur place. Ainsi, dans Hernani, dans la scène dexposition, Don Carlos sintroduit de nuit dans la chambre dune jeune femme et a recours à la violence, matérialisée par la présence scénique dun accessoire symbolique : le poignard. Or cest larme des bandits, lépée étant larme des nobles. De même, à deux reprises Don Carlos tente denlever la belle Doña Sol, avant de réaliser cet acte contraire à toute bienséance lorsque Don Ruy Gomez refuse de lui livrer Hernani : le roi se comporte comme un bandit, avant de devenir empereur, et de se faire clément. Dans Marie Tudor, Gilbert, lhomme du peuple, se montre généreux, alors que la reine refuse de manifester semblable noblesse : « Je ne suis pas généreuse, moi ! » (deuxième journée, scène IV).
Aussi lesthétique théâtrale romantique, fondée sur labandon des unités de temps et de lieu, sur le mélange des genres, et sur le recours à une langue variée sautorisant bien des audaces, semble parfaitement convenir à la représentation de personnages et dévénements du seizième siècle.
Hugo et le théâtre du seizième siècle : lambition dêtre le Shakespeare du dix-neuvième siècle
Hugo a été amené à sidentifier à deux écrivains du seizième siècle : Ronsard et surtout, en matière théâtrale, Shakespeare.
Laccusation de ronsardisme a été lancée très tôt contre les romantiques, et, comme la montré Claude Faisant dans sa thèse Mort et résurrection de la Pléiade[xviii], Hugo a assumé ce ronsardisme à partir de la fin de lannée 1826. Linjure a été adoptée comme étendard. En 1829, dans Henri III et sa cour, Dumas fait ainsi dire le fameux poème « Mignonne, allons voir si la rose » (acte III, scène II).
Quant à la référence à Shakespeare, étudiée par Catherine Balaudé-Treilhou dans sa thèse Shakespeare romantique. La réception de Shakespeare en France de Guizot à Scribe (1821-1851)[xix], cest un topos de la littérature et de la critique romantiques. En août 1831, dans sa préface à Marion de Lorme, Hugo suggère son ambition dêtre le Shakespeare du dix-neuvième siècle : « Pourquoi maintenant ne viendrait-il pas un poète qui serait à Shakespeare ce que Napoléon est à Charlemagne ? ». Avec Shakespeare une certaine modernité théâtrale apparaît : « Shakespeare marque la fin du moyen âge » estime-t-il dans louvrage quil lui consacre en 1864[xx]. Or pour Hugo, Shakespeare représente le théâtre du seizième siècle dans ce quil a de plus profond, car cest un théâtre qui nest pas étriqué dans un corset ique et qui de ce fait peut rendre toute lintensité de son temps. Comme tous les romantiques, Hugo a célébré Shakespeare : « Le drame de Shakespeare exprime lhomme à un moment donné. Lhomme passe, ce drame reste, ayant pour fond éternel la vie, le cur, le monde, et pour surface le seizième siècle »[xxi].
Cette importance de linfluence de Shakespeare dans lélaboration de la dramaturgie hugolienne est mise en scène avec humour dans Amy Robsart, première uvre représentée de Hugo (1828). Le nain Flibbertigibbet est celui qui passe partout, une sorte de génie libre, de même que lesprit de Shakespeare passe par tout le théâtre de Hugo des années 1828-1835. Or Hugo a trouvé le nom Flibbertigibet dans Le roi Lear (démon présent dans la version de lin-quarto de 1608). Flibbertigibet est un personnage de comédien ambulant jouant dans les diableries de Shakespeare (acte I, scène VI), alors que Shakespeare na quune dizaine dannées au moment où laction est censée se dérouler. Les nombreuses références anachroniques au théâtre de Shakespeare traduisent la volonté de Hugo de revendiquer linfluence du modèle shakespearien qui incarne lesthétique prônée dans la préface de Cromwell : le drame comme miroir total de la vie, le drame mêlant comédie et tragédie, grotesque et sublime.
III Représenter le seizième siècle : lexemple de François premier
Étudier la représentation du seizième siècle dans le drame romantique nous a amené à considérer plus largement les représentations du seizième siècle dans le théâtre à lépoque romantique. Aussi nous sommes-nous intéressé en particulier à la figure de François premier, quévoquent de nombreuses uvres dramatiques à cette époque.
Le héros, le galant, le mécène
Deux ans avant Le roi samuse, la légende dorée de François Ier est célébrée sur scène.
Représenté pour la première fois sur le théâtre de lAcadémie royale de musique le 15 mars 1830, François Ier à Chambord de Moline de Saint-Yon et Fougeroux offre une représentation sans originalité du personnage éponyme, en reprenant les topoï associés traditionnellement à léloge de ce roi : héros, galant, mécène.
Luvre se passe à Chambord, en 1516. Il sagit dun choix artistique mais aussi idéologique : cela permet dauréoler la jeunesse du roi du prestige de sa gloire guerrière avec la victoire de Marignan (1515, dès la première année de son règne)[xxii] et de son rôle de prince de la Renaissance avec le personnage de Léonard de Vinci (effectivement venu en France en 1516). Toutefois, en 1516, le roi naurait pas vu grand-chose à Chambord, les travaux véritables commençant en 1526[xxiii]. Le chronotope fixe limage dun roi jeune, conquérant, brillant.
Or le héros est poète (« Femme varie, /Fol qui sy fie » dit Carina à la scène VI de lacte I en citant des vers attribués au roi) et séducteur, et ses aventures galantes sont évoquées comme de nouveaux triomphes. Ces aventures constituent un nouveau motif déloge du roi, car le séducteur se présente avant tout comme un chevalier épris de valeurs courtoises et guidé par le sens de lhonneur :
«Respecter le malheur,
Tout aux dames, tout à lhonneur,
Voilà ma loi suprême :
Je lappris de Bayard lui-même. » (acte I, scène III)
La référence à Bayard personnage traditionnellement valorisé sur scène - revendiquée par François Ier en donne limage dun roi noble, y compris dans ses conquêtes amoureuses.
Lintrigue valorise peu François Ier, mais est inoffensive, car elle nest pas politique. Ayant porté secours sous une fausse identité (celle de Nemours) en Italie à une belle dame nommée Carina, François Ier retrouve celle-ci à Chambord alors que sa sur, Marguerite, la destine au sénéchal. Carina compte sur lappui opportun du faux Nemours pour échapper à ce mariage, car son cur nest pas libre. François Ier se croit lheureux élu, mais a la désagréable surprise, après lui avoir découvert sa véritable identité, dapprendre que Carina est amoureuse de Léonard de Vinci qui, pour sa part, la croit infidèle au profit du roi. Lorsque François Ier et Léonard se rendent compte que Carina aime ce dernier et non le roi, François Ier est tenté de laisser libre cours à son courroux, puis se reprend et fait preuve de magnanimité : « Allons ! de laventure il faut rire moi-même » (acte II, scène IX).
Le roi ressort valorisé de cette pièce, car son nom est associé à lhéroïsme guerrier, à la galanterie, à la protection des artistes et à une période de fête[xxiv] et dinsouciance. Si le roi sestime « joué » et reconnaît devant Carina avoir été volage, il échappe au ridicule, et le dénouement le restaure pleinement dans sa grandeur.
Aussi cette pièce peut apparaître comme une simple mise en voix des nombreuses productions des beaux-arts ayant pour sujet un François Ier protecteur des arts et des lettres[xxv].
Semblable uvre est inoffensive pour le pouvoir en place. Il faut dire que lopéra aurait été composé pour la fête de Charles X[xxvi] : cest une pièce déloge de la figure du roi. Lensemble est bien convenu. Cela explique les réactions négatives de la critique. Le Constitutionnel en date du 21 mars 1830 déplore ainsi : « La pièce est nulle ». Le même article évoque « des sifflets qui ont accueilli le dénoûment ». La musique de Prosper de Ginestet ne compense pas la faiblesse de lintrigue, loin de là : « elle est aussi distinguée que le poème : des airs sans motifs, ou des idées sans fraîcheur, quelque savoir-faire et voilà tout ». En revanche, lauteur de larticle loue les progrès faits en France dans le domaine des décorations. Cela permet de mettre en scène avec éclat la brillante cour de François Ier[xxvii].
Cest contre cette tradition déloge de François Ier que réagit Roederer en 1825, préparant la mise en scène de la légende noire de François Ier, dont Le roi samuse est imprégné.
Loffensive de Roederer contre la représentation traditionnelle de François Ier : « François Ier fut un détestable roi »[xxviii]
Pierre-Louis Roederer est à la fois personnage historique ayant joué un rôle auprès de Napoléon Bonaparte, historien et auteur dramatique, même si ses uvres théâtrales sont destinées en premier lieu à la lecture. Hormis quelques représentations confidentielles à Bois-Roussel[xxix], en Normandie, ces uvres nont pas été représentées, du fait de la volonté de lauteur, qui craint une diction inappropriée des comédiens[xxx].
Or Roederer souhaite revaloriser le règne de Louis XII et mettre fin à la tradition déloge de François Ier en tant que grand roi[xxxi]. Cela se traduit en 1825 par une double publication : celle dun Mémoire pour servir à lhistoire véritable de François Ier et dune comédie en un acte en prose, destinée à la lecture et intitulée Le Diamant de Charles-Quint. Cette comédie met en scène une anecdote politique et galante qui ridiculise François Ier, dupé par sa maîtresse, la duchesse dEtampes, et son grand rival politique, Charles Quint.
Le Diamant de Charles-Quint met en effet en scène une intrigue politique de Charles Quint, en réponse à la propre intrigue de François Ier. Ce jeu de dupes est résolu de manière paradoxale par lintervention de la maîtresse du roi, la duchesse dEtampes, en faveur de lempereur. En effet, la pièce se déroule en 1540, dans le château de Fontainebleau, au moment où François Ier est lhôte de Charles Quint, amené à traverser les terres de son ancien prisonnier après Pavie (1525). Charles Quint souhaite se rendre au plus tôt à Gand, où a éclaté une révolte qui menace toutes ses possessions flamandes. François Ier a donné sa parole à lempereur quil pourrait quitter librement la France, mais il veut profiter de loccasion pour obtenir de Charles Quint une cession anticipée du Milanais. Il a de ce fait écrit une lettre ordonnant larrestation de lempereur à Arras, mais, irrésolu, il a confié cette lettre à la duchesse dEtampes pour que celle-ci décide à sa place si cette lettre doit être envoyée ou non. Mais une alliance est conclue par émissaires interposés entre la maîtresse de François Ier et son rival : aussi la duchesse dEtampes remettra à Charles Quint, lors du repas offert par François Ier à lempereur, la lettre ordonnant de larrêter, et lempereur donnera à la duchesse son diamant, en le faisant tomber, sous prétexte que tout ce que les souverains de la maison dAutriche font tomber échoit à ceux qui le ramassent. Cest ce stratagème qui est réalisé avec succès lors de la suite de la pièce.
Roederer a trouvé cette anecdote dans un manuscrit de la bibliothèque du comte Daru[xxxii] : François Ier, ou les choses les plus mémorables arrivées de son règne. Roederer cite un long extrait de ce manuscrit[xxxiii]. Remarquons toutefois que lanecdote figure dans la Biographie universelle de Michaud, à larticle « François Ier ».
Limage que Roederer donne de François Ier est celle dun roi faible, soumis à la volonté de sa maîtresse : « Mes dernières et mes premières intentions sont toujours de ne pas mécarter des vôtres », déclare le roi à la duchesse dEtampes (scène V). De ce fait, la politique royale est le jouet du caprice de la maîtresse du souverain : « Eh bien, quavez-vous décidé ? avez-vous expédié mon ordre à Arras, ou le jetons-nous au feu ? » (scène IV). Là apparaît le principal grief que Roederer fait à François Ier dans son Mémoire : celui dabandonner ses décisions de souverain au gré des caprices de ses maîtresses. En outre, François Ier, que Mézerai présente comme « religieux à tenir sa parole, ouvert & plein de franchise »[xxxiv], apparaît comme peu soucieux de respecter sa parole. Dans son Mémoire, Roederer récuse la réputation de courtoisie de François Ier, à loccasion précisément de lépisode qui a servi de cadre au Diamant de Charles-Quint : « Etait-il dune haute courtoisie à légard de Charles-Quint qui était venu avec confiance à sa cour après le traité de Madrid, lorsquil lui dit : Cette belle dame (la duchesse dEtampes) me conseille de ne pas vous laisser partir de Paris que vous nayez révoqué le traité de Madrid ; était-ce courtoisie de faire naître dans lesprit de Charles-Quint lappréhension dêtre retenu prisonnier à Paris ? »[xxxv].
Comme Charles Quint, François Ier nhésite pas à recourir à la ruse, au mensonge à des fins politiques[xxxvi]. Or le calcul, la dissimulation en politique ne sont pas pratiqués avec art par François Ier, mais par Charles Quint : le titre de la pièce névoque pas seulement la bague de lempereur, mais aussi les ressources de son esprit, et le trésor dingéniosité quil déploie pour tromper François Ier, avec la complicité de sa maîtresse qui plus est.
Arvers, ou le prélude au Roi samuse
La troisième uvre que nous retenons na pas été représentée non plus, mais il sagit désormais dun drame, romantique qui plus est, en trois actes et en alexandrins : La mort de François premier de Félix Arvers, pièce écrite en 1831 et publiée en 1833 dans Mes heures perdues. La date de composition est importante : Le roi samuse, de Hugo, est postérieur à ce drame. Le thème de la mort des rois est alors en vogue chez les romantiques : Musset compose un fragment poétique, « Les Derniers moments de François premier », publié en 1831, après avoir composé un « Charles-Quint à Saint-Just » (1829), publié de manière posthume .
Le drame dArvers conte une anecdote connue des historiens (Mézeray, Voltaire ) : lavocat Ferron, jaloux de François Ier, contracte une maladie vénérienne quil transmet à sa femme, adultère, pour quelle contamine le roi. Le cadre temporel est donc dilaté par rapport à la comédie de Roederer, puisque la pièce sétend sur huit années, et lunité de lieu nest pas respectée. Quant au respect des bienséances songeons au lieu de mauvaise vie où se déroule le second acte. En outre, Arvers ne sintéresse pas à François Ier en tant que souverain, malgré des références à certaines décisions politiques comme la persécution des protestants. Cest lindividu qui retient son attention.
Cette uvre se présente parfois comme une mise en alexandrins déléments de la Biographie universelle de Michaud. Nous ne sommes pas dans la mise en uvre de la couleur locale, mais dans un jeu de références à des topoï dont la pièce est saturée : François Ier héros, poète, séducteur Tout ceci nest quun vernis historique, comme le montre la désinvolture avec laquelle Arvers renvoie au Mémoire du cardinal Du Bellay pour le voyage dItalie[xxxvii]. Toutefois, loriginalité dArvers par rapport à Roederer et à nombre de ses prédécesseurs réside dans la peinture dun roi sur le déclin, odieux envers Ferron lorsquil lhumilie après avoir été surpris par lui en compagnie de la belle Féronnière. Le jouisseur égoïste est puni par son rival malheureux. Cest le personnage victime qui est amené à endosser le rôle du traître de mélodrame pour obtenir réparation du tort subi : la victime se fait bourreau, bourreau des coupables et de soi-même. Par ce biais lhomme du peuple châtie le souverain.
Ainsi la mort peu édifiante de François Ier contraste avec la fin édifiante et spectaculaire de Charles-Quint dans une autre pièce non représentée : Charles-Quint à Saint-Just de Gain-Montaignac (publiée en 1820).
Le roi samuse : le monstre sur scène
Dans Hernani, François Ier est encore présenté comme « un victorieux »[xxxviii] par Don Ruy Gomez au jeune Don Carlos, avant lélection à la tête du Saint Empire Romain Germanique. Cette présentation valorisante de François Ier a pour but de dramatiser lopposition des deux rivaux politiques et de suggérer lampleur de la tâche à assumer par le futur empereur. Cela confère ainsi à la pièce une perspective historique.
En revanche, François Ier nest plus un rival politique prestigieux et redouté dans Le roi samuse, mais un être dépravé, qui sennuie[xxxix] et ne manifeste aucune préoccupation politique. Le vainqueur de Marignan perd son prestige de héros car la victoire qui ouvre son règne est associée, non plus au courage et à la gloire, mais à lidée de destruction. Chez Saltabadil, au quatrième acte, le roi déplore la vétusté du mobilier : « Tes meubles étaient donc à Marignan, mon cher, / Quils sont tous éclopés ? » (acte quatre, scène IV, vers 1305-1306). Le contexte grotesque et la tonalité burlesque des propos du roi minent en profondeur toute possibilité de représentation épique. La brusquerie de François Ier écarte limage traditionnelle du roi chevalier, lorsquil réclame :
LE ROI
Deux choses sur-le-champ.
SALTABADIL
Quoi ?
LE ROI
Ta sur, et mon verre.
Les manières du roi sont rudes. Il faut dire quil se présente travesti « en simple officier » : de ce qui concerne larmée et la guerre, seul est retenu ce qui est grotesque.
Ce costume convient cependant parfaitement au roi, car son goût de la boisson nest pas feint[xl]. Triboulet le lui fait remarquer lors de la seconde scène du premier acte : « Je crois bien, sire, vous êtes ivre ! » (vers 102). Laffirmation insolente du bouffon est perçue par le spectateur comme un simple constat, car il a vu le roi se faire servir de la boisson : « Le roi sapproche du buffet au fond et se fait verser à boire. ». Maguelonne lui reproche aussi un état discréditant ses grands discours amoureux : « Allons, vous êtes ivre ! » (acte IV, scène IV, vers 1238). Ce roi ivre, qui oublie la dignité de sa fonction, est un jouisseur sans scrupules, qui met sur le même les divers plaisirs corporels : « Voici la sagesse, ma chère. / - Aimons, et jouissons, et faisons bonne chère » (acte IV, scène IV, vers 1221-1222). Le grotesque étant associé au corps et au monstrueux, nous pouvons dire que François Ier est lexemple même du personnage grotesque. Le titre officiel de roi « très chrétien » est contredit par les faits : « Tu vas au cabaret plus souvent quau sermon », lui assène Maguelonne (vers 1224). Le tutoiement de la part de la femme du peuple simpose du fait du déguisement du roi, mais aussi en raison de la conduite du souverain, qui na rien de majestueuse. Le roi déroge chez Saltabadil, en hantant ce lieu populaire, ce qui a beaucoup choqué.
Dans ce contexte, comment Hugo a-t-il pu concilier lactivité de poète de François Ier et sa conduite de débauché ? Les deux occurrences du fameux distique gravé par le roi sur une croisée du château de Chambord éclairent ce point. Tout dabord, le roi chante ses vers dans le cabaret de Saltabadil : le lieu détourne les vers de toute portée poétique au profit dune représentation libertine du roi (acte IV, scène II) Ce nest pas simplement un roi volage qui sexprime, mais un débauché. La version retenue lors de la représentation de 1832 atténue le caractère grivois de la situation :
« Jai ma sur, une jeune et belle créature,
Qui chez nous aux passants dit la bonne aventure ;
Votre homme la viendrait consulter une nuit. »
Or la version publiée est beaucoup plus explicite :
« Jai ma sur Maguelonne, une fort belle fille
Qui danse dans la rue et quon trouve gentille.
Elle attire chez nous le galant une nuit » (acte II, scène première)
François Ier chante aussi, à deux reprises, son fameux distique au cinquième acte, alors que Blanche a été assassinée à sa place, et que Triboulet croit tenir le roi mort en son sac. Linsouciance du roi est monstrueuse pour le spectateur et le lecteur, car le distique dénonce le caractère volage des femmes, alors que Blanche, dont il ne se soucie pas, vient de se sacrifier pour le sauver. En outre, un incident lors de la représentation de 1832 (le 22 novembre) a contribué à donner du roi une image de débauché :
« Un incident acheva la ruine du cinquième acte. François Ier devait sortir en chantant de chez Saltabadil par une petite porte près de lendroit où Triboulet croyait le tenir mort dans le sac ; cette sortie, ce chant devaient tirer Triboulet de son illusion. On ne sait comment la petite porte se trouvait être fermée en dehors ; impossible à Perrier de louvrir, par conséquent de passer près de lui et de lui chanter aux oreilles. Il prit le seul possible, il sen alla par le fond du théâtre tout en fredonnant son air. Au lieu du roi qui sen allait bruyamment, portant haut sa tête, il semblait que ce fût quelque ivrogne attardé qui passait au loin. » (Victor Hugo rapporté par Adèle Hugo)[xli]
Cet exemple montre, si besoin était, que le texte de théâtre nest quun élément, majeur certes, dune création théâtrale, comme laffirme Anne Ubersfeld dans Lire le théâtre I : « Toute réflexion sur le texte théâtral ne peut manquer de rencontrer la problématique de la représentation »[xlii]. De personnage insensible, quasi démoniaque, le personnage se trouve ravalé au rang de personnage dépravé Lincident ruine leffet voulu, malgré les efforts de Perrier, et le tumulte est à son comble dans la salle.
François Ier est également évoqué en tant que poète par le personnage de Simon Renard dans Marie Tudor (troisième journée, scène II) : « Cest fort singulier, comme vous dites ; mais que voulez-vous ? la reine est folle, elle ne sait ce quelle veut. On ne peut compter sur rien, cest une femme. Je vous demande un peu ce quelle vient faire ici ! Tenez, le cur de la femme est une énigme dont le roi François Ier a écrit le mot sur les vitraux de Chambord :
Souvent femme varie,
Bien fol est qui sy fie.
Pour valoriser le galant, il est de coutume de rappeler son activité de poète. Dans La mort de François Ier de Félix Arvers, le roi manifeste avec enthousiasme son goût pour la poésie. Dans Le roi samuse, le personnage de François Ier chante son goût de la poésie à la scène II du premier acte, mais est aussitôt tourné en dérision par son fou :
TRIBOULET
Je ne lis pas de vers de vous. Des vers de roi
Sont toujours très mauvais.
[ ] Roi qui rime déroge.
La suite du dialogue confère un caractère grotesque aux velléités de poésie du roi[xliii] : Hugo fait preuve doriginalité, car il discrédite le roi par cela même qui devrait le valoriser. Le roi poète est un roi qui samuse, au lieu de se préoccuper de son peuple. Cest un souverain éloigné des considérations de Don Carlos, dans Hernani, au moment où il va devenir empereur (acte IV, scène II)[xliv]. Lun est un souverain conscient de ses responsabilités, lautre un jouisseur sans scrupules.
Certains ont vu dans un passage de la pièce une allusion désobligeante envers la famille royale, dans cette adresse de Triboulet aux courtisans : « Vos mères aux laquais se sont prostituées ! » (acte III, scène III, vers 1016) [xlv]. Toutefois, comme Hugo le fait lui-même remarquer, il sagit là dune surinterprétation de la pièce, car il refuse toute allusion, ainsi quil le précise dans la préface de Marion de Lorme. La pièce a donc été taxée dimmoralité, ce dont Hugo se défend dans une préface pleine de superbe. Hugo se défend même davoir outrepassé la réalité historique : « Mais depuis quand nest-il plus permis à un roi de courtiser sur la scène une servante dauberge ? Cela nest même nouveau ni dans lhistoire ni au théâtre. Il y a mieux. Lhistoire nous permettait de vous montrer François Ier ivre dans les bouges de la rue du Pélican ». Il suffisait en effet à tout spectateur douvrir la Biographie universelle de Michaud pour imaginer les turpitudes de François Ier à travers les formules empreintes deuphémismes : François Ier « avait toujours aimé les plaisirs furtifs, et les avait recherchés quelquefois aux dépens de la dignité de son rang. ».
Il faut dire que le contexte politique et social a nui à la pièce et a joué dans le sens de son interdiction. Lorsque Hugo écrit Le roi samuse, Paris est en proie à des révoltes populaires[xlvi]. Or ce drame met en scène la révolte dun homme du peuple, puisque cest bien ainsi que Triboulet se présente avec insistance, contre le roi, lautorité royale étant vécue comme arbitraire et oppressante. Dans un geste qui annonce le geste spectaculaire du héros éponyme dans Ango de Pyat et Luchet lorsquil terrasse François Ier défaillant lors de leur duel, Triboulet croit terrasser le roi dans son sac, au dernier acte, alors quen fait il foule le corps de sa fille, Blanche. Le jour même de la première, un attentat avait été commis contre le roi, Louis-Philippe : on avait tiré sur lui un coup de pistolet du Pont-Neuf. Aussi les spectateurs ont-ils assisté à la représentation de la pièce avec des préoccupations toutes politiques[xlvii], et de profondes inquiétudes pour ceux appartenant aux milieux soutenant le régime. Cette dramatisation politique a en outre été accrue par les amis de Victor Hugo qui, malgré eux, ont contribué à créer un climat hostile à la pièce en accroissant les inquiétudes des partisans de Louis-Philippe, en chantant « depuis leur arrivée, jusquau lever du rideau, la Marseillaise, le Chant du départ, et le Ça ira »[xlviii]. Dans ce contexte, où le romantisme se revendique en tant que révolution littéraire, le régime et ses partisans craignent que la révolution ne se fasse politique et que la farouche volonté du bouffon de tuer son roi nincite dautres opposants à attenter à la vie de Louis-Philippe. Aussi certains ont-ils dénoncé dans le drame de Hugo un éloge du régicide.
Si cette accusation est erronée, il nen demeure pas moins quun passage de la pièce savère particulièrement audacieux, au sujet des relations entre le roi et le bouffon, et des places assignées à chacun. A la scène III de lacte III, lorsque sa fille lui apprend que François Ier vient de la déshonorer, Triboulet se fait terrible, et prend la place du roi : « sasseyant sur le fauteuil du roi et relevant sa fille ». Il adopte à légard des courtisans présents, qui sont tous de grands seigneurs, lattitude et le ton autoritaire du roi, les congédiant :
[Triboulet] se retourne, et, apercevant M. de Cossé, qui est resté, il se lève à demi en lui montrant la porte.
[...] Mavez-vous entendu, monseigneur ?
M. DE COSSE, tout en se retirant comme subjugué par lascendant du bouffon.
Ces fous, cela se croit tout permis, en honneur !
Il sort.
Monsieur de Cossé est frappé par le ton de Triboulet, qui nest plus celui dun bouffon, mais dun souverain : aussi sefface-t-il.
Triboulet est dailleurs le véritable personnage principal de luvre. Hugo en prévient Bocage lorsque celui-ci lui demande de le faire engager au Français et de lui donner le rôle de François Ier : « je crains que vous ne vous mépreniez sur le rôle que vous désirez. François Ier est au second plan. Le rôle important est Triboulet [xlix]».
La seule dévalorisation du personnage de François Ier ne suffit sans doute pas à elle seule à expliquer la censure de la pièce. Les causes ne sont pas simplement politiques. En effet, la lecture de La Dame de Laval, drame en trois actes de Maillan et Legoyt représenté sur le théâtre de lAmbigu-Comique en novembre 1835, donc après le rétablissement de la censure, montre que la critique du roi est possible dans une large mesure. Dans cette pièce, François Ier endosse son éternel costume de séducteur, le mari jaloux, le comte de Chateaubriand, ne supporte pas linfidélité de sa femme et la tue pour la châtier. En revanche, le roi, intouchable, est exempt de châtiment, si ce nest une cinglante flagellation par les mots dénonçant linjustice dun pouvoir absolu dont on abuse. Même si le drame nest pas représenté sur la scène du Théâtre-Français, mais sur une scène secondaire, le dénouement peut laisser perplexe, tant le malheureux mari trompé se montre insolent :
TOUS LES PERSONNAGES, LE PAGE, EDITH
(Tout le monde sarrête et recule frappé dhorreur à la vue du cadavre.)
LE ROI
Morte ! frappée par vous !.. Oh ! seigneur Comte, craignez la justice du Roi ; elle sera terrible !
LE COMTE
Y a-t-il une justice contre le Roi qui flétrit lhonneur dun chevalier ?.. Je lai tuée de cette main qui sauva le Roi de France ; je lai tuée, parce que vos lèvres lui avaient imprimé au front une sentence de mort Et maintenant, mes gentilshommes, allez dire à vos filles et à vos femmes ce que vous avez vu !
Dans ce théâtre de leffroi, le roi est un monstre, mais détient la puissance politique. Cest un ingrat, sans honneur, nhésitant pas à trahir celui qui la loyalement assisté à Marignan : le comte de Chateaubriand rappelle au début de la pièce quil sest blessé à Marignan en défendant le roi. François Ier apparaît comme le type même du roi vil, par opposition au bon roi, Louis XII, son oncle, vertueux père du peuple[l].
Si la seule portée politique du Roi samuse ne suffit pas à elle seule à en expliquer et la censure, et le rejet par le public, où chercher les causes ? Un article du Constitutionnel résume bien les enjeux, dix ans après.
Il était en effet question de reprendre Le roi samuse en 1842[li]. Aussi Le Constitutionnel publie-t-il le 27 juin 1842 un article de deux pages consacré au Roi samuse. Cest un réquisitoire sans appel, même si « W. », auteur de larticle, reconnaît que la censure imposée en 1832 constitue une grande injustice : « on comprit quil y avait à sauver quelque chose de plus important que le goût, cétait la liberté ».
Le reproche majeur formulé à lencontre de la pièce à sa création concerne « limmoralité de sa conduite et de son langage ». Larticle reconnaît que Hugo a répondu à laccusation dimmoralité, mais « W. » dénonce « limmoralité de la forme », qui apparaît donc comme plus sacrilège encore que le propos. Comme la montré Anne Ubersfeld dans Le Roi et le Bouffon (page 153 de lédition de 2001), « Cest toute une conception de lart qui est condamnée. Ce que lon refuse, cest un ensemble de provocations qui mettent en cause les différents codes littéraires du temps sous le triple aspect de la moralité, des habitudes littéraires, des bienséances historiques. ».
Humiliation du roi : Ango, ou lhomme du peuple terrassant le roi
Les audaces de Victor Hugo dans Le roi samuse vont être dépassées par Pyat et Luchet, dont le drame Ango est représenté pour la première fois sur le théâtre de lAmbigu-Comique le 29 juin 1835 : Ango représente François Ier sous les traits les pires que lon puisse imaginer. Le portrait dressé du roi est exclusivement à charge.
La composition même de la pièce suggère que les auteurs font découvrir aux spectateurs les coulisses de lhistoire, celles-là mêmes auxquelles on ne prête pas attention dordinaire, subjugué que lon est par le faux éclat de la mise en scène officielle, au service de la propagande royale. Or tout un jeu de mise en scène happe le spectateur vers autre chose que la scène habituelle. Ainsi le crieur est entendu avant le début de la première scène de la pièce, « avant le lever du rideau ». De même, le tableau de Léonard de Vinci représenté au troisième acte est-il hors de vue du spectateur : « Il lui fait voir la toile que ses élèves ont apportée et qui est accrochée dans la coulisse hors de vue du spectateur » (acte III, scène V). Ce débordement de la pièce sur le hors-scène suggère au spectateur, par analogie, quon ne lui montre pas tout dans lHistoire officielle, et cette pièce est censée révéler ce qui est celé : la grandeur de lhomme du peuple et la faiblesse du roi. Cest pourquoi la pièce comporte, à lissue des cinq actes, un épilogue destiné à donner à ce drame la portée dun apologue. Léonard de Vinci a le dernier mot (avant le chur) : « Quel est donc le grand homme ici, du roi ou du matelot ? ». Cette question, évidemment rhétorique, nous invite à relier ce drame de Pyat et Luchet à la question du grand homme dans luvre de Hugo, telle que lanalyse Franck Laurent dans le centième numéro de Romantisme en 1998 (p. 88) : « La question du grand homme paraît donc subir un complet « changement dhorizon » : de la fascination à la condamnation du grand individu historique, de la grandeur dun seul à celle de tous, approchée sinon exprimée par celle des génies, des proscrits et des petits ». Or Pyat et Luchet substituent au grand homme loué par Brantôme (le roi, François Ier) un homme qui ne cesse de se présenter malgré sa richesse comme homme du peuple, le marin Ango, traité comme un proscrit par le roi et auquel il nhésite pas à désobéir pour sauver lhonneur de la France face au Portugal, en préparant une expédition imposant réparation. Pour les spectateurs de 1835, il peut y avoir une résonance avec lexpédition menée en 1831 pour contraindre à réparation le gouvernement portugais, après que des ressortissants français eurent été malmenés.
Le roi est dautant plus discrédité quAngo le supplante en tant que protecteur des arts. Le décor des actes III et IV consiste en une « salle de la renaissance » qui est achevée entre les deux actes. Ainsi est donnée limage dune époque dintense production artistique, mais loriginalité de la pièce consiste dans la dépossession, au détriment du roi et au profit dAngo, de son rôle de protecteur des arts :
« En vérité, cest une honte, comte de Furstemberg ; ce marchand me fait rougir et mhumilie, il mécrase. Il a un palais beau comme Chambord et plus fort que Vincennes Des peintres que javais demandés à ma cour ny sont pas venus, parce quil les payait plus que moi ; des statuaires ont laissé mes royales galeries encombrées de blocs informes, parce que le marchand Ango avait la fantaisie de voir sa face et son blason sculptés en marbre. »[lii]
La honte est redoublée, en présence du comte de Furstemberg, ambassadeur de Charles Quint, le grand rival politique de François Ier. François Ier, en revanche, est représenté comme le persécuteur des auteurs[liii] : dès louverture de la pièce, Dolet et Marot déplorent la censure dont ils sont victimes. La vision dun François Ier prince de la Renaissance est battue en brèche : « François Ier va me condamner au feu pour un papier imprimé et ils appellent ce roi le restaurateur des lettres ! » (Dolet, acte I, premier tableau, scène VI). Limprimeur est condamné au bûcher sans regret par un roi uniquement préoccupé par la fête qui se prépare, et où il brûle dimpatience de voir la femme dAngo : le mari est arrêté et emprisonné un temps par lInquisition pour permettre au roi de séduire sa femme. Le goût du roi pour la poésie sauve-t-il ce portait accablant ? François Ier ne veut pas que lon mette à mort « le poète Marot, parce que nous sommes poètes tous deux, et que lon pourrait maccuser de jalousie » (acte I, scène V). Le roi se considère comme poète, mais aucun de ses vers nest cité dans ce drame, comme si aucun nen valait la peine, pas même le fameux distique repris dans tant de pièces. Clément Marot raille dès louverture de luvre la réputation de poète de François Ier : « Pour ce qui est de ces vers-là, lordonnance est convenable. Je me soucie des vers de roi, comme du vin dArgenteuil ». Toute prétention du souverain à se faire passer pour poète est rangée de ce fait au rang des affirmations dun être infatué.
Dans la pièce, le roi est un séducteur invétéré, sans honneur et sans scrupules. Labsence dhonneur du roi se traduit par sa lâcheté face à Ango au moment, où lhomme du peuple veut croiser le fer avec le roi : François Ier sévanouit (acte V). Ango raille labsence de courage du roi dans le duel, seul à seul. Ango, en revanche, na pas peur de la mort, tout comme la femme de Furstemberg ou Marie, femme dAngo, qui absorbent du poison contenu dans la bague offerte par François Ier.
Cette représentation dun François Ier lâche a obtenu un succès de scandale et déclenché les foudres de la presse. Or le contexte va jouer contre cette pièce, interdite à la suite de lattentat de Fieschi contre Louis-Philippe (28 juillet 1835) et du rétablissement de la censure (septembre).
La Monarchie de Juillet cherche à stabiliser son pouvoir, et cela se traduit, sur scène, par la volonté de réhabiliter François Ier : Casimir Delavigne, proche du régime, va uvrer en ce sens.
Relever le roi : Don Juan dAutriche, lanti- Ango ou la réhabilitation de François Ier
François Ier nest pas un personnage présent sur scène dans la comédie de Casimir Delavigne Don Juan dAutriche ou la Vocation, représentée avec succès au Théâtre-Français à partir du 17 octobre 1835. Toutefois, François Ier est un personnage qui hante la pièce, du début à la fin : or le royal absent ressort revalorisé de la représentation, et comme réhabilité après avoir été montré ridicule et odieux dans Ango, quelques mois auparavant. Proche de Louis-Philippe, Casimir Delavigne a su redorer limage écornée du prédécesseur du souverain en place : dans sa pièce, les aspects monstrueux sont concentrés dans le caractère du roi Philippe II, alors que François Ier est le héros de Don Juan, fils caché de Charles Quint.
Les exploits au combat de François Ier inspirent des « fantaisies militaires » au jeune Don Juan : le vainqueur de Marignan est érigé en personnage épique, au même titre que les personnages de romans de chevalerie. A son sujet, Don Juan pourrait évoquer « des choses qui tiennent du roman, bien quelles soient de lhistoire », selon la formule quil emploie à la troisième scène du second acte pour désigner à Dona Florinde ce qui sest passé chez Don Quexada, et quil croit à son profit.
Un dialogue entre Don Juan et le vieux Raphaël, extrait de la quatrième scène du premier acte, révèle à quel point François Ier ressort grandi de cette comédie, après avoir été mis à mal par tant duvres dramatiques depuis Roederer :
RAPHAEL
je ne me souviens pas que lamour mait fait manquer un tour de garde, pas même après la bataille de Pavie, quand nous faisions rafle sur les Milanaises ; et cependant, je vous jure quà notre départ, les innocentes filles de ce pays-là ne pouvaient pas dire comme notre royal prisonnier : Tout est perdu, fors lhonneur !
DON JUAN
Ah ! tu cites le mot dun homme dont je raffole, moins encore pour ses qualités que pour ses défauts. Il aimait, celui-là !
RAPHAEL
Et il se battait comme un lion, capo di Dio !
DON JUAN
Tu te souviens de ton italien. »
Ce passage illustre à merveille le processus de revalorisation de la personne de François Ier auquel procède Casimir Delavigne dans cette comédie. Alors que dans Hernani « Vous êtes mon lieu superbe et généreux », que Mlle Mars devait dire au personnage dHernani, sadresse à un bandit, François Ier, dans Don Juan, mérite cette comparaison : cest le personnage impétueux, intrépide, sans calculs, le héros que rêve de devenir Don Juan[liv]. De manière habile, les défauts du roi sont portés à son crédit : il en va de même de sa défaite de Pavie, glorieux corollaire de sa victoire de Marignan, puisquà la bravoure François Ier joint le sens de lhonneur. La rustrerie des troupes victorieuses de Charles Quint forme contraste avec la grandeur du vaincu : Raphaël et ses compagnons nont pas la galanterie du personnage de François Ier se faisant passer pour Nemours dans François Ier à Chambord et clamant son attachement aux valeurs de la chevalerie héritées de Bayard lorsque lhonneur dune dame est menacé. Nouveau chevalier sans peur et sans reproche à limage de son modèle, le noble roi se fait le protecteur de la belle Milanaise, comme nous lavons vu. Dans Don Juan, ou la Vocation, Delavigne renoue avec la représentation glorieuse dun roi chevalier, et, lorsquil fait citer François Ier par Raphaël, il nhésite pas à recourir à la formulation originale : larchaïsme de la préposition (« fors ») suggère au spectateur du Théâtre-Français lintention de livrer limage traditionnelle et authentique du vainqueur de Marignan, alors que ce roi vient dêtre représenté de manière grotesque et tout à fait contraire à lHistoire sur la scène du théâtre de lAmbigu-Comique, où le spectacle sadresse à un public moins cultivé, doù la formulation « Tout est perdu, excepté lhonneur »[lv] dans la bouche dAngo, lhomme du peuple.
Reproche-t-on à François Ier davoir sans cesse combattu, et de sêtre livré de manière excessive aux plaisirs ? Don Juan reprend à son compte cet hédonisme mâtiné de rêves épiques : « il ny a que trois choses dans la vie : la guerre, les femmes et la chasse ». Or le souvenir de François Ier est associé à ses combats en Italie, terre de la passion : ainsi sexplique le fait que Don Juan relève lexpression italienne employée par Raphaël, le vieux serviteur.
Lattachement de Don Juan envers François Ier suscite au troisième acte (scène XIV) une joute verbale avec Frère Arsène, dont il ignore alors quil est Charles Quint, son père. Don Juan soutient que Charles Quint est le plus grand homme de son siècle « après François Ier ». Après un temps dirritation, frère Arsène apaise la situation : « Je comprends quà vingt ans on préfère François Ier, et quon aime mieux Charles Quint à quarante ».
Porté par les valeurs de la chevalerie et de lamour, François Ier est présenté comme un personnage romantique, sans conscience du danger, quil méprise : « Voilà justement un moyen à la François Ier », sexclame Frère Arsène lorsque Don Juan (dans lequel il y a du Don Quichotte) se déclare prêt à combattre quiconque sopposera à sa libération : « tenez pour certain que je serai libre avant une heure, quand je devrais livrer bataille à tous les frères de toutes les congrégations dEspagne »[lvi].
Un passage a une forte portée symbolique : lorsque Charles Quint remet à Don Juan lépée de François Ier (prise, par droit de victoire), à la scène XXI de lacte III.
Le dénouement est celui dune comédie : tout finissant bien, Frère Arsène (alias Charles Quint) peut samuser de ladmiration de Don Juan pour son rival. Lorsque son fils se dit « le fils du plus grand homme que le siècle ait produit », Frère Arsène ajoute, « souriant » : « Après François Ier » (scène finale)[lvii].
Par la revalorisation accordée au personnage de François Ier, Casimir Delavigne donne une portée idéologique à sa pièce, qui nest pas une simple comédie de divertissement, ou un pur drame sans enjeu autre que soutenir lattention du spectateur[lviii]. Une certaine lecture pourrait lassimiler à une riposte aux républicains, dans leur tentative de jeter le discrédit sur le pouvoir royal à travers une représentation grotesque de François Ier. En effet, et François Ier et Charles Quint sortent grandis de la pièce au détriment, certes, de Philippe II, mais qui se laisse fléchir : cest une nécessité en vertu de la logique dramatique, afin dobtenir un dénouement heureux, mais cest aussi une nécessité au regard de lidéologie défendue par Casimir Delavigne, celle dun attachement à une royauté qui se veut modérée, malgré le rétablissement de la censure.
La comédie de Delavigne illustre de manière hyperbolique un aspect paradoxal de la représentation de François Ier à la fin de la Restauration et sous la Monarchie de Juillet : ce roi est montré dans la plupart des uvres comme un être infâme, mais a tendance à être valorisé dans les pièces où il napparaît pas sur scène. Dans André del Sarto, il est le grand roi, le mécène qui commande des uvres au personnage éponyme[lix] et se trouve ainsi associé au siècle de Raphaël[lx]. Dans Lorenzaccio, François Ier, dans sa lutte contre Charles Quint, apparaît comme un refuge pour Pierre Strozzi et les républicains[lxi].
Avec Hugo, François Ier devient donc un personnage de drame sur la scène de la Monarchie de Juillet, alors quil est auparavant un personnage de comédie et dopéra-comique. Le genre théâtral choisi pour représenter le souverain a des incidences majeures sur cette représentation. Dans le cas dun roi présenté comme léger, frivole, jouisseur, les genres comiques nexcluent pas une représentation du souverain qui le rendent sympathique, malgré ses défauts. Le dénouement heureux, favorisé par la clémence du roi, contribue à donner une image de grandeur du personnage, malgré les situations parfois peu à son avantage où la vu le spectateur auparavant. De plus, le roi rit de ses mésaventures : en cela, il se fait le familier du spectateur par la raison quil se constitue en double de ce même spectateur, leur source de distraction étant identique (les mésaventures du roi). Cette analyse exclut cependant la comédie (livresque) Le Diamant de Charles-Quint, car Roederer compose une pièce uniquement à charge, avec toute lardeur de celui qui cherche à transformer limage livrée par les uvres dramatiques précédentes. En ce qui concerne lopéra-comique, linsouciance et la frivolité de François Ier apparaissent en adéquation parfaite avec une forme lyrique associée à la légèreté. Le personnage de François Ier, tel quil est représenté dans les genres comiques et/ou lyriques sintègre donc parfaitement aux thèmes communs et à la tonalité de ces genres.
En revanche le passage au drame suppose un dénouement moins heureux, et la présence de tonalités plus sombres. Le dénouement tragique de La mort de François premier et du Roi samuse rend monstrueuse la légèreté du roi dans les premiers actes. Hugo pousse lincurie du roi à légard de ses victimes jusquau viol de Blanche dans le troisième acte. Aussi le drame romantique fait-il passer François Ier du statut de personnage léger, volage, insouciant à celui de personnage monstrueux, brutal, pervers. François Ier napparaît plus dans un « nuage dencens »[lxii] : cette radicalisation dans la représentation dun être mauvais, dautant plus nuisible que son pouvoir semble absolu, peut nous apparaître à juste titre comme laboutissement amplifié mais logique de la désacralisation de ce souverain entamée sur scène dès le début du XIXe siècle. La désacralisation du roi mène à la légende sombre dun individu semant le malheur, puisque le roi est responsable des dénouements malheureux. Aussi le drame romantique donne-t-il limage la plus corrosive possible dun être qui nest plus humain, trop humain (dans le cas dun roi volage, dont la conduite serait sans grande conséquence dans un contexte généralisé daventures galantes), mais totalement inhumain. Seule la représentation dun François Ier réellement amoureux aurait pu en faire un personnage romantique : or cette voie nest pas suivie sur scène par les romantiques.
Paradoxalement, moins François Ier est représenté comme un personnage assumant des responsabilités politiques, plus la représentation peut être perçue comme étant une charge politique, donnant à lire et à voir un tyran qui sennuie, samuse, fait souffrir, fait mourir (sans même sen rendre compte, parfois) et meurt, châtié par un homme du peuple.
De La mort de François premier à Ango, en passant par Le roi samuse se laisse percevoir en effet le fantasme de tuer le roi. Les attentats contre Louis-Philippe en 1832 et en 1835 ont tenté de traduire en acte ce fantasme, amplifiant la portée des drames.
CONCLUSION
Le seizième siècle a donc été représenté au théâtre sous des formes très variées. Si Dumas explore la voie du drame « extra-historique » avec Catherine Howard (1834), Hugo revendique une perspective historique dans sa représentation du seizième siècle. Cela ne signifie pas pour autant que le drame hugolien se contente dune mise en scène du passé tel que les historiens lont présenté : dans une note de la préface de Cromwell, Hugo prévient qu« il faut se garder de chercher de lhistoire pure dans le drame, fut-il historique. Il écrit des légendes et non des fastes. Il est chronique et non chronologique » (note VIII de lédition originale). Hugo nécrit pas de drame historique au sens strict, mais des drames qui éclairent le présent à la lumière du passé, conformément à lidéal de drame présenté dans la préface de Marie Tudor : « ce serait le passé ressuscité au profit du présent ; ce serait lhistoire que nos pères ont faite confrontée avec lhistoire que nous faisons ». Ce faisant, il est amené à mettre en scène un seizième siècle sombre, comme « la silhouette noire de Padoue au seizième siècle » évoquée dans la didascalie initiale dAngelo, tyran de Padoue.
[i] Théophile Gautier, Correspondance générale 1843-1845, éditée par Claudine Lacoste-Veyssière, tome II, sous la direction de Pierre Laubriet, Librairie Droz, Genève-Paris, 1986, p. 41. Nerval répond à cette lettre le 14 août 1843.
[ii] Cet article a été réimprimé dans L'Evénement du 27 mai 1850 lors de la reprise d'Angelo par Mademoiselle Rachel.
[iii] Le personnage de Benvenuto Cellini est alors à la mode. Musset le fait intervenir dans une scène supprimée de Lorenzaccio et Dumas note dans les didascalies figurant en tête de L'alchimiste : « Un riche magasin de ciseleur au seizième siècle, comme on se représente celui de Benvenuto Cellini. ». En 1852, le Benvenuto Cellini de Meurice, écrit en collaboration avec Dumas (non nommé), drame en cinq actes et huit tableaux, est représenté au théâtre de la Porte-Saint-Martin.
[iv] Michel-Ange.
[v] Article cité par Françoise Court-Pérez dans Théophile Gautier, Victor Hugo (choix de textes, introduction et notes par Françoise Court-Pérez), Honoré Champion, Paris, 2000, p. 85.
[vi] Stendhal, Racine et Shakspeare, L'harmattan, 1993, p. 2.
[vii] Stendhal, op. cit., p. 41.
[viii] Cet acte a été publié, avec introduction et commentaire, par J. F. Marshall en 1952 dans Illinois Studies in language and literature, vol. XXXVI, n°4, The University of Illinois Press, Urbana.
[ix] Voltaire a composé Alzire ou Les Américains (1736) et Piron Fernand Cortés, conquérant du Mexique (1744).
[x] Auteur de Pizarre, ou la conquête du Pérou (1802), Pixérécourt donne en effet en 1815 Christophe Colomb. Lemercier a déjà fait représenter en 1809 sa « comédie shakespearienne » Christophe Colomb.
[xi] Sur la relation entre drame romantique et Europe, voir la thèse de Franck Laurent Le territoire et l'océan. Europe et civilisation, espace et politique dans l'ouvre de Victor Hugo des Orientales au Rhin (1829-1845) et ses articles « Victor Hugo et l'Europe : la poétique des deux infinis » (Revue des Sciences humaines, n° 231) et « Le drame hugolien : « Un monde sans nation ? » » (in Le Drame romantique. Rencontres de dramaturgie du Havre. Actes du colloque, Editions des quatre-vents, 1999)
[xii] Musset, La Confession d'un enfant du siècle, Paris, Gallimard, «Folio classique », 1973, p. 24-25.
[xiii] L'assimilation du poète romantique à Christophe Colomb est explicitement faite au sujet de Lamartine par Théophile Gautier dans un article du Journal officiel (8 mars 1869) : « Ce volume fut un événement rare dans les siècles. Il contenait tout un monde nouveau, monde de poésie plus difficile à trouver peut-être qu'une Amérique ou une Atlantide. Lamartine surnageait sur des mers inconnues et il en revenait vainqueur comme Colomb : il avait découvert l'âme. » (article reproduit dans Souvenirs romantiques, recueillis par A. Boschot, Garnier, 1927, et cité in Lamartine, Choix de poèmes lyriques, présentés et annotés par Thérèse Van der Elst, Hatier, Paris, 1957, p. 7).
[xiv] Musset, Le Comte d'Essex, in Théâtre complet, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1990, p. 773. Comme le fait remarquer Simon Jeune, les quinze changements de décors que suppose ce drame (dont cinq pour le seul cinquième acte) permettent de supposer que le plan a été conçu par Musset dans sa jeunesse.
[xv] Dans Notre-Dame-de-Paris (I, III), Hugo évoque l' « esprit qui animait le père Du Breuil lorsqu'il écrivait dans le seizième ces paroles naïvement sublimes, dignes de tous les siècles : « Ie suis parisien de nation et parrhisian de parler, puisque parrhisia en grec signifie liberté de parler : de laquelle i'ai vsé mesme enuers messeigneurs les cardinaux, oncle et frère de monseigneur le prince de Conty : toutes fois auec respect de leur grandeur, et sans offenser personne de leur suitte, qui est beaucoup. » ».
[xvi] « Vive-Dieu ! nous avons pour le père avec joie
Usé plus d'un pourpoint de fer, et non de soie !
Marquis, allez au fils, montrez vos cheveux gris,
Et pour tout plaidoyer dites : Ventre-Saint-Gris ! » (Marion de Lorme, acte IV, scène première)
[xvii] Stendhal, op. cit., p. 41.
[xviii] Paris, Champion, 1998.
[xix] Thèse de doctorat, Paris III-Sorbonne nouvelle, 1994.
[xx] Victor Hugo, William Shakespeare, in Ouvres complètes : Critique, Robert Laffont, Paris, 1985, p. 283.
[xxi] Victor Hugo, William Shakespeare, in Ouvres complètes : Critique, Robert Laffont, Paris, 1985, p. 384.
[xxii] Le topos du roi victorieux est répété à satiété :
« Vive François
Vainqueur de l'Italie !.
Ce monarque par ses exploits
Est la gloire de la patrie » (acte I, scène IX)
[xxiii] Le choix initial date de 1518 (voir Alain Croix et Jean Quéniart, De la Renaissance à l'aube des Lumières, tome 2 de l'Histoire culturelle de la France, Seuil, Paris, 1997, p.117).
[xxiv] « On remarque de toutes parts des préparatifs pour une fête brillante » au second acte. A la dernière scène, une foule de personnages porte des flambeaux et le « château paraît illuminé ».
[xxv] Voir à ce sujet Roland Balmy d'Avricourt, « Le siècle de François Ier vu par les peintres de l'école romantique », Bulletin des musées de France, VIII, 1934, p. 168-170 ; Janet Cox-Rearick, « Imagining the renaissance : The Nineteenth Century Cult of Francis I as patron of Art », Renaissance Quaterly, L, 1997, p. 207-250 ; Catherine Arminjou, « François Ier : une légende pour les artistes du XIXe siècle », in De l'Italie à Chambord. François Ier et la chevauchée des princes, Paris, Samogy, 2004, p. 137-146 ; et Pierre-Gilles Girault, « L'image de François Ier des galeries royales aux Salons parisiens, 1610-1899 », in François Ier, images d'un roi, de l'histoire à la légende, P.-G. Girault, Paris, Samogy, 2006, p. 30-41.
[xxvi] D'après Le Constitutionnel (21 mars 1830).
[xxvii] « Le théâtre représente une galerie richement décorée » au premier acte. « Le théâtre représente les jardins du château, dont la façade occupe le fond de la scène » au second acte. Le bal organisé suggère l'atmosphère galante de la cour du vainqueur de Marignan.
[xxviii] Roederer, avant-propos, p. VIII.
[xxix] Roederer a fait construire un théâtre sur son domaine : il y fait représenter devant un public confidentiel des ouvres classiques, mais aussi ses propres productions dramatiques (Voir Thierry Lentz, Roederer, préface de Jean Tulard, Editions Serpenoises, 1989, p. 194.
[xxx] « On déclame cela comme du mélo ».
[xxxi] Voir l'article de Daniele Maira, « ''L'infâme crapule avec sa détestable escorte'' : la figure de François Ier dans l'ouvre de Roederer », à paraître dans les Actes du colloque « L'Historiographie romantique » (colloque tenu les 7 et 8 décembre 2006 à Paris XII).
[xxxii] Rappelons que le titre complet de l'ouvrage en deux tomes publié en 1825 par Roederer sur Louis XII et François Ier est Louis XII et François Ier, ou Mémoires pour servir à une nouvelle histoire de leur règne ; suivis d'appendices comprenant une discussion entre M. le comte Daru et l'auteur, concernant la réunion de la Bretagne à la France.
[xxxiii] Avant-propos, p. 309-313.
[xxxiv] Aubert de La Chesnaye Desbois, Dictionnaire historique des mours, usages et coutumes des François, Paris, Vincent, 1767, tome II, p. 232 (article « FRANOIS »).
[xxxv] Roederer, avant-propos, p. XI-XII.
[xxxvi] Roederer choisit un exemple qui dévalorise François Ier, car il suppose l'absence de scrupule du père, le roi faisant courir le bruit que la mort de son fils, le Dauphin, a été provoquée par un empoisonnement et faisant écarteler Montecuccoli en le sachant innocent : « Pour faire accuser l'Empereur et exciter contre lui la haine publique dans un moment où il était près d'envahir la France, et où le roi, tombé dans la désaffection de ses peuples, se trouvait dans une situation désespérée. Ruse de guerre : voilà tout ! » affirme le comte de Bossu à Le Peloux (scène première).
[xxxvii] Dans une note à la fin de la première scène du troisième acte : « Voir pour les détails de ce dernier voyage du roi, les Mémoires de Dubellay, Livre X, dont ces vers ne sont qu'un assez mauvais abrégé. » (Félix Arvers, Mes heures perdues, Slatkine Reprints, Genève, 1973 [Réimpression de l'édition de Paris, Fournier jeune, 1833], p. 258).
[xxxviii] Acte I, scène III, vers 345. « La dernière campagne / A fait monter bien haut le roi François premier » insiste Don Ruy Gomez (vers 348-349).
[xxxix] Le titre initial de la pièce est Le roi s'ennuie.
[xl] Au contraire du goût pour la boisson du soldat joué par le comte Almaviva dans Le Barbier de Séville : le seigneur profite de son apparence avinée pour tourner en dérision le nom de son hôte, Bartholo.
[xli] Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, Les Mémorables, Plon, 1985, p. 508.
[xlii] Anne Ubersfeld, op. cit., p.10.
[xliii] Si François Ier n'est pas dans Le roi s'amuse le fondateur ou zélateur des « bonnes lettres » évoqué par Amyot ou Pasquier, ce n'est pas non plus le protecteur des sciences dont parle le Dictionnaire historique d' Aubert de La Chesnaye Desbois en 1767. Alors que Marguerite de Navarre, sa sour, veut l'entourer de savants, le roi exprime à Triboulet l'absence d'intérêt qu'ils éveillent en lui : « Je m'en soucie autant qu'un poison d'une pomme » (acte I, scène IV, vers 214). La trivialité du langage a choqué, comme a pu choquer la vulgarité de la pensée exprimée.
[xliv] « Etre empereur, mon Dieu ! j'avais trop d'être roi !
Certe, il n'est qu'un mortel de race peu commune
Dont puisse s'élargir l'âme avec la fortune.
Mais, moi ! qui me fera grand ? qui sera ma loi ?
Qui me conseillera ? »
[xlv] Remarquons que la comédie-vaudeville en un acte Marguerite de Navarre et Clément Marot, de V. Lottin de Laval, représentée pour la première fois sur le Théâtre de l'Ambigu-Comique le 8 septembre 1832, comporte semblable évocation d'amours ancillaires, dans la bouche de Chicot, le bouffon : « au fait, ça s'est vu, une princesse aimer un valet ; car, après tout, un valet est un homme, disait toujours Mme d'Angoulême, la mère du roi, et la vieille dame sans doute, croyait fort au proverbe, car elle n'en prenait que de beaux et bien gaillards ?. » (scène V).
[xlvi] Les 5 et 6 juillet 1832, les funérailles du général Lamarque ont donné lieu à un soulèvement des républicains.
[xlvii] Cette interférence du contexte politique sur la réception du drame de Hugo est évidente lorsqu'on lit la presse de l'époque. Ainsi, Le Constitutionnel ne rend compte du Roi s'amuse que dans l'article assassin du 25 novembre 1832, alors que l'édition du mercredi 21 novembre 1832 est en partie consacrée à l'attentat contre Louis-Philippe.
[xlviii] Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, p. 506
[xlix] Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, p. 503. Lorsque Bocage veut démissionner deux jours après, Hugo lui rappelle : « Votre tort a été de ne pas me croire, je vous avais prévenu, François Ier est une figure de second plan, en outre c'est un rôle répandu sur toute la pièce, qui n'est pas concentré dans un seul acte, comme le Louis XIII de Marion » (ibid.).
[l] LA COMTESSE
Quel abîme caché sous les fleurs !
LE COMTE
Celui où s'engloutit la sagesse des femmes et l'honneur des hommes. La cour d'aujourd'hui n'est plus celle d'autrefois. Les vertus austères sont descendues dans le cercueil avec notre bien-aimé Louis-Douzième.
LA COMTESSE
Et vous croyez que notre sire François Ier, son successeur. Ah ! Monseigneur, qu'osez-vous penser ?»
(acte premier, premier tableau)
[li] Voir Anne Ubersfeld, Le Roi et le Bouffon. Etude sur le théâtre de Hugo de 1830 à 1839, José Corti, 2001, p. 183-184.
[lii] Acte IV, scène II.
[liii] Dans Marguerite de Navarre et Clément Marot (1832) de V. Lottin de Laval, Chicot évoque la censure imposée par François Ier : « il est si bon, si généreux, notre roi. Dire qu'il se contente de faire mettre à la Bastille des gens qui se permettent de penser ! d'exiler ceux qui disent que les impôts ruinent la France, et seulement de faire pendre les coquins d'esprits forts qui osent l'écrire.. Oh ! qu'il est généreux notre roi !. » (scène II).
[liv] Aussi demande-t-il à son frère qui se fait passer pour le comte de Santa Fiore deux faveurs : se marier et devenir soldat (acte I, scène X ).
[lv] Acte II, scène IV.
[lvi] La réaction de Peblo nous plonge en plein univers rabelaisien : « Dieu ! quel carnage de capuchons ! ».
[lvii] L' « Examen critique de Don Juan d'Autriche » par Prosper Poitevin prolonge l'éloge de François Ier, tout en le nuançant : « François Ier, qui a mérité le glorieux surnom du Père des lettres, ne fut certainement pas celui de la comédie ; car peu s'en faut qu'il ne l'ait étouffée au berceau. ».
[lviii] Comédie ou drame ? Le débat agite la presse dramatique.
[lix] Montjoie, envoyé du roi de France, vient récupérer les ouvres que François Ier a chargé André del Sarto d'acheter pour lui (acte III, scène II). Ce rôle a été supprimé dans la version scénique définitive, sans doute parce que la scène avait suscité le rire des spectateurs, se gaussant de la copie de la toile du Corrège portée sur la scène de la Comédie-Française en novembre 1848.
[lx] S'étant aperçu que dans la version initiale il avait évoqué la mort de Michel-Ange (décédé en 1564, trente-trois ans après Andrea del Sarto, mort en 1531), Musset a remplacé dans la version scénique Michel-Ange par Raphaël (mort en 1520) lorsque c'était nécessaire.
[lxi] A la scène VI de l'acte IV, Pierre tente en vain d'obtenir de Philippe Strozzi qu'il se rallie à François Ier : « Nous ne pouvons nous passer de vous ; sachez-le, les confédérés comptent sur votre nom. François Ier lui-même attend de vous un mouvement en faveur de la liberté. Il vous écrit comme au chef des républicains florentins ; voilà sa lettre. ». Philippe rejette l'offre, refusant de porter « les armes contre son pays ».
[lxii] « Jeune prince merveilleusement éduqué par sa mère, Roi Très Chrétien doté de toutes les vertus ou imperator invincible et tout-puissant, François Ier, dans l'attente de l'héritage puis dans la première partie de son règne, aura vécu - et avec lui le lecteur de ces pages - dans un perpétuel nuage d'encens. » (Anne-Marie Lecoq, op. cit., « Epilogue », p. 490).