Guy Rosa : «L'avenir arrivera-t-il?» - Les Misérables roman de l'histoire

Communication au Groupe Hugo du 20 mai 2006
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L’idée que je voudrais développer et prouver n’a rien que de fort simple : c’est que Les Misérables tirent de leur propre devenir historique celui qu’ils figurent, que le roman ne dit rien d’autre de l’histoire que ce qu’elle lui a fait à lui-même, qu’il trouve, si l’on préfère, dans l’histoire de son écriture la source et les moyens de son écriture de l’histoire. Ou, plus simplement, que Les Misérables, d’abord roman dramatique d’un destin et roman réaliste de l’actualité sociale sont devenus, du fait de leur histoire et en intégrant leur genèse à leur substance, un roman historique, plus exactement un roman de l’histoire.

Ce propos, quatre notes de Hugo pourraient le résumer, l’illustrer et le prouver. Il suffit pour les comprendre de se souvenir que Hugo n’écrit pas Les Misérables tout d’une traite comme il fait d’ordinaire, mais, exception unique dans sa carrière, en deux « campagnes de rédaction » séparées par une longue interruption de part et d’autre de la Révolution de 1848, du coup d’état et de l’exil : la première en 1845-1848, la seconde en 1860-62. Ajoutons qu’elles ne donnent pourtant pas lieu à deux versions distinctes, comme pour L’Education sentimentale de Flaubert, mais à l’achèvement et à la reprise du même manuscrit pour corrections et surtout pour additions.

La première date le retour au roman longtemps abandonné, d’abord intitulé Les Misères  et dont Hugo avait déjà modifié le titre :

 

25 avril [1860] .  J’ai tiré aujourd’hui les Misérables de la malle aux manuscrits[1].

 

La seconde, à la fin de la même année, enregistre sereinement ce qui a été fait et ce qui reste à faire pour combler l’écart entre le texte futur et l’ancien :

 

Aujourd’hui 30 décembre 1860, je me suis remis à écrire Les Misérables. Du 26 avril  au 12 mai, j’ai relu le manuscrit. Du 12 mai au 30 décembre, j’ai passé sept mois à pénétrer de méditation et de lumière l’œuvre entière présente à mon esprit, afin qu’il y ait unité absolue entre ce que j’ai écrit il y a douze ans et ce que je vais écrire aujourd’hui. Du reste  tout était solidement construit. Provisa res. Aujourd’hui, je reprends (pour ne plus la quitter j’espère) l’œuvre interrompue le 14 février 1848[2].

 

Le même jour, sur le manuscrit cette fois, en marge de la fin du dernier chapitre du livre 14 de la quatrième partie, Hugo ajoute après la date du 14 février [1848] :

 

Ici le pair de France, s’est interrompu, et le proscrit a continué. 30 décembre 1860 Guernesey[3]

 

Enfin, dans une lettre à son éditeur, Albert Lacroix, du 13 mars 1862, Hugo glisse ce paragraphe au milieu de recommandations diverses concernant la fabrication du livre en cours :

 

Vous reconnaîtrez, je crois, de plus en plus, la vérité de ce que je vous disais à Guernesey des Misérables : « Ce livre, c’est l’histoire mêlée au drame, c’est le siècle ; c’est un vaste miroir reflétant le genre humain pris sur le fait à un jour donné de sa vie immense[4]

 

 Admirons ce « du reste tout était solidement construit ».  Il n’efface pas les sept mois passés « à pénétrer de méditation et de lumière » le texte antérieur pour qu’il s’ajuste à son achèvement, concrètement à préparer et entreprendre les innombrables retouches et ajouts –par chapitres entiers- que révèle l’examen du manuscrit et qui se poursuivent jusqu’à la publication –voire au-delà. Il n’en fallait pas moins pour que l’histoire se mêle au drame et que le roman devienne le vaste miroir du siècle.

De fait, Les Misères de 1848 ne ressemblent que d’assez loin à nos Misérables et l’on s’explique que la seconde campagne d’écriture ait demandé à Hugo autant de travail, en tout cas de temps –deux ans environ-, que la première.

 

D’une part le récit est inachevé : la cinquième partie manque –le départ de Jean Valjean vers la barricade, l’essentiel du combat et tout ce qui suit : le sauvetage de Marius par les égouts, la fin de la poursuite du policier -Javert déraillé, le mariage de Marius, la solitude de Jean Valjean et sa mort. La rédaction s’est interrompue à hauteur du chapitre Buvard bavard seulement esquissé. Pourquoi s’être arrêté alors, à cet endroit, et si longtemps ? Le manuscrit, on vient de le voir, souligne la date de l’interruption –février 1848–, mais trop complaisamment peut-être : « le Pair de France... le proscrit », pour qu’on la croie tout à fait accidentelle devant les urgences de l’actualité. De là une énigme fascinante ; de là aussi la tentation de la résoudre par le contenu de ce chapitre Buvard Bavard où Jean Valjean a la révélation de l’amour de Cosette pour Marius et de sa propre jalousie :

 

 Aussi, quand il vit que c’était décidément fini, qu’elle lui échappait, qu’elle glissait de ses mains, qu’elle se dérobait, que c’était du nuage, que c’était de l’eau,  quand il eut devant les yeux cette évidence écrasante : un autre est le but de son cœur, un autre est le souhait de sa vie ; il y a le bien-aimé, je ne suis que le père ; je n’existe plus ; quand il ne put plus douter, quand il se dit : Elle s’en va hors de moi ! la douleur qu’il éprouva dépassa le possible. [...] Alors, [... ] il eut de la tête aux pieds un frémissement de révolte. Il sentit jusque dans la racine de ses cheveux l’immense réveil de l’égoïsme, et le moi hurla dans l’abîme de cet homme[5].

 

L’interruption s’expliquerait par l’effroi intérieur de Hugo devant l’impossible aveu d’une pulsion incestueuse[6]. On y reviendra. Notons déjà cependant que la rédaction du chapitre était préparée par plusieurs notes, -ce qui affaiblit le « blocage », qu’il faudrait rendre compte de sa durée –susceptible au contraire d’en accroître la violence- et surtout du moment et des voies de sa résolution.

D’autre part, apprécié à la publication du texte des Misères donnée par Gustave Simon[7], c’est un euphémisme de dire, avec Journet et Robert, auteurs d’une magistrale description du manuscrit des Misérables[8], que le récit de 1845-48  « offre un cours assez simple et presque linéaire au regard du texte définitif. »  Il ressemble à un résumé médiocre, à une adaptation pour la jeunesse[9] : narration plate, voix grêle et sèche au service d’une visée étonnamment conformiste, charitable et bien-pensante, passablement bondieusarde dans les deux premières parties, franchement conservatrice dans les deux suivantes. L’intrigue, dans ses grandes lignes, reste identique, les personnages, sous d’autres noms, se ressemblent, et le livre est méconnaissable. Réunir et analyser l’ensemble des corrections et surtout des ajouts –les suppression sont rares- par lesquelles Les Misérables sont devenus tels que nous les lisons, personne ne l’a osé. Moins sans doute en raison de leur nombre –plusieurs milliers- et de leur diversité d’amplitude –allant d’un mot à un livre entier- que de leur hétérogénéité littéraire : style, système des personnage, conduite de la narration, appartenance générique, tonalité, mode d’écriture, tout y passe sans qu’apparaisse une ligne directrice. L’angle d’attaque qu’offre la question de l’histoire est peut-être le bon.

Il permet d’abord d’ordonner assez aisément un grand nombre des modifications apportées au manuscrit sous les trois rubriques concentriques et gigognes du discours sur l’histoire, de la représentation de l’histoire et de l’inscription du rapport à l’histoire. Surtout, que la lumière dont Hugo pénètre, de 1860 à 1862, l’œuvre entière présente à son esprit soit celle de l’histoire, au moins est-ce plus que vraisemblable : depuis 1847, rien d’autre n’avait autant qu’elle changé la réalité du monde sous les yeux de Hugo, l’expérience qu’il en avait et les idées qu’il s’en formait, jusqu’à le mener sur un chemin de Damas politique conduisant à l’exil.

 

On réduit souvent l’apport de la seconde campagne d’écriture à ces grands discours où le narrateur cède la parole à l’auteur. Au moins est-ce le plus visible –et c’est lui que Hugo privilégie dans les listes qu’il dresse de choses à faire. Mais on a tort de subordonner ces textes à l’expression des idées philosophiques et politiques adoptées après l’exil et d’exagérer du même coup leur caractère digressif. Trois seulement ne comportent aucune référence à l’histoire et réécrivent sur le mode méditatif et lyrique l’épisode qui précède immédiatement : L’Onde et l’ombre, Christus nos liberavit, Choses de la nuit –encore les deux premiers sont-ils tendus vers un avenir qui verrait l’irruption de histoire rompre la permanence désespérante de la misère. Tous les autres contiennent une réflexion historique, plusieurs un récit d’histoire, qui les attache fortement au roman. Même le livre Parenthèse –celui de la Bonté absolue de la prière et de la fameuse définition de Dieu comme « moi de l’infini »- loin de profiter de la halte du héros dans un couvent pour plaquer une dissertation théologico-religieuse, tire de l’analogie observée par Jean Valjean entre le couvent et le bagne et de l’obsolescence manifeste des réunions conventuelles, non pas le moyen de distinguer entre ce qui relève de l’histoire –le couvent- et ce qui lui échappe –la prière-, mais au contraire d’inclure le spirituel et le religieux dans le progrès de l’humanité : le couvent, dont la grandeur fut d’avoir anticipé deux termes de la formule révolutionnaire, égalité et fraternité, est condamné par la troisième : « Oh ! que la liberté est grande ![10] » et la religion elle-même demande la fin des religions.

Le lien, ici discret, entre la réflexion historique et la critique du temps actuel –le Second Empire bondieusard et despotique- est manifeste partout ailleurs et explique la lecture politique de ces textes. Sans la justifier. Car le futur et le passé y sont en cause au moins autant que le présent, sans qu’on puisse discerner lequel détermine l’effort de la pensée vers les deux autres : si c’est l’inquiétude de l’avenir qui la reconduit vers les origines, la condamnation du temps présent qui lui fait trouver dans l’histoire des motifs tantôt de confiance et tantôt d’angoisse ou la remémoration qui guide à travers le temps la recherche d’un sens de l’histoire. Les trois sans doute ensemble dans une circularité à la fois rétrospective et prospective. Exemplaire est à cet égard la construction du livre des égouts, L’Intestin de Léviathan, dont les titres des chapitres se décalent savamment de leur objet : La Terre appauvrie par la mer célèbre l’utopie du recyclage des déchets qui rendrait une terre épuisée et vieillie « aussi jeune qu’au temps d’Abraham [11]» ; puis Histoire ancienne de l’égout, Bruneseau et Détails ignorés retracent les temps archaïques de l’égout et l’épopée, révolutionnaire et impériale, de leur exploration et du début de leur réfection ; Progrès actuel constate la régression de la modernité –« Aujourd’hui l’égout est propre, froid, droit, correct.[...] Il ressemble à un fournisseur devenu conseiller d’état.[...] La fange s’y comporte décemment.[...] L’égout actuel est un bel égout ; le style pur y règne ; le classique alexandrin rectiligne qui, chassé de la poésie, paraît s’être réfugié dans l’architecture, semble mêlé à toutes les pierres de cette longue voûte [12]Progrès futur revient à 1832 : « La voirie intestinale de Paris a été refaite à neuf et, comme nous l’avons dit, plus que décuplée depuis un quart de siècle. / Il y a trente ans, à l’époque de l’insurrection des 5 et 6 juin, c’était encore, dans beaucoup d’endroits, presque l’ancien égout[13]. »

Chacune de ces mal nommées digressions tend de la sorte à déborder son objet propre vers le passé et l’avenir ; leur ensemble, lui, trace avec précision une histoire complète du siècle en interrogeant au fur et à mesure les origines de chacun des moments de l’intrigue. Peu avant 1815, la rencontre de Mgr Myriel avec le Conventionnel G. couvre l’époque de la Révolution, et indirectement l’Ancien Régime ; au début de la seconde partie, dont les événements datent de 1823, le grand livre de Waterloo, le dernier rédigé, remonte au seuil de l’action et du dix-neuvième siècle ; il est soutenu et encadré en première partie par L’Année 1817 et, en seconde, par une analyse de la guerre d’Espagne, venant chacun à leur date dans l’action. Après la description du couvent, le livre Parenthèse, partant du moment où Jean Valjean et Cosette y entrent, en 1824, et de sa désaffection déjà sensible, parcourt toute l’histoire religieuse du Moyen Age jusqu’au présent et au futur.  Au début de la troisième partie, l’évocation du gamin relève d’une atmosphère 1830, légèrement en avance sur l’intrigue, et permet la figuration indirecte de la Révolution de Juillet ; mais l’omni-historicité du gamin et de son esprit de révolte conduit au grand éloge de Paris, ville-monde absorbant en elle toutes les métropoles antiques et modernes, ville-histoire orientée vers le progrès –« Le même éclair formidable va de la torche de Prométhée au brûle-gueule de Cambronne[14] »-, creuset donc de L’Avenir latent dans le peuple. Immédiatement après, le portrait de M. Gillenormand en 1831 permet un retour en arrière pour une analyse historico-idéologique précise de la Restauration, de ses ultras et des doctrinaires qu’elle partage avec la Monarchie de Juillet[15] ; renouant avec le cours de l’action au chant I de L’épopée rue Saint-Denis,  les quatre premiers chapitres du livre Quelques pages d’histoire, une fois reconnue la correction de la coupure de juillet 1830 –Bien coupé, critiquent les fondement du gouvernement de Louis-Philippe –Mal cousu- dont le portrait prend en charge tout le règne avant que soit examiné ce qui, venu du passé –le légitimisme- ou de l’avenir –le socialisme- le menaçait dès 1832 –Lézardes sous la fondation. Plus loin, le livre 7, L’Argot, reprend l’exploration des bas-fonds commencée aux deux premiers chapitres du livre 7 de la partie précédente –Les Mines et les mineurs- mais, comme déjà pour le couvent et le gamin, la réalité actuelle constatée, ici la typologie sociale et linguistique, ouvre son expression à l’angoisse de l’avenir –« O pauvre pensée des misérables ! Hélas ! personne ne viendra-t-il au secours de l’âme humaine dans cette ombre ?[16] »- et l’évolution même de l’argot, jadis plaintif, devenu au 18° siècle sardonique et endiablé, nourrit une méditation historique sur la moralité des révolutions (quel progrès contiendraient-elles si elles étaient elles-mêmes criminelles ?) qui conduit le dernier chapitre, Les deux devoirs : veiller et espérer, à conjurer la hantise d’une éternelle présence du passé : « Le passé, il est vrai, est très fort à l’heure où nous sommes. [...] Notre civilisation, oeuvre de vingt siècles, en est à la fois le monstre et le prodige [...] L’avenir arrivera-t-il ? il semble qu’on peut presque se faire cette question quand on voit tant d’ombres terribles. Sombre face à face des égoïstes et des misérables[17]. » Enfin, immédiatement avant le début du récit de la barricade, les deux chapitres La surface de la question et Le fond de la question trouvent dans la distinction entre les deux colères, l’émeute de l’insurrection, la justification de la seconde.

La cinquième partie, on l’a dit, date toute entière de l’exil et l’on ne peut à son sujet parler de seconde campagne de rédaction faute d’une première ; elle s’ajoute pourtant au texte de 1845-48 et les interventions de l’auteur s’apparentent aux précédentes qu’elles complètent. Ce sont, au début de la cinquième partie, le chapitre La Charybde du faubourg Saint-Antoine et la Scylla du faubourg du Temple qui, outrepassant l’époque de l’action, caractérisent l’insurrection de juin 48 à travers l’évocation de ses deux plus grandes barricades ; puis, immédiatement avant « l’agonie de la barricade », le chapitre Les mort ont raison et les vivants n’ont pas tort où le progrès lui-même est mis en discussion par cette passivité des peuples qui presque toujours condamne l’insurrection à l’échec, -en 1832, en 1851 implicitement et au-delà jusqu’à John Brown et Garibaldi- et ferme l’histoire à la pensée novatrice, à l’utopie, à l’avenir. La dernière digression enfin, on l’a vu, L’Intestin de Léviathan, reprend et totalise, en réduction et en image, toutes celles qui l’ont précédée en offrant une histoire générale de la modernité vue depuis l’égout, qui est « conscience de la ville[18] ».

Au total donc, une masse considérable de textes qui leste le roman d’une pensée de l’histoire totalement absente de sa première version. On pourrait en analyser le contenu pour lui-même et le confronter à d’autres formulations –aux derniers livres de William Shakespeare en particulier, Le Dix-neuvième siècle et L’Histoire réelle. Ce serait sortir des Misérables et une telle extraction du sens de la substance romanesque n’ayant pas réussi à Hugo lui-même pour la « Préface philosophique »  entreprise dans foulée de la révision du roman et demeurée inachevée, mieux vaut y renoncer. D’autant plus que cette abstraction défigurerait ces textes liés de plusieurs manières au reste du roman. Par le sens d’abord qu’ils lui donnent et en reçoivent en retour. Pour nous en tenir au livre de Waterloo, mais on en dirait autant de toutes les autres digressions, les étranges coïncidences qui signalent dans le destin de Jean Valjean une inversion de la carrière de Napoléon (naissance la même année, entrée au bagne « le jour où l’on cria dans Paris la victoire de Montenotte[19] », évasions calamiteuses concomitantes des triomphes, libération en 1815, cheminement par la route Napoléon du bagne à Digne et accueil contrasté par le même aubergiste de la Croix de Colbas et par Mgr Myriel, mort de ce dernier en 1821) appartiennent à la première version mais restent des curiosités énigmatiques tant que Waterloo n’a pas montré dans l’Empire une sorte de misère de l’histoire, dans sa catastrophe finale un progrès. Réciproquement, la simultanéité des 19 années de bagne de Jean Valjean avec les succès de l’Empereur suffit à indiquer leur contrepartie en souffrance et en asservissement, que Hugo n’évoque pas autrement mais qui est sous jacente à la réponse donnée à la question Faut-il trouver bon Waterloo ? Plus généralement, des démêlés de Mgr Myriel avec l’Empereur aux retrouvailles post mortem de Marius avec son père dans le culte de l’Empereur, en passant par le maraudage de Thénardier sur le champ de bataille et le bonapartisme de plus d’un personnage –Thénardier surtout mais Fauchelevent également et même Jean Valjean-,  une vaste thématique napoléonienne, historiquement exacte mais idéologiquement ambiguë, se distribue tout au long du roman[20] et s’éclaire dans Waterloo –non sans échos dans l’actualité car il ne dut pas être agréable au neveu de voir la gloire de l’oncle célébrée par sa défaite. Au-delà, celle-ci informe toute la problématique de l’histoire.

Le livre de Waterloo représente la bataille comme une défaite nécessaire : « Le 18 juin 1815, Robespierre à cheval fut désarçonné[21].» : entendons que la Révolution avait eu tort de monter à cheval et que le droit reprit une marche plus sûr une fois privé de sa force et marchant à pied –même si ce fut avec les jambes infirmes de Louis XVIII. Défaite apparente donc que 1815 : « L’avenir, raillé par l’Empereur, fit son entrée. Il avait sur le front cette étoile, Liberté[22]. » ; inversement, péripétie rétrograde que cette guerre d’Espagne victorieuse en 1823. Et  le cours du roman, ensuite, fait apparaître de la même manière comme tournants de l’histoire non pas les grandes dates commémorées, mais celles d’autres échecs où le passé semble l’emporter sur l’avenir : 1832 et non 1830 à peine évoqué, juin 48 et non février, entièrement éclipsé. C’est que les insurrections écrasées et les batailles perdues décantent le cours trouble de l’histoire et inventent l’avenir : la liberté se dégage en 1815 de l’absolutisme révolutionnaire, la République démocratique se dépouille en 1832 des oripeaux libéraux de la Monarchie constitutionnelle ; la République sociale, en juin 48, des illusions terroristes héritées de 93 en même temps que l’illusoire fraternité de l’égalité de droit. Les dates brillantes ne font que mettre le futur au présent en retournant en victoire l’apparente défaite antérieure : 1830 accomplit 1815, février 48 accomplit 1832 et l’avenir accomplira juin 48. Le vrai progrès s’opère au moment où l’idée qui contient l’avenir tout à la fois prend corps et avorte. Et cela se conçoit. Si, comme le veut Le fonds de la question, l’insurrection est une question posée au peuple et la révolution sa réponse, il faut bien un délai quelconque, même très bref, entre l’une et l’autre et la révolution doit commencer par l’échec de l’insurrection. Y a-t-il des questions sans réponse, des sacrifices inutiles ? Peut-être, de là l’angoisse de l’avenir qui va s’accentuant au fil des méditations sur l’histoire. Mais il n’y a pas de révolution sans insurrection sacrifiée, de février 48 sans juin 32, comme il n’y a pas de réponse sans question : il faut que la pensée perde son adéquation au réel, qu’elle meure, pour la retrouver dans une vérité ultérieure, nouvelle et supérieure. Cela, Hugo le dit dans Les morts ont raison et les vivants n’ont pas tort, mais Enjolras aussi : « Frères, qui meurt ici meurt dans le rayonnement de l’avenir[23] ». Et ce qu’ils disent, tous deux le font, l’un sur la barricade, l’autre dans le livre écrit en exil.

 

Car, outre la marque familière du style et des idées, des notations peu nombreuses et brèves mais intenses –tel, au beau milieu de la description des barricades de juin 48, le remarquable « Je me souviens d’un papillon blanc qui allait et venait dans la rue[24] »- donnent à l’auteur la présence, non d’une instance de l’écriture, mais d’une personne réelle et actuelle, comparable, fiction en moins, aux personnages. De sorte que la frontière s’efface entre le discours de l’un et ceux des autres, d’autant plus qu’il arrive à l’auteur de céder la parole à d’imaginaires contradicteurs. L’intervention du Conventionnel G. s’assimile d’emblée aux digressions qui suivent tant le personnage, créé à cette fin et sans autre emploi, apparaît comme le porte-parole, plus éloquent encore, de son auteur ; mais seule l’importance du personnage la distingue du discours d’Enjolras –Quel horizon on voit du haut de la barricade-, ou du monologue intérieur de Marius hésitant à rejoindre la barricade, voire des improvisations de Grantaire, d’une verve différente mais égale et de signification analogue –«  Une révolution, qu’est-ce que cela prouve ? Que Dieu est à court. Il fait un coup d’état parce qu’il y a solution de continuité entre le présent et l’avenir, et parce que, lui Dieu, il n’a pas pu joindre les deux bouts[25] ». De proche en proche et des tirades aux répliques brèves, toutes les voix s’enchaînent ainsi à celle de Hugo, les dissonantes –Gillenormand et même Thénardier- comme les harmoniques – Myriel, Gavroche : « Tu as tort d’insulter les révolutionnaires, mère Coin-de-la-borne. Ce pistolet-là, c’est dans ton intérêt. C’est pour que tu aies dans ta hotte plus de choses bonnes à manger[26]. » Ou encore tel insurgé :

 

Citoyens, faisons la protestation des cadavres. Montrons que, si le peuple abandonne les républicains, les républicains n’abandonnent pas le peuple.[...]

 On n’a jamais su le nom de l’homme qui avait parlé ainsi ; c’était quelque porte-blouse ignoré, un inconnu, un oublié, un passant héros, ce grand anonyme toujours mêlé aux crises humaines et aux genèses sociales qui, à un instant donné, dit d’une façon suprême le mot décisif, et qui s’évanouit dans les ténèbres après avoir représenté une minute, dans la lumière d’un éclair, le peuple et Dieu[27]

 

Autant dire un Victor Hugo.

L’écart n’est pas plus grand entre l’auteur et le narrateur : l’un est aussi prompt à commenter l’histoire que l’autre à repérer ses effets sous les signes les plus ténus et l’on serait en peine de dire lequel des deux, remarquant la mode qui donne des prénoms aristocratiques aux garçons bouviers et nomme les vicomtes Thomas, Pierre ou Jacques, conclut : « L’irrésistible pénétration du souffle nouveau est là comme en tout. Sous cette discordance apparente, il y a une chose grande et profonde, la révolution française[28]. » Ou, à propos de la « solitude de Mgr Bienvenu » : « Nous vivons dans une société sombre. Réussir, voilà l’enseignement qui tombe goutte à goutte de la corruption en surplomb./ Soit dit en passant, c’est une chose assez hideuse que le succès[29]. » Bref, de l’exposé abstrait prononcé en situation par un personnage à l’intervention flagrante du personnage-auteur Victor Hugo, figure historique lui-aussi[30], c’est tout un continuum d’excursus discursifs naturalisés par l’éventail des formes de leur assujettissement au récit. D’autant plus que les digressions y participent le plus souvent, abandonnant, parfois très longuement, le discours pour la narration : le passant errant sur la plaine de Waterloo au printemps de 1861 examine les vestiges du combat (2  chapitres) qu’il raconte ensuite (13 chapitres), médite sur son sens dans l’histoire (3 chapitres), puis « revient[31] » sur le champ de bataille la nuit pour y surprendre, parmi les détrousseurs de cadavres, Thénardier . Peu de chose, sinon la longueur, distingue le portrait de Louis-Philippe, attesté par un « témoin dont il nous est impossible de douter[32] », et celui de Louis XVIII croisé par Jean Valjean[33].

 

De toutes ces manières, et d’autres aussi sans doute, la pensée de l’histoire participe à sa figuration et s’y absorbe. Mais la représentation de l’histoire, proprement dite et prise au sens strict, connaît elle aussi, en 1860-62, un développement tel, si abondant et attentif, que de ce point de vue aussi il n’est pas inexact de dire que, durant l’exil, l’histoire vient au roman. Tel que Hugo l’abandonne au début de 1848, il se réduisait à ses personnages principaux : Myriel, Jean Valjean, Fantine, Cosette, les Thénardier –mais cantonnés à leur famille étriquée-, Marius, à peine moins fouillé et donc, proportionnellement beaucoup plus important, Javert. Le récit ne faisait guère autre chose que parcourir le cours de leur destin dans leur existence individuelle et privée : Myriel, l’hospitalité donnée, le double crime du vol et de l’agression sur Petit-Gervais, l’ascension de M. Madeleine, la descente de Fantine, l’affaire Champmathieu, l’adoption de Cosette, la fuite devant Javert, l’asile du couvent –mais non la mort symbolique qui permet à Jean Valjean d’y entrer-, les démêlés de Marius avec son grand-père, la découverte de son père, sa rencontre avec Cosette et aussi l’intrigue d’Eponine, le guet-apens de la masure Gorbeau, le dévouement de Gavroche. Le combat de la barricade n’était qu’esquissé, son principe était désapprouvé et ses protagonistes demeuraient quasiment anonymes. Bien plus, le seul scénario dont on dispose, très schématique et peut-être déjà corrigé dans l’esprit de Hugo mais c’est une hypothèse que rien n’autorise, disposait que le mariage de Marius et Cosette devait survenir en 1835, la mort de Jean Valjean l’année suivante, reléguant au statut de péripétie la barricade où Marius se fourvoyait au lieu d’y trouver, dans l’héroïsme, le droit de vivre. Bien loin donc de cette conflagration générale de la cinquième partie qui lance ensemble dans la mort tous les misérables, ceux de l’histoire, de la pauvreté et de l’amour, liquide Javert et n’ouvre qu’un avenir précaire à Thénardier, se faisant négrier au début de la guerre Sécession, et médiocre aux jeunes mariés, dans l’attente que d’autres, plus tard, relancent l’histoire et le Progrès.

L’exil invente donc une bonne part de la substance sociale du livre et toute sa substance historique : les limites politiques -et non philosophiques[34]- à la sainteté de Myriel, montrées en particulier dans la rencontre du Conventionnel ; l’énigme de Mabeuf –mouton effaré devenant sur la barricade, par une méprise profonde, l’égal du Conventionnel G. ; presque tout le personnel de l’épisode du couvent, la mère supérieure, Gribier ; Fauchelevent pour une bonne part ; le monde gravitant autour de Thénardier promu chef du troisième dessous parisien : les bandits de Patron-Minette, la Magnon et ses prétendus enfants devenus frères de Gavroche ; la doublure dérisoire de Marius auprès de Gillenormand, Théodule ; Gillenormand lui-même, simple caractère d’original et non indice de la rémanence de l’esprit Régence chez les ultras de la Restauration ; plusieurs de ces vieilles femmes dont on ne manque jamais ; quantité de comparses. Surtout, enfin, les jeunes gens républicains, aux idées différentes pour chacun, résumé précis de toutes les formes du progressisme du temps dont la nécessaire convergence s’inscrit concrètement dans le groupe qu’ils forment et symboliquement dans son nom des « Amis de l’ABC », et qui entrent en antithèse morale, mais historique aussi la jeunesse de 1817 n’étant pas celle de 1830, avec le quatuor animé par Tholomyès escorté des grisettes amies de Fantine.

Cet ajout-ci est évidemment décisif puisqu’il détermine la nature et la portée de l’épisode de la barricade, lui-même considérablement amplifié, réorienté par les digressions –on l’a signalé, on y reviendra- et mis en symétrie avec Waterloo[35]. Seul événement de la fiction donné pour historique, et devant l’être par sa date, mais n’ayant pour acteurs que des personnages fictifs, la barricade apparaissait comme une aberration historique –ce qui était voulu par le Hugo de 1847- mais risquait aussi de sombrer dans l’insignifiance d’un combat d’opérette, si la faiblesse de la représentation des jeunes insurgés s’ajoutait à la démotivation, voire la contre-motivation, des autres participants : Mabeuf, Gavroche, Marius, Eponine et Jean Valjean. On s’explique que la construction de ce groupe ajoute pratiquement tout le livre Les amis de l’ABC et qu’elle ait été la tâche sur laquelle les notes préparatoires de Hugo reviennent avec le plus d’insistance en 1860-61 : « Approfondir les jeunes gens républicains », « ajouter Prouvaire – revoir toute l’insurrection et la barricade au point de vue du groupe mieux expliqué », « relever les jeunes gens les honorer non bonapartistes républicains », « Revoir toute la barricade au point de vue des caractères des jeunes gens mieux indiqués »[36]. Mais les autres ajouts au personnel romanesque ou à leur caractérisation, moins étendus mais très nombreux,  concourent tous de la même manière à l’épaisseur historique du texte.

Gavroche, reconnaissable sur le tableau de Delacroix, était une figure datée de la révolution de Juillet, à laquelle, pour la première fois, des très jeunes adolescents avaient pris part au grand étonnement, souvent scandalisé, des contemporains. Les Misérables ne lui ôtent pas cette actualité et parfois l’accentuent par toutes sortes de détails, mais, à partir du chapitre Un peu d’histoire, le livre digressif Paris étudié dans son atome charge explicitement le personnage, et sa présence sur la barricade, de tout le poids d’histoire qui devait en faire un mythe en convoquant une avalanche de références progressivement plus lointaines : le mot gamin imprimé pour la première fois dans Claude Gueux en 1834, les exécutions capitales de la Monarchie de Juillet et de la Restauration, la poire griffonnée sur les murs et le « mot charmant du dernier roi », Poquelin, Beaumarchais, Camille Desmoulins, toute « la vieille âme de la Gaule » et jusqu’au graeculus de Rome[37]. Idéalisation corrigée par l’ajout du personnage de Montparnasse, « le gamin tourné voyou, et le voyou devenu escarpe[38] » qui concrétise l’avenir probable de Gavroche. Il n’y échappe que par une mort à laquelle la seconde rédaction donne sens et nécessité dans l’invention sublime du « Colle-toi ça dans le fusil », lancé par Gavroche nourrissant les deux gamins recueillis dans l’éléphant de la Bastille, entre temps devenus ses frères,  répété par l’aîné pour son cadet lorsqu’il lui donne la brioche soustraite à l’appétit des cygnes du jardin du Luxembourg, et devenu littéral dans le ramassage des munitions sur les cadavres devant la barricade. De manière moins brillante mais aussi pertinente, la présence d’un assignat vendéen dans le logement du jardinier du couvent, détail étrange dans la première rédaction,  prend sa valeur  lorsque, en seconde rédaction, la mère supérieure, traditionaliste et rebelle aux lois civiles impies, entraîne tout son couvent dans une action de résistance clandestine équivalente, toutes choses égales d’ailleurs, à celles menées, pendant la Révolution autour des prêtres réfractaires. Le remplacement en 1823 du père Mestienne, sans doute paysan reconverti en fossoyeur comme son ami Fauchelevent, par l’inénarrable Gribier, qui est allé au collège jusqu’en 4° et fait le bel esprit, vaut indice de tout un changement d’époque. De même pour Théodule, marionnette militaire moderne, virtuellement fort inquiétante, face au brave Pontmercy.

Au-delà encore vers l’infiniment petit, Hugo met un soin spectaculaire à truffer son texte de références historiques. Beaucoup servent à compléter la caractérisation d’un personnage et à en étendre la signification. Hugo se plait au pastiche pour faire parler sa langue à Gillenormand mais plie aussi la sienne à l’âge de Fauchelevent, qui appartient à « cette espèce que le vocabulaire impertinent et léger du dernier siècle qualifiait : demi-bourgeois, demi-manant ; et que les métaphores tombant du château sur la chaumière étiquetaient dans le casier de la roture : un peu rustre, un peu citadin ; poivre et sel [39]». L’âme aimante de Mme Thénardier s’est incendiée des romans du temps de sa jeunesse,  le Thénardier a fortifié la sienne de lectures solides : « Il y avait des noms qu’il prononçait souvent, pour appuyer les choses quelconques qu’il disait, Voltaire, Raynal, Parny, et, chose bizarre, saint Augustin. [...] Il était libéral, classique et bonapartiste. Il avait souscrit pour le champ d’Asile[40] » et l’on voit traîner au bouge Jondrette un « vieux volume rougeâtre » dont la couverture porte « Dieu, le Roi, l’Honneur et les Dames, par Ducray-Duminil. 1814 [41]».

On pourrait multiplier les exemples et en tirer d’autres non plus de la qualification des personnages et de leurs mœurs mais de celle des lieux –ou plutôt de ceux-là par ceux-ci. « Cette sainte maison, ajoute Hugo, pendant l’exil, à propos du couvent, avait été bâtie précisément sur l’emplacement d’un jeu de paume fameux du quatorzième au seizième siècle qu’on appelait tripot des onze mille diables[42]. » Plaisanterie potache et anticléricale sans doute, mais il y a du progrès dans cette reconversion : une fois au couvent Jean Valjean y reconnaît son bagne –en mieux. Rentée par Gillenormand pour ses prétendus bâtards, la Magnon demeure « quai des Célestins, à l’angle de cette antique rue du Petit-Musc qui a fait ce qu’elle a pu pour changer en bonne odeur sa mauvaise renommée [43]» : tant bien que mal la Magnon y parvient aussi.   

Il arrive même que cette saturation historiciste du texte n’aille pas sans une apparente gratuité. Une analogie surprenante, sinon saugrenue, qualifie les dispositions maternelles de la tortionnaire de Cosette : « Comme la maréchale de La Motte-Houdancourt, la Thénardier n’était mère que jusqu’à ses filles[45]. » Le coeur féminin n’explique l’accueil réticent de Fantine à l’hôpital de Montreuil-sur-Mer qu’illustré par toute l’histoire du Moyen Age à l’antiquité :

 

Les sœurs n’avaient d’abord reçu et soigné « cette fille » qu’avec répugnance. Qui a vu les bas-reliefs de Reims se souvient du gonflement de la lèvre inférieure des vierges sages regardant les vierges folles. Cet antique mépris des vestales pour les ambubaïes est un des profonds instincts de la dignité féminine ; les sœurs l’avaient éprouvé avec le redoublement qu’ajoute la religion[46]

 

Pire. Hugo semble s’offrir volontairement à la parodie lorsqu’ayant déjà comparé, en première version, les erreurs de Javert dans la poursuite de Jean Valjean à celles de Napoléon – « Il est certain que Napoléon fit des fautes dans la guerre de Russie, ... »-, il  complète par une vraie litanie : «... qu’Alexandre fit des fautes dans la guerre de l’Inde, que César fit des fautes dans la guerre d’Afrique, que Cyrus fit des fautes dans la guerre de Scythie, et que Javert fit des fautes dans cette campagne contre Jean Valjean. » Bien plus, le paragraphe fini,  il y revient :

 

Les grands stratégistes ont leurs éclipses.

Les fortes sottises sont souvent faites, comme les grosses cordes, d’une multitude de brins. [...] tordez-les ensemble, c’est une énormité ; c’est Attila qui hésite entre Marcien à l’Orient et Valentinien à l’Occident ; c’est Annibal qui s’attarde à Capoue ; c’est Danton qui s’endort à Arcis-sur-Aube[47]

 

L’énormité tissée de petites ficelles est-elle ici du côté de Hugo ? ce n’est pas sûr. Le procédé, trop manifestement épique pour être pris au sérieux, grandit moins l’inspecteur de police qu’il ne ramène les conquérants mémorables à de justes proportions ; surtout, il prononce l’appartenance à l’histoire de toutes les conduites humaines jusqu’aux imperceptibles. La fiction le fait aussi lorsqu’elle promeut Fauchelevent à une notoriété telle qu’elle parvient à Rome et que son nom est connu du pape Léon XII. Le groupe des amis de l’ABC a failli devenir historique, Fauchelevent l’est devenu. Cette historicité de l’infime, principe d’une accession du romanesque à l’historique fondée non sur le typique mais sur le caractéristique, qui s’affiche dans le titre Paris étudié dans son atomeL’Année 1817 la pratique jusqu’à la provocation. Sa conclusion en livre la doctrine, et sa clausule met en oeuvre sa capacité d’annexion de la fiction à l’histoire :

 

Voilà, pêle-mêle, ce qui surnage confusément de l’année 1817, oubliée aujourd’hui. L’histoire néglige presque toutes ces particularités, et ne peut faire autrement ; l’infini l’envahirait. Pourtant ces détails, qu’on appelle à tort petits, -il n’y a ni petits faits dans l’humanité, ni petites feuilles dans la végétation, - sont utiles. C’est de la physionomie des années que se compose la figure des siècles.  En cette année 1817, quatre jeunes parisiens firent « une bonne farce »[48]. »

 

Ce qui ne signifie pas que le droit des faits à la représentation serait en proportion inverse de leur importance historique intrinsèque –paradoxe absurde-, mais qu’il est mesuré par leur présence réelle au regard ou à la mémoire du temps présent et d’autant plus grand que la rétrospection doit triompher de l’éloignement et de l’oubli : « Voilà ce qui surnage confusément de l’année 1817, oubliée aujourd’hui. » La gloire de Fauchelevent ne perce qu’au terme d’un improbable parcours jusqu’à l’auteur –« la prieure conta la chose à sa grandeur [...]. L’archevêque [...] en parla [...] à M. de Latil confesseur de Monsieur.  [...] Nous avons eu sous les yeux un billet un billet adressé par le pape régnant alors [...][49] » mais lui-même n’en recueille aucun écho : « Rien de tout ce triomphe ne parvint à Fauchelevent[50] ». Le groupe des amis de l’ABC entre dans le roman non parce qu’il a été historique mais parce qu’il a failli le devenir et que son souvenir s’est perdu : « Ce groupe était remarquable. Il s’est évanoui dans les profondeurs invisibles qui sont derrière nous. » Bien plus, le récit lui-même n’aura pas pour objet de jeter sur lui une fausse lumière mais de reconduire son image à l’obscurcissement : « Au point de ce drame où nous sommes parvenus, il n’est pas inutile peut-être de diriger un rayon de clarté sur ces jeunes têtes avant que le lecteur les voie s’enfoncer dans l’ombre d’une aventure tragique[51]. »

Plus tard, dans L'Homme qui rit (II, 8, 3), Hugo théorise ce paradoxe -le même qui affecte l'accessibilité de la misère à la représentatrion :

 

Montrer l’intérieur de la chambre des lords d’autrefois, c’est montrer de l’inconnu. L’histoire, c’est la nuit. En histoire il n’y a pas de second plan. La décroissance et l’obscurité s’emparent immédiatement de tout ce qui n’est plus sur le devant du théâtre. Décor enlevé, effacement, oubli. Le Passé a un synonyme : l’Ignoré.

 

Etrange historien, mais Hugo n’en disconvient pas au contraire, qui au lieu d’affirmer la réalité, passée mais incontestable, de son objet, son accessibilité à l’intelligence et d’effacer par les outils de la connaissance la durée qui l’en sépare, bref qui, au lieu de ressusciter le passé, pose son éloignement, son opacité, son oubli comme la condition voire comme la matière de sa représentation. Tel est pourtant le geste qui préside à la seconde campagne de rédaction : la dimension historique qu’elle donne aux Misérables ne consiste pas dans l’ajout d’une couche d’histoire, l’historien prenant de temps à autre la parole au romancier, mais procède de l’instauration d’un rapport à l’histoire –troisième niveau englobant les deux autres et qui dans la genèse du texte les a sans doute déterminés.

 

Lorsqu’il revient en 1860 sur le livre inachevé, Victor Hugo, au lieu d’en prendre rapidement une connaissance suffisante pour en écrire la fin, le relit attentivement, l’examine longuement. Démarche courageuse car c’était consentir d’avance à d’importantes corrections[52], coup de génie parce que c’était s’obliger à adopter un double point de vue littéraire –celui du lecteur s’ajoutant à celui de l’auteur- et chronologique –celui des années 40 et celui des années 60. Entre eux, l’écart politico-idéologique était considérable et ne pouvait être aisément effacé sans réduire l’un ou l’autre au silence, l’écart historique plus grand encore. Douze ans séparent séparent la fin de l’action des Misères, si on la fixe à 1833 (neuf s’il faut la placer en 1836), du début de leur rédaction, plus du double (voire le triple), 27, pour Les Misérables. Ou encore : le centre chronologique de la fiction (1824) est éloigné de 21 ans du début de la rédaction des Misères et de 38 du début de reprise des Misérables. 21 ans, c’est la distance entre nous et la nomination de J. Chirac comme premier ministre de François Mitterrand : c’était hier ; 38 nous renvoie à 1968 : c’est déjà de l’histoire. Encore, pour nous, la même 5° République couvre-t-elle toute la période ; en 1845-48, Victor Hugo est sujet du Roi attaqué par Enjolras et ses amis ; en 1860, la France, depuis, avait changé deux fois de régime, connu une révolution, un coup d’état militaire et « la plus grande guerre de rue qu’ait vue l’histoire[53] ».

Cet éloignement qui enfonçait l’action du roman dans l’histoire, rien n’empêchait Hugo de n’en tenir aucun compte. Le plus souvent, dans le roman, nous ignorons la durée qui sépare le moment de l’énonciation de celui de l’énoncé ; soit sa brièveté l’annule et atteste la véracité du témoignage dans le roman d’actualité sociale ; soit, dans le roman historique, une durée réputée considérable mais indéfinie éloigne les événements de la connaissance qui en est prise, la même, quel que soit le nombre des années, qu’il s’agisse d’Hannibal ou de Louis XIV. Flaubert construit l’originalité de son oeuvre et l’effacement du point de vue du narrateur sur le chassé-croisé entre l’un et l’autre, représentant Carthage comme si c’était la veille et que les Clinabares, familiers du lecteur, se passaient d’explication, et Yonville comme une province exotique –de là le choc du « il vient de recevoir la croix d’honneur » qui passerait inaperçu chez Balzac. Hugo avait le choix de maintenir la quasi-contemporanéité de la narration initiale à son objet –« En 1825, il y avait (et il y a peut-être encore) rue Neuve-Sainte-Geneviève, un couvent de bénédictines »- ou de blanchir la distance, indifférente aux yeux de l’historien, qui l’en avait séparé –« En 1825, il y avait rue Neuve-Sainte-Geneviève un couvent de bénédictines » ; il ne fait ni l’un ni l’autre. Au lieu d’annuler d’une de ces deux manières ou de l’autre la variation de l’écart qui le sépare de son texte et de sa référence fictive, il l’expose et, son roman étant devenu lui-même, sous ses yeux, une chose de l’histoire sans qu’il ait cessé d’en être contemporain puisque c’est bien lui qui l’a écrit, il en prend acte et l’énonce : « Rien ne ressemblait plus, il y a un demi-siècle, à la première porte cochère venue que la porte cochère du numéro 62 de la petite rue Picpus[54]. » En un mot, Hugo inscrit son rapport à son propre texte dans le rapport du narrateur-auteur à la fiction de telle sorte que le lecteur puisse lire Les Misérables  comme lui-même lit Les Misères : comme un témoignage porté sur un monde disparu. Les Misérables seraient des mémoires si ce n’était une fiction[55].

Cela passe par une triple transformation : du discours, de la narration et de leur rapport. L’historicité de l’action, venue avec le temps, autorise, voire exige, que l’intrigue soit placée dans un cadre plus vaste ; l’actualité du narrateur-auteur le demande également et en fournit le moyen ; de là les « digressions » où l’auteur, prenant la parole en son nom propre, non seulement commente « l’histoire mélancolique de Jean Valjean », mais déborde, on l’a vu, le destin de ses personnages, en amont jusqu’à l’origine historique de leurs tribulations –Waterloo et la Révolution-, en aval jusqu’au temps de l’écriture et au-delà. Avec cette halte sur juin 48, violemment transgressive des habitudes de l’écriture romanesque. Quant à la narration, outre les ajouts qui l’inclinent vers une représentation de l’histoire, elle subit une modification de son point de vue qui épouse celle que l’histoire a imprimée au regard de l’auteur. Vue de plus loin, la référence fictive est reculée dans le passée ; vue d’un présent qui ne se confond plus avec elle, elle se double d’une référence seconde, actuelle, mais que la mobilité induite par la durée qui l’a suscitée rend nécessairement précaire : cela était qui tantôt n’est plus et tantôt subsiste, mais ne durera peut-être pas non plus. De là une spectaculaire série d’additions ou de corrections, qu’on classe pour la clarté mais qui jouent ensemble et dont la lecture sur le manuscrit ne va pas sans quelque émotion parce qu’on y voit passer le temps et naître Les Misérables.

 

Les plus remarquables tiennent à la mise en scène de l’auteur, signataire daté de son texte et lui-même devenu personnage historique. Toutes les digressions y procèdent par leur seule présence. Souvent elles le font par allusion : « La solution de tout par le suffrage universel étant un fait absolument moderne, et toute l’histoire antérieure à ce fait étant, depuis quatre mille ans, remplie du droit violé et de la souffrance des peuples, chaque époque de l’histoire apporte avec elle la protestation qui lui est possible. Sous les Césars, il n’y avait pas d’insurrection, mais il y avait Juvénal. / Le facit indignatio  remplace les Gracques[56] .» Parfois c’est explicitement. Ainsi aux premières lignes de Waterloo : « L’an dernier (1861), par une belle matinée de mai, un passant, celui qui raconte cette histoire, arrivait de Nivelles et se dirigeait vers La Hulpe. Il allait à pied[57].» Notons la date, loin de l’effet de brouillage de la pratique romanesque courante - « Vers le commencement de cet hiver... » au dernier chapitre de L’Education sentimentale- qui fait coïncider imaginairement le moment de l’action et celui de la lecture, elle achève la mise en perspective en creusant ici un nouvel écart, non plus entre l’épisode et l’écriture seulement, mais entre l’écriture et la lecture. Ecart destiné à s’accroître avec le temps. Si bien que le procédé n’est pas substantiellement différent de celui qui en conclusion du portrait de Louis-Philippe, au lieu de fixer l’auteur dans le présent, le relègue dans le disparu :

 

Louis-Philippe ayant été apprécié sévèrement par les uns, durement peut-être par les autres, il est tout simple qu’un homme, fantôme lui-même aujourd’hui, qui a connu ce roi, vienne déposer pour lui devant l’histoire ; [...] une épitaphe écrite par un mort est sincère ; une ombre peut consoler une autre ombre ; [...] et il est peu à craindre qu’on dise jamais de deux tombeaux dans l’exil : Celui-ci a flatté l’autre[58]

 

Rien d’étonnant donc si la figure de l’auteur perce parfois le tissu narratif non du côté de l’actuel mais du passé. Ainsi dans l’évocation, au présent, de la banlieue, territoire frontalier du gamin :

 

Celui qui écrit ces lignes a été longtemps rôdeur de barrières à Paris, et c’est pour lui une source de souvenirs profonds. [...] Quiconque a erré comme nous dans ces solitudes contiguës à nos faubourgs qu’on pourrait nommer les limbes de Paris, y a entrevu çà et là, à l’endroit le plus abandonné, [...] des enfants [...] qui jouent à la pigoche couronnés de bleuets[59]

 

 Une remémoration analogue, interrompant le récit de la traque de Jean Valjean par Javert à travers les rues de Paris, est donnée en excuse de l’inexactitude topographique probable –mais en gage d’authenticité morale, Hugo sachant de quoi il parle en matière de fuite devant la police et recherche d’un asile :

 

Voilà bien des années déjà que l’auteur de ce livre, forcé, à regret, de parler de lui, est absent de Paris. Depuis qu’il l’a quitté, Paris s’est transformé. Une ville nouvelle a surgi qui lui est en quelque sorte inconnue.[...] Tous ces lieux qu’on ne voit plus, qu’on ne reverra jamais peut-être, et dont on a gardé l’image, prennent un charme douloureux, vous reviennent avec la mélancolie d’une apparition, [...] et sont, pour ainsi dire, la forme même de la France ; et on les aime et on les évoque tels qu’ils sont, tels qu’ils étaient, et l’on s’y obstine, et l’on n’y veut rien changer, car on tient à la figure de la patrie comme au visage de sa mère.

Qu’il nous soit donc permis de parler du passé au présent[60]

 

Permission volontiers accordée : les transformations de Paris n’ont pas pris fin en 1862 et l’expérience du lecteur, même s’il ignore tout de la double rédaction du texte, le place face aux Misérables dans la position qui est celle de Hugo en 1860 face aux Misères :  lisant le texte déjà lointain d’un monde presque effacé.

 

Dans la narration elle-même tout un éventail de corrections et d’ajouts opère le recul de l’action dans le passé sous un regard actuel. Souvent Hugo se contente d’enregistrer la quinzaine d’années écoulées depuis l’interruption du manuscrit –à quoi, rappelons-le, rien ne l’obligeait. Battemolle s’était évadé « il y a quelques années » ; il corrige : « il y a une vingtaine d’années[61] ». Pour l’air Ma Zétulbé, viens régner sur mon âme qui charme les pensionnaires du couvent en 1824, il ajoute : « un air aujourd’hui bien lointain[62] ». Le passage de Jean Valjean devant être indiqué à Javert par le caissier du péage du pont d’Austerlitz, il précise, vrai ou faux, « le péage y existait encore à cette époque[63] ». Mot qui revient souvent. Du jardin de la rue Plumet, Hugo avait écrit :

 

Ce jardin ainsi livré à lui-même depuis tant d’années était devenu extraordinaire et charmant. Celui qui écrit ces lignes s’est souvent arrêté dans cette rue pour le contempler [...]. Il a bien des fois laissé ses yeux et sa pensée pénétrer [...]

 

il corrige, sans prendre garde que l’espace de temps entre l’abandon du jardin et le moment où les passants le voient n’a, lui, pas changé et qu’à ce compte il aurait cessé d’être entretenu en 1772 :

Ce jardin ainsi livré à lui-même depuis plus d’un demi-siècle était devenu extraordinaire et charmant. Les passants d’il y a quarante ans s’arrêtaient dans cette rue pour le contempler.[...] Plus d’un songeur à cette époque a laissé bien des fois ses yeux et sa pensée [...][64]

 

Le cimetière Vaugirard était en cours de désaffection en 1824 ; Hugo fait dire sa fermeture prochaine à Fauchelevent, lui apporte confirmation en précisant la date –1830- et développe les usages disparus –« Les portes des cimetières de Paris se fermaient à cette époque au coucher du soleil[65] »- avant d’en profiter pour glisser un bref historique des cimetières parisiens. A défaut de chronologie explicite, les choses et les moeurs disent la durée qui sépare la narration de son objet. Si grande qu’elle a tout effacé de la maison de Gillenormand, murs et emplacement :

 

Cette maison a été démolie et rebâtie depuis, et le chiffre en a probablement changé dans ces révolutions de numérotage que subissent les rues de Paris[66] ». Parfois cela ne va pas sans allusion ironique au temps présent : « Il faut se souvenir qu’à cette époque la police n’était pas précisément à son aise ; la presse libre la gênait. Quelques arrestations arbitraires, dénoncées par les journaux, avaient retenti jusqu’aux chambres[67][...]. »

 

A plusieurs reprises d’autres mémoires relaient celle de l’auteur. Il n’est pas le seul à se souvenir du vieux Paris :

 

L’état des lieux que nous dressons ici est d’une rigoureuse exactitude et éveillera certainement un souvenir très précis dans l’esprit des anciens habitants du quartier[68]

 

Ceux d’un autre autorisent le portrait de M. Gillenormand :

 

Rue Boucherat, rue de Normandie et rue de Saintonge, il existe encore quelques anciens habitants qui ont gardé le souvenir d’un bonhomme appelé M. Gillenormand[69]

 

Mais la mémoire, conscience du temps, mesure aussi ce qu’il construit et, selon un schéma qui détermine plus généralement tout le fonctionnement idéologique du livre, la remémoration déclenche la constatation du progrès :

 

Ce bonhomme était vieux quand ils étaient jeunes. Cette silhouette, pour ceux qui regardent mélancoliquement de vague fourmillement d’ombres qu’on nomme le passé, n’a pas encore tout à fait disparu du labyrinthe des rues voisines du Temple auxquelles, sous Louis XIV, on a attaché les noms de toutes les provinces de France, absolument comme on a donné de nos jours aux rues du nouveau quartier Tivoli les noms de toutes les capitales de l’Europe ; progression, soit dit en passant, où est visible le progrès[70]. »

 

Signe de la profondeur de son enracinement dans le texte, ce mécanisme peut s’emparer du moindre prétexte : « On se souvient de la grande épidémie de croup qui désola, il y a trente-cinq ans, les quartiers riverains de la Seine à Paris, et dont la science profita pour expérimenter sur une grande échelle l’efficacité des insufflations d’alun, si utilement remplacées aujourd’hui par la teinture externe d’iode[71]. »

Datation, accentuation de l’éloignement, effacement, surcharge historique, mémoire, progrès –et même rature sur le manuscrit : un long ajout réunit exemplairement tous les aspects de la mise en perspective de la première rédaction par la seconde. Poursuivi par Javert, Jean Valjean, la Seine franchie, s’arrête.

 

Le point de Paris où se trouvait Jean Valjean, situé entre le faubourg Saint-Antoine et la Râpée, est un de ceux qu’ont transformés de fond en comble les travaux récents [...]. Les cultures, les chantiers et les vieilles bâtisses se sont effacés. Il y a aujourd’hui de grandes rues toutes neuves [...]des embarcadères, des chemins de fer, une prison Mazas ; le progrès, comme on voit, avec son correctif.

Il y a un demi-siècle, [...] l’endroit précis où était parvenu Jean Valjean s’appelait le Petit- Picpus. La porte Saint-Jacques, [...] la barrière des Sergents, les Porcherons, [...] le Petit-Picpus, ce sont les noms du vieux Paris surnageant dans le nouveau. La mémoire du peuple flotte sur ces épaves du passé.

Le Petit-Picpus, qui du reste a existé à peine et n’a jamais été qu’une ébauche de quartier, avait presque l’aspect monacal d’une ville espagnole. Les chemins étaient peu pavés, les rues étaient peu bâties. [...]

Tel était ce quartier au dernier siècle [!]. La révolution l’avait déjà fort rabroué. L’édilité républicaine l’avait démoli, percé, troué. Des dépôts de gravats y avaient été établis. Il y a trente ans, ce quartier disparaissait sous la rature des constructions nouvelles. Aujourd’hui, il est biffé tout à fait[72]. »

 

Faut-il ajouter que le Petit-Picpus concentre d’autant mieux l’histoire de Paris, l’expérience qu’en a Hugo et la nôtre aussi qu’il a « existé à peine » -ou plutôt pas du tout.

Tous les endroits de la narration ne subissent pas pareil traitement. Deux en sont particulièrement affectés : la masure Gorbeau et le couvent à l’évocation duquel prélude celle du Petit-Picpus. D’une part, procédure radicale et exceptionnelle, les deux descriptions, primitivement écrites au présent, passent aux temps du passé : non plus « Le promeneur solitaire qui s’aventure dans les pays perdus de la Salpêtrière [...]. C’est le vieux quartier du Marché-aux-Chevaux. [...] Ce promeneur s’il se risque au-delà des quatre murs caducs...» mais « Il y a quarante ans, le promeneur solitaire qui s’aventurait [...] C’était le vieux quartier du Marché-aux-chevaux. [...] Ce promeneur s’il se risquait [...] [73]».  Avec, pour le couvent, l’accentuation de son déclin en probable disparition  : au lieu de « Il y a vingt ans, les religieuses étaient près de cent, à l’heure qu’il est, elles ne sont plus que 28 » Les Misérables disent : « Il y a quarante ans, les religieuses étaient près de cent ; il y a quinze ans, elles n’étaient plus que vingt-huit. Combien sont-elles aujourd’hui ?[74] » Si bien que ce qui était pour la masure Gorbeau un avenir prévisible : « Déjà les antiques rues étroites qui avoisinent les fossés Saint-Victor et le Jardin des Plantes s’ébranlent. [...] Le jour où l’on y verra fumer les marmites noires du bitume on pourra dire que la civilisation est arrivée rue de l’Ourcine », devient un passé déjà lointain : « Depuis que la gare du railway d’Orléans a envahi les terrains de la Salpêtrière, les antiques rues étroites [...] s’ébranlent. [...] Un matin, matin mémorable, en juillet 1845, on y vit tout à coup fumer les marmites noires du bitume ; ce jour-là on put dire que la civilisation était arrivée rue de l’Ourcine[75]... ». D’autre part, pour le couvent surtout, une série d’ajouts historiques, tirant à eux la représentation, achèvent d’enfoncer son objet dans l’archéologie : histoire de l’ordre de Martin Verga (1425) depuis saint Bernard ( 1098) et saint Benoît (529) ; vers latins superstitieux laissés dans sa cellule par Mme de Genlis, écrits en latin du 16° siècle et où l’orthographe du nom de Dismas contrarie « les prétentions qu’avait, au siècle dernier, le vicomte de Gestas à descendre du mauvais larron[76] » ; texte archaïque de la « petite patenôtre blanche » inscrite au mur du réfectoire et que Cosette ni Jean Valjean n’ont sans doute jamais lue puisque « En 1827, cette oraison caractéristique avait disparu du mur sous une triple couche de badigeon. Elle achève à cette heure de s’effacer dans la mémoire de quelques jeunes filles d’alors, vieilles femmes aujourd’hui[77]. » Pour faire bon poids, peu après, la mère supérieure, sorte de Gillenormand féminin et dévôt, surfe, devant Fauchelevent et le lecteur ébahis, sur l’océan des archives bénédictines : dom Mabillon, saint Bernard, Merlonus Horstius, Bérulle, saint Diodore archevêque de Cappadoce, le bienheureux Mezzocane abbé d’Aquila, saint Térence évêque de Port sur l’embouchure du Tibre, saint Bernard Guidonis, porté en l’église des dominicains de Limoges malgré le roi de Castille[78]....

 

En revanche, Paris étudié dans son atome reste écrit tout entier au présent –et  le narrateur-auteur qui y fait figure d’aïeul s’abstient aussi de noter que l’éléphant de la Bastille, délabré en 1830, avait été détruit en juillet 1846[79]. Non sans raison : les survivances monstrueuses, le couvent et la masure Gorbeau, théâtre d’un guet-apens dont Hugo fait l’image du coup d’Etat en lui donnant son numéro 50-52, figurent, du côté de la religion et du crime, privé ou public, une éternelle présence du passé que démentent Paris et son gamin. C’est que la mise en perspective de l’histoire depuis le présent inclut dans la narration la question de l’avenir –et sa réponse parfois- de la manière la plus simple qui soit : la simple confrontation du passé et du présent suffit à dénoncer une stagnation de l’histoire, voire un recul, ou à indiquer un progrès. Les ajouts de l’exil en prennent acte parfois explicitement –Christus nos liberavit dément violemment la thèse du terme mis à l’esclavage par le christianisme-, ils laissent le plus souvent le lecteur conclure. De cette première manière ils disent le progrès et y participent en le montrant. Mais l’intérêt des Misérables ne réside pas là, il tient à l’exceptionnelle productivité idéologique résultant de l’extrapolation induite, chez le lecteur, par la rétrospection générale construite dans la révision du texte pendant l’exil. L’interrogation du narrateur-auteur qu’elle suscite, -en sommes-nous toujours à 1845 ? en resterons-nous là ? – le lecteur ne peut que la reproduire pour son compte, avec un base de comparaison, un écart historique, plus grand. On ne vole plus de pain dans les boulangeries ; voit-on toujours le même horizon du haut des barricades ? quand il s’en fait. La préface du livre –« Tant qu’il existera....une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, tant que...., tant que.... des livres de la nature de celui-ci ne seront peut-être pas inutiles» prend acte de ce mécanisme qui en fait un « appareil d’optique » appliqué sur » le Progrès.

Les digressions y participent. Non seulement par la présence effective qu’elles donnent à l’auteur et par le rapport à l’histoire qu’elles énoncent explicitement, mais également par leur forme qui résulte, elle-aussi, de leur genèse. Très peu en effet constituent un ajout à proprement parler, mais plutôt une amplification correctrice. Parenthèse reprend dans ces derniers paragraphes, à peu près tels quels, ceux qui concluaient la description du couvent et corrige, non sans la déborder longuement, une réflexion regrettant la disparition du sentiment religieux[80]. Dans l’historique de 1830 et du règne de Louis-Philippe, Mal cousu, conteste un assez long texte par lequel Hugo approuvait le choix fait par le peuple de la dynastie d’Orléans et condamnait, avec mesure, la République et les républicains. Les arguments sont conservés, mais mis maintenant dans la bouche de ce que Hugo appelle « les habiles » et critiqués[81]. A l’occasion du portrait de M. Gillenormand, le développement concernant les doctrinaires est simplement ajouté, pour les mettre dans le même sac, à celui qui visait les ultras. De manière comparable, dans la méditation de Marius hésitant à se joindre au combat, L’extrême bord, les objections de l’honneur militaire sont de première version, le motifs de solidarité aussi et la seconde ajoute la « rectification splendide [82]» que font dans son esprit le droit et le juste. Les derniers chapitres de L’Argot développent la constatation antérieure d’une inflexion de l’argot vers une « gaîté diabolique et énigmatique » et corrigent un bref développement appelant envers les déshérités à l’exercice d’une charité activée par la crainte d’un retour aux jacqueries[83]. Les deux chapitres La surface de la question et Le fond de la question reviennent également sur un texte plus court de 1847[84]. Certains paragraphes sont simplement supprimés –ceux qui montraient dans l’insurrection de 1832 un contre-coup, une « réplique » de 1830 ; beaucoup sont ajoutés, plusieurs, comme dans Mal cousu, sont reproduits mais affectés au discours du « juste-milieu », école « du bon sens » et « parti de l’eau tiède ».

Sans doute peut-on ironiser sur le réemploi par Hugo de l’expression de ses convictions antérieures pour les démentir en les plaçant cyniquement dans la bouche d’interlocuteurs dévalués (« économie ! économie ! »).  On peut aussi porter le jugement inverse : il lui fallait du courage pour se reconnaître et se déprécier si nettement au lieu de tout brûler et de réécrire. Reste, quoi qu’il en soit, l’aspect dialogique de ces digressions. Leur genèse l’explique –et le manuscrit donne le spectacle déconcertant de ce dialogue étonnement laborieux de Victor Hugo avec lui-même- mais son effet se passe du savoir du généticien et il s’étend aux textes de seconde version sans ébauche dans la première : le Conventionnel G. répond à Mgr Myriel, Waterloo discute le sens de l’événement et même ses causes et ses circonstances, La Charybde du faubourg saint Antoine s’interroge, non sans remords, sur juin 48, L’intestin de Léviathan met en doute autant qu’il l’affirme le « progrès actuel ». Dans Les morts ont raison et les vivants n’ont pas tort, au seuil de l’agonie de la barricade et du sacrifice de Jean Valjean, le discours en vient à corriger sinon la narration, du moins son éventuel effet désespérant :

 

 Le Progrès !

Ce cri que nous jetons souvent est toute notre pensée ; et, au point de ce drame où nous sommes, l’idée qu’il contient ayant encore plus d’une épreuve à subir, il nous est permis peut-être d’en soulever le voile, du moins d’en laisser transparaître une lueur.

Le livre que le lecteur a sous les yeux [...] c’est, d’un bout à l’autre, [...] la marche du mal au bien, de l’injuste au juste, du faux au vrai, de la nuit au jour[...][85]. »

 

Cette interlocution n’est ni duplicité ni ambiguïté, ni même hésitation. Seulement, dans sa propre parole Hugo reconnaît et s’il le faut creuse la même distance que celle qui éloigne 1862 de 1848, le présent du passé et l’avenir du présent, nous-mêmes également de lui. Et le lecteur entre à son tour dans ce dialogue ouvert par l'histoire entre l'auteur et Victor Hugo.

 

Impossible de croire, cela étant, que l’arrêt de la rédaction à Buvard bavard fut fortuit –ou dû à je ne sais quel saisissement horrifié devant l’aveu d’une pulsion incestueuse. Mais la contradiction latente qu’il y avait à plaindre la victime –Jean Valjean– sans approuver le justicier –Enjolras– devenait flagrante et insurmontable à l’approche du dénouement. Le moment était venu de faire mourir les insurgés : de quelle mort ? sacrificielle ou très regrettable mais finalement absurde, presque méritée ? Quel sens donner à la convergence des misérables –Mabeuf, Eponine, Gavroche et Jean Valjean lui-même-, vers la barricade des insurgés : pouvait-elle rester celle de malheureux vers une mauvaise cause, pour un redoublement d’égarement sinon de crime ?

Bref, une fois parvenu à ce point de l’action, la logique même des Misères obligeait Hugo à trancher : il devait soit opposer la misère humaine du héros et la misère historique de l’insurrection manquée –mais c’était régresser depuis le réformisme charitable d’un Myriel vers la dureté répressive du Balzac de Splendeurs et misères –, soit les faire converger –mais c’était renoncer à ses propres opinions politiques. Par une coïncidence extraordinaire il arriva que ce dilemme se présenta au moment précis, en février 1848, où les événements semblèrent commencer d’y répondre. On comprend que Hugo ait suspendu la rédaction pour participer à une histoire si opportunément disposée à achever l’oeuvre. Mais on comprend aussi que son propre texte lui ait en quelque sorte dicté sa conduite. Fort modérée d’abord, elle bascule, on le sait, vers la dissidence puis l’opposition ce jour de juillet 1849 où la majorité de l’assemblée législative enterre sous une commission la législation à créer pour remédier à la misère. Ce jour-là, les faits –la mauvaise foi de ses amis de droite et leur indignation devant sa sincérité– obligèrent Hugo à reconnaître que Jean Valjean devait donner un coup de main aux insurgés de la barricade. Le reste allait de soi et ne demandait que du courage.

On a vu comment Hugo souligne l’interruption de la rédaction sur le manuscrit. Je crois qu’il faut donner son sens plein à cette annotation, qui semble narcissique et vaniteuse : Ici le pair de France s’est arrêté parce qu’un pair de France ne pouvait aller plus loin ; et le proscrit a continué parce qu’il fallait pour continuer être proscrit, et « proscrit volontaire », comme on dit, proscrit malgré l’amnistie de 1859, proscrit par un sacrifice réunissant ceux de Jean Valjean et d’Enjolras - de Gavroche et d'Eponine également.


[1] V. Hugo, Oeuvres complètes, R. Laffont, « Bouquins », 1985 et 2002, vol. « Chantiers », R. Journet éd., « Dossier des Misérables », p. 734.

[2] Ibid., p. 738.

[3] R. Journet et G. Robert, Le Manuscrit des Misérables, Annales littéraires de l’université de Besançon, Les Belles Lettres, 1963, p. 380.

[4] V. Hugo, Oeuvres complètes, vol. cité, p. 749.

[5] Les Misérables , IV, 14, 1, ibid., vol. « Roman 2 », p. 911. Les références au roman seront désormais données simplement par les trois chiffres localisant le chapitre, suivis de la page dans cette édition.

[6] C’est la thèse de Jacques Seebacher dans « Misère de la coupure, coupure des Misérables » in Victor Hugo et le calcul des profondeurs, PUF, 1993, p. 167 et suiv. La nôtre rejoindrait celle de P. Laforgue (« Mythe, révolution et histoire – La reprise des Misérables en 1860 », La Pensée, n°245, mai-juin 1985) si celui-ci ne faisait dépendre la reprise des Misérables d’un revirement idéologique et littéraire de Hugo, où celui-ci abandonnerait une représentation mythologique de la Révolution pour sa représentation historique. La conception de la Révolution ne me semble pas l’objet des Misérables ni un de ses enjeux décisifs ni même une de ses perspectives importantes, et je ne crois donc pas non plus qu’une aporie dans l’écriture de la Révolution dans La Fin de Satan puisse expliquer le retour aux Misérables : la cause est ici disproportionnée aux effets. S’il fallait l’ « expliquer », l’amnistie d’août 1859 serait une hypothèse explicative plus économique et donc meilleure ; mais je ne crois pas qu’on puisse « expliquer » un geste qui relève de la liberté de l’écrivain : elle s’exerce dans certaines conditions mais elle s’affranchit de déterminations. En revanche, P. Laforgue voit juste, à mon sens, lorsqu’il met l’accent sur l’importance d’une écriture de l’histoire dans Les Misérables. Seulement il renonce (explicitement p. 40) à s’appuyer sur le manuscrit pour en juger alors qu’il me semble possible de le faire.

[7] V. Hugo, Les Misères – Première version des Misérables, éditions Baudinière, 1927. On sait toutes les critiques qui peuvent être faites à cette publication. Ses fautes sont assez aisément corrigibles en se référant au Manuscrit des Misérables de R. Journet et G. Robert. Et elle reste précieuse parce qu’elle seule permet de lire le texte de 1848 dans sa continuité et de s’en faire l’idée que donne la lecture courante.

[8] Ouvrage cité ci-dessus, d’où je tire l’essentiel de mes informations sur la genèse du livre.

[9] De fait, l’adaptation de la collection verte chez Hachette semble retrancher tout ce que l’exil ajoute. Il y aurait une étude à faire sur la « régression génétiquement programmée » des adaptations : elles semblent souvent défaire ce que fait l’écriture.

[10] II, 7, 4 ; 408.

[11] V, 2, 1 ; 991.

[12] V, 2, 5 ; 1001.

[13] V, 2, 6 ; 1003.

[14] III, 1, 11 ; 469.

[15] Beaucoup d’additions en III,2 et en III, 3, 3, en particulier ce qui concerne les doctrinaires.

[16] IV, 7, 2 ; 786.

[17] IV, 7, 4 ; 790-792.

[18] V, 2, 2 ; 995.

[19] I, 2, 6 ;  69.

[20] Elle trouve une occurrence assez étrange dans le mot par lequel la mère Supérieure conclut son entretien avec Fauchelevent : « Père Fauvent, je suis contente de vous... » (II, 8, 3 ; 429).

[21] II, 1, 17 ; 277.

[22] II, 1, 18 ; 278.

[23] V, 1, 5 ; 942.

[24] V, 1, 1 ; 929.

[25] IV, 12, 2 ; 861.

[26] IV, 11, 2 ; 849.

[27] V, 1, 3 ; 934.

[28] I, 4, 2 ; 124.

[29] I, 1, 12 ; 43.

[30] Et qui, par là, s’apparente aux personnages historiques réels que le roman historique mèle classiquement à ceux de la fiction.

[31] « Revenons, c’est une nécessité de ce livre, sur ce fatal champ de bataille. » Le plus beau est que le lecteur ne s’aperçoit ni que ce n’est pas le même « passant » qui revient, ni qu’en s’excusant sur les nécessités du livre, Hugo traite le récit en digression !

[32] IV, 1, 3 ; 661.

[33] En II, 3, 6 ; 311. Ce portrait donne leur retentissement à plusieurs éléments ultérieurs : le « A bas les Bourbons, et ce gros cochon de Louis XVII ! » de Marius, bien sûr, mais aussi quantité de notations discrètes : la rencontre du roi avec le père de Bossuet (III, 4, 1 ; 519), le mot de la Thénardier « J’aimerais mieux épouser Louis XVIII... » (II, 3, 9 ; 329), etc.

[34] La significative erreur de lecture commise par Guillemin sur le folio 104 du Carnet d’avril-mai 1860 « Modifier le côté philosophique de l’évêque » a donné lieu pendant une trentaine d’années à toutes sortes de commentaires inventifs mais dépourvus de la moindre pertinence. Elle. a été corrigée par R. Journet dans le volume Chantiers, éd citée, p. 735. Le chapitre du Conventionnel G. n’est pas le seul à concourir à cette modification ; Solitude Mgr Bienvenu, qui est de l’exil, y contribue aussi.

[35] De diverses manières. L’un ouvre la seconde partie, l’autre la troisième ; le même comportement du charognard Thénardier conclut les deux ; le plan de la bataille emprunte son « A » à l’initiale des Amis de l’ABC et celui de leur barricade au « N » de l’Empereur ; le combat poursuivi de part et d’autre d’un escalier coupé marque l’acmè des deux combats ;  ils ont chacun sa parole héroïques le mot de Cambronne et le discours d’Enjolras, etc.

[36] Encore ne citons-nous pas tout : voir le Dossier des Misérables, ouvr. cité, p. 736-743.

[37] III, 1, 7 ; 463 et suiv.

[38] III, 7, 3 ; 573.

[39] II, 8, 1 ; 417.

[40] II, 3, 2 ; 300.

[41] III, 8, 6 ; 592.

[42] II, 6, 8 ; 398.

[43] IV, 6, 1 ; 745.

[45] IV, 6, 1 ; 745.

[46]I, 6, 1; 160.

[47]II, 5, 10 ; 376.

[48] I, 3, 1 ; 97.

[49]II, 8, 8 ; 447.

[50]Ibid.

[51]III, 4, 1 ; 514.

[52] Aussi artiste consciencieux soit-il, il s’en dispense pour Histoire d’un crime.

[53]V, 1, 1 ; 925.

[54] II, 6, 1; 379.

[55] On pourrait dire que l’intertexte des Misères est Splendeurs et misères des courtisanes et Les Mémoires d’outre-tombe celui des Misérables . Hugo observe lui-même : “ J’avais fait sous le nom de Marius des quasi-mémoires, expliquant ce que j’ai appelé quelque part la révolution intérieure d'une conscience honnête. Ceci n’a été compris qu’à moitié ” ( Fragment publié par Henri Guillemin, repris dans l’édition Massin, t. 16, p.455.) L’évolution des idées de Marius est peu modifiée pendant l’exil ; il n’en va pas de même de son appréciation (chapitres III, 4, 3 à 5 entièrement ajoutés) et surtout de la portée que le texte lui donne, ainsi formulée : « En même temps un changement extraordinaire se faisait dans ses idées. Les phases de ce changement furent nombreuses et successives. Comme ceci est l’histoire de beaucoup d’esprits de notre temps, nous croyons utile de suivre ces phases pas à pas et de les indiquer toutes. / Cette histoire où il venait de mettre les yeux l’effarait. / Le premier effet fut l’éblouissement. » (III, 3, 6 ; 499-500) C’est dire que la transformation des idées de Marius est doublement historique : elle appartient à l’histoire et elle procède d’une modification du rapport à l’histoire ou, pour mieux dire, de l’instauration d’un rapport à l’histoire. En cela elle mime celle du roman lui-même : en acquérant une historicité que lui donnent la durée et l’entrée de son auteur dans l’histoire, il trouve un rapport à l’histoire qu’il lui faut représenter. Il suffit aux Misérables d’enregistrer la dépendance de leur écriture à l’histoire pour dire l’histoire.

[56] IV, 10, 2 ; 831.

[57] II, 1, 1 ; 241.

[58] IV, 1, 3 ; 662.

[59] III, 1, 5 ; 461.

[60] II, 5, 1 ; 353-354.

[61] II, 5, 5 ; 361.

[62] II, 6, 5 ; 393.

[63] II, 5, 2 ; 356.

[64] IV, 3, 3 ; 700.

[65] II, 8, 5 ; 434 et 435. Et II, 8, 1 ; 420 pour ce qu’en sait Fauchelevent.

[66] III, 2, 2 ; 474.

[67] III, 5, 10 ; 374.

[68] II, 5, 4 ; 359. Il s’agit d’une partie du quartier du Petit-Picpus ; cela donne du sel à la phrase, mais ne change rien à son effet.

[69] III, 2, 1 ; 473.

[70] III, 2, 1 ; 473.

[71] IV,  6, 1 ;  745.

[72] II, 5, 3 ; 358.

[73] II, 4, 1 ; 339.

[74] II, 6, 11 ; 401. Beaucoup d’autres corrections ou additions contribuent à faire du couvent une survivance disparue, à commencer par le titre ambigu de ce chapitre, Fin du Petit-Picpus.

[75] II, 4, 2 ; 343.

[76] II, 6, 6 ; 395.

[77] II, 6, 5 ; 390.

[78] II, 8, 1 ; 422 et suiv.

[79] Cette manipulation de la distance temporelle est explicite dans cette notation : « A l’époque, d’ailleurs presque contemporaine, où se passe l’action de ce livre, il n’y avait pas, comme aujourd’hui, un sergent de ville à chaque coin de rue  (bienfait qu’il n’est pas temps de discuter) ; [...] » (III, 1, 6 ; 462).

[80] Voir ce texte dans Le Manuscrit des Misérables, ouvr. cité, p. 106-107.

[81] Voir Le Manuscrit des Misérables et la transcription du texte initial dans le Dossier des Misérables, ouvr. cité, p. 799 et suiv.

[82] IV, 13, 3 ; 887. Ce paragraphe et ce qui suit jusqu’à la fin date de l’exil.

[83] Voir le texte primitif dans LeManuscrit des Misérables, ouvr. cité, p. 199.

[84] Voir sa transcription dans Le Manuscrit des Misérables, ouvr. cité, p. 209-212.

[85] V, 1, 21 ; 981.