Guy Rosa : Hugo et la Révolution

Communication au Groupe Hugo du 26 juin 2004
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L’effet historique de la révolution a d’abord
 été horrible, puis terrible, puis discuté,
puis grand, puis immense, puis sublime.
V. Hugo, "Choses vues", Le Temps présent V[1]

 

Lorsque ce siècle avait deux ans, la Révolution n’était pas beaucoup plus vieille : treize ans. Nous la reconnaissons fondatrice de notre nation, de notre démocratie, de beaucoup de nos institutions, et cela nous est aisé : l’histoire a eu le temps de la mettre en perspective et, surtout, de lui donner effectivement de tels développements que nous  pouvons difficilement refuser de nous dire ses enfants –souvent bien ingrats d’ailleurs. Mais l’histoire, pas plus celle des événements que celle des idées qui leur donnent sens, ne se fait toute seule ; Hugo fut un de ceux qui firent de la Révolution ce qu’elle est devenue –à défaut de ce qu’ils souhaitaient qu’elle devînt. Ils y avaient du mérite, précisément parce qu’elle était toute proche, sans précédents susceptibles de la rendre intelligible et d’autant plus obscure que ses événements avaient été terribles, et profonds les changements qu’elle avait produits ou dont elle était encore porteuse.

Les deux vont de pair. La Révolution, de fait, avait été peu sanglante comparée aux guerres de religion ou à celles de l’Empire, mais elle l’avait été spectaculairement, sous des formes inouïes –qu’on verse du sang à la guerre ou pour sa foi, quoi de mieux consacré par la tradition et de plus naturel ?- et dans un rapport avec ses fins explicite mais impensable en dehors de la logique révolutionnaire. Il l’est resté : la peine de mort en matière politique, quoique la seule justifiable, à la rigueur, par l’étendue des conséquences du crime qu’elle punit, a été la première abolie. Les exemples ne manquaient pourtant pas de rois se débarrassant de leurs adversaires politiques, mais c’était autre chose. De même pour les autres « victimes » : la Vendée, les prêtres insoumis, le roi. Que le jugement de Louis XVI et son exécution aient si longtemps creusé un tel abîme d’horreur, on a peine à le comprendre : ses prédécesseurs avaient plus d’une fois réglé de la sorte leur succession, sa trahison était avérée. Mais les Conventionnels l’avaient clairement prise pour prétexte et n’avaient pas caché que Louis XVI devait mourir non pas quoique roi, mais parce que roi. Nous n’avons pas perdu le sens du crime de lèse-majesté, attentat à l’Etat, l’émotion devant la mort du préfet Erignac le signale, ni non plus celui de l’impunité du souverain, survivance monarchique. Mesurons la puissance traumatique de l’anéantissement de la royauté à celle qu’aurait, pour nous, la destruction de la démocratie. Encore n’a-t-elle derrière elle qu’une durée dix fois moindre.

Il faudrait y ajouter celle de la Sécurité sociale, de la Caisse d’Epargne, du Panthéon, que sais-je encore. Car toute l’ancienne société, ses réalités, ses idées et ses symboles –jusqu’au calendrier !- croule dans la Révolution. Inutile de détailler les lois ; résumons. La lente et souterraine sécularisation est achevée et consacrée de manière radicale : la société ne relève plus d’aucun ordre divin comme son organisation politique se détache d’un ordre si ancien et si lié au « sang » qu’il se confondait avec celui de la nature. L’idée même de société en résulte, et celle d’histoire qui lui est connexe. Toutes les anciennes communautés –paroisses, corporations, ordres, provinces, famille hiérarchisée- sont dissoutes et les individus, qui tenaient d’elles leurs droits et leur identité, en sorte qu’ils n’en étaient que les représentants précaires, se voient promus au statut de sujet. Sujet de droit –politique et civil- mais aussi du vrai, du bien et du beau. Le romantisme consiste dans ce transfert à l’individu du statut de sujet.

Hugo s’y rallie ouvertement en même temps qu’il y reconnaît la conséquence de la Révolution :

 

Il faut en convenir, un mouvement vaste et profond travaille intérieurement la littérature de ce siècle. Quelques hommes distingués s’en étonnent, et il n’y a précisément dans tout cela d’étonnant que leur surprise. En effet, si après une révolution politique qui a frappé la société dans toutes ses sommités et dans toutes ses racines, qui a touché à toutes les gloires et à toutes les infamies, qui a tout désuni et tout mêlé […] ; après une commotion effrayante et qui n’a rien laissé dans le cœur des hommes qu’elle n’ait remué, rien dans l’ordre des choses qu’elle n’ait déplacé ; si, disons-nous, après un si prodigieux événement, nul changement n’apparaissait dans l’esprit et dans le caractère d’un peuple, n’est-ce pas alors qu’il faudrait s’en étonner, et d’un étonnement sans bornes ?  (préface des Odes 1824[2])

 

A cette date, Hugo est pour longtemps encore monarchiste. Si bien qu’il lui faut, par un artifice de raisonnement jésuite, dissocier le « résultat » de la Révolution de son « expression » et retourner l’un contre l’autre : « La littérature présente telle que l’ont créée  les Châteaubriand, les Staël, les La Mennais, n’appartient donc en rien à la révolution. […] [elle] est l’expression anticipée de la société monarchique et religieuse qui sortira sans doute du milieu de tant d’anciens débris, de tant de ruines récentes. » [éd. « Bouquins » porte un « décentes » peu vraisemblable]

Un idéologue vigilant eût remarqué que le « sans doute » était de trop et qu’il n’était pas question de rendre la vie aux « anciens débris » ni de relever les « ruines récentes », contrairement au programme simple de la bien nommée « restauration ». Hugo s’était s’engagé dans les voies tourmentées du royalisme « ultra ». Simplifions, elles étaient doubles : soit revenir au point d’équilibre –la féodalité, la Renaissance, le siècle de Louis XIV, c’est selon- dont la monarchie s’était écartée creusant ainsi sa propre perte, soit forger une société nouvelle. Hugo y appelle, mais elle reste, chez lui, sans contenu. Chateaubriand invoque, de plus en plus comme une infirmité personnelle due à son âge et à ses origines, la résilience des fidélités, des loyautés et des hommages ; Mme de Staël et ses amis recherchent les formes politiques, sociales et culturelles d’une alliance entre l’ancienne et la nouvelle classe dominante ; Lamennais s’achemine vers une théocratie républicaine ; Hugo s’accommode fort bien de la société sortie de la Révolution, sous condition d’ornements monarchiques (sacre, trône, sceptre et couronne) et d’une teinture religieuse (autels, martyrs et saints vieillards). A la différence des maîtres invoqués, mais aussi de Vigny, de Balzac voire de Stendhal, pour ne pas parler des Maistre, Bonald et consorts, il n’a, ni n’aura jamais, une ligne, un mot, contre l’égalité civile, la liberté religieuse, les droits de l’homme. Il fait de la liberté son maître mot, mais sans voir encore, tant la Restauration pouvait s’en réclamer à juste titre après la Terreur et l’Empire, qu’au sens qu’il lui donne –le droit et l’essence même de l’individu-, elle est le grand héritage révolutionnaire, bien loin des privilèges mesurés de l’Ancien Régime. En un mot, il accepte d’emblée, spontanément et si naturellement que c’est sans le dire ni s’en douter, toute la substance sociale et spirituelle de la Révolution.

Pas sa substance politique. D’abord parce qu’elle n’en a aucune –ou plusieurs, également caricaturales : la monarchie constitutionnelle viciée par Louis XVI et raturée par sa mort, la République fantomatique de 92 immédiatement démentie par la Terreur, l’oligarchie carnavalesque du Directoire, l’Empire parricide de ses origines en cela plus qu’en toute autre chose. Tout l’effort intellectuel et politique du XIX° siècle fut d’assujettir la Révolution à la forme républicaine de l’Etat ; Hugo y participa mais on ne saurait lui reprocher de ne pas avoir adhéré à une évidence qu’il a lui-même contribué à former, dans les faits comme dans les idées. Ensuite, parce que l’histoire elle-même, loin de désigner la République comme l’issue nécessaire de la Révolution semble s’acharner, un siècle durant, à lui en donner d’autres –ou aucune. En cent ans, tous les régimes politiques sont essayés, chacun deux fois. A une conscience honnête, la Restauration, dans ses premières années, pouvait sembler plus fidèle à 89 que l’Empire, et la Monarchie de Juillet que 93. Enfin parce que, de ce fait, l’idée même de la Révolution, loin de former le bloc socio-politique familier d’aujourd’hui, restait floue et incertaine. Au point qu’on pouvait, c’est l’effort de Tocqueville, mettre en doute sa pertinence et estimer que la Révolution -beaucoup de sang pour pas grand chose- n’avait en quelque sorte jamais eu lieu : dès avant 89, la monarchie absolue, centralisatrice et niveleuse, avait fait les neuf dixièmes de la tâche. La fin de l’URSS et la chute du mur de Berlin viennent de disqualifier entièrement la révolution communiste,  non seulement comme idéal mais comme réalité historique ; voir remonter sur le trône un frère de Louis XVI, puis un autre, ne devait pas être moins troublant pour l’esprit et s’il faut s’étonner de quelque chose, ce n’est pas des errements de Hugo et de tant d’autres mais bien de ce qu’ils surent, sans carte ni boussole, mener la Révolution à bon port. Du moins ne soyons pas surpris de voir Hugo s’en prendre à la république dans un texte intitulé « Journal d’un révolutionnaire ».

Sa politique se comprend donc, jusqu’en 49-50, par l’espoir placé avec confiance dans tous les régimes successifs, et toujours déçu finalement, d’un comblement de la béance révolutionnaire, d’une réduction  de la fracture, d’une assimilation historique de la Révolution,  non de son contenu qu’il accepte mais de son processus. Il s’exprime parfois avec une bonne volonté proche de la naïveté ; ainsi ce poème à la gloire des combattants de juillet 1830 :

 

Frères ! et vous aussi vous avez vos journées ! […]

Soyez fiers ; vous avez fait autant que vos pères. […]

C’est pour vous qu’ils traçaient avec des funérailles

Ce cercle triomphal de plaines de batailles, […]

Qui, de France parti pour enserrer la terre,

En passant par Moscou, Cadix, Rome et le Caire,

Va de Jemmapes à Montmirail !

[…]

Que nul souvenir ne nous pèse :

Rendons sa tombe à Louis Seize,

Sa colonne à Napoléon ![3]

 

De là, outre une versatilité apparente, le contraste entre des textes d’un pesant conformisme –Regard jeté dans une mansarde- et de singulières offres de service pour recommencer et achever la Révolution –Sur Mirabeau ou Ruy Blas avec cet assassinat terroriste de l’aristocrate par le plébéien. De là, côte à côte, des propositions qui semblent absurdes –« Après juillet 1830 il nous faut la chose république et le mot monarchie » et d’autres, plus que prophétiques, utopiques encore aujourd’hui, parce qu’elles déduisent toutes les conséquences politiques de la société révolutionnée:

 

La république, selon moi, la république qui n’est pas encore mûre, mais qui aura l’Europe dans un siècle, c’est la société souveraine de la société ; se protégeant, garde nationale ; se jugeant, jury ; s’administrant, commune ; se gouvernant, collège électoral.

Les quatre membres de la monarchie, l’armée, la magistrature, l’administration, la pairie, ne sont pour cette république que quatre excroissances gênantes qui s’atrophient et meurent bientôt.[4]

 

Un siècle : cela laissait à Hugo un délai suffisant pour rejoindre lui-même cette pairie condamnée –et, au besoin, la quitter sans regret.

Si bien que, l’histoire ayant hâté les choses en février 48, Hugo se présente devant le « collègue électoral » en ces termes :

 

Deux républiques sont possibles.

L’une abattra le drapeau tricolore sous le drapeau rouge, fera des gros sous avec la colonne, jettera bas la statue de Napoléon et dressera la statue de Marat, détruira l’Institut, l’Ecole polytechnique […] ajoutera à l’auguste devise Liberté, Egalité, Fraternité, l’option sinistre : ou la mort[…] en un mot, fera froidement ce que les hommes de 93 ont fait ardemment, et, après l’horrible dans le grand que nos pères ont vu, nous montrera le monstrueux dans le petit.

L’autre sera la sainte communion de tous les Français dès à présent, et de tous les peuples un jour, dans le principe démocratique ; fondera une liberté sans usurpation et sans violences, une égalité qui admettra la croissance naturelle de chacun, une fraternité, non de moines dans un couvent, mais d’hommes libres ; donnera à tous l’enseignement […] assurera […] la propriété comme la représentation du travail accompli, et le travail comme l’élément de la propriété future […] sera, en un mot, la majestueux embrassement du genre humain sous le regard de Dieu satisfait .[5]

 

Sachant d’où vient alors Hugo –de l’entourage immédiat du roi dont il presque un intime- et où il va –vers la droite de l’Assemblée, on lit d’ordinaire cette déclaration comme l’emballage trop habile d’une défiance conservatrice. Vraisemblablement à tort car, pour la première fois, Révolution et République se présentant ensemble, Hugo les accueille ensemble. Il ne les dissociera plus. Sans doute sont-elles encore doubles l’une et l’autre, mais le premier pas est fait qui entraîne le second. Lorsque la droite restreint les libertés, refuse d’organiser l’assistance sociale et durcit la pénalité, Hugo, sans attendre qu’elle mette l’école sous le contrôle de l’Eglise et s’en prenne au suffrage universel, l’accuse de « faire respirer à la république le même air qu’à la monarchie » et change de camp. C’était refuser de réduire la république à une forme constitutionnelle creuse et avouer son lien à la Révolution mais, du même coup, renoncer à distinguer en cette dernière la bonne de la mauvaise, la forme du fond, les fins et les moyens, les droits de l’homme et la Terreur, le pouvoir de fondation et la puissance d’arrachement. Bref, c’était donner tout ensemble à la République valeur d’idéal –d’absolu- et à la Révolution statut de prodige ou de révélation. Bientôt d’autant plus puissamment affirmés que les faits semblent les infirmer et que le Second Empire relance le bégaiement de l’histoire. Plus tard ce sera la Commune.

La contribution propre de Hugo à la pensée de la Révolution se trouve dans ce déplacement vers la métaphysique de l’aporie historique dans laquelle le fait révolutionnaire semble engagé jusqu’aux dernières décennies du siècle : bénéfique et criminel parce que acquis et illusoire, effectif et effaçable (pour simplifier : entré dans les mœurs sociales et exclu de la réalité politique). D’autres efforts allaient dans le même sens, mais toujours sous la dépendance d’une instance surplombante : lutte des classes, révélation chrétienne (Quinet), Nation (Michelet). Hugo, lui, propose une mystique de la Révolution pure, au point que sa Fin de Satan, si elle avait été achevée, aurait ordonné l’histoire transcendante du salut –la rédemption de Lucifer- à une histoire terrestre trouvant son dénouement dans la prise de la Bastille.

La Révolution selon Hugo résulte sans doute, par saut du quantitatif au qualitatif, de l’entassement explosif des souffrances millénaires, des injustices et des crimes et aussi du cumul des progrès du savoir et de l’esprit, mais seulement pour son moment, ses acteurs et ses modalités, non pour sa vérité. Comme les génies –ou comme le Christ- elle appartient aux deux plans de l’histoire et de l’absolu, de la détermination et de la transcendance, de sorte que, datée par ses circonstances et intemporelle par son sens, elle trouve place indifféremment à l’origine de l’histoire, à n’importe laquelle des phases de son développement –la Renaissance, par exemple, dans Le Satyre de La Légende des siècles- et à son terme.

Beaucoup de textes de Hugo le disent qui sont les plus coriaces, les plus parfaitement « hugoliens », ceux devant lesquels bronchent l’esprit français, les religions, les cynismes et les modérations.

 

Le dix-neuvième siècle ne relève que de lui-même ; il ne reçoit son impulsion d’aucun aïeul ; il est fils d’une idée. Sans doute Isaïe, Homère, Aristote, Dante, Shakespeare, ont été ou peuvent être de grands points de départs pour d’importantes formations philosophiques ou poétiques ; mais le dix-neuvième siècle a une mère auguste, la Révolution française. Il a ce sang énorme dans les veines. […] Il est de sa nature révolutionnaire de se passer d’ancêtres. […]

Quant à sa source, elle est hors de l’homme. […]

En présence du passé monstrueux, lançant toutes les foudres, exhalant tous les miasmes, soufflant toutes les ténèbres, allongeant toutes les griffes, horrible et terrible, le progrès, contraint aux mêmes armes, a eu brusquement cent bras, cent têtes, cent langues de flamme, cent rugissements. Le bien s’est fait hydre. C’est ce qu’on nomme la Révolution.

Rien de plus auguste. […]

La Révolution, tournant climatérique de l’humanité, se compose de plusieurs années. Chacune de ces années exprime une période, représente un aspect ou réalise un organe du phénomène. 93, tragique, est une de ces années colossales. Il faut quelquefois aux bonnes nouvelles une bouche de bronze. 93 est cette bouche.

Ecoutez-en sortir l’annonce énorme. Inclinez-vous et restez effaré, et soyez attendri. Dieu la première fois a dit lui-même fiat lux, la seconde il l’a fait dire.

Par qui ?

Par 93.[6]

 

On peut être abasourdi par l’escarpement de telles proférations. Assimiler 93 non pas même à la rédemption par le Christ mais bien à une réfection de la création, Hugo n’y allait pas de main morte. Qu’on y réfléchisse cependant ; elles sont plus réalistes et plus exactes qu’il ne semble. L’interdépendance de la démocratie –la « société souveraine de la société » par l’égale liberté de ses membres-, du socialisme –de quelque nom qu’il se nomme, justice, égalité, progrès- et de l’universalité de la communauté humaine –paix, mondialisation,  antiracisme- n’a-t-elle pas effectivement de nos jours, dans le monde entier, plus de vérité spontanément reconnue et de puissance spirituelle que l’autre « sainte Trinité » ? Hugo avait-il tout à fait tort d’écrire : « désormais ce mot, Révolution, sera le nom de la civilisation jusqu’à ce qu’il soit remplacé par le mot Harmonie » ?

A quoi s’ajoutent, pour revenir à l’histoire, d’appréciables bénéfices idéologiques, dont le moindre est la concurrence faite à l’Eglise catholique. D’une part soustraire la Révolution au champ des contingences de l’histoire et de la géographie dans lesquelles les révolutions anglaises et la révolution américaine demeuraient cantonnées et le sont resté avec l’amoindrissement ou la contradiction que cela suppose : l’ histoire d’un peuple, aussi exemplaire soit-elle, ne propose aucune vision de l’homme et du destin de l’humanité. La soustraire également aux limites du juridisme. Qu’on nous pardonne de l’écrire ici[7] : les « droits de l’homme », comme toute loi, bornent l’ambition ; la mystique révolutionnaire de Hugo ouvrait l’idéal au delà du droit et même de la justice, appelant au dépassement dynamique réciproque du réel et de la nature des hommes. Enfin cette Révolution s’étant trouvé française, son extension universelle promettait à la France, résolution heureuse de l’antinomie entre communauté nationale et fraternité humaine, le destin d’une nation-monde :

 

La Révolution, c’est la France sublimée. Il s’est trouvé un jour que la France a été dans la fournaise, les fournaises à de certaines martyres guerrières font pousser des ailes, et de ces flammes cette géante est sortie archange. Aujourd’hui pour toute la terre la France s’appelle Révolution.

 

Sinon la France, du moins Hugo.


[1] Œuvres complètes, R. Laffont, « Bouquins », vol. Histoire, p. 1308

[2] Ibid., vol. Poésie 1, p. 59.

[3] Dicté aprèsJuillet 1830, Les Chants du crépuscule, I, ibid. , p. 683-687.

[4] Littérature et philosophie mêlées, « Journal d’un révolutionnaire de 1830 », p. 119 et 123. La conversion républicaine et l’exil ne feront que convertir cette opinion distante en programme militant à peu de choses près identique : « … à cet avenir, à cette magnifique réalisation de l’idéal démocratique […] il y avait quatre obstacles matériels, les voici :

L’armée permanente.

L’administration permanente.

Le clergé fonctionnaire.

La magistrature inamovible…. (Napoléon le Petit, ibid. vol. Histoire, p. 125)

[5] Victor Hugo à ses concitoyens, [déclaration de candidature à l’Assemblée constituante aux élections partielles de juin 1848], Actes et Paroles I, ibid., vol. Politique, p. 152-153.

[6] William Shakespeare, ibid., vol. Critique, p. 431-432.

[7] Hommes et Libertés, revue de la Ligue des droits de l’homme, n° 119, juil.- sept. 2002, dont cet article est extrait.