Florence Naugrette : La province à l'école : les acteurs parisiens en excursion à Roue (1800-1851)
Communication au Groupe Hugo du 20 décembre 2003
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Je vous présente ici une version très légèrement modifiée de larticle publié ce mois-ci dans la revue Romantisme, dans le numéro consacré à la relation « Maîtres et disciples », dirigé par Yvan Leclerc[1]. Il ny sera pas principalement question de Hugo, pour lequel je renvoie à lexposé de Sonia Sallès disponible sur notre site, à la séance du 21 juin 1997.
Si le monde du théâtre au XIXe siècle est, on le sait, un milieu impitoyable où même les grands acteurs parisiens, leur heure de gloire passée, ne sont à labri ni de la disgrâce, ni, en labsence de protection sociale, de la ruine, lexercice du métier en province est un combat plus dur encore : formés sur le tas, en labsence de conservatoires régionaux ou municipaux, malmenés par la pratique humiliante des « débuts », contraints de signer des contrats dengagement qui leur assignent des obligations colossales sans leur accorder presque aucun droit, exclus de la bonne société des notables, limités matériellement par des directeurs dautant plus économes quils sont responsables du budget de létablissement sur leurs propres deniers, les acteurs de province ont fort à faire, non seulement pour survivre, mais aussi pour éprouver la fierté de leur art, et progresser dans son exercice.
Dans ce contexte, la venue des comédiens parisiens en excursion permet de se former aux nouveautés. Comment fonctionne cette école du provincial, quels en sont les effets pervers, cest la question quon étudie ici, en prenant pour exemple les troupes rouennaises, qui jouissent au XIXe siècle dune des meilleures réputations de la province[2].
Rouen fait alors partie des rares villes importantes autorisées à disposer de deux lieux théâtraux: le Théâtre des Arts, à langle de la rue Grand-Pont et de la rue des Charrettes, sur le quai de la Seine, est spécialisé dans les « grands genres », représentés dans les théâtres subventionnés de la capitale. Le Théâtre-Français, dit aussi « salle des Eperlans », en raison de sa proximité avec la Halle aux Poissons, se situe place du Vieux-Marché ; plus petit, il est en principe réservé aux genres mineurs, pratiqués sur les boulevards parisiens. Lélite bourgeoise est abonnée au premier, et un public plus populaire est censé fréquenter le second. En réalité, la distinction des répertoires et des publics entre les deux théâtres est poreuse. [3]
Le système des excursions
Dès le début du siècle, on trouve trace dexcursions dartistes parisiens à Rouen[4] : ainsi, Mlle Contat, du Théâtre-Français, vient fréquemment y passer ses vacances théâtrales sous lEmpire. Dugazon, alors premier comique au Théâtre-Français et professeur à lEcole dramatique, rend aussi plusieurs visites. Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, on accueille Joanny, Gontier, Jenny Colon, Ligier, Bocage, Mlle Georges, etc. Mlle Déjazet reste 3 mois sous la Seconde République. Les séjours des plus grandes vedettes marquent lhistoire de la ville : Mlle Mars vient en 1812, puis régulièrement, comme Talma, qui comprend très tôt tout le bénéfice financier que lon peut tirer des tournées pendant les vacances dété. Marie Dorval est à Rouen fin août- début septembre 1833, où elle triomphe dans Antony, Trente ans ou la vie dun joueur, la Fausse Agnès, Jeanne Vaubernier, Les Enfants dEdouard, Clotilde et La Jeune femme en colère ; elle revient fin décembre, et reste jusquau 10 janvier, pour 10 représentations. En octobre 1833, Frédérick Lemaître, qui a accepté les invitations que lui ont lancées les théâtres de Rouen et du Havre, se produit dans les deux salles, donnant 9 représentations, avec Richard Darlington, La Mère et la fille, Othello, La Tour de Nesle, et LAuberge des Adrets. Le séjour de Rachel en juin 1840, où elle joue Horace, Cinna, Andromaque, Bajazet et Tancrède de Voltaire, déclenche un véritable engouement[5]. Tout au long de notre période, le rythme des excursions saccélère, de quelques unes par an sous lEmpire, jusquà deux artistes parisiens par mois au minimum sous la Seconde République[6].
Les artistes locaux sont tenus de donner la réplique aux acteurs en excursion : dans cette fonction de faire-valoir, il doivent au besoin jouer « par complaisance » des rôles qui sortent de leur emploi. Le programme étant pré-défini, lacteur a pu envoyer les manuscrits ou les brochures, ainsi que les partitions de la musique de scène, afin de navoir que les derniers réglages à mettre au point à son arrivée. Pour certains, qui conçoivent les tournées comme un à-côté lucratif (la « machine à argent », comme dit Marie Dorval), le programme est très serré. On arrive parfois le matin, après une nuit de voyage, pour jouer le soir même et repartir de nuit vers une autre destination. Mais à Rouen, comme dans les autres villes dimportance, on sarrête généralement plus longtemps, une dizaine de jours en moyenne. Certains peuvent rester quelques jours de plus, accordant des représentations supplémentaires sur les instances du public. Sous cette pression, Frédérick Lemaître rajoute parfois in extremis à son programme certains des grands succès de son répertoire. De Belgique, il écrit à ses enfants de lui envoyer en urgence ses costumes de Robert Macaire ou de Kean avec les brochures correspondantes.[7] Lors de sa venue à Rouen en 1833, Marie Dorval remporte un tel succès que le directeur du Théâtre des Arts la supplie de donner trois représentations supplémentaires, payées généreusement (1200F).
Au-delà de cette motivation financière, une touche sentimentale colore la venue des acteurs dorigine normande (par la naissance, comme Bocage ou Frédérick, ou parce quils y ont débuté leur carrière, comme Joanny ou Samson), qui reviennent saluer le pays.
Alain Corbin la montré[8], le public provincial est tapageur ; et celui de Rouen a la réputation dexigence la plus redoutable. Dans largot du métier, dailleurs, « aller à Rouen » signifie être sifflé. Les comédiens en tournée y donc davantage le « trac ». Cest pourquoi Rachel se félicite, dans sa correspondance, davoir franchi lobstacle :
Le public rouennais, qui a la réputation dêtre très difficile et la prétention de le paraître, a bien voulu se montrer indulgent à mon égard ; il ma applaudie, et il a fait un bien plus grand effort : il ma écoutée. Or, vous savez sans doute que les habitants de cette bonne ville se promènent dans le parterre pendant la représentation et ne prêtent aux acteurs quune attention dédaigneuse. [9]
La venue des acteurs parisiens est une aubaine. Le contact est pris soit par eux-mêmes, soit par les directeurs, soit par lentremise dune agence. A une époque où le public se détourne du répertoire classique, et se lasse des productions médiocres et répétitives, les comédiens parisiens remportent un succès de curiosité qui garantit au théâtre une fréquentation record, et donc un renflouage assuré des caisses, dautant plus que les abonnements sont suspendus et le prix des places augmenté, ce qui nempêche pas le public daffluer de toute la région. Cest pourquoi Emma Bovary peut sétonner que Charles nait « jamais été curieux [ ] pendant quil habitait Rouen, daller voir au théâtre les acteurs de Paris. [10]»
De tous les théâtres de la capitale, même si le Vaudeville, le Gymnase et les Variétés sont souvent sollicités, ce sont les scènes subventionnés qui sont le plus cotées. On recherche particulièrement les grands chanteurs de lOpéra (Nourrit vient plusieurs fois à Rouen). Il faut dire que, même si le Théâtre des Arts comporte à la fois une troupe dramatique et une troupe lyrique, cette dernière est sous-employée, car monter un grand opéra coûte cher. Elle se cantonne souvent dans lopéra-comique, moins dispendieux. Aussi, la venue des chanteurs parisiens est-elle une occasion unique de voir un grand opéra.
Dans la première moitié du siècle, on ne connaît pas encore le système des tournées dune troupe entière. Quand un grand acteur se déplace, il voyage seul, ou presque, quittant momentanément sa troupe pour profiter de sa gloire, à titre dinvité exceptionnel, dans une autre troupe où il ne sintègre pas, et qui lui sert de faire-valoir. Cest le principe du « stock star system », intermédiaire entre le « stock system » à lancienne, où les troupes constituées et sédentaires, protégées par les privilèges, jouent en circuit fermé, et le « star system » capitaliste moderne, où une troupe est constituée autour dune vedette pour monter un spectacle dont la rentabilité est assurée par la notoriété du grand acteur[11]. Dans le « stock star system », le grand acteur invité est considéré comme un maître, comme un roi.
Maîtres et disciples : une relation délicate
Royauté de lidole
Sa royauté est dabord métaphorique: pendant son séjour provincial, il est traité avec tous les honneurs, par la municipalité et par les notables, qui laccueillent dans leurs salons, tandis quen temps ordinaire les acteurs locaux sont quant à eux victimes dun ostracisme social. Les actrices invitées reçoivent couronnes, bouquets, et poèmes dédicacés. « Ta royauté récente est partout reconnue », dit un vers adressé à Rachel lors de son passage à Rouen en juin 1840. La correspondance de Rachel et de Marie Dorval donne de nombreux exemples de ce véritable culte, qui, du propre aveu de cette dernière, la grise, mais ne lempêche pas de se « trouve[r] le soir seule dans [s]a chambre, et triste comme la mort »[12].
Mais la comparaison royale ne relève pas que du mode épidictique. Le grand acteur est un mage, un guide pour ses confrères et pour le public. Comme tout « génie », au sens romantique du terme, il suit la loi de sa propre inspiration, et non pas les leçons de limitation. Son génie lui confère un « empire » supérieur même au pouvoir politique. Cest le sens de limage du monarque dans la longue lettre quécrit Adolphe Dumas[13] au directeur de la Revue de Rouen après les représentations de Frédérick Lemaître en 1833 :
A présent que le voilà roi, il visite ses sujets de province pour sassurer de lamour des populations. Il a raison, tout lEmpire nest pas à Rome. Remercions-le dabord davoir songé à nous. Cest bien peu que des félicitations de bienvenue, en retour des dix admirables représentations quil nous donne, et qui, avec celles de Mme Dorval, doivent entrer dans lhistoire de Rouen. [ ] Ils étaient rois de Paris, ils seront rois de France.
Sous lAncien Régime, les entrées royales étaient des spectacles faisant date dans lhistoire dune ville ; dans la société révolutionnée, cest le grand comédien, issu des classes populaires et parvenu à lempyrée, qui est le nouveau roi : son entrée en scène est lépiphanie du peuple.
Concurrence déloyale
Mais ce culte cache des réalités économiques et sociales moins reluisantes, et les sacrifices à lidole ne sont pas toujours consentis de bon cur. Ainsi, quand Marie Taglioni vient danser sa fameuse Sylphide en 1837, elle reçoit un accueil ambigu : dun côté, on est flatté quelle sarrête deux jours à Rouen sur la route du Havre où elle sembarque pour lAngleterre ; de lautre on trouve exagérées les dépenses consenties pour son passage, comme la transformation du parterre en stalles, qui entraînent une augmentation du prix des places[14]. Quant aux acteurs locaux, ils sont partagés entre lhonneur de jouer avec une célébrité, et la jalousie de voir cette dernière toucher à elle seule la moitié des recettes, ou recevoir un fixe exorbitant.
En période de crise sociale et économique, cette inégalité des salaires, trop criante, peut engendrer de graves contentieux. Ainsi, sous la Seconde République, tandis que la situation des théâtres en France est désastreuse, lorchestre du Théâtre des Arts soppose à Poultier, artiste de lOpéra en excursion : rémunéré au pourcentage des recettes, lorchestre exige une part de la somme fixe allouée à Poultier, 420F, pour jouer La Favorite. Poultier refusant de céder, lorchestre se met en grève. Poultier quitte le théâtre. Lorchestre lui intente un procès, au terme duquel lartiste parisien est condamné à une amende pour rupture de son engagement. Poultier ne reviendra jamais à Rouen.
Humiliation ou émulation ?
Les acteurs souffrent aussi des comparaisons que la critique établit entre leur niveau et celui de lidole, donnée comme un maître, comme dans cet article consacré à Samson :
Cet atticisme artistique, ce génie dobservation, cette grâce, cette science profonde et cette lucidité dinitiation nappartiennent quà lacteur consommé, au chef décole M. Samson qui a joué le rôle du Tartuffe en véritable professeur. [15]
Cela nempêche pas les journalistes daccorder aux artistes locaux le mérite davoir appris leur rôle au pied levé, et de sêtre courageusement mesurés à plus forte pointure. Le Journal de Rouen reconnaît ainsi les mérites des partenaires de Marie Dorval dans Antony :
Je dois dire que Mme Dorval a été parfaitement secondée. Alexandre, dans le rôle dAntony, a été plein de verve et dexpression. A part quelques légères fautes de diction, quelques expressions grimaçantes de physionomie, il na droit quà des éloges. Mlles Demalty, Laignelet et Brochard représentent fort convenablement la facile vicomtesse, la bonne sur de Mme dHervey et la cruelle Mme de Camps. Borssat a très bien dit sa petite discussion littéraire, Lemaure charge peut-être un peu trop la caricature de labonné du « Constitutionnel », mais cest le seul plaisant de toute lassemblée, il faut bien lui pardonner quelques traits outrés.[16]
La presse provinciale considère dailleurs généralement que la simple présence de la star « électrise » la troupe locale, opère une sorte de « contagion du talent »[17], surtout quand les acteurs parisiens se montrent bons camarades, ce qui est le cas de Mlle Mars et de Marie Dorval. Samson se rappelle le sympathique soutien en coulisse de Mlle Mars, à qui il donnait, « par complaisance », la réplique dans Tartuffe, lors de sa visite en 1816 à Rouen, où il était jeune débutant[18]. Larchiviste de la mairie de Bordeaux se souvient lui aussi que Mlle Mars savait « communiquer aux acteurs qui la secondaient une portion du feu sacré dont elle était remplie »[19]. Emulation nécessaire, sans doute : dans son rapport de 1818, un inspecteur des théâtres dresse le constat sans appel de la piètre qualité des troupes de province; linspecteur note le désintérêt et la mauvaise humeur du public, quil attribue en partie à la « nullité » des acteurs locaux.[20]
Difficile de savoir exactement quel était le niveau de la troupe rouennaise. Dun soir à lautre, dun artiste à lautre, les performances sont inégales, daprès la presse. Quant aux appréciations portées sur leurs collègues provinciaux par les artistes parisiens, elles varient considérablement : Frédérick Lemaître et Marie Dorval sont favorablement impressionnés. Frédérick, qui dans sa correspondance parle souvent de « théâtres ignobles » pour dépeindre ses tournées, note dans ses Souvenirs : « La troupe du grand théâtre de Rouen [ ] passait à cette époque, et à juste titre, pour lune des premières de la province »[21]. Marie Dorval, dans les lettres quelle envoie à son amant Vigny, manifeste une sympathie réelle pour le milieu théâtral rouennais. Elle crédite le public de napprécier guère Les Enfants dEdouard de Casimir Delavigne, pourtant réputé en son pays, et de préférer le drame romantique authentique à la pâle copie quil en donne[22]. Alors quelle népargne pas les acteurs de Dijon, quelle trouve ignorants, dénués de « la moindre distinction, [ du] moindre sentiment de lart »[23], son jugement sur Rouen est très favorable :
Le théâtre est charmant, bien éclairé. La troupe est très bonne, toutes les femmes sont jeunes et jolies, mises comme à Paris, et même mieux.
On ne peut exclure que Marie Dorval force un peu son enthousiasme : elle est alors dans une situation difficile à Paris, où son engagement à la Comédie-Française tarde à se concrétiser. Son succès à Rouen est manifestement une revanche contre ses relatifs déboires parisiens (elle écrit à Vigny : « dis-le je ten prie pour les faire enrager »). Mais à Frédérick Lemaître, avec qui elle nentretient pas les mêmes relations de séduction, elle écrit sans fard:
Vous connaissez la troupe, je ne vous en dirai donc rien pour ne pas vous apprendre ce que vous savez aussi bien que moi. Tous ces messieurs et ces dames sont fort bien pour moi, dabord parce que je ne leur demande rien, en demandant beaucoup on obtient si peu que je nai pas le courage de men casser la tête, et aussi je suis charmante ! cest un plaisir de jouer avec moi ! [24]
Où lon voit que la vocation pédagogique de Marie a ses limites Quant à Rachel, elle accable les comédiens rouennais de son mépris:
[ ] Je nai presque pas la force de vous écrire ; lennui me tue [ ]. Il me semble que je préférerais la mort à cette vie que je traîne comme un forçat traîne sa chaîne. Je vous quitte, jai une répétition. Allons, il faut encore souffrir, ils sont si mauvais ![25].
Lhistoire locale ne leur rend pas justice non plus. Ainsi, à loccasion de la réouverture après reconstruction du Théâtre des Arts en 1882, le vieil acteur rouennais Emile Coquatrix évoque dans des vers de circonstance le souvenir des artistes parisiens venus en excursion ; et les quelques mots quil a pour ses anciens confrères ne retiennent que ceux qui firent ensuite une carrière parisienne : Samson, Félix, Leclère et Mélingue[26].
Le dénicheur de talents
Il arrive cependant que la visite dun grand acteur soit pour un comédien local loccasion de sa révélation et de sa promotion sociale. La star fait alors office de mentor. Ainsi, lors de sa tournée de 1833, Frédérick Lemaître aide un confrère rouennais à sortir de lombre. Frédérick est attendu pour LAuberge des Adrets, qui a fait son succès, avec une impatience quil juge lui-même disproportionnée. Pour faire valoir les pièces de son répertoire quil tient dans une plus grande estime, Richard Darlington, La Mère et la fille, Trente ans ou la vie dun joueur, et La Tour de Nesle, Frédérick précise aux directeurs quil jouera LAuberge des Adrets au Théâtre des Arts en clôture de son excursion. Entre temps, il se rend comme spectateur au Théâtre-Français, où il a loccasion dadmirer les compositions dAndré Hoffmann, premier comique de la troupe. Or Frédérick manque dun comparse à la hauteur de Serres ou Firmin pour interpréter Bertrand dans LAuberge des Adrets. On a beau lui opposer le principe intangible de la séparation des deux troupes, Lemaître annonce par voie de presse quil ne jouera pas LAuberge des Adrets sans Hoffmann. Malgré les plaintes dun groupe dabonnés, la direction cède : devant le risque que représenterait la défection de Frédérick et la déprogrammation de LAuberge des Adrets, Hoffmann est engagé « par extraordinaire et pour cette fois seulement», et dispose de huit jours pour apprendre et répéter son rôle. Le succès est immense, au point que les abonnés eux-mêmes réclament son engagement au Théâtre des Arts. Quelques années plus tard, il sera admis aux Variétés, où il sillustrera dans de nombreux vaudevilles.
La même année, Marie Dorval joue un rôle tout aussi décisif pour la carrière de son partenaire rouennais Alexandre, alias Gustave, alias Mélingue[27] ; il joue notamment à ses côtés Georges de Germany dans Trente ans ou la vie dun joueur, le duc de Guise dans Henri III et sa cour, et le rôle titre dAntony. Lors de son premier séjour, à la fin de lété, dans une lettre à Vigny, elle ne le flatte guère, le jugeant « très médiocre », et prétendant le « tue[r] un peu avec [s]on naturel. »[28] Mais elle apprend vite à apprécier ses mérites, puisquelle le convainc de tenter sa chance à Paris; quelques mois plus tard, pendant le printemps 1834, elle ladresse à Dumas :
Mon cher Dumas,
Je tadresse M. Gustave, qui vient de jouer la comédie avec moi à Rouen.
Cest, comme tu le vois, un beau premier rôle, plein dinexpérience et de bonne volonté, et qui a sa place marquée à la Porte-Saint-Martin.
Quelle que chose que tu fasses pour lui, il est homme à te rendre en te jouant un jour tes rôles comme personne ne te les jouera.
Dailleurs, cause avec lui, dis-lui de te raconter sa vie, et tu verras que tu as affaire à un véritable artiste.
Ta bien bonne amie
Marie Dorval
A supposer que cette lettre ne soit pas apocryphe[29], Marie voit juste: Mélingue deviendra lun des acteurs fétiches des drames historiques de Dumas (cest lui le créateur de dArtagnan à la scène), et connaîtra une glorieuse carrière, sillustrant notamment dans la reprise de Ruy Blas à lOdéon en 1872[30].
La relation qui unit le maître à ses disciples, on le voit, est très variable selon les situations : elle est composée, dun côté, du désir détendre sa gloire et sa fortune, de transmettre son art et de dénicher des talents, de lautre, dun mélange détonant dadmiration, dhumiliation, démulation, de jalousie et dopportunisme.
La province à lécole de Paris
Difficile, dans ces conditions, de juger la qualité de la relation pédagogique. On peut en revanche repérer les innovations auxquelles les acteurs parisiens initient leurs confrères.
La mise en scène
Ce qui manque le plus cruellement aux théâtres de province, en labsence de subvention publique, ce sont les moyens matériels. Cette raison économique poussait Pixerécourt à prophétiser limpossibilité de monter des mélodrames en province:
Le mélodrame naura jamais cette vogue en province parce quil a besoin de brillants accessoires, de beaucoup de répétitions et dune représentation soignée. En province, le mélodrame est rarement représenté pour la raison surtout quil y est monté mesquinement et sans soin.[31]
Même si largent fait effectivement défaut pour réaliser avec tout le luxe nécessaire les clous du mélodrame ou les espaces machinés de certains drames modernes (comme lescalier de Chatterton), la province nignore pas lart de la mise en scène. Les livrets fournis par des journaux spécialisés comportent des indications sur la plantation et la manuvre des décors, la liste des accessoires, les principaux déplacements, et des suggestions pour simplifier les mises en scènes originales. Dautre part, on consent des efforts financiers pour les pièces à la mode. Mais faute dun « metteur en scène », au sens moderne du terme, aucune vision densemble ne préside à la conception des spectacles.
Cest donc la création parisienne qui fait référence, et la qualité de la représentation provinciale se mesure à laune de sa proximité avec ce modèle. Lorsquils reçoivent un artiste parisien, les directeurs de province attendent de lui quil indique aux acteurs les déplacements et les intonations des créateurs du rôle. Frédérick Lemaître se prêtait à cette fonction didactique avec passion. Marie Dorval ny rechigne pas non plus, qui écrit de Rouen à Vigny quelle « repète tous les jours depuis dix heures du matin jusquà trois heures »[32]. Et de Reims : « [ ] je mets tout le monde en scène, je règle les décors et on compose la musique séance tenante daprès mes indications»[33]. Lors de son second séjour à Rouen, elle profite dune lettre damour écrite à Dumas, depuis peu son amant secret[34], pour lui demander des précisions sur la mise en scène dHenri III et sa cour :
Je sors de la répétition. St-Mégrin et le duc de Guise se sont presque arrachés les yeux pour la scène IV du 2e acte. Quand St-Mégrin lui lance la dragée au milieu de la poitrine, comment sont-ils en scène ? Ecris cela vite vite dans une lettre à moi, ils ne veulent céder ni lun ni lautre. Jai dit que jallais técrire. Indique cela bien clairement sur un petit papier à part. [35]
Dorval, malgré son entente de la scène et ses facultés dinvention, se réfère en dernier recours à la mise en scène originale, où elle nétait pas[36], et qui fera autorité sur les comédiens de province, lesquels ont intériorisé la loi de limitation de la création parisienne.
La couleur locale
Cest Talma, promoteur de la couleur locale à la Comédie-Française, qui sensibilise les Rouennais à la « couleur locale ». Lors de sa tournée de 1816, il exige de la direction un décor dépoque pour Les Templiers. Le chroniqueur de la vie théâtrale rouennaise, Bouteiller, sen félicite :
Cette dernière tragédie a été pour la première fois représentée dans un palais gothique. La scène sétait toujours passée auparavant dans un bel appartement darchitecture grecque ou romaine, ce qui ne laissait pas que dêtre assez ridicule. Cette heureuse réforme a été due aux observations de Talma. [37]
Pour amortir la dépense, le prix des places est considérablement augmenté. Si Talma ne pouvait certes pas déménager les décors de la Comédie-Française, il transportait en revanche dans ses malles de nombreux costumes, ce dont témoigne une lettre écrite au directeur du théâtre de Caen, à qui Talma propose, profitant dune prochaine excursion à Rouen et au Havre, de venir donner quelques représentations :
Si le rôle de Henry V et celui de la reine vous embarrassaient, un jeune homme qui vient au Havre et à Rouen, pourrait sans émoluments se charger du rôle, et Mme Petit qui vient avec moi à Rouen vous jouerait la reine pour une très faible rétribution. Elle pourrait même jouer Gertrude dans Hamlet. Jai des costumes pour tous les acteurs de ces deux pièces ; ainsi cela ne doit point vous inquiéter. Jai aussi avec moi quelques habits romains et grecs pour Sylla, etc.[38]
Le réalisme du décor et du costume contribuent au « naturel », qui sexerce dans le jeu par la diction et la pantomime.
Le « naturel » : diction et pantomime
Derrière ce terme vague, la critique entend à la fois le réalisme de lexpression, la cohérence sémiotique, et lapparente identification de lacteur au personnage :
Mme Dorval, voyez-vous, ce nest pas une actrice qui a étudié un rôle, et vient le débiter plus ou moins bien devant un parterre curieux ; cest une femme, type de bonté, de douceur et de résignation [ ] Il ny avait quune voix pour admirer je ne dirai pas le talent, ce serait trop peu, mais lincomparable naturel de Mme Dorval, et pour sidentifier à ses souffrances. [39]
M. Samson est plein de naturel, tant le personnage et lartiste semblent identifiés lun avec lautre. Pas un geste qui nait sa signification, pas une inflection (sic) qui najoute une pensée à la parole dite, pas un regard qui nait sa valeur, son but et son résultat immédiat [40].
La diction est le premier critère de ce nouveau « naturel ». On accorde une attention très grande à la performance vocale des acteurs. A une époque où le mélange des genres fait évoluer les codes de la représentation, entre la déclamation chantante héritée de la tradition classique et lesthétique mélodramatique du cri, toutes les nuances sont possibles, et les acteurs sont jugés à la maîtrise de ces effets. On reproche aux comédiens de province leur diction soit monocorde, soit précipitée. Ils ne savent pas « prendre des temps » :
Que Mlle Nadège se rappelle Mlle Mars, quelle a plus dune fois imitée ; Talma, quelle a pu entendre dans ses dernières années : ces grands artistes, tout en laissant apercevoir la césure des vers, savaient, avec un tact parfait, sarrêter quelquefois, avant ou après et rompaient ainsi avec la monotonie du débit. [ ] Quils se règlent sur lexemple des meilleurs acteurs de Paris, ils les verront prendre des temps et ne presser leur débit quà des intervalles très rares et pendant peu dinstants. [41]
Il va sans dire que cet art est indissociable dune bonne intelligence du texte : il ne suffit pas de ralentir le débit ou de marquer des silences pour jouer juste. Appliquée mécaniquement, la technique tourne vite au procédé.
La diction du vers est particulièrement critique. On se rend compte à loccasion de la première venue de Rachel à Rouen, en juin 1840, que les acteurs ne savent pas dire les alexandrins. Et même, quils ne savent pas jouer Corneille et Racine, et le chroniqueur du Journal de Rouen reconnaît leur mérite à se risquer à un exercice aussi difficile : « Sils ne peuvent sélever au niveau de Mlle Rachel, il faut leur savoir gré de leur bonne volonté et leur tenir compte de létat de désuétude où la tragédie est tombée en province »[42]. Les spectateurs eux-mêmes ont perdu toute familiarité avec ces grands textes : la plupart nont jamais assisté à une tragédie classique. Ce qui donne loccasion au Journal de Rouen de fournir à ses lecteurs un véritable cours de littérature française sur huit colonnes, suite à la représentation dHorace donnée par la grande tragédienne. Le chroniqueur sémerveille dentendre le texte classique dit dune manière radicalement neuve :
sa diction est nette, correcte, intelligente, parfois un peu lente, mais exempte, dans les moments de passion et dentraînement, de ce hoquet dramatique si fatigant chez les tragédiennes de lancienne école. [43]
Rappelons que la diction « naturelle » de Rachel consiste à régler son débit davantage sur la syntaxe et la ponctuation que sur la prosodie, à réconcilier les logiques de la phrase et du vers.
En 1828, les acteurs anglais passent par Rouen et font découvrir lart du jeu muet. Certains acteurs rouennais sessaient à les imiter, allant jusquà risquer, lannée suivante, de tourner le dos au public. Linnovation fait sensation. La pantomime, dans laquelle excellent les acteurs romantiques, est particulièrement difficile à exécuter pour un comédien inexpérimenté : elle suppose une sûreté de soi et une intelligence de luvre dont peu se sentent capables. Ceux qui sy risquent sombrent parfois sous le ridicule à cause de leur maladresse ou de leurs excès. Par différence, on apprécie lefficacité et la sobriété de la pantomime de Rachel qui, « sans être outrée, est toujours expressive »[44].
La pantomime joue aussi un rôle primordial dans le ballet romantique, qui rompt avec la grammaire des pas classiques pour promouvoir lexpressivité dans la fable. Mais à Rouen, où un corps de ballet est créé en 1833, les danseurs sexercent surtout à perfectionner leur technique. Les visites de Marie Taglioni, de Fanny Elssler, de Mlle Fitz-James et de Carlotta Grisi leur permettent de mesurer la distance qui leur reste à parcourir pour doter leur jeu de cette expressivité proprement dramatique.
Mais ce que les excursions ne permettent pas de montrer, cest le jeu concerté des grands acteurs romantiques, dont Marie Dorval et Frédérick donnent lexemple le plus accompli. Adolphe Dumas, rouennais qui connaît les théâtres de Paris, le repère finement:
Frédérick en est à sa dernière représentation, il est déjà jugé à Rouen : vrai comme la vérité, dune grande conception et dune exécution puissante. Et cependant, ce nest rien que de le voir jouer quelques rôles à la hâte, comme en passant, au milieu dun personnel nouveau, dun répertoire impromptu, et de soirées qui, malgré la volonté et le talent de chacun, gardent toujours un air dimprovisation. Il faudrait lavoir suivi assidûment à la Porte-Saint-Martin, dans sa maison et chez lui en quelque sorte, avec sa famille dartistes [ ] Vous qui navez vu Frédérick quen représentation, vous ne connaissez que la peau du lion. Frédérick de Paris reste à Paris et nen sort pas. Mme Dorval dit de lui : Il me donne la moitié de mon talent ! Frédérick en dit autant de Mme Dorval, ce qui établit que Rouen na encore applaudi que la moitié de lun et de lautre. [45]
Derrière le brio des formules perce lidée de mise en scène comme conception artistique densemble, où lon ne saurait plus juger séparément des performances individuelles.
Le drame romantique
Outre le « jeu » romantique, cest le genre même du drame que les acteurs parisiens parviennent à imposer à Rouen, où la création dAntony avait donné lieu à une mémorable bataille. Expérience peu concluante. Bocage, créateur du personnage éponyme, venu ensuite en excursion, avait gagné quelques spectateurs au drame. Enfin cest Dorval, créatrice du premier rôle féminin, qui, lors de sa visite de 1833, réconcilie les Rouennais avec Antony, et, plus généralement, avec le drame romantique. Elle lécrit à Vigny :
Jaurai fait une grande révolution ici, ils deviennent romantiques, par moi ingrats qui mabandonnez à Paris. [46]
Le chroniqueur du Journal de Rouen reconnaît ses torts, lui qui a rejeté Antony à sa création rouennaise. Il dit en sentir désormais, grâce à Dorval, toute la vérité.
Malgré les préventions des Rouennais contre le drame romantique, la salle du Théâtre des Arts est comble chaque fois que le nom de Mme Dorval est sur laffiche, chaque soirée fait des convertis et si cela durait une saison, il ny aurait pas de raison pour que la nouvelle école ne vînt fonder sous peu sa première académie en Normandie [47].
Mais une fois les comédiens parisiens partis, leurs collègues rouennais se trouvent démunis pour assumer les grands rôles romantiques. Ainsi, après la défection pour maladie de Mlle Mars, qui devait venir créer Angelo, tyran de Padoue, la troupe rouennaise ne peut plus compter que sur elle-même, et le résultat nest pas fameux : Mmes Wenzel et Simonnet, qui interprètent respectivement Catarina et Tisbe, font regretter le duo de choc de la création entre Mars et Dorval. La critique en conclut à limpossibilité, pour les acteurs de province, dassumer dignement les rôles créés par leurs auteurs à la taille des stars parisiennes[48].
Doubles liens
Leffort de perfectionnement mène à une impasse: tous les moyens publics étant réservés à la capitale, seule à disposer de théâtres subventionnés, les meilleurs acteurs, après sêtre fait connaître en province, sont happés par Paris. Dans la lettre quil écrit au ministre de lIntérieur en 1820 pour lui rendre compte, comme cest son devoir, de lannée théâtrale écoulée, le préfet de Seine-Inférieure se félicite sur ce critère de lexcellente qualité de la troupe : « trois des acteurs qui plaisaient le plus ont été engagés cette année par les principaux théâtres de Paris »[49].
Si la province peut légitimement senorgueillir dêtre le vivier des célébrités parisiennes, elle en paie très cher les conséquences, par une fuite des talents continue. « Laffaire Richebourg » survenue à Rouen en 1814-1815 en offre un exemple. Le directeur de Rouen doit faire face à une pénurie demploi d'Elleviou dans la troupe lyrique. Il recrute Richebourg, ancien élève du Conservatoire, pensionnaire du Théâtre des Arts qui avait plu au public. L'artiste reçoit une avance de 1000F sur son traitement futur et 1700F correspondant à l'engagement de sa garde-robe d'acteur. Mais une fois le contrat signé, il reçoit inopinément un ordre de débuts à l'Opéra-Comique. Nul acteur ne pouvait se soustraire à un tel ordre émanant dune scène subventionnée. Le directeur du théâtre de Rouen, Corréard, met tout en oeuvre pour obtenir l'annulation de cette mesure qui le place dans une situation désespérée ; dans une lettre au ministre de lIntérieur, il se plaint du tort que la scène subventionnée lui fait subir en toute légalité :
Un ordre de début au théâtre de lOpéra-Comique [ ] en rompant dautorité mon traité avec ce pensionnaire a porté le plus grand préjudice à mon entreprise et à mes intérêts de directeur parce que les artistes qui tiennent cet emploi sont tellement rares que je nai pas pu réussir à le remplacer et que cette privation paralyse le répertoire de lopéra dans le genre le plus goûté du public.[50]
Ses démarches pour remplacer Richebourg étant infructueuses, il adresse dautres plaintes au ministre, dénonçant les effets pervers de la centralisation:
[ ] si ces théâtres ont le droit denvahir tout ce qui leur paraît bon dans les troupes des principales villes de lempire et la liberté de semparer de tous les sujets qui sortent avec quelque talent de lécole nationale [ ] les maux qui en résulteront [ ] entraîneront infailliblement la chute et la ruine de tous les établissements de théâtre dans les grandes villes de lempire.[51]
Du côté des acteurs, le double lien est autre : on leur recommande de prendre modèle sur les acteurs parisiens, mais quand ils y parviennent, on leur reproche leur manque doriginalité. Joanny est ainsi surnommé « le Talma de la province », lui qui pourtant créera avec brio le rôle de Don Ruy Gomez dans Hernani. Alexandre Dumas en témoigne, de manière générale:
Nous avons souvent fait venir de Lyon, de Marseille ou de Bordeaux des artistes quune grande réputation départementale désignait elle-même à notre choix ; eh bien, presque toujours nous avons trouvé en eux des copies de quelque grand talent parisien, que léloignement faisait croire original et qui pâlissait vite au soleil ardent de Paris.[52]
Pour un romantique, le génie est inimitable. Le provincial est donc piégé: on lui conseille dimiter les acteurs parisiens, mais en même temps, on proclame quils sont uniques. Sa seule chance déchapper à cette contradiction est de disposer dun génie personnel qui le fera repérer, et devenir à son tour un grand acteur, cest-à-dire un acteur parisien.
[1] Romantisme, Maîtres et disciples, textes réunis par Yvan Leclerc, n°122, 4e trimestre 2003.
[2] Ce travail sinscrit dans le cadre du groupe de recherches sur la vie théâtrale à Rouen au XIXe siècle, créé en 1996 à linitiative de Claude Millet, et dont jassure aujourdhui la direction, au département de Lettres Modernes de luniversité de Rouen, au sein du CEREdI (Centre dEtudes et de Recherches Editer-Interpréter), avec le soutien de lInstitut de recherches en S.H.S., Haute-Normandie.
[3] Voir larticle de Claude Millet et Florence Naugrette, «Un faubourg de Paris ? Le théâtre à Rouen sous la Monarchie de Juillet», Province-Paris. Une topographie littéraire du XIXe siècle, actes du colloque de Rouen, textes réunis par Yvan Leclerc et Amélie Djourachkovitch, Publications de lUniversité de Rouen, 2000.
[4] Le relevé qui suit nest naturellement pas exhaustif, mais indicatif.
[5] Engouement auquel participe Flaubert, qui écrit à cette occasion un de ses premiers textes. Quand Rachel revient en 1843, elle doit essuyer la mauvaise humeur du public, qui, en froid avec la direction, se venge sur les artistes. Caroline Flaubert, qui assiste à la représentation du 2 juin, témoigne de cet accueil houleux dans une lettre à son frère (sur cet incident, voir le développement de Sylvie Chevalley, Rachel, Calmann-Lévy, 1989, p.153).
[6] Voir le mémoire de maîtrise de Magali Périnet, La Vie théâtrale à Rouen sous la Seconde République, s.l.d. F. Naugrette, département de Lettres Modernes, Université de Rouen, 2001. Sous la Seconde République, la crise pousse les artistes parisiens à se réfugier en province pour trouver du travail.
[7] Christine Bouillon, Un acteur et son public. Frédérick Lemaître à Paris et en province, 1823-1876, thèse sous la direction dAlain Corbin, Université de Paris I, 1998, p.374.
[8] Alain Corbin, « Lagitation dans les théâtres de province sous la Restauration », Le Temps, le désir et lhorreur, Flammarion, 1998.
[9] Rachel, lettre à Mme de Girardin datée de Rouen, le 1er juin 1843, dans Georges dHeylli, Rachel daprès sa correspondance, Paris, Librairie des bibliophiles, 1882, p.134.
[10] Flaubert, Madame Bovary, Ie partie, chapitre VII, éd. Jacques Neefs, Livre de Poche, 1999, p.106.
[11] Sur ces notions déconomie du spectacle, voir Dominique Leroy, Histoire des arts du spectacle en France, LHarmattan, 1990.
[12] Marie Dorval, Lettres à Alfred de Vigny, Gallimard, 1942, p.59.
[13] Lécrivain Adolphe Duams, que Frédérick fréquente pendant son séjour normand, partage alors son temps entre Rouen et Paris.
[14] Voir le mémoire de maîtrise dAnne-Gaëlle Abhervé, Danse et ballets au théâtre des Arts de Rouen (1833-1839), s.l.d. F. Naugrette, département de Lettres Modernes de lUniversité de Rouen, 1998.
[15] Journal de Rouen, avril 1851.
[16] Journal de Rouen, 22 août 1833.
[17] Lexpression est employée par le chroniqueur du Journal politique du Calvados, le 27 avril 1826, à propos de Talma.
[18] Samson, Mes Mémoires, Paris, Ollendorff (2e édition), p.163.
[19] Arnaud Detcheverry, Histoire des théâtres de
Bordeaux depuis leur origine jusquà nos jours, Bordeaux, Imprimerie
de J. Delmas, 1860, p.199. Hugo s'en souveient aussi, faisant dire à
Thénardier, qui vient de se prétendre élève de
Talma : "Je ne puis sortir faute d'un habit. Si j'avais le moindre habit,
j'irais voir mademoiselle Mars qui me connaît et qui m'aime beaucoup.
Ne demeure-t-elle pas toujours rue de la Tour-des-Dames ? Savez-vous, monsieur?
nous avons joué ensemble en province. J'ai partagé ses lauriers.
Célimène viendrait à mon secours, monsieur! Elmire ferait
l'aumône à Bélisaire! " (Les Misérables,
III, 8, 9).
[20] Rapport publié par Henri Clouzot, « Journal dun inspecteur des théâtres sous la Restaurantion », Bulletin de la société de lhistoire du théâtre, 1908, p.243.
[21] Souvenirs de Frédérick Lemaître publiés par son fils, Paris, Ollendorff, 1880, p.156.
[22] Marie Dorval, Lettres à Alfred de Vigny, p.46.
[23] Ibid., p.86-87.
[24] Lettre de Marie Dorval à Frédérick Lemaître, citée par Christine Bouillon, op. cit, p.397.
[25] Lettre à M. P. Mantel datée de Rouen, 11 juin 1840, dans Georges dHeylli, Rachel daprès sa correspondance, Paris, Librairie des bibliophiles, 1882, p.125.
[26] Emile Coquatrix, Théâtre des Arts. Souvenirs dun vieil artiste, Rouen, Imprimerie de Espérance Cagniard, 1882, p.4-5.
[27] Dans son édition des lettres de Marie Dorval à Vigny, op. cit., p.46, Charles Gaudier distingue à tort Alexandre et Mélingue, qui sont un seul et même acteur.
[28] Lettres à Alfred de Vigny, p.61.
[29] Claude Schopp, qui la publie (« Les Amours de Marie. Dix lettres inédites de Marie Dorval à Alexandre Dumas », Revue dHistoire Littéraire de la France, nov.-déc. 1984., p.933), ne néglige pas cette hypothèse, car elle nest connue que par la transcription quen donne Dumas dans Le Mousquetaire, n° 35, 24 décembre 1853, en introduction au récit de la vie de Mélingue.
[30] Dans Pleins Feux sur Victor Hugo, Arnaud Laster signale les conseils prodigués à Mélingue par Hugo après la première (Comédie-Française, 1981, pp.295-296).
[31] Pixerécourt, Guerre au mélodrame, Paris, Delaunay, 1818.
[32] Lettre du 24 août 1833, op. cit., p.48.
[33] Ibid., lettre du 30 mars 1833, p.37.
[34] Les lettres quelle lui écrit témoignent de la culpabilité qui mine Dorval à lidée de tromper avec Dumas son amant régulier Vigny. Mais on est frappé de constater quau milieu de lexpression dune grande angoisse et de sentiments forts et contradictoires, la grande actrice ne perd jamais de vue lexercice de son métier.
[35] Lettre du 30 décembre 1833, publiée par Claude Schopp, op.cit.
[36] Cest Mlle Mars qui jouait la duchesse de Guise à la création en 1829.
[37] Jules-Edouard Bouteiller, Histoire des théâtres de Rouen depuis leurs origines jusquà nos jours, Giroux et Reanud, 1863, tome II, p.500.
[38] Talma, lettre à M. Julien, directeur du théâtre de Caen, citée par P. de Longuemare, Le théâtre à Caen (1628-1830), Paris, A. Picardet fils, 1895.
[39] Journal de Rouen, 22 août 1833.
[40] Journal de Rouen, 24 avril 1851.
[41] Journal de Rouen, 3 février 1829.
[42] Journal de Rouen, 10 juin 1840.
[43] Journal de Rouen, 7 juin 1840.
[44] Journal de Rouen, 7 juin 1840.
[45] Adolphe Dumas, cité dans Souvenirs de Frédérick Lemaître, p.168-169.
[46] Marie Dorval, lettre à Alfred de Vigny, p.61.
[47] Journal de Rouen, 31 août 1833. Notons que le journaliste englobe aussi dans le drame romantique le mélodrame social de Ducange Trente ans ou la vie dun joueur, grand succès de Marie Dorval.
[48] Voir à ce sujet la communication de Sonia Salès au Groupe Hugo (21 juin 1997), disponible sur le site internet (www.groupugo.univ-paris-diderot.fr).
[49] Lettre transcrite par Bouteiller, op. cit., tome III, p.47.
[50] Lettre de M. Corréard au ministre de lIntérieur, 3 novembre 1814.
[51] Lettre de M. Corréard au ministre de lIntérieur, 3 avril 1815.
[52] Alexandre Dumas, Souvenirs dramatiques, Michel Lévy frères, 1868, tome I, p.66.