Florence Naugrette : La province à l'école : les acteurs parisiens en excursion à Roue (1800-1851)

Communication au Groupe Hugo du 20 décembre 2003
Ce texte peut être téléchargé, dans la mise en page de son auteur, au format pdf.


Je vous présente ici une version très légèrement modifiée de l’article publié ce mois-ci dans la revue Romantisme, dans le numéro consacré à la relation «  Maîtres et disciples », dirigé par Yvan Leclerc[1]. Il n’y sera pas principalement question de Hugo, pour lequel je renvoie à l’exposé de Sonia Sallès disponible  sur notre site, à la séance du 21 juin 1997.

 

Si le monde du théâtre au XIXe siècle est, on le sait, un milieu impitoyable où même les grands acteurs parisiens, leur heure de gloire passée,  ne sont à l’abri ni de la disgrâce, ni, en l’absence de protection sociale, de la ruine, l’exercice du métier en province est un combat plus dur encore : formés sur le tas, en l’absence de conservatoires régionaux ou municipaux, malmenés par la pratique humiliante des « débuts », contraints de signer des contrats d’engagement qui leur assignent des obligations colossales sans leur accorder presque aucun droit, exclus de la bonne société des notables, limités matériellement par des directeurs d’autant plus économes qu’ils sont responsables du budget de l’établissement sur leurs propres deniers, les acteurs de province ont fort à faire, non seulement pour survivre, mais aussi pour éprouver la fierté de leur art, et progresser dans son exercice.

Dans ce contexte, la venue des comédiens parisiens en excursion permet de se former aux nouveautés. Comment fonctionne cette école du provincial, quels en sont les effets pervers, c’est la question qu’on étudie ici, en prenant pour exemple les troupes rouennaises, qui jouissent au XIXe siècle d’une des meilleures réputations de la province[2].

Rouen fait alors partie des rares villes importantes autorisées à disposer de deux lieux théâtraux: le Théâtre des Arts, à l’angle de la rue Grand-Pont et de la rue des Charrettes, sur le quai de la Seine, est spécialisé dans les « grands genres », représentés dans les théâtres subventionnés de la capitale. Le Théâtre-Français, dit aussi « salle des Eperlans », en raison de sa proximité avec la Halle aux Poissons, se situe place du Vieux-Marché ; plus petit, il est en principe réservé aux genres mineurs, pratiqués sur les boulevards parisiens. L’élite bourgeoise est abonnée au premier, et un public plus populaire est censé fréquenter le second. En réalité, la distinction des répertoires et des publics entre les deux théâtres est poreuse. [3]

 

Le système des excursions

Dès le début du siècle, on trouve trace d’excursions d’artistes parisiens à Rouen[4] : ainsi, Mlle Contat, du Théâtre-Français, vient fréquemment y passer ses vacances théâtrales sous l’Empire. Dugazon, alors premier comique au Théâtre-Français et professeur à l’Ecole dramatique, rend aussi plusieurs visites. Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, on accueille Joanny, Gontier, Jenny Colon, Ligier, Bocage, Mlle Georges, etc. Mlle Déjazet reste 3 mois sous la Seconde République. Les séjours des plus grandes vedettes marquent l’histoire de la ville : Mlle Mars vient en 1812, puis régulièrement, comme Talma, qui comprend très tôt tout le bénéfice financier que l’on peut tirer des tournées pendant les vacances d’été. Marie Dorval est à Rouen fin août- début septembre 1833, où elle triomphe dans Antony, Trente ans ou la vie d’un joueur, la Fausse Agnès, Jeanne Vaubernier, Les Enfants d’Edouard, Clotilde et La Jeune femme en colère ; elle revient fin décembre, et reste jusqu’au 10 janvier, pour 10 représentations. En octobre 1833, Frédérick Lemaître, qui a accepté les invitations que lui ont lancées les théâtres de Rouen et du Havre, se produit dans les deux salles, donnant 9 représentations, avec Richard Darlington, La Mère et la fille, Othello, La Tour de Nesle, et L’Auberge des Adrets. Le séjour de Rachel en juin 1840, où elle joue Horace, Cinna, Andromaque, Bajazet et Tancrède de Voltaire, déclenche un véritable engouement[5]. Tout au long de notre période, le rythme des excursions s’accélère, de quelques unes par an sous l’Empire, jusqu’à deux artistes parisiens par mois au minimum sous la Seconde République[6].

Les artistes locaux sont tenus de donner la réplique aux acteurs en excursion : dans cette fonction de faire-valoir, il doivent au besoin jouer « par complaisance » des rôles qui sortent de leur emploi. Le programme étant pré-défini, l’acteur a pu envoyer les manuscrits ou les brochures, ainsi que les partitions de la musique de scène, afin de n’avoir que les derniers réglages à mettre au point à son arrivée. Pour certains, qui conçoivent les tournées comme un à-côté lucratif (la « machine à argent », comme dit Marie Dorval), le programme est très serré. On arrive parfois le matin, après une nuit de voyage, pour jouer le soir même et repartir de nuit vers une autre destination. Mais à Rouen, comme dans les autres villes d’importance, on s’arrête généralement plus longtemps, une dizaine de jours en moyenne. Certains peuvent rester quelques jours de plus, accordant des représentations supplémentaires sur les instances du public. Sous cette pression, Frédérick Lemaître rajoute parfois in extremis à son programme certains des grands succès de son répertoire. De Belgique, il écrit à ses enfants de lui envoyer en urgence ses costumes de Robert Macaire ou de Kean avec les brochures correspondantes.[7] Lors de sa venue à Rouen en 1833, Marie Dorval remporte un tel succès que le directeur du Théâtre des Arts la supplie de donner trois représentations supplémentaires, payées généreusement (1200F).

Au-delà de cette motivation financière, une touche sentimentale colore la venue des acteurs d’origine normande (par la naissance, comme Bocage ou Frédérick, ou parce qu’ils y ont débuté leur carrière, comme Joanny ou Samson), qui reviennent saluer le pays.

Alain Corbin l’a montré[8], le public provincial est tapageur ; et celui de Rouen a la réputation d’exigence la plus redoutable. Dans l’argot du métier, d’ailleurs, « aller à Rouen » signifie être sifflé. Les comédiens en tournée y donc davantage le « trac ». C’est pourquoi Rachel se félicite, dans sa correspondance, d’avoir franchi l’obstacle :

 

Le public rouennais, qui a la réputation d’être très difficile et la prétention de le paraître, a bien voulu se montrer indulgent à mon égard ; il m’a applaudie, et il a fait un bien plus grand effort : il m’a écoutée. Or, vous savez sans doute que les habitants de cette bonne ville se promènent dans le parterre pendant la représentation et ne prêtent aux acteurs qu’une attention dédaigneuse. [9]

 

La venue des acteurs parisiens est une aubaine. Le contact est pris soit par eux-mêmes, soit par les directeurs, soit par l’entremise d’une agence. A une époque où le public se détourne du répertoire classique, et se lasse des productions médiocres et répétitives, les comédiens parisiens remportent un succès de curiosité qui garantit au théâtre une fréquentation record, et donc un renflouage assuré des caisses, d’autant plus que les abonnements sont suspendus et le prix des places augmenté, ce qui n’empêche pas le public d’affluer de toute la région. C’est pourquoi Emma Bovary peut s’étonner que Charles n’ait « jamais été curieux […] pendant qu’il habitait Rouen, d’aller voir au théâtre les acteurs de Paris. [10]»

De tous les théâtres de la capitale, même si le Vaudeville, le Gymnase et les Variétés sont souvent sollicités, ce sont les scènes subventionnés qui sont le plus cotées. On recherche particulièrement les grands chanteurs de l’Opéra (Nourrit vient plusieurs fois à Rouen). Il faut dire que, même si le Théâtre des Arts comporte à la fois une troupe dramatique et une troupe lyrique, cette dernière est sous-employée, car monter un grand opéra coûte cher. Elle se cantonne souvent dans l’opéra-comique, moins dispendieux. Aussi, la venue des chanteurs parisiens est-elle une occasion unique de voir un grand opéra.

Dans la première moitié du siècle, on ne connaît pas encore le système des tournées d’une troupe entière. Quand un grand acteur se déplace, il voyage seul, ou presque, quittant momentanément sa troupe pour profiter de sa gloire, à titre d’invité exceptionnel, dans une autre troupe où il ne s’intègre pas, et qui lui sert de faire-valoir. C’est le principe du « stock star system », intermédiaire entre le « stock system » à l’ancienne, où les troupes constituées et sédentaires, protégées par les privilèges, jouent en circuit fermé, et le « star system » capitaliste moderne, où une troupe est constituée autour d’une vedette pour monter un spectacle dont la rentabilité est assurée par la notoriété du grand acteur[11]. Dans le « stock star system », le grand acteur invité est considéré comme un maître, comme un roi.

 

Maîtres et disciples : une relation délicate

Royauté de l’idole

Sa royauté est d’abord métaphorique: pendant son séjour provincial, il est traité avec tous les honneurs, par la municipalité et par les notables, qui l’accueillent dans leurs salons, tandis qu’en temps ordinaire les acteurs locaux sont quant à eux victimes d’un ostracisme social. Les actrices invitées reçoivent couronnes, bouquets, et poèmes dédicacés. « Ta royauté récente est partout reconnue », dit un vers adressé à Rachel lors de son passage à Rouen en juin 1840. La correspondance de Rachel et de Marie Dorval donne de nombreux exemples de ce véritable culte, qui, du propre aveu de cette dernière, la grise, mais ne l’empêche pas de se « trouve[r] le soir seule dans [s]a chambre, et triste comme la mort »[12].

Mais la comparaison royale ne relève pas que du mode épidictique. Le grand acteur est un mage, un guide pour ses confrères et pour le public. Comme tout « génie », au sens romantique du terme, il suit la loi de sa propre inspiration, et non pas les leçons de l’imitation. Son génie lui confère un « empire » supérieur même au pouvoir politique. C’est le sens de l’image du monarque dans la longue lettre qu’écrit Adolphe Dumas[13] au directeur de la Revue de Rouen après les représentations de Frédérick Lemaître en 1833 :

 

A présent que le voilà roi, il visite ses sujets de province pour s’assurer de l’amour des populations. Il a raison, tout l’Empire n’est pas à Rome. Remercions-le d’abord d’avoir songé à nous. C’est bien peu que des félicitations de bienvenue, en retour des dix admirables représentations qu’il nous donne, et qui, avec celles de Mme Dorval, doivent entrer dans l’histoire de Rouen. […] Ils étaient rois de Paris, ils seront rois de France.

 

Sous l’Ancien Régime, les entrées royales étaient des spectacles faisant date dans l’histoire d’une ville ; dans la société révolutionnée, c’est le grand comédien, issu des classes populaires et parvenu à l’empyrée, qui est le nouveau roi : son entrée en scène est l’épiphanie du peuple.

 

Concurrence déloyale

Mais ce culte cache des réalités économiques et sociales moins reluisantes, et les sacrifices à l’idole ne sont pas toujours consentis de bon cœur. Ainsi, quand Marie Taglioni vient danser sa fameuse Sylphide en 1837, elle reçoit un accueil ambigu : d’un côté, on est flatté qu’elle s’arrête deux jours à Rouen sur la route du Havre où elle s’embarque pour l’Angleterre ; de l’autre on trouve exagérées les dépenses consenties pour son passage, comme la transformation du parterre en stalles, qui entraînent une augmentation du prix des places[14]. Quant aux acteurs locaux, ils sont partagés entre l’honneur de jouer avec une célébrité, et la jalousie de voir cette dernière toucher à elle seule la moitié des recettes, ou recevoir un fixe exorbitant.

En période de crise sociale et économique, cette inégalité des salaires, trop criante, peut engendrer de graves contentieux. Ainsi, sous la Seconde République, tandis que la situation des théâtres en France est désastreuse, l’orchestre du Théâtre des Arts s’oppose à Poultier, artiste de l’Opéra en excursion : rémunéré au pourcentage des recettes, l’orchestre exige une part de la somme fixe allouée à Poultier, 420F, pour jouer La Favorite. Poultier refusant de céder, l’orchestre se met en grève. Poultier quitte le théâtre. L’orchestre lui intente un procès, au terme duquel l’artiste parisien est condamné à une amende pour rupture de son engagement. Poultier ne reviendra jamais à Rouen.

 

Humiliation ou émulation ?

Les acteurs souffrent aussi des comparaisons que la critique établit entre leur niveau et celui de l’idole, donnée comme un maître, comme dans cet article consacré à Samson :

 

Cet atticisme artistique, ce génie d’observation, cette grâce, cette science profonde et cette lucidité d’initiation n’appartiennent qu’à l’acteur consommé, au chef d’école M. Samson qui a joué le rôle du Tartuffe en véritable professeur. [15]

 

Cela n’empêche pas les journalistes d’accorder aux artistes locaux le mérite d’avoir appris leur rôle au pied levé, et de s’être courageusement mesurés à plus forte pointure. Le Journal de Rouen reconnaît ainsi les mérites des partenaires de Marie Dorval dans Antony :

 

Je dois dire que Mme Dorval a été parfaitement secondée. Alexandre, dans le rôle d’Antony, a été plein de verve et d’expression. A part quelques légères fautes de diction, quelques expressions grimaçantes de physionomie, il n’a droit qu’à des éloges. Mlles Demalty, Laignelet et Brochard représentent fort convenablement la facile vicomtesse, la bonne sœur de Mme d’Hervey et la cruelle Mme de Camps. Borssat a très bien dit sa petite discussion littéraire, Lemaure charge peut-être un peu trop la caricature de l’abonné du « Constitutionnel », mais c’est le seul plaisant de toute l’assemblée, il faut bien lui pardonner quelques traits outrés.[16]

 

La presse provinciale considère d’ailleurs généralement que la simple présence de la star « électrise » la troupe locale, opère une sorte de « contagion du talent »[17], surtout quand les acteurs parisiens se montrent bons camarades, ce qui est le cas de Mlle Mars et de Marie Dorval. Samson se rappelle le sympathique soutien en coulisse de Mlle Mars, à qui il donnait, « par complaisance », la réplique dans Tartuffe, lors de sa visite en 1816 à Rouen, où il était jeune débutant[18]. L’archiviste de la mairie de Bordeaux se souvient lui aussi que Mlle Mars savait « communiquer aux acteurs qui la secondaient une portion du feu sacré dont elle était remplie »[19]. Emulation nécessaire, sans doute : dans son rapport de 1818, un inspecteur des théâtres  dresse le constat sans appel  de la piètre qualité des troupes de province; l’inspecteur note le désintérêt et la mauvaise humeur du public, qu’il attribue en partie à la « nullité » des acteurs locaux.[20]

Difficile de savoir exactement quel était le niveau de la troupe rouennaise. D’un soir à l’autre, d’un artiste à l’autre, les performances sont inégales, d’après la presse. Quant aux appréciations portées sur leurs collègues provinciaux par les artistes parisiens, elles varient considérablement : Frédérick Lemaître et Marie Dorval sont favorablement impressionnés. Frédérick, qui dans sa correspondance parle souvent de « théâtres ignobles » pour dépeindre ses tournées, note dans ses Souvenirs : « La troupe du grand théâtre de Rouen […] passait à cette époque, et à juste titre, pour l’une des premières de la province »[21]. Marie Dorval, dans les lettres qu’elle envoie à son amant Vigny, manifeste une sympathie réelle pour le milieu théâtral rouennais. Elle crédite le public de n’apprécier guère Les Enfants d’Edouard de Casimir Delavigne, pourtant réputé en son pays, et de préférer le drame romantique authentique à la pâle copie qu’il en donne[22]. Alors qu’elle n’épargne pas les acteurs de Dijon, qu’elle trouve ignorants, dénués de « la moindre distinction, […du] moindre sentiment de l’art »[23], son jugement sur Rouen est très favorable :

 

Le théâtre est charmant, bien éclairé. La troupe est très bonne, toutes les femmes sont jeunes et jolies, mises comme à Paris, et même mieux.

 

On ne peut exclure que Marie Dorval force un peu son enthousiasme : elle est alors dans une situation difficile à Paris, où son engagement à la Comédie-Française tarde à se concrétiser. Son succès à Rouen est manifestement une revanche contre ses relatifs déboires parisiens (elle écrit à Vigny : « dis-le je t’en prie pour les faire enrager »). Mais à Frédérick Lemaître, avec qui elle n’entretient pas les mêmes relations de séduction, elle écrit sans fard:

 

Vous connaissez la troupe, je ne vous en dirai donc rien pour ne pas vous apprendre ce que vous savez aussi bien que moi. Tous ces messieurs et ces dames sont fort bien pour moi, d’abord parce que je ne leur demande rien, — en demandant beaucoup on obtient si peu que je n’ai pas le courage de m’en casser la tête, — et aussi je suis charmante ! c’est un plaisir de jouer avec moi !… [24]

 

Où l’on voit que la vocation pédagogique de Marie a ses limites… Quant à Rachel, elle accable les comédiens rouennais de son mépris:

 

[…] Je n’ai presque pas la force de vous écrire ; l’ennui me tue […]. Il me semble que je préférerais la mort à cette vie que je traîne comme un forçat traîne sa chaîne. Je vous quitte, j’ai une répétition. Allons, il faut encore souffrir, ils sont si mauvais ![25].

 

L’histoire locale ne leur rend pas justice non plus. Ainsi, à l’occasion de la réouverture après reconstruction du Théâtre des Arts en 1882, le vieil acteur rouennais Emile Coquatrix évoque dans des vers de circonstance le souvenir des artistes parisiens venus en excursion ; et les quelques mots qu’il a pour ses anciens confrères ne retiennent que ceux qui firent ensuite une carrière parisienne : Samson, Félix, Leclère et Mélingue[26].

 

Le dénicheur de talents

Il arrive cependant que la visite d’un grand acteur soit pour un comédien local l’occasion de sa révélation et de sa promotion sociale. La star fait alors office de mentor. Ainsi, lors de sa tournée de 1833, Frédérick Lemaître aide un confrère rouennais à sortir de l’ombre. Frédérick est attendu pour L’Auberge des Adrets, qui a fait son succès, avec une impatience qu’il juge lui-même disproportionnée. Pour faire valoir les pièces de son répertoire qu’il tient dans une plus grande estime, Richard Darlington, La Mère et la fille, Trente ans ou la vie d’un joueur, et La Tour de Nesle, Frédérick précise aux directeurs qu’il jouera L’Auberge des Adrets au Théâtre des Arts en clôture de son excursion. Entre temps, il se rend comme spectateur au Théâtre-Français, où il a l’occasion d’admirer les compositions d’André Hoffmann, premier comique de la troupe. Or Frédérick manque d’un comparse à la hauteur de Serres ou Firmin pour interpréter Bertrand dans L’Auberge des Adrets. On a beau lui opposer le principe intangible de la séparation des deux troupes, Lemaître annonce par voie de presse qu’il ne jouera pas L’Auberge des Adrets sans Hoffmann. Malgré les plaintes d’un groupe d’abonnés, la direction cède : devant le risque que représenterait la défection de Frédérick et la déprogrammation de L’Auberge des Adrets, Hoffmann est engagé « par extraordinaire et pour cette fois seulement», et dispose de huit jours pour apprendre et répéter son rôle. Le succès est immense, au point que les abonnés eux-mêmes réclament son engagement au Théâtre des Arts. Quelques années plus tard, il sera admis aux Variétés, où il s’illustrera dans de nombreux vaudevilles.

La même année, Marie Dorval joue un rôle tout aussi décisif pour la carrière de son partenaire rouennais Alexandre, alias Gustave, alias Mélingue[27] ; il joue notamment à ses côtés Georges de Germany dans Trente ans ou la vie d’un joueur, le duc de Guise dans Henri III et sa cour, et le rôle titre d’Antony. Lors de son premier séjour, à la fin de l’été, dans une lettre à Vigny, elle ne le flatte guère, le jugeant « très médiocre », et prétendant le « tue[r] un peu avec [s]on naturel. »[28] Mais elle apprend vite à apprécier ses mérites, puisqu’elle le convainc de tenter sa chance à Paris; quelques mois plus tard, pendant le printemps 1834, elle l’adresse à Dumas :

 

Mon cher Dumas,

Je t’adresse M. Gustave, qui vient de jouer la comédie avec moi à Rouen.

C’est, comme tu le vois, un beau premier rôle, plein d’inexpérience et de bonne volonté, et qui a sa place marquée à la Porte-Saint-Martin.

Quelle que chose que tu fasses pour lui, il est homme à te rendre en te jouant un jour tes rôles comme personne ne te les jouera.

D’ailleurs, cause avec lui, dis-lui de te raconter sa vie, et tu verras que tu as affaire à un véritable artiste.

Ta bien bonne amie

Marie Dorval

 

A supposer que cette lettre ne soit pas apocryphe[29], Marie voit juste: Mélingue deviendra l’un des acteurs fétiches des drames historiques de Dumas (c’est lui le créateur de d’Artagnan à la scène), et connaîtra une glorieuse carrière, s’illustrant notamment dans la reprise de Ruy Blas à l’Odéon en 1872[30].

La relation qui unit le maître à ses disciples, on le voit, est très variable selon les situations : elle est composée, d’un côté, du désir d’étendre sa gloire et sa fortune, de transmettre son art et de dénicher des talents, de l’autre, d’un mélange détonant d’admiration, d’humiliation, d’émulation, de jalousie et d’opportunisme.

 

La province à l’école de Paris

Difficile, dans ces conditions, de juger la qualité de la relation pédagogique. On peut en revanche repérer les innovations auxquelles les acteurs parisiens initient leurs confrères.

 

La mise en scène

Ce qui manque le plus cruellement aux théâtres de province, en l’absence de subvention publique, ce sont les moyens matériels. Cette raison économique poussait Pixerécourt à prophétiser l’impossibilité de monter des mélodrames en province:

 

Le mélodrame n’aura jamais cette vogue en province parce qu’il a besoin de brillants accessoires, de beaucoup de répétitions et d’une représentation soignée. En province, le mélodrame est rarement représenté pour la raison surtout qu’il y est monté mesquinement et sans soin.[31]

 

Même si l’argent fait effectivement défaut pour réaliser avec tout le luxe nécessaire les clous du mélodrame ou les espaces machinés de certains drames modernes (comme l’escalier de Chatterton), la province n’ignore pas l’art de la mise en scène. Les livrets fournis par des journaux spécialisés comportent des indications sur la plantation et la manœuvre des décors, la liste des accessoires, les principaux déplacements, et des suggestions pour simplifier les mises en scènes originales. D’autre part, on consent des efforts financiers pour les pièces à la mode. Mais faute d’un « metteur en scène », au sens moderne du terme, aucune vision d’ensemble ne préside à la conception des spectacles.

C’est donc la création parisienne qui fait référence, et la qualité de la représentation provinciale se mesure à l’aune de sa proximité avec ce modèle. Lorsqu’ils reçoivent un artiste parisien, les directeurs de province attendent de lui qu’il indique aux acteurs les déplacements et les intonations des créateurs du rôle. Frédérick Lemaître se prêtait à cette fonction didactique avec passion. Marie Dorval n’y rechigne pas non plus, qui écrit de Rouen à Vigny qu’elle « repète tous les jours depuis dix heures du matin jusqu’à trois heures »[32]. Et de Reims : « […] je mets tout le monde en scène, je règle les décors et on compose la musique séance tenante d’après mes indications»[33]. Lors de son second séjour à Rouen, elle profite d’une lettre d’amour écrite à Dumas, depuis peu son amant secret[34], pour lui demander des précisions sur la mise en scène d’Henri III et sa cour :

 

Je sors de la répétition. St-Mégrin et le duc de Guise se sont presque arrachés les yeux pour la scène IV du 2e acte. Quand St-Mégrin lui lance la dragée au milieu de la poitrine, comment sont-ils en scène ? Ecris cela vite vite dans une lettre à moi, ils ne veulent céder ni l’un ni l’autre. J’ai dit que j’allais t’écrire. Indique cela bien clairement sur un petit papier à part. [35]

 

Dorval, malgré son entente de la scène et ses facultés d’invention, se réfère en dernier recours à la mise en scène originale, où elle n’était pas[36], et qui fera autorité sur les comédiens de province, lesquels ont intériorisé la loi de l’imitation de la création parisienne.

 

La couleur locale

C’est Talma, promoteur de la couleur locale à la Comédie-Française, qui sensibilise les Rouennais à la « couleur locale ». Lors de sa tournée de 1816, il exige de la direction un décor d’époque pour Les Templiers. Le chroniqueur de la vie théâtrale rouennaise, Bouteiller, s’en félicite :

 

Cette dernière tragédie a été pour la première fois représentée dans un palais gothique. La scène s’était toujours passée auparavant dans un bel appartement d’architecture grecque ou romaine, ce qui ne laissait pas que d’être assez ridicule. Cette heureuse réforme a été due aux observations de Talma. [37]

 

Pour amortir la dépense, le prix des places est considérablement augmenté. Si Talma ne pouvait certes pas déménager les décors de la Comédie-Française, il transportait en revanche dans ses malles de nombreux costumes, ce dont témoigne une lettre écrite au directeur du théâtre de Caen, à qui Talma propose, profitant d’une prochaine excursion à Rouen et au Havre, de venir donner quelques représentations :

 

Si le rôle de Henry V et celui de la reine vous embarrassaient, un jeune homme qui vient au Havre et à Rouen, pourrait sans émoluments se charger du rôle, et Mme Petit qui vient avec moi à Rouen vous jouerait la reine pour une très faible rétribution. Elle pourrait même jouer Gertrude dans Hamlet. J’ai des costumes pour tous les acteurs de ces deux pièces ; ainsi cela ne doit point vous inquiéter. J’ai aussi avec moi quelques habits romains et grecs pour Sylla, etc.[38]

 

Le réalisme du décor et du costume contribuent au « naturel », qui s’exerce dans le jeu par la diction et la pantomime.

 

Le « naturel » : diction et pantomime

Derrière ce terme vague, la critique entend à la fois le réalisme de l’expression, la cohérence sémiotique, et l’apparente identification de l’acteur au personnage :

 

Mme Dorval, voyez-vous, ce n’est pas une actrice qui a étudié un rôle, et vient le débiter plus ou moins bien devant un parterre curieux ; c’est une femme, type de bonté, de douceur et de résignation […] Il n’y avait qu’une voix pour admirer je ne dirai pas le talent, ce serait trop peu, mais l’incomparable naturel de Mme Dorval, et pour s’identifier à ses souffrances. [39]

M. Samson est plein de naturel, tant le personnage et l’artiste semblent identifiés l’un avec l’autre. Pas un geste qui n’ait sa signification, pas une inflection (sic) qui n’ajoute une pensée à la parole dite, pas un regard qui n’ait sa valeur, son but et son résultat immédiat [40].

 

La diction est le premier critère de ce nouveau « naturel ». On accorde une attention très grande à la performance vocale des acteurs. A une époque où le mélange des genres fait évoluer les codes de la représentation, entre la déclamation chantante héritée de la tradition classique et l’esthétique mélodramatique du cri, toutes les nuances sont possibles, et les acteurs sont jugés à la maîtrise de ces effets. On reproche aux comédiens de province leur diction soit monocorde, soit précipitée. Ils ne savent pas « prendre des temps » :

 

Que Mlle Nadège se rappelle Mlle Mars, qu’elle a plus d’une fois imitée ; Talma, qu’elle a pu entendre dans ses dernières années : ces grands artistes, tout en laissant apercevoir la césure des vers, savaient, avec un tact parfait, s’arrêter quelquefois, avant ou après et rompaient ainsi avec la monotonie du débit. […] Qu’ils se règlent sur l’exemple des meilleurs acteurs de Paris, ils les verront prendre des temps et ne presser leur débit qu’à des intervalles très rares et pendant peu d’instants. [41]

 

Il va sans dire que cet art est indissociable d’une bonne intelligence du texte : il ne suffit pas de ralentir le débit ou de marquer des silences pour jouer juste. Appliquée mécaniquement, la technique tourne vite au procédé.

La diction du vers est particulièrement critique. On se rend compte à l’occasion de la première venue de Rachel à Rouen, en juin 1840, que les acteurs ne savent pas dire les alexandrins. Et même, qu’ils ne savent pas jouer Corneille et Racine, et le chroniqueur du Journal de Rouen reconnaît leur mérite à se risquer à un exercice aussi difficile : « S’ils ne peuvent s’élever au niveau de Mlle Rachel, il faut leur savoir gré de leur bonne volonté et leur tenir compte de l’état de désuétude où la tragédie est tombée en province »[42]. Les spectateurs eux-mêmes ont perdu toute familiarité avec ces grands textes : la plupart n’ont jamais assisté à une tragédie classique. Ce qui donne l’occasion au Journal de Rouen de fournir à ses lecteurs un véritable cours de littérature française sur huit colonnes, suite à la représentation d’Horace donnée par la grande tragédienne. Le chroniqueur s’émerveille d’entendre le texte classique dit d’une manière radicalement neuve :

 

sa diction est nette, correcte, intelligente, parfois un peu lente, mais exempte, dans les moments de passion et d’entraînement, de ce hoquet dramatique si fatigant chez les tragédiennes de l’ancienne école. [43]

 

Rappelons que la diction « naturelle » de Rachel consiste à régler son débit davantage sur la syntaxe et la ponctuation que sur la prosodie, à réconcilier les logiques de la phrase et du vers.

En 1828, les acteurs anglais passent par Rouen et font découvrir l’art du jeu muet. Certains acteurs rouennais s’essaient à les imiter, allant jusqu’à risquer, l’année suivante, de tourner le dos au public. L’innovation fait sensation. La pantomime, dans laquelle excellent les acteurs romantiques, est particulièrement difficile à exécuter pour un comédien inexpérimenté : elle suppose une sûreté de soi et une intelligence de l’œuvre dont peu se sentent capables. Ceux qui s’y risquent sombrent parfois sous le ridicule à cause de leur maladresse ou de leurs excès. Par différence, on apprécie l’efficacité et la sobriété de la pantomime de Rachel qui, « sans être outrée, est toujours expressive »[44].

La pantomime joue aussi un rôle primordial dans le ballet romantique, qui rompt avec la grammaire des pas classiques pour promouvoir l’expressivité dans la fable. Mais à Rouen, où un corps de ballet est créé en 1833, les danseurs s’exercent surtout à perfectionner leur technique. Les visites de Marie Taglioni, de Fanny Elssler, de Mlle Fitz-James et de Carlotta Grisi leur permettent de mesurer la distance qui leur reste à parcourir pour doter leur jeu de cette expressivité proprement dramatique.

Mais ce que les excursions ne permettent pas de montrer, c’est le jeu concerté des grands acteurs romantiques, dont Marie Dorval et Frédérick donnent l’exemple le plus accompli. Adolphe Dumas, rouennais qui connaît les théâtres de Paris, le repère finement:

 

Frédérick en est à sa dernière représentation, il est déjà jugé à Rouen : vrai comme la vérité, d’une grande conception et d’une exécution puissante. Et cependant, ce n’est rien que de le voir jouer quelques rôles à la hâte, comme en passant, au milieu d’un personnel nouveau, d’un répertoire impromptu, et de soirées qui, malgré la volonté et le talent de chacun, gardent toujours un air d’improvisation. Il faudrait l’avoir suivi assidûment à la Porte-Saint-Martin, dans sa maison et chez lui en quelque sorte, avec sa famille d’artistes […] Vous qui n’avez vu Frédérick qu’en représentation, vous ne connaissez que la peau du lion. Frédérick de Paris reste à Paris et n’en sort pas. Mme Dorval dit de lui : Il me donne la moitié de mon talent ! Frédérick en dit autant de Mme Dorval, ce qui établit que Rouen n’a encore applaudi que la moitié de l’un et de l’autre. [45]

 

Derrière le brio des formules perce l’idée de mise en scène comme conception artistique d’ensemble, où l’on ne saurait plus juger séparément des performances individuelles.

 

Le drame romantique

Outre le « jeu » romantique, c’est le genre même du drame que les acteurs parisiens parviennent à imposer à Rouen, où la création d’Antony avait donné lieu à une mémorable bataille. Expérience peu concluante. Bocage, créateur du personnage éponyme, venu ensuite en excursion, avait gagné quelques spectateurs au drame. Enfin c’est Dorval, créatrice du premier rôle féminin, qui, lors de sa visite de 1833, réconcilie les Rouennais avec Antony, et, plus généralement, avec le drame romantique. Elle l’écrit à Vigny :

 

J’aurai fait une grande révolution ici, ils deviennent romantiques, par moi ingrats qui m’abandonnez à Paris. [46]

 

Le chroniqueur du Journal de Rouen reconnaît ses torts, lui qui a rejeté Antony à sa création rouennaise. Il dit en sentir désormais, grâce à Dorval, toute la vérité.

 

Malgré les préventions des Rouennais contre le drame romantique, la salle du Théâtre des Arts est comble chaque fois que le nom de Mme Dorval est sur l’affiche, chaque soirée fait des convertis et si cela durait une saison, il n’y aurait pas de raison pour que la nouvelle école ne vînt fonder sous peu sa première académie en Normandie [47].

 

Mais une fois les comédiens parisiens partis, leurs collègues rouennais se trouvent démunis pour assumer les grands rôles romantiques. Ainsi, après la défection pour maladie de Mlle Mars, qui devait venir créer Angelo, tyran de Padoue, la troupe rouennaise ne peut plus compter que sur elle-même, et le résultat n’est pas fameux : Mmes Wenzel et Simonnet, qui interprètent respectivement Catarina et Tisbe, font regretter le duo de choc de la création entre Mars et Dorval. La critique en conclut à l’impossibilité, pour les acteurs de province, d’assumer dignement les rôles créés par leurs auteurs à la taille des stars parisiennes[48].

 

Doubles liens

L’effort de perfectionnement mène à une impasse: tous les moyens publics étant réservés à la capitale, seule à disposer de théâtres subventionnés, les meilleurs acteurs, après s’être fait connaître en province, sont happés par Paris. Dans la lettre qu’il écrit au ministre de l’Intérieur en 1820 pour lui rendre compte, comme c’est son devoir, de l’année théâtrale écoulée, le préfet de Seine-Inférieure se félicite sur ce critère de l’excellente qualité de la troupe : « trois des acteurs qui plaisaient le plus ont été engagés cette année par les principaux théâtres de Paris »[49].

Si la province peut légitimement s’enorgueillir d’être le vivier des célébrités parisiennes, elle en paie très cher les conséquences, par une fuite des talents continue. « L’affaire Richebourg » survenue à Rouen en 1814-1815 en offre un exemple. Le directeur de Rouen doit faire face à une pénurie d’emploi d'Elleviou dans la troupe lyrique. Il recrute Richebourg, ancien élève du Conservatoire, pensionnaire du Théâtre des Arts qui avait plu au public. L'artiste reçoit une avance de 1000F sur son traitement futur et 1700F correspondant à l'engagement de sa garde-robe d'acteur. Mais une fois le contrat signé, il reçoit inopinément un ordre de débuts à l'Opéra-Comique. Nul acteur ne pouvait se soustraire à un tel ordre émanant d’une scène subventionnée. Le directeur du théâtre de Rouen, Corréard, met tout en oeuvre pour obtenir l'annulation de cette mesure qui le place dans une situation désespérée ; dans une lettre au ministre de l’Intérieur, il se plaint du tort que la scène subventionnée lui fait subir en toute légalité :

 

Un ordre de début au théâtre de l’Opéra-Comique […] en rompant d’autorité mon traité avec ce pensionnaire a porté le plus grand préjudice à mon entreprise et à mes intérêts de directeur parce que les artistes qui tiennent cet emploi sont tellement rares que je n’ai pas pu réussir à le remplacer et que cette privation paralyse le répertoire de l’opéra dans le genre le plus goûté du public.[50]

 

Ses démarches pour remplacer Richebourg étant infructueuses, il adresse d’autres plaintes au ministre, dénonçant les effets pervers de la centralisation:

 

[…] si ces théâtres ont le droit d’envahir tout ce qui leur paraît bon dans les troupes des principales villes de l’empire et la liberté de s’emparer de tous les sujets qui sortent avec quelque talent de l’école nationale […] les maux qui en résulteront […] entraîneront infailliblement la chute et la ruine de tous les établissements de théâtre dans les grandes villes de l’empire.[51]

 

Du côté des acteurs, le double lien est autre : on leur recommande de prendre modèle sur les acteurs parisiens, mais quand ils y parviennent, on leur reproche leur manque d’originalité. Joanny est ainsi surnommé « le Talma de la province », lui qui pourtant créera avec brio le rôle de Don Ruy Gomez dans Hernani. Alexandre Dumas en témoigne, de manière générale:

 

Nous avons souvent fait venir de Lyon, de Marseille ou de Bordeaux des artistes qu’une grande réputation départementale désignait elle-même à notre choix ; eh bien, presque toujours nous avons trouvé en eux des copies de quelque grand talent parisien, que l’éloignement faisait croire original et qui pâlissait vite au soleil ardent de Paris.[52]

 

Pour un romantique, le génie est inimitable. Le provincial est donc piégé: on lui conseille d’imiter les acteurs parisiens, mais en même temps, on proclame qu’ils sont uniques. Sa seule chance d’échapper à cette contradiction est de disposer d’un génie personnel qui le fera repérer, et devenir à son tour un grand acteur, c’est-à-dire un acteur parisien.


[1] Romantisme, Maîtres et disciples,  textes réunis par Yvan Leclerc, n°122,  4e trimestre 2003.

[2] Ce travail s’inscrit dans le cadre du groupe de recherches sur la vie théâtrale à Rouen au XIXe siècle, créé en 1996 à l’initiative de Claude Millet, et dont j’assure aujourd’hui la direction, au département de Lettres Modernes de l’université de Rouen, au sein du CEREdI (Centre d’Etudes et de Recherches Editer-Interpréter), avec le soutien de l’Institut de recherches en S.H.S., Haute-Normandie.

[3] Voir l’article de Claude Millet et Florence Naugrette, «Un faubourg de Paris ? Le théâtre à Rouen sous la Monarchie de Juillet», Province-Paris. Une topographie littéraire du XIXe siècle, actes du colloque de Rouen, textes réunis par Yvan Leclerc et Amélie Djourachkovitch, Publications de l’Université de Rouen, 2000.

[4] Le relevé qui suit n’est naturellement pas exhaustif, mais indicatif.

[5] Engouement auquel participe Flaubert, qui écrit à cette occasion un de ses premiers textes. Quand Rachel revient en 1843, elle doit essuyer la mauvaise humeur du public, qui, en froid avec la direction, se venge sur les artistes. Caroline Flaubert, qui assiste à la représentation du 2 juin, témoigne de cet accueil houleux dans une lettre à son frère (sur cet incident, voir le développement de Sylvie Chevalley, Rachel, Calmann-Lévy, 1989, p.153).

[6] Voir le mémoire de maîtrise de Magali Périnet, La Vie théâtrale à Rouen sous la Seconde République, s.l.d. F. Naugrette, département de Lettres Modernes, Université de Rouen, 2001. Sous la Seconde République, la crise pousse les artistes parisiens à se réfugier en province pour trouver du travail.

[7] Christine Bouillon, Un acteur et son public. Frédérick Lemaître à Paris et en province, 1823-1876, thèse sous la direction d’Alain Corbin, Université de Paris I, 1998, p.374.

[8] Alain Corbin, « L’agitation dans les théâtres de province sous la Restauration », Le Temps, le désir et l’horreur, Flammarion, 1998.

[9] Rachel, lettre à Mme de Girardin datée de Rouen, le 1er juin 1843, dans Georges d’Heylli, Rachel d’après sa correspondance, Paris, Librairie des bibliophiles, 1882, p.134.

[10] Flaubert, Madame Bovary, Ie partie, chapitre VII, éd. Jacques Neefs, Livre de Poche, 1999, p.106.

[11] Sur ces notions d’économie du spectacle, voir Dominique Leroy, Histoire des arts du spectacle en France, L’Harmattan, 1990.

[12] Marie Dorval, Lettres à Alfred de Vigny, Gallimard, 1942, p.59.

[13] L’écrivain Adolphe Duams, que Frédérick fréquente pendant son séjour normand, partage alors son temps entre Rouen et Paris.

[14] Voir le mémoire de maîtrise d’Anne-Gaëlle Abhervé, Danse et ballets au théâtre des Arts de Rouen (1833-1839), s.l.d. F. Naugrette, département de Lettres Modernes de l’Université de Rouen, 1998.

[15] Journal de Rouen, avril 1851.

[16] Journal de Rouen, 22 août 1833.

[17] L’expression est employée par le chroniqueur du Journal politique du Calvados, le 27 avril 1826, à propos de Talma.

[18] Samson, Mes Mémoires, Paris, Ollendorff (2e édition), p.163.

[19] Arnaud Detcheverry, Histoire des théâtres de Bordeaux depuis leur origine jusqu’à nos jours, Bordeaux, Imprimerie de J. Delmas, 1860, p.199. Hugo s'en souveient aussi, faisant dire à Thénardier, qui vient de se prétendre élève de Talma : "Je ne puis sortir faute d'un habit. Si j'avais le moindre habit, j'irais voir mademoiselle Mars qui me connaît et qui m'aime beaucoup. Ne demeure-t-elle pas toujours rue de la Tour-des-Dames ? Savez-vous, monsieur? nous avons joué ensemble en province. J'ai partagé ses lauriers. Célimène viendrait à mon secours, monsieur! Elmire ferait l'aumône à Bélisaire! " (Les Misérables, III, 8, 9).

[20] Rapport publié par Henri Clouzot, « Journal d’un inspecteur des théâtres sous la Restaurantion », Bulletin de la société de l’histoire du théâtre, 1908, p.243.

[21] Souvenirs de Frédérick Lemaître publiés par son fils, Paris, Ollendorff, 1880, p.156.

[22] Marie Dorval, Lettres à Alfred de Vigny, p.46.

[23] Ibid., p.86-87.

[24] Lettre de Marie Dorval à Frédérick Lemaître, citée par Christine Bouillon, op. cit, p.397.

[25] Lettre à M. P. Mantel datée de Rouen, 11 juin 1840, dans Georges d’Heylli, Rachel d’après sa correspondance, Paris, Librairie des bibliophiles, 1882, p.125.

[26] Emile Coquatrix, Théâtre des Arts. Souvenirs d’un vieil artiste,  Rouen, Imprimerie de Espérance Cagniard, 1882, p.4-5.

[27] Dans son édition des lettres de Marie Dorval à Vigny, op. cit., p.46, Charles Gaudier distingue à tort Alexandre et Mélingue, qui sont un seul et même acteur.

[28] Lettres à Alfred de Vigny, p.61.

[29] Claude Schopp, qui la publie (« Les Amours de Marie. Dix lettres inédites de Marie Dorval à Alexandre Dumas », Revue d’Histoire Littéraire de la France, nov.-déc. 1984., p.933), ne néglige pas cette hypothèse, car elle n’est connue que par la transcription qu’en donne Dumas dans Le Mousquetaire, n° 35, 24 décembre 1853, en introduction au récit de la vie de Mélingue.

[30] Dans Pleins Feux sur Victor Hugo, Arnaud Laster signale les conseils prodigués à Mélingue par Hugo après la première (Comédie-Française,  1981, pp.295-296).

[31] Pixerécourt, Guerre au mélodrame, Paris, Delaunay, 1818.

[32] Lettre du 24 août 1833, op. cit., p.48.

[33] Ibid., lettre du 30 mars 1833, p.37.

[34] Les lettres qu’elle lui écrit témoignent de la culpabilité qui mine Dorval à l’idée de tromper avec Dumas son amant régulier Vigny. Mais on est frappé de constater qu’au milieu de l’expression d’une grande angoisse et de sentiments forts et contradictoires, la grande actrice ne perd jamais de vue l’exercice de son métier.

[35] Lettre du 30 décembre 1833, publiée par Claude Schopp, op.cit.

[36] C’est Mlle Mars qui jouait la duchesse de Guise à la création en 1829.

[37] Jules-Edouard Bouteiller, Histoire des théâtres de Rouen depuis leurs origines jusqu’à nos jours, Giroux et Reanud, 1863, tome II, p.500.

[38] Talma, lettre à M. Julien, directeur du théâtre de Caen, citée par P. de Longuemare, Le théâtre à Caen (1628-1830), Paris, A. Picardet fils, 1895.

[39] Journal de Rouen, 22 août 1833.

[40] Journal de Rouen, 24 avril 1851.

[41] Journal de Rouen, 3 février 1829.

[42] Journal de Rouen, 10 juin 1840.

[43] Journal de Rouen, 7 juin 1840.

[44] Journal de Rouen, 7 juin 1840.

[45] Adolphe Dumas, cité dans Souvenirs de Frédérick Lemaître, p.168-169.

[46] Marie Dorval, lettre à Alfred de Vigny, p.61.

[47] Journal de Rouen, 31 août 1833. Notons que le journaliste englobe aussi dans le drame romantique le mélodrame social de Ducange Trente ans ou la vie d’un joueur, grand succès de Marie Dorval.

[48] Voir à ce sujet la communication de Sonia Salès au Groupe Hugo (21 juin 1997), disponible sur le site internet  (www.groupugo.univ-paris-diderot.fr).

[49] Lettre transcrite par Bouteiller, op. cit., tome III, p.47.

[50] Lettre de M. Corréard au ministre de l’Intérieur, 3 novembre 1814.

[51] Lettre de M. Corréard au ministre de l’Intérieur, 3 avril 1815.

[52] Alexandre Dumas, Souvenirs dramatiques, Michel Lévy frères, 1868, tome I, p.66.