Présents: Guy Rosa, Jean-Pierre Vidal, Denis Sellem, Jean-Marc Hovasse, Myriam Roman, Delphine Gleizes, Hélène Labbe, Marie Tapié, Franck Ruby, Arnaud Laster, Claude Millet, Ludmila Wurtz, Mme Haglund, Marguerite Delavalse, Valérie Presselin, Florence Naugrette, Pierre Georgel, Krishnâ Renou, Anne Ubersfeld, Sylvie Vielledent, Franck Laurent, Josette Acher, Vincent Wallez, Frédéric Weinmann.
Excusés: Pierre Laforgue, Jacques Seebacher, Olivier Decroix, Bertrand Abraham, David Charles, Stéphane Mahuet.
Guy Rosa signale un petit "scoop" déjà à moitié éventé : Hugo n'a probablement pas proclamé la régence le 24 février 1848, ni place Royale, ni à la Bastille. D'abord parce qu'il dit lui-même, dans le texte discuté ci-après, qu'il n'a aucun droit à la proclamer et qu'il l'annonce seulement; ensuite parce que les circonstances dans lesquelles il l'aurait fait -mission donnée par Odilon Barrot- sont hautement improbables. Aucun autre texte n'atteste cet épisode que celui de Choses vues, dans la seconde édition, celle de 1900. Or ce texte est éminemment suspect. Proclamation de la Régence de Hugo mise à part, il est formé pour partie de poncifs de l'histoire de février 1848 (un nombre considérable de mémoires, souvenirs, histoires, témoignages ont été publiés) et pour le reste il suit avec une étrange fidélité le témoignage du maire du 8° arrondissement, Ernest Moreau, devant une commission d'enquête.
Quant au manuscrit, l'édition Bouquins avait déjà signalé son absence du volume BN de Choses vues et des volumes connexes. Les éditeurs de l'IN ne l'ont pas non plus eu sous les yeux: ils reviennent toujours aux manuscrits et corrigent le texte publié pour le mettre en conformité avec celui du manuscrit; or, de tous les textes de Choses vues, celui-là est le seul qui, dans l'IN, soit strictement conforme à l'imprimé antérieur.
Ces remarques valent également pour le récit de la visite à Lamartine du 25 février au cours de laquelle Hugo se serait vu offrir le portefeuille de ministre de l'Instruction publique. A quoi s'ajoute le fait que ce portefeuille venait d'être attribué, la veille au soir, à H. Carnot par le gouvernement provisoire.
Ces deux textes ont été vraisemblablement fabriqués de toutes pièces par Meurice, peut-être sur informations venues de Moreau pour le premier et certainement, pour le second, sur celles données par le frère de Meurice, Froment-Meurice, qui accompagne Hugo à l'Hôtel de Ville, mais n'assiste pas à la rencontre avec Lamartine. Mais, le 25, Paris tout entier va voir ce qui se passe à l'Hôtel de Ville.
Arnaud Laster demande quelles pouvaient être les motivations de Meurice dans cette falsification.
Selon Guy Rosa, il s'agissait pour Meurice de combler un vide de la biographie hugolienne, dérangeant parce que la journée est importante. Il n'est pas impossible qu'au fil de discussions, dans les rues, Hugo ait annoncé la nouvelle de la Régence (à moitié fausse, mais il ne serait pas le premier à l'avoir crue vraie) et même qu'il en ait défendu le bien-fondé. Peut-être a-t-il raconté cela à Meurice, ou à Froment-Meurice le lendemain. Ce qui est exclu, c'est la mission donnée par Odilon Barrot (dont les Mémoires existent tout de même et sont consultables) -qui fait fabuler Lacretelle (La Vie politique de V.Hugo) sur un complot entre Barrot, Girardin et Hugo!- et, plus encore, le sens politique que ce texte donne au geste prêté à Hugo.
D'une manière générale, toutes les notices d'Actes et Paroles, mais également les corrections apportées aux textes (sans parler des réactions de l'Assemblée) sont animées par le souci visible -et bien naïf, mais personne n'a jamais dit que Meurice était une lumière- d'augmenter l'importance historique de Hugo. Par ailleurs, Meurice ne comprend pas grand chose aux circonstances -ou les falsifie; cela conduit à des affaiblissements de la position de Hugo (le discours sur les Ateliers nationaux devient incompréhensible) ou à des aberrrrations, telle cette antithèse entre Hugo, chevaleresque défenseur des droits de la duchesse d'Orléans (qui n'en avait aucun: la Chambre avait voté une loi qui confiait une éventuelle régence au duc de Nemours), et Lamartine, traître à son engagement en faveur de la duchesse -précisément dans la discussion de cette loi. Or le contraire est vrai: en 48, Hugo est parfaitement lamartinien. Bref, il serait d'hygiène publique de publier un Actes et discours (ou quelque chose de ce genre qui indique qu'il s'agit bien de la même entreprise mais pas du même texte) philologiquement et historiquement correct. Guy Rosa propose ce sujet de thèse(s) ou ce projet pour le Centenaire de 2002.
* Arnaud Laster annonce la soirée Hugo qui aura lieu à la Bibliothèque Nationale de France, site Tolbiac, le 28 avril à 19 heures. Des textes seront lus et accompagnés de musique: Gounod, Wagner, Britten... Prix des places: 100 francs, ou 65 francs sur présentation de la carte de lecteur.
* Anne Ubersfeld signale un projet de colloque sur l'influence de Hugo en Europe de son vivant, prévu pour 2002. Les renseignements sont à demander à l'Université de Besançon.
* Pierre Laforgue va déménager: il s'installe dans l'appartement même où naquit Victor Hugo, à Besançon.
* Madame Diodati-Remandet a très honorablement soutenu sa thèse sous la direction de Jean-Claude Fizaine: "Victor Hugo et la critique des maîtres en certitudes. L'Âne, pivot d'une réflexion sur la transmission des savoirs (1802-1881)."
* Le Monde annonce l'instruction d'une plainte, déposée par G. Pouchain et R. Sabourin contre Henri Troyat pour plagiat, dans sa biographie de Juliette, de la leur. On feuillette les deux volumes. il ne faut effectivement pas très longtemps pour être convaincu. On épilogue sur ce qui peut pousser cet académicien fortuné à agir de la sorte.
* Arnaud Laster observe que, dans la dernière version cinématographique des Misérables (par B. August), Liam Neeson tient le rôle de Jean Valjean. Guy Rosa, après Léon, rêve tout haut aux analogies entre Jean Valjean et le héros de La Liste de Schindler. On signale une autre coïncidence de la distribution: le rôle de Cosette sera joué par Claire Danes, interprète de Juliette dans Romeo + Juliette.
* Guy Rosa, trop tard alerté par l'agence de veille télévisuelle hugolienne n'a entendu que les dernières mesures de la "chanson d'Esmeralda" à Sacrée Soirée -horresco referens.
* Anne Ubersfeld annonce la tenue d'un colloque à Saint-Petersbourg sur la genèse des manuscrits, à la fin du mois de juin. Elle y parlera des manuscrits de théâtre de Hugo et pourrait présenter sa communication dans une séance future du Groupe Hugo.
* Quelques pages du dernier livre de Georges Didi-Huberman, Phasmes, éditions de Minuit, 1998, sont consacrées aux dessins tachistes de Hugo.
Claude Millet signale que le projet de CD-Rom sur le théâtre de Hugo avance. Des contacts ont été pris et une maquette a été écrite. Il y aura beaucoup de travail de documentation à faire; la collaboration des membres du Groupe Hugo est sollicitée. Ce CD-Rom devrait paraître en 2002. Le choix de quatre pièces de théâtre devrait permettre de faire un travail suffisamment approfondi sans dépasser les ressources du CD-Rom. Les quatre pièces retenues sont: Hernani, Ruy Blas, Lucrèce Borgia et L'Intervention. Cette dernière pièce peut être facilement exploitée par les ressources du CD-Rom: elle fait allusion aux mours de l'époque et pourra être illustrée de documents variés.
Guy Rosa n'est pas certain que les mises en scènes de L'Intervention, souvent le fait de petites troupes, permettent de disposer d'une documentation suffisante. Ce ne serait pas le cas de Mangeront-ils? Et surtout de Mille Francs.
Anne Ubersfeld regrette le choix de Lucrèce Borgia qui, par son écriture même, n'a jamais donné lieu à une mise en scène convaincante. Marie Tudor serait -aurait été?- un choix plus judicieux, notamment en raison de l'extraordinaire mise en scène de Vilar avec Maria Casarès. Anne Ubersfeld précise par ailleurs qu'elle a fait faire une cassette vidéo de la dernière mise en scène de Marie Tudor (celle du Théâtre 14, cette année). On peut la dupliquer à Paris III.
Pierre Georgel aimerait que ce panorama du théâtre hugolien prenne en compte Les Burgraves. Il y a au moins trois représentations qui ont fait date, celle de la création, celle de la fin du siècle et celle de Vitez. Sans compter, précise Arnaud Laster, une diffusion télévisée en 1968.
Franck Laurent précise que, de toute façon, il est déconseillé d'intégrer dans le CD-Rom des images-mouvements. Elles occupent beaucoup de place sur le disque et peuvent entraver le fonctionnement des lecteurs de CD-Rom de capacité moyenne.
Guy Rosa ne croit pas qu'il existera encore des CD Rom en 2002: les lecteurs de DVD (10 fois la capacité d'un CD) sont déjà montés d'origine sur les machines de haut de gamme et les graveurs de DVD sont en vente à Surcouf.
Claude Millet indique que même sans images-mouvements, la collecte des informations et des documents sera très importante pour chaque pièce. Il faudra donner des notices "déroulantes" (par exemple Charles Quint, dans l'ouvre de Hugo, dans l'histoire...), des annotations, des notes lexicologiques (la collaboration de Paris III pourrait être une bonne chose), des adaptations musicales, des caricatures dans la presse de l'époque (à demander à Gérard Pouchain, signale Guy Rosa), une bibliographie pour chaque pièce (les bibliographes de Minard pourraient être mis à contribution), les parodies... et la liste n'est pas exhaustive.
Il s'agit plutôt de penser un produit entre 200 et 500 francs, susceptible d'intéresser un éditeur et destiné à un public relativement large (professeurs, universitaires...) avec une qualité de travail universitaire.
Franck Laurent: Je suis globalement d'accord avec le point de vue de Frédéric Weinmann. Les études en France sont peu nombreuses sur la constitution du nationalisme moderne et je suis toujours étonné de constater la faiblesse des études historiques françaises sur la période de la crise de 1840. Hugo, comme les autres, n'échappe pas à l'idéologie dominante de son temps, à savoir, la revendication de la rive gauche du Rhin comme frontière naturelle, le patriotisme ambiant... Mais il faut aussi noter chez Hugo des différences avec l'opinion la plus communément répandue à cette époque. Hugo récuse certains principes de base du nationalisme, par exemple, la superposition organique entre une entité nationale et un territoire. Les facteurs identifiants de la France, Hugo l'a dit à plusieurs reprises, sont appelés à se disséminer dans l'univers.
Guy Rosa: Oui, mais cela peut tout aussi bien définir un impérialisme.
Franck Laurent: Sûrement et j'ai analysé dans ma thèse
cette fascination de Hugo pour les empires. Mais elle n'apparaît
pas dans les propos ou les projets politiques de Hugo.
Il faut mesurer l'originalité de la position du Rhin,
très peu partagée à l'époque. Hugo dit à
propos de la frontière naturelle du Rhin, qu'il faut proposer, en
échange de la rive gauche, l'aide de la France pour réaliser
l'unité de l'Allemagne. Il dit "oui" à l'unité d'un
grand état allemand dans la mesure où la frontière
naturelle est clairement délimitée. Ses contemporains ne
sont pas nombreux à adopter une telle position.
Guy Rosa: Mais cette proposition d'échange est virtuellement
menaçante: si la rive gauche du Rhin n'est pas donnée à
la France, elle empêchera l'unité de l'Allemagne.
Franck Laurent: Hugo n'en envisage nulle part la possibilité.
Côté français, les nationalistes revendiquent la
frontière naturelle; côté allemand, les nationalistes
préfèrent la frontière linguistique. Hugo prend lui
aussi parti en faveur de la frontière naturelle, car il considère
que la frontière linguistique est trop fluctuante: un état
est toujours en position de modifier la langue des hommes qu'il administre.
La frontière naturelle est plus stable. C'est à partir de
cette stabilité-là que pourrait se construire un nouveau
jeu d'alliances en Europe.
Le nationalisme français est hanté par une double image
de la France: celle de la "grande nation" et l'idée que la France
doit toujours être seule contre tous. Or, en Europe, ce qui prédomine
à cette époque, n'en déplaise aux nationalistes, ce
sont les alliances. La France est obligée de s'allier avec l'Angleterre,
mais ne veut pas le reconnaître. Le nationalisme français
pense toujours la France seule face à l'Europe. Or Hugo a répété
qu'il n'y aurait pas de réalisation de la France sans un système
d'alliances en Europe.
Guy Rosa: Chateaubriand déjà proposait l'abandon de l'alliance
avec l'Angleterre pour celle avec la Russie.
Arnaud Laster: Quelques brèves remarques. Tout d'abord il me
semble utile de rappeler que la pensée de Hugo est en évolution
et qu'on ne peut en rendre compte si on focalise seulement sur un moment
de sa réflexion.
Deuxièmement, il est vrai que de nombreux stéréotypes
sont attachés à Hugo. Il ne faudrait pourtant pas leur substituer
d'autres stéréotypes et continuer d'en faire un nationaliste,
comme on faisait naguère et sans scrupules. L'hymne des Chants
du Crépuscule à été interprété
comme un hymne nationaliste et mis en musique comme tel, alors qu'il s'agit
d'un hommage rendu aux morts de 1830.
Troisièmement, Hugo connaît son tempérament; il
avoue dans une lettre de 1839: "J'ai tout un grand côté bête
et patriote". Mais il a aussi perpétuellement surmonté cette
tendance, son admiration pour Napoléon Ier par exemple.
Guy Rosa: Il est vrai pourtant, conformément à ce que dit Frédéric Weinmann, que la critique contemporaine atténue volontiers le nationalisme de Hugo, juste correction de ce qui avait cours auparavant, mais ne tordons pas trop fort le bâton en sens inverse. Pour ce qui est de l'idée de frontière naturelle, il est intéressant -F. Weinmann vient de le montrer- que ce soit un concept commun, au XIX° siècle, à la gauche, à la droite et à l'extrême droite: ces convergences sont souvent mauvais signe. D'autre part, à la même époque, pacifisme et internationalisme se confondent. Hugo défend tout de même une certaine ambition pour la nation française. Dans une note de 48, il se propose, très curieusement, de distinguer ce qui est bon pour la France et ce qui est bon pour la République. Inquiétant. Dans la conclusion de son portrait de Louis-Philippe en 1862, il ne reproche en définitive au roi que d'avoir été "modeste pour la France"; regrette-t-il qu'il n'ait pas suivi Thiers en 1840?
Arnaud Laster: Qu'est-ce que le nationalisme? C'est, d'une certaine
manière, penser que le pays dont on se réclame - la France
- a toujours raison quoi qu'il fasse. Quand Hugo déclare être
du côté des Mexicains contre la France, pour moi, il fait
de l'antinationalisme.
Guy Rosa (provocateur): Il y a d'autres moyens de ne pas être
nationaliste que la trahison.
Franck Laurent: Le nationalisme est l'idéologie dominante de l'époque. Il est lié à cette idée d'une origine qui doit constituer une nation moderne. On trouve par exemple très tôt, chez Michelet, l'élaboration d'une France éternelle, constituée de la cohorte des bons et grands rois et autres grandes figures de l'Ancien Régime. Or ce sont précisément ceux que le théâtre de Hugo malmène et avec une très grande violence: Richelieu, François Ier. Chez Hugo, très clairement, la valeur de la France est fondée exclusivement sur la Révolution française. Encore un élément par lequel on ne peut taxer Hugo de nationalisme.
Guy Rosa: Chez Hugo, l'identité française se trouve aussi fondée sur sa langue, sa culture, ses penseurs et cette idée prend souvent un accent impérialiste: il revient à la France -celle de la Révolution, soit- de dicter sa pensée au monde. L'idée se fonde d'ailleurs sur une réalité: lors du colloque sur le XIXe siècle, une communication de chercheurs italiens, indiquait que, dans les années 20, les livres et journaux forment le second poste des exportations françaises!
Franck Laurent: Mais le panthéon du William Shakespeare n'est pas que français, loin de là. Et Hugo écrit dans une formule, qui n'est certes qu'une formule "le XVIe siècle était espagnol, le XVIIe siècle était français, le XVIIIe siècle était cosmopolite, le XIXe siècle sera humain".
Anne Ubersfeld: Il faut de toute façon distinguer patriotisme
et nationalisme. Il existe par exemple un patriotisme local pour la Bretagne,
la Provence.
Guy Rosa: Mais Hugo est très peu régionaliste, communaliste
beaucoup plus.
Delphine Gleizes
A la fin de la séance, Mme Josette Acher a cordialement convié le Groupe Hugo à fêter sa soutenance de thèse autour d'un verre de champagne.
La prochaine réunion du Groupe Hugo est le 25 avril; Bertrand Abraham y parlera de l'intertextualité anglaise dans L'Homme qui rit.
Equipe " Littérature et civilisation du XIX° ", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005. Tél : 0144 27 69 81. groupugo@paris7.jussieu.fr
Responsable de l'équipe : Guy Rosa, rosa@paris7.jussieu.fr.