Présents: Jacques Seebacher, Bernard Leuilliot, Arnaud Laster, Marie Tapié, Jean-Marc Hovasse, Jean-Pierre Vidal, Denis Sellem, Françoise Sylvos, Krishnâ Renou, Sylvie Vielledent, Akio Ogata, Stéphane Mahuet, Olivier Decroix, Anne Ubersfeld, Guy Rosa, Florence Naugrette, Myriam Roman, Valérie Presselin, Nicole Savy, Bertrand Abraham, Franck Laurent, Pierre Georgel, Delphine Gleizes, Josette Acher, Claude Millet.
Excusés: David Charles, Ludmila Wurtz, Pierre Laforgue.
*M. Akio Ogata, en séjour de travail en France, honore notre
Groupe de sa présence. Jacques Seebacher rappelle que M. Ogata est
un familier de longue date du Groupe : c'est lui qui a procédé
au repérage et à l'interprétation des épigraphes
de Han d'Islande. On lui doit la traduction de La Légende
des Siècles en japonais. Il expose les grandes lignes de ses
recherches sur Victor Hugo. Il se consacre actuellement à une étude
globale de la modernité chez Victor Hugo dont le plan sera le suivant:
1. Les événements autour de Victor Hugo, sa famille et leur
rapport à la modernité.
2. La vision du progrès chez Victor Hugo; la question de la Révolution
française, de la religion.
3. Victor Hugo et les médias de l'époque: presse, revues...
4. Modernité romanesque (Les Misérables, Quatrevingt-treize,
L'Homme qui rit) et poétique, par rapport à Baudelaire
et Flaubert.
5. Modernité des actes et paroles politiques, rapports à
la censure, discours sur la peine de mort.
6. Modernité dans la peinture de Victor Hugo. Conceptions proches
du surréalisme.
7. Victor Hugo et les caricaturistes. Daumier, Grandville, Nanteuil.
8. Hugo contre le savoir moderne? Spiritisme et tables tournantes.
Une importante lettre de Laurent Fédi alimente les précédents
débat de la manière suivante:
"- En ce qui concerne la problématique déployée
par le Professeur Seebacher au sujet du rapport de Hugo à la Gnose
et au néo-alexandrinisme, je signale à M. Seebacher, au cas
(improbable) où ceci aurait échappé à son impressionnante
érudition, l'existence d'un débat philosophique non fantaisiste
autour de la question "peut-on interpréter la modernité
comme une résurgence de la gnose?" Les protagonistes: E. Voegelin
(The New Science of Politics. An Introduction, The University of
Chicago Press, 1952, ch. IV) et H. Blumenberg, Die Legitimität
der Neuzeit, 2e partie, dans Sekularisierung und Selbstbehauptung,
Suhrkamp, Frankfurt, 1974). Le problème touche les années
1830, mais il n'a rien perdu de son actualité.
" J'ai lu avec beaucoup d'intérêt la communication
de Myriam Roman ("L'Art et la Science au temps du William Shakespeare.
Des chiffres et des lettres"); je la félicite au passage pour
sa brillante thèse. Aux pages 9-10 du compte-rendu, M. Roman explique
que Hugo valorise la droite par rapport au cercle, ce qui selon elle, le
rapprocherait de Descartes, qui envisage le monde comme infini. Elle cite
des textes de Hugo dont j'ignorais presque tout, et qui intéressent
de près les philosophies françaises des sciences et de la
connaissance du dix-neuvième siècle dont je m'occupe.
" Il faut distinguer toujours l'infini en puissance (ce au-delà
de quoi il y a toujours quelque chose) et l'infini en acte (le superlatif,
ce en dehors de quoi il n'y a rien). Descartes reprend sans l'avouer cette
distinction aristotélicienne, et transforme seulement "l'infini
en puissance" en "indéfini"; il conçoit le
monde comme indéfini (par opposition au monde clos des aristotéliciens),
mais réserve l'infini véritable à Dieu (l'absolu).
L'infini véritable (distingué de l'infini en puissance ou
indéfini) est traditionnellement transporté dans la qualité
(la toute-puissance et l'infinie bonté de Dieu en sont des exemples,
sous la forme de l'absolu), tandis qu'il est refusé à la
quantité; c'est à partir des années 1870 que le pas
sera franchi, en Allemagne, grâce à Dedekind et à Cantor,
qui donnent une pertinence mathématique à ce concept.
" Or la ligne peut-être pensée comme simplement
indéfinie; cela revient à dire qu'on ne saurait lui assigner
une limite, mais cela n'implique pas, dans ce cas, son infinité
actuelle. Je me demande alors si Hugo s'arrête là - ce qui
voudrait dire que sa pensée est adéquate au savoir mathématique
de son temps, - ou s'il va plus loin - ce qui l'apparenterait à
une pensée avancée, dont les représentants émergent
vers le milieu du siècle. Hugo n'a-t-il pas anticipé, dans
ces textes, sinon la découverte de l'infini mathématique
actuel, du moins le rapprochement de l'infini absolu et de l'infini quantitatif?
(rapprochement problématique pensé d'ailleurs comme tel par
Cantor, le mathématicien du transfini).
" C'est ici que les textes cités par M. Roman sont, je
crois, parlants.
" 1) Que l'asymptote appartienne aux "apparitions de l'incompréhensible
sous une forme géométrique" semble confirmer, à
mon avis, magnifiquement cette hypothèse. Voici mon opinion: l'incompréhensible,
ce n'est pas qu'une courbe se rapproche indéfiniment d'une droite
fixe sans jamais l'atteindre; cette indéfinité (infini en
puissance) n'a rien d'"incompréhensible"; ce qui est incompréhensible
en un sens, c'est que l'aire délimitée par certaines de ces
courbes avec les axes fixes soit bornée (même quand les courbes
ne le sont pas), parce qu'on tente de se représenter ces aires,
donc aussi ces courbes, comme données, achevées (c'est ce
que suggère le fait qu'elles soient bornées). Il y a là
l'idée d'un infini actuel.
" 2) "Compter l'incalculable", et autres oxymores de
ce genre, vont dans ce sens, et renvoient discrètement, sur un ton
positif, à un discours épistémologique tenu, en général,
à l'époque, par les adversaires de l'infini actuel, pour
désigner justement ce dernier; ces finitistes invoquent habituellement
le fameux paradoxe de Galilée repris par Cauchy et popularisé
par l'abbé Moigno.
" Je ne pense pas que Hugo invente ou légitime l'infini
mathématique en acte; mais je pense qu'il associe, d'une manière
qui demanderait à être creusée (mais cela a dû
être fait), l'infini comme absolu et un concept scientifique d'infinité;
le thème est très intéressant si on le replace dans
le contexte épistémologique de l'époque. Le problème
est complexe: Hegel par exemple, identifie l'infini vrai au cercle (que
Hugo repousse au contraire! si j'ai bien compris).
" Je signale par ailleurs à M. Roman que l'"épistémologie"
hugolienne fait l'objet d'un chapitre dans l'un des derniers livres de
Jean-Marc Lévy-Leblond sur la science moderne (j'ai oublié
son titre); il n'y est pas question de l'infini, mais il y est question
du "pré-bachelardisme"."
*Un Victor Hugo dû à Sophie Grossior vient de paraître
dans la collection " Découvertes Gallimard ".
Il est complet et remarquablement illustré ; mais peut-être
un peu " neutre " dans le commentaire des oeuvres -et
A. Laster lui reproche de ne faire au théâtre qu'une bien
trop faible place.
*La thèse de Ludmila Wurtz vient d'être publiée chez
Champion sous le titre Poétique du sujet lyrique. Guy Rosa
profite de l'absence de son auteur pour en faire l'éloge.
*A signaler aussi plusieurs articles récents :
.C. Letellier "Le merveilleux insulaire à travers Les Travailleurs
de la mer" dans Iles des merveilles. Miroirs, mirages, mythes,
Colloque de Cerisy, L'Harmattan, 1997.
.C. Nunley " (En)gendering Terror. Woomen and Violence in Quatrevingt-treize "
dans The Play of terror in 19° century French, London, Associated University
Presses, 1997.
. G. Gerstman, " The mastery of Language and the langue of mastery
in V. Hugo's L'Homme qui rit ", dans Repression and expression...,
New York. P. Lang, 1996.
.Dietmar Rieger, " Les bibliothèques en feu chez V. Hugo ",
R.H.L.F., nov.-déc. 1997.
* Guy Rosa annonce la mise en place du site Internet du groupe Hugo.
Il donnera accès aux comptes rendus mensuels et aux textes des communications.
Son adresse (son URL dans le langage des " hommes spéciaux ")
est : http://www.groupugo.univ-paris-diderot.fr./groupugo/ACCUEILhtm. Cette page
d'accueil est, pour l'essentiel, le sommaire des séances d'une année.
Chaque compte rendu permet à son tour soit de lire le texte de la
communication du jours (sans ses notes) soit de " télécharger "
le texte complet (au format *. Doc). Pour l'instant, seuls les trois derniers
comptes rendus sont disponibles. Mais Guy Rosa s'emploie à transcrire
les autres. La même page d'accueil, enfin, donnera accès à
la liste complète des communications -de l'origine à nos
jours.
Par ailleurs, en réponse à sa demande, G. Rosa a reçu
les adresses électroniques de plusieurs collègues, résidant
à l'étranger, à qui le service des comptes rendus
sera fait désormais par cette voie. K. Smith, Sandy Petrey, Frank
Wilhelm, Pat Mines, Despina Provata, Bernadette Lintz en ont profité
pour transmettre au Groupe leur amical salut -auquel nous répondons
confraternellement.
*Anne Ubersfeld rend compte de la mise en scène de Marie Tudor
par Christophe Lidon, jouée jusqu'au 8 mars au Théâtre
14, -selon elle, tout à fait convaincante. Arnaud Laster se récrie:
la nudité de Lord Clinton au premier acte -clin d'oeil à
Mesguisch?- n'est pas de son goût.
Le décor et le jeu des acteurs étaient-ils indigents ou intelligemment
dépouillés ? Florence Naugrette note que le jeu était
un mélange très réussi de sobriété et
de passion. Anne Ubersfeld ajoute qu'on y comprend l'une des raisons de
l'échec initial de la pièce. A voir la paralysie ardente
de l'actrice au Théâtre 14, on imagine que Juliette Drouet
n'avait pas su donner assez de force au personnage de Jane. Arnaud Laster
qualifierait moins éloquemment le jeu de cette actrice " godiche ".
Anne Ubersfeld évoque la scène de la prière où
la reine et Jane prient toutes les deux pour leur amant. Alors que la parole
de la reine est forte, celle de Jane est murmurée -à la limite
de l'inaudible, en puissant contraste. Les écrans de télévision
disposés sur scène -gratuits, absurdes et insignifiants selon
les uns, savent, selon les autres, introduire une distance, sans distraire
l'attention. Florence Naugrette note cependant que la rencontre entre le
bourreau et la reine par l'intermédiaire de ces écrans n'est
pas vraiment réussie. Arnaud Laster s'interroge sur l'intérêt
de faire de Simon Renard un homosexuel. Anne Ubersfeld ne l'a pas vu comme
tel. On épilogue... Marie Tudor est-elle débordée
par sa propre passion ou hystérique seulement ?
*Jean-Marc Hovasse fait circuler un exemplaire d'une conférence
de Stapfer intitulé "Victor Hugo et l'affaire Dreyfus".
Utile rappel, en ces temps de commémoration, de l'évidence :
Victor Hugo était bien plus profondément et anciennement
dreyfusard que Zola.
Jacques Seebacher rappelle la personnalité attachante de ce très
jeune universitaire, hôte de Hugo à Guernesey et dont les
souvenirs sont pleins de respect mais aussi d'une liberté de ton
et de regard plus adéquate, sûrement, à Hugo que les
encensements complaisants de beaucoup d'autres visiteurs. C'était
le fils du traducteur du Faust de Goethe en 1825, dans une édition
illustrée par Delacroix, deux ans avant que Nerval ne fasse sa propre
traduction, sans doute à l'aide de celle de son prédécesseur
(Nerval parlait mal l'allemand -le comprenait sans doute beaucoup mieux-
F.-P Bowman dixit).
*Nicole Savy annonce une grande exposition sur Delacroix au Grand Palais,
par les conservateurs du Louvre et du Musée Delacroix. A voir absolument
tout de suite, avant la clôture, l'exposition des dessins de Géricault
aux Beaux-Arts.
Jacques Seebacher se demande si l'expression "le jeune V.H."
ne renvoie pas à François-Victor plutôt qu'à
Charles. Bernard Leuilliot dément : à cette date, François-Victor
ayant directement rejoint son père, il peut bien s'agir que de Charles.
L'expression " le jeune V. Hugo " est à comprendre
comme " Madame Victor Hugo ".
Jacques Seebacher regrette que les nervaliens aient voulu ne voir qu'une
signification plus ou moins alchimique dans l'expression "la nuit
sera blanche et noire" , par laquelle Nerval qualifie la nuit de sa
mort dans la feuille laissée sur son bureau.
Il avait indiqué que l'emploi de cette expression dans Notre-Dame
de Paris lui donne une tout autre signification -si Nerval s'en est
souvenu. Dans Notre-Dame de Paris, un grand
seigneur qualifie par là une année, rendu " blanche
et noire " par deux deuils successifs, dont le second l'a consolé
du premier. Quel est le premier deuil dont le second -le sien propre- console
Nerval ?
J. Seebacher par ailleurs renouvelle son appel à information: qu'est-ce
que, d'un point de vue alchimique sans doute, la " ligne pleine " ?
et le " boustrophédon vertical "?
Arnaud Laster tient à signaler deux travaux importants sur les rapports
de Hugo et de Nerval. Le premier est le mémoire de maîtrise
de Michel Bernard, Nerval, lecteur de Victor Hugo, soutenu à
Paris 3 sous sa direction ; le second un article de Jacques Bony,
"Du contrabandista au Desdichado, Hugo, Nerval et Manuel Garcia",
Actes du colloque de la Sorbonne du 15 novembre 1997. Confirmation
possible de l'intuition de J. Seebacher, Bernard indique l'obsession de
Nerval pour Notre-Dame de Paris dans les derniers jours de sa vie.
La veille de sa mort, il avait entraîné ses amis dans l'ascension
d'une des tours de Notre-Dame.
Jacques Seebacher commente les derniers mots de Hugo concernant Gringoire,
qui finit par faire des tragédies et appelait cela "avoir fait
une fin tragique" (XI, 3). Grossière faute d'histoire littéraire
que personne ne remarque : les premières tragédies sont
écrites plus d'un demi siècle après. Gringoire, qui
vient de côtoyer une véritable tragédie et n'y a rien
compris, finit par en écrire une. Hérésie correctrice
de l'héritage littéraire. Notre-Dame de Paris serait
une mise en liquidation cyclique de l'héritage littéraire:
Sauval réutilisant Du Breul, Hugo réutilisant Sauval pour
manifester la sortie du Moyen-Âge et l'émergence de la Renaissance.
Il s'agit d'une interrogation sur la modernité à chaque étape
de la création et de la réinterprétation littéraires,
le romantisme étant lui aussi comme une renaissance.
Franck Laurent revient sur la mort de Dieu. Dans Les Misérables,
V, I, 20, Hugo cite un mot que lui aurait dit Nerval:
" - Dieu est peut-être mort, disait un jour à
celui qui écrit ces lignes Gérard de Nerval, confondant le
progrès avec Dieu, et prenant l'interruption du mouvement pour la
mort de l'être.
Qui désespère à tort. Le progrès se révèle
infailliblement, et, en somme, on pourrait dire qu'il marche, même
endormi, car il a grandi. "
Peut-on référer cette parole à la seule crise de 1841?
Dans le contexte des Misérables, elle concerne tout l'échec
historique du dix-neuvième siècle: celui de 1815, comme
ceux de 1830, 1832 et, surtout, 1848.
Françoise Sylvos: Le propos est précisément daté
par le témoignage d'A. Karr (Carnets de bord, troisième
série) qui atteste aussi la présence de V. Hugo.
Arnaud Laster: Dans le mémoire de Michel Bernard, cette anecdote
est citée à partir d'un recueil consacré à
Nerval. Le docteur Blanche aurait autorisé une sortie de Nerval
à condition que ce dernier ne boive que du vin coupé avec
de l'eau. Lors du repas, avec Karr et Hugo, la conversation sur le devenir
de l'histoire aurait attiré cette réflexion de Nerval: Dieu
est mort. Mais la fin de l'anecdote prouve que Nerval avait toute sa lucidité
lors de cette rencontre puisqu'il ne fut pas dupe de la boisson qu'on lui
servait et vit bien que le vin était coupé d'eau.
Franck Laurent: A propos des questions politiques sur lesquelles Hugo et
Nerval auraient divergé, il ne semble pas que le culte napoléonien
soit un point de désaccord. Nerval met l'accent sur le peuple. On
ne peut plus subir la tyrannie des petits hommes après avoir subi
celle des grands. Napoléon est le dernier tyran. Hugo dit exactement
la même chose à la même période. La deuxième
ode à la colonne, après 1830 est publiée en revue
avant de paraître dans Les Chants du crépuscule. Pour
Hugo, le souvenir napoléonien n'est pas une atteinte à la
liberté car la France a eu Napoléon pour héros et
ne peut plus l'avoir pour maître. De toute façon d'ailleurs,
comme pour Nerval, Napoléon est trop grand pour l'époque
de 1830.
Par contre, on peut voir des divergences entre Hugo et Nerval sur le régime
politique: pour Hugo, la France a besoin de la république, mais
le moment n'est pas encore venu. Nerval au contraire est républicain
et la monarchie de Louis-Philippe n'est qu'une mascarade.
Françoise Sylvos: Il faut revenir à la représentation
sensible que Nerval se faisait de la présence de Dieu. L'âme
divine circulerait à travers le matière. Cette croyance panthéiste
équilibre chez Nerval la terreur liée à la mort de
Dieu. La mort de Dieu, c'est l'interruption de la circulation de l'esprit
dans le monde, dans la matière. L'image de cet équilibre
entre ces deux tendances antagonistes, c'est le recueil des Chimères.
Le "Christ aux oliviers" qui porte l'épigraphe de Jean-Paul,
"Dieu est mort" est suivi de "Vers dorés", poème
qui rétablit l'équilibre et la circulation: "Un pur
esprit s'accroît sous l'écorce des pierres". Mais Hugo
en est peut-être resté au "Christ aux oliviers"
sans lire "Vers dorés".
Guy Rosa attire l'attention sur le titre du chapitre "Les morts
ont raison mais les vivants n'ont pas tort" : Nerval, ici, est
le mort et Hugo le vivant. Ce qui corrige la sécheresse, presque
la brutalité, de la correction infligée par le second au
premier : " Qui désespère a tort.
Franck Laurent: En tout cas, cette réflexion prêtée
à Nerval participe d'une volonté chez Hugo de comprendre
le XIXe siècle.
Arnaud Laster: Oui, ce qui n'est qu'une anecdote chez A. Karr, reprend
du sens chez Hugo.
Bernard Leuilliot: Il me semble qu'il y a ici un effet de contamination
littéraire. La phrase de Jean-Paul, popularisée par Mme de
Staël dans De l'Allemagne, et mise en ouverture du poème
de Nerval fait que de l'auteur du "Christ aux oliviers" celui
qui perpétuait un modèle du romantisme allemand. On ne peut
pas lire l'allusion de Hugo à Nerval sans penser à cet arrière-plan
littéraire.
Anne Ubersfeld: Il faudrait parler aussi d'un effet de circulation inverse:
la poétique nervalienne a sans doute parlé à Hugo.
On convient que la formule nervalienne devait être chez lui une rengaine
et que, même si Hugo l'a certainement entendue de sa bouche en 1841,
elle était associée à son nom, à son histoire
et à sa pensée d'une manière beaucoup plus profonde
-et susceptible, effectivement, de valoir, généralement,
pour " ces temps incomplets où nous visons ".
Françoise Sylvos: J'aimerais savoir d'ailleurs si vous pensez que
les textes philosophiques de Hugo sur les astres aient pu être influencés
par Aurélia.
Bernard Leuilliot: Ce n'était pas la seule influence possible. Benjamin
a recensé une liste considérable de textes cosmiques. Il
ne faut pas oublier, pour revenir au chapitre V, I, 20 des Misérables,
que le texte de Hugo date de l'exil. Peut-être alors la référence
à Nerval est-elle révélatrice pour Hugo, de 1830,
de toute cette période révolue pour l'exilé des années
soixante. De plus, Les Filles du feu ont connu une réédition
en 1856. Hugo a pu y lire "Le Christ aux oliviers". Peut-être
est-ce le "signifiant" Nerval qui fait sens pour Hugo lorsqu'il
écrit ce chapitre des Misérables.
Anne Ubersfeld: La tonalité de "Vers dorés" se
retrouve peut-être dans les poèmes des Contemplations,
notamment "La Bouche d'ombre".
Jacques Seebacher: L'humanité n'est sauvée que parce que
le Christ est mort sur la croix. Le salut est affirmé sous la forme
de l'existence de l'être. L'époque 1830 a été
sacrifiée au coup d'Etat (qui fait figure d'"interruption du
mouvement", pour reprendre les termes de Hugo) mais l'affirmation
de l'existence de l'être est prophétique. Nerval, lui aussi,
a eu une existence sacrificielle.
Claude Millet: Hugo, en faisant de Nerval le philosophe de l'histoire à
la recherche d'un sens et non du non-sens, récuse l'image de la
folie créatrice qui lui est traditionnellement affectée.
Franck Laurent: Un autre problème d'interprétation: Hugo
reproche à Nerval de confondre le progrès avec Dieu.
Guy Rosa demande l'origine de ce grand paragraphe dont il ne se souvient
plus que du rythme et qui s'achève par : "Le grand Pan est
mort"?
Pierre Georgel: Michelet, La Sorcière, 1862.
Françoise Sylvos: Nerval a eu la même formule dans le Voyage
en Orient de 1852.
On convient que Michelet, Hugo et sans doute Nerval -mais bien d'autres
aussi- méditent au tournant du siècle sur une mort du divin,
que Chateaubriand avait cru ressusciter avec son Génie du christianisme.
Arnaud Laster: Dans l'article de Jacques Bony et dans la maîtrise
de Michel Bernard, on trouve des rapprochements intéressants entre
Hugo et Nerval. "El Desdichado" serait peut-être inspiré
de Bug Jargal: ainsi le vers "Je suis le ténébreux,
le veuf, l'inconsolé" serait à comprendre au sens propre.
Il y aurait aussi des rapprochements entre "la tour abolie" et
le statut de roi de Bug Jargal, entre le "luth constellé"
et sa guitare. Il y aurait peut-être du Hugo dans le plus nervalien
des poèmes. Ce qui est aussi frappant, c'est la relation constante
et amicale qui a uni les deux hommes.
Jacques Seebacher, pour finir, soumet au groupe Hugo un petit problème
de physique.
Etant donné, dans Notre-Dame de Paris, la longueur de l'échelle
sur laquelle grimpent les truands (environ quatre-vingt pieds: la galerie
se situant à soixante pieds sans compter les onze marches du perron,
ni l'angle d'inclinaison de l'échelle), étant donné
le poids de l'échelle qui compte un assaillant sur chaque échelon,
quelle force Quasimodo doit-il déployer pour repousser l'ensemble
de l'assemblage?
Réponse de Jacques Seebacher après enquête auprès
de spécialistes de sciences physiques: une tonne environ. Ce qui
n'a rien d'une invraisemblance ridicule ou d'une exagération absurde
mais correspond, assez exactement, à l'effort " surhumain "
de Quasimodo.
Jacques Seebacher précise que Hugo avait si bien donné tous
les éléments pour parvenir à ce résultat, qu'on
ne peut pas ne pas se demander s'il avait lui-même fait, approximativement,
le calcul. Or le cas n'est pas isolé. Hugo est un " profond
calculateur " : des forces comme des distances.
Bernard Leuilliot: Hugo est de toute façon très préoccupé
par ces questions. Dans Les Travailleurs de la mer, il cite le physicien
Montons (II, II, 2, p. 863 Pléiade). Hugo est sensible à
ce moment de l'histoire de la physique où l'on cherche à
calculer la force de travail et à la rémunérer en
fonction de critères physiques.
Cette occasion est saisie par G. Rosa pour annoncer le thème de
la prochaine séance -28 février. Bernard Du, professeur
de physique à Paris 7 (mais aussi grand amateur de poésie,
de langue espagnole et de latin), y expliquera la " théorie
de la rosée " -qui valut à Hugo un accessit de
physique au Concours général.
On en profitera pour l'interroger -le cas échéant- sur les
pompes à eau, l' "unité de composition "
des objets du monde naturel, la théorie des " fluides "
et du " calorique ", le " magnétisme ",
les propriétés de la forme sphérique, la conception
mathématique de l'infini, etc. dont se nourrissent l'imaginaire
et la pensée de Hugo. L'asymptote sera la bienvenue, la dérivée
aussi, avec la lentille de Fresnel, le calcul de la vitesse de la lumière
par Arago... et le " pré-bachelardisme ".
Delphine Gleizes aura quelques fractales à soumettre.
Bonne année 1998!
Delphine Gleizes
Notre vieil ami, A.R.W. James (Tony James) informe que, l'éditeur de l'ouvrage qu'il avait publié en 1986, Victor Hugo et la Grande-Bretagne, mettant fin à la collection, il peut faire bénéficier les hugoliens, à titre personnel, de conditions très favorables (100 F. et non plus 25 £). Il suffit de lui écrire (M. James, en face le Château, 21230 CLOMOT ), mais vite : avant la fin février.
Equipe " Littérature et civilisation du XIX° ", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005. Tél : 0144 27 69 81. groupugo@paris7.jussieu.fr
Responsable de l'équipe : Guy Rosa, rosa@paris7.jussieu.fr.