GROUPE HUGO


SEANCE DU 24 JANVIER 1998

Présents: Jacques Seebacher, Bernard Leuilliot, Arnaud Laster, Marie Tapié, Jean-Marc Hovasse, Jean-Pierre Vidal, Denis Sellem, Françoise Sylvos, Krishnâ Renou, Sylvie Vielledent, Akio Ogata, Stéphane Mahuet, Olivier Decroix, Anne Ubersfeld, Guy Rosa, Florence Naugrette, Myriam Roman, Valérie Presselin, Nicole Savy, Bertrand Abraham, Franck Laurent, Pierre Georgel, Delphine Gleizes, Josette Acher, Claude Millet.

Excusés: David Charles, Ludmila Wurtz, Pierre Laforgue.


*M. Akio Ogata, en séjour de travail en France, honore notre Groupe de sa présence. Jacques Seebacher rappelle que M. Ogata est un familier de longue date du Groupe : c'est lui qui a procédé au repérage et à l'interprétation des épigraphes de Han d'Islande. On lui doit la traduction de La Légende des Siècles en japonais. Il expose les grandes lignes de ses recherches sur Victor Hugo. Il se consacre actuellement à une étude globale de la modernité chez Victor Hugo dont le plan sera le suivant:
1. Les événements autour de Victor Hugo, sa famille et leur rapport à la modernité.
2. La vision du progrès chez Victor Hugo; la question de la Révolution française, de la religion.
3. Victor Hugo et les médias de l'époque: presse, revues...
4. Modernité romanesque (Les Misérables, Quatrevingt-treize, L'Homme qui rit) et poétique, par rapport à Baudelaire et Flaubert.
5. Modernité des actes et paroles politiques, rapports à la censure, discours sur la peine de mort.
6. Modernité dans la peinture de Victor Hugo. Conceptions proches du surréalisme.
7. Victor Hugo et les caricaturistes. Daumier, Grandville, Nanteuil.
8. Hugo contre le savoir moderne? Spiritisme et tables tournantes.


Contribution scientifique

Une importante lettre de Laurent Fédi alimente les précédents débat de la manière suivante:
"- En ce qui concerne la problématique déployée par le Professeur Seebacher au sujet du rapport de Hugo à la Gnose et au néo-alexandrinisme, je signale à M. Seebacher, au cas (improbable) où ceci aurait échappé à son impressionnante érudition, l'existence d'un débat philosophique non fantaisiste autour de la question "peut-on interpréter la modernité comme une résurgence de la gnose?" Les protagonistes: E. Voegelin (The New Science of Politics. An Introduction, The University of Chicago Press, 1952, ch. IV) et H. Blumenberg, Die Legitimität der Neuzeit, 2e partie, dans Sekularisierung und Selbstbehauptung, Suhrkamp, Frankfurt, 1974). Le problème touche les années 1830, mais il n'a rien perdu de son actualité.
  " J'ai lu avec beaucoup d'intérêt la communication de Myriam Roman ("L'Art et la Science au temps du William Shakespeare. Des chiffres et des lettres"); je la félicite au passage pour sa brillante thèse. Aux pages 9-10 du compte-rendu, M. Roman explique que Hugo valorise la droite par rapport au cercle, ce qui selon elle, le rapprocherait de Descartes, qui envisage le monde comme infini. Elle cite des textes de Hugo dont j'ignorais presque tout, et qui intéressent de près les philosophies françaises des sciences et de la connaissance du dix-neuvième siècle dont je m'occupe.
" Il faut distinguer toujours l'infini en puissance (ce au-delà de quoi il y a toujours quelque chose) et l'infini en acte (le superlatif, ce en dehors de quoi il n'y a rien). Descartes reprend sans l'avouer cette distinction aristotélicienne, et transforme seulement "l'infini en puissance" en "indéfini"; il conçoit le monde comme indéfini (par opposition au monde clos des aristotéliciens), mais réserve l'infini véritable à Dieu (l'absolu). L'infini véritable (distingué de l'infini en puissance ou indéfini) est traditionnellement transporté dans la qualité (la toute-puissance et l'infinie bonté de Dieu en sont des exemples, sous la forme de l'absolu), tandis qu'il est refusé à la quantité; c'est à partir des années 1870 que le pas sera franchi, en Allemagne, grâce à Dedekind et à Cantor, qui donnent une pertinence mathématique à ce concept.
" Or la ligne peut-être pensée comme simplement indéfinie; cela revient à dire qu'on ne saurait lui assigner une limite, mais cela n'implique pas, dans ce cas, son infinité actuelle. Je me demande alors si Hugo s'arrête là - ce qui voudrait dire que sa pensée est adéquate au savoir mathématique de son temps, - ou s'il va plus loin - ce qui l'apparenterait à une pensée avancée, dont les représentants émergent vers le milieu du siècle. Hugo n'a-t-il pas anticipé, dans ces textes, sinon la découverte de l'infini mathématique actuel, du moins le rapprochement de l'infini absolu et de l'infini quantitatif? (rapprochement problématique pensé d'ailleurs comme tel par Cantor, le mathématicien du transfini).
" C'est ici que les textes cités par M. Roman sont, je crois, parlants.
" 1) Que l'asymptote appartienne aux "apparitions de l'incompréhensible sous une forme géométrique" semble confirmer, à mon avis, magnifiquement cette hypothèse. Voici mon opinion: l'incompréhensible, ce n'est pas qu'une courbe se rapproche indéfiniment d'une droite fixe sans jamais l'atteindre; cette indéfinité (infini en puissance) n'a rien d'"incompréhensible"; ce qui est incompréhensible en un sens, c'est que l'aire délimitée par certaines de ces courbes avec les axes fixes soit bornée (même quand les courbes ne le sont pas), parce qu'on tente de se représenter ces aires, donc aussi ces courbes, comme données, achevées (c'est ce que suggère le fait qu'elles soient bornées). Il y a là l'idée d'un infini actuel.
" 2) "Compter l'incalculable", et autres oxymores de ce genre, vont dans ce sens, et renvoient discrètement, sur un ton positif, à un discours épistémologique tenu, en général, à l'époque, par les adversaires de l'infini actuel, pour désigner justement ce dernier; ces finitistes invoquent habituellement le fameux paradoxe de Galilée repris par Cauchy et popularisé par l'abbé Moigno.
" Je ne pense pas que Hugo invente ou légitime l'infini mathématique en acte; mais je pense qu'il associe, d'une manière qui demanderait à être creusée (mais cela a dû être fait), l'infini comme absolu et un concept scientifique d'infinité; le thème est très intéressant si on le replace dans le contexte épistémologique de l'époque. Le problème est complexe: Hegel par exemple, identifie l'infini vrai au cercle (que Hugo repousse au contraire! si j'ai bien compris).
" Je signale par ailleurs à M. Roman que l'"épistémologie" hugolienne fait l'objet d'un chapitre dans l'un des derniers livres de Jean-Marc Lévy-Leblond sur la science moderne (j'ai oublié son titre); il n'y est pas question de l'infini, mais il y est question du "pré-bachelardisme"."


Bibliographie

*Un Victor Hugo dû à Sophie Grossior vient de paraître dans la collection " Découvertes Gallimard ". Il est complet et remarquablement illustré ; mais peut-être un peu " neutre " dans le commentaire des oeuvres -et A. Laster lui reproche de ne faire au théâtre qu'une bien trop faible place.

*La thèse de Ludmila Wurtz vient d'être publiée chez Champion sous le titre Poétique du sujet lyrique. Guy Rosa profite de l'absence de son auteur pour en faire l'éloge.

*A signaler aussi plusieurs articles récents :
.C. Letellier "Le merveilleux insulaire à travers Les Travailleurs de la mer" dans Iles des merveilles. Miroirs, mirages, mythes, Colloque de Cerisy, L'Harmattan, 1997.
.C. Nunley " (En)gendering Terror. Woomen and Violence in Quatrevingt-treize " dans The Play of terror in 19° century French, London, Associated University Presses, 1997.
. G. Gerstman, " The mastery of Language and the langue of mastery in V. Hugo's L'Homme qui rit ", dans Repression and expression..., New York. P. Lang, 1996.
.Dietmar Rieger, " Les bibliothèques en feu chez V. Hugo ", R.H.L.F., nov.-déc. 1997.


Informations diverses

Encore le web

* Guy Rosa annonce la mise en place du site Internet du groupe Hugo. Il donnera accès aux comptes rendus mensuels et aux textes des communications. Son adresse (son URL dans le langage des " hommes spéciaux ") est : http://www.groupugo.univ-paris-diderot.fr./groupugo/ACCUEILhtm. Cette page d'accueil est, pour l'essentiel, le sommaire des séances d'une année. Chaque compte rendu permet à son tour soit de lire le texte de la communication du jours (sans ses notes) soit de " télécharger " le texte complet (au format *. Doc). Pour l'instant, seuls les trois derniers comptes rendus sont disponibles. Mais Guy Rosa s'emploie à transcrire les autres. La même page d'accueil, enfin, donnera accès à la liste complète des communications -de l'origine à nos jours.
Par ailleurs, en réponse à sa demande, G. Rosa a reçu les adresses électroniques de plusieurs collègues, résidant à l'étranger, à qui le service des comptes rendus sera fait désormais par cette voie. K. Smith, Sandy Petrey, Frank Wilhelm, Pat Mines, Despina Provata, Bernadette Lintz en ont profité pour transmettre au Groupe leur amical salut -auquel nous répondons confraternellement.


*Anne Ubersfeld rend compte de la mise en scène de Marie Tudor par Christophe Lidon, jouée jusqu'au 8 mars au Théâtre 14, -selon elle, tout à fait convaincante. Arnaud Laster se récrie: la nudité de Lord Clinton au premier acte -clin d'oeil à Mesguisch?- n'est pas de son goût.
Le décor et le jeu des acteurs étaient-ils indigents ou intelligemment dépouillés ? Florence Naugrette note que le jeu était un mélange très réussi de sobriété et de passion. Anne Ubersfeld ajoute qu'on y comprend l'une des raisons de l'échec initial de la pièce. A voir la paralysie ardente de l'actrice au Théâtre 14, on imagine que Juliette Drouet n'avait pas su donner assez de force au personnage de Jane. Arnaud Laster qualifierait moins éloquemment le jeu de cette actrice " godiche ".
Anne Ubersfeld évoque la scène de la prière où la reine et Jane prient toutes les deux pour leur amant. Alors que la parole de la reine est forte, celle de Jane est murmurée -à la limite de l'inaudible, en puissant contraste. Les écrans de télévision disposés sur scène -gratuits, absurdes et insignifiants selon les uns, savent, selon les autres, introduire une distance, sans distraire l'attention. Florence Naugrette note cependant que la rencontre entre le bourreau et la reine par l'intermédiaire de ces écrans n'est pas vraiment réussie. Arnaud Laster s'interroge sur l'intérêt de faire de Simon Renard un homosexuel. Anne Ubersfeld ne l'a pas vu comme tel. On épilogue... Marie Tudor est-elle débordée par sa propre passion ou hystérique seulement ?

Victor Hugo, l'Affaire Dreyfus et Paul Stapfer

*Jean-Marc Hovasse fait circuler un exemplaire d'une conférence de Stapfer intitulé "Victor Hugo et l'affaire Dreyfus". Utile rappel, en ces temps de commémoration, de l'évidence : Victor Hugo était bien plus profondément et anciennement dreyfusard que Zola.
Jacques Seebacher rappelle la personnalité attachante de ce très jeune universitaire, hôte de Hugo à Guernesey et dont les souvenirs sont pleins de respect mais aussi d'une liberté de ton et de regard plus adéquate, sûrement, à Hugo que les encensements complaisants de beaucoup d'autres visiteurs. C'était le fils du traducteur du Faust de Goethe en 1825, dans une édition illustrée par Delacroix, deux ans avant que Nerval ne fasse sa propre traduction, sans doute à l'aide de celle de son prédécesseur (Nerval parlait mal l'allemand -le comprenait sans doute beaucoup mieux- F.-P Bowman dixit).
*Nicole Savy annonce une grande exposition sur Delacroix au Grand Palais, par les conservateurs du Louvre et du Musée Delacroix. A voir absolument tout de suite, avant la clôture, l'exposition des dessins de Géricault aux Beaux-Arts.


Communication de Françoise Sylvos: Nerval et Hugo autour de 1830 (Voir texte ci-joint)


Discussion

Jacques Seebacher se demande si l'expression "le jeune V.H." ne renvoie pas à François-Victor plutôt qu'à Charles. Bernard Leuilliot dément : à cette date, François-Victor ayant directement rejoint son père, il peut bien s'agir que de Charles. L'expression " le jeune V. Hugo " est à comprendre comme " Madame Victor Hugo ".

Jacques Seebacher regrette que les nervaliens aient voulu ne voir qu'une signification plus ou moins alchimique dans l'expression "la nuit sera blanche et noire" , par laquelle Nerval qualifie la nuit de sa mort dans la feuille laissée sur son bureau.
Il avait indiqué que l'emploi de cette expression dans Notre-Dame de Paris lui donne une tout autre signification -si Nerval s'en est souvenu. Dans Notre-Dame de Paris, un grand seigneur qualifie par là une année, rendu " blanche et noire " par deux deuils successifs, dont le second l'a consolé du premier. Quel est le premier deuil dont le second -le sien propre- console Nerval ?
J. Seebacher par ailleurs renouvelle son appel à information: qu'est-ce que, d'un point de vue alchimique sans doute, la " ligne pleine " ? et le " boustrophédon vertical "?

Arnaud Laster tient à signaler deux travaux importants sur les rapports de Hugo et de Nerval. Le premier est le mémoire de maîtrise de Michel Bernard, Nerval, lecteur de Victor Hugo, soutenu à Paris 3 sous sa direction ; le second un article de Jacques Bony, "Du contrabandista au Desdichado, Hugo, Nerval et Manuel Garcia", Actes du colloque de la Sorbonne du 15 novembre 1997. Confirmation possible de l'intuition de J. Seebacher, Bernard indique l'obsession de Nerval pour Notre-Dame de Paris dans les derniers jours de sa vie. La veille de sa mort, il avait entraîné ses amis dans l'ascension d'une des tours de Notre-Dame.

Jacques Seebacher commente les derniers mots de Hugo concernant Gringoire, qui finit par faire des tragédies et appelait cela "avoir fait une fin tragique" (XI, 3). Grossière faute d'histoire littéraire que personne ne remarque : les premières tragédies sont écrites plus d'un demi siècle après. Gringoire, qui vient de côtoyer une véritable tragédie et n'y a rien compris, finit par en écrire une. Hérésie correctrice de l'héritage littéraire. Notre-Dame de Paris serait une mise en liquidation cyclique de l'héritage littéraire: Sauval réutilisant Du Breul, Hugo réutilisant Sauval pour manifester la sortie du Moyen-Âge et l'émergence de la Renaissance. Il s'agit d'une interrogation sur la modernité à chaque étape de la création et de la réinterprétation littéraires, le romantisme étant lui aussi comme une renaissance.

Franck Laurent revient sur la mort de Dieu. Dans Les Misérables, V, I, 20, Hugo cite un mot que lui aurait dit Nerval:
" - Dieu est peut-être mort, disait un jour à celui qui écrit ces lignes Gérard de Nerval, confondant le progrès avec Dieu, et prenant l'interruption du mouvement pour la mort de l'être.
Qui désespère à tort. Le progrès se révèle infailliblement, et, en somme, on pourrait dire qu'il marche, même endormi, car il a grandi. "
Peut-on référer cette parole à la seule crise de 1841? Dans le contexte des Misérables, elle concerne tout l'échec historique du dix-neuvième siècle: celui de 1815, comme ceux de 1830, 1832 et, surtout, 1848.
Françoise Sylvos: Le propos est précisément daté par le témoignage d'A. Karr (Carnets de bord, troisième série) qui atteste aussi la présence de V. Hugo.
Arnaud Laster: Dans le mémoire de Michel Bernard, cette anecdote est citée à partir d'un recueil consacré à Nerval. Le docteur Blanche aurait autorisé une sortie de Nerval à condition que ce dernier ne boive que du vin coupé avec de l'eau. Lors du repas, avec Karr et Hugo, la conversation sur le devenir de l'histoire aurait attiré cette réflexion de Nerval: Dieu est mort. Mais la fin de l'anecdote prouve que Nerval avait toute sa lucidité lors de cette rencontre puisqu'il ne fut pas dupe de la boisson qu'on lui servait et vit bien que le vin était coupé d'eau.
Franck Laurent: A propos des questions politiques sur lesquelles Hugo et Nerval auraient divergé, il ne semble pas que le culte napoléonien soit un point de désaccord. Nerval met l'accent sur le peuple. On ne peut plus subir la tyrannie des petits hommes après avoir subi celle des grands. Napoléon est le dernier tyran. Hugo dit exactement la même chose à la même période. La deuxième ode à la colonne, après 1830 est publiée en revue avant de paraître dans Les Chants du crépuscule. Pour Hugo, le souvenir napoléonien n'est pas une atteinte à la liberté car la France a eu Napoléon pour héros et ne peut plus l'avoir pour maître. De toute façon d'ailleurs, comme pour Nerval, Napoléon est trop grand pour l'époque de 1830.
Par contre, on peut voir des divergences entre Hugo et Nerval sur le régime politique: pour Hugo, la France a besoin de la république, mais le moment n'est pas encore venu. Nerval au contraire est républicain et la monarchie de Louis-Philippe n'est qu'une mascarade.
Françoise Sylvos: Il faut revenir à la représentation sensible que Nerval se faisait de la présence de Dieu. L'âme divine circulerait à travers le matière. Cette croyance panthéiste équilibre chez Nerval la terreur liée à la mort de Dieu. La mort de Dieu, c'est l'interruption de la circulation de l'esprit dans le monde, dans la matière. L'image de cet équilibre entre ces deux tendances antagonistes, c'est le recueil des Chimères. Le "Christ aux oliviers" qui porte l'épigraphe de Jean-Paul, "Dieu est mort" est suivi de "Vers dorés", poème qui rétablit l'équilibre et la circulation: "Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres". Mais Hugo en est peut-être resté au "Christ aux oliviers" sans lire "Vers dorés".
Guy Rosa attire l'attention sur le titre du chapitre "Les morts ont raison mais les vivants n'ont pas tort" : Nerval, ici, est le mort et Hugo le vivant. Ce qui corrige la sécheresse, presque la brutalité, de la correction infligée par le second au premier : " Qui désespère a tort. 
Franck Laurent: En tout cas, cette réflexion prêtée à Nerval participe d'une volonté chez Hugo de comprendre le XIXe siècle.
Arnaud Laster: Oui, ce qui n'est qu'une anecdote chez A. Karr, reprend du sens chez Hugo.
Bernard Leuilliot: Il me semble qu'il y a ici un effet de contamination littéraire. La phrase de Jean-Paul, popularisée par Mme de Staël dans De l'Allemagne, et mise en ouverture du poème de Nerval fait que de l'auteur du "Christ aux oliviers" celui qui perpétuait un modèle du romantisme allemand. On ne peut pas lire l'allusion de Hugo à Nerval sans penser à cet arrière-plan littéraire.
Anne Ubersfeld: Il faudrait parler aussi d'un effet de circulation inverse: la poétique nervalienne a sans doute parlé à Hugo.
On convient que la formule nervalienne devait être chez lui une rengaine et que, même si Hugo l'a certainement entendue de sa bouche en 1841, elle était associée à son nom, à son histoire et à sa pensée d'une manière beaucoup plus profonde -et susceptible, effectivement, de valoir, généralement, pour " ces temps incomplets où nous visons ".
Françoise Sylvos: J'aimerais savoir d'ailleurs si vous pensez que les textes philosophiques de Hugo sur les astres aient pu être influencés par Aurélia.
Bernard Leuilliot: Ce n'était pas la seule influence possible. Benjamin a recensé une liste considérable de textes cosmiques. Il ne faut pas oublier, pour revenir au chapitre V, I, 20 des Misérables, que le texte de Hugo date de l'exil. Peut-être alors la référence à Nerval est-elle révélatrice pour Hugo, de 1830, de toute cette période révolue pour l'exilé des années soixante. De plus, Les Filles du feu ont connu une réédition en 1856. Hugo a pu y lire "Le Christ aux oliviers". Peut-être est-ce le "signifiant" Nerval qui fait sens pour Hugo lorsqu'il écrit ce chapitre des Misérables.
Anne Ubersfeld: La tonalité de "Vers dorés" se retrouve peut-être dans les poèmes des Contemplations, notamment "La Bouche d'ombre".
Jacques Seebacher: L'humanité n'est sauvée que parce que le Christ est mort sur la croix. Le salut est affirmé sous la forme de l'existence de l'être. L'époque 1830 a été sacrifiée au coup d'Etat (qui fait figure d'"interruption du mouvement", pour reprendre les termes de Hugo) mais l'affirmation de l'existence de l'être est prophétique. Nerval, lui aussi, a eu une existence sacrificielle.
Claude Millet: Hugo, en faisant de Nerval le philosophe de l'histoire à la recherche d'un sens et non du non-sens, récuse l'image de la folie créatrice qui lui est traditionnellement affectée.
Franck Laurent: Un autre problème d'interprétation: Hugo reproche à Nerval de confondre le progrès avec Dieu.
Guy Rosa demande l'origine de ce grand paragraphe dont il ne se souvient plus que du rythme et qui s'achève par : "Le grand Pan est mort"?
Pierre Georgel: Michelet, La Sorcière, 1862.
Françoise Sylvos: Nerval a eu la même formule dans le Voyage en Orient de 1852.
On convient que Michelet, Hugo et sans doute Nerval -mais bien d'autres aussi- méditent au tournant du siècle sur une mort du divin, que Chateaubriand avait cru ressusciter avec son Génie du christianisme.

Arnaud Laster: Dans l'article de Jacques Bony et dans la maîtrise de Michel Bernard, on trouve des rapprochements intéressants entre Hugo et Nerval. "El Desdichado" serait peut-être inspiré de Bug Jargal: ainsi le vers "Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé" serait à comprendre au sens propre. Il y aurait aussi des rapprochements entre "la tour abolie" et le statut de roi de Bug Jargal, entre le "luth constellé" et sa guitare. Il y aurait peut-être du Hugo dans le plus nervalien des poèmes. Ce qui est aussi frappant, c'est la relation constante et amicale qui a uni les deux hommes.

Jacques Seebacher, pour finir, soumet au groupe Hugo un petit problème de physique.
Etant donné, dans Notre-Dame de Paris, la longueur de l'échelle sur laquelle grimpent les truands (environ quatre-vingt pieds: la galerie se situant à soixante pieds sans compter les onze marches du perron, ni l'angle d'inclinaison de l'échelle), étant donné le poids de l'échelle qui compte un assaillant sur chaque échelon, quelle force Quasimodo doit-il déployer pour repousser l'ensemble de l'assemblage?
Réponse de Jacques Seebacher après enquête auprès de spécialistes de sciences physiques: une tonne environ. Ce qui n'a rien d'une invraisemblance ridicule ou d'une exagération absurde mais correspond, assez exactement, à l'effort " surhumain " de Quasimodo.
Jacques Seebacher précise que Hugo avait si bien donné tous les éléments pour parvenir à ce résultat, qu'on ne peut pas ne pas se demander s'il avait lui-même fait, approximativement, le calcul. Or le cas n'est pas isolé. Hugo est un " profond calculateur " : des forces comme des distances.
Bernard Leuilliot: Hugo est de toute façon très préoccupé par ces questions. Dans Les Travailleurs de la mer, il cite le physicien Montons (II, II, 2, p. 863 Pléiade). Hugo est sensible à ce moment de l'histoire de la physique où l'on cherche à calculer la force de travail et à la rémunérer en fonction de critères physiques.

Cette occasion est saisie par G. Rosa pour annoncer le thème de la prochaine séance -28 février. Bernard Du, professeur de physique à Paris 7 (mais aussi grand amateur de poésie, de langue espagnole et de latin), y expliquera la " théorie de la rosée " -qui valut à Hugo un accessit de physique au Concours général.
On en profitera pour l'interroger -le cas échéant- sur les pompes à eau, l' "unité de composition " des objets du monde naturel, la théorie des " fluides " et du " calorique ", le " magnétisme ", les propriétés de la forme sphérique, la conception mathématique de l'infini, etc. dont se nourrissent l'imaginaire et la pensée de Hugo. L'asymptote sera la bienvenue, la dérivée aussi, avec la lentille de Fresnel, le calcul de la vitesse de la lumière par Arago... et le " pré-bachelardisme ".
Delphine Gleizes aura quelques fractales à soumettre.

 

Bonne année 1998!

Delphine Gleizes

 

Notre vieil ami, A.R.W. James (Tony James) informe que, l'éditeur de l'ouvrage qu'il avait publié en 1986, Victor Hugo et la Grande-Bretagne, mettant fin à la collection, il peut faire bénéficier les hugoliens, à titre personnel, de conditions très favorables (100 F. et non plus 25 £). Il suffit de lui écrire (M. James, en face le Château, 21230 CLOMOT ), mais vite : avant la fin février.


 Equipe " Littérature et civilisation du XIX° ", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005. Tél : 0144 27 69 81. groupugo@paris7.jussieu.fr

Responsable de l'équipe : Guy Rosa, rosa@paris7.jussieu.fr.