Présents : Valérie
Papier, Jim Phillips, Guy Rosa, Delphine Gleizes, Christine Cadet, Arnaud Laster,
Cécile Bénard, Cécile Laplassotte, Jean-Marc Hovasse, Pierre
Laforgue, Florence Naugrette, Anne Ubersfeld, Valérie Presselin Claude
Millet, Franck Laurent Josette Acher, Véronique Dufief, David Charles,
Ludmila Wurtz, Marguerite Delavalse, Myriam Roman.
Présentations : Cécile Bénard travaille sur l'amplification; Christine Cadet écrit une thèse sur "Le Moi et le gouffre".
Jean-Marc Hovasse vient de publier un livre intitulé Victor Hugo chez les Belges, Bruxelles, Le Cri édition, 1994.
Françoise Chenet va publier chez Nizet (sans doute en janvier-février) un ouvrage sur l'espace dans Les Misérables : Les Misérables ou "l'espace sans fond".
Véronique Dufief nous signale un article de Maria Assad sur Victor Hugo à paraître dans un recueil intitulé La Littérature et la théorie du chaos, T L E (Théorie, littérature, Enseignement), Paris VIII.
Guy Rosa signale, dans la revue de l'Université de Toulouse, Littératures, un article très intéressant de Claude Gély sur les jardins des Feuillantines.
Les communications des deux colloques sur Les Misérables, le recueil Nommer l'innommable et le livre de Pierre Laforgue sont sortis en librairie.
Les Misérables au cinéma :
Pour le numéro de L'Avant-Scène consacré au découpage
des Misérables de Marcel Bluwal, Arnaud Laster a établi une filmographie
revue, corrigée et augmentée des Misérables au cinéma.
En feuilletant le programme du centre Pompidou, A. Laster a trouvé un
titre curieux, Gossette, film de Germaine Dulac, 1923, dont il n'a pas pu savoir
le contenu. Même si le film na aucun rapport avec le roman de Hugo, on
peut se demander si "Cosette" ne viendrait pas de "gossette",
"petite gosse".
A. Laster nous signale que trois adaptations des Misérables sont en chantier
:
-Celle de Lelouch, Les Misérables au XXème siècle, avec
Jean-Paul Bemondo, qui commence à la guerre de 14
-Celle de Polanski, avec Depardieu
-Un téléfilm américain, Cosette, où avec l'argent
de sa dot, Cosette fonde un journal (sic). Si elle s'attaque à Thénardier
devenu négrier, A. Laster ne cache pas son impatience !
A. Ubersfeld nous incite vivement à aller voir l'adaptation de Notre-Dame de Paris par une troupe provençale : Le Théâtre du Kronope qui joue à Herblay, entre Paris et Pontoise (95). Tél : 39.97.40.30.
Pierre Debauche mettra en scène Ruy Blas, au Théâtre de La Métaphore, à Lille, au mois de mai.
Guy Rosa a reçu une lettre du Dr Patricia Mines, d'Aberystwyth, qui vient de soutenir son doctorat sur "La représentation du mal dans les derniers romans de Victor Hugo".
G. Rosa nous communique également la lettre qu'il a reçue de
Mme Chenet où elle expose ses dernières découvertes quant
au prénom de Cosette : Euphrasie a pour doublet euphraise qui vient d'euphrasia,
petite plante sauvage qui soigne les écrouelles. Saint-Euphraise est
un village de la Brie Champenoise non loin de Faverolles et donc non loin de
Reims. Or il apparaît que dans Les Misérables :
-il y a un réseau plantes médicinales, fleurs sauvages
-un rapport étroit avec Reims (le "creux" du texte serait le
sacre)
-enfin il y a un lien possible entre Faveroffes, Sainte-Euphraise et les religieuses
du Val-de-Grâce qui possédaient une partie de la seigneurie de
Sarcy dont auraient pu dépendre Faverolles et / ou Sainte Euphrasie.
Faut-il penser que Hugo savait tout cela ? En tout cas, ce qu'il dit de Faverolles
est exact. Cela n'empêche pas une surmotivation symbolique et personnelle.
Mme Chenet ajoute que Blaru semblerait être un lieu-dit de la région
et qu'il y a un Blaru près de Vernon. Elle termine sa lettre par deux
questions: Pourquoi Léonie Biard a-t-elle choisi ce nom de plume ? Pourquoi
le fonds Blaru n'apparaît-il qu'à la reprise des Misérables
en 1861 ?
Pour Anne Ubersfeld, "Blaru" apparaît seulement à la reprise des Misérables à cause de la mauvaise conscience de Hugo, comme un souvenir qui ressurgirait. Il n'apparaît pas dans Les Misères, car à cette date Hugo est encore avec Léonie Biard.
Arnaud Laster, cherchant l'origine du pseudonyme de Léonie Biard, trouve dans le Larousse un certain Blarru, né à Paris, en Lorraine. Frappé de cécité pendant sa vieillesse et passionné &oiseaux. Versé dans le droit civil et le droit canon. A écrit La Nancéide, poème qui l'a fait passer à la postérité. Comparé à Virgile et à Homère par ses contemporains.
Le cochléaria des Guillons (suite) : Le groupe Hubert de Phalèse
a effectué une recherche sur ces deux mots, dont Arnaud Laster nous communique
les principaux résultats:
-le mot "cochléaria" est employé par Bernardin de Saint-Pierre
(Études de la nature)
-le mot "Guillon" apparaît 1.dans Les Mémoires d'Outre-tombe
(t. 2. 1848. p. 95. 2ème partie, livre 2), à propos de l'abbé
Guillon qui, selon Chateaubriand, se vante d'être l'auteur du discours
de Robespierre à l'Être Suprême. 2.chez Michelet dans son
Journal.
Guillon est aussi un journaliste à La Démocratie.
Arnaud Laster voudrait faire quelques remarques sur le dernier numéro de Romantisme. Il s'interroge d'une part sur l'opportunité de la présence du dernier article dont le ton tranche avec les autres textes du recueil. Il souhaiterait d'autre part rappeler qu'il n'a pas, pour sa part, protesté auprès du Ministère contre la coupure des Misérables pour l'agrégation, étant donné qu'il n'est pas convaincu de la pertinence de l'agrégation dans son principe actuel. Enfin, il rappelle que le Groupe Hugo est un Groupe de recherches inter-universitaire et s'oppose à ce qu'on l'abrège en "Groupe Hugo de Paris VII".
Les quatre soutenances de thèse hugoliennes se sont parfaitement déroulées
et nous félicitons nos jeunes et brillants docteurs ! Guy Rosa constate
toutefois avec peut-être un peu de tristesse qu'il n'a su insuffler suffisamment
de passion aux hugoliens du Groupe pour qu'ils assistent aux soutenances.
A. Ubersfeld pense que la fatigue de la fin de trimestre a été
pour beaucoup dans la désaffection du public. Ainsi que les impératifs
de l'emploi du temps et des empêchements matériels, ajoute Arnaud
Laster.
A noter, la brillante communication de David Charles au colloque "Écrire-Savoir" de Saint- Étienne, sur l'épistémologie dans L'Âne.
Modifications de calendrier :
Frédérique Remandet viendra le 20 mai nous parler sur "Hugo et les Institutions"
Le 21 janvier Véronique Dufief et Ludmila Wurtz nous exposeront l'essentiel de leurs thèses respectives et discuteront des prolongements possibles de leurs recherches.
Guy Rosa : Tu as utilisé un historien actuel sur l'Empire romain; je
me demande dans quelle mesure il n y a pas là un problème de méthode.
Ne faudrait-il pas avoir recours à un historien contemporain de Hugo
?
F. Laurent : en effet il aurait fallu justifier ce choix. Toutefois, à
l'époque, le modèle impérial romain, l'idée de la
duplication de I'Urbs à l'Orbs, sont largement répandus.
G. Rosa : à partir de quand et pour quelle raison l'Empire Romain a-t-il
été tantdévalorisé ?
F. Laurent : à partIr de la République. Auparavant, l'Empire romain
est perçu comme ambivalent (par Guizot, Michelet). L'Empire à
ses débuts apparaît comme un modèle de civilisation, ayant
créé l'Europe et le motif est repris même par des nationalistes
comme Michelet. En revanche, la fin de l'Empire et les grandes invasions représentent
comme une période sombre : l'Empire décline pour des raisons économiques
et sociales; le système de l'esclavage, par exemple, n'est pas viable.
Claude Millet : Le Moyen-Age de Michelet montre bien cet appauvrissement de
l'Empire par le prélèvement des impôts et un système
étatico-militaire.
F. Laurent : L'Empire est dévalorisé et représente alors
un système tyrannique.
Anne Ubersfeld : Cette ambivalence existe déjà chez Montesquieu,
et Michelet se situe à cet égard dans le prolongement de sa pensée.
L'exposé de F. Laurent montre qu'une vraie question s'est posée
à Hugo, qu'il n'a pu résoudre, celle des liens entre le pouvoir
temporel et le pouvoir spirituel. Et ce débat complique de manière
très intéressante l'idée d'un Hugo anticlérical.
F. Laurent : l'intérêt que Hugo porte à la Papauté
tient à son intérêt pour l'Empire, pour l'idée d'une
unité, d'une ville, d'un État qui rayonne sur l'ensemble de la
civilisation. La Papauté est le seul reste de l'idée d'une unité
spirituelle de l'Europe. Et cette idée apparaît très tôt
chez Hugo, dès 1825 dans le Voyage aux Alpes.
Cl. Millet : Où places-tu le monologue de Don Carlos dans Hernani,
et le rapport Don Carlos / Charles Quint au Pape ?
F. Laurent : C'est la question du césaro-papisme, ce modèle idéal
où le Pape et I'Empereur, les deux moitiés de Dieu, ne feraient
qu'un et incarneraient la vraie légitimité de droit divin. Mais
ce modèle n'a jamais existé dans les faits, et c'est ce que Hugo
montre dans son théâtre. Le césaro-papisme s'effondre dans
Hernani, d'autant plus que le vrai fond de l'histoire, c'est le "peuple
océan".
A. Ubersfeld : Il y a là un problème d'arithmétique : poser
le Un contre la multiplicité des rois est a priori bénéfique,
mais ce Un se compose en fait de Deux, d'où la dégénérescence
en tyrannie, d'où le recours à un néant qui a l'avantage
de donner à l'Un le sentiment de sa vanité.
F. Laurent : La question de l'articulation entre le pouvoir temporel et le pouvoir
spirituel revient en effet sans cesse chez Hugo. Le passage à la réalité
politique pose problème.
Arnaud Laster : Prends-tu en considération La Vision de Dante,
qui permettrait de mettre en perspective l'ensemble de l'uvre hugolienne
et toute son évolution politique ?
F. Laurent : Non, car je m'en suis tenu à Hugo jusqu'en 1848. La plupart
des propos de Hugo à cette époque ne sont plus tenables par Hugo
républicain, mais ne sont pas non plus en discontinuité totale
avec ses positions républicaines ultérieures. Il est intéressant
d'observer les éléments en tension dans la pensée de Hugo
de 1827 à 1848 : ainsi, l'Empire est une architecture, mais l'Empereur
apparaît souvent comme une figure de nomade.
A. Laster : Oui, mais Hugo ne peut être compris que si l'on tient compte
de l'ensemble de son évolution.
F. Laurent : En effet, toutefois la complexité de Hugo n'est pas seulement
diachronique. Chaque uvre porte en elle toute une série de tensions
qui servent de dynamique à cette évolution.
G.Rosa : Tu opposes le système impérial aux nations, mais la
caractéristique de l'Empire, c'est d'accepter les nations.
F. Laurent : au niveau local seulement, dans le partage des tâches, mais
l'État se définit comme une entité supranationale.
G. Rosa : Il faut alors distinguer nation et nation-État. L'intérêt
de l'Empire est de laisser subsister les nations, et c'est peut-être un
des intérêts que Hugo lui trouve.
F. Laurent : Cependant quand Hugo parle de l'Empire, cette thématique
n'apparaît pas, alors qu'elle apparaît chez Michelet par exemple.
G. Rosa : Ce n'est pas l'existence de la nation qui s'oppose à l'Empire,
mais celle de l'État-nation.
F. Laurent : A l'époque, l'idée d'une nation sans État
n'a plus cours. Les Roumains, les Tchèques, les Hongrois veulent un État
souverain pour chaque nation.
G. Rosa : L'unité austro-hongroise ne se fait pas tant contre l'Empire
que contre les principautés, les monarchies. C'est très net dans
La Chartreuse de Parme. L'Autriche est loin.
F. Laurent : Les grandes mobilisations au contraire, se font contre les Autrichiens.
L'Unité de l'Allemagne se fait ainsi contre l'Autriche.
G. Rosa : mais aussi contre les monarchies locales.
F. Laurent : Oui, mais le problème est ici sensiblement différent
car il n'y a pas d'Empire en Allemagne.
G. Rosa : Il y a l'Autriche. Il me semble que le système impérial
n'est pas un système unifié, que la citoyenneté romaine
n'était réservée qu'à un petit nombre.
F. Laurent : à partir de 212, tout le monde est citoyen romain; il est
vrai que nous sommes dans le Bas-Empire.
G. Rosa : On peut se demander en effet à quel Empire Hugo fait référence.
A. Ubersfeld : Le modèle que Hugo a sous les yeux est l'exemple dévalorisant
de l'Empire Austro-hongrois.
G. Rosa : N'est-ce pas plutôt l'Empire Ottoman qui est le grand modèle
? Si le modèle impérial était si dévalorisé
que cela, pourquoi Hugo se poserait-il la question ?
A. Ubersfeld : Parce que c'est un rêve. L'Empire est un modèle
idéal, mais les réalités impériales au XIXème
sont largement décevantes.
G. Rosa : Les modèles d'Empire sont pourtant nombreux : Alexandre, Rome,
l'Empire Russe, l'Empire Ottoman. La France et l'Angleterre sont les seules
monarchies.
F. Laurent : Mais on pense que les formes impériales sont à part,
monstrueuses. c'est le cas de Quinet, Michelet ou Guizot.
G. Rosa : Mais l'Angleterre, par exemple, possède un Empire colonial.
F. Laurent : C'est bien tout le problème. La fin du Rhin montre
que sont ennemis de la civilisation les régimes qui se constituent en
Empires impérialistes au sens marxiste du terme. Le Rhin présente
une tentative de Hugo pour penser une Europe non impériale, unie autour
d'un fleuve et de deux centres, la France et l'Allemagne.
G. Rosa : Il y a eu un Empire français, républicain. On peut penser
aussi à l'Empire américain. En revanche un Empire monarchique
est impensable.
F. Laurent : L'Empereur est pourtant une forme de monarque.
G. Rosa : Ce n'est pas évident du tout. l'Empire se caractérise
par deux facteurs : d'une part, c'est une organisation politique d'état
entre l'empereur et ses sujets, d'autre part, c'est un mode d'organisation d'entités
diverses. L'Empire n'est pas une grande monarchie.
F. Laurent : Si Napoléon ne prend pas le titre de Roi, c'est en référence
à l'histoire romaine : la République avait succédé
à des Rois décadents. Les Rois sont dévalorisés,
si bien que l'on ne peut reprendre le nom de "rex"; celui d'"imperator"
est préférable. Si l'héritier de Napoléon se nomme
"Roi de Rome", c'est encore en référence à la
tradition de l'Empire romain. La référence à Rome fonde
toujours la réalité dun prestige impérial.
A. Laster : Cela prouve qu'il n'y a pas de contradiction entre l'Empire et la
Monarchie.
G. Rosa : L'Empereur n'est pourtant pas un monarque. Cromwell est un Empereur
républicain, qui, passant à la monarchie, perd sa nature d'Empereur.
A. Ubersfeld : La catastrophe au XIXème est que les Empires sont vécus
comme des monarchies tyranniques et décadentes. La révolte hongroise
de 1848 constitue un choc. L'Empire, qui pouvait apparaître comme un modèle
positif de système fédératif, perd sa crédibilité.
L'Empire devient un passé mythique et utopique; quant aux réalités
impériales du XIXème, elles ne sont plus des Empires, mais des
grosses monarchies.
G. Rosa : Qu'en est-il du Reich ?
F. Laurent : Les historiens allemands ont créé de toutes pièces
l'idée de Saint Empire Romain Germanique. L'unité fédérale
de l'Allemagne se fait autour de la Prusse : les autres monarques restent rois
mais laissent leur souveraineté à l'Empereur.
Josette Acher : Dans L'Ode à la colonne, Hugo utilise l'idée d'Empire,
mais pour promouvoir l'idée de nation; Hugo s'élève contre
les étrangers.
F. Laurent : C'est ce qu'on pourrait appeler la "tendance Béranger"
: utiliser Napoléon comme parangon de la nation française. Louis-Philippe
fera de même. L'utilisation classique de Napoléon au XIXème
est une utilisation nationaliste. Mais Hugo ne s'en tient pas à ce point
de vue et s'intéresse aussi à l'organisation de l'Europe par Napoléon.
Les mots d'Empire, de monarchie, ne sont pas des concepts. Dans notre tradition,
parler d'Empire, c'est réaffirmer la liaison avec Rome.
A. Laster : "Le passé n'est beau ainsi, qu'en ruines"; un passage
des Misérables fait écho à cette notation sur les ruines
de Vianden: II, 7, 3 "A queue condition on peut respecter le passé".
A condition "qu'il consente à être mort." C'est dans
"Parenthèse", livre qui contient autant d'anticléricalisme
que de respect pour la prière.
Guy Rosa aurait bien continué ce débat passionnant mais nos estomacs crient famine...
-Ah çà, mômes, avons-nous dîné
?
-Monsieur, répondit l'aîné, nous n'avons pas mangé
depuis tantôt ce matin.
Myriam Roman
Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
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