Présents :
Agnès Spiquel, Christian
Porcq, Arnaud Laster, Guy Rosa, Anne Ubersfeld, Jacques Seebacher, Carole Descamps,
Lorène Bergeron, Myriam Roman, Caroline Raineri, Géraldine Garcia, David Charles,
Véronique Dufief, Jean-Claude Nabet, Pierre Georgel, Claude Millet, Franck Laurent,
Camille Aubaud, Josette Acher, Nicole Savy, Annie Autenac, Claudine Lafollet,
Salima Haddad, Ludmila Wurtz.
On signale une exposition des acquisitions récentes à la Maison Hugo à partir du 25 novembre, et une autre, également remarquable, à la Maison Balzac.
Une importante vente aux enchères de livres et de documents splendides relatifs à Villiers de l'Isle-Adam a eu lieu le 15 novembre. Jacques Seebacher veut faire don du catalogue, édité par Jean-Marie Bellefroid et Pierre-Georges Castex, à la bibliothèque romantique. Parmi les documents répertoriés, une dédicace de Villiers à Hugo, estimée à 50000 francs. A. Laster rappelle que Villiers a reçu un prix dans le cadre de la commémoration de la découverte des Etats-Unis, et que Hugo faisait partie du jury: la dédicace de Villiers à Hugo y fait référence. J. Seebacher signale, à propos de cette dédicace, une coquille dans le catalogue: Villiers remercie Hugo "chaudement", et non "chaleureusement".
Un roman de Frédéric Lenormand intitulé Les Fous de Guernesey ou les amateurs de littérature vient de paraître: ce roman, très documenté, amusant, raconte l'histoire d'une famille de Guernesey dont l'enthousiasme pour Hugo est d'une naïveté charmante. Ce roman sympathique a essayé de faire avec Hugo ce qu'un autre a fait avec Baudelaire...
Un petit, mais fort bon, livre sur Hugo de Catherine Treilhou-Balaudé qui vient de paraître chez Nathan, dans la collection "Balises".
Raoul Klein a fait, le 16 novembre, une communication sur "Mallarmé lecteur de William Shakespeare" au colloque sur "La notion de modèle au XIXème siècle".
C. Porcq se fait l'écho des critiques de presse sur Les Misérables à Mogador. Il s'étonne que la critique du Canard Enchaîné soit aussi élogieuse: pas l'ombre d'une réserve dans un article de deux colonnes. A. Laster déplore qu'on parle autant de ce spectacle, P. Georgel renchérit: il ne mérite même pas une explication de texte. Ca ne vaut pas Irma-la-Douce, conclut J. Seebacher. Cela est d'autant plus injuste, continue C. Porcq que l'adaptation cinématographique des Misérables de Glenn Jordan, diffusée sur FR3, a été démolie dans Télérama, alors qu'elle est bien supérieure au spectacle de Mogador. Anthony Perkins, dans le rôle de Javert, met en lumière la dimension métaphysique du personnage. P. Georgel est gagné pas le découragement: les hugoliens perdent leur temps, il n'y a plus qu'à jouer au morpion. G. Rosa réagit vigoureusement: il souligne l'énergie qu'il a fallu déployer pour le mensonge. Il faut se donner beaucoup de mal pour faire dire le contraire de ce qu'il dit au texte de Hugo.
Il se demande par ailleurs si une adaptation n'est pas une genèse à l'envers. En effet, l'auteur se livre à tout un travail de "littérarisation" de son texte: par l'écriture, par la digression, il relativise l'importance de l'intrigue et crée une cohérence proprement poétique. L'adaptation fait le travail inverse, en dés-écrivant le texte pour le transposer dans un langage autre, en le découpant en scènes, en supprimant les "longueurs" et les digressions.
J. Seebacher pense que si Les Misérables à Mogador ont un public et du succès, cela fera vendre et lire le texte de Hugo. P. Georgel, décidément, n'y croit pas. Il ajoute cependant que ce qu'on fait de Hugo à Mogador n'est rien à côté de ce qu'on a dit sur Rimbaud à La Villette. J. Seebacher nuance cette affirmation en saluant le travail, remarquable d'intelligence, de Bohrer sur Rimbaud: il apprécie tout particulièrement l'attention qu'il porte aux dates, à la chronologie.
A. Ubersfeld est indignée par la nullité musicale d'un spectacle qui s'intitule pourtant "comédie musicale". Une uvre littéraire vaut par l'écriture. S'il n'y a plus d'écriture, il faut qu'il y ait transposition, que des arts autres assument le sens. Le scénario d'une comédie musicale est forcément squelettique: c'est un problème semblable à celui de la réduction des textes en livrets d'opéra.
Mais, dit G. Rosa, on ne peut pas reprocher à une adaptation de n'avoir pas inventé une musique que Hugo n'a pas écrite. Par contre, on peut lui reprocher d'avoir trahi le texte, par le découpage par exemple.
P. Georgel: il faut qu'une illustration apporte un regard sur le texte, et même une sorte d'équivalence.
A. Laster: une représentation théâtrale n'est pas une adaptation pure et simple. Cette adaptation-là, c'est un spectacle dont l'accompagnement musical est d'une faiblesse évidente. Mais les versions américaine et anglaise étaient magnifiquement orchestrées.
A. Ubersfeld, qui avoue avoir quelque science des chansons libertines, a reconnu la chanson des Trois Orfèvres dans l'accompagnement musical.
Pour V. Dufief, le spectacle donne trop de place aux Thénardier: c'est un véritable détournement du texte.
P. Georgel se demande si, à l'origine, le livret de La Esmeralda a été publié séparément. A. Laster rappelle que Hugo a distribué aux comédiens, le jour de la première représentation, la version non expurgée du livret.
P. Georgel: cela va contre ton idée, à savoir que Hugo aurait parfaitement compris ce jeu avec la musique. En réalité, Louise Bertin a tanné Hugo pour qu'il accepte cette aventure d'opéra. Ce n'est qu'a posteriori que Hugo a inventé une théorie pour la légitimer. Pour lui, cet opéra était une corvée. Louise Bertin lui faisait des commandes en nombre de pieds...
Mais, dit Arnaud Laster, le travail d'opéra commence au moment même où le livre se finit.
J. Seebacher: cela permet à Hugo de mettre en scène, dans l'opéra, la collusion de la police et des truands, qu'il a supprimée dans le livre.
C. Porcq: il y a tout de même des points forts dans ces Misérables. Hugo, c'est aussi l'image, le visuel, le mouvement, et les décors et la chorégraphie sont frappants. Le "rythme" des passages découpés est respecté, très bien construit. Il n'y a pas que la lettre des paroles, dans une uvre. Cette comédie musicale s'adresse au plus grand nombre, et beaucoup de gens auront été incités à redécouvrir Hugo.
A. Ubersfeld est d'accord: il est inutile de tirer à boulets rouges sur ce spectacle.
Mais, intervient Claude Millet, ce n'est pas du théâtre populaire, mais du théâtre de masse. Cela délivre un message en même temps que la neutralisation de ce message, comme la télé.
C. Porcq: la différence est que le théâtre est un lieu physique.
G. Rosa, rêveur: il y a des textes qui sont condamnés à n'être connus que par leurs adaptations: Hugo, la Bible...
F. Laurent intervient: la musique, le découpage en airs, sont d'une indigence incroyable. Le plateau central tourne pendant toute la première partie. Il n'y a qu'un seul air pour toute la première scène. C'est tout simplement un mauvais spectacle.
J. Seebacher se demande si ce spectacle ne participe pas de la "culture Mogador".
Revenant au problème de l'opéra, P. Georgel estime que la préface de La Esmeralda ne corrobore pas l'idée d'Annie, à savoir que le texte s'efface pour que le sens soit transposé dans la musique. La musique est décrite dans cette préface comme une "broderie".
A. Laster: la musique n'occulte pas le texte dans cet opéra, elle le fait entendre. L'air de Frollo en est un magnifique exemple. Cela fait vingt ans que je demande qu'on fasse entendre La Esmeralda au public français. Cela finira par venir des Etats-Unis. Il se prépare aux Etats-Unis une thèse qui est une réhabilitation massive de Louise Bertin. Ce n'était pas du tout une musicienne amateur, elle avait une formation très solide.
J. Seebacher renchérit: les étudiants américains travaillent souvent énormément et avec fruit.
P. Georgel propose à A. Laster de nous faire écouter La Esmeralda lors d'une séance du Groupe Hugo.
A. Ubersfeld trouve regrettable qu'on parle tant des Misérables de Mogador et aussi peu du Marie Tudor monté à Lille par Mesguich. Marie Tudor, ça "marche" toujours. L'acte II, dans la mise en scène de Mesguich, est un moment de théâtre extraordinaire. Mais il y a un traitement qu'on ne peut pas faire subi à Hugo au théâtre, c'est la fragmentation. On ne peut pas traiter Marie Tudor comme si c'était un drame naturaliste, et c'est un peu ce que fait Mesguich à la fin. Le dernier acte, coupé de noirs, est une catastrophe. La montée très forte, continue, de ce dernier acte est complètement évacuée. Cette mise en scène, qui pourrait fonctionner, échoue à l'acte III. Mais les "effets" qu'on reproche tant à Mesguich ne sont pas illégitimes: les boules de feu qui volent dans la salle représentent l'illumination de Londres. Ce n'est d'ailleurs ni spectaculaire ni monstrueux, contrairement à ce qu'écrit Michel Cournot dans Le Monde. Mesguich ne met pas Hugo à feu et à sang. Jusqu'à la fin de l'acte II, l'accent est mis sur le côté passionnel de Marie Tudor: C'est exactement ce qu'avait fait Vilar.
A. Laster: remarque très justement que le Groupe Hugo adopte la hiérarchie qui a cours dans les media en parlant moins de Marie Tudor que des Misérables. Il est le seul à avoir vu la mise en scène tout à fait honorable de L'Intervention que François Caron a présentée à la Maison des Jeunes et de la Culture de Neuilly. Peut-être est-ce encore l'un de ces textes qui "marchent" toujours.
A. Laster et A. Ubersfeld en tombent d'accord: la mise en scène de Mangeront-ils? de Téphany était très bien. Un seul regret: elle ne jouait pas le jeu de la vieillesse. A. Ubersfeld émet également quelques réserves sur la gestuelle. Mais elle souligne la qualité de ce spectacle, bien supérieur à la représentation de l'Intervention donnée il y a quelques années à la Cité Universitaire.
Josette Acher, pour clore le débat sur Les Misérables de Mogador, fait remarquer que le texte de Hugo a été détourné du point de vue religieux. Du point de vue politique aussi: le mot "croisade", aux résonances troubles de nos jours, est employé trois fois. Les soldats du roi, de l'autre côté des barricades, sont appelés "mercenaires".
Diverticule:
Claude Millet soutiendra sa thèse à Paris 7 le 2 décembre, amphithéâtre 56B, à 14H30. Après la soutenance, elle convie le Groupe Hugo à un "pot" au 40, bd Barbès.
Camille Aubaud soutiendra sa thèse à Paris 7 le 9 décembre, à 9H30, salle des thèses (Tour Centrale, 7ème étage, salle 718).
Christian Porcq a soutenu sa thèse, centrée sur Jules Verne, pour le Certificat d'Etudes Spécialisées de Psychiatrie. Guy Rosa, qui était présent, souligne l'extraordinaire sérénité des psychiatres, et leurs non moins extraordinaires contre-sens. C. Porcq affirme que certains contre-sens sont faits à bon escient, pour mettre à l'épreuve le calme et l'à propos du "soutenant": il s'agit d'une herméneutique propre à la psychiatrie. Est-elle vraiment propre à la psychiatrie?, se demande J. Seebacher.
On se demande si l'expression L'Ovide de Guernesey", que Larousse emploie pour décrire Hugo, est neutre, si elle se contente de faire référence à l'exil du poète latin, ou si elle est péjorative, Ovide étant connu pour sa flagornerie à l'égard d'Auguste, alors même que celui-ci l'avait frappé de proscription. A propos de l'exil de Hugo, P. Georgel rappelle qu'une amitié d'enfance liait Madame de Girardin (Delphine Gay) et Louis-Napoléon Bonaparte. L'attachement absolu de Madame de Girardin pour Napoléon III laisse donc supposer qu'elle est venue à Guernesey en tant qu'émissaire des Tuileries. Cela pourrait donner lieu à une belle thèse.
P. Georgel s'interroge sur l'étonnante antithèse que fait Larousse entre, d'un côté, Hugo, et de l'autre, De Broglie, Zola et Goncourt. Dans cette antithèse, la putridité est du côté de De Broglie, Zola et Goncourt, qui représentent l'ordre moral, tandis que Hugo représente la lumière de la spiritualité. La présence de De Broglie prouve que c'est une antithèse politique: on ne l'attendrait pas de la part de Larousse. C. Millet remarque que Larousse a également lintelhgence de faire une lecture politique de L'Art d'être grand-père: c'est chose rare à l'époque.
A. Ubersfeld: Larousse parle à plusieurs reprises de la "volonté" de Hugo. En ce qui concerne la poésie, c'est un éloge ambigu. On en est encore, à cette époque, à l'idée du poète qui chante comme il respire, à l'idée d'une inspiration qui n'a pas besoin de travail. S'il travaille, le poète est un tâcheron. Or, Larousse semble construire l'image d'un Hugo volontariste. Il semble également sous-entendre que Hugo néglige le réel, qu'il ne travaille et ne pense qu'à son idéal, ce qui est connoté positivement au XIXème: le poète doit planer comme l'albatros, ne jamais redescendre sur terre. Par contre, toujours selon Larousse, le domaine où le volontarisme hugolien "marche", c'est celui des grands principes de 89.
A. Spiquel: c'est un éloge ambigu, certes. Mais Larousse ne reproche pas à Hugo de négliger le réel.
G. Rosa estime que Larousse fabrique une image de Hugo qui deviendra bien conformiste. F.Laurent renchérit: Larousse refuse le grotesque chez Hugo. C'est un lieu commun de la critique libérale en 1828-1829. De même, la tripartition selon laquelle "Lamartine chante, Vigny compose, Hugo invente" est une idée éculée à l'époque.
G. Rosa: ce n'est pas la seule.
A. Ubersfeld: il y a tout un travail de la presse visant à réduire le grotesque, non au mélange des genres, mais au "populaire": le grotesque, ce seraient le chiffonnier, la prostituée. Dès Hernani, on a dit que Hugo n'était pas fidèle à son programme de la préface de Cromwell, qu'il n'y avait pas de grotesque.
G. Rosa se demande si Larousse est l'inventeur de l'image IIIème République de Hugo. Il explique avec beaucoup d'astuce ses fluctuations politiques, permises au "rêveur généreux". Ce discours édulcorant, anesthésiant, disqualifie la présence politique de Hugo.
A. Ubersfeld: il y a une espèce de stabilité dans les lieux communs sur Hugo depuis le XIXème. Lioure, dans son livre sur le drame, énonce les mêmes lieux communs - authentiques et solennels, précise J. Seebacher - qu'il y a un siècle. A. Ubersfeld, à son tour gagnée par le découragement, se demande à quoi ont servi les mille pages de sa thèse. Tous les autres se récrient: Lioure a écrit son ouvrage bien avant la parution de la thèse d'Annie; il aurait dû le corriger...
C. Millet fait remarquer que, dans l'article "Napoléon III", Larousse utilise une citation de Napoléon-le-Petit pour illustrer le caractère de l'homme.
Nicole Savy: il faut noter l'ampleur, la folie du travail éditorial du Grand dictionnaire universel. Larousse prend, d'une certaine manière, l'entreprise quasi encyclopédique de Hugo pour "modèle": il fait de Hugo un double, un interlocuteur. On a là deux prises de parole concurrentes. Le texte sur Le Dernier Jour le prouve où Larousse hausse le ton et égale sa voix à celle de l'auteur qu'il commente.
J. Seebacher se demande si Larousse n'est pas parfois irrité ou dérangé par l'allure trop corporelle du fonctionnement de l'esprit de Hugo, par sa trop grande attention au corps. Il y a dans ses articles des échos pudibonds, puritains. Quand il parle de la "générosité de Hugo à l'égard des prolétaires", il est moins innocent qu'il n'en a l'air.
G. Rosa intervient sur l'idée de Nicole Savy: effectivement, Larousse fait un discours concurrent à celui de Hugo en affirmant à plusieurs reprises ne pas vouloir se prononcer sur le bien-fondé du discours de Hugo. En réalité, il se désolidarise de Hugo. Mais, dit J. Seebacher, Larousse dit dans son article sur Le Dernier Jour dun condamné: "Nous n'avons pas à examiner, à cette place, le bien-fondé ". Larousse présente Le Dernier Jour d'un condamné comme une critique violente du fonctionnement des tribunaux et de la peine de mort, mais estime n'avoir pas le droit d'exposer sa propre opinion sur la peine de mort dans un article sur Hugo. Pourtant, rétorque G. Rosa, Larousse a sur d'autres sujets des opinions tranchées et affirmées. Pas sur la peine de mort. Son discours n'est pas du tout le même que celui de Hugo.
A. Ubersfeld: on ne mesure pas à quel point la prise de position de Hugo contre la peine de mort était extravagante à cette époque, où l'on n'osait pas y toucher tellement elle allait de soi. Il n'est pas étonnant qu'un auteur de dictionnaire hésite à se prononcer pour ou contre.
J. Seebacher et P. Georgel sont d'accord: Larousse n'hésite pas à se prononcer sur la peine de mort, mais il ne veut pas le faire "à cette place". Cela veut dire qu'il en traite ailleurs de façon explicite. G. Rosa proteste: le refus de Larousse de se prononcer sur l'opinion de Hugo est déjà une prise de position, et une prise de position contre. D'ailleurs, se prononcer contre la peine de mort n'était déjà plus tellement extravagant, puisque Chateaubriand, Lamartine et bien d'autre l'avaient fait. On vérifie, à l'article "mort": il expose les arguments "pour" la peine de mort, les arguments "contre", puis fait l'historique de son application. Ce n'est pas exactement la démarche du Dernier Jour...
Ludmila Wurtz
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