Retour

Séance du 21 juin 2008

Présents :Josette Acher, Brigitte Braud Denamur, Pierre Burger, Olivier Decroix, Bénédicte Duthion, Delphine Gleizes, Jean-Marc Hovasse, Virginie Ismert, Patricia Izquierdo, Caroline Julliot, Hiroko Kazumori, Franck Laurent, Arnaud Laster, Loïc Le Dauphin, Bernard Le Drezen, Bernard Leuilliot, Claude Millet, Claire Montanari, Florence Naugrette, Yvette Parent, Marie Perrin, Guy Rosa, Denis Sellem, Anne-Marie Van Bockstaele, Vincent Wallez et Judith Wulf.


Claude Millet présente à l’assemblée l'oratriuce du jour, Patricia Izquierdo, enseignante et chargée de cours à  Sciences Po ainsi qu’à l’université de Paris-Est Marne-la-Vallée. Elle avait présenté, lors de la journée d’étude sur l’anti-romantisme du 6 juin 2008 à l’Université Paris-Diderot, une très riche communication sur l’articulation entre anti-romantisme et anti-féminisme dans la réception des poétesses de la Belle Epoque.

Elle vient par ailleurs de créer une association dédiée à Lucie Delarue-Mardrus (assoldm@yahoo.fr).

Informations

Publications :

Claude Millet rappelle que le premier numéro de la revue Écrire l’histoire vient de paraître et invite les membres de l’assemblée à s’y abonner. Elle leur conseille également de se procurer le précieux volume de Mélanges offert à Guy Rosa.

 

Guy Rosa salue la parution, dans les actes du colloque de Paris IV intitulé « Violence et conciliation au XIXe siècle », d’un article de Bernard Le Drezen portant sur l’éloquence parlementaire de la Seconde République. Bernard Le Drezen met au point une distinction entre les notions de consensus et de conciliation. La Seconde République part, pour des raisons de circonstances, avec l’idée de l’unanimité du consensus, et s’achemine vers une pratique de la conciliation et de l’accord. La rupture de l’unanimité et la pratique de la violence, qui caractérisaient d’abord les initiatives de la gauche et de l’extrême-gauche, ont ensuite été le propre de la droite. La gauche a alors cherché à maintenir un idéal de conciliation et de résolution des conflits par le principe de l’accord. La droite a été, quant à elle, durablement marquée par la pratique violente de la politique.

D’après Guy Rosa, Hugo est caractéristique de cette histoire. Il n’était pas versé dans l’enthousiasme unanimiste des débuts. Il prône régulièrement la résolution des conflits par la discussion. Le terme de « conciliation » est très souvent utilisé dans ses discours.

BERNARD LEUILLOT : C’est un terme historiquement employé sous la Commune par les partis proches du Rappel.

FRANCK LAURENT : La position du Rappel se situe plutôt à la gauche du mouvement conciliateur. N’oublions pas que Le Rappel soutient la légitimité de la Commune.

ARNAUD LASTER : C’est très juste. J’ai fait une communication il y a peu de temps aux journées Paul Meurice et Victor Hugo sur les positions de Meurice et du Rappel : ils sont nettement pour la Commune et contre l’assemblée de Versailles. Hugo manifeste son soutien au Rappel.

FRANCK LAURENT : Il y a tout de même des points de désaccord non négligeables. Dans une lettre ouverte à L’Indépendance Belge, Hugo écrit : « cette Commune que Paris a fort peu élue »…

ARNAUD LASTER : Hugo, à cette époque, est éloigné géographiquement. Lorsqu’il est à Bruxelles, il se plaint parfois de ne pas recevoir Le Rappel.

 

Bernard Leuilliot évoque la parution de l’ouvrage du romancier Mario Vargas Llosa, Hugo et Les Misérables. Graham Robb lui consacre deux pages dans Le Monde diplomatique.  L’ouvrage se fonde entièrement, d’après Bernard Leuilliot, sur ce que dit Guillemin de la sexualité hugolienne ; il se présente pourtant comme faisant preuve d’une grande nouveauté. Guy Rosa confirme le jugement de Bernard Leuilliot. Selon lui, l’ouvrage de Llosa est très en retard et se signale par une absence totale d’invention idéologique. Le sous-titre, « la tentation de l’impossible » n’est qu’une variation sur le titre d’un article de Lamartine.

 

À venir :

La prochaine réunion du Groupe Hugo aura lieu le samedi 20 septembre 2008. Caroline Julliot proposera une communication sur Torquemada.

Elle soutiendra par ailleurs sa thèse sur « la figure du grand inquisiteur au XIXè siècle » le 26 novembre 2008 à 14 H, à la salle des Actes de Paris IV. Les membres du Groupe Hugo sont cordialement invités à venir assister à cette soutenance.

 

Claude Millet présentera les activités du Groupe Hugo le 22 novembre 2008 à l’occasion de la fête de la science organisée par Paris VII dans le cadre d’un cycle de conférences organisé par le comité parité et portant sur la question : « Qu’est-ce que la recherche au féminin ? ».

 

Spectacles et manifestations :

Delphine Gleizes et Arnaud Laster ont assisté à une représentation de Mille francs de récompense à Lyon. La pièce était jouée par la compagnie semi-professionnelle Kapibara. Malgré la distribution parfois inégale, ils ont apprécié les scènes entre le député et un jeune viveur qui vient d’apprendre sa nomination en tant que substitut du procureur de la république. Sans doute y a-t-il une part d’autobiographie et des allusions au Pair de France dans ce passage.

 

Arnaud Laster signale également la tenue d’un hommage à Hugo au Panthéon le dimanche 22 juin par la société des poètes français. Denis Sellem rappelle que José-Maria de Heredia est à l’origine de cette société et qu’il a voulu la dédier à Victor Hugo. Les organisateurs de cette manifestation voulaient que la Société des Amis de Victor Hugo participe en écrivant un texte sur « Hugo et le sentiment religieux », mais leur intervention s’intitulera plutôt « Hugo au-delà des religions ».

Guy Rosa souligne l’évolution récente de la réception de Hugo : il semble qu’il soit de moins moins un enjeu idéologique. Arnaud Laster nuance cet avis en rappelant qu’il existe toujours chez certains critiques une véritable hargne anti-hugolienne.


Communication de Patricia Izquierdo : L'importance de V. Hugo chez certaines poétesses de la belle époque  (voir texte joint)


Discussion

Question de corpus 

CLAUDE MILLET : Je vous remercie pour votre communication qui montre bien toute l’ambiguïté des poétesses que vous évoquez. Elles sont à contre-courant d’un féminisme virulent, mais elles témoignent néanmoins d’une relative autonomisation de la femme. Ce qui frappe, c’est qu’elles ne semblent pas s’intéresser seulement au Hugo intime : le Hugo politique compte aussi pour elles. Au fond, la poésie de Marceline Desbordes-Valmore, quelques années auparavant, était déjà politique. On a ensuite réduit son image à celle d’une poétesse plaintive. Je me demande s’il ne faudrait pas introduire un double découpage dans votre corpus. Vous faites une distinction sexuelle, poésie féminine / poésie masculine, et vos  poétesses semblent constituer un groupe cohérent de poésie féminine. Or elles évincent quelque peu les poétesses plus proches des avant-gardes. On peut penser ainsi à Marie Krysinska, qui a toujours revendiqué l’invention du vers libre, ou à Valentine de Saint-Point, qui publie le Manifeste de la femme futuriste et Le Manifeste futuriste de la luxure. Elles ont une position très éloignée du romantisme ou du néo-romantisme. Il y aurait donc une distinction à faire à l’intérieur du féminin.Et puis il me semble qu’il peut y avoir, malgré ce découpage sexué, une continuité entre la poésie féminine et une certaine poésie masculine. Certains poèmes que vous avez lus m’ont fait penser aux poèmes que Catulle Mendès avait pu écrire en hommage à Hugo, qu’il l’appelle d’ailleurs très régulièrement « le Père ».

PATRICIA IZQUIERDO : C’est juste. Je suis très consciente du fait que la catégorie « poésie féminine » enferme les poétesses dans une sorte de ghetto. C’est en réalité une notion qui s’est imposée à moi au cours de mes recherches dans la mesure où les critiques de l’époque ont cherché à la constituer. Il est évident qu’elle ne rend absolument pas compte des pratiques poétiques très différentes des poétesses que j’ai étudiées. Renée Vivien, par exemple, la fait complètement voler en éclat.

CLAUDE MILLET : Il semble au fond que ce soient plutôt les femmes qui se réclament du romantisme qui sont identifiées comme des poètes femmes.

PATRICIA IZQUIERDO : Oui. Les autres poétesses sont à part. On les qualifie de « monstres » parce qu’on ne sait pas très bien quoi en faire. Le féminisme provoque, à cette époque, le même malaise que le romantisme. Toutes les femmes identifiées comme poétesses refusent d’être qualifiées de féministes. Anna de Noailles invente même un terme, le « féminéisme », qui revendique un univers propre à la femme.

BERNARD LE DREZEN : Nietzsche considère qu’il y a un rapport étroit entre féminisme et romantisme. Il critique le romantisme et le qualifie d’« art féminin ». Le lien entre romantisme et poésie de femme est, par ailleurs, récurrent dans l’idéologie d’extrême-droite.

PATRICIA IZQUIERDO : Oui. La presse assimile féminisme, conçu comme idiosyncrasie féminine, et romantisme.

Paradoxalement, les poétesses que j’ai citées adorent Nietzsche. On les surnomme même les nietzschéennes. Valentine de Saint-Point lui emprunte même le concept de surhomme pour créer celui de surfemme.

GUY ROSA : Vous ne semblez pas trop apprécier les poétesses que vous avez étudiées.

PATRICIA IZQUIERDO : J’aime beaucoup Lucie Delarue-Mardrus, par exemple, ou Marie Dauguet. Je suis plus réservée à l’égard d’Anna de Noailles. Elle est un peu poseuse et son œuvre est inégale. Ses positions politiques sont très complexes. Elle fait preuve d’une certaine forme d’opportunisme. Considérée comme la muse de la Troisième République, elle est cependant très proche de Barrès ou de Maurras.

GUY ROSA : On a l’impression que, contrairement aux « monstres » – les femmes inclassables que l’on évoquait tout à l’heure –, les poétesses que vous avez évoquées écrivent de façon très conformiste et sont assez conservatrices. Quelle est leur place dans le mouvement général de la poésie ?

PATRICIA IZQUIERDO : On dit d’elles qu’elles sont à la fois la preuve et une des causes de la crise poétique. Elles arrivent au moment de l’avènement du vers libre et de la remise en cause de la place du poète dans la société.

FRANCK LAURENT : Les femmes sont très peu introduites dans le milieu littéraire au XIXe siècle. Il y a quelques cas de femmes écrivains, mais elles sont considérées comme atypiques et scandaleuses. Il y avait beaucoup plus de femmes dans les milieux littéraires dans les siècles monarchiques. Le XXe siècle renormalise une situation que le XIXe avait crispée.

GUY ROSA : Le fait que vous intégriez Judith Gautier dans le groupe des poétesses de la Belle Époque me semble un peu gênant. Vous validez d’ailleurs la notion de groupe…

PATRICIA IZQUIERDO : Non, toutes ces poétesses sont indépendantes. Elles ne sont pas solidaires, ne constituent pas un mouvement, ne s’entraident d’aucune façon.

ARNAUD LASTER : Votre propos permet d’éviter de mélanger femmes écrivains et féminisme. Votre communication montrait d’ailleurs qu’il y avait quelques dissonances dans le discours de ces femmes sur Hugo. Nathalie Barney n’a pas la même admiration pour Hugo que les autres ; vous avez cité un passage dans lequel elle le qualifie de « bourgeois ». Chacune de ces poétesses doit être vue singulièrement.

GUY ROSA : Le titre, « les poétesses de la Belle Époque », est alors gênant.

FRANCK LAURENT : Oui, mais le corpus est constitué par le discours des critiques littéraires de l’époque.

CLAUDE MILLET :À partir de quand le terme de « poétesse » tombe-t-il en désuétude ?

PATRICIA IZQUIERDO : Après la Première Guerre Mondiale. Il disparaît dans les années 30. Il était apparu dans les années 1880. Certaines femmes de mon corpus préfèrent se qualifier de « femme poète ». Anna de Noailles trouve par exemple que le mot « poétesse » est très laid. Ces querelles de mots sont très intéressantes et très significatives.

 

Précisions sur quelques poétesses :

FRANCK LAURENT : Je voudrais juste faire une remarque factuelle : Judith Gautier dit qu’elle a appris à lire avec La Légende des Siècles ; c’est amusant, car lors de la parution du recueil, elle devait avoir quatorze ans…

PATRICIA IZQUIERDO : Sa remarque n’est en effet pas à prendre au sens propre. Elle est intéressante dans la mesure où c’est une des rares à prendre cette référence.

FRANCK LAURENT : Il est vrai que La Légende des Siècles, dans la doxa, est plutôt considérée comme une poésie virile.

GUY ROSA : Le recueil est cependant vu, plus tard, comme de la poésie pour enfants.

FRANCK LAURENT : Je reviens sur le discours de Hugo pour l’avenir des femmes. Il n’a pas été écrit en 1850, mais en 1872. J’en retiens une formule, très efficace : « il est difficile de constituer le bonheur de l’homme avec la souffrance de la femme ».

ARNAUD LASTER : Je vous renvoie à un article de Danièle Casiglia portant sur la réception des déclarations féministes de Hugo, qui ont provoqué un véritable scandale. On le trouve dans le numéro des Cahiers Tourgueniev composé à l’occasion du bicentenaire 2002, Hugo, Tourgueniev et les droits de l’homme.

FRANCK LAURENT : Je suis frappé par une des difficultés que l’on rencontre lorsqu’on fait de l’histoire littéraire. Il faut être conscient que l’on reste dans une doxologie. On fait l’histoire des images du romantisme, beaucoup plus que l’histoire du romantisme en lui-même. Ce que vous disiez sur la nature telle qu’elle est chantée par les poétesses, c’est une image du romantisme, mais ce n’est pas la seule. On dit souvent de Valéry qu’il est antiromantique et qu’il adopte une posture de littéraliste. Il n’en demeure pas moins qu’il écrit, très souvent, qu’au départ de toute écriture poétique, il y a l’émotion. 

ARNAUD LASTER : Lucie Delarue-Mardrus, dont vous citiez le journal, va au-delà de l’apparence des manuscrits, qui peuvent paraître très trompeurs. Elle, en praticienne de l’écriture, comprend que les traces que Hugo a laissées sur le manuscrit sont celles d’un aboutissement. Hugo lui-même fournit un indice, dans Les Contemplations, sur le travail que constitue l’écriture poétique : il dit qu’il faut « gravir le dur sentier de l’inspiration ».

BERNARD LEUILLIOT : La description que fait Lucie Delarue-Mardrus des manuscrits DE Hugo est tout à fait troublante. Est-ce que Hugo reliait déjà ses manuscrits à l’époque ? Cela me semble trop tôt…

Un document me semble intéressant à consulter pour comprendre le climat poétique de l’époque : c’est la correspondance entre Paul Valéry et Pierre Louÿs. Ce dernier se présente comme un grand défenseur de Hugo. Valéry, quant à lui, n’est pas réductible au seul disciple de Mallarmé. Tous deux évoquent souvent le cas de ces poétesses. Ils parlent en particulier de Cécile Sauvage, la mère d’Olivier Messiaen.

PATRICIA IZQUIERDO : Oui. Elle se situe dans la mouvance directe d’Anna de Noailles, mais elle tourne malheureusement assez tôt à vide. Elle s’est enfermée dans la vie de famille et perd son souffle poétique. Elle meurt relativement jeune.

 

Les modèles 

DELPHINE GLEIZES : J’ai travaillé sur les poètes ouvriers sous la Monarchie de Juillet. Pour être reconnus, ils s’appropriaient de grands modèles poétiques, comme les poétesses dont vous avez parlé. Vous soulignez l’importance de l’héritage de Hugo pour les poétesses de la Belle Epoque. Ont-elles des modèles plus contemporains ?

PATRICIA IZQUIERDO : Elles évoquent souvent Verlaine, Henri de Régnier, Émile Verhaeren… Laforgue est très peu cité en revanche.

FLORENCE NAUGRETTE : Vous vous étonniez du fait que George Sand est pratiquement absente de leurs références. N’est-ce pas tout simplement parce qu’il s’agit d’une romancière ?

PATRICIA IZQUIERDO : Il y a d’autres causes, je pense, à leur silence. À l’époque, Sand est très violemment critiquée. Elles n’ont pas envie de lui ressembler, d’autant que Sand s’habillait en homme et qu’elle a mené une vie qu’on jugeait scandaleuse. Elles ont besoin d’une femme dont elles puissent se réclamer sans scandale.

CLAUDE MILLET : Pourtant, vous dites qu’elles assument leur « côté » bacchantes. N’est-ce pas plutôt la réputation de naïveté ou de niaiserie de George Sand qui les fait reculer ?

PATRICIA IZQUIERDO : Je n’en suis pas sûre. Elles connaissent George Sand mieux que de réputation et savent la vie qu’elle a menée.

YVETTE PARENT : On a du mal à imaginer la méchanceté « virile » de la fin de siècle. Pourtant, je trouve que ces femmes luttent moins que George Sand par exemple, et ce parce qu’elles sont opportunistes. Elles ne vont pas au combat, et dans un sens, on pourrait dire que c’est pour cela qu’on les a beaucoup attaquées. Cela explique aussi pourquoi elles se raccrochent à Hugo : il joue le rôle d’un père susceptible de les protéger. Peut-être pourrait-on aussi avancer qu’elles sont attaquées pour la simple raison qu’elles ne sont pas très bons poètes…

PATRICIA IZQUIERDO : Il y a néanmoins un poncif qui dure jusqu’à la Première Guerre Mondiale, un discours institué par les critiques qui revient sans cesse. Ils montrent souvent, par leurs erreurs, qu’ils n’ont pas lu les livres qu’ils descendent en flèche. Certains articles sur le recueil Vivre ! de Cécile Perrin, paru en 1906, montrent que leurs auteurs n’ont lu que le titre du recueil et l’ont rapidement catégorisé. Pourtant, Cécile Perrin n’a pas du tout la même esthétique qu’Anna de Noailles, par exemple.

 

Sur l’édition des œuvres poétiques

BERNARD LEUILLIOT : Il serait intéressant d’observer l’aspect quantitatif des choses. On ne se rend pas compte ce que, proportionnellement, représente la production poétique féminine d’avant-guerre.

GUY ROSA : La proportion des publications de prose et de poésie s’inverse en tout cas entre 1800 et 1914. La poésie constitue en 1800 75% du nombre de titres parus. Elle ne représente plus, en 1914, que 10 à 20% de la production globale. Les tirages des recueils poétiques, par ailleurs, sont bien inférieurs à ceux des romans. En 1877, L’Art d’être grand-père de Hugo est publié à 3000 exemplaires, La Légende des Siècles à 2000. Un roman de Zola est en revanche publié à 200 000 exemplaires. Les tirages ne sont donc pas comparables.

PATRICIA IZQUIERDO : Certaines poétesses arrivent cependant à vivre de leur plume. Le Cœur innombrable d’Anna de Noailles est publié à 1500 exemplaires, puis à nouveau à 1500 trois semaines plus tard.

GUY ROSA : Le fait que ces poétesses accordent leur préférence aux œuvres de Hugo d’avant l’exil n’est pas, d’après moi, un très bon signe. Calmann Lévy assure l’édition des œuvres de l’exil et d’après l’exil. Hachette publie les recueils précédents et en fait des tirages considérables.

ARNAUD LASTER : Vous disiez que les poétesses renvoyaient avant tout à la poésie d’avant l’exil. Malgré tout, dans les passages que vous avez cités apparaissaient plutôt des noms présents dans La Légende des Siècles.

PATRICIA IZQUIERDO : C’est vrai, mais les œuvres d’avant l’exil sont citées beaucoup plus fréquemment.

JEAN-MARC HOVASSE : La réédition récente du Livre de ma vie d’Anna de Noailles (éditions Bartillat, 2008) est suivie d’un index qui montre à quel point Hugo surpasse toutes les références auxquelles elle peut faire allusion.

Anna de Noailles est la première femme à être commandeur de la légion d’honneur. Par certains points, on peut avoir l’impression qu’elle se prend pour Hugo lui-même.

PATRICIA IZQUIERDO : Oui : elle le revendique d’ailleurs.

FRANCK LAURENT : Il faudrait souligner l’importance sociale et économique de la poésie à cette époque. Il y a beaucoup de publications en nombre de titres. Les poètes bénéficient surtout d’une grande notoriété. Ils sont accoutumés à provoquer le débat. Ceux qui s’en sortent ont des positions de prestige. Vous disiez que certaines poétesses pouvaient vivre de leur plume. Sans doute bénéficient-elles des retombées indirectes de leur travail poétique. Elles participent à des conférences, reçoivent des invitations, des places dans les journaux, etc. La dignité sociale que confère le genre poétique est encore importante à l’époque.

 Claire Montanari


Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
Bibliothèque Jacques Seebacher, Grands Moulins, Bâtiment A, 5 rue Thomas Mann, 75013 Paris. Tél : 01 57 27 63 68; mail: bibli19@univ-paris-diderot.fr. Bibliothécaire: Ségolène Liger ; responsable : Paule Petitier
Auteur et administrateur du site: Guy Rosa.