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Séance du 5 avril 2008

Présents : Stéphane Arthur, Sylvie Brodziak, Ludmila Charles-Wurtz, M. et Mme Devinat, Jean-Marc Hovasse, Pierre Georgel, Caroline Julliot, Hiroko Kazumori, Franck Laurent, Arnaud Laster, Mouna Messaoud, Claude Millet, Claire Montanari, Sébastien Mullier, Yvette Parent, Jean-Pierre Reynaud, Guy Rosa, Denis Sellem, Agnès Spiquel, Sylvie Vielledent et Vincent Wallez.


Claude Millet présente à l’assemblée Sylvie Brodziak, maître de conférences en histoire à l’université de Cergy-Pontoise, qui travaille à la correspondance de Georges Clemenceau, ainsi que M. et Mme Devinat, venus écouter son intervention. Mme Devinat est la descendante d’Albert Clemenceau et de Marthe Meurice (la famille même de Paul Meurice).

Informations

Evénements :

Claude Millet annonce que les nouveaux locaux de la bibliothèque du XIXe siècle (bâtiment A du site des Grands Moulins, 2ème étage) seront inaugurés le vendredi 30 mai. A cette occasion, Guy Rosa se verra remettre un volume de mélanges.

La sortie du premier numéro d’Écrire l’Histoire, revue animée par l’équipe de recherche du XIXe siècle, pourra sans doute être fêtée par la même occasion…

 

Guy Rosa signale que la bibliothèque du XIXe siècle vient de se doter d’un nouveau lecteur de microfilms et de microfiches, capable, lui, de les numériser (et graver sur CD ou enregistrer sur clé USB) avec tous les perfectionnements apportés par l’imagerie numérique (grossissement en particulier). Il rappelle qu’outre la totalité des microfilms des manuscrits de Hugo présents à la BNF, la bibliothèque possède et met à disposition ceux d’un grand nombre de périodiques du 19°, la plupart difficilement consultables autrement –c’est même la raison de leur enregistrement photographique. C’est Pierre Albouy qui, dès la création de Paris 7 et de l’équipe, avait commencé, avec l’aide de J.-L. Diaz, à réunit cette collection. Claude Millet précise que le fonds des microfilms continue à augmenter. Pour l’instant, les achats ont surtout porté sur les revues littéraires du XIXe siècle. Le catalogue de la bibliothèque, consultable sur le site, comporte évidemment le détail de ces ressources.

 

Spectacles :

Padoue, version raccourcie d’Angelo, tyran de Padoue, est joué au théâtre de l’Epouvantail, 6 rue de la Folie Méricourt, à Paris, du 3 avril au 25 mai. La réduction de la pièce est, selon Arnaud Laster, très honnête. Le metteur en scène, Ewan Lobé Jr., a choisi d’introduire une chanson qui serait celle de la mère de Tisbé. Il a composé les paroles dans une langue du Bénin. Une musique de scène, qui présente beaucoup d’intérêt, a en outre été composée pour la circonstance.

 

Le Prisonnier, opéra de Luigi Dallapiccola, est à l’affiche du Palais Garnier du 10 avril au 6 mai. Arnaud Laster rappelle que le livret s’inspire d’un conte de Villiers de l’Isle-Adam, mais qu’il a aussi subi l’influence de Hugo. La mère du condamné fait en effet un cauchemar dans lequel Philippe II apparaît. La présentation de ce dernier est assez conforme à celle qu’en fait Hugo dans « La Rose de l’infante ». D’autres souvenirs de l’œuvre de Hugo sont sans doute présents. Il est probable que le compositeur – qui est aussi l’auteur du livret – a songé au Dernier jour d’un condamné et à Torquemada. C’est ce que démontre Arnaud Laster dans un article de l’Avant-scène Opéra consacré au Prisonnier.

 

Publication :

Claude Millet annonce que Paule Petitier et Paul Viallaneix viennent de faire paraître le cinquième volume de l’Histoire de France de Michelet aux éditions Equateurs, celui de Jeanne d’Arc et du duc de Bourgogne.

FRANCK LAURENT : Cette édition de l’ Histoire de France constitue un événement car l’édition des œuvres complètes de Michelet chez Flammarion était difficilement accessible et, arrêtée en cours de route, ne comprenait pas les volumes de la fin de la monarchie (Louis XIV, XV et XVI). De même, chez Bouquins, seuls les livres sur le Moyen Age, la Renaissance et la Réforme étaient disponibles ; ils présentaient d’ailleurs le grave défaut de ne pas reproduire les notes et les éclaircissements de Michelet, qui sont d’une importance majeure. Le fameux texte sur la passion au Moyen Age ne s’y trouvait pas.

GUY ROSA ajoute que les présentations de Paule Petitier sont excellentes : elles montrent un texte plus intelligent et plus soigneusement construit qu’il ne le semble à la lecture courante. Sujet de perplexité : le succès rencontré par cette édition, dont tous les médias ont parlé, jusqu’aux journaux télévisés de 20 heures, alors que l’Histoire de France semble inconnue de l’Université –de l’agrégation, n’en parlons pas.

 

A propos de laquelle, Guy Rosa signale, avec confirmation d’Arnaud Laster, qu’elle aura l’an prochain à son programme Hernani et Ruy Blas. La timidité de ce choix est unanimement regrettée.


Communication de Sylvie Brodziak : Clemenceau lecteur de Hugo (voir texte joint)


Discussion

Question de génération

CLAUDE MILLET : Je suis frappée par la difficulté qu’il y a à interpréter la dernière lettre que vous avez citée dans votre intervention. Il est difficile de cerner ce que veut dire par exemple, à l’époque de Clemenceau, la notion de « romantisme ». J’organise un programme sur l’antiromantisme depuis un an et demi. On s’aperçoit que le référent même de « romantisme » est très plastique. Il dépend de la culture de chacun et de ses horizons idéologiques. Que signifie « romantisme » pour Clemenceau ? Sans doute est-ce l’absence d’au-delà qui marque, chez lui, une véritable césure avec le romantisme.

FRANCK LAURENT : La difficulté d’analyser l’influence de Hugo sur Clemenceau provient en outre de leur différence de génération. Ce sont deux personnages à la grande longévité et ils n’appartiennent pas à la même génération. Le Hugo de 1820 n’est pas le même que celui de 1880, de même que la référence de Clemenceau à Hugo n’est sans doute pas la même en 1880 ou en 1925…

Les contemporains de Clemenceau sont influencés par Hugo, mais le spiritualisme de ce dernier est ce qui, très tôt, leur pose problème.

PIERRE GEORGEL : Les derniers recueils (Religions et religion et L’Ane en particulier), mais également ce qu’on appelle Préface philosophique des Misérables font vigoureusement contre-attaque à cette vague anti-spiritualiste. D’ailleurs, Les Misérables eux-mêmes aussi : « ce livre est un livre religieux ». Au grand scandale de Charles, George Sand, etc.

 

Hugo et Clemenceau se sont-ils rencontrés ?

FRANCK LAURENT : Tu as dit que rien, dans la correspondance de Clemenceau, ne permet de déterminer s’il a rencontré Hugo. Ce serait étonnant dans la mesure où, à partir de 1870, tout le monde va voir Hugo, et en particulier les gens de gauche. Même avant 1870, les fréquentations de Clemenceau sont très proches de celles du clan Hugo. Clemenceau connaît, par exemple, Lockroy, collaborateur du Rappel. Clemenceau a-t-il d’ailleurs déjà écrit dans ce journal ?

SYLVIE BRODZIAK : Non, je ne pense pas.

FRANCK LAURENT : Il est en outre proche de Schoelcher.

ARNAUD LASTER : Hugo et Clemenceau se sont rencontrés. Clemenceau est venu annoncer à Hugo son élection au Sénat. On en trouve trace dans l’édition Massin. Malheureusement, on n’a pas assez de renseignements sur les dernières années de Hugo. Les carnets de cette période n’ont pas encore été tous publiés correctement.

On trouve toutefois, sur une page d’un carnet de Hugo datée du 14 mai 1877, une note qui signale qu’il a reçu Clemenceau ainsi, entre autres, que Flaubert et sa nièce.

 

Sur l’amnistie des communards :

AGNES SPIQUEL : Vous avez précisé que Clemenceau n’avait pas signé le texte de Hugo sur l’amnistie en 1879. Savez-vous pour quelle raison il ne l’a pas fait ?

SYLVIE BRODZIAK : Non. Clemenceau n’explique pas pourquoi il n’a pas donné sa signature. Pourtant, il était connu, depuis 1876 au moins, pour son combat en faveur de l’amnistie des communards. On peut cependant remarquer que, parfois, Clemenceau ne veut pas faire comme les autres.

AGNES SPIQUEL : Peut-être ne souhaitait-il pas, contrairement à Hugo, l’amnistie pleine et entière ?

SYLVIE BRODZIAK : Si, et il l’a lui même revendiquée…

GUY ROSA : Si je me souviens d’une lecture ancienne mais attentive du Moniteur,  Clemenceau défend l’amnistie à l’Assemblée Nationale, en mai 1876, le jour même où Hugo fait de même au Sénat. Ce ne serait qu’un coïncidence inintéressante si, dans son discours, Clemenceau ne faisait, et longuement, un parallèle qui n’allait pas soi entre l’amnistie demandée pour les communards et celle accordée aux Vendéens (dont Clemenceau, député de Vendée, avait des raisons de se préoccuper). Ce parallèle, Hugo ne le fait pas dans son propre discours, mais, dans Quatrevingt-treize, le rapprochement entre la Commune et la Vendée est flagrant –et explicitement souligné : « Nous avons revu ces moeurs. ». Clemenceau est-il une « source » (importante) pour Hugo ? En tous cas, la communauté de vues entre eux est profonde sur ce point –point décisif puisqu’il s’agit de la r/Révolution.

 

L’expérience de la Commune et la quête de la responsabilité :

FRANCK LAURENT : On sent qu’il y a, autour de la Commune, une proximité idéologique entre les deux hommes, mais aussi certains accents différents. Ils n’ont pas, par exemple, le même rapport physique à l’événement-Commune. Les maires élus de gauche sont très ennuyés pendant cette période ; Clemenceau est un élu républicain qui doit faire face à un mouvement d’insurrection avec lequel il n’est pas d’accord et à un désaveu populaire, ponctuel, immédiat. Il se fait prendre à partie par les communards qui considèrent qu’il n’est qu’un bourgeois républicain. Hugo a une expérience bien différente de la Commune. Après 1875, la stratégie de Clemenceau est moins conciliante que celle de Hugo, qui souhaite l’union républicaine la plus large possible.

Tu as dit, dans ta communication, que Clemenceau considère que le véritable responsable de la Commune est le gouvernement de Versailles…

SYLVIE BRODZIAK : Oui. Je pense que Clemenceau n’a pas la même volonté d’oubli que Hugo.  Il cherche les responsabilités.

CLAUDE MILLET : La notion de faute ou de culpabilité n’est pas non plus absente de l’œuvre de Hugo ; en particulier dans L’Année terrible.

FRANCK LAURENT : En effet. Hugo pose la question : « Qu’est-ce donc que nous leur avions fait ? ». Le pronom personnel, « nous », n’est pas anodin ici. Il y a une lettre que Hugo publie en 1872 dans Le Rappel. Il interroge : « Qui a fait le 18 mars ? […] C’est l’Assemblée, ou pour mieux dire, la majorité ». Lui aussi cherche les responsabilités. En revanche, il n’adhère pas à la thèse du complot : si le gouvernement est responsable, c’est sans le vouloir. Il n’a pas fait exprès de soulever Paris, mais, étant à l’origine des événements de la Commune, il devrait être plus indulgent envers les communards.

 

Clemenceau et l’exercice du pouvoir :

GUY ROSA : Si je me souviens bien, il y a eu, pendant la Commune, des élections…

SYLVIE BRODZIAK : Oui. Clemenceau avait été nommé maire du 18° auparavant, puis il a été élu au Conseil municipal pendant la Commune, mais en a démissionné. Il est parti et n’a pas pu rentrer dans Paris pendant la semaine sanglante.

GUY ROSA : Il est de ceux –Hugo aussi est du nombre- qui ont tenté une médiation entre le gouvernement et la Commune. Mais les historiens sont très rapides sur ces initiatives. En savez-vous plus ?

Autre question : sur quoi portait son conflit avec Gambetta ?

YVETTE PARENT : Il se sépare définitivement, en 1879, de Gambetta à qui il reproche son mariage avec le centre et son opportunisme. Gambetta, selon lui, trahit le programme de Belleville.

SYLVIE BRODZIAK : Clemenceau est en effet plus radical que Gambetta. Il trouve que le programme de Belleville n’est pas appliqué assez vite.

Je crois que Clemenceau est quelqu’un qui a une peur viscérale de la violence. Il ne la décrit jamais dans ses textes littéraires. Ministre de l’Intérieur, il avait promis que jamais la garde n’irait dans les fosses à Lens. Pourtant, voulant rétablir l’ordre, il réprime violemment les grèves des mineurs et fait donner la troupe en 1907 dans le midi viticole. Dans ses écrits, on sent malgré tout une horreur de la violence sans doute née avec le 18 mars.

GUY ROSA : Peut-être, mais s’agissant d’un homme politique, on le caractérise mieux par ce qu’il a fait que par ce qu’il a écrit.

JEAN-PIERRE REYNAUD : Il a aussi réprimé très brutalement les pacifistes et les mutineries en 1917…

PIERRE GEORGEL : J’ai l’impression que l’expérience du pouvoir de Clemenceau l’a profondément transformé et a révélé en lui une volonté de puissance. Il s’identifie à l’autorité et a la conviction que l’Etat constitue la colonne vertébrale de l’ordre social.

SYLVIE BRODZIAK : Il est certain qu’il a le goût du pouvoir.

GUY ROSA : Cela l’oppose entièrement à Hugo.

YVETTE PARENT : Ce qui est étonnant, c’est que Clemenceau se reproche la mort des généraux Lecomte et Thomas au premier jour de la Commune alors qu’il n’y est pour rien, tandis qu’il ne semble pas regretter la répression des grèves, non moins meurtrière et dont il est directement responsable. Est-ce bien la violence qui est en question ? ne serait-ce pas le lieu d’où elle vient ?

CLAUDE MILLET : Deux points majeurs permettent de faire une nette distinction entre la pensée de Hugo et celle de Clemenceau : la question du spiritualisme – Clemenceau ne croit à aucune transcendance – et la question du rapport à l’ordre et à la violence. La figuration, dans les textes littéraires de Clemenceau, du peuple vertueux, n’est pas du tout hugolienne ; elle s’apparente beaucoup plus de la représentation du peuple chez Sand, par exemple. Quand on est sensible à la dimension anarchiste du vieux Hugo, on comprend pourquoi Clemenceau ne faisait pas partie de ses proches… Tout se passe comme si l’âge désinhibait Hugo, devenu une sorte d’électron libre, pas du tout rassurant pour Clemenceau.

SYLVIE BRODZIAK : Clemenceau est avant tout un rural, et c’est important. Pendant longtemps, il voit l’industrialisation de façon très négative. Il tarde à rencontrer les mineurs. Il y a chez lui une dimension paysanne presque rétrograde et très prégnante. Il suffit de lire un de ses textes, Figures de Vendée, pour le comprendre.

 

Sur les écrits de Clemenceau :

PIERRE GEORGEL : Je me demande s’il ne conviendrait pas de faire une place, à côté de la politique, à la veine panthéiste chez Clemenceau. J’ai travaillé sur son très remarquable commentaire des Nymphéas de Monet et j’ai été frappé par le lyrisme de son expression et par l’intensité du sentiment panthéiste déployé dans ce texte.

SYLVIE BRODZIAK : C’est très juste. On trouve la même forme de panthéisme dans Au Soir de la pensée.

PIERRE GEORGEL : Vous avez évoqué certaines de ses nouvelles. Elles m’ont paru évoquer davantage des écrivains de la veine naturaliste (tendance mièvre), comme Daudet, par exemple, que Hugo. Je trouve son écriture lyrique bien supérieure.

SYLVIE BRODZIAK : En effet. Son livre sur Monet est, à mes yeux, son œuvre la plus réussie. Il lui a demandé beaucoup de travail.      

 Claire Montanari


Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
Bibliothèque Jacques Seebacher, Grands Moulins, Bâtiment A, 5 rue Thomas Mann, 75013 Paris. Tél : 01 57 27 63 68; mail: bibli19@univ-paris-diderot.fr. Bibliothécaire: Ségolène Liger ; responsable : Paule Petitier
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