Présents : Stéphane
Arthur, Sylvie Brodziak, Ludmila Charles-Wurtz, M. et Mme Devinat, Jean-Marc
Hovasse, Pierre Georgel, Caroline Julliot, Hiroko Kazumori, Franck Laurent,
Arnaud Laster, Mouna Messaoud, Claude Millet, Claire Montanari, Sébastien Mullier,
Yvette Parent, Jean-Pierre Reynaud, Guy Rosa, Denis Sellem, Agnès Spiquel, Sylvie
Vielledent et Vincent Wallez.
Claude Millet présente à lassemblée Sylvie Brodziak, maître de conférences en histoire à luniversité de Cergy-Pontoise, qui travaille à la correspondance de Georges Clemenceau, ainsi que M. et Mme Devinat, venus écouter son intervention. Mme Devinat est la descendante dAlbert Clemenceau et de Marthe Meurice (la famille même de Paul Meurice).
Claude Millet annonce que les nouveaux locaux de la bibliothèque du XIXe siècle (bâtiment A du site des Grands Moulins, 2ème étage) seront inaugurés le vendredi 30 mai. A cette occasion, Guy Rosa se verra remettre un volume de mélanges.
La sortie du premier numéro dÉcrire lHistoire, revue animée par léquipe de recherche du XIXe siècle, pourra sans doute être fêtée par la même occasion
Guy Rosa signale que la bibliothèque du XIXe siècle vient de se doter dun nouveau lecteur de microfilms et de microfiches, capable, lui, de les numériser (et graver sur CD ou enregistrer sur clé USB) avec tous les perfectionnements apportés par limagerie numérique (grossissement en particulier). Il rappelle quoutre la totalité des microfilms des manuscrits de Hugo présents à la BNF, la bibliothèque possède et met à disposition ceux dun grand nombre de périodiques du 19°, la plupart difficilement consultables autrement cest même la raison de leur enregistrement photographique. Cest Pierre Albouy qui, dès la création de Paris 7 et de léquipe, avait commencé, avec laide de J.-L. Diaz, à réunit cette collection. Claude Millet précise que le fonds des microfilms continue à augmenter. Pour linstant, les achats ont surtout porté sur les revues littéraires du XIXe siècle. Le catalogue de la bibliothèque, consultable sur le site, comporte évidemment le détail de ces ressources.
Padoue, version raccourcie dAngelo, tyran de Padoue, est joué au théâtre de lEpouvantail, 6 rue de la Folie Méricourt, à Paris, du 3 avril au 25 mai. La réduction de la pièce est, selon Arnaud Laster, très honnête. Le metteur en scène, Ewan Lobé Jr., a choisi dintroduire une chanson qui serait celle de la mère de Tisbé. Il a composé les paroles dans une langue du Bénin. Une musique de scène, qui présente beaucoup dintérêt, a en outre été composée pour la circonstance.
Le Prisonnier, opéra de Luigi Dallapiccola, est à laffiche du Palais Garnier du 10 avril au 6 mai. Arnaud Laster rappelle que le livret sinspire dun conte de Villiers de lIsle-Adam, mais quil a aussi subi linfluence de Hugo. La mère du condamné fait en effet un cauchemar dans lequel Philippe II apparaît. La présentation de ce dernier est assez conforme à celle quen fait Hugo dans « La Rose de linfante ». Dautres souvenirs de luvre de Hugo sont sans doute présents. Il est probable que le compositeur qui est aussi lauteur du livret a songé au Dernier jour dun condamné et à Torquemada. Cest ce que démontre Arnaud Laster dans un article de lAvant-scène Opéra consacré au Prisonnier.
Claude Millet annonce que Paule Petitier et Paul Viallaneix viennent de faire paraître le cinquième volume de lHistoire de France de Michelet aux éditions Equateurs, celui de Jeanne dArc et du duc de Bourgogne.
FRANCK LAURENT : Cette édition de l Histoire de France constitue un événement car lédition des uvres complètes de Michelet chez Flammarion était difficilement accessible et, arrêtée en cours de route, ne comprenait pas les volumes de la fin de la monarchie (Louis XIV, XV et XVI). De même, chez Bouquins, seuls les livres sur le Moyen Age, la Renaissance et la Réforme étaient disponibles ; ils présentaient dailleurs le grave défaut de ne pas reproduire les notes et les éclaircissements de Michelet, qui sont dune importance majeure. Le fameux texte sur la passion au Moyen Age ne sy trouvait pas.
GUY ROSA ajoute que les présentations de Paule Petitier sont excellentes : elles montrent un texte plus intelligent et plus soigneusement construit quil ne le semble à la lecture courante. Sujet de perplexité : le succès rencontré par cette édition, dont tous les médias ont parlé, jusquaux journaux télévisés de 20 heures, alors que lHistoire de France semble inconnue de lUniversité de lagrégation, nen parlons pas.
A propos de laquelle, Guy Rosa signale, avec confirmation dArnaud Laster, quelle aura lan prochain à son programme Hernani et Ruy Blas. La timidité de ce choix est unanimement regrettée.
CLAUDE MILLET : Je suis frappée par la difficulté quil y a à interpréter la dernière lettre que vous avez citée dans votre intervention. Il est difficile de cerner ce que veut dire par exemple, à lépoque de Clemenceau, la notion de « romantisme ». Jorganise un programme sur lantiromantisme depuis un an et demi. On saperçoit que le référent même de « romantisme » est très plastique. Il dépend de la culture de chacun et de ses horizons idéologiques. Que signifie « romantisme » pour Clemenceau ? Sans doute est-ce labsence dau-delà qui marque, chez lui, une véritable césure avec le romantisme.
FRANCK LAURENT : La difficulté danalyser linfluence de Hugo sur Clemenceau provient en outre de leur différence de génération. Ce sont deux personnages à la grande longévité et ils nappartiennent pas à la même génération. Le Hugo de 1820 nest pas le même que celui de 1880, de même que la référence de Clemenceau à Hugo nest sans doute pas la même en 1880 ou en 1925
Les contemporains de Clemenceau sont influencés par Hugo, mais le spiritualisme de ce dernier est ce qui, très tôt, leur pose problème.
PIERRE GEORGEL : Les derniers recueils (Religions et religion et LAne en particulier), mais également ce quon appelle Préface philosophique des Misérables font vigoureusement contre-attaque à cette vague anti-spiritualiste. Dailleurs, Les Misérables eux-mêmes aussi : « ce livre est un livre religieux ». Au grand scandale de Charles, George Sand, etc.
FRANCK LAURENT : Tu as dit que rien, dans la correspondance de Clemenceau, ne permet de déterminer sil a rencontré Hugo. Ce serait étonnant dans la mesure où, à partir de 1870, tout le monde va voir Hugo, et en particulier les gens de gauche. Même avant 1870, les fréquentations de Clemenceau sont très proches de celles du clan Hugo. Clemenceau connaît, par exemple, Lockroy, collaborateur du Rappel. Clemenceau a-t-il dailleurs déjà écrit dans ce journal ?
SYLVIE BRODZIAK : Non, je ne pense pas.
FRANCK LAURENT : Il est en outre proche de Schoelcher.
ARNAUD LASTER : Hugo et Clemenceau se sont rencontrés. Clemenceau est venu annoncer à Hugo son élection au Sénat. On en trouve trace dans lédition Massin. Malheureusement, on na pas assez de renseignements sur les dernières années de Hugo. Les carnets de cette période nont pas encore été tous publiés correctement.
On trouve toutefois, sur une page dun carnet de Hugo datée du 14 mai 1877, une note qui signale quil a reçu Clemenceau ainsi, entre autres, que Flaubert et sa nièce.
AGNES SPIQUEL : Vous avez précisé que Clemenceau navait pas signé le texte de Hugo sur lamnistie en 1879. Savez-vous pour quelle raison il ne la pas fait ?
SYLVIE BRODZIAK : Non. Clemenceau nexplique pas pourquoi il na pas donné sa signature. Pourtant, il était connu, depuis 1876 au moins, pour son combat en faveur de lamnistie des communards. On peut cependant remarquer que, parfois, Clemenceau ne veut pas faire comme les autres.
AGNES SPIQUEL : Peut-être ne souhaitait-il pas, contrairement à Hugo, lamnistie pleine et entière ?
SYLVIE BRODZIAK : Si, et il la lui même revendiquée
GUY ROSA : Si je me souviens dune lecture ancienne mais attentive du Moniteur, Clemenceau défend lamnistie à lAssemblée Nationale, en mai 1876, le jour même où Hugo fait de même au Sénat. Ce ne serait quun coïncidence inintéressante si, dans son discours, Clemenceau ne faisait, et longuement, un parallèle qui nallait pas soi entre lamnistie demandée pour les communards et celle accordée aux Vendéens (dont Clemenceau, député de Vendée, avait des raisons de se préoccuper). Ce parallèle, Hugo ne le fait pas dans son propre discours, mais, dans Quatrevingt-treize, le rapprochement entre la Commune et la Vendée est flagrant et explicitement souligné : « Nous avons revu ces moeurs. ». Clemenceau est-il une « source » (importante) pour Hugo ? En tous cas, la communauté de vues entre eux est profonde sur ce point point décisif puisquil sagit de la r/Révolution.
FRANCK LAURENT : On sent quil y a, autour de la Commune, une proximité idéologique entre les deux hommes, mais aussi certains accents différents. Ils nont pas, par exemple, le même rapport physique à lévénement-Commune. Les maires élus de gauche sont très ennuyés pendant cette période ; Clemenceau est un élu républicain qui doit faire face à un mouvement dinsurrection avec lequel il nest pas daccord et à un désaveu populaire, ponctuel, immédiat. Il se fait prendre à partie par les communards qui considèrent quil nest quun bourgeois républicain. Hugo a une expérience bien différente de la Commune. Après 1875, la stratégie de Clemenceau est moins conciliante que celle de Hugo, qui souhaite lunion républicaine la plus large possible.
Tu as dit, dans ta communication, que Clemenceau considère que le véritable responsable de la Commune est le gouvernement de Versailles
SYLVIE BRODZIAK : Oui. Je pense que Clemenceau na pas la même volonté doubli que Hugo. Il cherche les responsabilités.
CLAUDE MILLET : La notion de faute ou de culpabilité nest pas non plus absente de luvre de Hugo ; en particulier dans LAnnée terrible.
FRANCK LAURENT : En effet. Hugo pose la question : « Quest-ce donc que nous leur avions fait ? ». Le pronom personnel, « nous », nest pas anodin ici. Il y a une lettre que Hugo publie en 1872 dans Le Rappel. Il interroge : « Qui a fait le 18 mars ? [ ] Cest lAssemblée, ou pour mieux dire, la majorité ». Lui aussi cherche les responsabilités. En revanche, il nadhère pas à la thèse du complot : si le gouvernement est responsable, cest sans le vouloir. Il na pas fait exprès de soulever Paris, mais, étant à lorigine des événements de la Commune, il devrait être plus indulgent envers les communards.
GUY ROSA : Si je me souviens bien, il y a eu, pendant la Commune, des élections
SYLVIE BRODZIAK : Oui. Clemenceau avait été nommé maire du 18° auparavant, puis il a été élu au Conseil municipal pendant la Commune, mais en a démissionné. Il est parti et na pas pu rentrer dans Paris pendant la semaine sanglante.
GUY ROSA : Il est de ceux Hugo aussi est du nombre- qui ont tenté une médiation entre le gouvernement et la Commune. Mais les historiens sont très rapides sur ces initiatives. En savez-vous plus ?
Autre question : sur quoi portait son conflit avec Gambetta ?
YVETTE PARENT : Il se sépare définitivement, en 1879, de Gambetta à qui il reproche son mariage avec le centre et son opportunisme. Gambetta, selon lui, trahit le programme de Belleville.
SYLVIE BRODZIAK : Clemenceau est en effet plus radical que Gambetta. Il trouve que le programme de Belleville nest pas appliqué assez vite.
Je crois que Clemenceau est quelquun qui a une peur viscérale de la violence. Il ne la décrit jamais dans ses textes littéraires. Ministre de lIntérieur, il avait promis que jamais la garde nirait dans les fosses à Lens. Pourtant, voulant rétablir lordre, il réprime violemment les grèves des mineurs et fait donner la troupe en 1907 dans le midi viticole. Dans ses écrits, on sent malgré tout une horreur de la violence sans doute née avec le 18 mars.
GUY ROSA : Peut-être, mais sagissant dun homme politique, on le caractérise mieux par ce quil a fait que par ce quil a écrit.
JEAN-PIERRE REYNAUD : Il a aussi réprimé très brutalement les pacifistes et les mutineries en 1917
PIERRE GEORGEL : Jai limpression que lexpérience du pouvoir de Clemenceau la profondément transformé et a révélé en lui une volonté de puissance. Il sidentifie à lautorité et a la conviction que lEtat constitue la colonne vertébrale de lordre social.
SYLVIE BRODZIAK : Il est certain quil a le goût du pouvoir.
GUY ROSA : Cela loppose entièrement à Hugo.
YVETTE PARENT : Ce qui est étonnant, cest que Clemenceau se reproche la mort des généraux Lecomte et Thomas au premier jour de la Commune alors quil ny est pour rien, tandis quil ne semble pas regretter la répression des grèves, non moins meurtrière et dont il est directement responsable. Est-ce bien la violence qui est en question ? ne serait-ce pas le lieu doù elle vient ?
CLAUDE MILLET : Deux points majeurs permettent de faire une nette distinction entre la pensée de Hugo et celle de Clemenceau : la question du spiritualisme Clemenceau ne croit à aucune transcendance et la question du rapport à lordre et à la violence. La figuration, dans les textes littéraires de Clemenceau, du peuple vertueux, nest pas du tout hugolienne ; elle sapparente beaucoup plus de la représentation du peuple chez Sand, par exemple. Quand on est sensible à la dimension anarchiste du vieux Hugo, on comprend pourquoi Clemenceau ne faisait pas partie de ses proches Tout se passe comme si lâge désinhibait Hugo, devenu une sorte délectron libre, pas du tout rassurant pour Clemenceau.
SYLVIE BRODZIAK : Clemenceau est avant tout un rural, et cest important. Pendant longtemps, il voit lindustrialisation de façon très négative. Il tarde à rencontrer les mineurs. Il y a chez lui une dimension paysanne presque rétrograde et très prégnante. Il suffit de lire un de ses textes, Figures de Vendée, pour le comprendre.
PIERRE GEORGEL : Je me demande sil ne conviendrait pas de faire une place, à côté de la politique, à la veine panthéiste chez Clemenceau. Jai travaillé sur son très remarquable commentaire des Nymphéas de Monet et jai été frappé par le lyrisme de son expression et par lintensité du sentiment panthéiste déployé dans ce texte.
SYLVIE BRODZIAK : Cest très juste. On trouve la même forme de panthéisme dans Au Soir de la pensée.
PIERRE GEORGEL : Vous avez évoqué certaines de ses nouvelles. Elles mont paru évoquer davantage des écrivains de la veine naturaliste (tendance mièvre), comme Daudet, par exemple, que Hugo. Je trouve son écriture lyrique bien supérieure.
SYLVIE BRODZIAK : En effet. Son livre sur Monet est, à mes yeux, son uvre la plus réussie. Il lui a demandé beaucoup de travail.
Claire Montanari
Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
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